L'Europe de la paix
M. Louis JUNG
Sénateur honoraire - Ancien
Président de l'Assemblée
parlementaire du Conseil de
l'Europe
Président de la Fondation Robert
Schuman
La rencontre d'aujourd'hui est la deuxième manifestation majeure, consacrée spécialement à notre organisation, se déroulant cette année au Sénat. En effet, un colloque, animé par le Sénateur Hoeffel, célébrait en mai dernier le 25 e anniversaire de la ratification par la France de la CEDH. Je remercie la Délégation française auprès de l'Assemblée du Conseil de l'Europe et félicite sa Présidente.
Les bâtisseurs du Conseil de l'Europe
Il est
bon qu'à certains moments, l'Europe qui fait continuellement des
avancées majeures replonge dans son aspiration. Il me semble utile de
vous présenter quelques considérations sur la dimension
paneuropéenne du Conseil et son élargissement à l'origine
de la modernisation de notre organisation. Les discours des bâtisseurs de
l'Europe - Winston Churchill, Ernest Bevin, Edouard Herriot, Robert
Schuman, Konrad Adenauer, etc. - témoignent de la
volonté de ne pas limiter le Conseil de l'Europe à la partie
occidentale du continent. La déclaration de Robert Schuman,
prônant le pardon et de nouvelles relations entre pays autrefois
antagonistes, a donné, avec les droits de l'homme, la base spirituelle
des missions du Conseil de l'Europe. Je suis heureux que la Fondation Schuman,
que j'ai l'honneur de présider, permette de la conforter, tant par la
coopération franco-allemande que par les missions dans les pays de
l'Europe de l'Est. Ce n'est qu'à cause d'un enchaînement
malheureux des événements et de la tombée du rideau de fer
que le Conseil de l'Europe est resté confiné à l'Europe
occidentale pendant quarante ans. Les travaux préparatoires aux statuts
du Conseil de l'Europe avaient commencé en 1948 en pleine crise de
Berlin. Il serait pour le moins erroné de penser que durant quarante
ans, notre organisation aurait peu fait pour développer les relations
Est-Ouest.
Dès 1954-1955, l'Assemblée, alors sans concurrence en Europe,
organisait des débats sur la politique européenne commune lors
des futures conférences Est-Ouest. Lorsqu'en juillet 1955, Harold
Macmillan, alors Ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni,
rendit une visite à l'Assemblée parlementaire, il posait
déjà les questions suivantes : « notre groupe de
membres est-il trop fermé ? Notre statut, qui dit à quelles
conditions de nouveaux membres ou de nouveaux observateurs peuvent être
accueillis parmi nous est-il trop sévère ? » A la
même époque, François de Menthon, Président de
l'Assemblée de 1952 à 1954, s'exprimait en ces termes :
« nous voulions la création d'une Europe unifiée,
quelle que soit l'évolution des activités du Conseil et
indépendamment de toute considération relative à la
tension ou à la détente entre l'Est et l'Ouest. Nous devons
souligner que la réalisation de l'union européenne est une
exigence première de toutes les nations groupées au sein du
Conseil de l'Europe et devrait être une contribution fondamentale
à la paix internationale ». Après la crise de Cuba et
pendant que Pierre Pflimlin présidait l'Assemblée, une nouvelle
stratégie fut développée concernant le rôle du
Conseil en matière de relations Est-Ouest. En avril 1985, le
Comité des Ministres a adopté une résolution importante
sur l'identité culturelle de l'Europe, faisant fi des frontières
du Conseil de l'Europe et des barrières idéologiques. Ce texte
constituait la base des initiatives ciblées du Secrétaire
général visant à une coopération concrète
avec les pays les plus avancés d'Europe de l'Est.
L'accueil des démocraties naissantes de l'Est
Le
renouveau du Conseil ne s'est pas limité alors aux relations Est-Ouest.
De nouvelles pistes ont été explorées pour les
activités de l'organisation. Le nombre des conférences des
Ministres spécialisés augmentaient. De nouveaux accords partiels
furent conclus. En coopération avec la Communauté
européenne, l'Année européenne de la musique fut
organisée. Une commission des sages - la commission
Colombo - était chargée d'élaborer des
recommandations pour la coopération européenne au-delà de
la décennie en cours. La Commission européenne s'apprêtait
alors à réaliser la première réforme substantielle
des traités : l'Acte unique européen.
C'est dans cet environnement que j'ai entamé en avril 1986 mon
mandat de Président de l'Assemblée. L'adhésion en octobre
1987 de la Yougoslavie, comme premier PECO, à la Convention culturelle
européenne représenté une percée majeure. Cette
adhésion permettait la participation, sur un pied
d'égalité, aux activités intergouvernementales dans les
domaines de la culture, de l'éducation, du sport et de la jeunesse. Le
Secrétaire général et moi-même avons effectué
des visites officielles en Hongrie, en Pologne et en Yougoslavie dès
1987-1988. A ces occasions, le souhait d'une adhésion au Conseil de
l'Europe fut plus ou moins clairement exprimé par nos interlocuteurs.
