L'énergie nucléaire en Europe : union ou confusion ?
MONTESQUIOU (Aymeri de)
RAPPORT D'INFORMATION 320 (1999-2000) - DELEGATION DU SENAT POUR L'UNION EUROPEENNE
Rapport au format Acrobat ( 551 Ko )Table des matières
- INTRODUCTION
-
PREMIÈRE PARTIE : LES ATOUTS ET LES FAIBLESSES
DE L'ÉNERGIE NUCLÉAIRE
-
I. UNE OPTION STRATÉGIQUE ÉCONOMIQUEMENT
JUSTIFIÉE
- A. UN ENJEU ÉNERGÉTIQUE ESSENTIEL POUR L'EUROPE
- B. UNE RÉPONSE À L'ÉVOLUTION FUTURE DES BESOINS
- C. UNE FILIÈRE ÉNERGÉTIQUE COMPÉTITIVE
-
II. UN IMPACT SUR L'ENVIRONNEMENT SUJET À
DÉBAT
- A. LES REJETS RADIOACTIFS, POINT FAIBLE DU NUCLÉAIRE
- B. UNE CONSÉQUENCE : L'ABSENCE DE CONSENSUS POLITIQUE
- C. LA PRÉVENTION DU CHANGEMENT CLIMATIQUE : NOUVEL ATOUT DU NUCLÉAIRE ?
-
I. UNE OPTION STRATÉGIQUE ÉCONOMIQUEMENT
JUSTIFIÉE
-
SECONDE PARTIE : LE CADRE DIPLOMATIQUE ET JURIDIQUE
DU DÉVELOPPEMENT DE L'ÉNERGIE NUCLÉAIRE
-
I. UNE DIMENSION INTERNATIONALE DÉPASSANT LES
FRONTIÈRES COMMUNAUTAIRES
-
A. LE DISPOSITIF INTERNATIONAL DE
NON-PROLIFÉRATION ET DE COOPÉRATION NUCLÉAIRES
- 1. L'Agence Internationale de l'Energie Atomique
- 2. Le traité de non-prolifération nucléaire
- 3. Les instances de coopération commerciale et technique
-
4. Les règles internationales de
responsabilité et d'assistance
- a) Les limites du régime traditionnel de la responsabilité civile nucléaire
- b) Les conventions sur la notification rapide et l'assistance en cas d'accident nucléaire
- c) La convention sur la sûreté nucléaire
- d) La convention commune sur la sûreté de la gestion du combustible usé et des déchets radioactifs
- B. LA SÛRETÉ NUCLÉAIRE EN EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE
-
A. LE DISPOSITIF INTERNATIONAL DE
NON-PROLIFÉRATION ET DE COOPÉRATION NUCLÉAIRES
-
II. LE TRAITÉ EURATOM : UN CADRE LARGEMENT
PÉRIMÉ
- A. UNE ORGANISATION INSTITUTIONNELLE DATÉE
- B. LES DISPOSITIONS DEVENUES OBSOLÈTES
- C. LES DISPOSITIONS TOUJOURS D'ACTUALITÉ
-
I. UNE DIMENSION INTERNATIONALE DÉPASSANT LES
FRONTIÈRES COMMUNAUTAIRES
- CONCLUSION
- EXAMEN EN DÉLÉGATION
-
ANNEXE I
PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR -
ANNEXE II
LISTE DES SIGLES ET UNITÉS DE MESURE -
ANNEXE III
LISTE DES TABLEAUX ET DES CARTES - L'ÉNERGIE NUCLÉAIRE EN EUROPE : UNION OU CONFUSION ?
N°
320
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès verbal de la séance du 2 mai 2000.
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation pour l'Union européenne (1) sur l'adéquation du traité Euratom à la situation et aux perspectives de l' énergie nucléaire en Europe ,
Par
M. Aymeri de MONTESQUIOU,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de : MM. Hubert Haenel, président ; Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. James Bordas, Claude Estier, Pierre Fauchon, Lucien Lanier, Aymeri de Montesquiou, vice-présidents ; Nicolas About, Hubert Durand-Chastel, Emmanuel Hamel, secrétaires ; Bernard Angels, Robert Badinter, Denis Badré, José Balarello, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Jean Bizet, Maurice Blin, Xavier Darcos, Robert Del Picchia, Marcel Deneux, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Jean-Paul Emin, André Ferrand, Jean-Pierre Fourcade, Philippe François, Yann Gaillard, Daniel Hoeffel, Serge Lagauche, Louis Le Pensec, Simon Loueckhote, Paul Masson, Jacques Oudin, Mme Danièle Pourtaud, MM. Simon Sutour, Xavier de Villepin, Henri Weber.
Union européenne .
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Développée dès 1945 par les deux pays précurseurs
qu'ont été la France et le Royaume-Uni, la filière
électronucléaire s'est diffusée dans la plupart des autres
pays européens. A la suite du choc pétrolier de 1973, cette
source d'énergie a pris une grande ampleur en Europe. L'Union
européenne apparaît aujourd'hui comme la région de la
planète la plus massivement dotée de centrales nucléaires.
Elle possède près de 40 % des capacités
électronucléaires mondiales, et l'énergie nucléaire
fournit 35 % de son électricité. Toutefois, de grandes
transformations sont intervenues depuis cette période historique de
développement du nucléaire en Europe.
Le présent rapport d'information a été confié au
printemps dernier à votre rapporteur par M. Michel Barnier, alors que
celui-ci était encore Président de la Délégation du
Sénat pour l'Union européenne, avant d'être nommé
Commissaire européen chargé de la Politique régionale et
des réformes institutionnelles.
Les considérations qui motivent le choix d'un tel sujet sont
variées, mais toutes importantes.
La première considération est d'ordre politique. Au cours des
dernières années, la situation a changé avec
l'entrée dans l'Union européenne de nouveaux Etats membres
"déçus du nucléaire ", comme la Suède, ou
franchement hostiles à cette source d'énergie, comme l'Autriche.
Un pas supplémentaire a été franchi à l'automne
1998, avec la décision de l'Allemagne d'abandonner l'énergie
nucléaire, alors qu'elle est actuellement le deuxième producteur
d'électricité d'origine nucléaire en Europe.
La France, qui est de loin le premier producteur européen
d'électricité d'origine nucléaire, n'est pas
épargnée par les doutes qui ont saisi ses voisins. Le
gouvernement de M. Lionel Jospin est divisé sur la question. Sans
renoncer officiellement au programme nucléaire français, il prend
en compte sa pluralité et se cantonne dans l'attentisme.
Les Etats membres franchement favorables au nucléaire se trouvent
désormais minoritaires au sein du Conseil des ministres
européens. Il faut donc s'interroger sur les conséquences de
cette situation dans le fonctionnement des instances européennes.
La deuxième considération est extérieure à l'Union
européenne. La perspective de l'élargissement a également
des implications importantes dans ce domaine. Les pays d'Europe centrale et
orientale ne sont pas hostiles au nucléaire comme certains Etats membres
actuels, et leur entrée dans l'Union pourrait modifier sur ce point
l'équilibre au sein du Conseil.
Mais ils sont parfois dotés de réacteurs nucléaires de
conception soviétique jugés dangereux au regard des normes de
sûreté occidentales. Dans le cadre des négociations
d'adhésion, la Commission européenne a fait pression sur les pays
candidats concernés afin qu'ils s'engagent à fermer les
réacteurs incriminés. Les tenants et les aboutissants de cette
politique méritent un examen attentif.
La troisième considération est d'ordre économique. La
libéralisation en cours du marché intérieur de
l'électricité constitue un défi pour l'énergie
nucléaire. Selon ses détracteurs, cette source d'énergie
ne serait plus compétitive dans un cadre davantage concurrentiel et
décentralisé. Selon ses partisans, elle conserverait au contraire
toutes ses chances.
L'Union européenne s'est engagée en 1997, lors de la
conférence internationale de Kyoto sur le changement climatique de la
planète, à réduire ses émissions de gaz à
effet de serre. Dans cette perspective, l'instauration d'une taxe communautaire
sur le CO
2
contribuerait à accroître la
compétitivité économique du nucléaire par rapport
aux énergies fossiles.
La quatrième et dernière considération qui a motivé
le présent rapport d'information est d'ordre institutionnel. On oublie
souvent que le traité Euratom instituant une Communauté
européenne de l'énergie atomique a été signé
à Rome, le 25 mars 1957, en même temps que le traité
instituant une Communauté européenne économique. Il s'agit
donc de l'un des trois grands traités communautaires fondateurs, avec le
traité de 1951 instituant la Communauté Européenne du
Charbon et de l'Acier (CECA).
Or, la conférence intergouvernementale ouverte à Lisbonne en
février dernier s'est fixé pour but de réformer les
traités européens afin de préparer les institutions de
l'Union européenne au prochain élargissement à l'Est.
Dans ce contexte de révision institutionnelle, et même si le
nucléaire n'est pas à l'ordre du jour de la conférence
intergouvernementale, il n'est pas inutile de se demander si toutes les
dispositions du traité Euratom sont encore d'actualité, ou si
certaines d'entre elles ne mériteraient pas une adaptation.
S'agissant d'un rapport fait au nom de la Délégation pour l'Union
européenne, cette question retiendra bien sûr l'attention de votre
rapporteur, même s'il n'a pas voulu se limiter aux aspects juridiques du
nucléaire en Europe, mais aborder l'ensemble du sujet dans ses
dimensions technologiques, économiques et politiques.
Au cours des nombreuses auditions auxquelles il a procédé au
Sénat et lors de ses entretiens à Bruxelles, votre rapporteur a
pu constater à quel point l'énergie nucléaire reste un
sujet controversé. Elle donne lieu à querelles entre les
spécialistes et suscite d'autant plus l'inquiétude de l'opinion
publique.
Le traumatisme de Tchernobyl est toujours présent dans l'esprit des
citoyens européens, qui sont par ailleurs de plus en plus
préoccupés par le devenir des déchets nucléaires.
La problématique du réchauffement climatique de la
planète, phénomène auquel le nucléaire ne contribue
pas, pourrait renforcer le crédit de cette forme d'énergie ou la
réhabiliter à leurs yeux.
Dans le présent rapport d'information, en auditionnant des
personnalités professant des opinions parfois très
opposées, votre rapporteur s'est efforcé de toujours poser les
données des problèmes avec pragmatisme.
Il a pu s'appuyer sur les nombreux rapports que l'Office parlementaire
d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a consacré
au nucléaire, domaine dans lequel cette instance commune aux deux
chambres du Parlement a acquis une compétence qui fait autorité.
Sur des sujets de ce genre, en associant politiques et scientifiques, l'Office
n'a plus à démontrer son utilité pour éclairer
l'opinion des élus de la Nation et, au-delà, pour alimenter le
débat démocratique.
Votre rapporteur a aussi tenu à se rendre dans certaines installations
représentatives de l'ensemble du cycle nucléaire, afin d'avoir
une idée très concrète des procédés
techniques qui y sont mis en oeuvre. C'est ainsi qu'il a visité l'usine
de retraitement des combustibles nucléaires de la Cogema à
La Hague, le centre de stockage des déchets radioactifs de l'ANDRA
dans l'Aube, et la centrale nucléaire d'EDF à Nogent-sur-Seine.
" SA MAJESTÉ LE ROI DES BELGES, LE PRÉSIDENT DE LA
RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D'ALLEMAGNE, LE PRÉSIDENT DE LA
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE, LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
ITALIENNE, SON ALTESSE ROYALE LA GRANDE-DUCHESSE DE LUXEMBOURG, SA
MAJESTÉ LA REINE DES PAYS-BAS,
" Conscients que l'énergie nucléaire constitue la ressource
fondamentale essentielle qui assurera le développement et le
renouvellement des productions et permettra le progrès des oeuvres de
paix,
" Convaincus que seul un effort commun entrepris sans retard promet des
réalisations à la mesure de la capacité créatrice
de leurs pays,
" Résolus à créer les conditions de
développement d'une puissante industrie nucléaire, source de
vastes disponibilités d'énergie et d'une modernisation des
techniques, ainsi que de multiples autres applications contribuant au
bien-être des peuples,
" Soucieux d'établir les conditions de sécurité qui
écarteront les périls pour la vie et la santé des
populations,
" Désireux d'associer d'autres pays à leur oeuvre et de
coopérer avec les organisations internationales attachées au
développement pacifique de l'énergie atomique,
" Ont décidé de créer une Communauté
européenne de l'énergie atomique (EURATOM) ".
Préambule du traité européen instituant l'Euratom
L'Europe des centrales nucléaires
PREMIÈRE PARTIE : LES ATOUTS ET LES FAIBLESSES DE L'ÉNERGIE NUCLÉAIRE
I. UNE OPTION STRATÉGIQUE ÉCONOMIQUEMENT JUSTIFIÉE
Un
examen objectif de la situation et des perspectives de l'énergie
nucléaire dans l'Union européenne doit débuter par les
aspects économiques qui, historiquement, ont motivé les Etats
membres ayant fait le choix du nucléaire.
Par l'indépendance énergétique qu'elle procure, la
filière électronucléaire apparaît comme un atout
stratégique pour l'Europe. Compte tenu de son développement
actuel, elle constitue en soi un enjeu industriel important, même s'il
n'intéresse pas tous les Etats membres.
Enfin, dans le nouveau contexte de la libéralisation du marché
européen de l'électricité, il n'est pas inutile de
rappeler les raisons de la compétitivité de l'énergie
nucléaire.
A. UN ENJEU ÉNERGÉTIQUE ESSENTIEL POUR L'EUROPE
1. Un facteur d'autonomie pour le continent
a) Une énergie de pays riches
L'analyse de la consommation mondiale d'énergie fait
apparaître des variations considérables, qui reflètent les
inégalités de développement.
Ces différences sont d'abord quantitatives : alors que la
consommation annuelle moyenne par habitant est de 4,5 tonnes
équivalent pétrole (tep) en 1996 dans les pays de l'OCDE, selon
les chiffres de l'Agence Internationale de l'Energie (AIE), elle n'est que de
3 tep dans les pays en transition économique, et de moins de
0,6 tep dans les pays en développement.
Ces différences sont également qualitatives, la
répartition entre les différentes sources d'énergie
variant beaucoup d'un pays à l'autre. Le pétrole est la source
d'énergie la plus répandue, en raison de ses applications dans le
secteur des transports où il n'a guère de substituts : il
représente environ 35 % de la consommation d'énergie
mondiale. Le charbon et les autres combustibles solides en représentent
environ 30 %. Mais leur usage est très différencié
selon les régions, puisqu'ils constituent 40 % de la consommation
d'énergie des pays en développement, contre 25 % seulement
de celle des pays de l'OCDE. Le gaz naturel vient à la troisième
place, avec 22 % des approvisionnements énergétiques
mondiaux.
Le nucléaire fait donc figure " d'énergie rare ",
avec une contribution à la production mondiale d'énergie de
6 % seulement, qui le classe en dernier, après
l'hydroélectricité et les énergies renouvelables, qui
fournissent 7 % du total.
Ces inégalités sont encore plus marquées dans l'usage de
l'électricité, qui est étroitement corrélé
au niveau de développement économique : 61 % de
l'électricité est consommé dans les pays de l'OCDE,
14 % dans les pays en transition et 25 % dans les pays en
développement. Alors que la consommation d'électricité est
d'environ 500 KWh par habitant en Afrique, elle est en moyenne deux fois
plus importante en Asie, dix fois plus importante en Europe et vingt fois plus
importante aux Etats-Unis.
Bien que la production d'électricité soit le
débouché exclusif de l'énergie nucléaire, celle-ci
n'y contribue qu'à titre d'appoint au côté des
énergies fossiles, qui ont pourtant d'autres usages.
La fourniture
mondiale d'électricité est assurée presque aux deux tiers
par des centrales thermiques classiques, qui fonctionnent au charbon
(39 %), au pétrole (10 %) ou au gaz naturel (15 %). Pour
sa part, l'électronucléaire n'y contribue qu'à hauteur de
17 %. Le solde de 19 % correspond à la contribution de
l'hydroélectricité et des énergies renouvelables.
Le développement de l'énergie électronucléaire dans
le monde s'est concentré sur une très courte période.
Scientifiquement, la fission nucléaire a été
découverte en 1938. Dès 1956, le premier réacteur
commercial démarrait. Mais c'est surtout entre 1970 et 1990 que
l'électronucléaire a connu une croissance soutenue, en raison de
la forte augmentation des besoins d'électricité et de la
volonté des pays dépourvus de sources d'énergie fossiles
sur leur territoire de s'assurer une indépendance
énergétique dans un contexte d'hydrocarbures chers et où
les réserves de pétrole étaient estimées à
trente années de consommation.
Le taux précité de 17 % correspond à la part globale
de l'énergie nucléaire dans la production mondiale
d'électricité, mais recouvre des situations très
variables. L'électronucléaire assure ainsi 24 % de la
production d'électricité des pays de l'OCDE, et environ 35 %
de celle des pays de l'Union européenne.
L'Europe communautaire apparaît donc comme la zone la plus
" nucléarisée " du monde. Ce constat n'est pas
étonnant compte tenu, d'une part, de son haut niveau de
développement économique et technologique et, d'autre part, de sa
pauvreté relative en énergies fossiles.
Avec un apport de 212,61 millions de tonnes équivalent
pétrole en 1997, le nucléaire fournit environ 15 % de la
consommation énergétique de l'Union européenne.
Bilan énergétique sommaire de l'Union européenne en 1997
|
|
(en millions de tonnes équivalent pétrole) |
|||
|
Production primaire |
Importations nettes |
Consommation intérieure brute |
||
Combustibles solides |
126,25 |
96,51 |
221,82 |
||
Pétrole |
158,28 |
469,29 |
587,77 |
||
Gaz naturel |
182,17 |
124,25 |
301,87 |
||
Nucléaire |
212,61 |
|
212,61 |
||
Hydroélectricité |
26,04 |
|
26,04 |
||
Autres énergies renouvelables |
56,09 |
|
56,09 |
||
TOTAL |
761,44 |
690,05 |
1406,2 |
Source : Commission européenne - Direction générale de l'énergie
b) Une contribution à l'indépendance énergétique
La
principale motivation des Etats européens qui ont engagé des
programmes électronucléaires, est la recherche de
l'indépendance énergétique.
Cette recherche d'autonomie a d'abord été technologique car,
historiquement, l'électronucléaire s'est développé
en Europe sous licence américaine.
Les premières tentatives de la France et du Royaume-Uni de
développer des filières purement nationales ont tourné
court. Elles étaient justifiées par le fait que les Etats-Unis
avaient adopté une politique de rétention des connaissances.
Mais, la position américaine évoluant vers plus d'ouverture, les
producteurs d'électricité européens ont
préféré s'appuyer sur les technologies
développées par Westinghouse et General Electric,
déjà éprouvées.
Par la suite, les deux principaux constructeurs européens de
réacteurs nucléaires, Framatome et Siemens, ont respectivement
" francisé " et " germanisé " les
technologies importées sous licence américaine.
L'autonomie technologique une fois acquise, l'électronucléaire
constitue un puissant facteur d'indépendance énergétique
dans son mode de fonctionnement. Dans le cas de la France, le taux de
couverture des besoins énergétiques nationaux est ainsi
passé de 22,5 % en 1973 à plus de 50 % en 1997.
Ce phénomène peut paraître surprenant, car l'uranium
consommé dans l'Union européenne est presque totalement
importé de pays tiers. Il s'explique en partie par les conventions de la
comptabilité nationale, qui font que la production d'une entreprise de
nationalité française, même située sur un territoire
étranger, est considérée comme française.
Le simple fait que la Cogema, principal producteur d'uranium européen,
soit propriétaire des mines qu'elle exploite à l'étranger,
notamment au Niger et au Gabon, contribue à l'amélioration des
taux d'indépendance énergétique français et
européen.
Evolution des taux d'indépendance énergétique des Etats membres
(en pourcentage)
|
1985 |
1990 |
1995 |
Allemagne |
58.00 |
53.64 |
42.30 |
Autriche |
34.69 |
32.61 |
33.86 |
Belgique |
30.73 |
24.34 |
19.63 |
Danemark |
22.40 |
52.62 |
64.27 |
Espagne |
39.42 |
35.57 |
28.47 |
Finlande |
40.93 |
37.88 |
47.25 |
France |
45.44 |
45.99 |
51.35 |
Grèce |
39.26 |
37.94 |
34.22 |
Irlande |
39.93 |
30.62 |
31.69 |
Italie |
17.96 |
16.19 |
18.42 |
Luxembourg |
1.02 |
1.00 |
2.34 |
Pays-Bas |
94.28 |
77.67 |
80.70 |
Portugal |
24.84 |
13.17 |
11.69 |
Royaume-Uni |
115.38 |
96.56 |
116.29 |
Suède |
57.82 |
62.57 |
62.49 |
Union européenne |
58.51 |
52.26 |
53.39 |
Source : Commission européenne - Direction
générale de l'énergie
Toutefois, l'intérêt stratégique du nucléaire pour
l'indépendance énergétique de l'Europe réside
ailleurs que dans ces taux calculés de manière assez
conventionnelle.
Il tient tout d'abord à la
diversification des sources
d'énergie
que le recours au nucléaire permet en soi. Dans le
cas de la France, qui est l'un des Etats membres les plus
" nucléarisés ", le montant économisé sur
les importations de combustibles fossiles est de l'ordre de 40 Milliards
de francs chaque année.
Il tient également à
l'abondance de l'uranium dans le
monde
et à sa
répartition géographique
équilibrée
, qui permet aux exploitants de centrales
nucléaires de diversifier leurs sources d'approvisionnement et de
réduire les risques de rupture.
L'énergie nucléaire se présente sous une forme
particulièrement concentrée : une tonne d'uranium
utilisée dans une centrale nucléaire classique permet de produire
autant d'énergie que 10 000 tonnes de pétrole.
Les réserves d'uranium disponibles à un coût
inférieur à 80 dollars le kilogramme se situaient en 1997
à 2,5 millions de tonnes, selon l'OCDE.
Compte tenu de besoins annuels estimés à 60 000 tonnes
aujourd'hui et à 70 000 tonnes à partir de 2015, les
réserves connues d'uranium devraient suffire à satisfaire la
demande mondiale jusqu'en 2015, sans même tenir compte des
quantités considérables de plutonium libérées pour
un usage civil par le processus de désarmement.
Réserves et ressources d'uranium en 1997
|
|
|
(en milliers de tonnes) |
||
REGION |
Réserves prouvées |
Ressources supplémentaires |
Total |
||
|
$80/kgU |
$80-130/kgU |
$80/kgU |
$80-130/kgU |
|
OCDE Amérique |
441 |
251 |
99 |
0 |
791 |
OCDE Europe |
33 |
46 |
10 |
37 |
126 |
OCDE Pacifique |
622 |
93 |
136 |
44 |
895 |
Total OCDE |
1 096 |
390 |
245 |
81 |
1 812 |
Reste du Monde |
1 438 |
366 |
588 |
183 |
2 575 |
Total |
2 534 |
756 |
833 |
264 |
4 387 |
Source : OCDE - Agence pour l'énergie
nucléaire
Il convient de souligner que les prix actuellement bas de l'uranium n'incitent
pas à la prospection de nouveaux gisements. Après avoir atteint
sur le marché " spot " un niveau maximum de 85 dollars par
kilo en 1979, lors du second choc pétrolier, les cours de l'uranium sont
depuis continuellement orientés à la baisse. Ils sont
tombés à moins de 20 dollars le kilo depuis 1997.
Le Commissariat général du Plan estime ainsi que
les
réserves d'uranium spéculatives, récupérables
à un coût inférieur à 130 dollars/Kg,
pourraient atteindre 7 à 11 millions de tonnes, soit plus de
250 années de consommation
(contre 230 années de
consommation pour le charbon, 50 pour le pétrole et 60 pour le gaz
naturel).
Lorsque la filière des réacteurs surgénérateurs,
qui sont théoriquement capables de produire plus d'énergie qu'ils
n'en consomment, sera techniquement maîtrisée, elle pourrait
permettre de multiplier par cinquante la quantité d'énergie
produite à partir de l'uranium. Le potentiel des réserves connues
d'uranium atteindrait alors 1,5 million de tep, soit environ deux fois
plus que l'ensemble des réserves énergétiques fossiles.
Mais trois pays au monde seulement ont atteint le stade du prototype industriel
de surgénérateur, avec des résultats mitigés :
la Russie, la France et le Japon.
L'intérêt stratégique du nucléaire tient surtout
au fait que le prix du combustible est un élément mineur du
coût de revient final du KWh, dont il ne représente que 10 %
.
Le cycle électronucléaire est coûteux surtout en
investissements et en entretien. Il en résulte que son équilibre
économique est relativement indifférent au prix de l'uranium.
Les cours de l'uranium sont durablement orientés à la baisse,
mais ils pourraient doubler du jour au lendemain sans que cela entraîne
un choc pour les utilisateurs d'électricité d'origine
nucléaire.
2. Une situation contrastée selon les Etats membres
Pour bien saisir les tenants et aboutissants du débat sur l'énergie nucléaire dans l'Union européenne, il ne faut jamais perdre de vue que la situation est contrastée selon les Etats membres, qui ont fait des choix très différents en la matière.
a) Le parc européen de centrales nucléaires
L'Union européenne dispose aujourd'hui du premier parc de centrales nucléaires, loin devant les autres zones économiques du monde.
Tranches nucléaires - capacités installées et prévues au 1 er janvier 1996
|
Couplées au réseau |
En construction |
||
|
Nombre d'unités |
GWh |
Nombre d'unités |
GWh |
Belgique |
7 |
5,6 |
- |
- |
Finlande |
4 |
2,3 |
- |
- |
France |
56 |
58,5 |
4 |
5,8 |
Allemagne |
21 |
22.7 |
- |
- |
Pays-Bas |
2 |
0,5 |
- |
- |
Espagne |
9 |
7,0 |
- |
- |
Suède |
12 |
10,0 |
- |
- |
Royaume-Uni |
35 |
12,9 |
- |
- |
Union européenne |
146 |
119,5 |
4 |
5,8 |
Source : Commission européenne - Programme
Indicatif
Nucléaire 1996
Pour actualiser ce panorama datant de 1996, il convient de préciser que
trois des quatre tranches nucléaires alors en construction en France ont
été depuis couplées au réseau, portant la
capacité du pays à 61,7 GWh.
Avec une capacité totale de production d'électricité
d'origine nucléaire de plus de 120 GWh en 1999, l'Union
européenne représente 40 % des capacités
électronucléaires mondiales, estimées à
353,5 GWh. L'Europe se classe loin devant les Etats-Unis (98,1 GWh),
le Japon (43,5 GWh), la Russie (19,8 GWh), le Canada (14,9 GWh),
et l'Ukraine (12,1 GWh).
Toutefois, sur les quinze Etats membres, huit seulement sont dotés de
centrales nucléaires : la Belgique, la Finlande, la France,
l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Espagne, la Suède et le Royaume-Uni.
Les situations des deux pays précurseurs pour le nucléaire en
Europe ne sont pas comparables. La France dispose du parc nucléaire
à la fois le plus nombreux en unités et le plus puissant. Le parc
nucléaire du Royaume-Uni, vieillissant, est le deuxième par le
nombre d'unités, mais le troisième seulement par la puissance,
derrière l'Allemagne et presque à égalité avec la
Suède. Ces deux derniers pays se sont dotés plus tardivement de
centrales nucléaires modernes, d'une grande puissance unitaire.
Les centrales nucléaires installées en Europe de l'Ouest sont
principalement de deux types : réacteurs à eau sous pression
(REP ou PWR en anglais), qui sont issus de la technologie Westinghouse, et
réacteurs à eau bouillante (REB, ou BWR en anglais), qui sont
issus de la technologie General Electric. Ces deux standards de
réacteurs utilisent de l'uranium enrichi comme combustible et de l'eau
ordinaire comme fluide transmetteur de chaleur, à la différence
des réacteurs de technologie canadienne qui utilisent de l'eau lourde.
Le Royaume-Uni a également développé un standard qui lui
est propre de réacteur à uranium enrichi refroidi par gaz (AGR),
auquel elle a renoncé en raison de ses piètres performances.
La Finlande dispose de deux réacteurs à eau sous pression de
conception soviétique, qui ont été modifiés pour
être mis aux normes de sûreté occidentales.
b) La production européenne d'électricité
Les
choix d'équipement en centrales nucléaires se reflètent
dans les répartitions nationales entre les différentes sources
d'électricité au sein de l'Union européenne.
Même parmi les huit Etats membres qui ont fait le choix du
nucléaire, les situations sont très variables.
Le cas
des Pays-Bas, où le nucléaire assure moins de 5 % de la
production nationale d'électricité, est marginal. La Finlande,
l'Allemagne, l'Espagne et le Royaume-Uni ont une capacité
nucléaire de l'ordre du tiers de leur production nationale
d'électricité. Seuls trois Etats membres ont fait le choix de
produire une électricité majoritairement d'origine
nucléaire : la Suède (52,5 %), la Belgique
(56,9 %) et la France (77,5 %).
La moyenne communautaire s'établit ainsi à 35,3 %
d'électricité d'origine nucléaire.
Mais cette moyenne
recouvre des situations très disparates, puisqu'à peine la
moitié des Etats membres recourt à l'énergie
nucléaire et qu'une minorité d'entre eux en a fait sa source
principale d'électricité.
Par l'importance de sa production d'électricité
nucléaire, la France se trouve dans une situation unique en Europe.
Alors qu'elle n'assure que 21,3 % de la production européenne
d'électricité, proportion correspondant à la taille
relative de son économie, elle représente 46,7 % de la
production européenne d'électricité nucléaire.
Répartition par pays de la production européenne d'électricité en 1997
|
Part de la production totale d'électricité |
Part de la production d'électricité nucléaire |
Autriche |
2,28 % |
0,00 % |
Belgique |
3,16 % |
5,10 % |
Danemark |
2,22 % |
0,00 % |
Finlande |
2,88 % |
2,29 % |
France |
21,26 % |
46,73 % |
Allemagne |
23,05 % |
19,01 % |
Grèce |
1,77 % |
0,00 % |
Irlande |
0,80 % |
0,00 % |
Italie |
10,14 % |
0,00 % |
Luxembourg |
0,05 % |
0,00 % |
Pays-Bas |
3,54 % |
0,49 % |
Portugal |
1,43 % |
0,00 % |
Espagne |
7,21 % |
6,63 % |
Suède |
5,80 % |
8,62 % |
Royaume-Uni |
14,41 % |
11,13 % |
Source : Commission européenne - Direction
générale de l'Energie
La France est ainsi, de loin, le premier producteur européen
d'électricité nucléaire, devant l'Allemagne et le
Royaume-Uni.
B. UNE RÉPONSE À L'ÉVOLUTION FUTURE DES BESOINS
Afin de poser le débat sur l'énergie nucléaire dans l'Union européenne sur des bases pragmatiques, il est utile de s'intéresser à la fois aux perspectives d'évolution de la consommation énergétique en Europe, et aux perspectives de développement des solutions alternatives au nucléaire.
1. Le dynamisme de la consommation d'énergie en Europe
a) Une hausse de la demande d'énergie à l'horizon 2020
L'Union européenne est l'une des régions du monde les plus consommatrices d'énergie. En 1997, elle a consommé 1 407 millions de tep, soit environ 30 % du total de la consommation d'énergie primaire de l'OCDE et 15 % de la consommation mondiale, alors qu'elle ne représente que 6 % de la population de la planète.
Répartition par région de la consommation énergétique mondiale
(en millions de tep)
|
1980 |
1990 |
1997 |
Stocks |
109.0 |
117.6 |
131.9 |
Union européenne |
1240.8 |
1314.2 |
1406.9 |
Reste de l'OCDE |
2565.2 |
2852.2 |
3246.2 |
dont Amérique du Nord |
2103.6 |
2259.6 |
2541.7 |
dont Japon-Australie-NZ |
430.4 |
540.1 |
633.2 |
Europe centrale et orientale |
354.2 |
333.4 |
289.5 |
CEI |
1131.9 |
1347.8 |
911.1 |
Afrique |
260.2 |
363.8 |
425.2 |
Moyen-Orient |
133.5 |
237.2 |
329.3 |
Asie |
1148.4 |
1732.2 |
2350.7 |
Amérique latine |
288.8 |
339.1 |
435.8 |
Total |
7273.2 |
8686.1 |
9579.4 |
Source : Commission européenne - Direction
générale de l'énergie
Toutefois, si l'on raisonne en termes " d'intensité
énergétique ", selon l'expression consacrée, l'Union
européenne apparaît comme l'une des zones les plus
économes.
Avec une consommation de 237 tep par million d'euros de PIB, les Quinze
ont l'un des ratios les plus faibles, seul le Japon faisant mieux.
Intensités énergétiques dans le monde en 1997
|
en tep/habitant |
en tep/M. d'euros de PIB |
Union européenne |
3,76 |
237 |
Amérique du Nord |
6,51 |
426 |
Japon-Australie-NZ |
4,27 |
214 |
Europe centrale et orientale |
2,39 |
1392 |
CEI |
3,12 |
2180 |
Afrique |
0,57 |
926 |
Moyen-Orient |
2,07 |
797 |
Asie |
0,76 |
1124 |
Amérique latine |
1,10 |
493 |
Monde |
1,63 |
477 |
Source : Commission européenne - Direction
générale de l'énergie
Les perspectives d'évolution du parc électronucléaire
européen sont étroitement liées aux prévisions
d'évolution de la consommation d'énergie dans l'Union.
Compte tenu du niveau de développement atteint par les Etats membres, la
demande d'énergie y est moins dynamique que dans d'autres régions
du monde. En effet, les économies développées à
haut niveau de vie se caractérisent par des ratios de consommation
d'énergie par habitant élevés mais stables. Dans ces
économies industrialisées, les équipements de confort et
de transport personnels sont très répandus : de ce fait,
l'accroissement des revenus est orienté vers des biens et services peu
intensifs en énergie. Globalement, la hausse de la demande
d'énergie tend à épouser la croissance de la population.
La Direction générale de l'Energie de la Commission a
publié en novembre dernier une étude prospective sur
l'énergie dans l'Union européenne à horizon 2020.
Cette projection repose sur une hypothèse d'amélioration
significative du ratio d'intensité énergétique
européen, déjà l'un des plus bas du monde, à un
rythme de 1,5 % par an. En effet, un découplage entre
l'augmentation des besoins d'énergie et la croissance économique
devrait résulter d'une modification qualitative de cette
dernière, de plus en plus fondée sur des biens et services
à haute valeur ajoutée, ainsi que de l'amélioration
technologique continue des modes d'utilisation de l'énergie.
En dépit de cette intensité énergétique accrue, la
demande d'énergie dans l'Union européenne passerait de
1 454 Mt en 2000 à 1 612 Mt en 2020, soit une
augmentation de 11 %.
Besoins d'énergie primaire dans l'Union européenne
(en millions de tep)
|
1995 |
2010 |
2020 |
2030 |
Combustibles solides |
238 |
207 |
182 |
218 |
Pétrole |
578 |
606 |
655 |
663 |
Gaz naturel |
274 |
338 |
401 |
431 |
Nucléaire |
205 |
223 |
227 |
199 |
Electricité |
1 |
1 |
2 |
3 |
Energies renouvelables |
72 |
79 |
88 |
100 |
TOTAL |
1 368 |
1 454 |
1 556 |
1 612 |
Source : Commission européenne - Direction
générale de l'énergie
Cette augmentation déjà significative des besoins
d'énergie primaire recouvre une augmentation encore plus forte des
besoins en électricité, qui est la forme d'énergie
caractéristique des économies postindustrielles. La demande
d'électricité s'accroîtrait de 1,9 % par an jusqu'en
2010 et de 1,6 % par an entre 2010 et 2020, ce ralentissement du rythme de
croissance traduisant les gains d'efficience technologique.
b) Une aggravation prévue de la dépendance énergétique
Face
à cette demande accrue, la production d'énergie dans l'Union
européenne est orientée à la baisse. Les énergies
fossiles se tariraient dans leurs trois composantes (combustibles solides,
pétrole et gaz naturel) tandis que les énergies renouvelables ne
se développeraient pas suffisamment pour compenser cette baisse de
ressources.
En ce qui concerne le nucléaire, la projection de la Commission
européenne s'en tient à une double hypothèse de gel du
parc de centrales nucléaires installées ou en construction, et de
prolongation de la durée de vie des installations jusqu'à
40 ans.
