B. UNE CONSÉQUENCE : L'ABSENCE DE CONSENSUS POLITIQUE
La
vigueur du débat sur les inconvénients environnementaux,
réels ou supposés, de l'énergie nucléaire explique
que celle-ci ne bénéficie pas dans l'Union européenne d'un
consensus, ni chez les gouvernants, ni chez les citoyens.
La France, bien que principal producteur européen
d'électricité nucléaire, n'échappe pas à ces
tensions politiques. Mais celles-ci s'expriment avec plus de force encore chez
ses partenaires européens, dont certains ont annoncé leur
intention d'abandonner le nucléaire.
1. Le débat intérieur français
Depuis le lancement du plan Messmer en 1974, le programme électronucléaire français a bénéficié d'une grande constance de la part des gouvernements successifs. Une rupture est toutefois intervenue en 1997, avec l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement auquel participent Les Verts, qui sont porteurs sur l'échiquier politique français de la contestation du nucléaire.
a) L'arrêt de Superphénix
Dans son
discours de politique générale du 19 juin 1997, le Premier
ministre, M. Lionel Jospin, a annoncé la fermeture de la centrale
nucléaire de Superphénix, prototype de réacteur à
neutrons rapides développé par la France depuis 1976. Cette
décision constituait l'un de ses engagements électoraux, et
conditionnait le soutien des Verts à son gouvernement.
La commission d'enquête du Sénat sur la politique
énergétique de la France et sur les conséquences
économiques sociales et financières des choix effectués
(20(
*
))
, présidée par
M. Jacques Valade et dont M. Henri Revol fut rapporteur, a
dressé un bilan critique des motivations et des effets de cette
décision.
Les considérations de sûreté ne pouvaient motiver la
fermeture de Superphénix. En dépit des déboires
rencontrés, ce prototype industriel présentait, selon les
autorités compétentes, un degré de sûreté
comparable aux réacteurs de série du parc nucléaire
français.
L'argument de la rentabilité n'apparaît pas non plus pertinent.
Certes, le coût d'investissement de Superphénix a
été double des estimations initiales, pour atteindre
60 milliards de francs, et sa capacité de production
d'électricité s'est trouvée réduite par des
périodes d'arrêt prolongées. Mais il était d'autant
plus illogique d'abréger la durée de vie productive de
l'installation qu'elle venait de parvenir en 1996 à l'équilibre
d'exploitation. Quitte à fermer le réacteur, il aurait fallu au
moins achever de brûler le coeur de combustible déjà
chargé, ainsi que le coeur supplémentaire déjà
approvisionné et payé.
Financièrement, l'abandon prématuré de Superphénix
obligera EDF à prendre seule en charge les coûts de
démantèlement qui auraient dû être répartis
entre les partenaires du consortium européen chargé de sa
construction et de son fonctionnement. Le coût total de la mise à
l'arrêt définitif de Superphénix, y compris le coût
de retraitement du combustible, est estimé à 12,2 milliards
de francs. Il convient d'y ajouter le coût de liquidation du consortium
européen, soit 3,3 milliards de francs supplémentaires.
La commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur
Superphénix et la filière des réacteurs à neutrons
rapides
(21(
*
))
,
présidée par M. Robert Galley et dont M. Christian Bataille
fut rapporteur, ne conteste pas la décision prise par le Gouvernement,
à la différence de celle du Sénat.
Toutefois, elle confirme que le choix de fermer immédiatement
Superphénix et de ne pas utiliser le combustible déjà
payé se traduit par des surcoûts importants, et souligne le
coût social pour le personnel de la centrale et la région de
Creys-Malville. Sur le fond de la question, la commission d'enquête de
l'Assemblée nationale estime que la filière des réacteurs
à neutrons rapides reste pertinente pour l'avenir, et relève que
le transfert des expériences de transmutation sur le seul
réacteur de recherche Phénix, vieillissant, n'ira pas sans
difficultés.
La décision de fermer Superphénix est donc bien une
décision de nature politique qui a été
généralement interprétée, notamment à
l'étranger, comme une remise en cause du programme nucléaire
français.
b) Le report de toute décision sur l'EPR
Le
projet franco-allemand d'EPR
(European Pressurized water Reactor)
développé depuis 1992 par Framatome et Siemens, plus
sûr et plus compétitif, est destiné à prendre le
relais des centrales nucléaires en cours d'exploitation.
