SEANCE DU 9 JANVIER 2001
LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS
Adoption d'une proposition de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 26,
2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la lutte contre les
discriminations. [Rapport n° 155 (2000-2001)].
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Claude Bartolone,
ministre délégué à la ville.
Monsieur le président, monsieur le
rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les discriminations sont une
réalité quotidienne dans notre pays, personne ne peut plus le nier. Ne pas être
« blanc », avoir un nom à consonance étrangère, habiter un quartier populaire
ou en difficulté sont autant d'obstacles à l'accès aux droits : droit au
travail, droit au logement, droit aux loisirs...
Ces discriminations, quels que soient leurs formes et leur fondement,
constituent des violences inadmissibles, parce qu'elles nient la personne, son
identité, sa spécificité, parce que, en niant la personne, elles la privent de
l'égalité des chances et de l'accès aux droits, parce que, en privant de
l'accès aux droits, elles engendrent l'exclusion. Elles constituent une
atteinte insupportable au modèle républicain auquel nous sommes tous attachés
et qu'elles bafouent, je l'ai dit, quotidiennement.
La proposition de loi relative à la lutte contre les discriminations, votée le
12 octobre 2000 en première lecture à l'Assemblée nationale, sur l'initiative
du groupe socialiste, et qui vous est présentée aujourd'hui, s'inscrit
parfaitement dans le plan d'actions gouvernementales de lutte contre les
discriminations. Je rappelle d'ailleurs qu'elle reprend les dispositions qui
étaient initialement celles qu'avait avancées le Gouvernement, dans le cadre du
projet de loi de modernisation sociale. Elle constitue une étape complémentaire
et indispensable de ce plan en ce qu'elle vise, par une modification de la loi,
à renforcer le droit des victimes.
Le Gouvernement s'est engagé, dès 1997, dans la mise en place de politiques de
droit commun garantissant l'accès aux droits fondamentaux et d'actions
spécifiques contre les discriminations.
S'agissant de garantir l'accès aux droits fondamentaux, je voudrais en premier
lieu évoquer les mesures qui visent à favoriser l'accès à l'emploi.
Tout d'abord, les emplois-jeunes profitent à 15 % de jeunes issus des
quartiers dits sensibles ; un effort important reste encore à faire pour
atteindre une moyenne nationale de 20 %.
Ensuite, le programme TRACE - trajet d'accès à l'emploi - institué par la loi
du 28 juillet 1998 permet à des jeunes de seize à vingt-cinq ans de bénéficier
d'un accompagnement global et personnalisé vers l'emploi pendant une période
pouvant aller jusqu'à dix-huit mois. Depuis son lancement, ce programme a
concerné 82 000 jeunes, dont 30 % sont issus de zones urbaines sensibles :
quinze mois après leur entrée dans le dispositif, 80 % des jeunes encore
présents travaillaient ou étaient en formation et, sur les 20 300 jeunes sortis
du programme, 44 % étaient en situation d'emploi.
Par ailleurs, les actions de parrainage permettent d'organiser des rencontres
entre les jeunes en difficulté et les employeurs et de faire tomber les
a
priori
: une circulaire du 7 juin 2000 de la ministre de l'emploi et de la
solidarité a porté sur la mobilisation du tissu économique et social pour
assurer le développement des réseaux de parrainage des jeunes vers l'emploi
avec la signature de chartes régionales ; un quart des régions ont réussi à
mobiliser les acteurs locaux.
En outre, la mobilisation des dispositifs d'insertion professionnelle pour les
jeunes des quartiers sensibles avec les plans locaux d'insertion et les équipes
emploi-insertion a pour objet de mettre en place, je vous le rappelle, cent
cinquante équipes dans les quartiers prioritaires au titre de la politique de
la ville ; cent un dossiers ont été déposés, et trente-sept équipes sont
installées ou sont en cours d'installation.
D'autres mesures concernent l'accès à la fonction publique, comme la mise en
oeuvre, à titre expérimental, de préparations rémunérées aux concours d'accès à
la fonction publique pour les demandeurs d'emploi des quartiers prioritaires au
titre de la politique de la ville.
Enfin, je peux également citer les mesures qui visent à favoriser les parcours
de réussite pour l'accès à l'emploi, comme la convention signée en 1999 avec
l'Association pour faciliter l'insertion professionnelle des jeunes diplômés
des quartiers en difficulté ou jeunes diplômés issus de l'immigration, ou
encore le programme « Nouvelles Chances » de l'éducation nationale, qui retient
la lutte contre les discriminations parmi ses priorités.
En second lieu, après les mesures relatives à l'accès à l'emploi, il faut
évoquer celles qui concernent le logement, notamment la mise en place d'un
numéro d'enregistrement unique de la demande de logement social - décret et
arrêté du 7 novembre 2000, pris dans l'optique de la loi d'orientation relative
à la lutte contre les exclusions - qui doit permettre en particulier d'assurer
l'égalité de traitement entre tous les candidats à un logement.
Je tiens d'ailleurs à vous signaler, puisque je parle du logement, que le
fonds d'action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles, le
FAS, a lancé en avril dernier un appel d'offres pour la réalisation d'une étude
sur l'accès au logement des jeunes immigrés ou issus de l'immigration :
identification des discriminations et des différents problèmes que peuvent
rencontrer ces jeunes. Ce document sera disponible en octobre 2001.
Il faut également citer la couverture maladie universelle, en ce qu'elle
garantit à tous l'accès aux soins.
Toutes ces mesures sont autant de politiques qui visent à restaurer pour tous
l'égalité des droits. Elles doivent être accompagnées d'actions spécifiques
permettant de lutter avec détermination contre le racisme ordinaire, banalisé
dans les rapports sociaux quotidiens.
S'agissant de lutter spécifiquement contre les discriminations, le
Gouvernement a ouvert toutes les pistes.
D'abord, pour mieux connaître les différentes formes de discrimination, nous
avons créé le groupe d'étude et de lutte contre les discriminations, qui rendra
d'ici à la fin du mois son premier rapport annuel et qui contribuera à
l'établissement du rapport de la Commission nationale consultative des droits
de l'homme sur le racisme et la xénophobie.
Ensuite, des actions de sensibilisation et de formation des acteurs et
professionnels locaux ont été engagées. Je citerai les modules relatifs à la
lutte contre les discriminations intégrés dans la formation des agents de
l'ANPE, (l'Agence nationale pour l'emploi), et de l'AFPA (l'Association
nationale pour la formation professionnelle des adultes). Je citerai également
la réalisation du guide pratique « Lutter contre les discriminations raciales
sur le marché du travail ».
Il convient d'évoquer la mobilisation des organisations syndicales et
patronales, dont il faut saluer les initiatives. La plupart des grandes
confédérations ont engagé des actions de formation et de sensibilisation
spécifiques de leurs militants et délégués.