Cette hypothèse neutre se traduit par une
légère augmentation de la production
électronucléaire entre 2000 et 2010, avec la mise en service des
centrales encore en construction, suivie d'une diminution plus marquée
entre 2010 et 2020, avec la fermeture des centrales nucléaires les plus
anciennes.
Production d'énergie primaire dans l'Union européenne
(en millions de tep)
|
1995 |
2000 |
2010 |
2020 |
Combustibles solides |
137 |
110 |
86 |
70 |
Pétrole |
162 |
165 |
129 |
99 |
Gaz naturel |
167 |
204 |
191 |
141 |
Nucléaire |
205 |
223 |
227 |
199 |
Hydroélectricité |
25 |
27 |
27 |
29 |
Biomasse |
44 |
53 |
53 |
57 |
Energies renouvelables |
3 |
9 |
9 |
14 |
TOTAL |
743 |
782 |
721 |
609 |
Source : Commission européenne - Direction
générale de l'énergie
On remarque que, dans la présentation de cette projection, les besoins
d'énergie nucléaire sont, par construction, identiques aux
capacités de production européennes.
Globalement, l'écart croissant entre les besoins et la production
d'énergie dans l'Union européenne se traduirait par une forte
augmentation de son taux de dépendance énergétique.
Vers 2020, les Quinze dépendraient des importations de pays
extra-communautaires pour près des deux tiers de leur consommation
d'énergies fossiles.
Taux de dépendance énergétique de l'Union européenne |
|
|
|
|
|
|
|
|
(en pourcentage des besoins) |
||
|
1995 |
2000 |
2010 |
2020 |
|
Combustibles solides |
39,5 |
46,7 |
52,8 |
67,8 |
|
Pétrole |
72,9 |
74,4 |
81,7 |
86,1 |
|
Gaz naturel |
39,9 |
39,5 |
52,4 |
67,3 |
|
TOTAL |
46,4 |
47,6 |
55,- |
63,4 |
Source : Commission européenne - Direction
générale de l'énergie
La méthodologie de l'exercice de projection conduit par la Direction
générale de l'Environnement n'est pas exempte de toute critique.
L'étude se fonde sur la continuation des tendances actuelles, sans
changement des politiques énergétiques menées aujourd'hui,
ni rupture technologique. Or, ce genre d'extrapolation mécanique n'est
valable qu'à très court terme, mais n'est guère pertinent
à l'horizon de vingt ans qui a été retenu.
Les auteurs de l'étude admettent d'ailleurs implicitement cette limite
méthodologique, puisqu'ils précisent :
"
Les
perspectives de l'énergie nucléaire constituent l'une des
incertitudes clefs de cette projection
.
Le nucléaire peut jouer
un rôle très significatif pour la réduction des
émissions de gaz à effet de serre au-delà de 2010.
"
Son impact variera selon que les capacités massives des
centrales nucléaires devant être fermées entre 2015 et 2030
seront remplacées par d'autres centrales nucléaires ou par des
centrales thermiques.
" En dépit des restrictions qui freinent l'expansion de
l'énergie nucléaire, il est apparu, compte tenu de la haute
sensibilité aux prix du pétrole et du gaz, que le rôle du
nucléaire pourrait être significatif
".
2. Les limites des solutions alternatives
Les partisans d'un abandon progressif ou anticipé du nucléaire n'ignorent pas que les besoins d'énergie en Europe restent dynamiques et que les sources d'énergie fossiles ne sont pas inépuisables. Mais ils font valoir qu'il existe des solutions alternatives au nucléaire.
a) La promotion communautaire des énergies renouvelables
La
Commission européenne a présenté en 1997 un Livre Blanc
sur les sources d'énergie renouvelables
(1(
*
))
qui définit une stratégie communautaire pour la promotion des
énergies renouvelables. Ce document part du constat que le niveau de
maturité technologique atteint aujourd'hui par celles-ci est tout
à fait satisfaisant.
Les technologies
hydroélectriques
sont maîtrisées
depuis longtemps, et couvrent une large gamme de puissance, les toutes petites
puissances apportant une réponse qualitative en milieu isolé.
La
biomasse
recouvre, d'une part, les valorisations de déchets
agricoles, forestiers, industriels ou urbains et, d'autre part, les biomasses
régénérées (exploitation forestière ou
cultures à vocation énergétique). La valorisation de la
biomasse recouvre trois grandes filières :
- la combustion de la biomasse sèche, dont le développement
est envisageable sur les réseaux de chauffage collectifs,
éventuellement en association avec les énergies fossiles ;
- la production de méthane à partir de biomasse humide, qui
offre des perspectives intéressantes pour le traitement des
déchets agricoles ou ménagers et peut répondre à un
besoin local de chaleur ou de production d'électricité ;
- les biocarburants, techniquement réalistes mais encore
concurrencés par les produits pétroliers, et dont le
développement est subordonné à des considérations
de politique agricole.
L'énergie
éolienne
a atteint une maturité
suffisante pour couvrir des marchés aussi différents que
l'électrification de sites isolés ou la production
d'électricité sur les grands réseaux. Une évolution
technologique qui pourrait favoriser cette source d'énergie est le
développement de plates-formes éoliennes
offshore
, qui
limiteraient les contraintes d'espace et d'environnement.
Les technologies
solaires
sont aujourd'hui mûres pour la
production d'eau chaude à basse température, destinée au
chauffage ou à un usage sanitaire, la production
décentralisée d'électricité et la production sur
réseau par des centrales thermodynamiques solaires.
L'énergie
géothermique
est techniquement viable, d'une
part, pour la production d'électricité à partir de vapeur
sèche à haute température et, d'autre part, pour le
chauffage localisé des bâtiments par des pompes à chaleur.
Les énergies renouvelables sont donc techniquement crédibles,
et occupent d'ailleurs déjà une place non négligeable chez
certains Etats membres.
Quatre pays recourent aux énergies renouvelables dans une proportion
significative : le Portugal (15,7 %), la Finlande (21,3 %),
l'Autriche (24,3 %), et la Suède (25,4 %). Ces
résultats appréciables s'expliquent, pour le Portugal, par une
utilisation importante de la biomasse traditionnelle dans le secteur
résidentiel, et pour les trois autres Etats membres, par la mise en
valeur d'un important potentiel forestier et hydraulique.
Part
des sources d'énergie renouvelables
dans la consommation
intérieure brute d'énergie (en %)
|
1990 |
1995 |
Autriche |
22,1 |
24,3 |
Belgique |
1,0 |
1,0 |
Danemark |
6,3 |
7,3 |
Finlande |
18,9 |
21,3 |
France |
6,4 |
7,1 |
Allemagne |
1,7 |
1,8 |
Grèce |
7,1 |
7,3 |
Irlande |
1,6 |
2,0 |
Italie |
5,3 |
5,5 |
Luxembourg |
1,3 |
1,4 |
Pays-Bas |
1,3 |
1,4 |
Portugal |
17,6 |
15,7 |
Espagne |
6,7 |
5,7 |
Suède |
24,7 |
25,4 |
Royaume-Uni |
0,5 |
0,7 |
Union européenne |
5,0 |
5,3 |
Source : EUROSTAT
Toutefois, la Commission estime, dans son Livre Blanc, que la part des
énergies renouvelables dans la consommation énergétique de
l'Union européenne ne reflète pas leur véritable potentiel
technologique de développement.
Elle propose donc de mettre en oeuvre en leur faveur une politique
communautaire volontariste venant en complément des plans nationaux
visant à les promouvoir.
Ce plan d'action communautaire s'appuie sur un instrument financier, le
programme ALTENER, mis en place précédemment. Le programme
ALTENER I, pour la période 1993-1997, était doté de
40 millions d'euros. Le programme ALTENER II, pour la période
1998-2002, est doté de 22 millions d'euros.
L'objectif fixé est de doubler la part des énergies
renouvelables dans la consommation énergétique de l'Union
européenne, de 6 % actuellement à 12 % en 2010.
Dans sa résolution sur le Livre Vert qui a précédé
le Livre Blanc, le Parlement européen s'est même prononcé
en faveur d'un objectif de 15 %.
Parallèlement, la Commission a préconisé un effort
particulier sur les économies d'énergie, dans une communication
de 1998
(2(
*
))
.
Le potentiel économique
d'amélioration de l'efficacité énergétique entre
1998 et 2010 est estimé à environ 18 % de la consommation
annuelle totale d'énergie de 1995.
Ainsi, le projet de directive
visant à réduire la consommation d'énergie des appareils
électroménagers, actuellement en cours de discussion, devrait
permettre aux pays de l'Union européenne d'économiser
l'équivalent de la consommation d'électricité annuelle du
Portugal.
Cette action s'appuie sur des programmes technologiques, tels que
Joule-Thermie, et sur un programme pluriannuel pour la promotion de
l'efficacité énergétique (SAVE). Le programme SAVE II
est doté de 66 millions d'euros pour la période 1998-2000.
b) Les obstacles au développement des énergies renouvelables
Outre
leur contribution à la diminution des émissions de gaz à
effet de serre, les énergies renouvelables présentent le double
avantage de réduire la dépendance de l'Union vis-à-vis des
importations et d'être fondées sur des technologies de pointe
créatrices d'emplois et d'exportations. Sur ces nouveaux
créneaux, les Etats membres détiennent souvent des positions
mondialement dominantes, qu'il leur appartient de conforter.
Toutefois, ces sources d'énergie nouvelles ont leurs propres
contraintes et limites
. La biomasse pose des problèmes pratiques de
transport et de stockage, qui la rendent impropre à un usage intensif
dans les zones urbanisées. L'énergie éolienne
entraîne une pollution sonore de voisinage et est dévoreuse
d'espace. A titre d'illustration, si l'on remplaçait toutes les
centrales nucléaires d'Europe par des éoliennes
perfectionnées, d'une puissance unitaire pouvant atteindre 1 GWh,
celles-ci occuperaient une bande de 10 kilomètres de large sur
3.200 kilomètres de long. L'énergie solaire reste soumises aux
variations de l'ensoleillement selon les latitudes et les saisons, même
si les nouvelles techniques de cellules photovoltaïques
intégrées aux surface des bâtiments ouvrent des
perspectives intéressantes.
Indépendamment de ces limites, qui ne sont pas rédhibitoires, la
commercialisation des énergies renouvelables tarde à
décoller en raison de coûts d'investissement élevés
par rapport aux énergies fossiles et du manque de confiance des
investisseurs, des pouvoirs publics et des utilisateurs.
Le total des investissements nécessaires dans l'Union
européenne pour atteindre l'objectif d'un doublement des énergies
renouvelables entre 1997 et 2010 est estimé par la Commission
européenne à 165 milliards d'euros, ce qui correspondrait
à une augmentation de 30 % du montant des investissements dans le
secteur de l'énergie.
L'objectif fixé d'un doublement de la part de 6 % des
énergies renouvelables dans la consommation énergétique
européenne apparaît particulièrement ambitieux quand on
constate que l'hydroélectricité représente actuellement
à elle seule 4 %.
En effet, pratiquement tous les sites pertinents pour de grandes installations
hydroélectriques sont déjà équipés dans les
pays de l'Union, et l'équipement des rares sites restants se heurte
à une vive opposition de la part des populations concernées.
En dehors du petit hydroélectrique, la quasi-totalité des
progrès espérés reposera donc sur les autres formes
d'énergies renouvelables, qui restent moins maîtrisées.
Un développement de grande ampleur en Europe de ces sources
d'énergies nouvelles ne repose pas uniquement sur des progrès
technologiques, mais suppose de repenser tout à la fois les
réseaux de production et de distribution d'énergie, les modes de
transport, les structures de production industrielle, les formes d'architecture
et d'urbanisme, etc. Cette remarque ne signifie pas qu'il est vain de
promouvoir les énergies renouvelables dans le cadre économique et
social actuel. Mais elle implique que leur contribution ne pourra atteindre un
seuil significativement supérieur qu'à long terme, à
l'issue d'un effort d'investissement constant et multiforme.
Par ailleurs, dans son intervention en faveur des énergies
renouvelables, l'Union européenne se heurte à sa propre logique
libérale.
Ainsi, la proposition de directive sur les énergies
renouvelables à laquelle travaille actuellement la Commission pourrait,
paradoxalement, remettre en cause les systèmes d'aides nationaux.
L'Allemagne, en particulier, est opposée à ce texte qui, dans son
état actuel, la contraindrait à renoncer à son
système de prix garantis au producteur et d'aides fiscales à
l'investisseur. D'ores et déjà, le Danemark a dû modifier
son système d'aides au développement des éoliennes, afin
qu'il repose sur des quotas obligatoires de consommation et non plus sur des
subventions aux producteurs, estimées non conformes au droit
communautaire.
L'objectif de 12 % d'énergies renouvelables pour l'ensemble de l'Union
européenne en 2010, aussi souhaitable soit-il, apparaît ainsi peu
réaliste. Il est d'ailleurs révélateur que l'étude
prospective précitée de la Direction générale de
l'Energie ne retienne pas cette hypothèse avant 2020.
Au regard des chiffres, votre rapporteur constate que les énergies
renouvelables ne peuvent pas être considérées comme une
solution alternative à l'énergie nucléaire, du moins
à moyen terme.
Le bon sens commande de sortir d'une logique de compétition entre ces
deux types d'énergie. Pour faire face à ses besoins futurs,
l'Union européenne ne pourra se passer d'aucune d'entre elles.
C. UNE FILIÈRE ÉNERGÉTIQUE COMPÉTITIVE
La
controverse relative à l'énergie nucléaire ne porte pas
uniquement sur ses risques et ses inconvénients, mais aussi sur son
intérêt économique intrinsèque.
Les partisans du nucléaire font valoir que cette filière
énergétique permet de produire de l'électricité en
masse et à bas prix. Ses adversaires estiment qu'elle n'est pas si
rentable lorsque l'on prend en compte la totalité des coûts. Votre
rapporteur a donc cherché à se faire une opinion sur ce point
essentiel du débat.
Après avoir rappelé l'enjeu que représente l'industrie
nucléaire européenne, il convient d'examiner les bases de la
compétitivité de la filière électronucléaire
par rapport aux autres sources de production d'électricité, et
les conséquences de la libéralisation du marché
européen de l'électricité.
1. Une industrie concentrée et exportatrice
Les entreprises productrices d'électricité qui exploitent des centrales nucléaires sont, par définition, réparties dans les huit Etats membres qui ont fait ce choix énergétique. Mais l'industrie nucléaire proprement dite, qui fournit à ces entreprises les réacteurs et le combustible, est bien plus concentrée et n'intéresse en fait qu'un très petit nombre de pays européens.
a) Une concentration croissante pour la construction de réacteurs
Jusqu'à très récemment, les constructeurs
de
centrales nucléaires étaient au nombre de trois seulement dans
l'Union européenne : Framatome (France), Siemens (Allemagne) et
Asean Brown Boveri (Suède/Suisse).
Chacune de ces trois entreprises a forgé sa compétence sur son
marché national respectif avant de s'internationaliser par des
exportations ou des participations. Framatome a acquis une expérience
précieuse dans les réacteurs à eau pressurisée
(REP), grâce à la standardisation sans équivalent du
programme nucléaire français, tandis que ABB est le
spécialiste européen des réacteurs à eau bouillante
(REB) et que Siemens maîtrise les deux technologies.
La concentration de ce secteur d'activité, déjà forte,
est en train de se renforcer.
En effet, Framatome et Siemens ont
annoncé en décembre 1999 leur intention de fusionner leurs
activités nucléaires dans une société
contrôlée à 66 % par la première. Les deux
entreprises collaboraient déjà au sein d'une filière
commune, Nuclear Power International, pour le développement de
l'European Pressurized water Reactor (EPR).
Ce rapprochement, qui doit
encore recevoir l'aval de la Commission européenne, portera le nouveau
groupe au premier rang mondial, devant les américains Westinghouse et
General Electric et le canadien Candu reactors.
En 1999, le chiffre d'affaires de Framatome dans le domaine nucléaire
devrait être de 2 milliards d'euros, pour un effectif de
9 000 personnes. Pour Siemens, le chiffre d'affaires serait de
1,1 milliard d'euros et le nombre d'employés de 4 100.
La décision du gouvernement allemand d'abandonner le nucléaire,
comme l'absence de décision du gouvernement français relative au
lancement d'un premier prototype de l'EPR, n'ont sans doute pas
été étrangères à la décision de
Siemens de se séparer de ses activités nucléaires.
Quasi simultanément, le 30 décembre 1999, ABB a rendu publique
son intention de céder ses activités nucléaires à
British Nuclear Fuels Limited (BNFL). Le prix de vente serait de
3,1 milliards de francs, ce qui correspond à un an de chiffre
d'affaires, et 3 000 salariés sont concernés.
BNFL, dont le métier d'origine est le traitement du combustible,
s'était déjà diversifiée au mois de mars 1999, en
rachetant les activités nucléaires du constructeur
américain Westinghouse.
Framatome était également
intéressée par le rachat des activités nucléaires
d'ABB mais a dû renoncer, car une concentration Framatome-Siemens-ABB
dans ce secteur se serait vraisemblablement heurtée au veto de la
Commission européenne.
Celle-ci n'a pas encore donné son aval
aux deux concentrations annoncées.
b) Un quasi duopole pour la production de combustibles nucléaires
Dans le
secteur des combustibles, la concentration de l'industrie nucléaire
européenne est aussi grande que dans celui de la construction des
réacteurs. Il convient de distinguer ici selon les différentes
étapes du cycle du combustible.
1. Pour la
production d'uranium naturel
, la Cogema est le seul
producteur européen, avec une production de 6000 tonnes qui la situe au
deuxième rang mondial, derrière le canadien Cameco (10 500
tonnes).
2. Pour la
conversion des concentrés d'uranium
en
hexafluorure d'uranium, opération nécessaire préalable
à l'enrichissement du minerai, cinq grands convertisseurs couvrent la
quasi-totalité du marché mondial. Le numéro un mondial est
la Cogema, via sa filiale Comurhex. Au sein de l'Union européenne, seul
BNFL possède également des capacités de conversion.
Capacités annuelles de conversion de l'uranium dans
l'Union
(en tonnes)
|
1995 |
2000 |
France (Comurhex) |
14 000 |
15 500 |
Royaume-Uni (BNFL) |
6 000 |
6 000 |
Source : Commission européenne - PINC 96
3. En ce qui concerne
l'
enrichissement de l'uranium
, deux
consortiums internationaux se partagent le marché européen :
Eurodif, sous contrôle majoritaire français, et Urenco, consortium
néerlando-germano-britannique.
Capacités annuelles d'enrichissement de l'uranium dans
l'Union
(en 10 3 Unités de Travail de Séparation (UTS)
|
1995 |
2000 |
2010 |
France (Eurodif) |
10 800 |
10 800 |
1 0 800 |
Allemagne/Pays-Bas/Royaume-Uni (Urenco) |
3 450 |
4 000 |
4 500 |
Source : Commission européenne - PINC 96
4. La
fabrication des combustibles
est l'étape du cycle de
l'uranium qui était jusqu'à présent la moins
concentrée dans l'Union européenne, puisque l'on compte cinq
entreprises productrices : FBFC, filiale commune de Framatome et Cogema en
France et en Belgique ; Siemens en Allemagne, Enusa en Espagne, ABB Atom
en Suède et BNFL au Royaume-Uni.
Capacités annuelles de fabrication de
combustible
à base d'uranium dans l'Union
(en tonnes de métal lourd)
|
1995 |
2000 |
France/Belgique (FBFC-Cogema) |
1 550 |
1 550 |
Allemagne (Siemens) |
950 |
400 |
Espagne (ENUSA) |
220 |
250 |
Suède (ABB Atom) |
400 |
600 |
Royaume-Uni (BNFL) |
1 920 |
1 920 |
Source : Commission européenne - PINC 96
5. Pour la
fabrication de combustible MOX
, par recyclage du
plutonium présent dans les combustibles usés, la Cogema est la
seule entreprise européenne disposant de capacités
opérationnelles, soit 190 tonnes par an dans ses trois usines de
Cadarache, Marcoule et Ressel. Toutefois, BNFL envisage de mettre bientôt
en service une unité de production d'une capacité de 120 tonnes
par an dans son usine de Sellafield.
6. Enfin, pour le
retraitement des combustibles usés
, la
Cogema et BNFL sont les deux seules entreprises européennes à
disposer de capacités industrielles sur leurs sites respectifs de La
Hague (1 600 tonnes par an) et Sellafield (900 tonnes par an).
Ainsi, dans le secteur des combustibles nucléaires, la Cogema est la
seule entreprise de l'Union européenne présente à toutes
les étapes du cycle, avec une position à chaque fois dominante.
La décomposition de son chiffre d'affaires par activité est donc
particulièrement significative.
Chiffre d'affaires 1998 de la Cogema par activité
|
en MF |
en M€ |
Mines |
2 851 |
435 |
Enrichissement |
7 871 |
1 200 |
Combustibles |
2 582 |
394 |
Retraitement |
14 712 |
2 243 |
Ingénierie et services |
3 421 |
521 |
TOTAL |
31 437 |
4 793 |
Source : Cogema
L'autre grande entreprise européenne spécialisée dans les
combustibles nucléaires, le britannique BNFL, avait un chiffre
d'affaires moitié moindre en 1998, de 1,487 milliard de livres.
c) Une industrie pourvoyeuse d'emplois et exportatrice
Le
Programme indicatif nucléaire pour la Communauté (PINC)
adopté en 1996 par la Commission relève que
" plus de 90
% du coût de l'énergie nucléaire correspond à des
services fournis par des opérateurs économiques de l'Union
européenne. Ce secteur a donc largement recours, directement ou
indirectement, à la main-d'oeuvre indigène ".
Selon cette même source, le cycle du combustible, la construction des
centrales nucléaires, les services et les équipements de
l'industrie nucléaire, la production d'électricité et les
organismes de sûreté fournissent plus de 220 000 emplois,
souvent hautement qualifiés, dont 100 000 en France, 40 000 en
Allemagne, 40 000 au Royaume-Uni, 15 000 en Espagne, 10 000 en
Belgique, 7 000 en Suède et 4 000 en Finlande.
A la fois
directement et indirectement, l'industrie nucléaire procure du travail
à 400 000 personnes en Europe.
Les emplois chez les producteurs d'électricité, qui sont les plus
nombreux, ne sont pas vraiment spécifiques à l'industrie
nucléaire. En effet, les exploitants ont besoin de personnel aussi bien
dans les centrales thermiques classiques que dans les centrales
nucléaires.
Toutefois, la " teneur en emplois " de la filière
nucléaire est plus élevée en exploitation que celle de la
filière gaz : 105 emplois par TWh/an pour la première,
contre 70-85 emplois par TWh/an pour la seconde. La filière charbon fait
un peu mieux, avec 100 emplois par TWh/an, en raison de l'intensité en
emplois des activités d'extraction. Mais, compte tenu du déclin
des mines de charbon européennes, il s'agit d'emplois localisés
dans des pays tiers.
Pourvoyeuse d'emplois, l'industrie nucléaire européenne est
aussi exportatrice.
S'agissant des ventes de centrales à l'étranger, le marché
mondial s'est rétréci en raison du gel des programmes
nucléaires dans la plupart des pays concernés, sauf en Asie.
Néanmoins, les constructeurs européens, forts de leur
savoir-faire technologique, parviennent encore à emporter des
marchés face à leurs concurrents américains, russes et
canadiens.
Framatome a exporté deux tranches nucléaires en Afrique du Sud,
deux en Corée et deux en Chine, où il est en train d'en
construire deux autres. ABB est en train de construire deux tranches
nucléaires en Corée du Sud. Siemens a exporté une tranche
nucléaire au Brésil et une en Argentine, où elle est en
train d'en construire une autre.
Mais, indépendamment des ventes de centrales neuves qui deviennent
rares, les constructeurs européens exportent des équipements,
ainsi que des services de conseil et de maintenance pour le parc
installé. Ainsi, dans le chiffre d'affaires nucléaire de
Framatome, les services représentent 24 % et les équipements
28 %, alors que la part des réalisations nouvelles n'est que de
11 % (le solde de 38 % correspond au combustible nucléaire).
S'agissant des combustibles nucléaires, la répartition du chiffre
d'affaires de la Cogema est caractéristique des capacités
exportatrices de ce secteur. Avec un montant de 12,7 milliards de francs en
1998, les ventes à l'étranger de la Cogema représentent
40 % de son chiffre d'affaires total. La répartition
géographique de ces exportations est retracée dans le tableau
suivant :
Répartition géographique des exportations de la Cogema en 1998
|
en MF |
en M€ |
Europe |
5 930 |
904 |
Asie |
4 274 |
652 |
Amérique du Nord |
1 930 |
294 |
Autres pays |
586 |
89 |
TOTAL |
12 720 |
1 939 |
Source : Cogema
Cette même année, BNFL a réalisé 490 millions de
livres d'exportations, soit 33 % de son chiffre d'affaires.
Ce rapide tour d'horizon montre que les enjeux purement industriels du
nucléaire en Europe, même s'ils ne sont pas déterminants
aux yeux des adversaires de cette filière énergétique,
sont néanmoins importants.
Votre rapporteur relève toutefois qu'un très petit nombre d'Etats
membres est intéressé à ces aspects industriels, encore
inférieur à celui des Etats membres concernés par
l'exploitation de centrales nucléaires. En pratique, après la
cession des activités nucléaires d'ABB à BNFL et la fusion
de celles de Siemens et Framatome, l'Europe se retrouvera dans une situation de
quasi duopole franco-britannique.
Ce fait politiquement important ne doit jamais être perdu de vue par tout
observateur du débat sur l'énergie nucléaire au sein de
l'Union européenne.
2. Les bases de la compétitivité du nucléaire
Rappelons que la décision prise par certains pays
occidentaux
d'engager des programmes électronucléaires de grande ampleur a
été provoquée par le premier choc pétrolier de
1973, et confortée par le second choc pétrolier de 1979. A
l'époque, il s'agissait d'un choix stratégique, dans lequel les
considérations de sécurité d'approvisionnement et
d'indépendance ont été déterminantes.
Mais avec la baisse ultérieure des cours du pétrole et le
" contre-choc " pétrolier de 1986, les considérations
de rentabilité comparée des différentes filières
énergétiques sont redevenues d'actualité. Il est
aujourd'hui légitime de s'interroger sur la compétitivité
économique réelle de la filière nucléaire,
au-delà de la conjoncture qui a favorisé son décollage.
Votre rapporteur peut ici s'appuyer sur l'excellent rapport relatif aux
coûts de production de l'électricité fait en février
1999 par MM. Christian Bataille et Robert Galley, dans le cadre de l'Office
parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
(3(
*
))
.
a) L'importance des investissements et des économies d'échelle
Par
comparaison avec les autres modes de production d'électricité, le
nucléaire se caractérise par l'importance des investissements
nécessaires. Les dépenses d'investissement représentent
plus de 60 % des coûts de production pour une centrale
nucléaire, contre un peu plus de 20 % pour une centrale à
gaz.
C'est pourquoi il est plus rentable, pour un pays qui veut développer
une filière nucléaire nationale complète et autonome, de
se doter d'un parc de centrales nucléaires étendu, afin de
répartir les frais d'études et de conception sur un grand nombre
d'unités. Encore faut-il que ce parc soit standardisé autour d'un
modèle unique de centrale nucléaire, ce qui est le cas en France,
en Allemagne et en Suède, mais moins vrai au Royaume-Uni. Les
économies d'échelle résultant de la standardisation sont
amplifiées par l'augmentation de la puissance des centrales mises en
service : 900, puis 1300 et 1450 MWh pour la France.
L'allongement de la durée de vie économique des installations
contribue également à diminuer la part des investissements dans
le coût de revient du KWh.
Les centrales nucléaires
françaises ont été conçues initialement pour
être amorties sur 20 ans. Leur durée de vie a
été portée successivement à 25, puis à 30
ans, et pourrait bientôt atteindre 40 ans.
Inversement, le renforcement constant des normes de sûreté des
centrales nucléaires tend à accroître le coût
d'investissement initial.
Enfin, le taux de disponibilité des centrales nucléaires,
c'est-à-dire la proportion du temps où elles sont effectivement
en phase de production, qui est un paramètre essentiel de leur
rentabilité économique, tend à s'améliorer.
Grâce à l'expérience accumulée, le fonctionnement
des centrales nucléaires européennes est mieux
maîtrisé en exploitation, tandis que l'amélioration de la
qualité des combustibles a permis d'espacer les opérations de
rechargement des réacteurs, pendant lesquelles la production
d'électricité doit être suspendue. Ainsi, les pays de
l'Union européenne ont les taux de disponibilité les plus
élevés du monde.
S ource : EDF
On
remarquera que la France est l'Etat membre dont les centrales nucléaires
ont le taux de disponibilité le plus faible. Cela s'explique par le fait
que, depuis 1997, le parc français est entré dans une phase de
grosses opérations d'entretien destinées à prolonger la
durée de vie des réacteurs nucléaires au-delà du
terme initialement prévu. Leur taux de disponibilité s'en trouve
abaissé en dessous de leur niveau habituel, qui est plus proche de
90 %.
Néanmoins, même avec un taux de disponibilité anormalement
bas de 82,6 %, la France se classe encore devant les Etats-Unis
(81,6 %), le Japon (80,8 %), le Canada (65,4 %) et la Russie
(65,3 %).
Le projet d'EPR conçu par Framatome et Siemens s'est fixé pour
objectif un taux de disponibilité de 90 %.
b) Une compétitivité réelle pour une exploitation en base
La marge
de compétitivité du nucléaire par rapport aux modes de
production d'électricité à partir d'énergies
fossiles tend à se réduire en raison des progrès
technologiques réalisés par ces derniers au cours des
dernières années.
Bénéficiant des technologies de l'aéronautique, les
récentes turbines à gaz à cycle combiné atteignent
un taux de rendement énergétique
(4(
*
))
supérieur à 50 %, alors que celui des réacteurs
nucléaires avoisine les 35 %. Même une filière plus
traditionnelle comme le charbon à réussi à
améliorer considérablement son taux de rendement. Les
chaudières à charbon pulvérisé et les
chaudières à lit fluidisé récemment
développées atteignent un taux de rendement de 45 %.
Un concept de réacteur actuellement à l'étude, le HTGR
(High Temperature Gaz Cooled Reactor
,
pourrait permettre
d'élever à 50 % le taux de rendement
énergétique de la filière nucléaire. Dans
l'immédiat, grâce à l'économie de combustible sur
laquelle elle repose, la filière nucléaire actuelle reste
comparativement compétitive, comme le montre le tableau ci-dessous,
extrait du dernier Programme indicatif nucléaire commun.
Coûts comparés de la production d'électricité aux prix de 1991
(en écus/1000 KWh)
|
Investissement |
Exploitation et entretien |
Combustible |
TOTAL |
Taux d'actualisation de 5 % par an
Nucléaire |
11 - 22 |
3,7 - 12 |
4 - 8 |
22 - 40 |
Charbon |
7 - 15 |
3,7 - 11 |
13 - 26 |
26 - 74 |
Gaz |
4,5 - 9 |
1,8 - 5,2 |
19 - 42 |
26 - 56 |
Taux d'actualisation de 10 % par an
Nucléaire |
19 - 74 |
4 - 12 |
4,5 - 7 |
33 - 60 |
Charbon |
15 - 26 |
7 - 11 |
13 - 26 |
33 - 60 |
Gaz |
7 - 17 |
2,2 - 5,2 |
19 - 38 |
30 - 60 |
Source : Agence pour l'Energie nucléaire de
l'OCDE
Ce tableau montre que le nucléaire, pour un taux annuel d'actualisation
de 5 %, a une fourchette de coût d'investissement supérieure
de moitié à celle du charbon et double de celle du gaz. Pour un
taux d'actualisation de 10 %, sa fourchette de coût d'investissement est
plus du double de celle du charbon, et plus du triple de celle du gaz.
En revanche, quel que soit le taux d'actualisation retenu, la fourchette de
coût du combustible du nucléaire est près de quatre fois
inférieure à celle du charbon, et près de sept fois
inférieure à celle du gaz.
Au total, la filière nucléaire est nettement plus
économique que les deux filières à énergies
fossiles, pour un taux d'actualisation de 5 %, et reste à leur
niveau de compétitivité, pour un taux d'actualisation de 10 %.
Cette analyse comparative de coûts appelle deux remarques.
Premièrement, la rentabilité du nucléaire, compte tenu
de l'ampleur et de la durée des investissements, est très
dépendante du taux d'actualisation retenu, qui reste une convention
comptable.
A l'inverse, une centrale à gaz est amortie en six
années. Mais la rentabilité future du nucléaire est
insensible aux aléas relatifs à l'évolution des cours de
l'uranium, à la différence des filières reposant sur des
énergies fossiles.
Deuxièmement, ces calculs de rentabilité sont valables pour un
fonctionnement des centrales nucléaires en base, c'est-à-dire de
manière continue toute l'année.
Pour faire face aux pointes
de la consommation d'électricité, qui fluctue beaucoup selon la
période de l'année et les heures de la journée, les
centrales thermiques classiques sont plus compétitives, parce que plus
souples d'usage.
Ces analyses économiques comportent enfin des marges d'incertitude
relatives aux coûts de démantèlement, à la gestion
des déchets radioactifs et au coût d'un éventuel accident
nucléaire.
L'estimation du coût de démantèlement d'une centrale
nucléaire est fondée sur l'expérience acquise lors des
opérations de déclassement des réacteurs de recherche,
ainsi que des expériences étrangères. Les premiers
résultats du démantèlement de la centrale française
de Brennilis montrent que le taux de 15 % des investissements
provisionné par EDF est plausible. Le savoir-faire acquis au fur et
à mesure des démantèlements permettra d'ailleurs
probablement d'en abaisser le coût.
L'incertitude, comme le relevait la Cour des Comptes dans son rapport public
pour 1998, est plus de nature financière qu'économique. Il n'est
pas évident de conserver dans le temps, en maintenant leur valeur et
leur liquidité, des provisions pour charges futures aussi
importantes.
Les coûts liés au traitement et à la gestion sur de
très longues périodes des déchets nucléaires n'ont
pas pu être évalués de manière précise par
les auteurs du rapport précité de l'Office parlementaire
d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
Ceux-ci se risquent toutefois dans leur conclusion à
l'appréciation suivante :
"on estime à l'heure
actuelle que le coût de gestion de l'aval du cycle représente 5
à 10 % du coût du kilowattheure. Avec une gestion
intégrée et complète de l'ensemble du cycle, la
dépense devrait passer à environ 20 % du coût total.
Ce coût est évidemment à comparer à celui de la
gestion des déchets produits dans d'autres filières
énergétiques. (...) La seule base de comparaison dont on peut
faire état est celle du coût de désulfuration d'une
centrale thermique à charbon qui est de l'ordre de 10 à 20 % du
coût du KWh produit. L'aval du cycle nucléaire
représenterait donc une dépense d'un ordre de grandeur
parfaitement acceptable ".
Enfin, les coûts liés à un accident nucléaire ne
peuvent être pris en compte dans les prix de revient que d'une
manière probabiliste, par nature sujette à débats.
Mais
votre rapporteur, considérant l'accumulation des années
d'expérience sans accident majeur et l'amélioration constante des
techniques de sûreté, estime que le risque d'accident est
in
fine
plus un problème d'appréciation politique qu'une
question de calcul économique.
3. Les implications de la libéralisation du marché européen de l'électricité
a) Les principes de la directive relative au marché intérieur de l'électricité
Après la seconde guerre mondiale, les Etats aujourd'hui
membres de la Communauté européenne ont développé
leurs réseaux électriques à travers des
sociétés en situation de monopole, publiques ou privées.
C'est dans ce cadre monopolistique initial que les programmes
électronucléaires européens ont été mis en
oeuvre.
Mais, à partir des années 1980, le mouvement de
libéralisation du secteur électrique lancé aux Etats-Unis
s'est trouvé relayé en Europe par le Royaume-Uni, puis par la
Commission européenne. Celle-ci a considéré que les fortes
variations des prix de l'électricité d'un Etat membre à
l'autre, ainsi que leur niveau globalement élevé, trahissaient
une distorsion de concurrence dommageable à la
compétitivité des entreprises européennes et à
l'achèvement du marché intérieur. Elle a donc
proposé de libéraliser le marché européen de
l'électricité.
Une première étape, consensuelle, a été franchie
dès 1990 avec l'adoption de deux directives, sur la transparence des
prix de l'électricité
(5(
*
))
et sur le
transit de l'électricité entre Etats membres
(6(
*
))
.
La seconde étape, visant au démantèlement des monopoles
nationaux de production, d'importation et de production
d'électricité, a été beaucoup plus longue à
aboutir.
