M. le président. Je suis saisi, par MM. Estier, Delanoë, Rouvière, Mélenchon, Sérusclat et les membres du groupe socialiste et apparentés, d'une motion n° 8, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi portant réforme du service national (n° 205, 1996-1997). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Rouvière, auteur de la motion.
M. André Rouvière. Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec beaucoup d'attention, mais votre passion, je l'avoue, ne m'a pas convaincu. C'est avec autant de sincérité que vous, mais avec un peu moins de passion, que je vais présenter, au nom du groupe socialiste, la motion tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est fondée sur trois raisons essentielles : d'abord, le Sénat n'a plus de possibilité de choix ; ensuite, le nouveau service national est inutile ; enfin, le nouveau service national est dangereux.
Aujourd'hui, le Sénat n'a plus de possibilité de choix. En effet, le Gouvernement nous met devant le fait accompli. Monsieur le ministre, vous nous demandez en quelque sorte d'entériner une décision déjà arrêtée. Elle est déjà présente dans les décisions prises antérieurement.
La preuve se constate aisément. Après le vote de la loi de programmation militaire, après le vote de la loi de professionnalisation des armées, après le vote du budget pour 1997, le Sénat, même s'il le voulait, ne pourrait pas, aujourd'hui, décider un service national et militaire rénové, c'est-à-dire adapté, notamment dans sa durée et dans son contenu, aux moyens et aux possibilités de notre temps.
Nous ne pouvons plus changer ce que vous nous proposez. Le Sénat, excusez l'expression, est en quelque sorte piégé. Vous avez, en effet, supprimé les conditions, notamment financières, qui nous auraient permis de choisir. C'est tellement vrai que déjà, sûr du résultat du vote de notre assemblée, vous avez commencé à mettre en place l'armée de métier. En province, les centres de rendez-vous citoyen s'organisent. Le personnel, les crédits nécessaires à un choix ne sont plus disponibles. Notre seule liberté se limite donc à la possibilité de retoucher quelques sous-détails de votre projet de loi.
Monsieur le ministre, s'il s'agissait d'une question de second ordre, nous aurions pu, à la rigueur, accepter votre démarche. Mais la question du service national et militaire est fondamentale. Elle concerne, on l'a déjà dit mais je le répète, la défense de notre pays, de notre liberté et de notre culture. Elle détermine les rapports entre les Français et leur propre sécurité. Elle touche à un facteur important de la cohésion sociale, cette cohésion que presque tout le monde souhaite, notamment vous-même, monsieur le ministre, vous l'avez dit, vous l'avez répété hier et aujourd'hui, au cours de vos interventions.
Nous sommes donc d'accord avec vous sur la nécessité de l'intégration comme facteur de cohésion sociale. Cependant, votre projet de loi ne vous en donne pas les moyens. Aussi, nous sommes d'accord sur les objectifs, mais nous sommes en désaccord complet sur les moyens que vous proposez et sur la méthode que vous utilisez pour nous les imposer.
L'importance du service national et militaire aurait dû vous conduire, monsieur le ministre, à l'aborder en premier, et non pas en dernier ou en avant-dernier. C'est de la nature, de la forme, de la structure du service national et militaire qu'aurait dû découler l'organisation de notre défense.
Votre démarche inversée annule aujourd'hui la discussion essentielle. Avec vous, le service national devient la résultante. Pour nous, il devait être la cause première. Ainsi, vous transformez l'essentiel en accessoire, le principal devient le secondaire.
Les décisions antérieures, que j'ai rappelées au début de mon propos, réduisent les possibilités de service national et militaire à rien ou à presque rien. En effet, contrairement à l'intitulé de votre projet de loi, il s'agit moins de réformer que de supprimer. En fait, vous supprimez le service national et militaire. Vous ne nous invitez pas à réformer, vous nous demandez, en réalité, de supprimer le service national et militaire.