Plusieurs arguments militent en faveur de la construction au plus tôt
d'un prototype d'EPR qui ferait office de tête de série. Cela
permettrait aux deux constructeurs, désormais fusionnés, de
valider la conception du réacteur et d'entretenir le savoir-faire de
leur personnel dans l'attente du renouvellement du parc nucléaire. Cela
permettrait aussi de disposer d'une installation de démonstration,
indispensable pour pouvoir exporter l'EPR à l'étranger.
Dans cette hypothèse de calendrier précoce, le compte à
rebours impose une première décision en 2000, conduisant à
un début de construction vers 2002, pour un démarrage à
l'horizon 2009. Il s'agit de la date de mise en service opportune pour la
tête de série, si l'on veut disposer d'un recul
d'expérience suffisant lorsque les EPR devront se substituer à la
génération actuelle de réacteurs, vers 2020 au plus tard.
Mais, lors de leur université d'été du mois
d'août 1999, Les Verts ont clairement fait savoir que le lancement
d'un prototype d'EPR serait pour eux un motif de rupture politique et les
conduirait à quitter le gouvernement
(22(
*
))
.
L'avertissement n'a pas été vain, puisque le Premier ministre a
ultérieurement annoncé qu'il ne prendrait aucune décision
relative à l'EPR avant 2003.
c) Les dissensions internes à la majorité
Le
Premier ministre, M. Lionel Jospin, a clairement réaffirmé qu'il
n'envisage pas l'abandon du nucléaire, en déclarant le 15
décembre 1998 : "
Ma formule est simple : la France
sans le nucléaire, aujourd'hui et à un terme que je n'ai pas
à considérer aujourd'hui, c'est impossible.
"
(23(
*
)).
Cette position du gouvernement français a été depuis
précisée par le ministre de l'Industrie, M. Christian Pierret,
lors du débat sur la politique énergétique de la France
organisé à l'Assemblée nationale le 21 janvier
1999
(24(
*
))
. Selon le Ministre,
"
le nucléaire représente à ce jour la meilleure
solution technico-économique pour faire face aux besoins de base,
c'est-à-dire pour produire la quantité
d'électricité consommée en continu. En revanche, le
nucléaire, c'est une évidence, ne constitue pas une bonne
solution économique pour faire face aux pics de la demande. Lorsqu'il
s'agira pour EDF de renouveler son parc de production vers 2010-2020, le
nucléaire ne représentera vraisemblablement qu'une part plus
réduite qu'aujourd'hui, même si elle reste majoritaire, des
capacités de production d'électricité.
"
Ce débat parlementaire n'a pas été suivi d'un vote, mais a
montré chez les députés qui se sont exprimés
l'existence d'un large consensus sur le bien fondé de l'option
nucléaire, à l'exception notable de l'orateur des Verts, M. Guy
Hascoët.
L'hostilité au nucléaire de la composante écologiste de la
majorité actuelle a eu l'occasion de se manifester à maintes
reprises.
Lorsque le gouvernement a décidé, en décembre 1998,
d'autoriser la création de deux laboratoires souterrains d'enfouissement
des déchets nucléaires en grande profondeur, Mme Dominique
Voynet, ministre de l'Environnement, a déclaré qu'elle
s'était "
sentie en porte-à-faux tout le temps
"
(25(
*
))
lors du processus
interministériel de décision.
Le décret du 6 août 1999 autorisant la création dans la
Meuse du premier des laboratoires souterrains, bien que cosigné par
Mme Dominique Voynet, a été attaqué devant le
Conseil d'Etat par Les Verts. Il en a été de même pour le
décret du 30 juillet 1999 autorisant l'extension de l'usine Cogema de
fabrication de combustible MOX de Marcoule.
Enfin, la révélation par la presse, au printemps 1998, d'un
dépassement des normes de radioactivité sur les convois
ferroviaires de combustible nucléaire usé parvenant à La
Hague a conduit le Premier ministre à demander d'urgence un rapport au
directeur de la DSIN (Direction de la sûreté des installations
nucléaires). Ce rapport a confirmé l'innocuité de ce
dépassement des seuils de protection, tout en dénonçant
l'inertie des instances de contrôle, l'IPSN (Institut de protection et de
sûreté nucléaire) et l'OPRI (Office de protection contre
les rayons ionisants), qui en étaient informées depuis des
années sans réagir. Mme Dominique Voynet s'est
déclarée choquée par ces défaillances, et le
gouvernement a annoncé le dépôt d'un projet de loi sur
l'organisation de la transparence et du contrôle de la
sûreté nucléaire.