En effet, le cheminement de la directive du 19 décembre 1996 sur
les règles communes pour le marché intérieur de
l'électricité a été difficile. La
négociation de ce texte de libéralisation a duré sept
années, à partir de la présentation par la Commission d'un
avant-projet en 1989.
D'un côté, des Etats membres comme le Royaume-Uni et l'Allemagne
faisaient confiance à la concurrence pour assurer le bon fonctionnement
du marché européen de l'électricité. De l'autre
côté, des Etats membres comme la France mettaient l'accent sur les
contraintes de service public qui s'imposent à l'industrie
électrique, ainsi que sur la nécessité de maintenir une
programmation à long terme de la politique énergétique
intégrant les considérations de sécurité
d'approvisionnement.
Le texte finalement adopté en 1996 est un
compromis entre ces deux
positions
, qui repose sur les principes suivants :
- suppression du monopole de production et libéralisation des
marchés nationaux en trois paliers successifs, déterminés
par le niveau de consommation électrique des clients, dits
" consommateurs éligibles " : 40 GWh en 1999,
20 GWh en 2000 et 9 GWh en 2003, ces seuils correspondant à
des parts de marché, respectivement de 25 %, 28 % puis
30 % ;
- désignation dans chaque Etat d'un gestionnaire du réseau
de transport d'électricité, distinct de " l'opérateur
historique " ;
- accès des tiers au réseau sur la base d'un tarif public ou
négocié ;
- système d'appel d'offre ou d'autorisation pour la création
de nouvelles installations de production ;
- dissociation comptable entre les activités de production, de
transport et de distribution d'électricité, pour éviter
les distorsions de concurrence liées aux subventions
croisées ;
- possibilité pour les Etats d'imposer aux entreprises
électriques des missions de service public, sous réserve qu'elles
soient clairement définies, non discriminatoires et contrôlables.
La directive, entrée en vigueur le 19 février 1997, donnait
aux Etats membres deux ans pour sa transposition en droit interne. La France
est le seul pays, avec le Luxembourg, à n'avoir pas strictement
respecté cette échéance, la loi française de
transposition ayant été adoptée avec un an de retard
(7(
*
))
.
Ce texte permet aussi aux Etats membres de libéraliser plus rapidement
que prévu leurs marchés nationaux de l'électricité.
La France, la Grèce et le Portugal sont les seuls pays qui s'en tiennent
aux seuils minima d'ouverture fixés par la directive. L'Autriche, la
Belgique, le Danemark, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et
l'Espagne sont allés légèrement au-delà. La
Finlande, l'Allemagne, la Suède et le Royaume-Uni ont entièrement
libéralisé leurs marchés. Au total, le marché
européen de l'électricité est ouvert dès 2000 aux
deux tiers, mais avec de fortes disparités selon les Etats.
b) Des conséquences ambivalentes pour la filière électronucléaire
Le
processus de libéralisation du marché européen de
l'électricité constitue à la fois un risque et une chance
pour la filière électronucléaire.
Le premier effet de l'ouverture et de l'unification de marchés nationaux
de l'électricité jusque-là monopolistiques est une
pression à la baisse des prix au consommateur
, et une
compétition accrue entre les producteurs. Cet effet de concurrence est
d'autant plus fort que le rythme de progression de la consommation
d'électricité en Europe est freiné par les politiques
d'économies d'énergie, tandis que les capacités de
production installées sont globalement excédentaires.
Dans ce nouveau contexte, l'avantage va à la technologie des cycles
combinés au gaz, souple et peu exigeante en capital. Elle requiert un
investissement moindre que le nucléaire, qui peut être
réalisé en deux ans et récupéré sur six
années seulement. A cette échéance, le risque financier
inhérent aux fluctuations des cours du gaz est assez maîtrisable.
De son côté, la filière nucléaire apparaît
handicapée par l'importance des investissements nécessaires,
même si leur durée d'amortissement est extensible.
Par ailleurs, les coûts de démantèlement des centrales ou
de gestion des déchets peuvent s'avérer supérieurs aux
prévisions, et le durcissement des contraintes réglementaires de
sûreté peut renchérir les coûts d'exploitation. Le
producteur risque alors de se retrouver avec des marges très
étroites. Ce risque est d'autant plus grand que les centrales
nucléaires manquent de souplesse d'exploitation, et ne sont pleinement
rentables qu'en fonctionnement de base.
Toutefois, ces inconvénients sont de nature à
décourager surtout les entrants sur le marché et les nouveaux
investissements dans le nucléaire.
Au contraire, l'investissement
déjà réalisé peut constituer une véritable
rente pour les exploitants actuels de centrales nucléaires.
Le principal électricien européen, EDF, dispose ainsi de
capacités d'exportation sans équivalent grâce à un
parc de centrales nucléaires excédant les besoins du
marché français. Alors que son coût moyen de production du
KWh électronucléaire est de 18 à 20 centimes actuellement,
son coût marginal tombe à 11 centimes une fois
l'investissement initial amorti. La " surcapacité "
nucléaire de la France est communément estimée à
12 tranches de 900 MWh, soit 10 000 MWh. En fait, EDF n'a
guère d'autre choix que de trouver un exutoire dans les exportations
d'électricité pour rentabiliser ses investissements.
Cette situation propre à la France peut être
considérée comme une opportunité pour l'ensemble de
l'Union européenne, dont les entreprises bénéficient de
l'avantage compétitif procuré par le bas prix de
l'électricité française d'origine nucléaire.
Prix hors TVA de l'électricité dans l'industrie au 1 er juillet 1997
(France = base 100)
|
Grande industrie |
Petite industrie |
|
(consommation de 50 millions de kWh par an) |
(consommation de 160 000 kWh par an) |
Grèce |
96 |
90 |
France |
100 |
100 |
Danemark |
103 |
66 |
Luxembourg |
106 |
122 |
Belgique |
109 |
136 |
Pays-Bas |
111 |
129 |
Portugal |
116 |
112 |
Irlande |
121 |
134 |
Espagne |
124 |
96 |
Italie |
138 |
137 |
Allemagne |
140 |
131 |
Royaume-Uni |
146 |
129 |
Autriche |
151 |
142 |
Finlande |
nd |
69 |
Suède |
nd |
nd |
Source : EDF
Mais, dans un contexte de rapprochements et de fusions
accélérés entre les électriciens européens,
cet avantage historique d'EDF est parfois perçu comme une forme de
dumping
déloyal. Les gouvernements britannique et allemand se
sont ainsi offusqués des récentes prises de participation d'EDF
sur leurs marchés domestiques.
En effet, tirant les conséquences de la libéralisation du
marché européen de l'électricité, EDF cherche
actuellement à se diversifier hors du nucléaire par des prises de
participation dans les entreprises énergétiques des autres Etats
membres et par un rapprochement avec GDF. L'objectif est de parvenir à
une structure de production plus équilibrée, avec un socle de
66 % seulement d'électricité d'origine nucléaire, le
surplus étant fourni par des sources d'énergie plus flexibles.
Au total, il semble douteux aujourd'hui qu'un opérateur privé
sur le marché européen de l'électricité se lance
dans un projet d'investissement nucléaire. A cet égard, il est
significatif que Siemens et ABB se soient défaits de leurs
activités nucléaires au profit des groupes publics que sont
Cogema et BNFL.
De même, la privatisation en 1995 des centrales nucléaires au
Royaume-Uni n'a porté que sur les plus récentes, réunies
au sein de British Energy. Les plus anciennes sont restées dans le giron
public, gérées par Magnox Electric, qui a été
fusionné en 1997 avec BNFL. Récemment, le gouvernement de M. Tony
Blair a fait part de son intention de mettre sur le marché 49 % du
capital de BNFL d'ici le 1
er
juillet 2000.
Toutefois, en dépit de sa libéralisation, l'évolution du
marché européen de l'électricité ne dépend
pas seulement de la concurrence entre les entreprises. Les Etats ont
conservé une capacité réelle de régulation par
l'intermédiaire de deux instruments :
- d'une part, ils peuvent imposer aux entreprises électriques
"
des obligations de service public, dans l'intérêt
économique général, qui peuvent porter sur la
sécurité, y compris la sécurité
d'approvisionnement, la régularité, la qualité et les prix
de fourniture, ainsi que la protection de l'environnement
"
(8(
*
))
. Ces critères sont plutôt de nature
à avantager le nucléaire ;
- d'autre part, les Etats peuvent orienter les décisions
d'investissement, grâce aux mécanismes prévus par la
directive d'autorisations ou d'appels d'offre.
Le gouvernement britannique a ainsi décrété en
décembre 1997 le gel des autorisations de nouvelles centrales au gaz, en
raison du risque d'approvisionnement que ferait peser sur le pays le recours
exagéré à une seule source d'énergie primaire,
qualifié de
gaz rush.
Sur ce point, l'analyse du récent rapport sur le nucléaire
publié par la Documentation française
(9(
*
))
mérite d'être citée :
"
La directive sur le marché intérieur de
l'électricité laisse donc aux Etats membres la possibilité
de conserver, s'ils le souhaitent, une initiative certaine concernant la nature
des nouvelles installations de production électrique. Le
développement d'un projet nucléaire reste envisageable à
l'initiative des pouvoirs publics.
Une telle démarche nécessitera néanmoins la réunion
de conditions bien particulières : débouchés
assurés, prix garantis sur une période longue, et
visibilité réglementaire. Ce n'est que dans ces conditions que
les risques afférents au nucléaire tels qu'ils sont perçus
par les investisseurs, qu'ils soient privés ou publics, deviendront
acceptables.
Le nucléaire sera donc plus que jamais un choix
politique, et dépendra de la volonté des gouvernements à
le promouvoir
".
II. UN IMPACT SUR L'ENVIRONNEMENT SUJET À DÉBAT
L'intérêt stratégique et économique
de
l'énergie nucléaire pour l'Europe peut difficilement être
nié. Mais la contestation porte surtout sur l'impact environnemental du
nucléaire. Selon ses détracteurs, les inconvénients
environnementaux de cette source d'énergie seraient désastreux au
point de rendre négligeables ses atouts économiques.
Les rejets radioactifs constituent le principal risque du nucléaire,
qu'ils soient accidentels ou résultent du cycle d'exploitation normal.
Ce risque fait l'objet d'appréciations contradictoires, mais est la
cause de l'absence de consensus social et politique sur l'énergie
nucléaire en Europe. Les avantages du nucléaire pour la
réduction des émissions de gaz à effet de serre pourraient
toutefois modifier le point d'équilibre des opinions.
Votre rapporteur ne traitera pas du risque de prolifération,
c'est-à-dire de détournement des techniques du nucléaire
civil à des fins militaires ou terroristes, qui est le second grand
inconvénient de cette source d'énergie.
En effet, on peut
considérer que le risque de prolifération est inexistant au sein
des Etats membres de l'Union européenne, qui sont des pays pacifiques
bénéficiant déjà d'une dissuasion nucléaire,
soit en propre comme la France et le Royaume-Uni, soit sous le couvert
d'alliances militaires, telles l'OTAN et l'UEO.
Le risque de prolifération est surtout un obstacle à
l'exportation dans le reste du monde des technologies nucléaires
maîtrisées par les pays européens.
A. LES REJETS RADIOACTIFS, POINT FAIBLE DU NUCLÉAIRE
Les
rejets radioactifs les plus graves produits par la filière
nucléaire sont, bien sûr, ceux liés à un accident
d'exploitation majeur. Il s'agit d'un risque potentiel, mais bien réel,
qui doit être pris en compte dans toute appréciation des avantages
et des inconvénients de cette source d'énergie.
Même dans une situation normale, la filière nucléaire
produit des émissions radioactives pendant l'exploitation des centrales,
puis lors de la gestion des déchets. Ces rejets radioactifs sont
inévitables, et le débat porte sur la capacité à
les limiter ou à les maîtriser.
1. Le traumatisme de Tchernobyl
a) Les principes de la sûreté nucléaire
Les
objectifs fondamentaux de la sûreté nucléaire sont de
limiter les rejets d'effluents radioactifs dans l'environnement des centrales
en fonctionnement normal, de prévenir les incidents ou accidents
d'exploitation, et de minimiser les conséquences de ces
événements lorsqu'ils surviennent néanmoins.
Techniquement, les dispositifs permanents de sûreté d'une centrale
nucléaire ont pour fonction de maîtriser la
réactivité, de refroidir le combustible en évacuant
l'énergie produite, et de confiner les substances radioactives. Dans un
réacteur à eau pressurisé classique, on dénombre
trois barrières successives de confinement : la gaine du
combustible, l'enveloppe du circuit primaire et l'enceinte de confinement
extérieure. Cette dernière enceinte protège
également le réacteur d'agressions externes telles que
séismes, chutes d'avions ou tempêtes.
Les systèmes de " rattrapage " ont pour fonction de ramener
l'installation à une situation normale d'exploitation en cas d'incident
mineur, et les systèmes de " sauvegarde " ont pour fonction de
limiter les conséquences pour les populations et l'environnement en cas
d'accident.
Le concept de " défense en profondeur "
développé à l'origine aux Etats-Unis établit des
niveaux successifs de défense contre des accidents éventuels,
à partir de l'hypothèse qu'aucun système n'est
complètement fiable :
- le premier niveau vise à prévenir les défaillances
qui risquent de faire sortir l'installation de son fonctionnement normal ;
- le deuxième niveau établit des systèmes de
régulation et de contrôle qui permettent de détecter et
maîtriser les incidents mineurs avant qu'ils ne
dégénèrent en accidents, sans que l'interruption du
fonctionnement du réacteur soit nécessaire ;
- le troisième niveau a pour objet d'intégrer, dès la
conception de l'installation, des systèmes de sauvegarde qui permettent
de maîtriser les accidents pouvant se produire malgré les deux
premiers niveaux de défense ;
- le quatrième niveau est conçu pour les cas de
défaillances multiples et pour les situations qui n'ont pas
été prévues par les niveaux de défense
précédents. Ces " accidents hors dimensionnement "
partent de l'hypothèse que le réacteur a été
endommagé. L'objectif visé est de limiter les conséquences
de ces accidents, et notamment de gagner du temps pour permettre l'application
des mesures de protection des populations ;
- le cinquième niveau suppose l'échec des
précédents niveaux de défense, et vise à limiter
les conséquences radiologiques de rejets importants en
définissant les conditions d'évacuation des populations et de
contrôle pour la consommation des aliments contaminés.
La probabilité que surviennent des accidents au troisième niveau
est estimée en France entre une chance sur dix mille et une chance sur
un million par an et par réacteur. Par comparaison, on estime qu'un
barrage hydroélectrique a une chance sur dix mille par an de
céder.
La sûreté d'une installation nucléaire est d'abord de la
responsabilité de l'exploitant, qui est seul apte à mettre en
oeuvre les mesures la garantissant. Il doit toutefois en répondre devant
les autorités publiques en charge de la sûreté
nucléaire du pays, qui définissent les objectifs
généraux de sûreté lors de l'autorisation de mise en
service de chaque installation et préconisent certaines méthodes
dans l'élaboration des systèmes de sûreté.
Les dispositifs techniques et organisationnels de sûreté
nucléaire, conçus de manière rationnelle et prudente,
apparaissent crédibles. Toutefois, pas plus qu'aucune autre oeuvre
humaine, ils ne peuvent prétendre à l'infaillibilité. Les
accidents nucléaires, bien que rares, viennent le rappeler.
b) Le précédent de Three Mile Island
Dans
l'histoire encore relativement courte de l'énergie nucléaire, un
premier accident grave est survenu en 1957 dans le centre de stockage
soviétique de Kychtyn, qui a disséminé de grandes
quantités de substances radioactives dans la région de cette
ville industrielle de l'Oural, nécessitant l'évacuation de dix
mille personnes. Mais, compte tenu du contexte de la guerre froide, cet
événement n'a été connu à l'Ouest que
beaucoup plus tard et n'a donc pas eu d'effet sur les opinions publiques
européennes.
En revanche, l'accident survenu le 28 mars 1978 sur le réacteur
n° 2 de la centrale de Three Mile Island a constitué la
première remise en cause de la sûreté nucléaire dans
les pays occidentaux. Certes, les acteurs de l'industrie nucléaire
peuvent faire valoir, à juste titre, que cet accident a
démontré l'efficacité des enceintes de confinement,
puisqu'il a été sans conséquence radiologique à
l'extérieur de la centrale.
Mais cet accident a aussi démontré l'importance et la
fragilité du facteur humain, dans la maîtrise d'un accident
nucléaire.
En effet, l'équipe responsable de la surveillance de la centrale s'est
trouvée à la fois saturée de signaux d'alerte et
dépourvue de consignes à suivre, ce qui l'a conduit à
prendre des décisions erronées qui ont aggravé la
situation. Cette mauvaise présentation des consignes a été
depuis corrigée par la simplification des tableaux de contrôle et
la hiérarchisation des alarmes.
Le personnel de conduite et d'accompagnement est également apparu
insuffisamment formé à des conditions anormales d'exploitation.
Cette lacune a depuis été comblée par la mise en place
systématique de programmes de formation faisant recours à des
exercices d'alerte grandeur nature.
Au total, l'accident de Three Mile Island a montré que des incidents
considérés comme mineurs pouvaient fort bien, par un
enchaînement de circonstances, déboucher sur un accident majeur.
Une réévaluation générale de la sûreté
des installations nucléaires en a résulté.
Pour l'opinion publique, la conséquence majeure de cet
événement a été la prise de conscience que les
accidents nucléaires, jusque là pris en compte de manière
probabiliste par les spécialistes de la sûreté
nucléaire, constituent un risque réel pouvant se
concrétiser à tout moment.
Elle a marqué l'élargissement du débat sur la
sûreté nucléaire du domaine des scientifiques et des
industriels à celui des citoyens et des politiques.
c) Tchernobyl, catastrophe nucléaire et médiatique
L'état actuel du débat sur l'énergie
nucléaire dans l'Union européenne ne peut être compris
qu'à la lumière de l'accident de Tchernobyl, qui a
constitué un véritable traumatisme pour les opinions publiques
des Etats membres, dont les effets se font encore sentir aujourd'hui.
Le 27 avril 1986, vers une heure du matin, à la suite d'une
expérience conduite par les opérateurs en violation de toutes les
consignes de sûreté
(10(
*
))
, le
réacteur n° 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl
fait une poussée de puissance non contrôlée. Le coeur du
combustible entre en fusion, provoquant une explosion de vapeur qui
détruit les installations.
En l'absence d'une enceinte de confinement, les émissions radioactives
s'échappent librement dans l'atmosphère, formant un nuage
radioactif à plusieurs milliers de mètres d'altitude, dont les
retombées s'étendront les jours suivants à pratiquement
tous les pays d'Europe occidentale.
On dénombre trente-cinq décès immédiatement
consécutifs à l'accident de Tchernobyl. Dans une approche
épidémiologique, on peut estimer à cinq mille " morts
prématurées "
(11(
*
))
le nombre
des victimes de la catastrophe dans la population des environs
(135.000 personnes ont dû être évacuées) et
parmi les 600.000 " liquidateurs " qui sont intervenus sur le site et
dans ses alentours. Une épidémie de cancers de la thyroïde
a été observée chez les personnes âgées de
moins de 18 ans en 1986, qui a fait 1.400 morts de 1990 à 1997 et
perdure vraisemblablement.
Techniquement, il n'est guère possible de tirer des leçons de
l'accident survenu en Ukraine (alors partie de l'URSS) pour la
sûreté des centrales nucléaires installées dans
l'Union européenne. En effet, les réacteurs soviétiques
sont de conception différente.
Les réacteurs à eau
pressurisée de type VVER sont relativement proches des standards
occidentaux. Mais les réacteurs graphite-gaz de type RBMK, tel celui de
Tchernobyl, s'en distinguent radicalement. Tout au plus, le bilan de la
catastrophe permet-il de confirmer l'intérêt d'une enceinte de
confinement, qui fait défaut sur les réacteurs de type RBMK, et
l'importance décisive du facteur humain dans la sûreté
nucléaire.
En effet, dans les centrales de conception soviétique, la
sûreté de l'exploitation repose beaucoup plus sur le jugement des
opérateurs que dans les centrales de conception occidentale, où
elle se fonde d'abord sur des automatismes de contrôle inspirés
des techniques de l'aéronautique. Dans un cas, on a un " pilotage
à vue ", et dans l'autre, " un pilotage aux instruments ".
Cette liberté d'appréciation laissée aux exploitants peut
conduire à la catastrophe si, comme à Tchernobyl, ils en font
usage pour conduire une expérience-limite de variation de puissance du
réacteur, au mépris des règles de sûreté les
plus élémentaires, et en enchaînant les décisions
erronées d'une manière rétrospectivement suicidaire.
Le traumatisme de Tchernobyl a surtout montré l'importance de
l'information et de sa crédibilité dans la gestion d'un accident
nucléaire grave.
L'événement n'a d'abord
été connu en Occident qu'à travers une augmentation de la
radioactivité ambiante en Suède, avant d'être rendu public
trois jours après par les autorités soviétiques. Les
informations fournies par celles-ci semblent avoir été
sincères, à la lumière des connaissances actuelles, mais
cette temporisation a suffi pour les discréditer.
Quant aux informations et aux consignes diffusées par les
autorités publiques d'Europe occidentale, leur caractère parfois
trop péremptoire dans leur volonté de rassurer, et souvent
contradictoire d'un pays à l'autre, a accru l'inquiétude des
opinions publiques au lieu de l'apaiser. Les messages des autorités
publiques se sont ainsi trouvé décrédibilisés, et
brouillés par l'effet d'un emballement médiatique bien
compréhensible mais difficilement contrôlable.
Bien que l'augmentation de la radioactivité au-dessus de son niveau
naturel dans les Etats membres de l'Union n'ait été mesurable que
pendant environ une semaine et soit restée officiellement en
deçà des niveaux admissibles pour la santé humaine
(12(
*
))
, les opinions publiques européennes
ont conservé de l'événement le souvenir d'une exposition
à un risque majeur occulté, d'autant plus inquiétant qu'il
était invisible et minimisé par le discours des
autorités.
De toute façon, le fait que les retombées radioactives à
l'Ouest de Tchernobyl aient été infimes ne suffit pas à
rassurer, dans la mesure où l'effet des faibles doses d'irradiation est
lui-même objet de polémiques.
2. Le débat sur les normes de protection
Même dans des conditions d'exploitation normales, une
installation nucléaire expose à des radiations minimes le
personnel chargé de sa maintenance et rejette des effluents radioactifs
infimes dans l'environnement.
Ces conséquences inévitables de la technologie nucléaire
suscitent la méfiance de l'opinion publique, qui tend à croire
que toute radioactivité est nocive, si infime soit la dose.
a) Radioactivité naturelle et radioactivité artificielle
Afin de
mieux cerner l'enjeu du débat, il n'est pas inutile de situer la
radioactivité artificielle, résultat des activités
humaines, par rapport à la radioactivité naturelle.
En effet, notre environnement est naturellement radioactif. La moitié de
l'irradiation naturelle provient du radon, gaz radioactif provenant des roches
contenant de l'uranium qui est à l'origine d'une exposition par
inhalation. La concentration de radon dans l'air est très variable selon
la nature du sous-sol. Ce gaz est à l'origine d'une radioactivité
d'environ 65 becquerels/m
3
en France, de 20 Bq/m
3
au Royaume-Uni et de 100 Bq/m
3
en Suède. Le radon
tend à s'accumuler dans les bâtiments qui le retiennent
prisonnier : ainsi, on estime à 60.000 le nombre des logements
dépassant en France les normes sanitaires de concentration en radon.
La radioactivité naturelle est également issue des
réactions nucléaires produites dans les hautes couches de
l'atmosphère par les rayons cosmiques. Ceux-ci sont à l'origine
d'une exposition annuelle moyenne de l'ordre de 0,4 millisievert
(13(
*
))
, mais qui est plus forte à de hautes altitudes,
où l'atmosphère est moins épaisse.
La présence de thorium 233 et d'uranium 238 et 235 dans le sous-sol est
à l'origine d'une irradiation tellurique, par exposition externe, qui
est de l'ordre de 0,4 millisieviert par an en France. Mais cette valeur
moyenne recouvre de fortes variations selon les régions, le Limousin et
la Bretagne connaissant une radioactivité naturelle triple.
Enfin, des éléments radioactifs comme le potassium 40 et le
carbone 14 sont présents dans les organismes vivants. Ils sont
à l'origine d'une dose d'irradiation naturelle par ingestion de
0,4 millisievert en moyenne.
La radioactivité artificielle provenant des activités
médicales, militaires et industrielles, vient s'ajouter à la
radioactivité naturelle. La plus importante source de
radioactivité artificielle est de loin d'origine médicale :
elle correspond en moyenne à 50 % de la radioactivité
naturelle. Mais cette moyenne est peu significative, puisque seul un nombre
réduit de patients est concerné par rapport à l'ensemble
de la population.
La principale contribution des activités militaires à la
radioactivité artificielle résulte des retombées des
essais nucléaires en atmosphère qui ont été
conduits par les grandes puissances entre 1945 et 1966, avant leur
interdiction. Ces explosions nucléaires sont responsables encore
aujourd'hui d'un supplément de radioactivité de l'ordre de
1 %, principalement sous forme de césium 137,
élément radioactif dont la période de décroissance
est de trente ans.
La radioactivité artificielle provenant d'activités industrielles
est très faible. Elle touche principalement les travailleurs de
l'industrie électronucléaire et le personnel hospitalier.
En
ce qui concerne la population, les rejets radioactifs des installations
nucléaires sont à l'origine d'un supplément d'exposition
annuelle estimé à 0,02 millisievert par habitant.
Doses annuelles reçues par habitant selon les sources d'exposition
(en millisieverts)
Exposition moyenne d'origine naturelle |
2,4 |
Radon (inhalation) |
1,2 |
Tellurique (externe) |
0,4 |
Cosmique (externe) |
0,4 |
Alimentation (ingestion) |
0,4 |
Exposition résultant d'activités humaines |
1,2 |
Médical |
1,0 |
Industrie nucléaire, essais de bombes en atmosphère, autres activités |
0,2 |
Total annuel |
3,6 |
Source : Direction de la sûreté des installations nucléaires
b) Les incertitudes scientifiques
Les
effets des très faibles doses de radioactivité sur l'homme sont
l'objet d'un débat scientifique qui ne permet pas de départager
les adversaires et les partisans du nucléaire.
Les
effets déterministes
des fortes doses de rayonnements
ionisants sur l'organisme humain sont connus. Ils se manifestent lorsqu'un
nombre important de cellules a été détruit et que l'organe
touché ne peut plus accomplir sa fonction. Ces effets apparaissent
dès que l'irradiation dépasse le seuil de 200 millisieverts,
et sont mortels au-delà de 5 sieverts.
Les
effets stochastiques
des faibles doses de rayonnements ionisants
sont plus difficiles à saisir. Tout d'abord, parce qu'ils se manifestent
sous des formes retardées : cancers, le plus souvent, ou troubles
génétiques chez les descendants de la personne irradiée.
Ensuite, et surtout, parce que ces effets ne sont pas obligatoires. Ils n'ont
pas de seuil d'apparition certain, mais une probabilité d'apparition qui
augmente avec la dose reçue. En revanche, leur gravité est
indépendante de celle-ci : un cancer reste un cancer.
De ce fait, seule une approche épidémiologique portant sur un
large échantillon d'individus serait de nature à établir
scientifiquement une relation de causalité entre les très faibles
doses de radioactivité et les maladies pouvant en résulter. Mais
l'épidémiologie atteint ses limites sur ce sujet et n'est pas
concluante, comme le rappelle le récent rapport fait par M. Claude
Birraux dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix
scientifiques et technologiques
(14(
*
))
.
" Il est difficile de répondre à cette question par des
études épidémiologiques car le taux de mortalité
moyen dû au cancer dans les pays développés est de l'ordre
de 20 à 30 % et nous comptons en France environ
130 000 décès pour lesquels le cancer est la cause
identifiée, avec des fluctuations qui peuvent atteindre 3 % d'une
année sur l'autre, sans que les raisons en soient facilement
identifiables. Or, pour observer l'effet d'une dose de 10 millisieverts,
qui reste supérieure à l'irradiation naturelle moyenne, il
faudrait deux cohortes équivalentes de dix millions de personnes, ce qui
n'est pas réaliste. "
Faute de données épidémiologiques concluantes, la
polémique scientifique porte sur le point de savoir s'il existe un seuil
en deçà duquel les faibles doses sont totalement inoffensives, ou
si la courbe de risque tend vers zéro de manière continue.
c) L'application du principe de précaution
Les
autorités publiques qui ont à fixer les seuils
réglementaires d'exposition aux radiations pour la population et pour
les travailleurs exposés professionnellement peuvent s'appuyer sur les
recommandations de la Commission internationale pour la protection contre les
rayonnements (CIPR), organisme scientifique indépendant des
gouvernements.
En l'absence de résultats épidémiologiques
chiffrés, la CIPR a choisi d'appliquer un principe de précaution
en supposant néanmoins que le risque cancérigène existe
pour les très faibles doses. La Commission extrapole linéairement
la relation dose-effets qui a été établie pour les fortes
doses, supérieures à 50 millisieverts, en supposant qu'il
n'existe pas de seuil d'innocuité. Elle applique au résultat
obtenu un facteur de réduction de dose égal à deux.
Dans ses recommandations de 1990, la CIPR préconise l'abaissement du
taux de radiation admis de 50 millisieverts par an à
100 millisieverts sur cinq ans consécutifs avec un maximum de
50 millisieverts au cours d'une année pour les employés de
l'industrie nucléaire, et de 5 à 1 millisieverts par an pour
la population. Ces recommandations ont été
généralement adoptées par les pays dotés d'une
industrie nucléaire, et ont été repris par une directive
européenne de 1996
(15(
*
))
.
Il convient de souligner que les doses de radiation effectivement
reçues par les employés de l'industrie nucléaire sont
très inférieures à ces maxima réglementaires
déterminés de manière prudente.
En France, les doses reçues en 1997 par le personnel de l'industrie
nucléaire s'élèvent à 1 millisievert dans les
installation de retraitement, à 2 millisieverts dans les
installations d'enrichissement de l'uranium, à 2,6 millisieverts
dans les centrales nucléaires et à 7 millisieverts dans les
usines de production de combustible.
Les limites des rejets autorisés de gaz et de liquides radioactifs par
les installations nucléaires sont calculées de manière
à ce que la dose reçue par les employés et les personnes
résidant à proximité du site ne soit pas supérieure
au maximum fixé par la CIPR pour la population.
Là aussi, les effluents effectifs sont très inférieurs
aux limites autorisées.
En France, pour l'ensemble des centrales
nucléaires, les rejets liquides ne représentaient en 1997 que
0,5 % de la limite autorisée, et les effluents gazeux moins de
1 %. Seuls les effluents de tritium se rapprochaient plus sensiblement de
la limite autorisée : 31 % pour les centrales de 900 MWh,
et 41 % pour les centrales de 1 300 MWh.
Compte tenu de l'importance de cet écart, les pouvoirs publics
français sont en train de diviser par cinq, au fur et à mesure du
renouvellement des autorisations, la radioactivité maximale pouvant
être rejetée par les installations nucléaires, hors tritium
des effluents liquides.
L'application du principe de précaution aux rejets des installations
nucléaires a franchi une étape supplémentaire dans le
cadre de la Convention du 25 mars 1998 pour la protection du milieu marin
de l'Atlantique du nord-est, dite convention Oslo-Paris (OSPAR).
Réunis le 24 juillet 1998 au Portugal, au sein de la commission
ad hoc
prévue par la convention OSPAR, les ministres de
l'Environnement de l'Union européenne ont pris l'engagement de ramener
d'ici à 2020 les rejets de substances radioactives artificielles dans
l'océan Atlantique à des niveaux " proches de
zéro ".
Depuis l'adoption de cette " Déclaration de Sintra ", les
adversaires et les partisans du nucléaire en Europe se livrent à
une exégèse contradictoire pour déterminer à quels
niveaux concrets de radioactivité correspond l'expression " proches
de " zéro ".
3. Les incertitudes de la gestion des déchets nucléaires
Outre un
risque réel d'accident grave et des rejets radioactifs
inévitables, la filière électronucléaire implique
la production de déchets radioactifs. Actuellement, le débat sur
l'énergie nucléaire dans l'Union européenne tend à
se focaliser sur ce dernier aspect du problème.
En effet, le risque d'accident peut être maîtrisé
jusqu'à devenir infime, tandis qu'une nocivité significative des
effluents radioactifs n'a pas été démontrée.
En revanche, alors que la filière électronucléaire
parvient à maturité et que la première
génération de centrales approche de la fin, l'accumulation de
déchets radioactifs est une réalité incontournable. Or, le
devenir de ces déchets n'est pas encore clairement fixé.
a) Des volumes relativement limités
La
classification des déchets produits par l'industrie nucléaire
repose à la fois sur leur niveau de radioactivité et sur leur
" durée de vie " définie par la période,
c'est-à-dire le temps nécessaire pour que leur
radioactivité diminue de moitié.
Sur la base de ces deux critères, on distingue trois catégories
de déchets radioactifs :
- les
déchets de type A
, à faible et moyenne
activité (entre 100 et 1 000 becquerels par gramme) et
à vie courte (période de moins de 30 ans), qui proviennent
des opérations d'exploitation des centrales ;
-
les déchets de type B
, à moyenne
activité, mais à vie longue (période supérieure
à 30 ans), qui proviennent du fonctionnement des installations de
fabrication et de retraitement du combustible, ainsi que des matériaux
de structure des éléments combustibles ;
-
les déchets de type C
, à forte activité
et composés d'éléments à la fois à vie
courte et à vie longue, qui proviennent des combustibles irradiés
et sont incorporés dans des matrices de verre.
L'aval de la filière nucléaire produit une quatrième
catégorie de
déchets de très faible
activité
, dont la radioactivité est inférieure
à 100 becquerels par gramme, qui sont les gravats et ferrailles
provenant du démantèlement des centrales nucléaires
désaffectées.
Pour bien saisir les données du problème, il est important
d'avoir une idée des quantités et des volumes concernés.
Si l'on prend le cas de la France, la production annuelle de déchets
de toute nature est de l'ordre de trois tonnes par habitant, dont 500 kg
de déchets ménagers, 100 kg de déchets chimiques
toxiques et moins de 1 kg de déchets radioactifs.
Par catégorie, les déchets A représentent 930 g
par an et par habitant, les déchets B représentent
6,6 g par an et par habitant, et les déchets C
représentent 3,3 g par an et par habitant.
En volume, toujours pour la France, l'Agence Nationale de gestion des
Déchets Radioactifs (ANDRA) estime que la production entre 1998 et 2020
sera de 250 000 m
3
pour les déchets de très
faible activité, de 330 000 m
3
pour les
déchets de faible et moyenne activité à vie courte, de
80 000 m
3
pour les déchets de moyenne
activité à vie longue et de 6 000 m
3
pour
les déchets vitrifiés à haute activité.
La Direction générale de l'Environnement de la Commission
européenne, dans une récente communication sur la gestion des
déchets radioactifs
(16(
*
))
, estime la
production dans l'Union européenne de déchets radioactifs
conditionnés, toutes catégories confondues, à environ
50 000 m
3
par an.
Les partisans de la filière nucléaire peuvent donc faire
valoir, avec une apparence de raison, que celle-ci produit des volumes de
déchets très limités par comparaison avec d'autres
activités industrielles, qui génèrent des déchets
hautement toxiques en quantités très supérieures. En
outre, les déchets radioactifs sont soigneusement confinés et
recensés, alors qu'il n'en va pas toujours de même pour les
déchets chimiques.
Votre rapporteur admet la pertinence de ces observations. Il n'en reste pas
moins que des solutions doivent bien être trouvées pour le devenir
de ces déchets radioactifs, aussi limités soient-ils.
b) Faut-il recycler les combustibles irradiés ?
Les
combustibles irradiés constituent les déchets de loin les plus
radioactifs produits par l'industrie nucléaire. Ils sont composés
à 96 % d'uranium 235 légèrement enrichi et de
1 % de plutonium hautement énergétique, dont un gramme peut
produire autant d'énergie qu'une tonne de pétrole. Les 3 %
restants sont constitués de produits de fission et actinides mineurs
(neptunium, américium, curium) dépourvus de valeur
énergétique.