Enfin, à la suite des assises de la citoyenneté du 18 mars dernier, a été créé
un numéro d'appel téléphonique gratuit, le 114, qui offre un recours simple et
accessible à toutes les personnes victimes de discriminations, et leur permet
ainsi de se faire entendre et de faire valoir leurs droits. Les appels
concernant des discriminations font l'objet d'un signalement à la commission
départementale d'accès à la citoyenneté compétente, qui mobilise, autour du
préfet et du procureur de la République, les acteurs locaux et doit veiller à
donner une suite à chaque signalement.
Depuis la mise en service, en mai dernier, de ce dispositif, des dizaines de
milliers d'appels témoignent de la triste réalité des discriminations dans
notre pays.
Comme je le disais au début de mon propos, la présente proposition de loi
s'inscrit pleinement dans la continuité de l'action du Gouvernement. Elle la
complète en instaurant principalement une protection renforcée contre les
discriminations au travail.
J'en viens aux modifications apportées par la proposition de loi.
Le texte comprend huit articles, dont quatre additionnels, ajoutés lors de la
discussion à l'Assemblée nationale.
La proposition de loi permet de sanctionner de nouveaux motifs de
discriminations.
Le code du travail interdit déjà les mesures discriminatoires prises à
l'encontre d'un salarié ou d'un candidat à l'embauche fondées sur son origine,
son sexe, ses moeurs, sa situation familiale, son appartenance à une ethnie,
une nation ou une race, ses opinions politiques, ses activités syndicales ou
mutualistes, ses convictions religieuses et, sauf inaptitude constatée par le
médecin, son état de santé ou son handicap.
La proposition de loi ajoute trois nouveaux motifs à cette énumération :
l'orientation sexuelle, l'apparence physique et le patronyme.
Ces dispositions prennent ainsi en compte les situations dénoncées, notamment,
par les associations d'homosexuels et de lutte contre le racisme ; nous ne
pouvons que nous en féliciter.
La proposition de loi permet la protection de nouvelles situations
professionnelles.
Le refus d'embauche, la sanction disciplinaire et le licenciement fondés sur
des motifs discriminatoires sont déjà sanctionnés par le code du travail. La
proposition de loi étend la protection du salarié à toute une série de mesures
discriminatoires directes ou indirectes affectant sa situation professionnelle,
telles que les décisions concernant sa rémunération, sa formation, son
affectation, sa promotion, cette liste n'étant pas limitative.
La proposition de loi sanctionne également - et je sais quelle a été, sur ce
point, la mobilisation de mon collègue Jean-Luc Mélenchon, présent aujourd'hui
à mes côtés - le refus d'accès à un stage ou à une période de formation en
entreprise. Cela comble un vide juridique et répond aux difficultés rencontrées
par certains jeunes pour trouver des stages pourtant obligatoires, notamment
dans le cadre de leur scolarité.
La proposition de loi vise à faciliter l'établissement de la preuve de la
discrimination en prévoyant que lorsque le salarié ou le candidat écarté d'un
recrutement ou d'un stage présente des éléments de fait laissant supposer une
discrimination directe ou indirecte il incombe au défendeur, c'est-à-dire à
l'employeur, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments
objectifs étrangers à toute discrimination.
Concrètement, l'aménagement de la charge de la preuve établira un nouvel
équilibre entre l'employeur et le salarié dans la démonstration de l'existence
de la discrimination.
Cette proposition de loi contribue à transposer dans notre droit la directive
européenne du 29 juin 2000. Je sais que votre commission souhaite amender la
rédaction retenue par l'Assemblée nationale, estimant qu'elle ne présente pas
toutes les garanties d'équilibre et de clarté nécessaires. Nous aurons
l'occasion d'en débattre.
Ce que je retiens de la rédaction actuelle, c'est que, face aux éléments de
fait, laissant supposer l'existence d'une discrimination, présentés par le
salarié, l'employeur devra prouver que sa décision a été prise pour d'autres
motifs que ceux qui sont évoqués par le salarié. Il appartiendra ensuite au
juge de former sa conviction au vu de l'ensemble de ces éléments et des
éventuelles mesures d'instruction qu'il pourra ordonner.
La proposition de loi prévoit des moyens d'action renforcés.
Elle prévoit une protection des témoins d'agissements discriminatoires et des
salariés ayant engagé une action en justice.
Elle renforce les moyens d'action collectifs, qu'il s'agisse du droit d'alerte
reconnu aux délégués du personnel et de la faculté des organisations syndicales
d'agir en lieu et place du candidat ou du salarié. Là également, votre
commission propose de modifier la rédaction issue de l'Assemblée nationale,
notamment en ce qui concerne l'action substitutive des organisations
syndicales. Comme l'a précisé le Conseil constitutionnel, cette action repose
sur un mandat implicite, et ce sont donc les règles de droit du mandat qui
s'appliquent.
Enfin, la proposition de loi donne clairement compétence à l'inspection du
travail pour constater les infractions à ces dispositions.
Par ailleurs, la proposition de loi instaure d'autres mesures de lutte contre
les discriminations.
Elle prévoit l'irrecevabilité des listes de candidatures qui seraient
présentées aux élections prud'homales par un parti politique ou par une
organisation prônant des discriminations et poursuivant ainsi un objectif
étranger à l'institution prud'homale. Par amendement, le Gouvernement vous
proposera une rédaction nouvelle de l'article en question, de façon à lever
toute ambiguïté et afin qu'il soit bien compris que la prohibition de la
présentation des listes par un parti politique s'applique à tout parti, y
compris s'il ne prône pas de thèses discriminatoires.
M. Louis Souvet,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Bien sûr !
M. Claude Bartolone,
ministre délégué.
Elle protège les salariés des institutions sociales et
médico-sociales ayant témoigné de mauvais traitements infligés à une personne
accueillie dans ces institutions. A cet égard, l'actualité prouve que cet
amendement est le bienvenu.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Hélas !
M. Claude Bartolone,
ministre délégué.
En effet, hélas !
La proposition de loi donne une base législative à la création du service
d'accueil téléphonique gratuit.
Dans ce cadre, le Gouvernement vous propose de créer un article nouveau après
l'article 8 aux fins de revoir la définition des missions du fonds d'action
sociale telles qu'elles sont actuellement prévues par l'article L. 767-2 du
code de la sécurité sociale.
A l'origine, le fonds d'action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs
familles engageait des actions limitées au logement et à l'aide sociale à
destination des immigrés. Depuis, les missions se sont étendues à des champs
plus vastes, touchant à la culture, à l'emploi et à la formation, en soutien à
l'intégration et à la lutte contre les discriminations des personnes, non
seulement étrangères mais également issues de l'immigration.
Le fonds d'action sociale pour les travailleurs immigrés et leur familles
deviendrait le fonds d'action sociale pour l'intégration et la lutte contre les
discriminations.
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les propos liminaires que je
souhaitais formuler avant que vous entamiez la discussion de la proposition de
loi qui vous est soumise.
Je tiens, en cet instant, à rendre hommage à la qualité des travaux de votre
commission des affaires sociales, à M. Jean Delaneau, son président, et à M.
Louis Souvet son rapporteur.
