M. le président. « Art. 5. - La section 3 du chapitre II de la même ordonnance est abrogée. »
Sur l'article, la parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Cet article prévoit la suppression de la commission départementale du séjour des étrangers, qui joue, dans le déroulement des procédures, un rôle extrêmement utile.
Cette commission, composée de trois magistrats spécialisés, notamment d'un membre des juridictions administratives, rend son avis lorsqu'il s'agit de la délivrance ou du renouvellement des cartes de séjour.
Je souligne l'importance de cet avis parce que, lors des auditions auxquelles M. le rapporteur a procédé, les représentants des barreaux ont eu l'occasion de souligner ce que signifiait pour les étrangers la possibilité de se faire entendre par des magistrats à l'occasion d'un débat contradictoire.
Il n'est jamais indifférent pour quiconque de présenter devant des magistrats en occurrence ses moyens de défense en public. Cela permet de sentir que l'on est écouté, ce qui, à tous égards, est indispensable.
Jadis, cette commission rendait des décisions puis, à partir de 1993, elle est devenue une simple instance de consultation. Cependant, d'après les renseignements très précis qui nous ont été fournis par M. Maugendre, membre du Conseil de l'ordre, qui s'occupe beaucoup de telles affaires au barreau de la Seine-Saint-Denis - c'est-à-dire dans une préfecture où ces questions se posent avec acuité - plus de 90 % des avis rendus par la commission sont suivis par la préfecture.
Par ailleurs, à Paris, toujours selon ce praticien, compétent en la matière, il n'y a jamais eu de refus de délivrance de carte de séjour après un avis favorable de la commission.
La raison en est simple : nous sommes en présence de magistrats très compétents, notamment de magistrats du tribunal administratif, et je n'ai pas besoin de rappeler que ce n'est pas la simplicité qui caractérise cette législation, et ce ne sont pas les votes qui sont intervenus qui vont simplifier les choses.
Cette commission est utile, elle permet de donner à ceux qui font valoir leurs droits le sentiment qu'ils sont entendus et d'éviter des contentieux, parce que le préfet statue en parfaite connaissance de cause grâce à l'avis qu'elle rend.
Toutes ces raisons commandent son maintien et non sa suppression.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Jusqu'à maintenant, la commission départementale du séjour des étrangers est essentiellement saisie du cas des conjoints de Français ou des parents d'enfants français.
Dès lors que l'on supprime toute ambiguïté et que l'on donne à ces personnes liées à la France par des relations familiales vocation à un titre de séjour temporaire, leur dossier ne sera plus soumis à la commission du séjour, qui, par là même, perd son utilité. Or, il ne faut pas maintenir indéfiniment des organismes qui sont inutiles.
M. le président. Sur l'article 5, je suis saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 67 est présenté par M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 134 est déposé par MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Tous deux tendent à supprimer l'article 5.
Par amendement n° 135, MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès,Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit l'article 5 :
« Dans l'article 18 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 :
« I. - Après le cinquième alinéa, il est inséré un nouvel alinéa ainsi rédigé :
« le renouvellement de la carte de séjour temporaire ;
« II. - Avant le dernier alinéa de cet article, d'insérer un nouvel alinéa ainsi rédigé :
« Si la commission émet un avis favorable à l'octroi ou au renouvellement du titre de séjour, celui-ci doit être délivré. »
Par amendement n° 203, Mme Dusseau propose de rédiger comme suit l'article 5 :
« Dans l'article 18 bis de la même ordonnance les références au département sont remplacées par des références à la région.»
La parole est à Mme Borvo, pour défendre l'amendement n° 67.
Mme Nicole Borvo. Je défends cet amendement parce que nous ne sommes pas convaincus par les arguments qui viennent d'être développés.
En effet, cette commission départementale qui est issue de la loi de 1989 a été mise en place afin de renforcer les garanties juridiques offertes aux étrangers résidant régulièrement en France ou ayant vocation à y vivre durablement.
Déjà, en 1993, lors de l'examen du projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, le gouvernement de l'époque et son ministre de l'intérieur, M. CharlesPasqua, avaient envisagé de supprimer cette commission. Finalement, ses pouvoirs ont été effectivement réduits.
La commission du séjour est donc actuellement compétente pour les refus de délivrance d'une carte de résident de plein droit et de délivrance d'un titre de séjour aux étrangers protégés contre une mesure d'éloignement.
Elle est saisie chaque année d'un peu plus de 1 000 dossiers. Ce n'est pas du tout négligeable.
Aujourd'hui, le Gouvernement justifie sa suppression par le fait que la nouvelle rédaction de l'article 12 bis de l'ordonnance proposée par l'article 4 du présent projet de loi rendrait inutile l'existence de cette commission.
