SEANCE DU 18 DECEMBRE 2000


M. le président. « Art. 5 ter . - Il est ouvert dans les écritures du Trésor un compte de commerce n° 904-22 intitulé "Gestion active de la dette et de la trésorerie de l'Etat" destiné à retracer les opérations de gestion active sur la dette et la trésorerie de l'Etat effectuées au moyen d'instruments financiers à terme.
« Ce compte comporte, en recettes et en dépenses, les produits et les charges des opérations d'échanges de devises ou de taux d'intérêt, d'achat ou de vente d'options ou de contrats à terme sur titres d'Etat autorisées chaque année par la loi de finances.
« Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie est ordonnateur de ce compte.
« Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie dépose chaque année en annexe au projet de loi de finances un rapport d'activité sur l'activité de ce compte de commerce et sur la gestion de la dette dont la charge est retracée au titre I des dépenses ordinaires des services civils du budget général. Est annexé à ce rapport le compte rendu d'un audit contractuel organisé chaque année sur les états financiers de ce compte de commerce, sur les procédures prudentielles mises en oeuvre ainsi que sur l'ensemble des opérations effectuées en application des autorisations accordées, chaque année, par la loi de finances au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en vue de couvrir les charges de la trésorerie et de gérer les liquidités ou les instruments d'endettement de l'Etat, et l'impact de ces opérations sur le coût de la dette.
« Il est ouvert au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, pour l'année 2000, au titre des mesures nouvelles, un montant de découvert de 100 millions de francs. Le montant des recettes, ainsi que celui des dépenses, est évalué à 100 millions de francs. »
Par amendement n° 15, M. Marini, au nom de la commission, propose de supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Madame le secrétaire d'Etat, vous m'en voyez tout à fait désolé, mais il s'agit encore d'un amendement de suppression.
Cet article 5 ter résulte de l'adoption par l'Assemblée nationale d'un amendement déposé par le Gouvernement en cours de discussion. Il crée un compte de commerce destiné à retracer les produits, les charges, les résultats d'opérations telles que les swaps , les achats ou les ventes d'options ou de contrats à terme, opérations réalisées dans le cadre de la gestion active de la dette et de la trésorerie de l'Etat.
Sur le fond, la commission des finances est bien entendu tout à fait favorable à ce que, au sein de la direction du Trésor, des spécialistes de ces sujets puissent utiliser toutes les ressources des marchés, recourir aux instruments les plus performants et faire appel à toutes les compétences techniques et humaines indispensables en vue de gérer la trésorerie de l'Etat et la dette publique de la manière la plus active possible.
Cependant, créer aujourd'hui un nouveau compte de commerce dans ce domaine, alors que la question des modes de comptabilisation de la dette demeure complètement ouverte dans la perspective de la révision de l'ordonnance organique de 1959 et que ne sont pas encore réglés les problèmes méthodologiques de base - suivi de la dette en capital, suivi des remboursements, distinction à opérer entre l'analyse budgétaire et les optiques de trésorerie, etc. - revient, selon nous, à mettre la charrue avant les boeufs.
La comptabilisation et la gestion de la dette figureront incontestablement parmi les sujets les plus substantiels de la très prochaine révision de l'ordonnance organique. Ce sont, en tout cas, des points qui se prêtent tout particulièrement à des avancées méthodologiques et à une véritable modernisation des opérations de l'Etat. C'est pourquoi il nous paraît préférable, aujourd'hui, de supprimer cet article : ce sujet sera en effet traité à fond dans quelques mois.
Au demeurant, madame le secrétaire d'Etat, si une gestion active de la dette est indispensable, une gestion active des recettes, en particulier des recettes non fiscales, ne l'est pas moins.
En matière de produits de trésorerie, permettez-moi un clin d'oeil : si les 15 milliards de francs que vous repoussez sur l'année 2001 étaient recouvrés à partir du moment où les droits correspondants sont constatés par l'Etat, celui-ci comptabiliserait à son crédit des produits financiers non négligeables grâce au recours à tous les instruments performants de marché auxquels vous pouvez avoir accès, ainsi que notre collègue Yves Fréville en a fait tout à l'heure la démonstration.