Aussi, notre débat n'est qu'une illusion de débat. Le groupe socialiste dénonce cette démocratie truquée. L'honneur du Sénat exige l'arrêt de ce faux débat. Celui-ci, s'il était poursuivi, n'aboutirait qu'à un rendez-vous citoyen inutile et dangereux.
Toutes celles et tous ceux qui ont côtoyé un tant soit peu la pédagogie savent par expérience ce qu'il est possible de faire en cinq jours. Le rendez-vous citoyen n'a pas les moyens de ses ambitions. Dès le départ, vous l'amputez de la durée indispensable au rôle que vous voulez lui faire jouer.
C'est une gageure extraordinaire de vouloir en cinq jours développer l'esprit civique et l'esprit de défense, orienter vers la vie active, informer sur le volontariat, réaliser un bilan psychologique, un bilan de santé, un bilan des connaissances, souder l'armée et la nation. Ces bilans ne déboucheront sur rien. Certes, vous avez fait allusion à des possibilités, mais elles ne font pas partie de votre projet et il ne s'agit que d'éventualités.
Réaliser un tel programme en si peu de temps tiendrait du miracle. Pour l'instant, il n'est qu'une illusion. Vous voulez donc nous faire voter sur une illusion.
Celle-ci sera dure à gérer. Il ne sera pas facile d'encadrer des jeunes filles et des jeunes gens de dix-huit à vingt ans pendant cinq jours et quatre nuits. Déjà, dans vos propres rangs, on vous invite à réduire ce rendez-vous à une seule journée.
Ce rendez-vous de l'illusion est inutile. Il n'a rien de militaire. Ses aspects sociaux, médicaux, scolaires et professionnels, on l'a dit et je le répète, peuvent être traités dans des structures existantes : les écoles, les collèges, les lycées, l'ANPE, les centres sociaux, etc.
Il s'agit d'un rendez-vous inutile, mais coûteux.
De surcroît, il s'agit d'un rendez-vous dangereux.
Ce rendez-vous est dangereux car il met en place, il organise la rupture du lien citoyen-armée, citoyen-défense de la France.
Certes, une nouvelle fois, vous affirmez le contraire. Cependant, les moyens que vous proposez contredisent vos affirmations.
Ce rendez-vous inutile est dangereux car il prépare les esprits à une nouvelle forme d'assistanat. Le citoyen est détourné de l'apprentissage de son premier devoir : défendre sa liberté. Sa propre défense, celle de sa famille et de sa patrie, ce n'est plus son affaire, c'est celle de professionnels des armes.
Cependant, vous reconnaissez avec force que le danger peut éclater à l'intérieur de l'hexagone. Les attentats monstrueux et aveugles sont là pour nous en convaincre. Devant ce constat dramatique, que nous faisons avec vous, nous tirons des conclusions tout à fait opposées.
Pour nous, cette situation nécessite une préparation des citoyennes et des citoyens à ces nouvelles formes d'agression. Pour vous, le citoyen n'a pas à apprendre à résister et à combattre ; il doit confier cela à d'autres. Vous instaurez bien un assistanat en matière de défense.
Nous sommes d'accord pour dire que l'armée a besoin de professionnels. Au nom des socialistes, je tiens, monsieur le ministre, à m'associer à l'hommage que vous avez rendu aux militaires. En effet, je ne souhaite pas que, ici ou ailleurs, il y ait de confusion dans les esprits : on peut, tout en étant contre votre projet, être pour l'armée. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes. - MM. Hamel, Lombard, Vigouroux et Pourchet applaudissent également.) C'est notre cas à nous, socialistes.
Un service national et militaire d'une durée de quelques mois pouvait préparer les Françaises et les Français aux formes multiples que l'agression peut revêtir. Le rendez-vous citoyen n'apprendra rien. Pis encore, il affaiblira d'abord l'esprit de défense, le fera disparaître ensuite, car il porte en lui la tragique démonstration que la défense de la France n'est plus un devoir, mais une démarche mercantile : on ne mobilise plus, on recrute et on paie.