C'est en 1988 que s'établirent enfin les relations officielles entre
l'Assemblée parlementaire et le Soviet suprême. En outre, une
réflexion s'engagea à propos d'un statut spécial pour les
parlements des PECO remplissant certaines conditions. Je tiens à
souligner le soutien efficace de notre ancien collègue suisse, Peter
Sägger, qui préconisait avec moi le statut d'invité
spécial. L'invitation faite à Mikhaïl Gorbatchev de
prononcer une allocution devant l'Assemblée parlementaire n'a pas
suscité l'enthousiasme du Comité des Ministres. La
première visite du Pape à l'Assemblée parlementaire et
l'organisation à Varsovie de la première conférence
paneuropéenne des présidents des assemblées parlementaires
des Etats-Unis et du Canada ont également marqué cette
année 1988. Par ailleurs, l'admission de la Finlande au Conseil de
l'Europe permit de faire coïncider la composition de ce dernier et
l'espace démocratique. Le Conseil de l'Europe était ainsi
prêt à assumer sa mission de structure d'accueil pour les
démocraties d'Europe centrale et orientale. Les pays réformateurs
aspiraient à une structure leur permettant de consolider leurs
progrès démocratiques et cherchaient à devenir les
partenaires des pays de l'Europe occidentale. A cet égard, le Ministre
polonais des Affaires étrangères a dit le 5 mai 1998
devant le Comité des Ministres : « pour nous, hommes de
Solidarité, l'acquis du Conseil de l'Europe dans le domaine des droits
de l'homme était un important point de référence dans
notre lutte ».
Le Conseil de l'Europe est la seule organisation ayant pour vocation
d'accueillir à terme et sur un pied d'égalité les
47 pays du continent. Les structures souples qui caractérisent
l'organisation ménagent les souverainetés nationales hormis en
matière de droits de l'homme. Le Conseil de l'Europe a su faire face aux
événements de 1989 étant donné qu'il les a souvent
anticipés et que les gouvernements réagissaient avec un certain
décalage. Le Conseil a donc entendu l'appel de l'Histoire qui nous a
demandé de rapprocher les peuples partageant une culture et un
patrimoine historique communs. Malgré le grand optimisme exprimé
en 1989, certains se montraient réticents, arguant que la lutte
n'était pas achevée et qu'il fallait défendre le Conseil
de l'Europe. Il restait alors de nombreuses inconnues tel que le succès
ou non de la
perestroïka.
La situation et les perspectives du Conseil de l'Europe
Ce n'est
pas à un retraité qu'il revient de présenter la situation
et les perspectives de l'organisation. Lord Russell Johnston, Président
de l'Assemblée parlementaire, et son Secrétaire
général, Bruno Haller, sont mieux placés que moi pour ce
faire. Cependant, ayant eu l'honneur de représenter le Sénat
auprès de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe
pendant plus de 27 ans, je voudrais suggérer quelques
réflexions.
Le Conseil de l'Europe traite un trop grand nombre de sujets. En effet, outre
les activités de l'Assemblée parlementaire, l'organisation
s'occupe du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, de la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et de
favoriser une coopération internationale structurée.
L'insuffisance des moyens au regard de l'ampleur de la tâche est
problématique. Il est anormal que le financement, qui incombe aux Etats
membres, ne fasse toujours pas l'objet, dans de nombreux pays, d'une ligne
budgétaire spécifique et soit supporté par le budget des
Affaires étrangères. Cela ne facilite pas l'adéquation des
moyens aux besoins. Les déplacements que j'ai effectués dans des
Etats non-membres du Conseil de l'Europe - comme Président de
l'Assemblée du Conseil de l'Europe ou comme Président de la
Fondation Schuman - m'ont permis de mesurer l'importance de notre
Organisation pour ces pays et son rôle pendant la période
d'attente pour leurs populations. C'est pourquoi je défends depuis des
années une coopération plus intense entre le Parlement
européen, la Commission européenne et les instances du Conseil de
l'Europe. Cela permettrait d'éviter certains gaspillages et un
recentrage sur la finalité des missions réciproques. Bien que
cela soit difficile, la nouvelle Conférence intergouvernementale de
l'Union européenne, l'année prochaine, et la conférence
des présidents des assemblées parlementaires européennes
apporteront, je le souhaite, une contribution essentielle.
Permettez à l'ancien combattant de Dunkerque en 1940, au blessé
de Zuydcoote et au prisonnier de guerre de Dresde de dire ses remerciements
à toutes celles et à tous ceux qui ont lutté pour le
même idéal : l'Europe de la paix.