Votre rapporteur constate que, en dépit des gages donnés par
le Premier ministre à l'aile écologiste de sa majorité,
les dissensions sur la question nucléaire persistent et se retrouvent
jusqu'au niveau gouvernemental.
Cette situation risque d'aboutir à une remise en cause insidieuse du
programme électronucléaire français, et d'affaiblir la
voix de la France lorsque celle-ci aura à exprimer sa position sur les
questions nucléaires au sein des instances européennes.
2. La contestation du nucléaire dans les autres Etats membres
a) Le difficile abandon du nucléaire par l'Allemagne
L'accord
de gouvernement signé par la coalition SPD-Verts parvenue au pouvoir en
Allemagne au mois d'octobre 1998, prévoit que
" le gouvernement
garantira une alimentation en énergie d'avenir, non polluante, à
un coût équitable. Les énergies renouvelables et les
économies d'énergie seront une priorité.
C'est la
raison pour laquelle le nouveau gouvernement entreprendra tout ce qui est en
son pouvoir pour abandonner l'énergie nucléaire aussi vite que
possible
. Au cours de cette année même, le gouvernement
organisera des discussions pour aboutir à un nouveau consensus sur
l'énergie. En partenariat avec le secteur énergétique, des
voies doivent être ouvertes pour trouver une nouvelle forme
d'énergie mixte, une énergie d'avenir sans le nucléaire.
Au cours de cette législature, l'abandon de l'énergie
nucléaire sera réglé par la loi de manière globale
et irréversible
"
.
Conformément à cet accord, le Chancelier Gerhard Schröder a
annoncé début janvier 1999 la décision du
gouvernement allemand d'abandonner le nucléaire, et l'adoption prochaine
d'un projet de loi pour en fixer les modalités.
Cette déclaration a eu pour conséquence immédiate de
remettre en cause la coopération entre l'Allemagne et ses partenaires
européens dans le domaine nucléaire.
Les autorités françaises se sont inquiétées du coup
d'arrêt ainsi donné au projet commun d'EPR. Ce problème a
été réglé par la suite de manière radicale,
Siemens cédant à Framatome ses activités
nucléaires, avec d'ailleurs un soulagement certain si l'on en croit une
déclaration du Président de Siemens selon lequel
" le
nucléaire, c'est 5 % de l'activité du groupe et 95 % de
mes ennuis " (26(
*
))
.
Les accords entre l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni pour le retraitement
des combustibles usés allemands à La Hague et Sellafield se
sont également trouvés affectés.
En effet, le gouvernement allemand a précisé que sa
décision s'accompagnerait de l'interdiction du retraitement des
déchets nucléaires à l'étranger à partir du
1
er
janvier 2000. Les autorités françaises
(27(
*
))
et britanniques se sont
émues des déclarations de M. Jürgen Trittin, ministre
allemand de l'Environnement, d'après lequel les industriels allemands
pourraient invoquer la force majeure pour rompre leurs contrats en cours avec
la Cogema et BNFL.
Le Chancelier Schröder a rassuré ses partenaires européens,
en confirmant que les contrats de retraitement en cours, d'une valeur
estimée à 20 milliards de francs, seraient honorés.
De toute manière, l'interdiction de retraiter les déchets
nucléaires a dû être reportée au moins jusqu'en 2004,
pour laisser le temps aux producteurs d'électricité allemands de
créer à proximité des centrales nucléaires les
centres de stockage intermédiaires nécessaires.
La France s'est également inquiétée de l'interruption des
convois ferroviaires ramenant en Allemagne les déchets stockés
à La Hague. Ces convois ne se heurtent pas seulement à
l'opposition violente des antinucléaires, mais aussi aux
réticences des autorités allemandes. La Deutsche Bahn fait valoir
qu'il lui faut d'abord mettre aux normes de sécurité les ouvrages
d'art sur les voies ferrées concernées. Les
Ministres-Présidents sociaux-démocrates des landers de Basse-Saxe
et de Rhénanie du Nord Westphalie, où sont implantés les
centres de stockage des déchets, ont fait savoir qu'ils ne veulent pas
de tels convois. Le gouvernement fédéral invoque les contraintes
de maintien de l'ordre pour repousser les échéances, les
précédents convois ayant nécessité la mobilisation
de dizaines de milliers de policiers tout le long du trajet. Le prochain convoi
ne devrait pas avoir lieu avant l'automne 2000.
