4. Mais la procédure de contrat de plan incite les collectivités locales à cofinancer des actions en dehors de leurs compétences
•
L'analyse des
Régions
est singulièrement différente.
Elles estiment de manière
unanime
que les contrats de plan se
traduisent par des transferts de charge à sens unique, des
collectivités locales vers l'Etat.
Elles distinguent pour ce faire trois secteurs d'intervention.
S'agissant en premier lieu des compétences clairement confiées
aux Régions par les lois de décentralisation, certaines
Régions indiquent quelles n'ont souhaité ni intervention, ni
cofinancements de la part de l'Etat.
En fait, pour ce qui est des financements, les Régions n'avaient
guère le choix : l'Etat s'est largement
refusé
à apporter son concours financier à des politiques conduites par
la Région sur son champ de compétence.
S'agissant en second lieu des domaines où les compétences de
l'Etat et des Régions se superposent ou ne sont pas clairement
définies, comme en matière d'Environnement, de Culture ou de
Tourisme, et, dans une moindre mesure, de politique de la Ville,
d'Interventions économiques et de Formation professionnelle, certaines
Régions ont effectivement
souhaité
s'y investir davantage.
S'agissant enfin du volet social de la politique de la ville et des actions en
faveur des personnes âgées, qui sortent des compétences des
Régions, ou des grandes infrastructures de Transport, de l'Enseignement
supérieur, de la Défense et de la Justice, qui relèvent
des compétences strictes de l'Etat, il est là encore exact que
les Régions ont parfois exprimé le souhait que ces secteurs
soient davantage pris en compte dans les contrats de plan, et se sont
résolues pour ce faire à cofinancer les dépenses de l'Etat.
Néanmoins, certaines Régions soulignent qu'elles ont
été "
fortement
sollicitées
", notamment pour le volet social de la
politique de la ville, la rénovation des maisons de retraite ou les
universités.
• De nombreuses Régions soulignent aussi qu'elles ont
été fortement
incitées
à s'engager en dehors
de leurs compétences par le double
désengagement
de
l'Etat :
- certaines Régions ont observé sur longue période un
désengagement relatif de l'Etat des domaines peu ou pas
contractualisés. Il s'agit là d'une
incitation
forte pour
les Régions à accepter l'inscription de certaines actions dans
les contrats de plan, même si l'Etat en demande le cofinancement ;
- malgré cela, l'Etat se désengage aussi du financement de
certaines
actions structurantes
, comptant sans doute parfois sur les
collectivités locales pour
pallier
et pour masquer la faiblesse
de ses capacités d'investissement.
Il s'agit là d'un
cercle vicieux
. En effet, comme l'observe une
Région, plus les collectivités s'engagent, plus l'Etat peut
limiter ses apports. Les clefs de financement se déforment ainsi d'un
contrat à l'autre au détriment des collectivités locales.
• Ce cercle vicieux peut-il être
imputé
pour partie
à la
procédure
de contrat de plan elle-même ?
Plusieurs Régions répondent par l'affirmative, dans la mesure
où "
la procédure
permet
à l'Etat d'appeler
des participations des collectivités locales sur des
opérations qui relèvent de sa compétence
", voire
"
consiste
principalement à faire abonder les
politiques de l'Etat par les autres collectivités
".
De même, le Commissariat général du Plan, seule
administration centrale à véritablement reconnaître et
à regretter les transferts de charges, explique que ceux-ci peuvent
résulter de la logique budgétaire des contrats de plan :
" ...
seule la contractualisation fondée sur une logique
d'objectif permet d'être en cohérence avec les principes de la
décentralisation. Or, les exercices contractuels se sont, depuis
l'origine, appuyés sur une logique de moyens budgétaires. Cette
pratique a donc vraisemblablement pu entraîner des transferts de charges
entre les collectivités et essentiellement de l'Etat vers les
collectivités locales. Le principe de cofinancement ou les
" financements croisés " s'appuyant sur des clefs de
financement ou sur le principe de la parité sont les mécanismes
les plus fréquemment utilisés
".