J'espère que le débat qui va s'ouvrir permettra à la fois de renforcer les
moyens de lutter contre les discriminations et d'enrichir le texte qui vous est
aujourd'hui soumis.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
messieurs les ministres, mes chers collègues, la lutte contre les
discriminations constitue un élément essentiel de notre pacte républicain et
trouve donc naturellement un écho dans nos textes fondateurs.
L'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août
1789 dispose en effet : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en
droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité
commune. »
Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 proclame, quant à lui : «
Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut
être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses
opinions ou de ses croyances. »
Enfin, l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que la
France « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction
d'origine, de race ou de religion. »
Ces principes, qui constituent nos références premières et le fondement de
notre organisation politique, ont naturellement inspiré la construction
européenne conduite aujourd'hui par quinze peuples démocratiques.
L'article 6 du traité sur l'Union européenne a rappelé, à cet égard, que
l'Union était fondée sur « les principes de la liberté, de la démocratie, du
respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que de l'Etat
de droit ».
La construction européenne ne se résume pas à l'établissement d'un grand
marché. Elle vise également à bâtir une communauté de droit. Dans cette
perspective, les lignes directrices pour l'emploi en 2000, approuvées par le
Conseil européen qui s'est tenu à Helsinki les 10 et 11 décembre 1999, ont
souligné la nécessité de promouvoir un marché du travail favorable à
l'insertion sociale en formulant un ensemble cohérent de politiques destinées à
lutter contre les discriminations.
Nul ne conteste aujourd'hui la nécessité de lutter contre les discriminations.
Cette action est même indispensable si l'on veut arrimer à la République des
quartiers et des citoyens qui ont tendance à s'en éloigner. Vous avez
d'ailleurs visité récemment l'un de ces quartiers dans la ville que
j'administre, monsieur le ministre.
Cette action constitue le complément indispensable des politiques économiques
et sociales comme des politiques de l'éducation et de sécurité.
En outre, le souci de faciliter l'accès de tous au marché du travail devrait
être d'autant mieux partagé que l'on assiste aujourd'hui au développement de
pénuries de main-d'oeuvre dans certains secteurs d'activité. Notre collègue
Alain Gournac nous l'a rappelé dernièrement à travers la proposition de loi
relative aux pénuries de main-d'oeuvre, que le Sénat a discutée le mois
dernier.
La période de croissance actuelle constitue, à cet égard, une occasion
irremplaçable de faire évoluer les mentalités pour permettre à chacun l'accès
au marché du travail et à l'égalité de traitement.
Cette préoccupation a abouti, au niveau européen, à l'adoption, le 29 juin
2000, d'une directive relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de
traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique,
dont l'un des moyens consiste à aménager les règles concernant la charge de la
preuve dès lors qu'il existe une présomption de discrimination.
L'article 8 de la directive du 29 juin 2000 prévoit, en particulier, que « dès
lors qu'une personne s'estime lésée par le non-respect à son égard du principe
de l'égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre
instance compétente, des faits qui permettent de présumer l'existence d'une
discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de
prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement.
»
Ce principe était déjà énoncé par l'article 4 de la directive européenne du 15
décembre 1997, relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination
fondée sur le sexe.
Ces deux directives doivent être transcrites en droit interne, c'est-à-dire
que le droit national doit être modifié lorsque cela est nécessaire afin de ne
pas contredire le texte de la directive. Ces transcriptions doivent être
effectuées avant le 1er janvier 2001 pour la directive du 15 décembre 1997
relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le
sexe, et avant le 19 juillet 2003 pour la directive du 29 juin 2000 relative à
la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes
sans distinction de race ou d'origine ethnique.
Or, l'examen du droit en vigueur révèle la nécessité de modifications
législatives.
L'article L. 122-45 du code du travail prévoit en effet qu'« aucune personne
ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou être sanctionnée ou
licenciée en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de sa situation
de famille, de son appartenance à une ethnie, une nation ou une race ou de ses
opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses
convictions religieuses ou, sauf inaptitude constatée par le médecin du travail
(...), en raison de son état de santé ou de son handicap ».
Pour être conforme à la directive du 29 juin 2000, cette rédaction doit être
complétée afin de prendre en compte l'ensemble des conditions d'emploi et de
travail, c'est-à-dire la formation, la promotion, la reconversion et la
rémunération. Elle doit surtout être modifiée pour tenir compte du nouveau
régime de la charge de la preuve prévu par la directive. Tel est précisément
l'objet principal de la présente proposition de loi.
Contrairement à ce que certains prétendent, ce nouveau régime ne constitue pas
une inversion de la charge de la preuve. Autant, dans notre droit, il incombait
au plaignant d'établir la preuve de ses dires, autant la nouvelle procédure
cherche à établir un certain équilibre afin d'obliger les parties à présenter
chacune leurs arguments pour permettre à une tierce partie de se faire son
opinion et de trancher.
Il s'agit là, cependant, d'un changement déjà considérable et qui n'est pas
sans risque. Ce changement trouve certes sa justification dans les difficultés
que connaissent les plaignants à prouver leurs dires, comme en témoignent le
faible nombre des recours devant les tribunaux et le nombre encore plus faible
des décisions de justice favorables aux plaignants, encore que je vous aie
entendu dire, monsieur le ministre, que des dizaines de milliers d'appels
parviennent au 114, et ce nombre va certainement beaucoup augmenter.
Mais cette démarche ne va pas sans risques. L'aménagement de la charge de la
preuve, en obligeant l'employeur à justifier sa décision, ouvre la porte à des
recours qui pourraient être mus non par le désir de réparer une injustice mais,
au contraire, par la volonté d'obtenir raison d'une décision défavorable rendue
sur des critères légitimes tenant, par exemple, à une différence de formation,
d'aptitude, d'expérience, voire à une indifférence plus subjective tenant au
profil, au tempérament ou à la sympathie.
En cela, l'aménagement du régime de la preuve accroît le contrôle sur les
décisions de l'entrepreneur et fait même peser sur lui comme une présomption de
culpabilité.
(M. Caldaguès marque son approbation.)
Chacun sait en effet que, dans notre société, le fait d'avoir à rendre des
comptes à la justice équivaut trop souvent à une condamnation aux yeux d'une
partie de l'opinion. Qui pourra affirmer qu'un chef d'entreprise obligé de se
justifier de n'avoir pas agi selon des visées racistes, puis innocenté, n'aura
pas à subir la même opprobre ?
A cet égard, on ne peut que s'étonner, voire regretter, que le Gouvernement ne
propose pas des modifications comparables concernant la lutte contre les
discriminations dans les administrations. Beaucoup reste à faire, et l'Etat
n'est pas le dernier à devoir agir dans ce domaine.
M. Dominique Leclerc.
Très bien !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Pour limiter les risques de dérive, le législateur européen a
fort heureusement prévu que le plaignant devra « établir ... des faits qui
permettent de présumer l'existence d'une discrimination ».