Après la première annonce, le débat s'est
focalisé en Allemagne sur les coûts et les échéances
impliquées par l'abandon du nucléaire.
L'industrie nucléaire allemande ne conteste pas la décision prise
par le pouvoir politique. Mais elle considère que la fermeture
anticipée des centrales se traduira pour elle par une perte
financière à indemniser, qui pourrait atteindre jusqu'à
200 milliards de marks, dans l'hypothèse d'une sortie du
nucléaire en cinq années préconisée par les Verts
allemands.
Le Chancelier Gerhard Schröder a repoussé la date du
dépôt du projet de loi annoncé, afin de parvenir au
préalable à un compromis avec l'industrie nucléaire
évitant toute compensation financière.
Pour l'instant, le
délai d'exploitation de vingt-cinq ans, puis de trente ans,
proposé par le gouvernement allemand n'a pas reçu l'accord des
industriels, qui souhaitent rentabiliser les centrales nucléaires
déjà construites pendant une quarantaine d'années.
Enfin, le débat politique allemand sur le nucléaire a connu un
nouveau rebondissement, avec la lettre adressée au mois de
février dernier par le Ministre-Président de Bavière,
M. Edmund Stoiber, au Président de la Commission européenne,
M. Romano Prodi, pour soulever la question de la compatibilité
juridique avec le Traité Euratom de la décision du gouvernement
fédéral d'abandonner l'énergie nucléaire. La
Bavière se sent particulièrement concernée par l'abandon
du nucléaire, car elle abrite la majorité des centrales
d'Allemagne.
b) L'abandon très progressif du nucléaire par la Suède
A la
suite de l'accident de Three Mile Island, le parti social démocrate au
pouvoir en Suède a organisé en 1980 un référendum
sur l'abandon de l'énergie nucléaire. A cette occasion, les
électeurs suédois se sont prononcés en faveur de la
limitation à vingt-cinq ans de la durée de vie des douze
réacteurs en fonctionnement ou en construction.
Les résultats du référendum de 1980 ont été
confirmés par une décision parlementaire, fixant à 2010 la
date d'arrêt de toutes les centrales nucléaires. La construction
des réacteurs en projet s'est néanmoins poursuivie, et les deux
dernières mises en service ont eu lieu en 1985.
En 1997, le gouvernement de coalition réunissant le parti
social-démocrate et le parti du centre a décidé de fermer
la centrale nucléaire de Barsebäck. Le choix s'est porté sur
cette centrale parce qu'elle est située dans une région
peuplée de la Suède et à proximité de Copenhague,
ce qui suscitait depuis longtemps l'hostilité du Danemark.
La solution de facilité aurait pourtant consisté à choisir
pour la première fermeture une centrale appartenant à la
compagnie publique Vattenfall. En effet, la centrale de Barsebäck
appartient à Sydkraft, société privée
détenue en majorité par des actionnaires norvégiens et
allemands, ce qui pose des problèmes de droit et de compensation
financière.
Sydkraft a porté l'affaire devant la Haute Cour administrative
suédoise, arguant de son droit à indemnisation, et devant la Cour
de Justice des Communautés européennes, arguant de l'atteinte
portée au droit communautaire de la concurrence. Le gouvernement
suédois a dû surseoir à sa décision de fermer la
centrale.
Lors des élections législatives de septembre 1998, le
nucléaire n'a pas été un sujet mobilisateur, la campagne
étant axée sur le thème de l'adhésion à
l'euro - finalement rejetée par la Suède.
Les sondages
d'opinion réalisés à cette occasion ont d'ailleurs
montré une évolution des Suédois depuis le
référendum de 1980, puisque 55 % d'entre eux se déclarent
désormais opposés à la fermeture anticipée des
centrales nucléaires existantes.
Le gouvernement suédois a néanmoins persisté dans sa
décision de fermer le réacteur n° 1 de Barsebäck, mais
sur une base négociée. Sydkraft obtiendra 25 % des parts
d'une nouvelle société l'associant à Vattenfall pour
l'exploitation du réacteur n° 2 de Barsebäck, ainsi que de la
centrale de Ringhals appartenant à l'exploitant public.