Nous pensons que cela est faux car l'article 4 du projet de loi, comme on a déjà pu s'en rendre compte, ne mettra pas fin à la catégorie des « ni régularisables ni reconductibles à la frontière ». De plus, il ne prévoit l'attribution d'une carte de séjour que pour une durée d'un an. de nombreux problèmes de renouvellement risquent de voir le jour ces prochaines années.
Enfin, cette commission du séjour est un lieu de débat contradictoire où l'étranger peut faire utilement valoir les éléments de sa situation personnelle.
Cette suppression ne nous étonne guère quand on voit l'insensibilité, face au désarroi des sans-papiers par exemple.
Mais je crois que ce jeu est dangereux.
Les étrangers qui sont en France ont des droits et doivent bénéficier des garanties juridiques qu'accorde à tout individu un Etat de droit. C'est pourquoi nous pensons qu'il est absolument nécessaire de maintenir cette commission départementale.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 134.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est vraiment tout à fait extraordinaire ! En 1993, malgré nos protestations, le pouvoir décisionnel des commissions du séjour des étrangers a été supprimé.
Un peu curieusement, elles étaient composées, vous le savez, du président du tribunal de grande instance, d'un magistrat du tribunal de grande instance et d'un magistrat des tribunaux administratifs. Elles n'avaient donc pas le caractère d'autorité judiciaire en tant que telles - c'était des commissions administratives - mais elles comportaient une majorité de membres de l'autorité judiciaire.
Ces commissions prenaient des décisions et constituaient une garantie pour ceux qui craignaient que l'administration n'aille trop vite ou n'obéisse à d'autres pulsions que celles qui auraient été officiellement annoncées.
En 1993, on a certes maintenu les commissions, mais en ne leur reconnaissant plus qu'un rôle consultatif.
Je vous rappelle que, à l'époque, j'avais proposé de les supprimer, car cela aurait été plus clair, plus franc. On m'avait alors expliqué que ces commissions avaient quand même un intérêt et qu'elles se réuniraient beaucoup plus facilement parce qu'elles auraient moins de travail.
Mais aujourd'hui on nous dit que, parce qu'elles auront moins de travail, on ne pourra plus les réunir assez souvent et qu'il vaut donc mieux les supprimer !
Ce que je vous dis, je ne l'invente pas ! Dans sa réponse à une de mes questions écrites, le 16 juin 1994, votre prédécesseur expliquait : « En application des lois du 24 août 1993 et du 30 décembre 1993, le préfet est tenu de réunir une commission du séjour lorsqu'il envisage de refuser la délivrance d'une carte de résident de plein droit à un étranger mentionné à l'article 15 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée, ou la délivrance d'un titre de séjour à un étranger mentionné à l'article 25 de ladite ordonnance.
« Le champ de compétence de la commission du séjour se trouve ainsi réduit, puisque le préfet n'est plus tenu de la réunir lorsqu'il envisage de refuser le renouvellement d'une carte de séjour temporaire et, d'autre part, l'avis qu'elle peut émettre est désormais facultatif. »
Ainsi s'exprimait M. Pasqua.
Mais ce n'est pas tout. Ecoutez bien, vous qui n'avez de cesse de dire que vous ne voulez pas le désavouer : « Ainsi, la commission du séjour fonctionnera de façon plus souple et permettra au préfet de la réunir plus facilement qu'auparavant. »
J'ai cité M. Pasqua ! Et vous venez de nous dire très exactement le contraire !
Dans ces conditions, je me permets de souligner, pour les membres du groupe du RPR qui sont encore ici présents...
M. Emmanuel Hamel. Qu'insinuez-vous ?
M. Michel Caldaguès. Qu'est-ce que cela veut dire ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela veut dire qu'il y a encore des membres du RPR dans l'hémicycle, c'est tout ! Cela dit, très franchement, s'il n'y en avait plus aucun, je n'y verrais pas d'inconvénient ! (Protestations sur les travées du RPR.)
Ne cherchez là rien de désobligeant.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur Dreyfus-Schmidt ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je vous en prie, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Monsieur Dreyfus-Schmidt vous avez beaucoup de talent, certes, mais, ne vous en déplaise, j'ai, au début de mon propos, rendu hommage à M. Pasqua...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Tout à fait !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur ... et à la loi de 1993.
Je ne retire pas un mot de ce que j'ai dit. J'ai beaucoup d'estime pour le travail fait par M. Pasqua à ce sujet, et j'aurais d'ailleurs aimé que vous le souteniez à l'époque. Mais les choses changent et évoluent. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le vote que je vous demande d'émettre, mes chers collègues, correspond à vos principes et non aux miens.