Un fait, comme un indice, est plus aisé à établir ou à rassembler qu'une
preuve. Néanmoins, il se distingue du soupçon, de l'impression, voire de la
rumeur. On peut donc estimer que le législateur européen a trouvé un bon
équilibre et qu'il convient de ne pas trop s'en écarter.
Or l'Assemblée nationale et le Gouvernement ont souhaité s'inspirer plus de
l'évolution de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation
que du texte des directives européennes. Il en résulte des dispositions qui
sont soit floues, soit excessives, mais qui ont en commun de placer le juge en
position d'arbitre, ayant à se faire son opinion en dehors d'éléments
matériels, ce qui est toujours risqué.
La rédaction retenue par la propostion de loi s'éloigne en effet du texte de
la directive. Selon le texte adopté par l'Assemblée nationale, le salarié doit
présenter des « éléments de fait laissant supposer l'existence d'une
discrimination directe ou indirecte » à l'appui de sa plainte, alors que la
directive prévoit que le plaignant « établit (...) des faits qui permettent de
présumer l'existence d'une discrimination ».
De deux choses l'une : ou les deux membres de phrases ont le même sens, et
l'on ne voit pas l'intérêt de s'éloigner de la directive, ou ce n'est pas le
cas, et il serait intéressant que les auteurs précisent leurs intentions.
(M. le ministre délégué à l'enseignement professionnel opine.)
Monsieur le ministre, je vous vois opiner, et je sens que vous m'approuvez !
C'est sans doute la solidarité franc-comtoise !
(Sourires.)
En outre, les directives ont prévu qu'il incombait « à la partie défenderesse
de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement
» alors que l'Assemblée nationale prévoit, quant à elle, reprenant mot pour mot
la jurisprudence de la Cour de cassation, qu'il lui incombe de prouver que sa
décision « est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute
discrimination ».
Dans ce cas, la différence est plus sensible, notamment du fait de la
référence à des « éléments objectifs ». Il s'agit là de termes ambigus.
Pourquoi une décision de recrutement ne pourrait-elle pas être déterminée, au
moins partiellement, par des éléments subjectifs comme l'intuition, la
sympathie ou le dynamisme ? Les entreprises ne recrutent pas par concours
anonyme. A trop vouloir en faire, on risque d'obtenir un résultat inverse à
l'effet recherché. Comment le juge pourrait-il former sa conviction si le
plaignant ne lui présente pas des faits et si l'on oblige l'employeur à
n'évoquer que des éléments « objectifs » ? L'intérêt des parties comme
l'efficacité des mesures de lutte contre les discriminations résident dans
notre capacité à modifier en profondeur les comportements individuels et non en
l'affaiblissement de l'employeur, qui deviendrait alors le bouc émissaire de
l'échec partiel de nos politiques d'intégration.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Ce dont nous avons besoin aujourd'hui, c'est plus de
pédagogie que de répression. A cet égard, force est de constater que les
auteurs de la proposition de loi comme le Gouvernement ont préféré privilégier
des dispositions à caractère répressif plutôt qu'une politique préventive.
Je remarque qu'il existait pourtant une alternative : les directives
européennes de lutte contre les discriminations n'ayant pas choisi entre un
mécanisme juridictionnel et une voie de recours devant une instance
ad
hoc,
il aurait pu être intéressant de connaître les raisons qui ont fait
privilégier le recours à la voie juridictionnelle. Ce choix est d'autant moins
évident que les juridictions sont, comme chacun sait, déjà surchargées de
plaintes et peinent à rendre leurs décisions dans un délai raisonnable.
L'affaire « Fluchère », qui a inspiré le texte de l'Assemblée nationale, le
montre bien : elle a été renvoyée en appel trois ans après un premier arrêt !
Par ailleurs, rien n'interdit de se poser la question de savoir si le juge de
droit commun est le mieux à même de former sa conviction sur des éléments somme
toute « subjectifs » dans un domaine aussi délicat que la lutte contre les
discriminations.
En fait, loin de remettre en cause le renforcement des procédures
juridictionnelles, qui doivent demeurer, ne serait-ce que pour constituer un
instrument puissant de dissuasion, il importe de s'interroger sur la
possibilité de mener des politiques préventives sur le modèle des politiques
menées par les autres pays européens.
Si cette proposition de loi ne semble pas répondre tout à fait aux enjeux,
c'est sans doute aussi parce qu'elle a été présentée dans une certaine
précipitation.
On peut rappeler - mais vous l'avez déjà indiqué, monsieur le ministre - que
les quatre premiers articles de la proposition de loi devaient être
initialement discutés dans le projet de loi de modernisation sociale. Ce texte,
dont l'examen avait un temps été envisagé au printemps 2000, n'a été déposé au
Parlement que fin mai ; son examen débute aujourd'hui à l'Assemblée
nationale.
Entre-temps, le Gouvernement a annoncé le « retrait » de vingt-trois articles
sur un total de soixante-dix, car ce projet de loi a été morcelé afin de
nourrir plusieurs propositions de loi, notamment celle qui est relative à
l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ainsi que celle que
nous examinons aujourd'hui.
De fait, l'examen de la proposition de loi relative à l'égalité
professionnelle et de la proposition de loi relative à la lutte contre les
discriminations se poursuit en parallèle avec la discussion du projet de loi de
modernisation sociale.
Cette gestion très particulière - il faut en convenir - de l'examen des textes
sociaux n'est pas sans soulever quelques problèmes, comme l'a souligné notre
collègue Claude Huriet dans son rapport en deuxième lecture sur la proposition
de loi tendant à la création d'une agence française de sécurité sanitaire
environnementale.
Ainsi, par exemple, l'article 6 de la présente proposition de loi, qui modifie
certaines dispositions relatives aux élections prud'homales, reprend
partiellement l'article 51 du projet de loi de modernisation sociale qui n'a
pas été retiré par le Gouvernement.
Le reliquat de l'article 51 sera donc examiné en parallèle à l'article 6 de la
proposition de loi. On ne peut que s'étonner du choix ainsi fait par le
Gouvernement, qui crée un risque élevé de confusion et d'incohérences. Nous
l'avons vu encore ce matin même avec l'examen en commission des affaires
sociales de l'amendement déposé par le groupe socialiste.
Le risque pourrait d'ailleurs se réaliser à propos de l'article 7 de la
présente proposition de loi, qui prévoit la nullité d'un licenciement d'un
salarié d'une institution sociale ou médico-sociale ayant témoigné de mauvais
traitements infligés à des patients. Le lien est des plus ténus entre l'objet
de cet article et celui de la proposition de loi, alors même que la réforme
très attendue de la loi du 30 juin 1975 sera examinée fin janvier par
l'Assemblée nationale.
Par ailleurs, la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale
a adopté un amendement au projet de loi de modernisation sociale qui traite de
la question des poursuites disciplinaires contre un médecin ayant dénoncé des
sévices contre des enfants.
A l'évidence, il s'agit là de deux aspects d'une même question, concernant,
dans un cas, des salariés et, dans l'autre, des médecins. Ils méritaient d'être
traités conjointement, et je doute que la présente proposition de loi ait pu
constituer le meilleur support.