Par conséquent, madame le secrétaire d'Etat, oui à la gestion active, mais selon une méthodologie comptable et budgétaire de l'Etat dûment adaptée, et ce sera très bientôt l'une de nos tâches avec la rénovation de l'ordonnance organique.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement a annoncé récemment la création d'une agence de la dette. C'est la raison pour laquelle, monsieur le rapporteur général, cette disposition à fait l'objet d'un amendement déposé par le Gouvernement à l'Assemblée nationale.
Cette agence sera chargée de gérer de manière encore plus active et encore plus innovante la dette de l'Etat. Elle sera opérationnelle dès la fin de ce mois et la gestion plus active de la dette passera par une politique d'intervention sur les contrats d'échange de taux d'intérêt. Ces interventions pourraient commencer dès le premier semestre de l'année 2001.
Pour rendre ces interventions plus transparentes et plus lisibles, le présent article prévoit la création d'un compte de commerce intitulé « Gestion active de la dette de l'Etat », qui retracera les produits et les charges des opérations sur produits dérivés qui seront autorisées par le Parlement et qui comprennent, pour 2001, les contrats d'échange de devises ou de taux ainsi que l'achat ou la vente d'options de contrats à terme sur titres d'Etat.
Ces opérations de gestion active seront effectuées dans le cadre d'un cahier des procédures approuvé par le ministre de l'économie et élaboré selon les règles les plus strictes qu'appliquent les établissements financiers et les Etats ayant réalisé de telles opérations. Ce cahier des procédures sera, monsieur le rapporteur général, transmis au Parlement.
Par ailleurs, chaque année, un rapport d'activité sera annexé au projet de loi de finances.
Il est également prévu qu'un audit contractuel sera organisé chaque année sur les états financiers de ce compte de commerce, sur les procédures mises en oeuvre, ainsi que sur leur impact sur le coût de la dette, et sur l'ensemble de l'activité de l'agence de la dette. Les conclusions de cet audit seront également transmises au Parlement.
La création de ce compte représente un grand progrès pour la gestion de la dette de l'Etat, vous l'avez d'ailleurs vous-même reconnu, monsieur le rapporteur général, tant du point de vue de l'efficacité que de celui de l'information du Parlement.
A la lumière de ces explications, je souhaiterais que vous puissiez retirer cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 15.
M. Yves Fréville. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fréville.
M. Yves Fréville. Nous avons effectivement besoin d'une gestion plus active de la dette, ne serait-ce, d'ailleurs, que parce que la création de l'euro a unifié les marchés financiers européens et que la France, n'est plus, à cet égard, dans la même situation que voilà quelques années.
Une gestion moderne de la dette est apparue en 1985 sous l'empire de la nécessité. Aujourd'hui, une deuxième étape doit certainement être franchie.
Je ferai une première remarque concernant les acteurs de cette gestion de la dette.
Actuellement, la CADEP, la caisse d'amortissement de la dette publique, est chargée, avec 14 milliards de francs, d'effectuer des opérations de rachat. Par ailleurs, le FSR, le fonds de soutien des rentes, intervenait, lui, sur le marché secondaire. Mais j'ai constaté que ses interventions étaient en chute libre puisqu'une grande partie des emprunts en écus qui lui étaient affectés ont été remboursés.
Il est fait état, dans le texte, d'un rapport sur la gestion de la dette. Or, cette année, le Gouvernement, devait remettre deux rapports au Parlement : un sur la CADEP, l'autre sur le FSR. Mais, à ma connaissance, aucun de ces rapports n'a été déposé, du moins au Sénat.
Désormais, il existera en outre une agence de la dette qui prendra le relais du bureau A 1 de la direction du Trésor.
Madame le secrétaire d'Etat, pourriez-vous nous indiquer clairement si l'agence de la dette reprendra les missions du FSR ?
Ma deuxième remarque concerne la doctrine du Trésor. Jusqu'à présent, celle-ci était claire : on n'intervenait pas sur la courbe des taux. En d'autres termes, on empruntait à court terme pour satisfaire les besoins à court terme et non pas pour couvrir à moindre coût les charges à moyen et long terme. Or, avec les contrats d'échange de taux, il est clair que cette doctrine pourra être remise en cause.