Dès lors, deux modes fondamentaux de gestion des combustibles
usés sont concevables :
- le
stockage direct
consiste à considérer les
éléments combustibles irradiés comme des déchets
ultimes dès le premier cycle d'utilisation et à les stocker en
formation géologique profonde, après une période de
refroidissement d'au moins cinquante années en entreposage de
surface ;
- le
traitement-recyclage
consiste à considérer les
éléments combustibles irradiés comme une ressource
énergétique et à en extraire l'uranium et le plutonium
valorisables.
L'uranium 235 peut être utilisé dans les réacteurs
après enrichissement, l'uranium 238 associé au plutonium
peut être utilisé dans les réacteurs à neutrons
rapides, et le plutonium lui-même peut être utilisé dans les
réacteurs combinés avec de l'uranium sous forme de combustible
MOX
(Mixed Oxyde Fuel).
Le retraitement présente certains avantages. D'une part, il
réduit considérablement la masse des déchets. Même
si les opérations de retraitement génèrent
elles-mêmes des déchets radioactifs dits
" technologiques ", le volume final des déchets est
divisé par cinq.
D'autre part, en extrayant le plutonium, le retraitement divise par dix la
radiotoxicité des déchets ultimes. En effet, deux cents ans
après la sortie du réacteur, la radiotoxicité du plutonium
représente encore près de 90 % de la radiotoxicité du
combustible usé.
Face à ces avantages, le retraitement présente aussi des
inconvénients. D'une part, il comporte un risque de détournement
à des fins militaires du plutonium extrait. C'est en raison de ce risque
de prolifération que les Etats-Unis ont interrompu en 1977 leur propre
programme de recyclage des combustibles nucléaires usés, et
engagé depuis une croisade diplomatique mondiale contre le plutonium.
D'autre part, le retraitement, par les stockages intermédiaires et les
opérations physico-chimiques complexes qu'il implique, est une source
supplémentaire d'exposition aux radiations des travailleurs de
l'industrie nucléaire. De même, par les trajets qu'il
nécessite entre les réacteurs, les centres de retraitement et les
usines de fabrication de combustibles MOX, le retraitement est à
l'origine d'une part importante des transports de matières radioactives,
sujet sensible pour l'opinion publique.
Les considérations économiques ne permettent pas non plus de
départager les avantages et les inconvénients du
retraitement-recyclage. L'usage de combustible MOX, s'il complique sensiblement
les opérations pour l'exploitant des centrales nucléaires, n'a
pas un coût de revient significativement supérieur à
l'usage d'uranium enrichi.
In fine
,
la décision de recycler ou non les combustibles
nucléaires usés reste un choix politique, dans lequel les
considérations stratégiques de sécurité
d'approvisionnement et de réduction du volume des déchets ultimes
sont primordiales
.
Alors que les Etats-Unis ont renoncé au retraitement-recyclage tandis
que la Russie, le Japon et la Chine le poursuivent, les pays européens
se montrent partagés sur ce point. Seules la France, l'Allemagne et la
Belgique, auxquelles il faut ajouter, hors Union européenne, la Suisse,
autorisent certaines de leurs centrales nucléaires à utiliser du
combustible MOX.
La " moxification " des réacteurs nucléaires en Europe
|
Nombre de réacteurs en service |
Réacteurs autorisés MOX |
Réacteurs " moxés " |
Premier chargement en combustibles MOX |
France |
58 |
20 |
19 |
1987 |
Allemagne |
21 |
11 |
10 |
1972 |
Belgique |
7 |
2 |
2 |
1995 |
Suisse |
5 |
4 |
3 |
1984 |
Source : Cogema
Deux autres Etats membres, le Royaume-Uni et les Pays-Bas, n'utilisent pas de
combustible MOX dans leurs centrales nucléaires, mais retraitent
néanmoins leurs combustibles usés.
Par ailleurs, la France et le Royaume-Uni sont les deux seuls pays occidentaux
à disposer de capacités industrielles de retraitement, avec
l'usine Cogema de La Hague et l'usine BNFL de Sellafield. Les autres Etats
membres leur envoient donc pour retraitement leurs combustibles
nucléaires usés, le Japon faisant de même.
Ce caractère international du retraitement des combustibles
nucléaires usés pose un problème de principe. Les opinions
publiques n'admettent pas l'idée de stocker sur le territoire national
des déchets nucléaires d'origine étrangère.
Pour la France, la loi Bataille de 1991
(17(
*
))
prévoit le retour des combustibles, après retraitement, dans leur
pays d'origine. Mais, au rythme actuellement envisagé pour les convois
de retour, il faudra vingt ans pour que la totalité des déchets
étrangers accumulés à l'usine de La Hague reparte
dans les pays d'origine.
c) Comment stocker les déchets définitifs ?
Que l'on
opte pour le retraitement-recyclage ou pour le stockage direct, il est dans
tous les cas nécessaire de trouver des solutions pour le stockage des
déchets nucléaires définitifs.
Les solutions actuellement envisagées sont scientifiquement acceptables.
Le stockage terrestre en surface pendant quelques centaines d'années
peut suffire pour les déchets de type A, qui représentent
90 % du volume mais pas plus de 1 % de la radioactivité du
total des déchets produits.
Pour les déchets très faiblement actifs, un usage banalisé
comme des remblais peut même être envisagé. Dans la mesure
où elle pourrait favoriser des fuites frauduleuses de déchets
plus radioactifs, cette solution est toutefois dénoncée par le
récent rapport sur la politique française de stockage des
déchets nucléaires fait par Mme Michèle Rivasi, dans
le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques
et technologiques
(18(
*
))
.
Compte tenu de leur radioactivité élevée et de leur
grande durée de vie, les déchets de type B et C
nécessitent encore plus de précaution.
Le stockage en formation géologique profonde apparaît comme une
solution adaptée à des déchets qui, pour certains d'entre
eux, demeurent radioactifs pendant des millions d'années. Le rapport
précité de MM. Christian Bataille et Robert Galley sur
l'aval du cycle nucléaire estime que, à condition de multiplier
les barrières s'opposant à une migration éventuelle des
radioéléments et d'inclure ceux-ci dans des matrices de verre
adéquates, l'immobilisation des déchets radioactifs sur la
durée requise est garantie, sauf intervention humaine accidentelle ou
séisme.
Cette appréciation s'appuie sur des modélisations
mathématiques à partir d'observations expérimentales, mais
aussi sur l'étude du gisement d'uranium d'Oklo, au Gabon, dans lequel
les restes de quinze " réacteurs naturels " ont
été découverts en 1977. Ces réactions atomiques
enclenchées grâce à une concentration naturellement
suffisante du minerai se sont poursuivies pendant cinq cents ans, il y a deux
milliards d'années, avant de s'éteindre. Les produits de fission
radioactifs sont restés piégés quasiment sur place.
Scientifiquement crédibles, les solutions de stockage en formation
géologique profonde tardent à être politiquement mises en
oeuvre.
L'une des raisons pouvant expliquer ce retard est le débat relatif
à la réversibilité. Il s'agit là d'une question
éthique, qui engage la responsabilité des décideurs
actuels à l'égard des générations futures. Une
forme irréversible de stockage des déchets nucléaires
présente l'avantage de décharger les générations
futures de toute obligation de gestion et de surveillance. Mais elle peut les
exposer à un risque en cas d'accident géologique.
Une forme réversible de stockage impose un suivi permanent des
déchets de génération en génération. Mais la
reprise des combustibles usés pourrait être justifiée dans
deux hypothèses. La première serait une perte de confinement
dangereuse pour l'environnement. La seconde serait un progrès suffisant
des recherches sur la transmutation des radioéléments
(19(
*
))
pour permettre une diminution notable de leur
radiotoxicité.
La réversibilité a un coût important, car elle oblige
à renforcer les conditions de sûreté et suppose une
durabilité inhabituelle pour tout un ensemble de technologies et
d'équipements. Cette notion séduisante semble toutefois avoir la
faveur de tous les pays européens concernés, dans la mesure
où elle permet de préserver les voies qui pourraient être
ouvertes par les progrès scientifiques futurs.
Actuellement, aucun des Etats membres de l'Union européenne n'a
dépassé le stade des études et enquêtes
préalables pour le stockage définitif des déchets
nucléaires hautement radioactifs.
La Belgique mène des études dans un laboratoire souterrain
implanté dans une couche argileuse, à plus de
200 mètres de profondeur sous le site nucléaire de Mol.
En France, la construction d'un laboratoire souterrain en site argileux a
été autorisé dans la Meuse, et des prospections sont en
cours dans l'ouest du pays pour l'implantation d'un second laboratoire en site
granitique. Le choix de sites définitifs de stockage a été
repoussé à 2006.
En Allemagne, des travaux expérimentaux sont conduits dans le
laboratoire souterrain de la mine de sel de Morsleben. S'agissant des sites de
stockage profond, la mine de sel de Gorleben est prospectée, pour les
déchets dégageant de la chaleur, et l'ancienne mine de fer de
Konrad fait l'objet d'une procédure d'autorisation, pour les autres
déchets.
La Suède conduit des expériences en site granitique dans le
laboratoire souterrain d'Äspö, mais le dépôt d'une
demande d'autorisation pour un centre de stockage ne devrait pas intervenir
avant 2003.
Au Royaume-Uni, si l'industrie nucléaire a pu procéder à
des forages de puits afin de tester le site de Sellafield, la construction d'un
laboratoire souterrain lui a été refusée pour l'instant.
La commission de la Science et de la technologie de la Chambre des Lords s'est
prononcée en faveur de la création d'un centre de stockage
profond, mais le gouvernement a répondu qu'il ne prendrait aucune
décision avant d'avoir procédé à de larges
consultations.
La Finlande est l'Etat membre le plus avancé dans la voie d'une solution
définitive, puisqu'elle vient de désigner le site retenu pour
l'enfouissement de ses déchets nucléaires, à plusieurs
centaines de mètres sous le socle granitique scandinave. Mais la
construction du dépôt souterrain ne devrait démarrer qu'en
2010.
Certes, la lenteur des décisions peut s'expliquer par la
complexité des études scientifiques préalables, et par la
nécessité de convaincre les populations localement
concernées.
Votre rapporteur estime vraisemblable que cette lenteur trahit surtout la
répugnance des gouvernements européens à trancher dans un
domaine aussi sensible pour leurs opinions publiques.
Cette attitude de temporisation est encouragée par le fait qu'il n'y a
pas d'urgence technique, puisque les déchets radioactifs doivent d'abord
refroidir en étant provisoirement entreposés en surface une
cinquantaine d'années.
Mais elle compromet de manière grave la crédibilité de
toute la filière électronucléaire. En effet, tant qu'un
centre d'enfouissement des déchets radioactifs en formation
géologique profonde ne fonctionnera pas dans chacun des Etats membres
concernés, un doute subsistera dans l'esprit des citoyens
européens sur la pérennité du cycle nucléaire.
B. UNE CONSÉQUENCE : L'ABSENCE DE CONSENSUS POLITIQUE
La
vigueur du débat sur les inconvénients environnementaux,
réels ou supposés, de l'énergie nucléaire explique
que celle-ci ne bénéficie pas dans l'Union européenne d'un
consensus, ni chez les gouvernants, ni chez les citoyens.
La France, bien que principal producteur européen
d'électricité nucléaire, n'échappe pas à ces
tensions politiques. Mais celles-ci s'expriment avec plus de force encore chez
ses partenaires européens, dont certains ont annoncé leur
intention d'abandonner le nucléaire.
1. Le débat intérieur français
Depuis le lancement du plan Messmer en 1974, le programme électronucléaire français a bénéficié d'une grande constance de la part des gouvernements successifs. Une rupture est toutefois intervenue en 1997, avec l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement auquel participent Les Verts, qui sont porteurs sur l'échiquier politique français de la contestation du nucléaire.
a) L'arrêt de Superphénix
Dans son
discours de politique générale du 19 juin 1997, le Premier
ministre, M. Lionel Jospin, a annoncé la fermeture de la centrale
nucléaire de Superphénix, prototype de réacteur à
neutrons rapides développé par la France depuis 1976. Cette
décision constituait l'un de ses engagements électoraux, et
conditionnait le soutien des Verts à son gouvernement.
La commission d'enquête du Sénat sur la politique
énergétique de la France et sur les conséquences
économiques sociales et financières des choix effectués
(20(
*
))
, présidée par M. Jacques
Valade et dont M. Henri Revol fut rapporteur, a dressé un bilan
critique des motivations et des effets de cette décision.
Les considérations de sûreté ne pouvaient motiver la
fermeture de Superphénix. En dépit des déboires
rencontrés, ce prototype industriel présentait, selon les
autorités compétentes, un degré de sûreté
comparable aux réacteurs de série du parc nucléaire
français.
L'argument de la rentabilité n'apparaît pas non plus pertinent.
Certes, le coût d'investissement de Superphénix a
été double des estimations initiales, pour atteindre
60 milliards de francs, et sa capacité de production
d'électricité s'est trouvée réduite par des
périodes d'arrêt prolongées. Mais il était d'autant
plus illogique d'abréger la durée de vie productive de
l'installation qu'elle venait de parvenir en 1996 à l'équilibre
d'exploitation. Quitte à fermer le réacteur, il aurait fallu au
moins achever de brûler le coeur de combustible déjà
chargé, ainsi que le coeur supplémentaire déjà
approvisionné et payé.
Financièrement, l'abandon prématuré de Superphénix
obligera EDF à prendre seule en charge les coûts de
démantèlement qui auraient dû être répartis
entre les partenaires du consortium européen chargé de sa
construction et de son fonctionnement. Le coût total de la mise à
l'arrêt définitif de Superphénix, y compris le coût
de retraitement du combustible, est estimé à 12,2 milliards
de francs. Il convient d'y ajouter le coût de liquidation du consortium
européen, soit 3,3 milliards de francs supplémentaires.
La commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur
Superphénix et la filière des réacteurs à neutrons
rapides
(21(
*
))
, présidée par
M. Robert Galley et dont M. Christian Bataille fut rapporteur, ne conteste
pas la décision prise par le Gouvernement, à la différence
de celle du Sénat.
Toutefois, elle confirme que le choix de fermer immédiatement
Superphénix et de ne pas utiliser le combustible déjà
payé se traduit par des surcoûts importants, et souligne le
coût social pour le personnel de la centrale et la région de
Creys-Malville. Sur le fond de la question, la commission d'enquête de
l'Assemblée nationale estime que la filière des réacteurs
à neutrons rapides reste pertinente pour l'avenir, et relève que
le transfert des expériences de transmutation sur le seul
réacteur de recherche Phénix, vieillissant, n'ira pas sans
difficultés.
La décision de fermer Superphénix est donc bien une
décision de nature politique qui a été
généralement interprétée, notamment à
l'étranger, comme une remise en cause du programme nucléaire
français.
b) Le report de toute décision sur l'EPR
Le
projet franco-allemand d'EPR
(European Pressurized water Reactor)
développé depuis 1992 par Framatome et Siemens, plus
sûr et plus compétitif, est destiné à prendre le
relais des centrales nucléaires en cours d'exploitation.
Plusieurs arguments militent en faveur de la construction au plus tôt
d'un prototype d'EPR qui ferait office de tête de série. Cela
permettrait aux deux constructeurs, désormais fusionnés, de
valider la conception du réacteur et d'entretenir le savoir-faire de
leur personnel dans l'attente du renouvellement du parc nucléaire. Cela
permettrait aussi de disposer d'une installation de démonstration,
indispensable pour pouvoir exporter l'EPR à l'étranger.
Dans cette hypothèse de calendrier précoce, le compte à
rebours impose une première décision en 2000, conduisant à
un début de construction vers 2002, pour un démarrage à
l'horizon 2009. Il s'agit de la date de mise en service opportune pour la
tête de série, si l'on veut disposer d'un recul
d'expérience suffisant lorsque les EPR devront se substituer à la
génération actuelle de réacteurs, vers 2020 au plus tard.
Mais, lors de leur université d'été du mois
d'août 1999, Les Verts ont clairement fait savoir que le lancement
d'un prototype d'EPR serait pour eux un motif de rupture politique et les
conduirait à quitter le gouvernement
(22(
*
))
.
L'avertissement n'a pas été vain, puisque le Premier ministre a
ultérieurement annoncé qu'il ne prendrait aucune décision
relative à l'EPR avant 2003.
c) Les dissensions internes à la majorité
Le
Premier ministre, M. Lionel Jospin, a clairement réaffirmé qu'il
n'envisage pas l'abandon du nucléaire, en déclarant le 15
décembre 1998 : "
Ma formule est simple : la France
sans le nucléaire, aujourd'hui et à un terme que je n'ai pas
à considérer aujourd'hui, c'est impossible.
"
(23(
*
)).
Cette position du gouvernement français a été depuis
précisée par le ministre de l'Industrie, M. Christian Pierret,
lors du débat sur la politique énergétique de la France
organisé à l'Assemblée nationale le 21 janvier
1999
(24(
*
))
. Selon le Ministre, "
le
nucléaire représente à ce jour la meilleure solution
technico-économique pour faire face aux besoins de base,
c'est-à-dire pour produire la quantité
d'électricité consommée en continu. En revanche, le
nucléaire, c'est une évidence, ne constitue pas une bonne
solution économique pour faire face aux pics de la demande. Lorsqu'il
s'agira pour EDF de renouveler son parc de production vers 2010-2020, le
nucléaire ne représentera vraisemblablement qu'une part plus
réduite qu'aujourd'hui, même si elle reste majoritaire, des
capacités de production d'électricité.
"
Ce débat parlementaire n'a pas été suivi d'un vote, mais a
montré chez les députés qui se sont exprimés
l'existence d'un large consensus sur le bien fondé de l'option
nucléaire, à l'exception notable de l'orateur des Verts, M. Guy
Hascoët.
L'hostilité au nucléaire de la composante écologiste de la
majorité actuelle a eu l'occasion de se manifester à maintes
reprises.
Lorsque le gouvernement a décidé, en décembre 1998,
d'autoriser la création de deux laboratoires souterrains d'enfouissement
des déchets nucléaires en grande profondeur, Mme Dominique
Voynet, ministre de l'Environnement, a déclaré qu'elle
s'était "
sentie en porte-à-faux tout le temps
"
(25(
*
))
lors du processus interministériel de
décision.
Le décret du 6 août 1999 autorisant la création dans la
Meuse du premier des laboratoires souterrains, bien que cosigné par
Mme Dominique Voynet, a été attaqué devant le
Conseil d'Etat par Les Verts. Il en a été de même pour le
décret du 30 juillet 1999 autorisant l'extension de l'usine Cogema de
fabrication de combustible MOX de Marcoule.
Enfin, la révélation par la presse, au printemps 1998, d'un
dépassement des normes de radioactivité sur les convois
ferroviaires de combustible nucléaire usé parvenant à La
Hague a conduit le Premier ministre à demander d'urgence un rapport au
directeur de la DSIN (Direction de la sûreté des installations
nucléaires). Ce rapport a confirmé l'innocuité de ce
dépassement des seuils de protection, tout en dénonçant
l'inertie des instances de contrôle, l'IPSN (Institut de protection et de
sûreté nucléaire) et l'OPRI (Office de protection contre
les rayons ionisants), qui en étaient informées depuis des
années sans réagir. Mme Dominique Voynet s'est
déclarée choquée par ces défaillances, et le
gouvernement a annoncé le dépôt d'un projet de loi sur
l'organisation de la transparence et du contrôle de la
sûreté nucléaire.
Votre rapporteur constate que, en dépit des gages donnés par
le Premier ministre à l'aile écologiste de sa majorité,
les dissensions sur la question nucléaire persistent et se retrouvent
jusqu'au niveau gouvernemental.
Cette situation risque d'aboutir à une remise en cause insidieuse du
programme électronucléaire français, et d'affaiblir la
voix de la France lorsque celle-ci aura à exprimer sa position sur les
questions nucléaires au sein des instances européennes.
2. La contestation du nucléaire dans les autres Etats membres
a) Le difficile abandon du nucléaire par l'Allemagne
L'accord
de gouvernement signé par la coalition SPD-Verts parvenue au pouvoir en
Allemagne au mois d'octobre 1998, prévoit que
" le gouvernement
garantira une alimentation en énergie d'avenir, non polluante, à
un coût équitable. Les énergies renouvelables et les
économies d'énergie seront une priorité.
C'est la
raison pour laquelle le nouveau gouvernement entreprendra tout ce qui est en
son pouvoir pour abandonner l'énergie nucléaire aussi vite que
possible
. Au cours de cette année même, le gouvernement
organisera des discussions pour aboutir à un nouveau consensus sur
l'énergie. En partenariat avec le secteur énergétique, des
voies doivent être ouvertes pour trouver une nouvelle forme
d'énergie mixte, une énergie d'avenir sans le nucléaire.
Au cours de cette législature, l'abandon de l'énergie
nucléaire sera réglé par la loi de manière globale
et irréversible
"
.
Conformément à cet accord, le Chancelier Gerhard Schröder a
annoncé début janvier 1999 la décision du
gouvernement allemand d'abandonner le nucléaire, et l'adoption prochaine
d'un projet de loi pour en fixer les modalités.
Cette déclaration a eu pour conséquence immédiate de
remettre en cause la coopération entre l'Allemagne et ses partenaires
européens dans le domaine nucléaire.
Les autorités françaises se sont inquiétées du coup
d'arrêt ainsi donné au projet commun d'EPR. Ce problème a
été réglé par la suite de manière radicale,
Siemens cédant à Framatome ses activités
nucléaires, avec d'ailleurs un soulagement certain si l'on en croit une
déclaration du Président de Siemens selon lequel
" le
nucléaire, c'est 5 % de l'activité du groupe et 95 % de
mes ennuis " (26(
*
))
.
Les accords entre l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni pour le retraitement
des combustibles usés allemands à La Hague et Sellafield se
sont également trouvés affectés.
En effet, le gouvernement allemand a précisé que sa
décision s'accompagnerait de l'interdiction du retraitement des
déchets nucléaires à l'étranger à partir du
1
er
janvier 2000. Les autorités françaises
(27(
*
))
et britanniques se sont émues des
déclarations de M. Jürgen Trittin, ministre allemand de
l'Environnement, d'après lequel les industriels allemands pourraient
invoquer la force majeure pour rompre leurs contrats en cours avec la Cogema et
BNFL.
Le Chancelier Schröder a rassuré ses partenaires européens,
en confirmant que les contrats de retraitement en cours, d'une valeur
estimée à 20 milliards de francs, seraient honorés.
De toute manière, l'interdiction de retraiter les déchets
nucléaires a dû être reportée au moins jusqu'en 2004,
pour laisser le temps aux producteurs d'électricité allemands de
créer à proximité des centrales nucléaires les
centres de stockage intermédiaires nécessaires.
La France s'est également inquiétée de l'interruption des
convois ferroviaires ramenant en Allemagne les déchets stockés
à La Hague. Ces convois ne se heurtent pas seulement à
l'opposition violente des antinucléaires, mais aussi aux
réticences des autorités allemandes. La Deutsche Bahn fait valoir
qu'il lui faut d'abord mettre aux normes de sécurité les ouvrages
d'art sur les voies ferrées concernées. Les
Ministres-Présidents sociaux-démocrates des landers de Basse-Saxe
et de Rhénanie du Nord Westphalie, où sont implantés les
centres de stockage des déchets, ont fait savoir qu'ils ne veulent pas
de tels convois. Le gouvernement fédéral invoque les contraintes
de maintien de l'ordre pour repousser les échéances, les
précédents convois ayant nécessité la mobilisation
de dizaines de milliers de policiers tout le long du trajet. Le prochain convoi
ne devrait pas avoir lieu avant l'automne 2000.
Après la première annonce, le débat s'est
focalisé en Allemagne sur les coûts et les échéances
impliquées par l'abandon du nucléaire.
L'industrie nucléaire allemande ne conteste pas la décision prise
par le pouvoir politique. Mais elle considère que la fermeture
anticipée des centrales se traduira pour elle par une perte
financière à indemniser, qui pourrait atteindre jusqu'à
200 milliards de marks, dans l'hypothèse d'une sortie du
nucléaire en cinq années préconisée par les Verts
allemands.
Le Chancelier Gerhard Schröder a repoussé la date du
dépôt du projet de loi annoncé, afin de parvenir au
préalable à un compromis avec l'industrie nucléaire
évitant toute compensation financière.
Pour l'instant, le
délai d'exploitation de vingt-cinq ans, puis de trente ans,
proposé par le gouvernement allemand n'a pas reçu l'accord des
industriels, qui souhaitent rentabiliser les centrales nucléaires
déjà construites pendant une quarantaine d'années.
Enfin, le débat politique allemand sur le nucléaire a connu un
nouveau rebondissement, avec la lettre adressée au mois de
février dernier par le Ministre-Président de Bavière,
M. Edmund Stoiber, au Président de la Commission européenne,
M. Romano Prodi, pour soulever la question de la compatibilité
juridique avec le Traité Euratom de la décision du gouvernement
fédéral d'abandonner l'énergie nucléaire. La
Bavière se sent particulièrement concernée par l'abandon
du nucléaire, car elle abrite la majorité des centrales
d'Allemagne.
b) L'abandon très progressif du nucléaire par la Suède
A la
suite de l'accident de Three Mile Island, le parti social démocrate au
pouvoir en Suède a organisé en 1980 un référendum
sur l'abandon de l'énergie nucléaire. A cette occasion, les
électeurs suédois se sont prononcés en faveur de la
limitation à vingt-cinq ans de la durée de vie des douze
réacteurs en fonctionnement ou en construction.
Les résultats du référendum de 1980 ont été
confirmés par une décision parlementaire, fixant à 2010 la
date d'arrêt de toutes les centrales nucléaires. La construction
des réacteurs en projet s'est néanmoins poursuivie, et les deux
dernières mises en service ont eu lieu en 1985.
En 1997, le gouvernement de coalition réunissant le parti
social-démocrate et le parti du centre a décidé de fermer
la centrale nucléaire de Barsebäck. Le choix s'est porté sur
cette centrale parce qu'elle est située dans une région
peuplée de la Suède et à proximité de Copenhague,
ce qui suscitait depuis longtemps l'hostilité du Danemark.
La solution de facilité aurait pourtant consisté à choisir
pour la première fermeture une centrale appartenant à la
compagnie publique Vattenfall. En effet, la centrale de Barsebäck
appartient à Sydkraft, société privée
détenue en majorité par des actionnaires norvégiens et
allemands, ce qui pose des problèmes de droit et de compensation
financière.
Sydkraft a porté l'affaire devant la Haute Cour administrative
suédoise, arguant de son droit à indemnisation, et devant la Cour
de Justice des Communautés européennes, arguant de l'atteinte
portée au droit communautaire de la concurrence. Le gouvernement
suédois a dû surseoir à sa décision de fermer la
centrale.
Lors des élections législatives de septembre 1998, le
nucléaire n'a pas été un sujet mobilisateur, la campagne
étant axée sur le thème de l'adhésion à
l'euro - finalement rejetée par la Suède.
Les sondages
d'opinion réalisés à cette occasion ont d'ailleurs
montré une évolution des Suédois depuis le
référendum de 1980, puisque 55 % d'entre eux se déclarent
désormais opposés à la fermeture anticipée des
centrales nucléaires existantes.
Le gouvernement suédois a néanmoins persisté dans sa
décision de fermer le réacteur n° 1 de Barsebäck, mais
sur une base négociée. Sydkraft obtiendra 25 % des parts
d'une nouvelle société l'associant à Vattenfall pour
l'exploitation du réacteur n° 2 de Barsebäck, ainsi que de la
centrale de Ringhals appartenant à l'exploitant public.
La compagnie privée recevra en outre une compensation en espèces
et en nature, sous forme d'électricité livrée par
Vattenfall. Le coût total de l'opération est estimé
à 4,4 milliards de francs pour l'Etat suédois.
Barsebäck fournissait 6 % de l'électricité du pays. La
fermeture du réacteur n°1, devenue effective le 1
er
décembre 1999, ne devrait pas bouleverser l'équilibre
énergétique de la Suède. Mais la situation deviendra plus
tendue avec la fermeture du réacteur n° 2, prévue pour 2001.
Sauf à réaliser des progrès rapides dans les solutions
alternatives, la Suède risque de se trouver alors contrainte
d'accroître ses importations d'électricité en provenance du
Danemark, de Norvège ou de Finlande.
c) L'attentisme des autres Etats membres
L'examen
des positions prises par les gouvernements des autres Etats membres à
l'égard du nucléaire montre la prédominance en Europe d'un
certain attentisme.
La Belgique observe depuis 1985 un gel de fait de son parc
électronucléaire. Toutefois, le ministre chargé de
l'énergie a confié en décembre 1998 à une
commission d'experts la mission d'évaluer l'évolution de la
demande en électricité du pays et d'émettre des
propositions pour la production d'électricité à l'avenir.
Par ailleurs, à la demande du Parlement, le gouvernement belge a
demandé aux autorités compétentes un rapport sur la
pertinence du retraitement du combustible usé et son recyclage sous
forme de MOX, sur la base duquel il a estimé que l'option devait rester
ouverte.
Au Royaume-Uni, la filière spécifiquement nationale des
réacteurs refroidis au gaz (AGR) a été abandonnée
en 1981, pour cause de relatif échec technique. Mais une seule centrale
supplémentaire, de type REP comme sur le continent, a été
depuis construite. En effet, la découverte des gisements
pétroliers et gaziers de Mer du Nord, et la privatisation du secteur
énergétique ont conduit à l'abandon de fait de tout projet
de construction d'une nouvelle centrale nucléaire dans un cadre public.
En Espagne, le gouvernement a décrété en 1984 un moratoire
sur le nucléaire, renouvelé en 1992 dans le cadre du programme
énergétique national pour la période 1991-2000. Les cinq
projets de centrales nucléaires affectés par le moratoire ont
été définitivement annulés par une loi de 1994 et
les producteurs d'électricité espagnols ont reçu une
compensation financière.
L'Italie, qui est le grand Etat européen le plus dépendant des
importations d'énergie, avait développé un programme
nucléaire en 1981. A la suite de la catastrophe de Tchernobyl, un
référendum a conduit en 1987 à un moratoire temporaire. Ce
moratoire de cinq ans a expiré en 1992, mais aucune décision n'a
été prise depuis pour relancer le programme nucléaire. Les
deux centrales nucléaires en service dont disposait l'ENEL ont
été fermées en 1990 et les projets en cours ont
été reconvertis en centrales thermiques. L'Italie participe
toutefois activement aux programmes internationaux de recherche sur les
réacteurs du futur.
L'Autriche avait également construit une centrale nucléaire, au
nord-ouest de Vienne, qu'elle a renoncé à mettre en service en
1978, sous la pression de ses opposants au nucléaire. La centrale est
restée en attente jusqu'à la décision d'abandon
définitif prise en 1987, après l'accident de Tchernobyl. Depuis
son entrée dans l'Union européenne, l'Autriche est l'un des Etats
membres les plus fermes dans son opposition à l'énergie
nucléaire, notamment à l'égard de ses voisins candidats
à l'adhésion.
La Finlande est le seul Etat membre, avec la France, qui envisage
d'étendre encore son parc de centrales nucléaires. Elle dispose
déjà de deux centrales de type REB fournies par AAB Atom, et de
deux centrales de type VVER fournies par l'ex-URSS mais considérablement
modifiées pour satisfaire aux standards occidentaux de
sûreté. La stratégie énergétique de long
terme validée par le Parlement à la fin de 1997, et
confirmée par le nouveau gouvernement issu des élections de mars
1999, comporte l'option de la construction d'une cinquième centrale.
Mais la décision effective n'est pas acquise, car près de la
moitié des députés finlandais seraient plus ou moins
défavorables à la construction d'une cinquième tranche
nucléaire. Or, en Finlande, c'est le Parlement qui tranche dans ce
domaine. En 1993, il s'était déjà opposé à
un tel projet, qui avait pourtant l'appui du gouvernement, de l'industrie et
des syndicats.
3. La méfiance de l'opinion publique européenne
a) Une préférence pour le statu quo
Une
enquête d'opinion a été réalisée en mars 1999
par l'institut de sondage IPSOS, pour l'hebdomadaire
"
L'Express
", dans les quatre grands Etats membres de l'Union
européenne dotés de centrales nucléaires
(28(
*
))
.
Les résultats de ce sondage montrent la méfiance des opinions
publiques européennes à l'égard de l'énergie
nucléaire. Si seul un tiers des personnes interrogées prône
l'abandon total du nucléaire, près de la moitié
considère qu'il vaut mieux cesser de le développer.
Question 1 : Parmi ces trois solutions concernant la politique énergétique de votre pays pour les années à venir, quel est votre souhait ?
(en %)
|
Ensemble |
Allemagne |
Espagne |
France |
Royaume-Uni |
Qu'on continue de développer l'énergie nucléaire |
14 |
5 |
10 |
18 |
24 |
Qu'on ne développe pas davantage l'énergie nucléaire mais qu'on continue de faire fonctionner les centrales existantes |
48 |
66 |
20 |
58 |
33 |
Qu'on abandonne complètement l'énergie nucléaire |
33 |
28 |
54 |
22 |
38 |
Ne sait pas |
5 |
1 |
16 |
2 |
5 |
TOTAL |
100 |
100 |
100 |
100 |
100 |
Source : IPSOS - L'Express
Comme on
pouvait s'y attendre, c'est en France que l'attachement au nucléaire est
le plus fort. La majorité des Français penche en faveur du
statu quo
, et 22 % seulement d'entre eux se disent partisans
d'un abandon complet du nucléaire. C'est le pourcentage le plus bas des
cinq pays sondés.
Le pragmatisme des Allemands est plus surprenant. L'abandon du nucléaire
n'est défendu que par 28 % des personnes interrogées. Les
Allemands préfèrent que l'on continue à faire fonctionner
les centrales existantes.
L'opinion est particulièrement polarisée au Royaume-Uni,
puisqu'une forte minorité de 38 % s'affirme antinucléaire,
tandis qu'à l'opposé, près d'un quart des Britanniques se
déclare favorable au développement de l'énergie
nucléaire.
Mais c'est en Espagne que le rejet du nucléaire est le plus fort. Une
majorité absolue de 54 % des personnes interrogées se
prononce en faveur d'un abandon complet de cette forme d'énergie.
Un autre enseignement de ce sondage est que les Européens, en
dépit du traumatisme de Tchernobyl, restent confiants dans la
sûreté de leurs centrales nucléaires. Une majorité
de 55 % des personnes interrogées déclare avoir plutôt
confiance dans la sûreté des installations nucléaires de
leur pays.
Question 2 : Avez-vous plutôt confiance ou plutôt pas confiance dans...
(en %)
La sécurité des centrales et des installations nucléaires de votre pays |
Ensemble |
Allemagne |
Espagne |
France |
Royaume-Uni |
Plutôt confiance |
55 |
67 |
24 |
66 |
47 |
Plutôt pas confiance |
41 |
32 |
61 |
31 |
49 |
NSP |
4 |
1 |
15 |
3 |
4 |
TOTAL |
100 |
100 |
100 |
100 |
100 |
Source : IPSOS - L'Express
Cette
confiance n'est toutefois pas également partagée selon les pays.
Les deux tiers des Allemands et des Français se déclarent
confiants, mais ce n'est le cas que de moins de la moitié des
Britanniques et de moins d'un quart des Espagnols.
En revanche, l'inquiétude à l'égard de la gestion des
déchets nucléaires est forte dans tous les pays, 70 % des
personnes interrogées déclarant avoir plutôt pas confiance.
Question 3 : Avez-vous plutôt confiance ou plutôt pas confiance dans...
(en %)
La gestion des déchets nucléaires (retraitement et stockage) |
Ensemble |
Allemagne |
Espagne |
France |
Royaume-Uni |
Plutôt confiance |
25 |
30 |
13 |
25 |
24 |
Plutôt pas confiance |
70 |
69 |
74 |
71 |
70 |
NSP |
5 |
1 |
13 |
4 |
6 |
TOTAL |
100 |
100 |
100 |
100 |
100 |
Source : IPSOS - L'Express
Ces résultats confirment que la question du traitement des déchets constitue aujourd'hui, plus que celle de la sûreté des centrales, le véritable point faible de la filière nucléaire
b) Une forte inquiétude à l'égard des déchets nucléaires
La
Direction générale de l'Environnement de la Commission
européenne a fait réaliser en décembre 1998 par
Eurobaromètre, dans tous les Etats membres, une enquête d'opinion
sur la gestion des déchets radioactifs
(29(
*
))
. Les résultats du sondage sont
révélateurs de l'inquiétude de l'opinion publique
européenne sur ce sujet.