Tout cela m'amène à inviter le Gouvernement à faire preuve à l'avenir de plus
de rigueur dans la gestion du contenu des textes qu'il inscrit à l'ordre du
jour des assemblées. Ce qui est en jeu n'est en effet rien de moins que la
qualité du travail parlementaire et la clarté de la loi, auxquelles je suis sûr
qu'il est, comme nous tous, très attaché. C'est tout au moins le cas de M. le
ministre, dont nous connaissons les positions qu'il a soutenues en tant que
député.
Le rapporteur que je suis proposera au Sénat d'adopter une dizaine
d'amendements sur l'ensemble des articles de cette proposition de loi. Ces
amendements participent tous de la même logique : permettre une lutte plus
efficace contre les discriminations en préservant les droits des victimes,
comme ceux des responsables d'entreprise.
Les directives européennes ont établi les bases d'un équilibre entre ces
différents objectifs complémentaires. La commission des affaires sociales vous
proposera donc, mes chers collègues, de revenir, chaque fois que nécessaire, à
la lettre et à l'esprit des textes européens.
Les principales modifications qu'elle vous propose concernent donc
l'aménagement de la charge de la preuve pour lequel elle considère que le texte
de l'Assemblée nationale s'éloigne trop de la directive - vous l'avez dit tout
à l'heure, monsieur le ministre - et l'action des syndicats qui, selon elle, ne
doit pas pouvoir s'exercer sans l'accord écrit de la victime dans un domaine
aussi sensible que les discriminations.
Quant à l'amendement tendant à insérer un article additionnel après l'article
8 et concernant le fonds d'action sociale pour les travailleurs immigrés et
leurs familles, le FASTIF, il a été approuvé ce matin par la commission des
affaires sociales.
Le texte ainsi modifié que la commission proposera au Sénat d'adopter devrait
permettre des progrès sensibles dans la lute contre les discriminations, sans
pour autant compromettre la nécessaire marge de manoeuvre des entreprises dans
la gestion de leur personnel.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 10 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
proposition de loi relative à la lutte contre les discriminations, adoptée le
12 octobre dernier par l'Assemblée nationale, est un texte important qui permet
de compléter efficacement les dispositifs existant déjà dans ce domaine, que ce
soit à l'occasion de l'embauche d'un salarié ou dans le déroulement du contrat
de travail de ce dernier.
Si, au fil des ans, le législateur a jugé utile de se doter de mesures
nouvelles permettant de mieux qualifier, et donc de mieux prendre en compte,
les pratiques discriminatoires subies par les salariés ou par les candidats à
une embauche, c'est principalement en raison d'une augmentation intolérable du
nombre de ces actes, liée au chômage massif de ces trente dernières années,
chômage qui a complètement déséquilibré la relation salarié-employeur, au
détriment exclusif des salariés.
Même si la situation de l'emploi s'améliore régulièrement depuis trois ans, la
lutte contre le chômage n'est pas encore gagnée, et il convient donc de mieux
protéger les candidats à l'emploi ou les salariés contre les pratiques
discriminatoires intolérables de certains employeurs qui s'étaient trop
habitués, ces dernières années, à avoir des exigences, parfois démentielles, en
matière de recrutement, et ce en raison de la persistance d'un chômage très
important.
Le texte qui nous est proposé est donc tout à fait d'actualité et parfaitement
pertinent puisque - faut-il le rappeler ? - 40 % des cas de discrimination
concernent l'emploi et que l'arsenal législatif actuel est souvent insuffisant
pour lutter efficacement contre des pratiques discriminatoires parfois très
insidieuses et dont la réalité est toujours difficile à établir pour le salarié
ou le candidat qui en est victime.
Nous savons tous, pourtant, que les discriminations frappent encore durement
de nombreux salariés, notamment lorsqu'ils sont titulaires de mandats
syndicaux. C'est là une réalité malheureusement incontournable, et il faut se
féliciter de l'action des organisations syndicales, qui ont dénoncé ces
injustices.
Vous avez tous en mémoire la reconnaissance par la direction de Peugeot, en
avril 2000, de la discrimination pour fait syndical dont ont été victimes
pendant des années 169 militants de la CGT, discrimination qui a donné lieu à
réparation et à une indemnisation globale de 10 millions de francs.
De telles situations sont, hélas ! également vécues chez Thomson, Renault, à
la SNECMA, qui figurent parmi les plus prestigieuses entreprises françaises.
Les exemples de salariés et de militants syndicaux victimes de discriminations
pour le seul motif de fait syndical sont, vous le savez bien, très nombreux.
Mais pour un cas de discrimination sanctionné, combien sont ignorés ?
Le texte que nous examinons aujourd'hui répond, selon nous, de façon
intéressante à ces problèmes.
D'une part, il élargit la notion de discrimination en l'étendant à
l'orientation sexuelle, à l'apparence physique et au patronyme, et il complète
les textes existants en prenant en compte les discriminations subies par un
salarié sur l'ensemble de sa carrière.
Par conséquent, le texte protège mieux les salariés contre les discriminations
en matière d'affectation, de mutation, de rémunération et de formation
professionnelle.
En cela, il complète les textes législatifs actuels, qui s'attachent surtout à
la protection des salariés à l'embauche et en cas de licenciement.
La proposition de loi traite aussi de l'interdiction des discriminations dans
l'accès aux stages. De nombreux élèves, tenus d'effectuer un stage en
entreprise dans le cadre de leur scolarité, ont en effet souvent d'énormes
difficultés à trouver un employeur qui accepte de les accueillir, et ce en
raison de leur origine ou de la consonance de leur nom, voire de leur adresse.
Le fait qu'ils possèdent la nationalité française ne change rien à
l'affaire.
Cette situation n'est pas tolérable, car elle constitue immanquablement un
obstacle majeur à l'intégration de ces jeunes, en les privant d'une formation
nécessaire à l'obtention de leur diplôme.
D'autre part, le texte s'attaque à un aspect fondamental de la discrimination,
en aménageant la charge de la preuve.
Jusqu'à présent, en effet, il incombait au salarié d'apporter les preuves que
son employeur avait eu à son encontre des pratiques discriminatoires. Or, le
salarié a très peu de possibilités d'accès à des documents prouvant la véracité
de ses accusations.
D'ailleurs, la rareté des procédures engagées et le nombre infime d'employeurs
condamnés pour pratiques discriminatoires témoignent à eux seuls de la
difficulté pour les salariés d'obtenir réparation pour les préjudices subis.
Le texte prévoit donc que le salarié a à présenter des éléments de fait
laissant supposer qu'il est victime d'une discrimination. Il incombe ensuite à
l'employeur de prouver que la différence de traitement appliquée à ce salarié
est fondée sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Il
appartient enfin au juge de se faire une opinion et de prendre sa décision.
En cela, le texte n'inverse pas, comme ont trop tendance à le dire certains,
la charge de la preuve ; il ne fait que l'aménager. Ce point essentiel de la
lutte contre les discriminations constitue, selon nous, un réel progrès, que
nous attendions depuis longtemps.