La compagnie privée recevra en outre une compensation en espèces
et en nature, sous forme d'électricité livrée par
Vattenfall. Le coût total de l'opération est estimé
à 4,4 milliards de francs pour l'Etat suédois.
Barsebäck fournissait 6 % de l'électricité du pays. La
fermeture du réacteur n°1, devenue effective le 1
er
décembre 1999, ne devrait pas bouleverser l'équilibre
énergétique de la Suède. Mais la situation deviendra plus
tendue avec la fermeture du réacteur n° 2, prévue pour 2001.
Sauf à réaliser des progrès rapides dans les solutions
alternatives, la Suède risque de se trouver alors contrainte
d'accroître ses importations d'électricité en provenance du
Danemark, de Norvège ou de Finlande.
c) L'attentisme des autres Etats membres
L'examen
des positions prises par les gouvernements des autres Etats membres à
l'égard du nucléaire montre la prédominance en Europe d'un
certain attentisme.
La Belgique observe depuis 1985 un gel de fait de son parc
électronucléaire. Toutefois, le ministre chargé de
l'énergie a confié en décembre 1998 à une
commission d'experts la mission d'évaluer l'évolution de la
demande en électricité du pays et d'émettre des
propositions pour la production d'électricité à l'avenir.
Par ailleurs, à la demande du Parlement, le gouvernement belge a
demandé aux autorités compétentes un rapport sur la
pertinence du retraitement du combustible usé et son recyclage sous
forme de MOX, sur la base duquel il a estimé que l'option devait rester
ouverte.
Au Royaume-Uni, la filière spécifiquement nationale des
réacteurs refroidis au gaz (AGR) a été abandonnée
en 1981, pour cause de relatif échec technique. Mais une seule centrale
supplémentaire, de type REP comme sur le continent, a été
depuis construite. En effet, la découverte des gisements
pétroliers et gaziers de Mer du Nord, et la privatisation du secteur
énergétique ont conduit à l'abandon de fait de tout projet
de construction d'une nouvelle centrale nucléaire dans un cadre public.
En Espagne, le gouvernement a décrété en 1984 un moratoire
sur le nucléaire, renouvelé en 1992 dans le cadre du programme
énergétique national pour la période 1991-2000. Les cinq
projets de centrales nucléaires affectés par le moratoire ont
été définitivement annulés par une loi de 1994 et
les producteurs d'électricité espagnols ont reçu une
compensation financière.
L'Italie, qui est le grand Etat européen le plus dépendant des
importations d'énergie, avait développé un programme
nucléaire en 1981. A la suite de la catastrophe de Tchernobyl, un
référendum a conduit en 1987 à un moratoire temporaire. Ce
moratoire de cinq ans a expiré en 1992, mais aucune décision n'a
été prise depuis pour relancer le programme nucléaire. Les
deux centrales nucléaires en service dont disposait l'ENEL ont
été fermées en 1990 et les projets en cours ont
été reconvertis en centrales thermiques. L'Italie participe
toutefois activement aux programmes internationaux de recherche sur les
réacteurs du futur.
L'Autriche avait également construit une centrale nucléaire, au
nord-ouest de Vienne, qu'elle a renoncé à mettre en service en
1978, sous la pression de ses opposants au nucléaire. La centrale est
restée en attente jusqu'à la décision d'abandon
définitif prise en 1987, après l'accident de Tchernobyl. Depuis
son entrée dans l'Union européenne, l'Autriche est l'un des Etats
membres les plus fermes dans son opposition à l'énergie
nucléaire, notamment à l'égard de ses voisins candidats
à l'adhésion.
La Finlande est le seul Etat membre, avec la France, qui envisage
d'étendre encore son parc de centrales nucléaires. Elle dispose
déjà de deux centrales de type REB fournies par AAB Atom, et de
deux centrales de type VVER fournies par l'ex-URSS mais considérablement
modifiées pour satisfaire aux standards occidentaux de
sûreté. La stratégie énergétique de long
terme validée par le Parlement à la fin de 1997, et
confirmée par le nouveau gouvernement issu des élections de mars
1999, comporte l'option de la construction d'une cinquième centrale.