L'un des premiers enseignements de ce sondage est la relative ignorance des
citoyens européens dans ce domaine
. Seulement 20 % des
personnes interrogées s'estiment bien informées au sujet des
déchets radioactifs, contre 44 % qui s'estiment mal
informées et 32 % pas informées du tout. De fait, 7 %
seulement des citoyens européens savent que le volume par habitant des
déchets radioactifs produit chaque année est très
réduit, inférieur à un litre, et 79 % d'entre eux
pensent que tous les déchets radioactifs sont très dangereux.
Cette opinion est fort loin de la réalité, mais conditionne les
réactions de la population sur le sujet.
La préoccupation des citoyens européens est forte, puisque
76 % d'entre eux se déclarent inquiets de la gestion des
déchets radioactifs dans leur propre pays. Il est intéressant de
noter que 74 % d'entre eux se déclarent également inquiets
de la gestion des déchets dans les autres Etats membres et 76 % de
la gestion dans les Etats candidats à l'adhésion.
En matière de déchets nucléaires, les décisions
prises dans un cadre national sont donc susceptibles d'avoir des
répercussions sur l'ensemble de l'opinion publique européenne,
qui ignore les frontières.
S'agissant du fond du problème, 75 % des citoyens européens
pensent que si aucun Etat membre n'a encore mis en oeuvre de solution
définitive pour les déchets hautement radioactifs, c'est parce
qu'il n'en existe pas. Et 76 % d'entre eux pensent que cet échec a
un impact négatif sur l'image de l'énergie nucléaire.
Bien que 80 % des personnes interrogées admettent qu'il est
politiquement difficile et impopulaire de prendre des décisions
concernant les déchets radioactifs, seulement la moitié d'entre
elles considère que les délais dans ce domaine résultent
de la nécessité d'étudier soigneusement toutes les options
avant de choisir une solution.
Enfin, l'enquête d'Eurobaromètre révèle une
contradiction majeure
dans l'opinion publique européenne.
Une minorité de 12 % seulement des citoyens européens
interrogés déclare accepter que son pays accueille des
déchets radioactifs provenant d'autres Etats membres, et 75 %
d'entre eux se prononcent en faveur de l'implantation d'un site d'enfouissement
dans chacun des Etats membres.
Mais 3 % seulement des citoyens européens accepteraient de vivre
à une distance de dix kilomètres d'un tel site, 5 % à
une distance de cinquante kilomètres et 8 % à une
distance de cent kilomètres. Plus de 40 % des sondés
refusent de vivre à moins de mille kilomètres d'un site
d'enfouissement de déchets radioactifs. Et 15 % déclarent
même n'accepter aucune distance minimale entre eux-mêmes et un tel
site.
Ces deux enquêtes d'opinion conduisent votre rapporteur à des
conclusions nuancées. Globalement, l'opinion publique européenne
ne suit pas les partisans d'une sortie anticipée du nucléaire, et
reste assez confiante dans la sûreté des centrales.
Cependant, l'opinion publique européenne apparaît
extrêmement préoccupée par le sort des déchets
nucléaires. Sur ce point, elle se montre à la fois mal
informée et peu confiante dans la capacité du pouvoir politique
à prendre les décisions qui s'imposent. De plus, elle ne souhaite
pas l'extension du parc des centrales installées.
Le point d'équilibre des opinions exprimées par les citoyens
européens pourrait toutefois se déplacer dans un proche avenir,
à mesure que les inquiétudes relatives au changement climatique
grandissent.
C. LA PRÉVENTION DU CHANGEMENT CLIMATIQUE : NOUVEL ATOUT DU NUCLÉAIRE ?
Dans le
débat européen sur le nucléaire, la problématique
la prévention de la modification du climat de la planète
apparaît comme un nouvel atout pour cette forme d'énergie.
Le nucléaire peut en effet contribuer de manière importante
à la réduction des émissions de gaz à effet de
serre, pour laquelle l'Union européenne a pris des engagements
internationaux contraignants. Mais cet atout nouveau, qui ne peut certes pas
annuler tous les inconvénients du nucléaire, tarde de
manière incompréhensible à être sérieusement
pris en compte.
Votre rapporteur s'appuiera notamment sur l'excellent rapport relatif aux
outils économiques de maîtrise des émissions de gaz
à effet de serre fait en mai 1999 par M. Serge Lepeltier, dans le
cadre de la Délégation du Sénat pour la planification
(30(
*
))
.
1. Le nucléaire, une énergie " propre "
a) La question du changement climatique
Débattue au niveau international depuis la
conférence
de Rio en 1992, la réalité d'un changement climatique de la
planète due à l'activité humaine ne fait aujourd'hui plus
de doute.
Le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur
l'évolution du climat (GIEC), constitué sous l'égide du
Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE) et de l'Organisation
météorologique Mondiale (OMM), conclut très nettement que
l'accumulation de gaz à effet de serre dans l'atmosphère tend
à modifier le climat.
Les gaz à effet de serre sont très divers. La contribution du gaz
carbonique (CO
2
) à ce phénomène climatique est
de loin la plus importante, en raison des volumes produits.
Le GIEC a mis en évidence de nombreuses " anomalies
statistiques " dans l'évolution récente du climat et estime
que la température moyenne à la surface de la terre a
augmenté de 0,3 à 0,6° C depuis l'ère
préindustrielle, les effets de ce réchauffement ayant
été jusqu'à présent en partie masqués par
l'inertie thermique des océans.
En l'absence de mesures énergiques de maîtrise des
émissions de gaz à effet de serre, le GIEC estime que la
température moyenne à la surface de la terre pourrait
s'accroître encore de + 1° C à + 3,5° C entre 1990 et
2100, ce qui représenterait une élévation de 20
centimètres à 1 mètre du niveau des mers et amplifierait
les perturbations climatiques.
b) Une contribution négligeable du nucléaire aux émissions de CO2
Face
à ce risque climatique, les partisans de l'énergie
nucléaire peuvent faire valoir que celle-ci ne contribue pratiquement
pas à l'émission de gaz à effet de serre.
A la différence des énergies fossiles, les centrales
nucléaires ne produisent aucun CO
2
lors de leur
fonctionnement. Et même si l'on prend en compte les émissions
liées à l'extraction des combustibles et à la construction
des installations, le bilan pour la production de CO
2
des
différentes filières de production d'électricité
est encore très favorable au nucléaire.
Le
nucléaire peut donc aider à la lutte contre le
réchauffement climatique, même s'il n'a pas été
initialement développé pour cette raison.
En France, le programme nucléaire a permis de diminuer les
émissions de gaz carbonique d'environ 40 % par rapport à ce
qu'elles auraient été avec des centrales thermiques classiques,
soit 350 millions de tonnes de CO
2
évitées par an.
Le choix du nucléaire, venant s'ajouter à un parc
hydroélectrique important, place la France parmi les pays les plus
" vertueux " dans les négociations internationales sur l'effet
de serre. Rapportées au PIB, ses émissions de CO
2
la
classent dernière des pays du G7, et loin derrière la Russie ou
la Chine. Alors qu'un Américain émet près de 20 tonnes de
CO
2
par an, un Allemand en émet environ la moitié, et
un Français seulement le tiers.
A l'échelle mondiale, le nucléaire permet d'éviter le
rejet de 2,1 milliards de tonnes de CO
2
par an, dont 800
millions de tonnes en Europe occidentale.
2. Les engagements internationaux de l'Union européenne
a) Les objectifs peu contraignants de la conférence de Rio
La
convention-cadre sur le changement climatique adoptée le 9 mai 1992
au sommet de Rio a été ratifiée par 171 Etats, dont tous
les Etats membres de l'Union européenne, qui en est également
signataire à part entière.
Cette convention-cadre, qui n'est pas très contraignante, pose seulement
le principe d'une responsabilité commune et définit les principes
qui doivent guider l'action de la communauté internationale :
publication d'inventaires nationaux des émissions de gaz à effet
de serre ; coopération en matière de recherche
scientifique ; intégration des considérations liées
au changement climatique dans les politiques sociales, économiques et
environnementales.
Toutefois, les Etats signataires figurant à l'annexe I, qui sont les
pays développés et les pays en transition vers une
économie de marché, s'engageaient à ramener en 2000 leurs
émissions de gaz à effet de serre au niveau de 1990. Cette clause
donnait satisfaction à l'Union européenne, qui souhaitait faire
référence à un calendrier et à des objectifs
quantitatif précis, alors que les Etats-Unis défendaient une
approche globale restant dans le vague.
Ces engagements quantifiés, dénués de mécanisme
de contrôle et de sanction, ne seront pas respectés par les pays
dits " de l'Annexe I ". En 2000, les émissions des Etats-Unis
devraient se retrouver supérieures de 15 % à leur niveau de 1990,
et celles de l'Union européenne de 5 %.
b) Les engagements quantifiés du protocole de Kyoto
La
troisième session de la conférence des parties à la
convention-cadre sur le changement climatique qui s'est tenue à Kyoto en
décembre 1997 avait donc pour ordre du jour l'adoption de nouveaux
engagements plus contraignants.
L'accord conclu à l'issue de ce sommet, dit " protocole de
Kyoto " comporte un engagement, de la part des pays industrialisés
et en transition de l'annexe I, de réduire ou de limiter sur la
période 2008-2012 les émissions de six gaz à effet de
serre, exprimées en équivalent CO
2
.
En moyenne, ces engagements consistent pour les pays industrialisés
à réduire leurs émissions sur la période de 5 % par
rapport au niveau de référence de 1990. Les émissions des
pays concernés seraient ainsi réduites de près de 30 % par
rapport à leur tendance spontanée.
La répartition de cet engagement global entre les pays de l'annexe I
n'est pas uniforme, mais tient compte de leurs situations économiques et
de leur bilans énergétiques.
L'engagement pris par l'Union européenne, au nom de l'ensemble de des
Etats membres, est une réduction de ses émissions de gaz à
effet de serre de 8 % en 2012 par rapport à 1990.
Cet engagement européen de réduction a été ensuite
réparti de manière différenciée entre les Etats
membres, par un accord interne à l'Union
(31(
*
))
.
3. Un atout qui tarde à se concrétiser
a) L'impossible accord sur le projet d'écotaxe
Les
émissions de gaz à effet de serre présentent un coût
pour la collectivité qui n'est pas reflété dans les prix
actuels des énergies fossiles. Cette externalité négative
conduit à une surconsommation d'énergie et à des
émissions de CO
2
préjudiciables au bien-être
collectif.
Dès lors, il serait légitime de modifier, par l'instauration
d'une taxe spécifique, le système des prix relatifs afin de
répercuter vers les agents économiques le coût réel
de leurs émissions de gaz à effet de serre. Cette taxation qui
satisfait au principe pollueur/payeur, en rétablissant la
vérité des prix, améliore le fonctionnement du
marché.
Il est évident qu'une telle taxe sur le CO
2
avantagerait
l'énergie nucléaire par rapport à ses concurrentes
fossiles. Dès lors, la question de la compétitivité
économique du nucléaire ne ferait plus aucun doute.
Toutefois, l'introduction d'une telle taxe sur les émissions de CO
2
doit être coordonnée à l'échelle
internationale, si l'on veut éviter qu'elle ne produise des distorsions
de concurrence préjudiciables aux industries nationales.
C'est pourquoi la Commission européenne a présenté en 1992
un projet de directive portant création d'une écotaxe sur les
produits énergétiques, assise pour moitié sur leur contenu
en carbone et pour moitié sur leur contenu énergétique. Le
montant de cette écotaxe mixte CO
2
/énergie devait
être graduellement augmenté, pour atteindre 10 $ par
équivalent baril.
Trois arguments justifiaient, selon la Commission, le choix d'une assiette
mixte :
- une assiette mixte incite à économiser l'ensemble des
énergies, favorisant ainsi à long terme l'intensité
énergétique ;
- une taxe assise uniquement sur le contenu en CO
2
des produits
énergétiques aurait conféré un
avantage
comparatif excessif à l'énergie nucléaire
, alors que
les externalités négatives liées à la
filière électronucléaires sont mal
maîtrisées ;
- enfin, une taxe assise sur le seul contenu en CO
2
aurait
donné un
avantage trop important à la France
, dont la
production d'électricité repose essentiellement sur les
énergies hydraulique et nucléaire, au détriment des autres
pays européens qui produisent davantage leur électricité
à partir d'énergies fossiles. Les exportations d'EDF s'en
trouveraient stimulées, tandis que les industries lourdes
françaises bénéficieraient d'un avantage concurrentiel
considérable.
Ce projet d'écotaxe a rencontré l'opposition de l'Espagne, de
la France et du Royaume Uni. Le processus d'adoption de la proposition de
directive est depuis bloqué, et le Conseil a invité la Commission
à reformuler sa proposition.
b) Une situation inéquitable pour la France
L'absence actuelle de prise en compte de l'apport du
nucléaire dans le débat communautaire sur le changement
climatique aboutit à une situation paradoxale, et dans une certaine
mesure injuste pour le grand exportateur européen
d'électricité d'origine nucléaire qu'est la France.
En effet, les objectifs de Kyoto ont été fixés moins en
fonction des niveaux d'émission de CO
2
par habitant ou par
unité de PIB, qu'en fonction des bilans énergétiques
existants et des possibilités concrètes de réduction des
émissions de gaz à effet de serre dans les différents pays.
De ce fait, un pays comme la France, dont l'essentiel de
l'électricité est d'origine nucléaire ou hydraulique, a
paradoxalement moins de marges de manoeuvre que des pays émettant
beaucoup de CO
2
, comme l'Allemagne ou l'Italie.
Pour respecter
son engagement de ramener ses émissions de CO
2
à leur
niveau de 1990, la France ne peut guère substituer des sources
d'énergie moins polluantes à ses sources d'énergie
actuelles.
Elle doit compter sur une amélioration de son
efficacité énergétique, ce qui est beaucoup plus
compliqué et coûteux.
Non seulement la France n'est pas créditée du fait qu'elle
contribue à limiter le volume global des émissions de
CO
2
dans l'Union européenne par sa production massive
d'électricité d'origine nucléaire mais, selon le rapport
précité de la Délégation du Sénat pour la
planification, elle aura vraisemblablement besoin de recourir à l'achat
des
permis d'émission
prévus par le protocole de Kyoto.
Dans son récent Livre vert sur un système communautaire
d'échange de droits d'émission des gaz à effet de serre
(32(
*
))
, la Commission européenne
préconise de mettre en place au sein de l'Union européenne un
cadre cohérent et coordonné pour l'achat entre Etats membres des
" droits à polluer " que constituent les quotas nationaux de
CO
2
. Le prix moyen d'échange des quotas serait d'environ 33
euros par tonne de CO
2
.
La France pourrait ainsi se trouver dans la situation paradoxale de devoir
racheter des quotas de CO
2
à d'autres Etats membres qui
satisferaient leurs propres objectifs de réduction en accroissant leurs
importations d'électricité nucléaire d'origine
française.
Rappelons que l'Italie, qui a renoncé par
référendum à l'énergie nucléaire en 1987,
importe chaque année de la France l'équivalent de la production
d'électricité de trois tranches nucléaires.
Le tableau ci-dessous retrace les échanges d'électricité
entre les quinze Etats membres de l'Union européenne, excepté
l'Irlande qui ne fait pas partie de l'Union pour la Coordination de la
Production et le Transport de l'Electricité (UCPTE). Ces échanges
diversifiés sont en partie motivés par des impératifs
techniques de " bouclage " des réseaux nationaux, seuls les
soldes nets étant vraiment représentatifs des stratégies
commerciales.
La
France apparaît comme le premier exportateur net
d'électricité, tandis que l'Italie est le premier importateur
net. Deux autres importateurs considérables sont les Pays-Bas et le
Royaume-Uni. La situation de la Suède, qui était encore en 1998
le deuxième exportateur net de l'Union, a été remise en
cause par la fermeture de la centrale nucléaire de Barsebäck :
en 2001, elle devrait avoir un solde net déficitaire de 4.600 GWh.
Votre rapporteur considère que les flux d'électricité
entre les Etats membres de l'Union européenne ne sont pas neutres au
regard de la politique communautaire de réduction des émissions
de gaz à effet de serre.
Il ne serait pas aberrant que les ventes d'électricité d'origine
nucléaire donnent lieu à un partage des gains en termes de quotas
de CO
2
entre le pays exportateur et le pays importateur,
conformément au principe de " mise en oeuvre conjointe "
prévu par le protocole de Kyoto.
Certes, les Etats membres qui importent de France de
l'électricité d'origine nucléaire la payent à son
juste prix. Mais ils ne supportent pas les coûts de recherche et
d'investissement initiaux, et surtout n'ont pas à prendre en charge les
déchets radioactifs afférents.
En tout état de cause, votre rapporteur estime que les Etats membres
opposés au nucléaire doivent clarifier leur attitude, et mettre
leurs actes en accord avec leurs déclarations. Ainsi, l'Autriche
continue d'importer de l'électricité des pays d'Europe de l'Est,
dont elle critique par ailleurs les centrales nucléaires peu
sûres.
c) Le refus de prendre en compte l'atout climatique du nucléaire
En
dépit des efforts de l'industrie nucléaire
représentée à Bruxelles par le FORATOM (forum atomique) et
de l'Agence pour l'énergie nucléaire de l'OCDE, l'option
nucléaire n'est pour l'instant pas prise sérieusement en compte
dans le débat communautaire sur le réchauffement climatique.
Par eux-mêmes, la convention de Rio et le protocole de Kyoto ne
privilégient pas expressément une source d'énergie
plutôt qu'une autre pour parvenir à la réduction des
émissions de gaz à effet de serre. Les Etats signataires restent
libres des moyens à employer afin de respecter leurs engagements.
Or, rien dans la réflexion conduite par la Commission
européenne sur la prévention du changement climatique ne fait
référence à un éventuel renforcement de la
contribution de l'énergie nucléaire à la réduction
des émissions de CO
2
.
Dans sa communication de mai 1997 préparatoire à la
conférence de Kyoto
(33(
*
))
, la Commission
préconise surtout le développement des énergies
renouvelables et le renforcement de l'efficacité
énergétique.
En ce qui concerne le nucléaire, elle se contente de prendre
brièvement acte de son apport, manifestement à contrecoeur :
"
la contribution que l'énergie nucléaire a
apportée dans la limitation des gaz à effet de serre doit
être mentionnée. Selon les projets actuels, la puissance
électronucléaire installée dans la Communauté ne
devrait progresser que légèrement dans les années qui
viennent. On peut s'attendre à ce que, d'ici à 2010,
l'énergie nucléaire contribue encore - bien que dans une moindre
mesure - à limiter les croissances des émissions de gaz à
effet de serre. Après 2010 un certain nombre de centrales
nucléaires seront décommissionnées
".
Quant au Parlement européen, à l'issue de la cinquième
conférence des parties à la convention de Rio qui s'est tenue
à Bonn en novembre 1999, il a adopté une résolution selon
laquelle "
l'énergie nucléaire n'est pas une source
d'énergie durable et ne devrait dès lors pas être prise en
compte dans les mécanismes souples de Kyoto, comme le mécanisme
de développement propre
". Cette résolution a
été adoptée par 250 voix contre 190.
Votre rapporteur considère que cette résolution du Parlement
européen relève d'une attitude dogmatique car, quels que soient
les défauts de l'énergie nucléaire, c'est un fait
indéniable qu'elle contribue à limiter le volume des
émissions de CO
2
. Le nucléaire reste donc encore un
tabou dans les débats européens.
Pourtant, une évolution est perceptible depuis peu au sein de la
Commission, avec les déclarations de la nouvelle commissaire
chargée de l'énergie, Mme Loyola de Palacio, qui veut un large
débat sur les choix de la politique énergétique
européenne au regard des engagements de Kyoto.
Bien plus, le Président de la Commission lui-même,
M. Romano Prodi, a estimé dans sa récente
réponse au Ministre-Président de Bavière
que
la fermeture des centrales nucléaires allemandes
"
nécessitera des efforts accrus dans les domaines des
énergies renouvelables et de l'efficacité
énergétique afin d'atteindre l'objectif de Kyoto
".
Il reste à savoir si ces prises de position individuelles se traduiront
en actes communautaires, ce qui suppose qu'elles trouvent d'abord une
majorité parmi les membres de la Commission, puis au sein du Conseil et
du Parlement européen.
Plus curieusement, un groupement d'écologistes suédois s'est
récemment prononcé en faveur de l'énergie
nucléaire, considérant la fermeture de la centrale de
Barsebäck comme une décision irresponsable au regard de la lutte
contre l'effet de serre. On ne peut exclure que cette prise de position
originale préfigure un retournement d'opinion plus vaste au sein de la
mouvance écologiste dans l'Union européenne.
Mais pour l'instant, les émissions de CO
2
tendent à
augmenter plutôt qu'à diminuer en Europe, et les objectifs de
réduction que l'Union européenne s'est fixés apparaissent
de plus en plus difficiles à tenir dans les délais prévus.
Il faudra bientôt l'admettre et en tirer certaines conséquences
pratiques. L'heure de vérité est proche, car la Commission
européenne prépare dès aujourd'hui le prochain rendez-vous
sur la mise en oeuvre du Protocole de Kyoto, prévu en 2002.
Votre rapporteur ne prétend pas que les atouts climatiques du
nucléaire feraient disparaître comme par enchantement ses
inconvénients environnementaux, et suffiraient à justifier sa
" rédemption " aux yeux d'une opinion publique
européenne méfiante.
Il considère simplement que, dans une approche pragmatique et
responsable, tous les aspects de l'énergie nucléaire doivent
être sincèrement pris en compte. Tel n'est pas encore le cas
aujourd'hui.
Mais l'appréciation finale restera toujours de nature politique. Encore
faut-il avoir clairement conscience, avant de trancher, qu'en l'état
actuel des besoins et des technologies énergétiques, refuser le
nucléaire c'est choisir l'effet de serre.
SECONDE PARTIE : LE CADRE DIPLOMATIQUE ET JURIDIQUE DU DÉVELOPPEMENT DE L'ÉNERGIE NUCLÉAIRE
I. UNE DIMENSION INTERNATIONALE DÉPASSANT LES FRONTIÈRES COMMUNAUTAIRES
Le
développement de l'énergie nucléaire par les Etats membres
de l'Union européenne s'est inscrit dans un cadre juridique commun
fourni par le traité Euratom. Avec les traités CECA et CEE, il
s'agit de l'un des trois traités communautaires initiaux.
Mais le traité Euratom s'insère lui-même dans un contexte
juridique plus vaste, celui des règles et organisations internationales
qui encadrent la diffusion dans le monde des technologies nucléaires
civiles.
Par ailleurs, l'action conduite par les instances européennes sur la
base du traité Euratom dépasse depuis une dizaine d'années
le cadre strictement communautaire, pour s'étendre aux pays d'Europe
centrale et orientale.
A. LE DISPOSITIF INTERNATIONAL DE NON-PROLIFÉRATION ET DE COOPÉRATION NUCLÉAIRES
Depuis
le bombardement d'Hiroshima et Nagasaki et en 1945, le traitement au plan
international de la question nucléaire est dominé par ses aspects
militaires. L'arme nucléaire a été au coeur de la guerre
froide, et reste fondamentale dans l'équilibre actuel des puissances.
Elle relève au premier chef de la problématique actuelle du
désarmement.
Le droit international n'ignore pas pour autant le nucléaire civil.
L'Agence Internationale de l'Energie Atomique, élément du
système des Nations unies, a été créée
dès 1956 afin d'éviter que les technologies nucléaires
civiles diffusées dans le monde soient détournées à
des fins militaires.
Concomitamment au traité Euratom, une agence spécialisée
de l'OCDE a reçu pour mission la promotion des technologies
nucléaires civiles parmi les Etats membres de cette organisation.
Plus récemment, après que la catastrophe de Tchernobyl eut
révélé certaines lacunes du droit international, des
règles relatives à la responsabilité des Etats en
matière de sûreté des installations nucléaires et de
gestion des déchets radioactifs ont été adoptées.
1. L'Agence Internationale de l'Energie Atomique
a) Une organisation internationale rattachée aux Nations unies
Après-guerre, l'extension de la technologie
nucléaire
à l'Union soviétique, au Royaume-Uni et à la France incita
le président américain Eisenhower à exposer devant les
Nations unies, le 2 décembre 1953, son projet intitulé
"
Atoms for peace
" de création d'une Agence
internationale, sorte de " banque " nucléaire dont la fonction
serait d'entreposer des substances fissiles et de redistribuer celles-ci
conformément à l'intérêt général.
Cette proposition, qui rompait avec la doctrine de l'isolationnisme et du
monopole nucléaires qui prévalait jusqu'alors aux Etats-Unis, a
permis le développement ultérieur des échanges
nucléaires dans le monde.
En octobre 1956, les statuts de l'Agence Internationale de l'Energie Atomique
(AIEA) furent adoptés par une conférence à laquelle
siégeaient les Etats-Unis, l'Afrique du Sud, l'Australie, la Belgique,
le Canada, la France, le Portugal, et le Royaume-Uni, auxquels s'étaient
joints le Brésil, l'Inde, l'URSS et la Tchécoslovaquie. Le
siège de l'Agence a été fixé à Vienne.
Le statut de l'AIEA n'est pas celui d'une organisation
spécialisée de l'ONU, mais d'une organisation qui, bien
qu'autonome, se trouve subordonnée à l'ONU. Ainsi l'Agence
doit-elle soumettre ses rapports d'activité à l'Assemblée
générale de l'ONU, au Conseil de Sécurité ainsi
qu'au Conseil économique et social.
L'AIEA doit aussi collaborer avec le Conseil de Sécurité, ainsi
que l'illustrent les responsabilités qui lui ont été
confiées pour la mise en application des décisions relatives au
démantèlement de la puissance militaire irakienne
(résolution 687 du Conseil de Sécurité des Nations unies).
Les instances de l'Agence sont organisées en trois niveaux, dotés
de pouvoirs variables.
La Conférence générale dispose de pouvoirs
réduits : elle approuve les rapports et propositions soumis par le
Conseil des gouverneurs et adopte le budget sur recommandation des gouverneurs.
L'originalité de cette institution est la distinction établie,
parmi ses membres, entre les fondateurs, pays industriels avancés dans
leur majorité, et les membres dont l'admission relève d'une
recommandation du Conseil des gouverneurs. Le Directeur général
et le Secrétariat disposent également de peu de pouvoirs.
L'essentiel des prérogatives appartient donc au Conseil des
gouverneurs, au sein duquel les Etats nucléaires disposent de pouvoirs
étendus en raison d'un mode de désignation fondé pour
l'essentiel sur le critère de puissance nucléaire.
Le
rôle du Conseil des gouverneurs pourrait être comparé
à celui du Conseil de Sécurité des Nations unies, sauf que
les cinq puissances nucléaires militaires n'y disposent pas du droit de
veto.
b) Un contrôle inquisitorial des installations nucléaires
L'AIEA,
qui n'a jamais joué le rôle de " banque "
nucléaire envisagé par Eisenhower en 1953, est investie d'une
" mission d'assistance technique " en vertu de laquelle l'Agence
contribue au développement de l'énergie nucléaire à
des fins pacifiques. Parmi les missions exercées au titre de
l'assistance technique, on peut citer l'amélioration des infrastructures
de radiothérapie et de médecine nucléaire, ou
l'application à l'hydrologie et à l'agriculture des techniques
isotopiques.
Mais la mission essentielle de l'AIEA est le contrôle de l'utilisation
pacifique de l'atome, dit " contrôle de
sécurité "
(34(
*
))
, qui s'appuie
sur un
système de garanties
permettant à l'Agence :
- d'examiner les plans des installations et les équipements, y
compris les réacteurs nucléaires, afin de s'assurer qu'ils
serviront à des fins pacifiques ;
- de faire appliquer les mesures sanitaires et de sécurité
qu'elle prescrit ;
- de faire tenir une stricte comptabilité des matières
brutes et des produits fissiles utilisés et produits ;
- de vérifier que le traitement chimique des matières
irradiées ne favorise pas le détournement de produits
susceptibles d'être utilisés à des fins militaires ;
- d'envoyer des inspecteurs dans les pays ayant souscrit à ces
garanties.
Ces inspections se trouvent au coeur de tout le système de
contrôle de l'AIEA.
Elles peuvent être destinées
à vérifier ponctuellement les renseignements contenus dans les
déclarations des Etats sur les matières nucléaires
soumises aux garanties. Ces inspections peuvent aussi être
effectuées régulièrement, afin de vérifier la
conformité des déclarations des Etats aux comptabilités
tenues par ceux-ci. Les inspections spéciales sont
décidées si les renseignements obtenus par l'Agence à
partir d'une inspection régulière semblent insuffisants.
Comme on le verra plus loin, le traité Euratom s'inscrit dans le
cadre du système international de garanties, la Communauté
européenne de l'énergie atomique exerçant des
contrôles de sécurité dans les Etats membres pour le compte
de l'AIEA.
2. Le traité de non-prolifération nucléaire
a) Les objectifs du TNP
Au
début des années 1960, les dangers liés à la
prolifération nucléaire ont été
dénoncés par le Président Kennedy, qui envisageait
à brève échéance l'émergence de 15 à
20 puissances nucléaires.
La conscience du risque que représente l'extension des
compétences nucléaires a conduit l'Assemblée
générale des Nations unies, en décembre 1961, à
ouvrir des négociations en vue de la conclusion d'un accord fondé
sur l'engagement des puissances nucléaires de s'abstenir d'assister les
puissances non nucléaires pour fabriquer l'arme atomique, tandis que les
puissances non nucléaires renonceraient à se procurer des armes
nucléaires.
Confiée à un comité de désarmement
créé par l'Assemblée générale des Nations
unies, l'élaboration du traité de non-prolifération fut
accélérée par l'explosion, en 1964, de la bombe atomique
chinoise. La rédaction finalement retenue, adoptée le
12 juin 1968 par l'Assemblée générale des Nations
unies, doit essentiellement aux initiatives des Etats-Unis, de l'URSS et du
Royaume-Uni.
Les objectifs du Traité de Non Prolifération des armes
nucléaires (TNP) sont définis par son préambule :
"
ne ménager aucun effort pour écarter le risque d'une
guerre nucléaire
", parvenir à la "
cessation de
la fabrication d'armes nucléaires, la liquidation de tous les stocks
existants ( ... ), et l'élimination des armes
nucléaires
" au moyen d'un " traité sur le
désarmement général et complet ", et, enfin,
encourager la diffusion des "
applications pacifiques de la technologie
nucléaire
" par une coopération entre Etats.
Le TNP affirme son appui aux efforts mis en oeuvre dans le cadre de
l'AIEA en vue de contrôler toute prolifération nucléaire
à des fins non pacifiques.
Les obligations souscrites par les parties différent selon qu'il s'agit
de puissances nucléaires ("
having
") ou d'Etats non
dotés d'armes nucléaires ("
having not
").
Les Etats dotés d'armes nucléaires s'engagent non seulement
à ne pas transférer d'armes nucléaires, mais aussi
à s'abstenir d'aider, encourager ou inciter des Etats n'ayant pas
accédé à cette technologie à acquérir de
telles armes (art. 1er). L'article 9.3 considère comme Etat
nucléaire un Etat ayant fabriqué ou fait exploser une arme
nucléaire avant le ler janvier 1967.
Les Etats non dotés d'armes nucléaires renoncent à
acquérir des armes nucléaires. Ils s'engagent à refuser
tout transfert d'armes, ou de dispositifs explosifs nucléaires, ainsi
que toute assistance pour la fabrication d'armes nucléaires
(article 2).
b) Le système de garanties
Le
système de garanties, défini par l'article 3, est
destiné à "
empêcher que l'énergie
nucléaire ne soit détournée de ses utilisations pacifiques
vers des armes nucléaires
".
Les Etats non dotés d'armes soumettent leurs activités
nucléaires au contrôle de 1'AIEA avec laquelle des accords doivent
être conclus.
Les Etats fournisseurs s'engagent à soumettre aux garanties et au
contrôle de l'AIEA les matières brutes, les produits fissiles
spéciaux, ainsi que les équipements de retraitement ou de
production de matières fissiles qu'ils sont susceptibles de
transférer, à des fins pacifiques, aux Etats non dotés de
l'arme nucléaire.
Dans ce but, le Conseil des gouverneurs de l'AIEA a approuvé en
février 1972 un document formalisant la structure et le contenu des
accords à conclure entre l'Agence et les Etats dans le cadre du TNP. Ce
document constitue donc un cadre-type des accords de garanties. Actuellement,
177 accords de garanties sont en vigueur avec 104 Etats, tandis que
912 établissements sont soumis aux garanties, dont 9 appartenant
à des pays dotés d'armes nucléaires.
Le Traité de Non-Prolifération a acquis aujourd'hui un
caractère quasi universel : seuls l'Inde, le Pakistan, Israël
et Cuba n'en sont pas signataires. Mais les trois premiers de ces Etats ont
accepté de soumettre volontairement certaines de leurs installations
nucléaires au contrôle de l'AIEA, afin de pouvoir
bénéficier d'exportations de technologie en provenance des pays
occidentaux.
Certes, les puissances nucléaires ne sont pas, d'après le
traité de non-prolifération, obligées de conclure des
accords de garanties avec l'AIEA, mais elles ont d'elles-mêmes
proposé de souscrire à des accords
particuliers de
soumission volontaire aux normes de l'AIEA (Royaume-Uni : août
1978 ; Etats-Unis : décembre 1980 ; France : septembre
1981 ; URSS : juin 1985 ; Chine: septembre 1989).
En compensation des obligations souscrites par les Etats non
nucléaires, l'article 4 du TNP engage les puissances nucléaires
à contribuer aux échanges d'"
équipements, de
matières et de renseignements scientifiques et
technologiques
", afin de favoriser la diffusion des utilisations
pacifiques de l'atome.
Le deuxième paragraphe de l'article 4 se
réfère expressément aux besoins des régions en
développement, et semble privilégier la coopération
nucléaire avec les Etats non dotés d'armes nucléaires qui
sont parties au traité.
Toutefois, des considérations politiques et commerciales se sont
opposées à une interprétation rigoureuse de l'article 4.
En 1975, les Etats-Unis avaient livré plus de la moitié de leurs
centrales nucléaires d'exportation à des pays n'ayant pas
adhéré au TNP. De toute façon, limiter la
coopération nucléaire aux Etats non dotés de l'arme
nucléaire adhérents au TNP aurait été
inopérant, dès lors que des pays non parties au traité ont
déjà acquis la capacité de développer leur propre
programme national sans recourir à une aide extérieure, ou en
s'appuyant sur l'aide de pays peu scrupuleux sur le plan des garanties et des
contrôles.
c) Un renforcement récent
Au cours
des dix dernières années, quatre événements
très préoccupants ont conduit la communauté internationale
à renforcer les dispositifs de lutte contre la prolifération des
armes nucléaires :
- en 1991, la défaite de l'Irak à l'issue de la guerre du
Golfe a permis la découverte de l'existence dans ce pays d'un
programme clandestin de développement d'armement nucléaire,
chimique et biologique ;
- cette même année, l'éclatement de l'Union
soviétique a accru les risques de détournement et de trafic de
matières nucléaires, en raison de la désorganisation
économique et politique des Etats membres de la CEI ;
- en 1992, la signature par la Corée du Nord d'un accord de
garantie avec l'AIEA a permis de découvrir des anomalies dans le suivi
des matières nucléaires transitant par une installation pilote de
retraitement des combustibles usés, corroborées par des images
satellites montrant l'existence d'installations nucléaires auxquelles la
Corée du Nord interdisait l'accès à l'AIEA ;
- en 1998, deux Etats non signataires du TNP, l'Inde et le Pakistan, ont
procédé à des tests militaires de bombes atomiques.
Ces événements inquiétants ont conduit l'AIEA à
lancer en 1993 un programme de renforcement des garanties, dit
" 93+2 ", qui a abouti en 1997 à un protocole additionnel,
permettant notamment de détecter des installations non
légales
: extension des informations fournies par les Etats
à l'ensemble de leurs activités nucléaires ;
élargissement de l'accès des inspecteurs de l'AIEA aux
installations, y compris celles qui ne détiennent pas de matières
nucléaires ; autorisation de faire des prélèvements
dans l'environnement afin de détecter les traces d'éventuelles
activités non déclarées.
Le rapporteur de la commission des Affaires étrangères du
Sénat sur l'adhésion de la France en 1992 au Traité de Non
Prolifération des armes nucléaires
(35(
*
))
, M. Guy Cabanel, relevait que le rythme de la
prolifération nucléaire a été relativement lent par
rapport aux prévisions alarmistes faites dans les années 1960.
