B. LE CONFLIT DU KOSOVO A CONFIRMÉ L'UTILITÉ OPÉRATIONNELLE D'UN GROUPE AÉRONAVAL PERMANENT ET COHÉRENT
Votre commission des affaires étrangères et de la défense a eu l'occasion l'an passé de souligner l'apport du groupe aéronaval lors de l'opération " force alliée " et les limites tenant à l'absence de second bâtiment 2( * ) .
1. L'apport du groupe aéronaval lors du conflit du Kosovo
Dès le début de la crise du Kosovo et tout au
long de
son déroulement, le porte-avions
Foch
a été au
coeur du dispositif français dans l'Adriatique.
Son déploiement constituait un geste politique fort destiné
à montrer la détermination de la France, y compris durant les
négociations de Rambouillet. Impliqué dans l'opération
" Trident " du 26 janvier au 3 juin 1999, le groupe aéronaval
a conduit des opérations maritimes et a participé à la
campagne aérienne qui a débuté le 23 mars.
Grâce à sa capacité de déploiement rapide et sans
entrave diplomatique, le groupe aéronaval a été
prépositionné en Adriatique dès le 26 janvier 1999.
Le porte-avions
Foch
et le sous-marin nucléaire d'attaque (SNA)
qui l'accompagnait ont pu occuper une position stratégique dès
cette date devant les côtes du Monténégro. Ce
positionnement au plus près, à la limite de portée des
batteries côtières serbes, soit 50 nautiques, a permis une
très grande réactivité qui a été
exploitée par l'OTAN lorsque nécessaire, aussi bien pour des
missions d'assaut, que de reconnaissance ou de RESCO (recherche et sauvetage de
combat). Son rôle et son positionnement ont été d'autant
plus importants que les Etats-Unis et les Britanniques n'ont pas maintenu, en
mer Ionienne, de porte-avions durant toute la durée du conflit en raison
de leurs missions de surveillance de l'espace aérien irakien.
Le groupe aéronaval (GAN) s'est montré capable de
maîtriser tout le milieu aéromaritime
en bloquant les
forces navales adverses au port, grâce au SNA interdisant à la
marine yougoslave la sortie des Bouches de Kotor, et l'espace aérien
grâce aux moyens antiaériens. Cette stratégie de
surveillance, associée à une capacité instantanée
de rétorsion, reposait en priorité sur la Task Force 470 ( nom
OTAN du GAN français dans cette opération) capable
d'opérer au plus près des objectifs et disposant d'une bonne
connaissance du théâtre où elle croisait depuis plus de
deux mois au moment du déclenchement des frappes aériennes.
Par ailleurs,
l'autonomie logistique du GAN
, assurée par le
couple pétrolier ravitailleur (
Meuse
) - bâtiment atelier
(
Jules Verne
), a été particulièrement
appréciée. En matière de
ravitaillement en vol
,
l'autonomie du groupe aérien embarqué a beaucoup simplifié
la tâche des alliés alors que les procédures de vol et de
ravitaillement étaient très complexes, les avions basés au
sol dans le nord de l'Italie devant suivre une voie descendante vers la Serbie,
ravitailler au dessus de l'Adriatique puis accomplir leur mission et revenir en
effectuant lorsque nécessaire un second ravitaillement. Il faut savoir
que les missions de ravitaillement ont représenté 21 % des
missions de l'Alliance et les missions d'assaut 28 %. Or
les avions
embarqués n'avaient recours qu'à leurs propres ravitailleurs
après le catapultage et étaient beaucoup plus rapidement sur zone
puisque le porte-avions était situé en face de la Serbie.
Le temps moyen de vol des
Super Etendard
par objectif traité a
été de 1 h 30
, alors que les durées de vol des pilotes
basés à terre pouvaient dépasser 4 heures. Le
positionnement près de l'objectif et une plus grande souplesse de
réaction face aux contraintes météorologiques, ont permis
de
limiter à seulement 20 % le nombre des missions annulées en
vol
.
La réussite des
Super Etendard
modernisés
a
démontré l'intérêt, dans ce type de crise, d'un
porte-avions avec catapultes et brins d'arrêt, alors que les trois
porte-aéronefs britanniques n'ont pu être utilisés pour des
missions d'assaut contre la terre, le rayon d'action et les capacités
d'emport de leurs avions
Harrier
à décollage court
n'étant pas adaptés à ce type de missions. Par contre, la
flottille 11F, composée de 18 SEM (14 tireurs, 4 ravitailleurs), a
accompli
un tiers des frappes françaises
(4 % des missions
d'assault de l'Alliance) et plus de 450 sorties en 70 jours
d'opérations. Les tirs de 268 bombes GBU-12 guidées par laser ont
eu le meilleur taux de coups au but de toute l'Alliance (73 %).
L'intérêt du maintien d'une capacité RESCO à bord
d'un porte-avions placé au plus près des côtes ennemies a
été confirmé par l'opération entreprise pour
récupérer le pilote du F 117 abattu le 27 mars.
Le groupe aéronaval a également démontré sa
parfaite
interopérabilité interalliée
en
intégrant durant toute la crise une frégate anti-sous-marine
britannique (le
Somerset
puis le
Grafton
). C'était la
première fois, depuis la guerre de Crimée, qu'un bâtiment
britannique était placé sous commandement tactique
français. Par ailleurs, le porte-avions
Foch
a embarqué
des hélicoptères allemands. Il a ainsi participé sans
difficulté aux procédures otaniennes de gestion de l'espace
aérien. A ce titre, d'importants progrès ont été
accomplis depuis la guerre du Golfe au cours de laquelle l'aéronautique
navale française n'avait pu prendre part aux opérations, le
porte-avions
Clemenceau
étant utilisé comme
porte-hélicoptères et transport de troupes puis maintenu en
Méditerranée.