Enfin, le texte permet aux syndicats d'intenter une action en faveur d'un
salarié ou d'un candidat à l'emploi sans être mandaté par l'intéressé, à
condition que celui-ci ne s'y oppose pas. Cela vaut aussi pour les syndicats
représentatifs sur le plan national, lorsque aucune organisation syndicale
n'est présente dans l'entreprise.
De plus, les associations peuvent saisir les syndicats pour leur demander
d'intenter une action.
Comme nous l'avons dit, ce texte améliore les dispositifs existants en matière
de discrimination.
Nous souhaitons cependant lui apporter quelques améliorations, notamment en ce
qui concerne la transmission des documents à l'inspection du travail et aux
organisations syndicales. Nous avons déposé des amendements en ce sens.
Il faudra bien, un jour, traiter - mais je sais, monsieur le ministre, que
vous êtes parfaitement conscient de ce problème - le cas des personnels
intérimaires qui travaillent depuis des années à temps plein sur des postes
permanents, et ce sans réelle perspective d'embauche. Il s'agit, certes, d'une
autre forme de discrimination, mais elle n'en est pas moins douloureuse.
Les réponses à nos demandes, ainsi que les infléchissements et les
modifications que ne manqueront pas d'apporter nos collègues de la majorité
sénatoriale détermineront notre vote.
C'est donc avec la plus grande attention que nous suivrons les débat et que
nous y participerons, avec la ferme volonté de voir aboutir un texte juste et
équilibré, prenant pleinement en compte les aspirations des salariés.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Domeizel.
M. Claude Domeizel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en cette
première séance de l'année 2001, nous voici de nouveau réunis pour débattre
d'une proposition de loi tendant à améliorer le dispositif législatif en
matière de lutte contre les discriminations.
Discriminer, c'est porter atteinte à l'égalité, principe fondamental de la
République, auquel nous attachons tant d'importance ; comme l'a si bien écrit
notre collègue Louis Souvet dans son rapport : « La lutte contre les
discriminations constitue un élément essentiel de notre pacte républicain. »
Or, à ce jour, je suis particulièrement surpris par le décalage qu'il y a,
dans le temps et dans les faits, entre ce principe qui s'affiche publiquement
et le caractère sournois, larvé, des discriminations.
En effet, cette notion orne le fronton de tous les édifices publics ; elle
nous est rappelée, journellement, dans les opérations de la vie quotidienne,
lorsque nous manipulons notre monnaie ou des formulaires administratifs ; elle
figure en tête de tous les textes fondateurs de la République ; elle est gravée
depuis plus de deux siècles dès le premier article de la Déclaration des droits
de l'homme et du citoyen, qui dispose : « Les hommes naissent et demeurent
libres et égaux en droit. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que
sur l'utilité commune. » En quelques mots tout est dit, et dès la première
phrase !
Mais cette notion est aussi reprise dès la première phrase du préambule de la
Constitution de 1946, qui a valeur constitutionnelle : « Le peuple français
proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion
ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. » Il est ajouté : «
La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de
l'homme. » Et, plus loin : « Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son
emploi, en raison de ses origines, de ses opinions, de ses croyances. »
Quant à la Constitution de 1958, elle affirme, dès son article 1er : « La
France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle
assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine,
de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »
Enfin, l'article 6 du titre Ier du statut général des fonctionnaires dispose
qu'« aucune discrimination ne peut être faite entre les fonctionnaires en
raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses,
de leur sexe, de leur état de santé, de leur handicap ou de leur appartenance
ethnique. »
M. Louis Souvet,
rapporteur.
C'est tout à fait exact !
M. Claude Domeizel.
Nous ne pouvons qu'être fiers d'appartenir à un pays qui place la notion
d'égalité à ce niveau d'exigence, qui fait de la France la patrie des droits de
l'homme et qui a naturellement inspiré la construction européenne, conduite
aujourd'hui par quinze peuples démocratiques pour bâtir une communauté de droit
fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits
de l'homme et des libertés fondamentales.
C'est ainsi que, sur le plan européen, une batterie de directives ont été
adoptées, relatives à l'égalité de traitement et donc à la lutte contre les
discriminations entre les hommes et les femmes, que ce soit en 1975, 1976,
1978, 1986 ou, plus récemment, le 15 décembre 1997.
Le traité d'Amsterdam énonce que « le conseil des ministres, statuant à
l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement
européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute
discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion
ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle. »
A l'appui de cet article 13 du traité de l'Union, lors du Conseil de Tampere,
le 15 octobre 1999, un ensemble de mesures dites « paquet antidiscrimination »
ont été adoptées. Il en est résulté une directive qui a reçu l'aval du
Parlement européen le 18 mai 2000 et qui doit être transposée dans les
législations nationales au plus tard dans trois ans. Visant particulièrement
les conditions de travail et d'emploi, elle est accompagnée d'un plan d'action
de 100 millions d'euros pour la période 2001-2006 destiné à aider les Etats
membres à lutter contre les discriminations.
Le 6 juin 2000, les ministres des affaires sociales ont adopté à l'unanimité
une deuxième directive interdisant sur l'ensemble du territoire de l'Union
toutes les discriminations liées à la race ou à l'origine ethnique. Elle
concerne l'accès à l'emploi et les conditions d'emploi, l'accès à l'éducation,
à la formation et à la protection sociale, l'accès aux biens et aux services
tels que le logement.
Il est important de noter que, pour apporter plus d'efficacité, cette
directive prévoit d'inverser partiellement la charge de la preuve, celle-ci
incombant non plus en priorité aux plaignants dans les procédures civiles, mais
aux personnes et aux institutions mises en cause si des indices réels existent.
L'article 4 de la présente proposition de loi va reprendre cette disposition,
qui est au coeur de la lutte contre les discriminations.
Si le principe d'égalité s'affiche, comme je viens de le montrer, les
pratiques discriminatoires sont, en revanche, sournoises et souvent difficiles
à identifier et à démontrer.
Je ne reviens pas sur les exemples connus de tous pour avoir été abondamment
dénoncés par les médias et les associations. Je peux, à titre personnel,
apporter des témoignages pour avoir été confronté à de telles situations, que
ce soit dans ma carrière d'enseignant, au contact de jeunes maghrébins de ma
région, qui se voyaient refuser des avantages accordés à leurs petits copains
pur provençaux, ou dans mes responsabilités de président du centre de gestion
des Alpes-de-Haute-Provence : à ce titre, j'ai été amené un jour à recevoir un
couple dont le mari, originaire d'Afrique du Nord, avait postulé dans la
fonction publique territoriale pour un poste de technicien, après avoir été
admis au concours, il avait vu sa candidature rejetée, alors qu'une candidature
formulée par son épouse, et présentée quelques jours après dans les mêmes
formes, mais sous son nom de jeune fille, avait été jugée recevable.