Mais il estimait que ce succès apparent est en réalité
dû à des phénomènes internationaux sur lequel le TNP
a peu de prise : "
cette situation relativement favorable (...)
doit cependant être relativisée par l'évolution du
marché nucléaire, que la poussée écologiste, les
réticences dues aux accidents de Three Mile Island et Tchernobyl, et la
diminution des prix du pétrole, ont contribué à geler
depuis 1975.
" Dans le Tiers-monde lui-même, le coût élevé
des programmes électronucléaires, joint aux difficultés
techniques liées à la conduite de ceux-ci ont abouti, toute
proportion gardée, à une relative stagnation de la progression de
l'atome (...). En définitive, les contrôles à l'exportation
ne se sont guère matérialisés, faute
d'exportations
".
3. Les instances de coopération commerciale et technique
a) Le Club de Londres
Le 18
mai 1974, l'explosion de la bombe indienne dans le désert du Rajasthan
constituait une éclatante manifestation des limites du Traité de
non prolifération, et a justifié la mise en place de moyens de
contrôle complémentaires.
Réunis à Londres, à l'initiative des Etats-Unis, les
principaux exportateurs de technologie nucléaire (France, Etats-Unis,
URSS, Royaume-Uni, Japon et Canada) ont souscrit à la fin de 1975 des
accords régissant les transferts de technologies, d'équipements
et de matières nucléaires.
Rendues publiques en 1977 et transmises à l'AIEA, les directives de
Londres, qui s'apparentent à un
gentlemen's agreement
, sont
complétées par une liste de base des matières et
matériels visés.
Elles subordonnent le transfert des articles
figurant dans cette liste de base à un engagement gouvernemental du pays
destinataire de ne pas détourner les fournitures vers
un usage
militaire, et de soumettre toutes ses installations nucléaires aux
contrôles de l'AIEA.
Cet engagement s'étend, en cas de
retransfert, au destinataire final de la transaction, qui doit fournir les
mêmes assurances que les pays intermédiaires. Les matières
et installations figurant dans la liste de base doivent faire l'objet d'une
protection physique efficace afin de prévenir des actes de vol, de
terrorisme ou de sabotage. Ces diverses précautions s'appliquent aux
installations d'enrichissement, de retraitement ou de production d'eau lourde.
Le Club de Londres s'est progressivement élargi aux pays exportateurs
suivants : RDA, Belgique, Italie, Pays-Bas, Suède, Pologne et
Tchécoslovaquie en 1976, Australie et Suisse en 1977, Finlande en 1980,
Danemark, Grèce, Luxembourg, Irlande et Bulgarie en 1984, Hongrie en
1985, Portugal en 1986, Espagne en 1988, Norvège et Roumanie en 1990.
Depuis la réunification allemande, le Club compte donc 26 membres.
Le Club de Londres est apparu aux candidats à la technologie
nucléaire appartenant au Tiers-monde comme une " association
Est-Ouest détenant la technologie nucléaire dirigée contre
le développement nucléaire du Sud ". C'est pourquoi certains
commentateurs estiment que le Club de Londres a superposé, à la
distinction fondamentale établie par le TNP entre Etats dotés
d'armes nucléaires et Etats non dotés, un clivage entre pays
exportateurs et pays importateurs de l'atome. D'où la critique
communément adressée au Club de Londres d'aggraver les
discriminations dues au TNP.
L'une des premières applications des Directives de Londres a
concerné l'accord de coopération nucléaire conclu entre la
France et le Pakistan le 17 mars 1976. Cet accord, qui n'a finalement pas
été mis en oeuvre, prenait en compte les consignes relatives aux
garanties de l'AIEA et à l'utilisation des articles à des fins
spécifiques, mais éludait tout dispositif de protection physique
des produits transférés. Par ailleurs, l'objectif officiel
invoqué par les autorités pakistanaises, à savoir
créer une filière de surgénérateurs producteurs de
plutonium, paraissait peu compatible avec la finalité exclusivement
pacifique imposée par le code de bonne conduite auquel les exportateurs
avaient souscrit.
En pratique, l'existence de deux conceptions opposées du
contrôle des exportations nucléaires, celle des partisans
maximalistes d'un contrôle de l'ensemble des activités
nucléaires des Etats non dotés d'armes nucléaires, et
celle des tenants plus modérés de contrôles au coup par
coup, a limité l'efficacité du code de bonne conduite
élaboré par le Club de Londres.
b) L'Agence pour l'énergie nucléaire de l'OCDE
L'Agence
pour l'énergie nucléaire (AEN) a été
créée en 1958, sous le nom d'Agence européenne pour
l'énergie nucléaire, afin de permettre aux pays d'Europe
occidentale de mettre en commun leurs ressources scientifiques et
financières au service du développement de l'énergie
nucléaire.
Dans les années 70, avec l'adhésion de l'Australie et du Japon,
puis des Etats-Unis et du Canada, l'Agence s'est transformée en Agence
pour l'énergie nucléaire. L'AEN comprend actuellement
27 pays d'Europe, d'Amérique et d'Australie. Ces pays
détiennent 85 % du parc nucléaire mondial et on retrouve
parmi eux une grande majorité des pays les plus avancés dans le
domaine nucléaire.
La mission de l'AEN est d'aider les pays membres à maintenir et
à approfondir, par l'intermédiaire de la coopération
internationale, les bases scientifiques, technologiques et juridiques
indispensables à une utilisation sûre, respectueuse de
l'environnement et économique de l'énergie nucléaire
à des fins pacifiques.
Elle a également pour mission de fournir des évaluations faisant
autorité et de dégager des convergences de vues sur des questions
de fond qui serviront aux gouvernements pour définir leur politique
nucléaire, ainsi qu'à l'OCDE pour ses analyses plus
générales relatives aux politiques de l'énergie et du
développement durable.
L'Agence remplit ces missions à travers un
programme
qui aborde
des questions de fond comme la sûreté nucléaire et le
régime des autorisations, la gestion des déchets radioactifs, la
radioprotection, les aspects économiques et technologiques du cycle du
combustible nucléaire, les sciences nucléaires, le droit et la
responsabilité nucléaires et l'information du public.
La
Banque de données
de l'AEN procure des services scientifiques
à un large éventail d'utilisateurs dans les laboratoires, le
secteur industriel et les milieux universitaires à l'intérieur et
à l'extérieur de la zone de l'OCDE.
L'efficacité de l'AEN en tant qu'instrument intergouvernemental pour la
coopération nucléaire tient à ses méthodes de
travail.
Sept grands comités techniques internationaux, composés d'experts
hautement qualifiés venant des pays membres de l'AEN, définissent
et exécutent le programme de travail avec l'aide d'un secrétariat
international.
L'AEN coopère avec des pays non membres d'Europe centrale et orientale
et avec l'ex-Union soviétique (CEI) dans des domaines comme la
sûreté nucléaire, la radioprotection et le droit
nucléaire.
Les atouts propres de l'AEN résident dans la qualité de ses
analyses visant à répondre aux besoins spécifiques des
pays membres, son aptitude à traiter les questions en temps voulu et ses
méthodes de travail, qui reposent sur la recherche du consensus et le
partage du travail entre ses membres.
Chaque pays membre peut y trouver les
meilleures compétences mondiales en matière nucléaire,
dans un climat de confiance et de compréhension mutuelles.
4. Les règles internationales de responsabilité et d'assistance
Deux rapports récents de la commission des Affaires étrangères du Sénat (36( * )) permettent de faire le point sur les règles matérielles de droit international qui précisent les responsabilités des Etats dotés de centrales nucléaires et organisent une solidarité entre eux.
a) Les limites du régime traditionnel de la responsabilité civile nucléaire
Le
régime international de la responsabilité civile nucléaire
repose sur deux conventions. La première a été
adoptée le 29 juillet 1960 à Paris, par 16 Etats
européens sous l'égide de l'OCDE, et complétée le
31 janvier 1963 par une convention supplémentaire signée à
Bruxelles. Cette dernière visait à mettre en place des fonds
supplémentaires en vue de la réparation d'une éventuelle
catastrophe nucléaire.
Cet accord à portée régionale s'est trouvé
concurrencé par une convention à vocation mondiale,
adoptée à Vienne le 21 mai 1963, dans le cadre de l'AIEA.
Une révision des conventions de Paris et de Bruxelles a permis de
parvenir à un bon degré d'harmonisation entre les deux accords.
Les conventions de Paris et de Vienne visent à assurer une
réparation adéquate aux victimes de dommages causés par
des accidents nucléaires, tout en évitant d'entraver le
développement de la production et des utilisations de l'énergie
nucléaire à des fins pacifiques. L'objectif de ces accords est
donc de concilier les intérêts divergents des victimes et des
exploitants.
La responsabilité est définie sur la base de la
responsabilité objective et exclusive de l'exploitant.
Celui-ci
est responsable de tout dommage qu'entraînerait un accident survenant
dans son installation, ou impliquant des obstacles en provenance ou à
destination de celle-ci.
Ce régime évite aux victimes d'avoir à prouver qu'il y a
eu une faute à l'origine de l'accident, et d'identifier le responsable.
Une telle exigence serait, en effet, irréaliste dans le cas d'une grave
maladie se révélant plusieurs années après
l'exposition aux rayonnements.
Contrepartie de la responsabilité objective et exclusive de
l'exploitant, le
principe de limitation de la réparation
financière et des délais d'introduction des recours
vise
à éviter d'entraver l'expansion de l'industrie nucléaire
civile.
Selon la convention de Vienne, le montant de la garantie financière que
l'exploitant est tenu de souscrire doit s'élever au minimum à
5 millions de dollars (de 1963). Pour faire face à leurs
obligations en cas de dommage nucléaire, les assureurs se sont
organisés en
pools
d'assurance nucléaire, fondés
sur les principes de coassurance et de réassurance.
Par ailleurs, pour compenser la limitation de la responsabilité de
l'exploitant, les conventions de Paris et de Vienne ont prévu un
système complémentaire de réparation
fondé
sur l'intervention de l'Etat.
En dépit de l'apport juridique intéressant de ces deux
conventions, leur portée est limitée par le faible nombre de
leurs signataires. C'est ainsi que, lors de l'accident de Tchernobyl, l'URSS
n'était partie à aucune d'entre elles.
Aucun des Etats qui
ont subi les effets du nuage radioactif n'aurait d'ailleurs pu invoquer ces
textes, à l'exception de la Yougoslavie. C'est donc aux règles
générales du droit international de l'environnement qu'il a fallu
recourir en 1986.
Les lacunes révélées lors de l'accident de Tchernobyl
consistèrent notamment dans l'absence de notification aux pays voisins
de l'URSS de l'explosion du réacteur et des évolutions du nuage
radioactif. Les dégâts furent donc détectés par les
pays environnants eux-mêmes. Il n'est pas exclu qu'un temps
précieux ait été perdu entre l'apparition des polluants et
l'adoption de mesures de précaution.
La prise de conscience des insuffisances du droit international conduisit donc,
au cours de la décennie suivante, à
l'adoption de nombreuses
conventions dans le cadre de l'AIEA
:
- la convention de 1986 sur la notification rapide d'un accident
nucléaire ;
- la convention de 1986 sur l'assistance en cas d'accident
nucléaire ou de situation d'urgence radiologique ;
- le protocole commun de 1988 relatif à l'application de la
convention de Vienne et de la convention de Paris dans le domaine de la
responsabilité civile nucléaire ,
- la convention de 1994 sur la sûreté nucléaire ;
- la convention de 1997 sur la réparation complémentaire des
dommages nucléaires ;
- le protocole d'amendement de 1997 à la convention de Vienne de
1963 relative à la responsabilité civile en matière de
dommages nucléaires ;
- la convention de 1997 sur la sûreté de la gestion du
combustible usé et sur la sûreté de la gestion des
déchets radioactifs
b) Les conventions sur la notification rapide et l'assistance en cas d'accident nucléaire
La
première des deux conventions de Vienne du 26 septembre 1986 est
relative à la notification rapide d'un accident nucléaire.
Elle pose un devoir d'informer sans délai les Etats pouvant
être affectés par une détérioration accidentelle de
l'environnement due à un accident nucléaire.
Sans aborder la
question de la responsabilité et de la réparation des dommages,
ce texte vise exclusivement à limiter le plus possible les
conséquences radiologiques d'un accident nucléaire dans les pays
voisins.
Ces informations doivent concerner la localisation exacte et la nature de
l'accident, l'installation ou l'activité nucléaire
concernées, la cause supposée et l'évolution
prévisible de l'accident, les conditions météorologiques
et hydrologiques du moment, les mesures de protection prises ou
projetées hors du site... La convention préserve la
confidentialité des informations transmises, et se fonde sur une
définition précise de l'accident nucléaire qui
s'étend à toute installation de gestion de déchets
radioactifs et à tout accident survenu en cours de transport ou de
stockage de combustibles nucléaires ou de déchets radioactifs.
La seconde convention de Vienne du 26 septembre 1986 est relative à
l'assistance en cas d'accident nucléaire ou de situation d'urgence
radiologique.
Elle instaure un devoir de coopération et d'assistance
entre les parties contractantes et l'AIEA, afin de faciliter une assistance
rapide en cas de situation critique.
Les mesures d'assistance prescrites en prévision d'accidents
hypothétiques consistent dans la notification à l'AIEA des
experts et du matériel susceptibles d'être fournis en cas de
besoin, la désignation des autorités compétentes pour
intervenir, l'élaboration de plans d'urgence et la mise au point de
programmes de surveillance de la radioactivité.
En cas de situation critique, les mesures d'assistance portent notamment sur le
traitement médical des victimes de radiations et sur l'accueil
provisoire de celles-ci sur le territoire d'Etats requis. La convention
définit les conditions de coordination, de contrôle et de
direction de l'assistance selon que celle-ci est offerte sur le territoire de
l'Etat requérant ou sur celui d'Etats sollicités. Elle
précise par ailleurs les conditions financières de la fourniture
d'assistance, ainsi que la place de l'AIEA dans l'organisation et le
déroulement des opérations d'assistance.
c) La convention sur la sûreté nucléaire
La
convention de Vienne du 17 juin 1994 pose le principe, en matière de
sûreté, de la responsabilité de l'Etat sous la juridiction
duquel se trouve une installation nucléaire. Chaque partie à la
convention doit donc établir et maintenir en vigueur un
cadre
juridique régissant la sûreté de ses centrales civiles
(art. 7).
Cet ensemble de normes internes comporte des "
règlements de
sûreté nationaux pertinents
", un "
système de
délivrance d'autorisations pour les installations nucléaires et
l'interdiction d'exploiter une installation nucléaire sans
autorisation
", un système d'inspection, ainsi que des mesures
de sanction, telles que suspension, modification ou retrait d'autorisations
d'exploitation. Par ailleurs, l'article 9 prévoit que la
responsabilité de la sûreté d'une installation incombe au
titulaire de l'autorisation, c'est-à-dire à l'exploitant.
En ce qui concerne les mesures administratives prévues par la
convention, chaque partie contractante s'engage, selon l'article 8,
à désigner ou à créer un
organisme de
réglementation
chargé de faire appliquer le dispositif
juridique précédemment évoqué. Cet organisme doit
être doté des pouvoirs, compétences et moyens financiers
lui permettant d'exercer ses responsabilités, et ses fonctions doivent
être distinctes de celles des organismes chargés de la promotion
ou de l'utilisation de l'énergie nucléaire.
Cette clause
répond à un impératif de sagesse élémentaire
qui veut que l'on ne soit pas, dans le domaine nucléaire encore moins
qu'ailleurs, à la fois juge et partie.
Bien que ces dispositions paraissent peu contraignantes au premier abord, tant
les précautions élémentaires qu'elles préconisent
vont de soi, elles ont imposé des modifications juridiques et
institutionnelles aux Etats d'Europe de l'Est signataires, notamment
l'Arménie, la Russie et l'Ukraine, qui étaient loin de satisfaire
aux conditions posées par l'article 4 de la convention.
L'article 6 de la convention engage chaque partie contractante à
apporter de façon urgente "
les améliorations
destinées à renforcer la sûreté de ses centrales,
ou, si le renforcement de la sûreté de celles-ci est impossible,
à programmer l'arrêt de l'exploitation des installations
nucléaires en question
". L'échéancier de
l'arrêt éventuellement décidé doit cependant tenir
compte "
des solutions de remplacement possibles, ainsi que des
conséquences sociales, environnementales et
économiques
" d'une telle mesure.
En effet, la convention
cherche à éviter de déstabiliser des pays
déjà confrontés à d'importantes difficultés
économiques, par des décisions qui seraient inadaptées,
notamment à la situation de l'emploi.
Les
obligations en matière de sûreté
nucléaire
sont précisées par les articles 10 à
19, qui demandent aux Etats signataires de :
- prévoir les ressources financières nécessaires
à la sûreté des installations nucléaires ;
- faire en sorte qu'un nombre suffisant d'agents qualifiés
formés, et entraînés soient "
disponibles pour
toutes les activités liées à la
sûreté
", tout en prenant en compte les
"
possibilités et les limites de l'action
humaine
" ;
- procéder à des "
évaluations de
sûreté approfondies et systématiques avant la construction
et la mise en service d'une installation nucléaire
", et à
des "
vérifications par analyse, surveillance, essais et instructions
en cours d'exploitation "
;
- adopter des mesures appropriées en matière de
radioprotection des travailleurs et du public ;
- prévoir des plans d'urgence testés périodiquement,
intégrant les conséquences d'un éventuel accident pour les
Etats avoisinants. L'obligation de prendre les mesures appropriées aux
situations d'urgence concerne également les parties contractantes
n'ayant pas d'installation nucléaire sur leur territoire, mais
susceptibles d'être affectées en cas de situation d'urgence
radiologique ;
- déterminer les sites d'exploitation en fonction
d'impératifs de sûreté, et définir les conditions
d'installation de manière à assurer un "
fonctionnement
fiable, stable, et facilement maîtrisable
" ;
- subordonner l'autorisation d'exploitation à une "
analyse
de sûreté appropriée
".
Par ailleurs, chaque Etat signataire s'engage à présenter, lors
des réunions des parties contractantes, des rapports permettant de juger
des progrès accomplis en matière de sûreté
nucléaire et des mesures adoptées pour remplir ses obligations
(article 5).
Cette clause répond au souci de soumettre chaque
Etat posant un problème de sûreté nucléaire au
jugement de ses pairs, dans une perspective incitative et non coercitive.
Ces rapports ne sont pas destinés à être publiés,
les seuls documents voués à une certaine publicité
étant les rapports de synthèse établis lors des
réunions plénières des Parties prévues à
l'article 20.
La convention sur la sûreté nucléaire compte à ce
jour 22 signataires. Tous les Etats membres de l'Union européenne
en sont parties et, de surcroît, la Communauté y a
adhéré en tant que telle.
d) La convention commune sur la sûreté de la gestion du combustible usé et des déchets radioactifs
La
convention de Vienne du 5 septembre 1997 s'applique à la
sûreté de la gestion du combustible usé lorsque celui-ci
résulte de l'exploitation de réacteurs nucléaires civils.
Toutefois, le combustible usé faisant l'objet d'une activité de
retraitement n'entre pas dans le champ d'application de la convention, à
moins que la partie contractante ne déclare que le retraitement fait
partie de la gestion du combustible usé. La France a
déclaré, conjointement avec le Royaume-Uni et le Japon, qu'elle
ferait rapport, sur une base volontaire, de ses activités de
retraitement en tant qu'activités de gestion de combustible usé
au sens de la convention.
La convention commune définit les principes de sûreté de la
gestion du combustible usé et des déchets radioactifs qu'il
appartient aux Etats de mettre en oeuvre au travers de
mesures
nationales
.
Ces principes de sûreté recouvrent
notamment :
- la réalisation d'études d'impact en matière de
sûreté préalablement au choix du site d'une
installation ;
- la réalisation d'une évaluation de la sûreté
et d'une évaluation environnementale préalablement à la
construction et à la mise en exploitation d'une installation ;
- la nécessité de limiter au niveau le plus bas qu'il est
raisonnablement possible d'atteindre les expositions à la
radioactivité des travailleurs et du public ;
- la limitation des rejets d'effluents ;
- la préparation de plans d'urgence ;
- la possibilité de contrôles et d'interventions après
la fermeture du site.
La convention impose par ailleurs la mise en place par les Etats d'un
cadre
législatif et réglementaire
qui doit notamment
prévoir un organisme de réglementation, doté de
pouvoirs, de compétences et de ressources financières
adéquats, chargé de sa mise en oeuvre.
Cette fonction de
réglementation doit être indépendante des activités
de gestion du combustible usé ou des déchets radioactifs, dans
l'hypothèse où l'organisme couvre l'ensemble des fonctions.
Les dispositions relatives aux mouvements transfrontières figurant
à l'article 27 de la convention reprennent très largement
celles du code de bonnes pratiques sur les mouvements transfrontières
internationaux de déchets radioactifs adopté en 1990 dans le
cadre de l'AIEA.
Le Préambule de la convention reconnaît le droit souverain de
chaque Etat d'interdire l'importation de déchets radioactifs sur son
territoire.
Tout en considérant que les déchets radioactifs
devraient être stockés définitivement dans le pays qui les
a produit, le Préambule reconnaît également la pratique du
stockage de déchets étrangers, si cela contribue à une
gestion sûre et efficace de ces déchets.
Le mécanisme de contrôle de la mise en oeuvre par les Etats
signataires des mesures spécifiées par la convention est
identique à celui qui a été retenu pour la convention sur
la sûreté nucléaire. Les parties contractantes doivent
fournir des rapports sur les mesures prises pour remplir chacune des
obligations énoncées dans la convention, ainsi que sur leur
politique de gestion des combustibles usés et des déchets
radioactifs, dans le cadre de réunions d'examen qui se tiennent à
un intervalle de trois ans au plus.
Ce
mécanisme " d'examen par les pairs "
vise à
inciter les Etats à améliorer volontairement leur
réglementation et le niveau de sûreté de leurs
installations. Le secrétariat de ces réunions est assuré
par l'AIEA.
La Commission européenne a reçu mandat du Conseil pour faire
adhérer la Communauté à la convention commune sur la
gestion du combustible usé et des déchets radioactifs, qui compte
déjà 40 pays signataires, dont tous les Etats membres de l'Union
européenne dotés de centrales nucléaires.
Au total, le cadre international dans lequel s'inscrit le
développement de l'énergie nucléaire apparaît
inhabituellement contraignant par rapport à d'autres activités
industrielles relevant des seules souverainetés nationales.
Dès l'origine, le nucléaire civil a été
frappé de suspicion en raison de ses applications militaires
potentielles, qui a justifié la mise en place d'un dispositif
institutionnel et juridique fortement interventionniste, le système des
garanties de l'AIEA et du TNP.
Plus récemment, la crainte des accidents nucléaires et la
préoccupation croissante à l'égard des déchets
radioactifs ont motivé l'adoption de conventions internationales sur la
sûreté nucléaire. L'originalité de ces accords, qui
élèvent au rang de normes internationales les prescriptions de
l'AIEA, est qu'ils se fondent implicitement sur un " devoir
d'ingérence écologique " et font dépendre leur
application d'une surveillance mutuelle entre les Etats dotés de
centrales nucléaires.
B. LA SÛRETÉ NUCLÉAIRE EN EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE
1. Les résultats mitigés de l'intervention des pays occidentaux
a) L'implication du G7 à partir de 1992
La
catastrophe de Tchernobyl a révélé les défaillances
majeures du système de sûreté nucléaire à
l'Est, et montré que la radioactivité ne connaît pas de
frontières.
Il apparaît désormais clairement que l'avenir de l'énergie
nucléaire dans chaque pays européen dépend très
étroitement de l'évolution et de la stratégie suivies dans
les pays voisins.
Tout nouvel accident grave dans une centrale de l'Europe
de l'Est aurait des répercussions immédiates sur l'opinion
publique et risquerait de remettre en question cette forme d'énergie
dans l'ensemble des pays concernés.
C'est pourquoi les pays occidentaux se sont fortement intéressés,
à partir du début des années 1990, au niveau de
sûreté des centrales nucléaires en fonctionnement en Europe
de l'Est.
Deux filières de réacteurs nucléaires différentes
ont été développées dans les pays de l'ancien
bloc soviétique.
Les
réacteurs RBMK
(
Reaktor Bolchoi Mochnotsti Kanalny
),
à tubes de force bouillants et modérés par du graphite,
souffrent de plusieurs défauts majeurs qui affectent leur
sûreté : absence d'enceinte de confinement, faiblesse des tubes de
force, insuffisante protection des dispositifs de contrôle contre les
risques d'incendie inhérents au modérateur graphite.
Cette filière dérivée de la technologie militaire a
été développée en raison de la forte teneur de ses
combustibles usés en plutonium, utilisable pour fabriquer des armes
atomiques. Les réacteurs RBMK peuvent être déchargés
sans interruption de fonctionnement du réacteur.
Les
réacteurs VVER
(
Vodiano Vodianoi Energuiehtitcheski
Reaktor
), à eau pressurisée, sont d'une conception plus
proche de celle des REP occidentaux. Leur niveau de sûreté varie
selon la génération concernée.
Carte des réacteurs nucléaires en Europe centrale et orientale
Les
réacteurs VVER 213 et 320, qui datent des années 1980, sont
relativement fiables. Mais les réacteurs VVER 230, qui datent des
années 1960, présentent des défauts de conception
importants en matière de sûreté : comme les RBMK, ils
ne possèdent pas de troisième barrière de confinement et
leurs systèmes de contrôle sont jugés insuffisants par les
autorités de sûreté occidentales. Une nouvelle
génération de réacteurs, les VVER 1000, est en cours de
construction.
En 1998, douze années après la catastrophe de Tchernobyl,
16 réacteurs de type RBMK étaient encore en service en
Russie, en Ukraine et en Lituanie. Les 42 autres réacteurs en service
dans les pays d'Europe centrale et orientale relèvent de la
filière VVER, dont 10 réacteurs de la
génération VVER 230.
Outre ces défauts dans la conception initiale des réacteurs, la
sûreté nucléaire à l'Est a été encore
affaiblie par l'éclatement du bloc soviétique. En effet,
l'autorité de sûreté nucléaire était
jusqu'alors une structure bureaucratique et centralisée située
à Moscou. Les Etats de la CEI se sont retrouvés chacun avec un
parc électronucléaire à gérer, mais sans les
compétences nécessaires à son contrôle.
Lors du sommet de Munich de juillet 1992, le G7 a mobilisé la
communauté internationale sur la question de la sûreté
nucléaire à l'Est.
Le premier objectif étant d'éviter un second Tchernobyl, le G7 a
proposé de mettre en oeuvre le plus rapidement possible les
améliorations techniques nécessaires pour rendre les
réacteurs VVER 230 et RBMK plus sûrs, et de favoriser les
programmes de coopération et les transferts de savoir-faire pour
l'analyse de sûreté des installations et pour la formation des
personnels de conduite.
Le G7 a par ailleurs préconisé la construction d'un cadre
réglementaire pour le contrôle de sûreté, et la mise
en place d'autorités de sûreté efficaces et autonomes.
A cette occasion, le G24 nucléaire a été
institutionnalisé.
Il s'agit d'un mécanisme
intergouvernemental de coopération (NUSAC, pour
Nuclear Safety
Coordination)
qui réunit autour de l'Union européenne les
pays occidentaux, les pays d'Europe centrale et orientale, l'AEN et l'AIEA. La
présidence du G24 nucléaire est exercée par l'Union
européenne, deux vice-présidences tournantes étant
attribuées à un pays occidental et à un pays d'Europe de
l'Est. Son secrétariat est assuré par la Commission
européenne.
Le groupe de travail préparatoire au sommet du G7 de Munich avait
estimé le coût de l'aide d'urgence pour les réacteurs RBMK
et VVER 230 à 720 millions de dollars. Le coût des actions de
moyen terme était chiffré à 2,5 milliards de dollars
pour les réacteurs VVER 213-320, et à 3,2 milliards de dollars
pour les réacteurs VVER 1000.
Toutefois, les Etats occidentaux réunis au sommet de Munich ont bien
précisé que ces chiffres constituent un objectif, et non pas un
engagement de leur part
. En effet, les Etats-Unis et le Japon
étaient opposés au principe d'une aide multilatérale
massive transitant par des structures bureaucratiques, préférant
recourir à des financements bilatéraux plus souples et plus
conformes aux intérêts de leurs propres entreprises.
Un
fonds pour la sûreté nucléaire
a
été ouvert auprès de la BERD afin d'accueillir les dons de
quinze contributeurs : Allemagne, Belgique, Canada, Danemark, Etats-Unis,
France, Italie, Japon, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède,
Suisse et Union européenne.
Sans être à la hauteur des besoins estimés, la
contribution financière de la communauté internationale à
l'amélioration de la sûreté des centrales nucléaires
à l'Est n'est pas négligeable, puisqu'elle atteint 1,480 milliard
d'euros à la fin de 1997.
L'aide
multilatérale transitant par le Fonds pour la sûreté
nucléaire géré par la BERD et par l'AIEA représente
moins de 20 % du total des financements, tandis que les aides
bilatérales nationales en constituent 37 %.
Mais la contribution la plus importante reste celle de l'Union
européenne, qui apporte près de 43 % du total des financements.
b) Une situation toujours inquiétante
Les pays
occidentaux ont rapidement dû admettre que la solution aux
problèmes de sûreté qui se posent dans les centrales
nucléaires d'Europe de l'Est ne pouvait pas être la fermeture
rapide de tous les réacteurs considérés comme dangereux.
Dans les circonstances exceptionnelles de sa réunification, l'Allemagne
a pu fermer du jour au lendemain la centrale nucléaire de Greifswald,
qui était située dans l'ancienne RDA. Mise en oeuvre ailleurs,
cette solution radicale aurait des implications économiques trop lourdes
et violerait le principe de souveraineté nationale dont les pays
d'Europe centrale et orientale peuvent se prévaloir.
En pratique, fort peu de fermetures sont intervenues, puisque sur les 65
réacteurs identifiés en 1992 par le G7 dans les pays d'Europe
centrale et orientale, 58 continuaient de fonctionner six ans plus tard.
L'Arménie a même fait redémarrer sa centrale de Madzamor,
alors que son niveau de sûreté a été jugé
très insuffisant par les autorités de sûreté
occidentales.
Cette situation est d'autant plus inquiétante que la sûreté
nucléaire à l'Est ne souffre pas seulement des défauts de
conception technique des réacteurs, mais aussi des faiblesses de
maintenance dues au contexte institutionnel et économique.
Tout bon système de sûreté nucléaire doit
définir précisément les rôles et fonctions de ses
différents acteurs. Or, tel n'est pas encore le cas dans tous les pays
d'Europe centrale et orientale.
La responsabilité des exploitants de centrales nucléaires n'y est
pas partout précisée et sanctionnée juridiquement. De
même, les autorités de sûreté, lorsqu'elles existent,
ne sont pas toujours suffisamment indépendantes des autorités en
charge de l'exploitation et de la promotion du nucléaire, et ne
disposent pas forcément d'une capacité d'expertise autonome.
Ces lacunes de la " culture de sûreté " sont
aggravées par la désorganisation économique que
connaissent les pays d'Europe centrale et orientale dans leur phase de
transition vers l'économie de marché.
Lorsque leurs clients ne payent pas l'électricité qu'ils leur
livrent, les exploitants des centrales nucléaires ont de grande
difficulté à assurer de façon rigoureuse les tâches
d'entretien nécessaires à un fonctionnement sûr des
installations. De même, les autorités de sûreté ne
disposent pas des moyens financiers et humains suffisants pour contrôler
efficacement les installations nucléaires dont elles ont la charge.
Par ailleurs, tous les Etats d'Europe centrale et orientale concernés
n'acceptent pas de bon gré les conseils des pays occidentaux et ne
jouent pas pleinement le jeu de la coopération.
C'est notamment le
cas de la Russie. Dans le rapport qu'elle a présenté en
décembre 1998 devant l'Assemblée de l'Union de l'Europe
Occidentale
(37(
*
))
, Mme Josette Durieux
relève que "
la Russie ne reconnaît pas aux accords et aux
engagements auxquels elle souscrit un caractère vraiment
contraignant
" et que les programmes engagés ne sont pas
toujours respectés. Par exemple, la centrale de Koursk a
redémarré en 1998 alors que le programme de sûreté,
pour lequel les pays occidentaux ont versé 180 millions de dollars,
n'avait été accompli qu'à 70 %.
La situation de loin la plus préoccupante reste celle de la centrale
nucléaire de Tchernobyl.
Le réacteur n° 2 est hors
service depuis 1991, suite à un incendie, et le réacteur
n° 1 a été arrêté en novembre 1996. Mais
le réacteur n° 3 fonctionne toujours, alors que sa tuyauterie
est fissurée. Quant au " sarcophage " de béton
bâti afin de confiner les matières radioactives du réacteur
n° 4, à l'origine de la catastrophe de 1986, il menace de
s'effondrer.
Le Mémorandum d'entente signé en 1995 entre les pays occidentaux
et l'Ukraine prévoyait un soutien financier de 3,1 milliards de
dollars et la construction de deux nouveaux réacteurs nucléaires
à Rovno et Khmelnitsky pour compenser la fermeture complète de
Tchernobyl. Cet engagement a toutefois tardé à se
concrétiser, le Parlement allemand ayant même refusé
d'autoriser son gouvernement à prendre part au financement des nouveaux
réacteurs et préconisé l'éradication
complète du nucléaire en Ukraine.
Ulcérées, les autorités ukrainiennes ont un moment
menacé de revenir sur leur engagement de fermer en 2000 les
unités 4 et 5 de Tchernobyl, qui continuent de fonctionner dans des
conditions de sûreté tout à fait insuffisantes.
L'autorité de sûreté ukrainienne vient toutefois de
confirmer le déclassement d'ici la fin de l'année des deux
dernières tranches encore en activité. Antérieurement, le
18 juin 1999, la BERD a annoncé le financement, sur le Fonds de
sûreté nucléaire, d'un premier contrat de 69 millions
d'euros pour le déclassement de Tchernobyl. Ce premier pas
apparaît à la fois tardif et modeste, eu égard aux sommes
nécessaires.
Votre rapporteur constate que les pays occidentaux, en tardant à
apporter l'aide financière promise, ont implicitement
toléré que se perpétue à Tchernobyl une situation
extrêmement précaire au regard des principes
élémentaires de sûreté nucléaire. Cette
attitude lui paraît tout à fait irresponsable, compte tenu des
risques encourus.
Il estime toutefois que l'aide occidentale à l'Ukraine devrait prendre
la forme d'une contribution à l'amélioration de
l'efficacité énergétique de ce pays, plutôt que d'un
financement de nouvelles centrales nucléaires.
Quiconque connaît les invraisemblables gaspillages d'énergie qui
caractérisent les pays d'Europe centrale et orientale, ne peut que juger
préférable de donner la priorité à l'exploitation
des véritables " gisements d'économies " dont ceux-ci
disposent, plutôt qu'à l'extension de leurs capacités de
production énergétique.
2. Les difficultés des programmes communautaires d'assistance
a) Les limites des capacités d'expertise de la Commission
Au cours
de la dernière décennie, l'Union européenne et son organe
exécutif, la Commission, ont formé le pivot de l'aide occidentale
pour l'amélioration de la sûreté nucléaire à
l'Est.
Cette compétence n'était pas tout à fait nouvelle pour la
Commission européenne. Dès 1975, le Conseil avait adopté
une résolution précisant le rôle de la Commission à
l'égard des problèmes technologiques de sûreté
nucléaire
(38(
*
))
. Face à des
problèmes dépassant les frontières communautaires, la
Commission devait jouer un rôle de catalyseur des initiatives des Etats
membres, rechercher une position commune au sein des organisations
internationales, promouvoir l'harmonisation progressive des exigences et des
critères de sécurité.
En juin 1992, après la catastrophe de Tchernobyl, le Conseil a
adopté une nouvelle résolution relative à la
sûreté nucléaire
(39(
*
)),
qui
replaçait la résolution de 1975 dans la perspective de la
coopération avec les Etats d'Europe centrale et orientale.
Le problème de la sûreté nucléaire à l'Est
changeant de dimension, des crédits importants ont été
engagés sous la responsabilité de la Commission
européenne, essentiellement dans le cadre des programmes PHARE et TACIS.
La Commission européenne s'est alors heurtée à
l'absence d'une capacité propre d'expertise, pourtant indispensable pour
exercer correctement sa mission.
Le défi était plus grand
pour le nucléaire que pour toute autre activité, non seulement en
raison d'un contenu scientifique et technologique très complexe, mais
aussi en raison du peu de connaissances disponibles au début des
années 1990 sur une filière nucléaire soviétique
secrète et étroitement liée à l'appareil militaire.
