B. MAIS LES FINANCEMENTS CROISÉS DILUENT LA RESPONSABILITÉ DE L'ACTION PUBLIQUE
Selon la
Direction du Budget, "
l'objet
même des contrats de plan
est de permettre à l'Etat et aux collectivités locales de
financer conjointement des politiques publiques, en
transcendant
[sic]
la distribution des compétences opérée par
les lois de décentralisation. Sous réserve de la pratique du
financement alternatif, auquel beaucoup de Conseils régionaux restent
hostiles car ils ne permettent pas d'afficher une participation de la
collectivité à la totalité des actions
contractualisées, les financements croisés sont le
principe
des contrats
".
De même, le ministère de la Jeunesse et des Sports indique que
"
la procédure de contrats de plan favorise le
croisement
des différentes politiques publiques préparées, conduites
et évaluées régionalement dans un champ de
compétence partagé
".
Comme votre rapporteur l'a montré précédemment, ces
financements croisés entravent toutefois la
traçabilité
des financements contractualisés, et
par là même, l'identification des responsabilités et des
compétences.
La Cour des Comptes
141(
*
)
affirme ainsi : "
alors
que les lois de décentralisation avaient pour objectif de
répartir clairement entre l'Etat et les collectivités
territoriales des champs de compétences, les contrats de plan
Etat-Région ont largement contrevenu à ce principe. Bien plus,
ils ont contribué à institutionnaliser les financements
croisés, qui sont source d'opacité et
d'irresponsabilité
".
Dans ses réponses à la Cour
142(
*
)
, le ministre de
l'Intérieur
conteste cette observation : "
en
réalité, ces risques [d'opacité et de
déresponsabilisation] sont moins liés aux financements
croisés qu'à une définition insuffisamment précise
du contenu des contrats. En effet, le principe d'un cofinancement des actions
contractualisées est aussi le gage d'une
implication
réelle et concomitante des différents partenaires en faveur d'un
même projet. A ce titre, il constitue un moyen de garantir la
cohérence de l'action de l'Etat et des collectivités
locales
".
Ce surprenant plaidoyer du ministre de l'Intérieur en faveur des
financements croisés est réfuté quelques pages plus loin
dans la réponse de la ministre de l'Aménagement du
territoire et de l'Environnement : " ...
l'action de l'Etat et des
collectivités s'en trouve plus étroitement liée, mais les
avantages en termes d'harmonisation des interventions sont compensés par
une certaine
dilution
des
responsabilités
. Il est certain
que la contractualisation a pour but la mise en cohérence des
interventions des pouvoirs publics et non le partage de toutes les
compétences
".
Les Régions confirment d'ailleurs que ces financements croisés
" ne favorisent pas l'identification des
responsabilités
" et
" diluent les
responsabilités
".
Comme le résumait plus généralement M. Valéry
GISCARD D'ESTAING, Président de la Région Auvergne, ancien
Président de la République, lors des Etats généraux
locaux du 12 mai 2000, dans notre organisation territoriale "
il y a
trop de structures et pas assez de responsabilités
".
En conséquence, les
citoyens
, et souvent leurs élus, n'ont
pas de réponse claire à la question " qui fait
quoi ? ".
De plus, selon le rapport CHÉRÈQUE, la dilution des
responsabilités favorise une certaine
démagogie
dans
l'affichage
des engagements contractualisés.
Plus généralement, il semble peu probable que cette dilution des
responsabilités soit particulièrement propice à
l'efficience
des choix publics.
• Votre rapporteur doit d'ailleurs rappeler que les financements
croisés ne sont aucunement
inhérents
à la mise en
cohérence des politiques publiques de différentes
collectivités.
Contrairement à l'assertion de la Direction du Budget reproduite supra,
la procédure de contrat de plan Etat-Région n'avait d'ailleurs
pas en principe pour "
objet
" de développer des
financements croisés : le CIAT de Mende, puis la circulaire du
ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire en date
du 28 juillet 1993 et son annexe intitulée
" Recommandations de
portée générale
" avaient ainsi fixé aux
préfets de région un objectif de
diminution
des
financements croisés.
Comme le souligne une Région : "
Il vaudrait mieux chercher
à articuler des compétences assumées, plutôt que de
chercher à les croiser
".
La multiplication des financements croisés constitue donc bien un
dévoiement
de la procédure de contrat de plan
Etat-Région, et votre rapporteur ne peut que regretter que la
DATAR
n'ait exercé en la matière aucun pouvoir de
coordination pour faire respecter les directives qu'elle avait
rédigées.
• Néanmoins, au delà même de l'opacité
résultant des financements croisés, les contrats de plan
Etat-région ont pu apparaître comme "
un avatar du
consensus
", qui "
participe à la diffusion d'un
certain désordre dans les responsabilités et les
compétences
"
143(
*
)
.
En effet, la contractualisation n'est pas sans interférer avec le
pouvoir réglementaire de l'Etat et avec les modalités du
contrôle de légalité exercé par les préfets.
Par ailleurs, dans le cadre des troisièmes contrats de plan, l'Etat a pu
pousser les Régions à intervenir sur des domaines de
compétence des Départements (ainsi pour la rénovation des
maisons de retraite) ou des Villes (notamment en matière de politique de
la ville).
Enfin, comme le souligne une Région, à la complexité de la
répartition des compétences issue des lois de
décentralisation, la procédure de contrat de plan ajoute la
complexité des procédures.
• Au total, la plupart des Régions estiment que la
procédure de contrat de plan Etat-Région favorise "
la
confusion
des compétences
" ou est
" source de
flottement
et d'irresponsabilité dans le partage des
compétences
".
Certaines Régions estiment même que la contractualisation est en
fait un moyen "
d'éviter de poser clairement la question du
partage des compétences et d'identifier des responsabilités
claires
", ce qui "
permet de maintenir un statut quo au lieu
d'avancer plus avant dans la
décentralisation
".
En effet, l'extension continue du champ de la contractualisation n'est pas sans
soulever deux questions complémentaires :
- ne contractualise-t-on pas des champs de compétences qu'il serait plus
efficient de décentraliser ?
- inversement, pourquoi contractualiser des actions qui relèvent des
strictes compétences régaliennes de l'Etat, comme le service
public de la Justice ?