Au-delà de son intérêt opérationnel, le groupe
aéronaval a permis de
conserver le contrôle national des
règles d'engagement
. Les moyens du groupe aérien sont
restés sous commandement et contrôle opérationnel
français. Seul le contrôle tactique fut attribué au
commandant de la composante aérienne pour l'exécution des
missions inscrites à l'ATO (Air Task Order) conformément à
un contrat passé avec le CAOC (Combined air operation center). Les
moyens nécessaires à l'accomplissement de missions nationales
propres peuvent ainsi être préservés, y compris dans le
cadre d'une coalition.
2. Les limites des capacités françaises au Kosovo
Pleinement utilisées pendant quatre mois,
les
capacités du porte-avions
Foch
sont arrivées à leur
terme
avant la fin de la crise, en particulier en raison du potentiel
limité des catapultes à vapeur qui nécessitaient une
remise à niveau. L'impossibilité de relayer le
Foch
, tenu
de retourner à Toulon, illustre les conséquences, en cas de
crise, de l'absence d'un second porte-avions. L'utilisation d'un porte-avions
de manière quasi continue pendant quelque 130 jours, a cependant
constitué le plus long déploiement à la mer du
Foch
depuis son lancement en 1963, et a montré qu'un seul porte-avions reste
capable d'accomplir d'importantes missions.
Deux autres éléments de notre dispositif ont montré par
ailleurs les limites de leur utilisation. Mobilisé par les missions
permanentes de protection de la Force océanique stratégique
(FOST) sur un autre théâtre, tout
le parc de SNA
a
été sollicité afin de maintenir une présence
permanente en Adriatique, trois SNA (l'
Améthyste
,
l'Emeraude
et le
Saphir
) s'étant succédé
dans cette mission.
La cible de 6 SNA
Barracuda
pour le futur
ne doit donc pas être réduite
si l'on souhaite conserver la
capacité d'accomplir des missions de ce type. De même,
les
capacités de ravitaillement en vol,
qui ont été si
utiles au Kosovo, ont atteint leur limite, et il pourrait donc être
nécessaire d'en équiper le
Rafale Marine
dès le
standard F2. L'achat d'un appareil spécialisé auprès de
l'US Navy a en effet été abandonné, car il aurait
impliqué la création d'une chaîne logistique
supplémentaire. Par ailleurs, les
Super Etendard
ne disposaient
ni des capacités nécessaires pour le tir laser de nuit, ni d'une
capacité de tir tout temps adaptée à la précision
requise par l'Alliance. L'arrivée du
SEM standard 5
permettra de
pallier cette déficience.
En outre, du 26 janvier au 14 février, la France n'a pu disposer de
frégate antiaérienne capable d'assurer la
sécurité du porte-avions,
les unes n'étant pas
opérationnelles en raison de retards pris dans leurs périodes
d'entretien majeur, par manque de crédits, et une autre frégate
étant engagée simultanément à Djibouti. Point n'est
besoin d'insister sur la
nécessité de disposer d'un nombre
suffisant de frégates antiaériennes opérationnelles
pour assurer la protection du groupe aéronaval, et l'urgence de la
réalisation du programme Horizon pour remplacer ces frégates en
fin de vie.
Le porte-avions
Foch
ne disposait pas non plus
d'avions
d'interception
pour assurer de manière autonome sa propre
protection, les Crusader n'ayant pu être engagés compte tenu de
leur vétusté. Cette défaillance, qui a conduit la France
à s'en remettre à des moyens étrangers, devrait être
comblée en 2001 avec l'entrée en service de la première
flottille de
Rafale
au standard F 1.
La transmission de dossiers d'objectifs en temps réel aurait
été un atout très important pour mieux traiter les cibles
mobiles qui ne peuvent être tirées sur coordonnées avec
quelques heures de décalage. Les
besoins de communication à
haut débit
devront être satisfaits à l'avenir pour
rester en phase avec les Etats-Unis. Ces capacités de communication et
de renseignement en temps réel des moyens aériens (avions ou
drones embarqués de reconnaissance) doivent être
développés pour garantir l'autonomie de choix des cibles et de
l'évaluation des dommages.
Par ailleurs, le tir de près de 300 missiles de croisières par
les Américains et les Britanniques confirme l'intérêt pour
la France de se doter de telles armes, afin de ne pas être exclue d'une
partie du cycle de décision et des opérations. L'acquisition du
Scalp/EG paraît donc particulièrement pertinente. Il devrait
équiper le
Rafale Marine F2
en 2005 et ensuite les futurs SNA
Barracuda
et frégates multimissions.
Pour conclure sur le rôle du porte-avions, il faut rappeler que plusieurs
éléments spécifiques à cette crise limitent la
portée des enseignements que l'on peut en tirer : la présence
d'un très grand nombre de bases à terre à
proximité, l'accord presque unanime de la plupart des pays de l'Alliance
et enfin la proximité du conflit par rapport aux pays qui sont
intervenus. Les opérations aériennes ont pu être
menées depuis l'Italie, des bases de l'OTAN en Europe et même la
base de Solenzara en Corse, plusieurs pays voisins de la Serbie ayant en outre
accordé des facilités de survol. En d'autres circonstances moins
favorables, le rôle dévolu au porte-avions aurait pu
s'avérer beaucoup plus important parce que seul à même de
mener une opération à distance d'un point d'appui ou affranchie
d'une autorisation préalable des Etats riverains.