N'est-il pas illogique, je le répète, de rendre hommage à une personne tout en faisant exactement le contraire de ce qu'elle disait ? Vous prétendez aujourd'hui qu'on ne pourra plus réunir maintenant ces commissions parce qu'elles n'auront plus assez de travail, alors que votre prédécesseur estimait au contraire qu'on pourrait les réunir plus souvent parce qu'elles auraient moins de travail.
Je reviendrai tout à l'heure sur les statistiques, car, dans cette réponse de M. Pasqua, certaines étaient extrêmement intéressantes.
Nous souhaitons que ces commissions soient maintenues. Nous aurions certes préféré qu'elles retrouvent - et elles le retrouveront un jour ! - leur pouvoir de décision.
M. le président. La parole est à M. Badinter, pour présenter l'amendement n° 137.
M. Robert Badinter. Il suffit de lire cet amendement pour constater qu'il s'inscrit dans la ligne d'une restitution des compétences perdues.
M. le président. L'amendement n° 203 est-il soutenu ?...
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 67, 134 et 135 ?
M. Paul Masson, rapporteur. Sur ces trois amendements, l'avis de la commission est défavorable.
M. le ministre a exposé les conditions dans lesquelles nous avons voté l'article 4. A partir de ce moment, la saisine de la commission du séjour perd manifestement beaucoup d'intérêt, puisqu'elle sera saisie de beaucoup moins d'affaires.
J'observe à cet égard que M. Dreyfus-Schmidt a une dialectique très précise, mais qu'il ne peut pas opposer les déclarations de M. Pasqua en 1993 à la situation actuelle...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non, 1994 !
M. Paul Masson, rapporteur. ... parce que la situation actuelle est totalement différente. Entre les déclarations de M. Pasqua et maintenant, il y a le vote de l'article 4, qui change radicalement la matière sur laquelle la commission du séjour est appelée à travailler.
Mon rapport écrit fait très précisément ressortir les incidences que pourrait avoir le nouvel article 4 sur la matière dont la commission du séjour pourrait être saisie.
Manifestement, cette commission a beaucoup moins d'intérêt aujourd'hui qu'elle n'en avait après le vote de la loi de 1993, laquelle avait elle-même susbtantiellement diminué son rôle. Vous pouvez, bien sûr, le déplorer, mais le Parlement en avait ainsi décidé.
Il est clair que, désormais, la commission du séjour n'aura plus guère d'utilité.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements identiques n°s 67 et 134, ainsi que sur l'amendement n° 135 ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Le Gouvernement est défavorable à ces trois amendements.
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 67 et 134.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le rapporteur, j'ai déjà dit l'attention avec laquelle nous avions lu votre rapport. Il n'est tout de même pas sans intérêt de rappeler que M. Pasqua, non pas en 1993 mais bien en 1994, a bien voulu me dire que, du moment que la commission aurait moins de travail, elle fonctionnerait de manière plus souple, ce qui permettrait au préfet de la réunir plus facilement qu'auparavant.
Je me suis donc permis de m'étonner lorsque vous-même m'avez indiqué que, du fait du vote de l'article 4, elle aurait encore moins de travail et, dans ses conditions, deviendrait sans doute difficile à réunir.
Je crois utile, en cet instant, de rappeler les termes de votre rapport écrit. Voici ce qu'on y lit, notamment : « ... si la nouvelle rédaction de l'article 12 bis de l'ordonnance proposée par l'article 4 du projet de loi était adoptée,... » - pour l'instant, il l'est - « ... la condition d'entrée régulière n'étant plus requise que pour les seuls conjoints de Français, les trois quarts des intéressés se verraient délivrer de plein droit une carte de séjour temporaire.
« L'activité de la commission de séjour diminuerait donc fortement.
« L'étude d'impact du projet de loi fait donc valoir que cela "reviendrait à espacer considérablement ses réunions et ralentirait de ce fait l'instruction de ces dossiers. Sa raison d'être, par là même, étant remise en cause, il est préférable de la supprimer".
« En second lieu, les difficultés de fonctionnement de ce dispositif en particulier dans les petits départements - déjà soulignés en 1993 - constituent un autre motif de suppression de la commission du séjour.
« L'étude d'impact relève qu'"elle ne constitue pas ... une véritable garantie pour les interressés et peut être source d'incompréhension entre les magistrats qui y siègent et l'administration dont la compétence n'est pas liée par l'avis émis". »
Et voilà ! Si trois magistrats, deux de l'ordre judiciaire, un de l'ordre administratif, ne sont pas d'accord avec l'administration, ce n'est pas bon pour le moral des troupes ! Il faut donc supprimer la commission de séjour des étrangers ! Nous ne pouvons pas accepter ces raisons. (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les deux amendements identiques, n°s 67 et 134, repoussés par la commission et par le Gouvernement.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 135, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 5.
(L'article 5 est adopté.)
Article additionnel après l'article 5
ou avant l'article 6