Mais la décision effective n'est pas acquise, car près de la
moitié des députés finlandais seraient plus ou moins
défavorables à la construction d'une cinquième tranche
nucléaire. Or, en Finlande, c'est le Parlement qui tranche dans ce
domaine. En 1993, il s'était déjà opposé à
un tel projet, qui avait pourtant l'appui du gouvernement, de l'industrie et
des syndicats.
3. La méfiance de l'opinion publique européenne
a) Une préférence pour le statu quo
Une
enquête d'opinion a été réalisée en mars 1999
par l'institut de sondage IPSOS, pour l'hebdomadaire
"
L'Express
", dans les quatre grands Etats membres de l'Union
européenne dotés de centrales nucléaires
(28(
*
))
.
Les résultats de ce sondage montrent la méfiance des opinions
publiques européennes à l'égard de l'énergie
nucléaire. Si seul un tiers des personnes interrogées prône
l'abandon total du nucléaire, près de la moitié
considère qu'il vaut mieux cesser de le développer.
Question 1 : Parmi ces trois solutions concernant la politique énergétique de votre pays pour les années à venir, quel est votre souhait ?
(en %)
|
Ensemble |
Allemagne |
Espagne |
France |
Royaume-Uni |
Qu'on continue de développer l'énergie nucléaire |
14 |
5 |
10 |
18 |
24 |
Qu'on ne développe pas davantage l'énergie nucléaire mais qu'on continue de faire fonctionner les centrales existantes |
48 |
66 |
20 |
58 |
33 |
Qu'on abandonne complètement l'énergie nucléaire |
33 |
28 |
54 |
22 |
38 |
Ne sait pas |
5 |
1 |
16 |
2 |
5 |
TOTAL |
100 |
100 |
100 |
100 |
100 |
Source : IPSOS - L'Express
Comme on
pouvait s'y attendre, c'est en France que l'attachement au nucléaire est
le plus fort. La majorité des Français penche en faveur du
statu quo
, et 22 % seulement d'entre eux se disent partisans
d'un abandon complet du nucléaire. C'est le pourcentage le plus bas des
cinq pays sondés.
Le pragmatisme des Allemands est plus surprenant. L'abandon du nucléaire
n'est défendu que par 28 % des personnes interrogées. Les
Allemands préfèrent que l'on continue à faire fonctionner
les centrales existantes.
L'opinion est particulièrement polarisée au Royaume-Uni,
puisqu'une forte minorité de 38 % s'affirme antinucléaire,
tandis qu'à l'opposé, près d'un quart des Britanniques se
déclare favorable au développement de l'énergie
nucléaire.
Mais c'est en Espagne que le rejet du nucléaire est le plus fort. Une
majorité absolue de 54 % des personnes interrogées se
prononce en faveur d'un abandon complet de cette forme d'énergie.
Un autre enseignement de ce sondage est que les Européens, en
dépit du traumatisme de Tchernobyl, restent confiants dans la
sûreté de leurs centrales nucléaires. Une majorité
de 55 % des personnes interrogées déclare avoir plutôt
confiance dans la sûreté des installations nucléaires de
leur pays.
Question 2 : Avez-vous plutôt confiance ou plutôt pas confiance dans...
(en %)
La sécurité des centrales et des installations nucléaires de votre pays |
Ensemble |
Allemagne |
Espagne |
France |
Royaume-Uni |
Plutôt confiance |
55 |
67 |
24 |
66 |
47 |
Plutôt pas confiance |
41 |
32 |
61 |
31 |
49 |
NSP |
4 |
1 |
15 |
3 |
4 |
TOTAL |
100 |
100 |
100 |
100 |
100 |
Source : IPSOS - L'Express
Cette
confiance n'est toutefois pas également partagée selon les pays.
Les deux tiers des Allemands et des Français se déclarent
confiants, mais ce n'est le cas que de moins de la moitié des
Britanniques et de moins d'un quart des Espagnols.
En revanche, l'inquiétude à l'égard de la gestion des
déchets nucléaires est forte dans tous les pays, 70 % des
personnes interrogées déclarant avoir plutôt pas confiance.
Question 3 : Avez-vous plutôt confiance ou plutôt pas confiance dans...