Vous pensez moderniser notre défense, monsieur le ministre. Or, vous la faites reculer de plusieurs siècles. L'armée de métier est une vieille formule que la République avait tranformée. Vous la restaurez.
Dangereux pour notre défense et notre liberté, le nouveau service national l'est aussi dans le volontariat qu'il met en place. Demain, celui-ci concurrencera, puis supplantera les emplois professionnels. Peu d'employeurs résisteront à la tentation de remplacer des emplois traditionnels par des volontaires moins payés, moins protégés socialement. Malgré vos affirmations, vous allez participer ainsi au développement de la précarité et à la généralisation des sous-salaires.
Votre projet de loi est dangereux pour la France et pour les Français. Il réduit le Sénat à une humiliante chambre d'enregistrement.
Mes chers collègues, la France a besoin d'un autre projet de service national et militaire. C'est la raison pour laquelle je vous invite à voter la motion tendant à opposer la question préalable que je viens de défendre. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Hamel applaudit également.)
M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?...
Quel est l'avis de la commission ?
M. Serge Vinçon, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. La motion déposée par nos collègues du groupe socialiste me conduit à rappeler le calendrier retenu pour mettre en oeuvre la réforme du système de défense entreprise voilà un peu plus d'un an. Ce calendrier montre en effet que, contrairement à ce qu'affirment les auteurs de cette motion, les compétences que l'article 34 de la Constitution confère au législateur en matière de défense ont été parfaitement respectées.
Le 22 février 1996, le Président de la République a présenté des suggestions sur l'avenir de notre système de défense, suggestions tirant les conséquences de l'inadaptation constatée du service militaire aux besoins actuels de sécurité. Le Président de la République a agi conformément aux prérogatives qu'il tient de la Constitution : chef des armées et garant de l'indépendance nationale, il préside les conseil de défense.
Le chef de l'Etat n'a toutefois pas annoncé qu'il procéderait d'emblée à la professionnalisation de nos forces. En effet, il s'en est remis à un débat national sur l'avenir du service national, débat auquel le Parlement a apporté une substantielle contribution, puis à l'intervention de lois destinées à traduire dans notre droit les conclusions de ce débat.
Je relève que la réduction de la durée du service militaire, qui a d'ailleurs beaucoup fait pour affaiblir cette institution, car elle a posé de nombreux problèmes opérationnels à nos armées, a été annoncée à la télévision par le chef de l'Etat, le 14 juillet 1991, comme un fait acquis. Le législateur, saisi par la suite d'un projet de loi visant à tirer les conséquences de l'engagement présidentiel, n'a pu faire autrement que de l'approuver, car, entre temps, un phénomène de « droit acquis » avait rendu très difficile, auprès de l'opinion, une remise en cause de la mesure annoncée.
La participation du Sénat au débat sur l'avenir du service national s'est traduite par la publication d'un rapport dont le projet de loi portant réforme du service national s'inspire très largement. Dans notre rapport, en effet, nous prenions position pour le passage à l'armée professionnelle et nous suggérions de remplacer le service obligatoire par un service volontaire, tout en préconisant la création d'un système qui, hérité ou dérivé des « trois jours », permettrait d'assurer le retour éventuel à la conscription, si l'évolution de la situation internationale le justifiait, et en proposant aux jeunes un bilan individuel, un rappel d'information civique, ainsi qu'une information sur les volontariats et sur les perspectives d'engagement dans les forces professionnelles et dans les forces de réserve. Ce système a, par la suite, reçu la dénomination de « rendez-vous citoyen », mais il s'agit bien de ce que proposait la commission du Sénat en mai dernier.
Les propositions qui se sont dégagées des travaux accomplis par l'Assemblée nationale au printemps dernier sont très voisines de celles du Sénat : il y avait donc sur ces questions un très large consensus dans la représentation nationale.
Le projet de loi qui nous est soumis est donc l'aboutissement de nombreux travaux législatifs : on ne peut donc dire, comme les auteurs de la motion tendant à opposer la question préalable, que le Parlement est dans l'incapacité de décider et de choisir librement.