Dans notre droit français du travail et dans notre code pénal, la législation
anti-discriminatoire est pourtant abondante, que ce soit notamment en matière
d'offre d'emploi et d'embauche, d'exécution de contrat de travail, de cessation
du contrat de travail ou s'agissant des conventions collectives de branche.
J'insisterai, enfin, sur les actions menées par le Gouvernement depuis 1997 :
la table ronde des partenaires sociaux et la déclaration de Grenelle ; la
création du groupes d'études sur les discriminations ; la mise en place du «
114 », numéro d'appel gratuit contre les discriminations ; la constitution des
115 commissions d'accès à la citoyenneté avec pour mission de se saisir des
discriminations observées, d'assurer un égal accès à l'emploi aux jeunes issus
de l'immigration et de veiller au respect des obligations liées à la
citoyenneté en matière d'obligation scolaire et droit de vote notamment.
En outre, le 11 mai 1999, une table ronde a été organisée avec les partenaires
sociaux sur le thème de la lutte contre les discriminations raciales.
Ainsi, on peut constater, au cours des trois dernières années, une prise de
conscience de la gravité de ce phénomène.
Mais un volet de mesures manquait encore à cet ensemble pour compléter les
instruments juridiques existants et pour débusquer les discriminations.
Ces pratiques, en effet, peuvent être mises en parallèle avec le cas des
enfants ou des femmes maltraités, qui peuvent difficilement se sortir de leur
situation de dépendance sans assistance extérieure pour faire éclater le
scandale au grand jour.
Le mérite de cette proposition de loi est de permettre cet affichage, en
quelque sorte. Ainsi, l'inspecteur du travail pourra saisir le parquet en cas
d'actes de discrimination, y compris en faveur des étudiants ou des élèves
accomplissant des stages dans le cadre de leur scolarité, en faveur des
stagiaires accomplissant un stage de réadaptation professionnelle ou de
rééducation professionnelle, alors que, jusque-là, ils n'étaient autorisés à
intervenir qu'en cas d'atteinte portée à la règle de l'égalité
professionnelle.
J'ai noté que l'article 2 étend judicieusement aux organisations syndicales
représentatives, sur le plan national ou dans l'entreprise, la faculté d'ester
en justice en faveur du candidat ou du salarié concerné, sauf opposition de ce
dernier. Elles peuvent être confortées dans cette tâche par un droit d'alerte
donné aux associations régulièrement constituées depuis cinq ans, ainsi qu'aux
délégués du personnel.
Alors que les salariés ont rarement accès aux informations qui leur permettent
de démontrer qu'ils ont été victimes de discriminations, un intérêt majeur de
ce texte est d'avoir renversé la charge de la preuve. Ainsi, le salarié devra
apporter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une
discrimination. Il reviendra alors à son employeur de prouver que sa décision
se fonde non pas sur un motif discriminatoire, mais sur des éléments objectifs,
et il appartiendra au juge de se forger une conviction.
Au-delà de l'aspect répressif, le texte qui nous est soumis comporte également
des mesures préventives en intégrant l'objectif de lutte contre les
discriminations dans la négociation collective, avec le souci de favoriser le
dialogue social dans ce domaine.
A titre préventif encore, le présent texte vise à écarter les listes de
candidatures extrémistes aux élections prud'homales.
Enfin, on ne peut que se féliciter de l'élargissement à toutes les formes de
discriminations et de l'élargissement de la portée du principe général de
non-discrimination posé dans le code du travail, qui ne s'appliquera plus
seulement au refus d'embauche, aux sanctions disciplinaires et aux
licenciements, mais également à toutes les étapes de la carrière, à savoir la
rémunération, la formation, la promotion professionnelle ou la mutation.
Ce texte a donc pour objet de participer au renforcement des droits des
salariés en complétant l'arsenal juridique de lutte contre les discriminations
au travail, c'est-à-dire dans un cadre où les individus passent une grande
partie de leur vie et où la souffrance et l'impuissance des personnes
discriminées sont accrues par le poids des rapports hiérarchiques.
C'est déjà un grand pas de fait.
Mais, pour ma part, j'aurais souhaité qu'on aille plus loin dans cette
démarche et qu'on étende le dispositif de lutte contre les discriminations à
d'autres domaine que l'emploi, car les victimes des discriminations se
rencontrent aussi en dehors du monde du travail. Je pense notamment à l'accès à
la santé, à la solidarité, au logement, aux loisirs.
Pour en revenir au domaine de l'emploi, il me paraît indispensable, et ce dans
un souci de non-discrimination entre salariés de tout secteur, que la fonction
publique ne soit pas exclue de ces mesures.
C'est la raison pour laquelle, avec mes collègues du groupe socialiste, j'ai
déposé un amendement visant à les transposer aux trois fonctions publiques.
Nous avons tous en mémoire les charrettes de la ville de Vitrolles, dans les
Bouches-du-Rhône, au lendemain des municipales de juin 1995. C'est bien la
preuve qu'il existe, même dans nos collectivités territoriales, des démarches
discriminatoires.
Dans le champ de l'égalité des droits, cette proposition de loi s'inscrit dans
la même logique que celle qui a inspiré la proposition de loi relative à
l'égalité professionnelle et vient compléter celle qui a été adoptée, voilà
quelques mois déjà, sur le vote des étrangers. Mais la bataille à mener pour la
lutte contre la discrimination est encore longue pour parvenir à l'objectif
fixé par le Premier ministre lors de son intervention devant les assises
nationales de la citoyenneté : assurer à chacun sa juste place dans la
République.
J'espère que cette proposition de loi, avec l'ambition d'engager une réforme
en profondeur des rapports sociaux et humains dans notre pays, y contribuera.
J'en suis convaincu, de par ma conception socialiste.
Permettez-moi de terminer mon propos par une citation de Léon Blum tout à fait
adaptée à l'esprit qui a animé cette proposition de loi : « On est socialiste à
partir du moment où l'on a cessé de dire : "Bah ! c'est l'ordre des choses, il
en a toujours été ainsi et nous n'y changerons rien". »
M. le président.
La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun le
sait, la République française intègre les minorités, à condition qu'elles le
souhaitent ; elle ne connaît aucune distinction de race, de religion, de
couleur, ni d'âge, d'apparence physique ou de handicap.
C'est la théorie. Un discours facile à retenir, mais difficile à tenir !
En effet, de nombreux cas de discrimination son signalés, majoritairement dans
les domaines de l'emploi, des relations avec les forces de l'ordre, mais
également du logement et des loisirs.
Cela est loin d'être un phénomène nouveau et notre code pénal prévoit des
sanctions exemplaires : deux ans d'emprisonnement et 200 000 francs
d'amende.
Reste que les décisions de justice demeurent rares.
Ainsi, le ministère de l'intérieur a publié le bilan de la première année
d'existence des CODAC, les commissions départementales d'accès à la
citoyenneté, créées pour identifier et lutter contre les discriminations. Sur
350 cas signalés, 47 dossiers ont été transmis au procureur de la République, 5
ont été classés sans suite, 33 sont en cours d'investigation et 9 ont donné
lieu à des poursuites judiciaires, aboutissant à 7 condamnations. Maigre bilan
!