(en %)
La gestion des déchets nucléaires (retraitement et stockage) |
Ensemble |
Allemagne |
Espagne |
France |
Royaume-Uni |
Plutôt confiance |
25 |
30 |
13 |
25 |
24 |
Plutôt pas confiance |
70 |
69 |
74 |
71 |
70 |
NSP |
5 |
1 |
13 |
4 |
6 |
TOTAL |
100 |
100 |
100 |
100 |
100 |
Source : IPSOS - L'Express
Ces résultats confirment que la question du traitement des déchets constitue aujourd'hui, plus que celle de la sûreté des centrales, le véritable point faible de la filière nucléaire
b) Une forte inquiétude à l'égard des déchets nucléaires
La
Direction générale de l'Environnement de la Commission
européenne a fait réaliser en décembre 1998 par
Eurobaromètre, dans tous les Etats membres, une enquête d'opinion
sur la gestion des déchets radioactifs
(29(
*
))
. Les résultats du sondage sont
révélateurs de l'inquiétude de l'opinion publique
européenne sur ce sujet.
L'un des premiers enseignements de ce sondage est la relative ignorance des
citoyens européens dans ce domaine
. Seulement 20 % des
personnes interrogées s'estiment bien informées au sujet des
déchets radioactifs, contre 44 % qui s'estiment mal
informées et 32 % pas informées du tout. De fait, 7 %
seulement des citoyens européens savent que le volume par habitant des
déchets radioactifs produit chaque année est très
réduit, inférieur à un litre, et 79 % d'entre eux
pensent que tous les déchets radioactifs sont très dangereux.
Cette opinion est fort loin de la réalité, mais conditionne les
réactions de la population sur le sujet.
La préoccupation des citoyens européens est forte, puisque
76 % d'entre eux se déclarent inquiets de la gestion des
déchets radioactifs dans leur propre pays. Il est intéressant de
noter que 74 % d'entre eux se déclarent également inquiets
de la gestion des déchets dans les autres Etats membres et 76 % de
la gestion dans les Etats candidats à l'adhésion.
En matière de déchets nucléaires, les décisions
prises dans un cadre national sont donc susceptibles d'avoir des
répercussions sur l'ensemble de l'opinion publique européenne,
qui ignore les frontières.
S'agissant du fond du problème, 75 % des citoyens européens
pensent que si aucun Etat membre n'a encore mis en oeuvre de solution
définitive pour les déchets hautement radioactifs, c'est parce
qu'il n'en existe pas. Et 76 % d'entre eux pensent que cet échec a
un impact négatif sur l'image de l'énergie nucléaire.
Bien que 80 % des personnes interrogées admettent qu'il est
politiquement difficile et impopulaire de prendre des décisions
concernant les déchets radioactifs, seulement la moitié d'entre
elles considère que les délais dans ce domaine résultent
de la nécessité d'étudier soigneusement toutes les options
avant de choisir une solution.
Enfin, l'enquête d'Eurobaromètre révèle une
contradiction majeure
dans l'opinion publique européenne.
Une minorité de 12 % seulement des citoyens européens
interrogés déclare accepter que son pays accueille des
déchets radioactifs provenant d'autres Etats membres, et 75 %
d'entre eux se prononcent en faveur de l'implantation d'un site d'enfouissement
dans chacun des Etats membres.
Mais 3 % seulement des citoyens européens accepteraient de vivre
à une distance de dix kilomètres d'un tel site, 5 % à
une distance de cinquante kilomètres et 8 % à une
distance de cent kilomètres. Plus de 40 % des sondés
refusent de vivre à moins de mille kilomètres d'un site
d'enfouissement de déchets radioactifs. Et 15 % déclarent
même n'accepter aucune distance minimale entre eux-mêmes et un tel
site.
Ces deux enquêtes d'opinion conduisent votre rapporteur à des
conclusions nuancées. Globalement, l'opinion publique européenne
ne suit pas les partisans d'une sortie anticipée du nucléaire, et
reste assez confiante dans la sûreté des centrales.
Cependant, l'opinion publique européenne apparaît
extrêmement préoccupée par le sort des déchets
nucléaires. Sur ce point, elle se montre à la fois mal
informée et peu confiante dans la capacité du pouvoir politique
à prendre les décisions qui s'imposent. De plus, elle ne souhaite
pas l'extension du parc des centrales installées.
Le point d'équilibre des opinions exprimées par les citoyens
européens pourrait toutefois se déplacer dans un proche avenir,
à mesure que les inquiétudes relatives au changement climatique
grandissent.