Je ne suis pas nécessairement hostile à une telle remise en cause mais, allant pour une fois à l'encontre du souhait du Sénat quant à une parfaite transparence dans l'information du Parlement, je me demande s'il est opportun que nous ayons, lors de l'examen des comptes de commerce, à l'occasion du débat budgétaire, une discussion sur ce que doit être la doctrine en matière de gestion active de la dette. Par essence, les interventions sur les marchés relèvent quelque peu de l'effet de surprise : l'inattendu a son rôle à jouer. Sinon, les anticipations rationnelles jouent à plein.
Dès lors, je ne sais pas si c'est la meilleure façon d'associer le Parlement à la gestion de la dette que de faire avaliser, à l'occasion d'un vote sur un compte de commerce, une doctrine sur cette gestion.
Voilà pourquoi je suis conduit à m'interroger sur les modalités techniques de cette réforme, tout en étant parfaitement d'accord sur la nécessité de mettre en place une gestion plus active.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je veux seulement rappeler que, dans le cadre d'un compte de commerce, l'autorisation parlementaire ne porte que sur le découvert : c'est l'article 26 de l'ordonnance organique.
Je m'interroge vraiment sur l'adéquation de cet outil à ce qui est visé par l'article 5 ter .
Je le répète, la commission n'est pas opposée à ce que l'Etat se dote de tous les instruments nécessaires à une gestion active de la dette, mais elle considère que l'ordonnance organique dans son état actuel n'offre pas de manière vraiment incontestable le cadre adéquat. C'est une question de méthodologie, de règle du jeu et de portée des autorisations juridiques.
Si nous comprenons bien l'intérêt qui s'attache au lancement de la nouvelle agence de gestion de la dette, si nous approuvons la professionnalisation accrue de cette gestion de la dette, nous pensons qu'il convient d'approfondir notre réflexion et d'attendre l'examen du futur projet de loi organique portant sur les finances publiques.
M. Philippe Adnot. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Adnot.
M. Philippe Adnot. Madame le secrétaire d'Etat, rassurez-moi : on pratique bien déjà une gestion active de la dette... Pourquoi, alors, créer un compte de commerce ?
N'importe quelle collectivité locale pratique aujourd'hui une gestion active de sa dette. En quoi est-il donc nécessaire de prévoir un nouveau texte pour utiliser toutes les techniques modernes ?
Vous voulez créer un instrument supplémentaire, mais je ne suis pas sûr que ce soit un instrument de clarification. Il est très important que l'on soit informé de l'état exact de la dette mais j'espère que l'Etat la gère déjà de façon active. Je serai très intéressé par votre réponse, madame le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Monsieur Adnot, si nous créons aujourd'hui un compte de commerce pour la gestion active de la dette, parce que, si nous pratiquons bien déjà une telle gestion, nous ne pratiquons pas de swaps de taux : cela n'est pas possible dans le cadre de la comptabilité de caisse. C'est la raison pour laquelle nous sommes obligés de créer un compte de commerce.
M. Fréville m'a interrogée, quant à lui, sur l'évolution de la doctrine de la direction du Trésor, en matière d'intervention sur la courbe des taux. Effectivement, monsieur le sénateur, le Trésor à l'intention de recourir à la technique des swaps de taux, ce qu'il ne faisait pas précédemment, et il éclairera le Parlement sur la façon dont il interviendra puisque cela fera l'objet d'une information dans les mois qui viennent.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Il y a mille raisons pour lesquelles mon groupe ne votera pas l'amendement n° 15, mais j'en ajouterai une mille et unième. (Sourires.)
Pour une fois, mes chers collègues, que la direction du Trésor consent à s'abaisser à nous demander l'autorisation de faire quelque chose que, à défaut de cette autorisation, elle n'a pas le droit de faire,...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Pour une fois !
M. Michel Charasse. ... nous aurions vraiment tort de nous priver de ce plaisir !
Convaincu qu'il y a plus de joies dans le ciel pour un pécheur qui se convertit que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui persévèrent, je voterai contre l'amendement n° 15. (Sourires.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 15, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 5 ter est supprimé.

Article additionnel après l'article 5 ter