Incapable dans un premier temps de mener une réflexion d'ensemble, la
Commission s'est d'abord appuyée sur le programme d'action défini
en 1991 par
l'association WANO
(
World Association of Nuclear
Operators
), qui rassemble, depuis sa réunion constitutive de 1989
à Moscou, les exploitants de 144 centrales nucléaires du
monde entier. Toutefois, la Commission a insuffisamment exploité les
méthodologies et l'expérience de WANO, en n'incluant pas dans les
contrats passés des indicateurs de performance, des évaluations
par des pairs ou la référence aux meilleures pratiques.
La Commission s'est ensuite appuyée sur l'expertise du
consortium
TPEG
(
Twinning Programme Engineering Group
), qui réunit sept
producteurs d'électricité de l'Union européenne
(40(
*
))
. TPEG dispose d'une expérience concrète
et a développé un système intéressant de jumelage
entre centrales nucléaires occidentales et orientales. Mais la
Commission lui a délégué ses responsabilités de
manière excessive alors que, par nature, TPEG ne peut que difficilement
se démarquer des intérêts industriels de ses membres.
En 1994, la Commission a décidé de recourir à des
agences d'approvisionnement
pour l'assister dans l'administration des
contrats de fourniture en matière de sûreté
nucléaire, parce qu'elle doutait de l'impartialité des
prestations des exploitants de centrales nucléaires de l'Union
chargés de l'assistance sur site. Ce dispositif a entraîné
une dilution supplémentaire des responsabilités, un allongement
des procédures et un accroissement des frais de gestion.
La Commission européenne a pu s'appuyer avec plus de confiance sur
l'expertise des
autorités de sûreté nucléaire
occidentales
. Mais celles-ci
(41(
*
))
ont
fini par préférer s'émanciper de sa tutelle, et se sont
constituées récemment en Association des autorités de
sûreté nucléaire d'Europe de l'Ouest
(WENRA, pour
West European Nuclear Regulators Association
).
Selon le premier rapport d'évaluation publié par l'association
en mars 1999, l'objectif de WENRA est de "
procurer à l'Union
européenne une capacité indépendante pour examiner les
problèmes de sûreté nucléaire et de sa
réglementation dans les pays candidats à
l'adhésion ".
Les auteurs de ce rapport semblent ainsi
considérer,
a
contrario
, que cette capacité
d'expertise indépendante n'existait pas jusqu'à présent.
b) Des contributions financières importantes
Les
faiblesses de la capacité d'expertise de la Commission européenne
sont d'autant plus fâcheuses que les sommes engagées par l'Union
au titre de l'amélioration de la sûreté nucléaire
à l'Est ont fini par être consistantes.
L'essentiel de l'aide communautaire a été mis en oeuvre dans le
cadre des
programmes PHARE et TACIS
, destinés respectivement aux
pays d'Europe centrale et aux pays de la CEI. Entre 1990 et 1997, un montant de
786 millions d'euros a été engagé pour la
sûreté nucléaire, soit 20 % des engagement TACIS et 2 % des
engagements PHARE.
Le tableau ci-dessous présente les crédits communautaires
consacrés entre 1990 et 1997 à la sûreté
nucléaire à l'Est. Les programmes PHARE et TACIS
représentent respectivement 75 % et 18 % d'un montant total de
848,5 millions d'euros.
Bien que
significatifs, les crédits communautaires ne couvrent qu'une part
très limitée des programmes de modernisation des centrales
nucléaires entrepris et financés par les pays d'Europe centrale
et orientale. La Cour des Comptes européennes estime qu'il ne lui est
pas possible, sur la base des informations disponibles, de chiffrer l'ampleur
de ces programmes ni leur degré de réalisation.
De son
côté, la Commission européenne évalue entre 50 et
60 milliards d'euros les besoins de financements pour la modernisation ou
la fermeture des 65 réacteurs nucléaires existants en Europe de
l'Est et dans l'ancienne Union soviétique
.
Le tableau ci-dessous présente la répartition par pays
bénéficiaire des crédits communautaires consacrés
à l'amélioration de la sûreté nucléaire.
Ces chiffres sont instructifs, même si le total des fonds recensés par le G24 nucléaire ne recoupe pas exactement celui des engagements comptables de la Commission pour les programmes PHARE et TACIS, mais leur est légèrement inférieur. Ils montrent que la Russie et l'Ukraine se taillent la part du lion, avec respectivement 38,4 % et 33,7 % des crédits communautaires.
c) Un bilan franchement décevant
L'appréciation faite par la Cour des comptes
européenne dans son rapport spécial de 1998 sur l'action de
l'Union en matière de sûreté nucléaire dans les pays
d'Europe centrale et orientale
(42(
*
))
est
particulièrement sévère.
S'agissant de l'approche globale de l'Union européenne, la Cour estime
que "
la stratégie d'intervention, qui n'a été
énoncée par la Commission de façon explicite qu'en 1996,
reste confuse à propos des réacteurs de conception ancienne, du
déclassement et du démantèlement, ainsi que du traitement
des déchets. Les besoins urgents à court terme sont mal
définis
".
S'agissant de la gestion des opérations, la Cour des comptes
européenne relève que "
les ressources humaines
hétéroclites et éphémères de l'unité
en charge du suivi des programmes, des outils de gestion de projet et du suivi
comptable insuffisants, ainsi que le manque de rigueur de la gestion ne
permettent pas à la Commission d'assurer un suivi satisfaisant des
opérations, le traitement rapide des problèmes et le
contrôle de la qualité des prestations des contractants
".
Plus grave, selon la Cour, "
certains des organismes externes auxquels
la Commission a eu recours pour l'assister dans la programmation et dans
l'instruction des contrats ont été créés au cas par
cas par association de sociétés commerciales
bénéficiant, par ailleurs, de contrats financés par les
programmes
".
En clair, l'assistance fournie par l'Union européenne a
été en large partie gâchée pour
rémunérer abusivement des bureaux d'études occidentaux, au
lieu de rétribuer les ingénieurs locaux, qui sont pourtant de
grande qualité et bien moins coûteux.
L'urgence serait d'ailleurs d'aider les pays d'Europe centrale et orientale
à enrayer la " fuite des cerveaux " qui risque de compromettre
irrémédiablement leur capacité propre d'expertise
nucléaire.
S'agissant de la mobilisation des aides et des résultats, la Cour des
comptes européenne constate que "
le dispositif de mise en
oeuvre retenu par la Commission s'est révélé
particulièrement lent. Les programmes ont surtout piétiné
dans les centrales posant le plus de problème de sûreté. La
fourniture d'équipements a souvent été
privilégiée au détriment des autres aspects du
développement de la culture de sûreté
".
"
Une fois les décisions prises, le contenu des programmes a
beaucoup évolué. Le manque de transparence a provoqué
incompréhensions et retards, et permis aux partenaires les plus
dynamiques de réorienter les programmes. Des projets ont
été annulés après des dépenses importantes.
Des projets utiles ont été réduits pour cause
d'insuffisance budgétaire, alors que des crédits sont par
ailleurs restés inutilisés, en raison notamment des modifications
des programmes en cours d'exécution
".
Enfin, la Cour relève qu'"
aucune méthodologie
ne permettait, à fin 1997, de formuler une appréciation
globale des progrès de sûreté dans chaque
centrale
".
La Commission européenne a pris en considération certaines des
observations de la Cour des Comptes européenne. Elle s'est dotée
en 1998 d'un comité de conseillers de haut niveau, chargé de
faire des recommandations sur la stratégie de sûreté
nucléaire dans les programmes PHARE et TACIS. Elle a mieux défini
le rôle des consultants extérieurs, et s'est davantage
appuyée sur l'expertise interne que peut lui apporter le Centre Commun
de Recherche, comme on le verra plus loin. Elle a réduit le nombre des
projets retenus et abandonné ceux dont le lancement avait pris un retard
injustifié.
Toutefois, dans sa réponse aux observations de la Cour, la Commission
admet que "
la rotation rapide dans les services concernés reste
préoccupante
" et que "
ces procédures
générales ne sont pas toujours adaptées aux contraintes
particulières des programmes de sûreté
nucléaire
".
Votre rapporteur considère que la Commission a manifestement
dépassé son seuil de compétence en intervenant dans le
domaine très concret de la sûreté des centrales
nucléaires de l'Est.
Ses services sont rodés pour les tâches de conception normative
dont ils ont l'habitude, mais se sont montrés parfaitement inefficaces
pour la conduite de projets industriels dans un secteur technologique complexe
où l'urgence commande.
Votre rapporteur partage donc l'analyse de M. Claude Birraux, rapporteur de
l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et
technologiques
(43(
*
))
, pour considérer que
la Commission devrait déléguer sa compétence à
l'Association des autorités de sûreté d'Europe de l'Ouest
pour définir les projets et choisir les contractants.
3. La question nucléaire dans les négociations d'adhésion
a) Une position des pays candidats plutôt favorable au nucléaire
En
dépit des lacunes dans la sûreté de leurs centrales, les
Etats d'Europe centrale et orientale candidats à l'adhésion
à l'Union européenne ne nourrissent pas les mêmes
préventions à l'égard du nucléaire que les Etats
membres actuels.
Ce paradoxe ne résulte pas de l'absence historique d'un débat
démocratique sur les choix de société dans les pays
concernés, ni d'un hypothétique " fatalisme slave ",
mais bien de considérations parfaitement rationnelles.
La réforme du secteur de l'énergie est l'un des problèmes
les plus complexes auxquels les économies en transition des pays
d'Europe centrale et orientale doivent faire face. Après l'effondrement
de leurs systèmes de production d'énergie intégrés,
ces pays se retrouvent avec des prix de marché pour le pétrole,
le gaz et l'électricité identiques aux prix internationaux,
c'est-à-dire bien supérieurs à ceux très bas qui
prévalaient avant 1990. Cette situation compromet leur redressement
économique.
Certes, le choc de la transition économique a réduit
provisoirement les besoins d'énergie des pays d'Europe centrale et
orientale. Leur consommation brute d'énergie a chuté d'environ 25
% entre 1980 et 1992, mais elle devrait s'accroître de 28 % à
38 % entre 1995 et 2020. Selon une projection purement tendancielle, la
production d'énergie devrait se stabiliser dans la région, un
accroissement limité des capacités
électronucléaires venant compenser la fermeture de mines de
charbon. La demande d'énergie primaire devrait retrouver aux environs de
2020 un niveau supérieur à celui des années 1990.
Techniquement, les réseaux électriques de la Pologne, la
République tchèque, la Hongrie et la Slovaquie sont
connectés avec ceux des pays d'Europe occidentale, réunis au sein
de l'Union pour la Coordination de la Production et du Transport
d'Electricité (UCPTE), qui inclut déjà la Slovénie.
Ils sont par ailleurs interconnectés entre eux au sein d'une Union
électrique qui leur est propre : Centrel. Les liaisons devraient
être bientôt étendues aux trois pays baltes.
Dans le passé, les pays d'Europe centrale ont souffert de leur grande
dépendance énergétique envers l'URSS, qui leur fournissait
les hydrocarbures ainsi que les combustibles et les technologies
nucléaires. Depuis leur émancipation de la tutelle
soviétique, ils ont cherché à diversifier leurs sources
d'approvisionnement et à s'appuyer sur la technologie nucléaire
occidentale.
Aujourd'hui, les pays candidats sont farouchement
attachés à l'autonomie énergétique que peut leur
apporter le nucléaire.
Bien que les émissions de CO
2
dans la région soient
actuellement en dessous de leur niveau de 1990, en raison de la
récession qui a accompagné la transition économique, les
atteintes à l'environnement liées à l'exploitation des
énergies fossiles y sont extrêmement graves. De ce fait, la
préoccupation écologique qui s'exprime aujourd'hui dans les pays
candidats plus librement que par le passé n'obéit pas aux
mêmes priorités que dans les Etats membres de l'Union
européenne.
Pour toutes ces raisons, l'idée de développer l'énergie
nucléaire ne rencontre guère d'autre obstacle, auprès des
citoyens et des dirigeants des pays candidats à l'adhésion, que
la contrainte financière.
La République tchèque et la
Slovaquie souhaitent mettre en service leurs réacteurs en cours de
construction, quitte à les mettre au préalable aux normes de
sûreté occidentales, et la Pologne songe à s'équiper
en centrales nucléaires pour pouvoir " sortir du charbon "
sans recourir au gaz russe.
b) Une négociation tendue dans la perspective de l'élargissement
Dans le
secteur de l'énergie nucléaire, la reprise de " l'acquis
communautaire " implique que les pays candidats respectent les normes de
sûreté acceptées par la communauté internationale,
instituent des autorités indépendantes, ratifient la convention
de Vienne sur la gestion des combustibles usés et des déchets
radioactifs, et intègrent les frais de démantèlement des
centrales nucléaires dans le prix de l'électricité. Ces
obligations s'imposent à tout Etat membre.
Toutefois, l'Union européenne va au-delà dans le cadre des
négociations d'adhésion, et fait pression sur les pays candidats
pour obtenir la fermeture de certains réacteurs nucléaires
qu'elle juge particulièrement dangereux.
Le niveau de sûreté des centrales nucléaires est
satisfaisant en Roumanie, en Slovénie, en Hongrie et en
République tchèque. Les deux premiers de ces pays candidats
disposent chacun d'une centrale de conception occidentale, tandis que les deux
derniers ont réalisé, avec l'aide occidentale, les modernisations
nécessaires sur leurs réacteurs de type VVER. Il n'en va pas de
même dans trois autres pays candidats.
En
Bulgarie
, les améliorations en cours ont permis aux
unités 5 et 6 de la centrale de Kozloduy, de type VVER 320, d'atteindre
un niveau de sûreté satisfaisant. En revanche, les programmes
d'améliorations prévus pour les unités 1 à 4 ne
seront pas suffisants pour amener ces tranches, de type VVER 230, au
niveau des standards occidentaux de sûreté nucléaire.
En
Slovaquie
, le niveau de sûreté de la centrale de
Mochovce, ainsi que des unités 3 et 4 de la centrale de Bohunice, de
type VVER 320, devrait être acceptable au terme des améliorations
en cours. Mais selon l'Association des autorités de sûreté
nucléaire d'Europe occidentale, pour les unités 1 et 2 de
Bohunice qui sont de type VVER 230, "
le confinement pourrait ne pas
limiter les conséquences des accidents de perte de refroidissement et
des accidents graves conformément aux pratiques pour les
réacteurs d'Europe de l'Ouest de même époque
".
En
Lituanie
, les réacteurs de la centrale d'Ignalina, appartenant
à la plus récente génération de réacteurs
RBMK, ont bénéficié d'un renforcement important de leur
sûreté grâce à un programme continu
d'améliorations qui ont traité ou compensé la plupart de
leurs déficiences. Cependant, toujours selon l'Association des
autorités de sûreté nucléaire d'Europe occidentale,
"
l'absence d'un confinement adéquat du réacteur demeure
un problème majeur qui ne peut pas être résolu de
façon réaliste
".
En conséquence, le Conseil européen de Vienne de
décembre 1998 a posé comme condition préalable à
l'adhésion la fermeture des réacteurs nucléaires
incriminés.
L'Allemagne et l'Autriche, en raison de leur
sensibilité antinucléaire et de leur proximité
géographique des centrales vétustes, sont les deux Etats membres
les plus enclins à exercer une pression sur les pays candidats.
Loin d'être acceptée de bon gré, cette exigence de
l'Union européenne a été ressentie par les trois pays
concernés comme une ingérence dans leurs affaires
intérieures.
L'énergie nucléaire fournit 41 % de
l'électricité bulgare, 44 % de l'électricité
slovaque et 77 % de l'électricité lituanienne. La Bulgarie et la
Lituanie engrangent de précieuses devises grâce à leurs
exportations d'électricité.
Politiquement, les dirigeants des trois Etats ont fait valoir qu'ils ne
pourraient faire accepter la fermeture des centrales à leurs concitoyens
que si cette décision n'apparaissait pas comme un " caprice "
de l'Union européenne, mais comme une mesure conforme à leurs
propres intérêts.
Economiquement, ils ont regretté que les frais importants
déjà engagés pour l'amélioration de la
sûreté des centrales soient ainsi perdus. Ils ont souligné
qu'une fermeture ne pourrait intervenir qu'après la réalisation
des nouveaux investissements nécessaires pour compenser cette perte de
capacité énergétique, et demandé l'aide
financière de l'Union européenne. Celle-ci considère que
l'équilibre pourrait aussi bien être rétabli par une
amélioration de l'efficacité énergétique dans les
pays concernés.
Le débat a également porté sur l'expertise technique
étayant la position de l'Union européenne. En effet, l'avis de la
Commission européenne a pu apparaître moins nuancé que
celui de l'AIEA ou de l'Association des autorités de sûreté
nucléaire d'Europe occidentale, qui prennent plus volontiers en
considération les améliorations apportées aux
installations existantes. Mais la Commission a opposé en juin 1999 une
fin de non recevoir très ferme aux velléités des pays
candidats concernés de rouvrir la discussion sur des bases techniques.
Finalement, la Bulgarie, la Slovaquie et la Lituanie ont accepté de
prendre l'engagement de fermer leurs réacteurs nucléaires
jugés dangereux, mais selon un calendrier étalé dans le
temps.
Calendrier prévisionnel des fermetures de réacteurs nucléaires dans les pays candidats
Pays |
Centrale nucléaire |
Type de réacteur |
Date de fermeture prévue |
Lituanie |
Ignalina 1 |
RBMK 1500 |
2005 |
|
Ignalina 2 |
RBMK 1500 |
2008 |
Slovaquie |
Bohunice 1 |
VVER 230 |
2006 |
|
Bohunice 2 |
VVER 230 |
2008 |
Bulgarie |
Kozloduy 1 et 2 |
VVER 230 |
2002 |
|
Kozloduy 3 et 4 |
VVER 230 |
2006 |
Source : Commission européenne - Direction
générale de l'environnement
On remarquera que, même si le rythme de l'élargissement reste
incertain, certaines des échéances de fermetures
envisagées pourraient intervenir après l'entrée des pays
concernés dans l'Union européenne. Du reste, ces dates sont
d'abord celles que souhaite la Commission. La Lituanie, pour sa part, a
annoncé que son Parlement ne se prononcerait qu'en 2003 sur la date de
fermeture de la tranche n° 2 de la centrale d'Ignalina.
En retour, l'Union européenne s'est engagée à fournir
une aide financière substantielle aux trois pays concernés, qui
devrait atteindre en 2006 un montant cumulé de 150 millions d'euros pour
Ignalina, 150 millions d'euros également pour Bohunice, et 200
millions d'euros pour Kozloduy.
Dans les discussions âpres qui sont
engagées, la Commission cherche à minimiser le manque à
gagner résultant de la fermeture des réacteurs, en
réévaluant leurs coûts complets de fonctionnement et en
contestant l'intérêt même de produire de
l'électricité pour la vendre à des prix artificiellement
bas qui ne laissent parfois aucune marge bénéficiaire.
Tout bien considéré, votre rapporteur s'interroge sur la
pertinence des pressions exercées par l'Union européenne pour
obtenir la fermeture de centrales nucléaires dans les pays candidats
à l'adhésion.
La dangerosité des réacteurs en question justifie-t-elle une
mesure aussi radicale ? Certes, leur niveau de sûreté ne
pourra jamais atteindre celui des réacteurs occidentaux. Mais leur
condamnation n'en résulte pas automatiquement. Ces réacteurs
peuvent être grandement améliorés techniquement, et la
décision de les fermer reste de nature politique.
Or, le coût politique d'une telle exigence de l'Union européenne
n'est pas négligeable. Elle a sans doute contribué à
l'érosion, aujourd'hui perceptible, du soutien des opinions publiques
des pays d'Europe centrale et orientale à l'entrée dans l'Union.
Enfin, il est permis de douter de la valeur des engagements de fermer les
centrales pris par les trois pays candidats. Actuellement, l'Union
européenne exige d'eux, dans le cadre des négociations
d'adhésion, ce qu'elle ne pourrait pas imposer à ses Etats
membres.
Si la Lituanie, la Slovaquie et la Bulgarie entrent dans l'Union avant la
fermeture effective des réacteurs incriminés, ce que l'on ne peut
exclure, elles retrouveront une pleine souveraineté en la
matière. Leur engagement politique de fermer les centrales pourrait
être alors reconsidéré, dans un contexte
énergétique et climatique qui aura évolué.
Même si les engagements de fermeture sont inscrits dans les
traités d'adhésion des pays concernés, l'expérience
autorise à penser qu'il n'y aura pas forcément une
majorité au Conseil pour condamner leur éventuelle violation.
II. LE TRAITÉ EURATOM : UN CADRE LARGEMENT PÉRIMÉ
Sans
être devenu pour autant entièrement inutile, le cadre juridique du
traité Euratom apparaît aujourd'hui inadapté à la
situation actuelle de l'énergie nucléaire dans l'Union
européenne.
Ce cadre juridique est dépassé dans sa forme, car son
organisation institutionnelle n'a pas suivi l'évolution de l'Union
européenne. Il est également dépassé sur le fond,
car nombre de ses dispositions sont tombées en désuétude
ou ne sont pas appliquées conformément aux intentions
initiales.
A. UNE ORGANISATION INSTITUTIONNELLE DATÉE
1. Des objectifs initiaux aujourd'hui dépassés
a) Un traité originellement très ambitieux
Le
traité instituant la Communauté européenne de
l'énergie atomique (CEEA), dit Euratom, a été signé
à Rome le 25 mars 1957, en même temps que le traité
instituant la Communauté économique européenne. Comme le
traité CEE, et à la différence du traité CECA du 18
avril 1951, il a été conclu pour une durée
illimitée (article 208). Mais comme le traité CECA, et à
la différence du traité CEE, il s'agit d'un traité
sectoriel, qui ne concerne qu'une seule activité économique bien
spécifique.
Après l'échec de la tentative de Communauté
Européenne de Défense (CED) en 1954, le traité Euratom
participait de la volonté de relancer très vite la construction
européenne sur des bases économiques.
Il est inspiré
par la théorie dite de " l'intégration fonctionnelle "
selon laquelle, par un effet d'entraînement, la solidarité
instituée dans des secteurs sensibles s'étendrait progressivement
à l'ensemble de l'activité économique pour
déboucher sur une communauté politique.
Dès le 20 mai 1955, le Mémorandum présenté par les
pays du Bénélux à leurs trois partenaires de la CECA
(Allemagne, France et Italie), se prononçait en faveur d'un
élargissement des bases communes du développement
économique communautaire qui "
devrait s'étendre entre
autres aux domaines des transports, de l'énergie et des applications
spécifiques de l'énergie atomique
".
Réunis à la conférence de Messine en juin 1955, les Six
estimaient qu'il fallait "
étudier la création d'une
organisation commune à laquelle seront attribués la
responsabilité et les moyens d'assurer le développement pacifique
de l'énergie atomique en prenant en considération les
arrangements spéciaux souscrits par certains gouvernements avec des
tiers
".
Le comité intergouvernemental chargé des études
préalables à la rédaction des futurs traités,
présidé par Paul-Henri Spaak, confirmait lors de sa
réunion à Bruxelles en février 1956, "
la
nécessité et l'urgence de créer une organisation
européenne dans le domaine atomique
".
Les experts du comité Spaak proposaient d'attribuer à la nouvelle
organisation les fonctions suivantes : "
développer la
recherche et les échanges d'informations, créer les installations
communes nécessaires, assurer l'approvisionnement des industries en
minerais et combustibles nucléaires, établir un contrôle
efficace des matières nucléaires, instaurer le libre
échange des produits et équipements de l'industrie
nucléaire, ainsi que la libre circulation des
spécialistes
".
Toutes ces propositions ont
été par la suite reprises dans le traité Euratom.
La conférence de Venise de mai 1956 a concrétisé l'accord
des Six sur les modalités de la relance européenne. Leurs
représentants ont adopté le rapport Spaak comme base des
négociations destinées "
à élaborer un
traité instituant un marché commun général et un
traité créant une organisation européenne de
l'énergie nucléaire (Euratom)
".
Réglementant un secteur de haute technologie, qui apparaît de
surcroît comme un paramètre fondamental de la puissance, le
traité Euratom devait constituer un soubassement important de la
construction de l'Union européenne.
b) La levée de l'hypothèque du nucléaire militaire
L'accord
de principe pour la création de la CEEA masquait des difficultés
relatives à l'aspect militaire de la question nucléaire.
Sur ce point, le rapport Spaak préconisait un moratoire de cinq ans
sur la fabrication et l'expérimentation de l'arme atomique, tandis que
les conférences de Messine et de Venise ne se prononçaient pas.
Cette prudence était révélatrice de l'importance des
divergences à surmonter.
Parmi les Six, seule la France disposait d'un embryon d'industrie
nucléaire digne de ce nom. Le budget qu'elle consacrait au
nucléaire était supérieur à ceux réunis de
ses cinq partenaires. Son objectif, dans le cadre du premier plan quinquennal
de 1952, était de réaliser une percée pour le
développement du nucléaire civil, tout en gardant ouverte une
option militaire.
La France admettait toutefois que le développement de l'énergie
nucléaire dépassait ses capacités, et nécessitait
la mise en commun des ressources avec d'autres pays européens. Dans
cette optique, l'avance technologique de la France devait équilibrer la
puissance industrielle allemande. Même cette apparente
complémentarité fut en fait source de dissensions, l'industrie
allemande estimant être suffisamment puissante, notamment dans les
domaines chimique et électronique, pour pouvoir rattraper seule son
retard dans le domaine nucléaire.
Du point de vue militaire, le dilemme qui se posait à l'ouverture des
négociations d'Euratom était entre l'intégration, qui
supposait l'égalité des droits et donc la renonciation
unilatérale des partenaires de l'Allemagne à la possession
d'armes nucléaires, et la liberté atomique militaire, qui
introduisait une discrimination vis-à-vis de la RFA.
La France ne prit pas position sur la liberté dans le domaine atomique
militaire avant 1956. Mais les menaces soviétiques lors de la crise de
Suez furent révélatrices des possibilités diplomatiques
qu'offrait la bombe atomique, et le Président du Conseil Guy Mollet
annonça en novembre 1956 l'intention du gouvernement français
d'engager des études devant mener à l'acquisition de l'arme
suprême.
Une fois cette hypothèque levée, le traité Euratom pu
être négocié en prévoyant un régime
particulier pour ceux de ses signataires qui allaient se doter d'armes
atomiques.
Accessoirement, cela signifiait la fin du rêve des
Etats-Unis de voir émerger une zone dénucléarisée
en Europe.
c) Des réalisations en deçà des ambitions
Ainsi, le traité Euratom avait à l'origine
comme
ambition d'organiser sur le territoire de la Communauté l'ensemble d'une
activité économique à l'époque nouvelle, la
filière électronucléaire. Sans être un échec
complet, il n'a pas eu le succès escompté.
Des raisons d'ordres différents permettent d'expliquer pourquoi les
accomplissements du traité Euratom ne sont pas à la hauteur de
ses ambitions initiales.
Sur un plan juridique, le traité Euratom a voulu établir, dans un
secteur en pleine évolution, une législation
détaillée qui s'est trouvée rapidement
dépassée. C'est là une différence fondamentale par
rapport au traité CEE, qui est un traité-constitution sur la base
duquel toute une législation dérivée peut être
adaptée aux circonstances sans qu'il soit forcément
nécessaire de le réviser.
La Communauté Européenne de l'Energie Atomique a
été conçue sur le modèle des structures nationales
qui avaient été créées à l'époque par
les puissances occidentales pour présider à la naissance de
l'industrie nucléaire :
United States Atomic Energy
Commission
aux Etats-Unis,
United Kingdom Atomic Energy Authority
au
Royaume-Uni, Commissariat à l'Energie Atomique en France,
Comitato
Nazionale per l'Energia Nucleare
en Italie, etc.
Les pouvoirs attribués à ces structures nationales se sont
révélés assez rapidement inadaptés, et elles ont
été soit remplacées, soit réformées.
La CEEA, elle, continue de présenter une apparence juridique qui
ne correspond pas à la réalité.
Sur un plan économique et politique, l'hypothèse faite en 1957
d'un grand développement de l'énergie nucléaire en Europe
ne s'est pas concrétisée. A l'époque, on pouvait
légitimement penser que le secteur nucléaire, dans lequel aucun
Etat membre n'avait encore d'intérêts bien établis, offrait
une occasion unique d'intégration européenne en permettant de
développer un pan entier d'industrie directement au niveau
communautaire, sans passer par la fusion progressive d'intérêts
nationaux.
Dans les faits, l'énergie nucléaire s'est
développée en Europe dans certains des Etats membres seulement,
et sur des bases essentiellement nationales. Aujourd'hui, il s'agit d'un
secteur peu consensuel, où les intérêts nationaux sont
particulièrement marqués.
Enfin, sur un plan institutionnel, la CEEA a paradoxalement pâti du
succès de la Communauté Economique Européenne, qui a
absorbé certaines de ses fonctions.
La recherche nucléaire, tâche essentielle d'Euratom, est ainsi
devenue une simple composante du programme-cadre de recherche communautaire. De
même, le marché intérieur nucléaire s'est
dissous dans la réalisation du marché unique. Plus
généralement, le nucléaire a vocation à devenir un
élément de la politique communautaire de l'énergie que
l'Union européenne s'efforce actuellement, non sans difficultés,
de mettre en place.
Si certaines parties de l'exécution du traité Euratom ont
conflué avec celle du traité CEE, d'autres ont dû
être coordonnées avec l'exécution d'autres traités
internationaux au point de perdre leur intérêt propre. C'est
notamment le cas du contrôle de sécurité exercé par
Euratom dans les Etats membres en étroite coordination avec le
système des garanties de l'AIEA.
Insuffisante adaptation juridique, inadéquation à la
diversité des politiques nucléaires des Etats membres et dilution
progressive dans le processus européen d'intégration
économique : telles sont les trois causes de la
péremption de nombre des dispositions du traité Euratom.
2. Un équilibre institutionnel fragilisé
a) Les spécificités institutionnelles du traité Euratom
Le
schéma institutionnel du traité Euratom est, dans ses grandes
lignes, semblable à celui du traité CEE et repose sur le
" triangle communautaire " formé par le Conseil, la Commission
et le Parlement européen. Cette assimilation a été
renforcée par le traité de fusion des exécutifs
communautaires de 1965, ainsi que par le traité de Maastricht de 1992
qui proclame que "
l'Union dispose d'un cadre institutionnel unique qui
assure la cohérence et la continuité des actions menées en
vue d'atteindre ses objectifs
".
Mais cette unité de principe recouvre en réalité certaines
spécificités institutionnelles propres au traité Euratom.
En ce qui concerne les
actes conventionnels
conclus par la CEEA,
l'article 101.1 du traité Euratom prévoit que la
Communauté, dans le cadre de sa compétence, peut s'engager par la
conclusion d'accords internationaux.
Cette affirmation de principe du parallélisme de la compétence
interne et de la compétence externe de conclure des accords
internationaux, dans le cadre du traité Euratom, contraste avec les
efforts qui ont longtemps été nécessaires de la part de la
Cour de Justice des Communautés européennes pour faire admettre
une approche semblable dans le cadre du traité CEE. Mais ce qui
était une spécificité originelle du traité
Euratom est aujourd'hui admis par la jurisprudence communautaire.
En revanche, alors que l'Acte unique et le traité de Maastricht ont
prévu l'exigence d'un avis conforme du Parlement européen pour la
conclusion de certains accords extérieurs dans le cadre du traité
CEE, l'article 206 du traité Euratom ne prévoit qu'une
simple consultation du Parlement européen
.
En ce qui concerne les
actes de droit communautaire
dérivé
, les similitudes initiales entre le traité
Euratom et le traité CEE se sont progressivement estompées.
Alors que l'Acte unique et le traité de Maastricht ont institué
des procédures de coopération et de codécision entre le
Conseil et le Parlement européen pour les directives et
règlements adoptés dans le cadre du traité CEE, qui ont
ensuite été étendues par le traité d'Amsterdam, les
dispositions équivalentes du traité Euratom sont resté
figées.
De ce fait, les articles 162 et 163 du traité Euratom ne
prévoient qu'une simple consultation du Parlement européen sur
les directives et règlements adoptés par le Conseil dans le cadre
de la CEEA.
Ainsi, les particularités institutionnelles du traité Euratom se
sont accentuées, à mesure que les règles du traité
CEE évoluaient dans un sens plus favorable au Parlement
européen.
b) La contestation par le Parlement de sa position subalterne
Le
Parlement européen tolère de moins en moins bien d'être
cantonné dans un rôle consultatif par le traité Euratom,
alors que ses pouvoirs tendent à s'accroître par ailleurs. Si une
minorité seulement des députés européens est
franchement hostile au nucléaire, la grande majorité est
mécontente de l'équilibre institutionnel actuel de la CEEA.
Cette insatisfaction du Parlement européen s'exprime notamment par le
biais de sa compétence budgétaire, car il dispose d'un pouvoir de
codécision pour les dépenses non obligatoires.
En 1992 et 1993, le Parlement européen s'est ainsi refusé
à voter le budget de recherche nucléaire de la Communauté,
pour manifester son mécontentement de ne pas pouvoir en modifier les
orientations. Il a fallu fondre budgétairement la recherche
nucléaire dans les crédits du programme-cadre de recherche pour
surmonter cette opposition.
De même, en 1998, le Parlement européen a d'abord refusé de
voter les crédits budgétaires constituant la participation de la
CEEA au financement de la modernisation des centrales de la Corée du
Nord, dans le cadre de l'Organisation pour le développement
énergétique de la péninsule coréenne (KEDO),
créée en 1997 à l'initiative des Etats-Unis et sous les
auspices de l'AIEA.
Le Parlement n'a accepté de débloquer les crédits
nécessaires qu'en échange de la décision prise au
printemps 1999 par le commissaire chargé de l'énergie à
l'époque, M. Leon Brittan, de lui transmettre
systématiquement tous les accords internationaux Euratom afin qu'il
puisse se prononcer avant le Conseil.
Cette décision, qui allait
au-delà des engagements pris par le Président de la Commission,
M. Jacques Santer, est susceptible d'évoluer vers un véritable
avis conforme.
Le Parlement européen cherche également, avec la
complicité de la Commission contre le Conseil, à étendre
sa compétence dans le domaine nucléaire sur la base des
dispositions générales du traité CEE relatives à la
protection de la santé des populations. De son point de vue,
l'intérêt est qu'il dispose dans ce cas d'un pouvoir de
codécision.
En 1996, lors de la conférence intergouvernementale préparatoire
au traité d'Amsterdam, le Parlement européen n'a pas
réussi à obtenir la révision du traité Euratom, qui
n'était pas à l'ordre du jour officiel.
La question d'un renforcement des pouvoirs du Parlement européen dans le
domaine nucléaire pourrait être de nouveau évoquée
lors de la conférence intergouvernementale qui a été
ouverte en février dernier pour préparer l'élargissement
de l'Union européenne, même si l'ordre du jour de cette nouvelle
CIG a été volontairement restreint.
Votre rapporteur admet que la position inférieure du Parlement
européen dans l'équilibre institutionnel du traité Euratom
n'est pas satisfaisante, et paraît aujourd'hui contraire à
l'effort constant de " démocratisation " de la construction
européenne.
Mais il estime que l'absence de consensus sur le nucléaire dans les
Etats membres, qui se traduit par des prises de position du Parlement
européen souvent dictées par sa minorité la plus
farouchement antinucléaire, ne plaide pas en faveur d'une modification
du
statu quo
institutionnel au sein de la CEEA.
c) L'attitude ambiguë de la Commission à l'égard du nucléaire
Politiquement, le collège des Commissaires
apparaît
aussi divisé à l'égard du nucléaire que les Etats
membres.
La Commission Santer était majoritairement d'une sensibilité
hostile au nucléaire. La faible implication de M. Papoutsis, commissaire
en charge de l'énergie et personnellement opposé au
nucléaire, avait conduit à une moindre prise en
considération des analyses de la Direction générale de
l'énergie, dont l'expertise contribue à une bonne
appréhension des questions nucléaires au sein de la Commission.
Il est encore trop tôt pour savoir avec certitude quelle sera
l'orientation dominante de la nouvelle Commission Prodi. Mais des signes
existent d'une position plus favorable au nucléaire.