Ces travaux législatifs comprennent non seulement les rapports dont je parlais tout à l'heure, mais aussi le vote de la loi de programmation militaire, qui a inscrit dans notre législation le choix de l'armée professionnelle, ainsi que le principe du volontariat et du rendez-vous citoyen. Le choix de l'armée professionnelle a ensuite été confirmé par le vote de la loi sur la professionnalisation des armées. Le présent projet de loi est donc la troisième traduction législative de la réforme de notre système de défense : comment peut-on affirmer que l'article 34 de la Constitution n'est pas respecté ?
A cet égard, vous me permettrez de trouver paradoxal de se fonder sur l'article 34 de la Constitution, c'est-à-dire sur une prétendue méconnaissance des compétences du législateur, pour conclure qu'« il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération » sur le projet de loi portant réforme du service national. Bien au contraire, les oppositions à ce projet de loi devraient s'exprimer dans le cadre de la procédure législative pour n'en avoir que plus de relief.
J'en viens au prétendu caractère dangereux du nouveau service national : je ne vois pas ce qu'il y a de dangereux dans le recensement ou dans le rendez-vous citoyen, dont le caractère non militaire a été souligné - et parfois regretté - par certains au cours de la discussion générale.
Enfin, je ne vois pas ce qu'il y a de dangereux dans le volontariat fait d'hommes et de femmes qui se dévoueront dans des organismes à vocation civile ou qui choisiront d'être les soldats de la paix en ex-Yougoslavie ou les soldats de l'humanitaire au Rwanda.
Voilà toutes les raisons pour lesquelles la commission émet un avis défavorable sur la motion tendant à opposer la question préalable, déposée par nos collègues socialistes. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Charles Millon, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais apporter un certain nombre d'éléments de réponse aux auteurs de cette motion tendant à opposer la question préalable.
Tout d'abord, la décision est déjà prise, et il n'est donc pas besoin de délibérer, a prétendu M. Rouvière. Lorsque l'on élabore une réforme qui a des conséquences législatives, le premier élément de cette réforme conditionne évidemment le reste.
Vous pourrez m'accuser de tous les maux, mais certainement pas de ne pas avoir énoncé clairement la volonté du Président de la République et du Gouvernement ! Je vous ai présenté la loi de programmation militaire, et je vous ai indiqué que, par le vote de cette loi, vous alliez effectuer un certain nombre de choix, le plus fondamental étant le passage de l'armée de conscription à l'armée professionnelle. Je vous ai précisé que, de ces choix, découleraient les mesures nécessaires à la professionnalisation des armées - vous les avez votées - la réforme du service national - c'est ce qui vous est exposé - et la réforme des réserves. Vous construisez actuellement un édifice législatif. C'est la raison pour laquelle, monsieur Rouvière, votre argument pourrait être retenu si je vous avais pris par surprise et si je ne vous avais pas expliqué que, de par la loi de programmation militaire, vous votiez une programmation non seulement financière, mais aussi législative et réglementaire. De ce point de vue-là, vous avez été prévenu, me semble-t-il.
« Quel est notre choix ? », me demandez-vous maintenant. Mais votre choix est immense ! Vous pouvez tout d'abord voter la suppression totale du service national, même si, pour ma part, j'y suis opposé.
Vous pouvez aussi transformer le service national, qui est actuellement militaire et civil, en un service national civil. J'ai entendu certains orateurs le suggérer tout à l'heure. Jamais on n'a empêché le dépôt d'amendements allant dans ce sens, et je vous assure que cela peut entrer dans le cadre budgétaire prévu par la loi de programmation.
Si vous aviez formulé une telle proposition, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous aurais répondu à titre personnel - mais je pense que M. le Premier ministre, si je lui avais demandé son analyse, m'aurait suivi - que l'égalité entre les citoyens, à ce moment-là, n'était pas en fait garantie, et l'argument évoqué pour soulever l'exception d'irrecevabilité aurait alors pu être crédible.
Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez une troisième possibilité : vous pouvez décider de maintenir le service national tel qu'il est, ce qui, à l'évidence, posera un problème, puisqu'il y aura, d'un côté, une armée professionnelle qui se mettra peu à peu en place et, de l'autre, une armée d'instruction. Autrement dit, non seulement vous n'arriverez pas à maintenir le lien armée-nation dont vous parlez, mais, de plus, vous mettrez une césure entre une armée d'instruction et une armée d'opération.
Or, notre objectif est exactement inverse, puisqu'il est de permettre, grâce aux quatre composantes de la nouvelle armée - les professionnels militaires, les volontaires, les réservistes et les professionnels civils - de garantir le lien armée-nation de façon plus ferme qu'aujourd'hui.
J'en viens à votre deuxième argument, monsieur Rouvière : ce rendez-vous citoyen est inutile, car sa durée est trop courte.
La découverte de la nation, du civisme et du sacrifice de certains Français au profit d'idéaux peut être le résultat d'un instant, d'un événement, j'allais dire d'un éclair dans le temps. Permettez-moi d'évoquer un souvenir personnel à cet égard : j'ai découvert la nation française, la patrie et mon appartenance à un pays le 8 mai 1954.
Dans la petite commune de Belley, dont je suis maire aujourd'hui, il est de tradition de fêter Sainte Jeanne d'Arc, la clique étant dénommée « la clique Jeanne d'Arc ». Le 8 mai 1954, les musiciens de la clique ont traversé la commune un crêpe au revers de la veste, portant le drapeau en berne, et les airs habituels des clairons et des tambours ont été remplacés par un roulement de tambour sourd qui a répandu la tristesse dans toute la commune.
Courant derrière la clique en essayant de marcher au pas, un certain nombre de jeunes, dont j'étais, se demandaient ce qui se passait. Ce jour-là, l'un de nos instituteurs est venu nous expliquer que, la veille, avait eu lieu la bataille de Diên Biên Phu ; il nous a indiqué pourquoi des soldats étaient morts là-bas et ce qu'était une défaite pour une armée. Toutes les petites filles et les petits garçons de ma génération qui couraient derrière la clique se sont rendu compte, ce jour-là, de ce qu'était la nation.
Je voulais vous apporter ce témoignage pour vous montrer qu'il n'est pas besoin de dix jours, de cent jours ou de mille jours pour découvrir l'appartenance à une citoyenneté ou à une communauté nationale, et qu'il suffit parfois d'un témoignage.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite également à relire ce qu'ont écrit un certain nombre d'auteurs, d'observateurs, de journalistes à propos des événements terribles qui ont ouvert les yeux de nombre de Français en novembre 1956. La seule photo d'une armée de va-nu-pieds, celle des jeunes Hongrois qui, face aux chars soviétiques, ramassaient des pierres et lançaient des cocktails Molotov, a d'ailleurs amené toute une jeunesse à prendre conscience du fait que, là-bas, des citoyens étaient capables de donner leur vie dès l'âge de seize ans pour leur patrie.
C'est pourquoi, sans vouloir donner au rendez-vous citoyen un rayonnement allant au-delà de ce que l'on peut concevoir, je pense qu'un simple témoignage peut faire dix fois plus que n'importe quelle formation dispensée pendant des années.
Monsieur Rouvière, le rendez-vous citoyen n'est pas inutile ; il sera imparfait - j'en suis convaincu - comme toute chose humaine, mais il sera utile, car il permettra à tel ou tel de découvrir la communauté nationale, le sentiment d'appartenance à la nation, la citoyenneté tout simplement.