Toutefois, on constate heureusement que les victimes et témoins de ces
infractions se font davantage connaître qu'auparavant, ne voulant plus subir
l'inacceptable.
On peut donc s'interroger sur la raison d'une telle différence entre les faits
existants et la faiblesse de leur prévention et de leur répression.
C'est la question à laquelle il nous faut répondre aujourd'hui et à laquelle
la majorité de l'Assemblée nationale, pilotée par le Gouvernement, propose une
solution, malheureusement limitée au monde du travail, ce que, cher collègue
Domeizel, comme vous, je regrette.
En tout état de cause, nous ne pouvons qu'approuver cette démarche, bien qu'il
soit regrettable que l'Assemblée nationale n'ait pas souhaité envisager la
question sous un angle plus général : la nécessité de faire évoluer l'ensemble
de la société et des mentalités vers plus de tolérance et de compréhension.
En effet, ainsi que le fait remarquer notre rapporteur Louis Souvet, que vous
me permettrez de remercier pour le travail qu'il a effectué, notre politique
d'intégration est menacée par ces comportements condamnables, qui remettent en
cause l'adhésion des salariés français d'origine étrangère et, surtout, des
jeunes, aux principes républicains.
Toutefois, il est un peu trop facile de faire porter la suspicion uniquement
sur les entrepreneurs, qui, décidément, accaparent toute l'attention du
Gouvernement en termes d'impôts, de contraintes et de répressions, sauf, bien
entendu, lorsqu'il s'agit de l'Etat employeur !
Quelle solution nous propose-t-on face au fléau de la discrimination dans le
monde du travail ? Il nous est proposé un aménagement de la charge de la preuve
en faveur des plaignants, qui fait peser sur l'employeur une sorte de
présomption de culpabilité. A l'heure de l'entrée en vigueur de la loi
renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des
victimes, le choix ainsi opéré ne manque pas de nous surprendre.
S'il est vrai que les victimes connaissent des difficultés importantes pour
prouver les discriminations dont elles ont fait l'objet, comme en témoignent le
faible nombre de recours devant les tribunaux et le nombre encore plus faible
de décisions de justice en leur faveur, faut-il aller si loin ?
En effet, d'une part, les risques de dévoiement de la procédure ne peuvent
être exclus. D'autre part, la solution ne s'inscrit pas dans le même esprit que
celui des directives européennes existant en la matière.
Tout d'abord, cette proposition de loi va faire peser une présomption de
culpabilité sur l'employeur, ou sur le futur employeur - M. le rapporteur vient
de nous le démontrer.
La modification de la charge de la preuve, en imposant uniquement au plaignant
de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence de
discriminations, autorise des actions en justice. Celles-ci seraient justifiées
non pas toujours par la volonté d'obtenir réparation d'une injustice, mais par
celle d'obtenir une embauche, une promotion, une augmentation, refusée sur des
critères qui ne sont pas toujours objectifs mais qui peuvent être légitimes.
En second lieu, il apparaît logique que notre droit national s'inscrive dans
la logique des deux directives intervenues dans ce domaine, c'est-à-dire la
directive du 15 décembre 1997 relative à la charge de la preuve dans les cas de
discrimination fondée sur le sexe et la directive du 29 juin 2000 relative à la
mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes, sans
distinction de race ou d'origine ethnique.
Ainsi, le législateur européen a prévu que la personne prétendant être victime
de discrimination devra « établir des faits permettant de présumer l'existence
d'une discrimination ». Un fait est quelque chose d'avéré, incontestable,
pouvant effectivement fonder une présomption.
La formulation retenue dans la proposition de loi est beaucoup plus floue : «
des faits laissant supposer » ; elle semble n'exiger que la présentation de
soupçons, ou de « on-dit » pour fonder une plainte.
En revanche, la propositon de loi fait peser sur l'employeur une obligation
bien plus lourde en l'obligeant « à prouver que sa décision est justifiée par
des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ». On exige de lui en
réalité de prouver qu'il n'a pas fait quelque chose. Cela rend tout simplement
sa défense impossible.
Malgré les dénégations du Gouvernement, cela ressemble fort à un renversement
de la charge de la preuve, contraire à l'esprit des directives européennes.
Enfin, la proposition de loi fait intervenir une tierce personne, le juge, qui
« forme sa conviction » au vu des déclarations et des parties.
Je ne veux pas remettre en cause la capacité du juge à se forger une opinion,
mais je ne vois pas comment il peut former sa conviction en disposant, d'un
côté, de soupçons et de rumeurs subjectives à charge et en obligeant, de
l'autre côté, l'employeur à apporter des éléments objectifs à décharge. Cela
est d'autant plus impossible que l'on sait pertinemment, par exemple en matière
de recrutements, que ceux-ci s'effectuent de nos jours au moins autant sur les
capacités et les compétences de la personne que sur sa personnalité :
adaptation à l'équipe, possibilité d'évolution, empathie avec le recruteur. Il
en est de même en termes de carrière et de rémunération. Dans certaines
entreprises, une telle présomption mise à la charge de l'employeur peut aboutir
à lui interdire tout choix de rémunération et de promotion au mérite.
La gestion prévisionnelle des carrières perd tout son sens. L'employeur n'a
aucun intérêt à prendre des risques en mettant en avant une personne dont les
capacités sont prometteuses et a tout intérêt à prévoir des systèmes de
promotion et de rémunération à l'ancienneté, à la rentabilité, en tout état de
cause fondés sur des éléments objectifs et démontrables. Il me semble qu'il est
ainsi porté atteinte à la liberté de gestion de l'entreprise.
Cette immixtion dans le monde de l'entreprise paraît contre-productive et il
aurait mieux valu que la majorité plurielle se contente de transposer la
directive sans vouloir aller plus loin.
En réalité, cette proposition de loi s'inspire directement d'une récente
décision de la Cour de cassation plaçant effectivement le juge en position
d'arbitre.
Ainsi que l'a rappelé fort justement notre rapporteur, force est de constater
qu'une fois de plus la majorité et le Gouvernement ont choisi de transcrire
dans la loi les arrêts de la Cour de cassation plutôt que des directives
européennes. Pareille situation s'était déjà produite lors de la discussion du
projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail à propos de
la définition du temps de travail effectif.
Pour toutes ces raisons, notre groupe approuve les propositions de notre
rapporteur de revenir chaque fois que nécessaire à la lettre et à l'esprit des
textes européens.
En conclusion, je dirai que ce texte est imparfait mais non mauvais.
Il constitue avant tout une occasion manquée de marquer une véritable volonté
de lutter contre les discriminations qui gangrènent notre société. Il s'agit de
lutter contre cette haine de la différence, de prévenir les pulsions de repli
sur soi, de mettre en avant nos valeurs républicaines de tolérance et
d'ouverture auxquelles le RPR est profondément attaché.
Le groupe du RPR votera donc cette proposition de loi dans la rédaction
proposée par la commission des affaires sociales.
(Applaudissements sur le
banc des commissions.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er