Plus précisément, une Région indique que la
procédure de contrat de plan favorise des transferts de charges à
travers deux
mécanismes
: "
d'une part, les
négociations ne portent pas sur les objectifs de développement
ou
d'aménagement du territoire ou les grandes orientations, ce
qui permettrait de définir le niveau exact des besoins de chaque
région ; d'autre part, l'Etat détermine
unilatéralement le cadre financier des négociations. Cette
technique amène nécessairement les collectivités à
intervenir financièrement dans les champs de compétence de
l'Etat, puisque par définition, les moyens financiers de ce dernier ne
suffisent pas à répondre aux moyens exprimés
".
En d'autres termes, la procédure de contrat de plan pourrait permettre
à l'Etat de mettre en lumière, voire
d'organiser
, son
incapacité
financière à exercer ses propres
compétences sans soutien de la part des collectivités locales.
• Les transferts de charges induits par la procédure de contrat
de plan sont-ils
normaux
?
Selon la Direction du Budget,
oui
: "
la procédure
de contrat de plan
permet
de
faire primer
, sur les attributions
de compétences opérées par la
loi
entre les divers
niveaux d'administration, une démarche de partenariat dans laquelle
l'Etat et les collectivités locales choisissent de financer
conjointement des politiques publiques. Cela se traduit nécessairement
par une contribution des secondes à l'exercice de compétences qui
appartiennent au premier et réciproquement
".
Il s'agit là d'une appréciation inexacte et stupéfiante.
Il s'agit d'une appréciation
inexacte
puisque contrairement
à l'assertion du ministère du Budget, il n'y pas de
réciprocité : l'Etat se refuse largement à contribuer
financièrement à l'exercice de leurs compétences par les
collectivités locales. Comme le remarque le Commissariat
général du Plan, il ne dispose d'ailleurs plus que des moyens
budgétaires lui permettant d'exercer ses propres compétences.
Il s'agit surtout d'une appréciation
stupéfiante
.
La démarche des contrats de plan Etat-Régions telle que
décrite par la Direction du Budget constitue en effet un
dévoiement
de la démarche contractuelle, qui consiste
à articuler et à mettre en cohérence des
compétences assumées, plutôt qu'à multiplier les
cofinancements sur des compétences floues.
Comme le soulignent certaines Régions, la démarche de
contractualisation ainsi exposée, qui ne repose que sur des circulaires,
porte également
atteinte
aux principes et aux lois de
décentralisation
. Curieuse conception de
l'Etat de droit
que celle faisant "
primer
" des circulaires sur la loi !
Cette atteinte aux lois de décentralisation n'est pas sans
conséquences
. En effet, elle fausse le débat
démocratique en diluant et en cachant les responsabilités. Par
ailleurs, les lois de décentralisation avaient entendu organiser la
répartition des compétences entre les pouvoirs publics en les
dotant des moyens financiers leur permettant de les exercer : si les
contrats de plan transfèrent des charges vers les collectivités
locales, celles-ci ne disposent plus, à prélèvements
fiscaux inchangés, des ressources nécessaires pour exercer leurs
propres compétences.
Enfin, contrairement aux assertions de la Direction du Budget, le financement
de l'Etat par les collectivités locales ne résulte ni d'une
démarche " partenariale ", ni d'un choix librement consenti de
celles-ci.
L'Etat ne saurait donc s'en prévaloir pour déroger à la
loi. On peut d'ailleurs rappeler que, de manière générale,
lorsque des contrats lient des parties en situation d'inégalité
de fait, ils ne peuvent déroger à la loi que s'ils accordent des
conditions plus avantageuses à la partie la faible, ce qui n'est
manifestement pas le cas des contrats de plan Etat-Régions.