Enfin, monsieur Rouvière, vous prétendez que le rendez-vous citoyen sera dangereux. Les bras m'en tombent ! Jamais une telle volonté de renforcer le lien armée-nation n'a existé ! Relisez l'histoire, monsieur Rouvière, car elle constitue le meilleur éclairage pour l'action d'un homme politique : un certain nombre d'armées qui ont attenté à la démocratie, à la dignité et à l'intégrité de la personne humaine étaient des armées de conscription. Ne tirons donc pas de règles en opposant une armée de professionnels, de mercenaires, qui attenterait à la liberté et à la fraternité de notre pays, à une armée de conscription, une armée parfaite, divine, une armée de saints, qui, demain, protégerait la liberté, l'égalité, la fraternité !
M. Claude Estier. Personne n'a dit cela !
M. Charles Millon, ministre de la défense. L'histoire parle d'elle-même, et c'est la raison pour laquelle nous sommes favorables à un rendez-vous citoyen qui garantisse le lien armée-nation. Nous le garantissons - je me permets de le répéter car je voudrais que cela entre dans la conscience de toutes celles et de tous ceux qui nous écoutent - par quatre actions.
Tout d'abord, lorsqu'un jeune officier, sous-officier ou soldat, après avoir effectué huit ans dans les armées ralliera la vie active, il sera alors le meilleur pont, le meilleur lien entre l'armée et la nation.
Par ailleurs, grâce au volontariat, près de 27 000 jeunes par an iront dans les armées, dans la gendarmerie et, de ce fait, feront eux aussi le lien entre l'armée et la nation.
Ensuite, la présence sur le territoire français de 300 000 réservistes, qui exerceront toutes les professions, permettra d'assurer le lien entre l'armée et la nation.
Enfin, nous garantissons le lien armée-nation par la professionnalisation. Monsieur Rouvière, vous avez constaté comme moi que, aujourd'hui, nous n'enregistrons pas la révolte de centaines de communes contre la restructuration des armées. Pourquoi ? D'abord, parce qu'il y a eu un effort de pédagogie politique, dont je tiens à remercier tous les parlementaires, les sénateurs en particulier, qui se sont investis pour aller expliquer cette restructuration.
Ensuite, les élus, les Français, ont compris qu'un régiment professionnel, dans une commune, est composé de soldats dont les conjoints et les enfants vont vivre au rythme de la commune, ce qui permet un renforcement du lien armée-nation.
Le rendez-vous citoyen n'est ni inutile ni dangereux. Ce texte ne vous est pas dicté ; il s'inscrit simplement dans un dispositif législatif.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable sur la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Je vais mettre aux voix la motion n° 8.
M. Dominique Braye. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rejet du débat, demandé par les auteurs de cette motion, sur l'un des aspects les plus fondamentaux de la réforme de la défense française me paraît un véritable non-sens.
En effet, il a été rappelé à de multiples reprises, lors de la discussion générale, que la réforme du service national est aussi une réforme de société, et qu'elle répond à une nécessité impérative et à une grande ambition nationale.
Par ailleurs, la réforme du service national ne s'est pas faite du jour au lendemain ; elle est en effet discutée depuis plus d'un an au niveau national. Nous avons eu l'occasion de mener une réflexion parlementaire approfondie dont l'aboutissement, sous la forme du rapport de notre collègue Serge Vinçon, a été pris en compte pour préparer ce projet de loi.
La très grande majorité du peuple français, notamment tous les jeunes, soutient cette réforme du service national.
C'est donc pour tenir compte à la fois de cette nécessité impérative de modernisation de notre défense nationale et de cette grande ambition nationale, c'est fort de ce soutien populaire que le groupe du RPR souhaite que l'examen de ce projet soit mené à son terme. Il ne votera donc pas la motion qui nous a été présentée par M. Rouvière. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 8, repoussée par la commission et par le Gouvernement.
Je rappelle que son adoption entraînerait le rejet du projet de loi.
M. Emmanuel Hamel. Je vote pour la motion !

(La motion n'est pas adoptée.)
(M. Jean Delaneau remplace M. Jacques Valade au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU
vice-président

M. le président. Nous passons à la discussion des articles.

PREMIÈRE PARTIE

Article 1er