La nouvelle commissaire chargée de l'énergie, Mme Loyola
de Palacio, ne partage manifestement pas les préventions de son
prédécesseur à l'égard du nucléaire. Elle
prépare actuellement l'organisation d'un débat sur l'avenir de la
politique énergétique européenne et la place de chaque
source d'énergie. Ce débat, qu'elle veut
" dépassionné ", mettra l'accent sur la
préoccupation de sécurité d'approvisionnement et
l'objectif de réduction des émissions de CO
2
:
deux thèmes susceptibles de remettre au goût du jour l'option
nucléaire.
Un autre indice est la réponse officielle faite le 19 avril dernier par
le Président de la Commission au Ministre-Président de la
Bavière, qui l'avait saisi de la conformité au traité
Euratom de la décision allemande d'abandonner le nucléaire.
Dans sa réponse à M. Edmund Stoiber, M. Romano Prodi fait
valoir, sans surprise, que le traité Euratom laisse libre chacun des
Etats membres de développer une industrie nucléaire ou d'y
renoncer.
Mais il a ajouté, et cela est plus nouveau, que la fermeture des
centrales nucléaires allemandes "
nécessitera des efforts
accrus dans les domaines des énergies renouvelables et de
l'efficacité énergétique afin d'atteindre l'objectif de
Kyoto
". Le Président de la Commission a également
considéré qu'"
au sujet de l'éventuel abandon de
l'énergie nucléaire par l'Allemagne, on ne saurait en aucune
façon passer sous silence la question de la sécurité des
approvisionnements dans le domaine de l'énergie
".
La Commission semble donc prête à sortir de la réserve
prudente qu'elle avait observée jusqu'à présent à
l'égard de l'énergie nucléaire, compte tenu de l'absence
de consensus parmi les Etats membres.
L'embarras politique de la Commission européenne à
l'égard du nucléaire se retrouve au niveau administratif, dans
l'organisation même de ses services et dans les rivalités qui
opposent parfois ceux-ci.
En dehors de la contribution spécifique du Service juridique à
l'Euratom et des trois services spécialisés que sont le Centre
Commun de Recherche, l'Agence d'approvisionnement et la Direction du
contrôle de sécurité, les questions nucléaires sont
éclatées entre de très nombreuses directions
générales de la Commission européenne : Energie,
Recherche, Environnement, Relations extérieures et Elargissement.
Une forte rivalité oppose la Direction générale de
l'Energie, qui aborde le nucléaire sous l'angle de la
compétitivité énergétique et de la
sécurité d'approvisionnement, à la Direction
générale de l'Environnement, qui l'aborde sous l'angle de la
radioprotection et de la gestion des déchets.
Pour leur part, les directions générales des Relations
extérieures et de l'Elargissement ont été
échaudées par leur échec à gérer
convenablement, à travers les programmes PHARE et TACIS, l'action
communautaire d'amélioration de la sûreté des centrales
nucléaires à l'Est.
Dans le cadre de la réforme en cours de la Commission européenne,
un projet de refonte des services en charge du nucléaire a
été conçu par l'Inspection générale des
services, consistant à transférer à la Direction
générale de l'Environnement la responsabilité de la
sûreté nucléaire à l'Est.
Ce projet, qui n'a pas encore été validé, soulève
un problème de principe, car il violerait la nécessaire
séparation des fonctions de conception des normes de sûreté
et de contrôle de leur application. Il présente également
une difficulté pratique, car la capacité d'expertise de la
Direction générale de l'Environnement n'est pas meilleure que
celle des directions générales Relations extérieures et
Elargissement.
Toutefois, indépendamment de ses hésitations politiques et de
ses rivalités administratives, la Commission oeuvre avec beaucoup de
constance à étendre ses compétences dans le domaine
nucléaire au-delà de la lettre du traité Euratom.
Tout d'abord, la Commission procède par voie de recommandations. Bien
que celles-ci soient juridiquement non contraignantes, il est politiquement
difficile pour les Etats membres d'en contester la mise en oeuvre. Inversement,
la " comitologie " ne s'appliquant pas au traité Euratom, la
Commission peut parfaitement ignorer l'avis des experts gouvernementaux sur les
questions nucléaires.
En outre, la Commission a une conception très extensive des dispositions
relatives à la radioprotection qui, selon elle, fondent sa
compétence pour le contrôle des rejets des installations
nucléaires ou la gestion des déchets nucléaires.
Enfin, la Commission considère que la sûreté
nucléaire est englobée dans la compétence communautaire
générale relative à la santé des populations. Avec
la complicité du Parlement européen, elle a cherché
récemment à introduire les substances radioactives dans des
textes ayant pour base non pas le traité Euratom, mais les dispositions
environnementales du traité CEE : directive sur l'eau potable,
projet de directive-cadre sur l'eau, recommandation sur les inspections
environnementales, directive instituant un cadre de coopération sur la
pollution marine accidentelle...
Ce raisonnement a inspiré le recours juridictionnel de la Commission
contre la décision du Conseil du 7 décembre 1998 de faire
adhérer Euratom à la convention internationale sur la
sûreté nucléaire.
La Commission conteste le choix du
Conseil de fonder cette adhésion uniquement sur les dispositions de
radioprotection du chapitre III du traité Euratom, et voudrait se
voir reconnaître aussi une compétence en matière
d'implantation des installations nucléaires et de plans d'urgence,
prévue par la convention internationale.
L'arrêt de la CJCE, qui est encore attendu, sera vraisemblablement
déterminant pour préciser la compétence nucléaire
de la Commission dans le cadre de l'élargissement de l'Union
européenne.
Votre rapporteur constate avec regret que l'attitude ambiguë de la
Commission sur les questions nucléaires justifie une certaine
défiance à son égard de la part des Etats membres
favorables à cette forme d'énergie, et attachés au respect
de leurs compétences nationales.
Il considère surtout éminemment souhaitable que le Conseil
parvienne à fixer une direction claire à la Commission dans ce
domaine sensible. Tout flottement politique laisse la voie libre aux querelles
administratives, et accroît le risque de voir les tendances hostiles au
nucléaire dominer au sein même des instances de l'Union
européenne.
B. LES DISPOSITIONS DEVENUES OBSOLÈTES
Certaines des dispositions du traité Euratom apparaissent aujourd'hui obsolètes, soit que leur application est devenue formelle, comme pour la promotion du nucléaire par la Commission, soit que leur mise en oeuvre ne correspond pas aux ambitions du traité, comme pour la recherche nucléaire commune, soit que leur esprit a été modifié, comme pour l'Agence d'approvisionnement.
1. La promotion du nucléaire par la Commission
Le
discrédit dans lequel est tombé l'énergie nucléaire
en Europe a fait oublier que l'objectif principal du traité Euratom
était très clairement promotionnel, ainsi que cela ressort de son
Préambule, cité en exergue du présent rapport, et de son
article premier : "
la Communauté a pour mission de
contribuer, par l'établissement des conditions nécessaires
à la formation et à la croissance rapides des industries
nucléaires, à l'élévation du niveau de vie dans les
Etats membres et au développement des échanges avec les autres
pays
".
Deux outils confiés à la Commission devaient assurer cette
fonction de promotion de l'énergie nucléaire, mais n'ont pas
fonctionné comme l'espéraient les auteurs du traité
Euratom.
a) Les programmes indicatifs nucléaires communs
Le
chapitre IV du traité Euratom, consacré aux investissements,
débute par un article 40 ainsi rédigé :
"
Afin de susciter l'initiative des personnes et des entreprises et de
faciliter un développement coordonné de leurs investissements
dans le domaine nucléaire, la Commission publie périodiquement
des programmes de caractère indicatif portant notamment sur des
objectifs de production d'énergie nucléaire et sur les
investissements de toute nature qu'implique leur réalisation
".
Plusieurs Programmes Indicatifs Nucléaires Communs (PINC) ont
été adoptés et publiés par la Commission
européenne en 1966, en 1972, en 1984, en 1990, et dernièrement en
1996.
Les premiers PINC décrivaient la situation de l'énergie
nucléaire en Europe et adressaient des recommandations à la
Commission et aux Etats membres sur les orientations à prendre en
matière d'investissement.
Le dernier PINC de 1996, qui a été adopté à
l'unanimité par le collège des Commissaires, s'inscrit dans le
nouveau contexte de libéralisation du marché intérieur de
l'énergie. Il tient aussi compte des trois objectifs de la politique
énergétique communautaire : la compétitivité
économique globale, la sécurité de l'approvisionnement et
la protection de l'environnement.
Dans cette perspective, le caractère volontariste du PINC a disparu au
profit de déclarations d'intentions politiques :
"
Il appartient à chaque Etat membre de décider de
développer ou de ne pas développer l'utilisation pacifique de
l'énergie nucléaire
;
"
Le choix fait par chaque Etat membre doit être
respecté
;
"
Les Etats membres qui ont choisi le nucléaire sont tenus,
parallèlement, d'assurer un niveau de sûreté
élevé et le respect des exigences de non-prolifération,
conformément aux accords internationaux pertinents en vigueur, ainsi
qu'un niveau élevé de protection de la santé
publique ;
"
Si d'un côté les Etats membres sont responsables de la
fixation des normes de sûreté et de l'autorisation des
installations nucléaires et que, d'un autre côté, les
exploitants nationaux de ces installations sont responsables de la
sûreté de leur fonctionnement,
les deux parties sont
collectivement responsables de la sûreté nucléaire
vis-à-vis de tous les citoyens européens
".
L'aspect de promotion de l'énergie nucléaire, qui ne fait plus
l'unanimité des Etats membres, a donc été
gommé du PINC 1996.
Désormais, la Commission cherche à consacrer par ce document
un
modus vivendi
: les Etats membres hostiles au nucléaire
ne peuvent pas empêcher les autres Etats membres d'y recourir, en
contrepartie, ces derniers doivent garantir la sûreté
nucléaire de tous les citoyens européens.
b) La notification des projets d'investissements nucléaires
L'esprit
promotionnel du traité Euratom a également motivé le
principe d'un recensement par la Commission des projets d'investissements
nucléaires dans les Etats membres, à des fins d'harmonisation et
de coordination industrielle du développement de cette source
d'énergie.
Aujourd'hui, alors que le caractère promotionnel du traité n'est
plus de mise, la notification des projets d'investissements nucléaires
à la Commission européenne demeure comme pure contrainte
administrative.
En application de l'article 41 du traité Euratom, la Commission doit
recevoir communication des projets d'investissements nucléaires
concernant les installations nouvelles ainsi que les transformations ou
remplacements importants.
Au printemps 1999, la Commission a présenté au Conseil un projet
de nouveau règlement d'application relatif aux investissements, qui
modifie sur trois points le règlement actuel datant de 1958 :
- actualisation des seuils financiers à partir desquels les
investissements doivent être notifiés ;
- inclusion des investissements en matière de stockage de
déchets séparés et de démantèlement des
installations nucléaires ;
- publication par la Commission des avis qu'elle émet sur les
investissements qui lui sont notifiés.
Bien que les avis de la Commission européenne ne soient pas
contraignants, une publication systématique et sans concertation aurait
pu leur donner un poids certain, alors que le traité Euratom
prévoit que la publication des projets d'investissement doit recevoir
l'accord des Etats membres et des entreprises concernées.
Le règlement a finalement été adopté lors du
Conseil énergie du 2 décembre 1999, en maintenant la
procédure de concertation préalable aux avis de la Commission
prévue par le traité.
2. Le rôle résiduel de la recherche nucléaire commune
Le
développement de la recherche devait constituer l'un des principaux
domaines d'activités de la CEEA. Les coûts de recherche
étant très élevés dans le domaine nucléaire,
il était
a priori
de l'intérêt des Etats membres de
mettre en commun leurs moyens.
Mais la recherche nucléaire communautaire n'a pas pris l'ampleur
escomptée, ni dans les programmes-cadres de recherche
généraux, ni même au sein du service de la Commission qui
devait initialement s'y consacrer entièrement, le Centre commun de
recherche.
a) Une recherche nucléaire diluée dans la recherche générale
Aux
termes de l'article 4 du traité Euratom, "
la Commission est
chargée de promouvoir et de faciliter les recherches nucléaires
dans les Etats membres, et de les compléter par l'exécution du
programme de recherche et d'enseignement de la Communauté
".
Selon l'article 7, "
le Conseil arrête à
l'unanimité, sur proposition de la Commission, les programmes de
recherche et d'enseignement de la Communauté. Ces programmes sont
définis pour une période qui ne peut excéder cinq
années
".
C'est en application de ces dispositions que le Conseil adopte des programmes
de recherche spécifiquement nucléaires, qui viennent s'inscrire
depuis 1984 dans les programmes-cadres de recherche et de développement
technologique (PCRD) quinquennaux.
Après quarante ans d'application du traité Euratom, la
recherche nucléaire, qui était conçue comme une mission
essentielle de la CEEA, apparaît aujourd'hui comme l'un des
éléments parmi d'autres de la recherche communautaire en
général.
En effet, alors que le cinquième PCRD adopté pour la
période 1998-2002 est doté d'un budget total de 14,96 milliards
d'euros, sa fraction consacrée à la recherche nucléaire ne
représente que 1,21 milliard d'euros, soit 10,2 % des
crédits.
Ces crédits de la recherche nucléaire sont d'ailleurs en
diminution de 5,7 % par rapport au précédent PCRD, où
ils s'élevaient à 1,336 milliards d'euros.
L'effort commun de recherche nucléaire apparaît
surtout marginal au regard des efforts nationaux. Ainsi, le Commissariat
à l'énergie atomique (CEA) français disposait, pour la
seule année 1999, d'un budtet de 18,5 milliards de francs.
Voie d'avenir de la filière nucléaire, la fusion
thermonucléaire contrôlée représente près de
85 % des actions indirectes, dans lesquelles la Communauté apporte une
contribution financière à des recherches menées par des
organismes tiers. Ces crédits correspondent à la participation de
l'Union européenne au projet de
Réacteur International
Thermonucléaire Expérimental (ITER),
qui est mené en
collaboration avec les Etats-Unis, le Japon et la Russie.
L'Union européenne reste très attachée à ce projet
ambitieux, qui ne devrait pas aboutir avant une cinquantaine d'années.
Mais pour l'instant, la décision de construction de l'ITER est
gelée car aucun des quatre partenaires ne veut s'engager à
accueillir le réacteur, le pays-hôte devant financer une part
importante de sa construction.
Votre rapporteur rappelle que le Parlement européen n'est pas
habilité à se prononcer sur les activités de recherche
relevant du programme Euratom. En pratique, il est consulté par la
Commission et le Conseil, qui peuvent éventuellement prendre en compte
ses observations, sans y être contraints.
Ainsi, dans son avis de décembre 1997, le Parlement européen
s'est montré très sceptique sur le projet ITER, au regard du
montant colossal des investissements nécessaires, évalués
à 9 milliards d'euros.
La
fission nucléaire
, qui est la voie actuellement
exploitée par la filière nucléaire, représente
l'essentiel du reste des actions indirectes, et la totalité des actions
directes, menées par la Commission européenne à travers
l'un de ses services, le Centre Commun de Recherche (CCR).
Les recherches menées dans le domaine de la fission nucléaire
couvrent quatre domaines :
- la sûreté opérationnelle des installations
existantes, avec un accent mis sur la prolongation de la durée de vie
des réacteurs et la stratégie de gestion des accidents
graves ;
- la sûreté du cycle du combustible, et en particulier celle
des déchets radioactifs ;
- la sûreté et l'efficacité des concepts de
réacteurs innovants ou fondamentalement nouveaux ;
- la radioprotection des travailleurs du nucléaire et du public,
ainsi que la réhabilitation des zones contaminées.
En ce qui concerne les réacteurs innovants fondés sur le principe
de la fission nucléaire, deux voies principales sont actuellement
explorées. Le
High Temperature Gaz cooled Reactor
(
HTGR)
, fonctionnant à haute température avec une turbine
à gaz, présenterait le triple avantage d'avoir un taux de
rendement énergétique de 50 %, de rester
économiquement rentable dans une configuration réduite à
une puissance de 300 MWh (contre 1 300 pour une tranche EDF standard
et jusqu'à 1 700 pour le futur EPR), et de permettre de
brûler du plutonium de qualité militaire.
Le HTGR est développé dans le cadre d'une coopération
entre les Etats-Unis et la Russie, à laquelle se sont joints le Japon et
la France. La Belgique et l'Italie pourraient bientôt participer à
ce projet international.
L'autre voie explorée est celle du
" réacteur
Rubbia "
(44(
*
))
, du nom du scientifique
italien et ancien directeur général du CERN qui l'a
imaginé en 1993. Le " réacteur Rubbia ", fondé
sur le principe de l'accélération des particules et refroidi au
plomb, présenterait de nombreux avantages par rapport aux
réacteurs actuels : haut niveau de sûreté
intrinsèque, la réaction s'interrompant spontanément en
l'absence d'intervention humaine ; utilisation d'un combustible abondant
dans la nature et ne nécessitant pas d'enrichissement préalable,
le thorium ; production minimale de déchets radioactifs à
vie longue et possibilité d'éliminer les déchets produits
par les autres filières nucléaires.
Le concept du " réacteur Rubbia " est scientifiquement solide,
mais comporte encore de très nombreuses inconnues techniques, car il est
radicalement nouveau dans tous ses aspects. La décision de construire
une machine pilote, souhaitée par son inventeur, n'a pas encore
été prise et le Comité scientifique et technique
d'Euratom, dans un avis du 25 septembre 1996, a repoussé à
une échéance assez lointaine la réalisation d'un
" réacteur Rubbia " pleinement opérationnel.
Votre rapporteur constate que les programmes de recherche communautaires
dans le domaine de la fission nucléaire sont davantage orientés
vers l'amélioration de la sûreté de l'existant, que vers le
développement futur de la filière nucléaire.
Cette orientation lui apparaît préoccupante, alors que la
recherche nucléaire en Europe commence à pâtir d'une crise
des vocations chez les jeunes chercheurs, qui se détournent d'un secteur
qui apparaît sans avenir assuré.
Or, quelle que soit l'évolution à long terme du nucléaire
dans l'Union européenne, celle-ci aura toujours besoin de
compétences scientifiques du plus haut niveau pour la
sûreté ou pour l'achèvement du cycle nucléaire.
b) La difficile reconversion du Centre Commun de Recherche
L'article 8 du traité Euratom prévoit la
création d'un Centre commun de recherche nucléaire, chargé
d'assurer l'exécution des programmes de recherche que lui confie la
Commission. Le Centre a longtemps eu le statut d'une simple direction de la
Commission, mais dispose désormais de l'autonomie juridique et
financière.
Depuis le début des années 1970, le Centre Commun de Recherche
(CCR) a perdu l'adjectif " nucléaire " dans son titre,
à la suite d'un effort de reconversion qui s'est traduit par une
diversification dans d'autres domaines de recherche scientifique.
Le CCR compte
huit instituts,
répartis sur
cinq sites
différents.
Le site d'Ispra (Italie) accueille l'Institut des
systèmes, de l'informatique et de la sûreté (ISIS),
l'Institut de l'Environnement (IE), l'Institut des applications spatiales (IAS)
et l'Institut pour la santé et la protection des consommateurs. Le site
de Petten (Pays-Bas) accueille l'Institut des matériaux avancés
(IMA), celui de Karlsruhe (Allemagne) l'Institut des transuraniens (ITU), et
celui de Geel (Belgique) l'Institut des mesures et matériaux de
référence (IRMM). Enfin, le site de Séville (Espagne)
accueille l'Institut de prospective technologique (IPTT).
Ni la France, ni le Royaume-Uni n'avaient souhaité héberger un
site du CCR lors de sa création, afin de préserver la
confidentialité de leur recherche nucléaire mixte, à la
fois civile et militaire.
Le budget annuel du CCR est de l'ordre de 250 millions d'euros, pour un
effectif d'environ 2.500 personnes.
Le cinquième programme-cadre de recherche 1998-2002 prévoit de
lui octroyer 281 millions d'euros pour le financement des activités
nucléaires relevant du traité Euratom (27,5 %) et 739
millions d'euros pour ses activités de recherche non nucléaires
(72,5 %).
Au total, le CCR absorbe 7,3 % du budget de recherche
communautaire.
Depuis 1971, la CEEA n'est plus le seul client du Centre, qui peut travailler
pour des tiers. Ces contrats externes lui ont apporté 20 millions
d'euros de ressources budgétaires en 1999.
Inversement, depuis 1995, le CCR est invité à gagner une partie
de ses contrats avec la Commission sur une base concurrentielle, en
compétition avec d'autres laboratoires. La proportion des
activités qu'il doit exercer sur cette base concurrentielle est
fixée à 10 % pour la recherche nucléaire et 22 % pour les
autres types de recherche.
Le CCR apporte un soutien scientifique et technique aux services de la
Commission. L'une de ses tâches essentielles est d'assister celle-ci dans
la mise en oeuvre de la politique agricole commune, notamment par le
contrôle de la qualité des produits et la vérification des
déclarations d'utilisation des sols. Récemment, il a
été chargé de valider les tests de dépistage de
l'encéphalite spongiforme bovine (ESB).
Dans le domaine nucléaire qui est sa compétence d'origine, le
CCR constitue une référence scientifique mondiale pour la
caractérisation des combustibles et des déchets
nucléaires.
C'est à l'Institut des transuraniens de Karlsruhe
que l'AIEA a fait appel pour analyser les installations nucléaires de
l'Irak. Le CCR intervient également en soutien technique auprès
de la Commission pour les appels d'offre et le suivi des projets dans le cadre
des programmes d'amélioration de la sûreté des
réacteurs nucléaires à l'Est.
Toutefois, le CCR n'est guère aimé par les Etats membres, qui
le voient surtout comme un consommateur de crédits. Il fait l'objet de
critiques récurrentes sur l'efficacité de son travail de la part
de la Cour des comptes et du Parlement européen.
Résumant ces critiques, un récent document de la Direction des
études du Parlement européen
(45(
*
))
a fait une évaluation peu complaisante du
rapport coût / efficacité du CCR.
Tout d'abord, cette étude conteste la légitimité
même du statut du Centre : "
nombreux sont ceux qui pensent que
la position actuelle du CCR au sein de la Commission pose problème au
regard des procédures d'appels d'offres. Le CCR soumissionne pour des
projets de recherche financés par la Commission et entre en concurrence
avec d'autres organismes. Est-il normal que la Commission décide de
l'attribution de ces contrats ? Rien ne garantit que les appels d'offres
eux-mêmes ne soient pas rédigés de façon à
favoriser les intérêts du CCR au détriment des organismes
externes
".
L'étude du Parlement européen soulève également les
problèmes de personnel : "
la sécurité de l'emploi
garantie par le statut du personnel auprès des institutions de l'Union
européenne n'est pas nécessairement adaptée à des
instituts de recherche, lesquels doivent encourager la mobilité et le
flot constant d'idées nouvelles. De ce point de vue,
l'intégration du CCR dans la Commission peut paraître
regrettable
".
Pour sa part, la Commission préconise une application souple du statut
du personnel et vise pour le CCR une structure composée de 40 % de
fonctionnaires, 35 % de scientifiques sous contrats de cinq ans et 25 % sous
contrats de trois ans non renouvelables.
Enfin, l'étude du Parlement européen relève certains
surcoûts de gestion du CCR liés à l'éclatement de
ses sites, ainsi qu'aux exigences relatives à la sûreté
nucléaire sur son site d'Ispra.
Face à ces critiques unanimes, la Commission a défini en 1998 un
nouveau projet pour le CCR
, qui sera chargé en priorité de
contrôler la mise en oeuvre des politiques communautaires dans certains
domaines sensibles (ESB, dioxine, hormones, produits chimiques dangereux, eau,
pollution des villes, carburants propres, prévision des récoltes,
authenticité des vins...) d'une manière indépendante
à la fois des Etats membres et des intérêts privés.
Le CCR est appelé à travailler davantage en réseau avec
les instituts scientifiques des Etats membres, et est restructuré autour
de quatre piliers de compétence : sûreté
nucléaire ; sécurité alimentaire et produits
chimiques ; environnement ; nouvelles technologies de l'information
et de la communication.
Votre rapporteur ne se prononcera pas sur le rapport coût /
efficacité du Centre Commun de Recherche, cette approche lui paraissant
forcément sujette à caution et finalement d'une pertinence
limitée en matière de recherche.
En revanche, il n'a aucun doute sur le grand intérêt pour l'Union
européenne de disposer d'une capacité d'expertise scientifique
indépendante dans les domaines sensibles où les Etats membres ne
se font pas mutuellement confiance.
Il estime notamment qu'il ne serait pas opportun de diminuer davantage la
compétence nucléaire du CCR.
Celle-ci apparaît aujourd'hui précieuse pour améliorer les
aspects les plus contestés de la filière nucléaire, tels
que la sûreté des centrales ou la gestion des déchets. Ce
point de vue semble pouvoir être admis aussi bien par les partisans que
par les adversaires du nucléaire en Europe.
3. Les pouvoirs limités de l'Agence d'approvisionnement
Le chapitre VI du traité Euratom, relatif à l'approvisionnement en matières fissiles, est celui qui a le plus vieilli et fait l'objet d'un contentieux récurrent entre la France et la Commission.
a) Des règles initiales d'essence supranationale
Les
règles communautaires relatives à l'approvisionnement ont
été conçues, dans un contexte de rareté des
matières fissiles, sous la
forte influence des Etats-Unis
.
Dans leur mémorandum transmis aux Six à la veille de la
conférence de Venise de mai 1956, ceux-ci estimaient que "
tout
compromis dans le statut d'Euratom par lequel un des pays partenaires pourrait,
sous certaines conditions, se procurer par des arrangements spéciaux des
matériaux nucléaires en dehors du canal d'Euratom, paraît
au gouvernement des Etats-Unis frapper au coeur même du concept
d'Euratom.
"
Le gouvernement des Etats-Unis doit faire connaître aux six
nations, dès maintenant où l'on approche de la tâche de
préparer le traité, qu'il ne pourrait coopérer de
manière efficace avec Euratom (...) si ce problème du combustible
n'était pas résolu de façon satisfaisante
".
Cet avertissement était d'autant plus clair que les Etats-Unis
disposaient à l'époque du monopole mondial de production
d'uranium enrichi.
Dès lors, les dispositions du traité Euratom relatives
à l'approvisionnement reflètent une forte volonté
d'intégration, la CEEA incluant dans ses missions "
de veiller
à l'approvisionnement régulier et équitable de tous les
utilisateurs de la Communauté en minerais et combustibles
nucléaires
" (article 2.d).
Selon l'article 52.1 du traité Euratom, l'approvisionnement de la
Communauté en minerais, matières brutes (c'est-à-dire
l'uranium naturel) et matières fissiles spéciales
(c'est-à-dire uranium enrichi et plutonium) est assuré
"
selon le principe de libre accès aux ressources, et par la
poursuite d'une politique commune d'approvisionnement
".
L'instrument de cette politique est une
Agence d'approvisionnement
dotée de la personnalité juridique et financière,
placée sous le contrôle de la Commission, et destinée
à assurer l'approvisionnement régulier et équitable de
tous les utilisateurs (article 53 du traité).
Pour s'acquitter de sa tâche, l'Agence d'approvisionnement demeure
soumise aux lois du marché concurrentiel et fonctionne suivant des
règles commerciales. Elle doit centraliser les offres et les demandes,
et en informer les intéressés, pour que les prix résultent
de leur confrontation. Elle doit corriger les éventuels abus de la
liberté commerciale, tels que le refus de vendre, afin d'empêcher
les pratiques contraires au principe de l'égal accès aux
ressources.
A cet effet, l'Agence dispose comme outils de deux
droits différents :
- en ce qui concerne l'approvisionnement en provenance de
l'intérieur de la Communauté, elle possède un
droit
d'option
qui lui permet de se rendre acquéreur de tous les minerais,
matières brutes et matières fissiles spéciales produits
sur le territoire des Etats membres ;
- en ce qui concerne l'approvisionnement en provenance de
l'extérieur de la Communauté, elle possède un
droit
exclusif de conclure des accords
. Cette règle est néanmoins
assortie de trois exceptions : l'une est générale, dans
l'hypothèse où l'Agence ne serait pas en mesure de livrer les
matières dans un délai et à un prix raisonnables ;
les deux autres sont particulières et concernent, respectivement, les
petites quantités utilisées pour la recherche et les contrats de
traitement, de transformation ou de mise en forme dans lesquels les
matières nucléaires font retour au client d'origine.
Le traité Euratom a donc prévu dans le domaine des
matières fissiles des règles empreintes de
supranationalité, qui dotent l'Agence d'approvisionnement de pouvoirs
étendus. Toutefois, lors de leur élaboration, ces dispositions
étaient inspirées davantage par les circonstances de
l'époque que par un accord réel sur le long terme.
L'évolution ultérieure du marché mondial de l'uranium a
rendu inacceptables pour les souverainetés nationales les transferts de
compétences consentis par les Etats membres au profit de la CEEA, et a
abouti rapidement à la remise en cause des règles initiales.
b) Une application laxiste mais une révision impossible
Alors
que les dispositions du traité Euratom relatives à
l'approvisionnement ont été conçues dans la perspective
d'une relative pénurie d'uranium dans le monde, l'évolution
effective des réserves découvertes et des technologies
nucléaires a produit une situation de surabondance de l'offre qui ne
s'est pas démentie jusqu'à aujourd'hui.
Dès 1960, un règlement communautaire
(46(
*
))
réduisait les pouvoirs de l'Agence
d'approvisionnement quant à son droit exclusif de conclure des accords.
Selon ce règlement, lorsque le marché est
caractérisé par un "
excès manifeste de l'offre
sur la demande
", l'Agence détermine les conditions d'ordre
général auxquelles doivent satisfaire les contrats
d'approvisionnement, mais les utilisateurs et les producteurs sont
habilités à négocier directement et à signer les
contrats. Ces derniers étaient réputés conclus si l'Agence
ne manifestait pas d'opposition dans un délai de huit jours à
compter de leur réception.
L'Agence se trouvait ainsi réduite
à un rôle de simple greffier.
L'Agence d'approvisionnement a retrouvé un rôle formel un peu plus
grand après 1973, quand le premier choc pétrolier a laissé
craindre des tensions nouvelles sur le marché de l'uranium. Un
règlement du 25 juillet 1975, modifiant le règlement de 1960, lui
a restitué l'exclusivité de la signature des contrats.
Mais
l'essentiel, à savoir le droit de s'adresser directement aux
producteurs, reste acquis aux utilisateurs communautaires.
L'Agence est
simplement tenue de signer, dans les dix jours ouvrables, les contrats
d'approvisionnement que ceux-ci ont négociés librement.
Quant au droit d'option de l'Agence sur les matières produites dans la
Communauté, il a été réputé exceptionnel. Il
ne peut être utilisé qu'en cas de nécessité, en
fonction de l'évolution du marché, comme moyen de garantir le
principe du libre accès des opérateurs communautaires aux
matières nucléaires.
Actuellement, le rôle effectif de l'Agence d'approvisionnement
se
résume à apposer sa signature sur les contrats de fourniture, et
à vérifier la conformité
de ceux-ci avec le droit
communautaire et les engagements souscrits par la CEEA dans le cadre d'accords
internationaux.
Cette distorsion entre le fait et le droit conduit à une situation
juridique incertaine, qui a suscité des velléités de
réviser les règles relatives à l'approvisionnement.
L'article 76 du traité Euratom prévoit deux hypothèses de
modification du régime d'approvisionnement :
- la première peut intervenir à tout moment,
"
notamment au cas où des circonstances imprévues
créeraient un état de pénurie
général
", hypothèse la plus redoutée
à l'époque ;
- la seconde est une
clause de rendez-vous
, selon laquelle
"
à l'issue d'une période de sept ans à compter de
l'entrée en vigueur du traité, le Conseil peut confirmer
l'ensemble de ces dispositions. A défaut de confirmation, de nouvelles
dispositions relatives à l'objet du présent chapitre sont
arrêtées
".
Le 31 décembre 1964, à l'expiration de ce délai de sept
ans, aucune décision n'est intervenue, provoquant une controverse
juridique.
Alors que les autres Etats membres s'étaient prononcés en faveur
du maintien en vigueur provisoire du chapitre VI, la France a
considéré que ces dispositions étaient devenues caduques
faute d'avoir été dûment confirmées, et a
invoqué l'inexistence juridique de l'Agence d'approvisionnement pour
refuser de lui fournir les rapports annuels sur le développement de la
prospection et de la production d'uranium sur le territoire français, et
de lui communiquer ses contrats de fourniture extérieurs.
La France persistant à multiplier les infractions, la Commission
européenne introduisit contre elle, en mars 1971, un recours en
manquement devant la CJCE.
Dans son arrêt subséquent
(47(
*
))
, la
Cour donna partiellement raison à la France, en estimant que
"
le dépassement des délais prévus à
l'article 76 a créé une situation qui ne constitue pas une
application correcte du traité
". Mais elle n'en tire pas les
mêmes conséquences juridiques.
S'appuyant sur la théorie de
l'effet utile des traités
communautaires
, la CJCE a considéré que "
la
caducité de l'ensemble du chapitre VI sans l'entrée en vigueur
simultanée de nouvelles dispositions, reviendrait à accepter une
rupture de continuité dans un domaine où le traité,
notamment par son article 2, a prévu la poursuite d'une politique
commune
".
Tout en reconnaissant l'applicabilité des dispositions du chapitre VI
au-delà de la date fixée, la Cour n'en estimait pas moins que
celles-ci "
ne sont maintenues qu'à titre temporaire, de sorte
qu'il pourra leur être substitué, à tout moment, un
ensemble de dispositions nouvelles constitutives d'un régime
d'approvisionnement différent
".
A la suite de l'arrêt de la CJCE, un projet de révision des
dispositions du chapitre VI du traité Euratom a été
élaboré par les services de la Commission dès 1975, puis
remanié en 1982. Le nouveau régime d'approvisionnement ainsi
proposé était plus libéral : la notion de
non-discrimination devait se substituer à celle d'égal
accès aux matières nucléaires, le droit d'option de
l'Agence être abandonné, et l'obligation de lui communiquer
intégralement les contrats d'approvisionnement faire place à une
simple obligation de notification.
Néanmoins, ces projets ne purent vaincre l'immobilisme du Conseil,
qui s'accommode des procédures simplifiées mises en place de
manière non conforme à la lettre du traité, et la
révision du chapitre VI a été ajournée
jusqu'à présent.
La France a développé une pratique d'application minimale du
chapitre VI du traité Euratom, qui aboutit à faire
échapper la quasi-totalité des contrats de fournitures conclu par
les opérateurs français à la cosignature de l'Agence
d'approvisionnement.
En effet, la Cogema ne transmet pas ses contrats d'approvisionnement car, selon
la France, elle n'est pas " utilisateur " au sens du traité
Euratom, tandis que les contrats d'enrichissement d'Eurodif relèvent,
toujours selon la France, d'un simple " façonnage " et non pas
d'une " production " de matières nucléaires.
La Commission européenne a adressé en 1975 un avis
motivé à la France sur ce sujet, qui s'est soldé par un
maintien des positions respectives.
c) Un regain d'intérêt récent
L'Agence
d'approvisionnement a survécu à ces vicissitudes juridiques en se
cantonnant dans une position diminuée par rapport aux ambitions
initiales. Toutefois, elle n'est pas devenue pour autant totalement inutile, et
suscite même un regain d'intérêt depuis quelque temps.
L'Agence peut apparaître comme la garante des intérêts
légitimes des opérateurs de la Communauté face aux
interventions des Etats membres dans le processus d'élaboration des
contrats d'importation de ces matières sensibles, où ils tentent
parfois d'imposer des restrictions d'usage abusives.
Au cours des dernières années, en s'appuyant sur son
Comité consultatif qui regroupe les industriels de la filière
nucléaire, les électriciens et les représentants des Etats
membres, l'Agence d'approvisionnement a cherché à réguler
les importations à très bas prix de matières
nucléaires provenant des Etats de la CEI, qui transitent d'ailleurs
souvent par des intermédiaires américains.
En effet, l'ouverture de l'ancienne Union soviétique s'est traduite
par un afflux sur le marché mondial d'un uranium à prix de
dumping
et du plutonium issu du déclassement des armements
nucléaires, qui risquait de déstabiliser l'industrie
communautaire du combustible nucléaire, compromettant à terme
l'autonomie d'approvisionnement de la CEEA.
Une solution a été trouvée dans le cadre de l'accord de
partenariat conclu en 1994 entre l'Union européenne et la Russie qui
prévoit, à titre dérogatoire, un contingentement à
20 % des importations de combustible nucléaire d'origine russe, qui
avaient représenté les années précédentes
jusqu'à 30 % du marché communautaire.
L'Agence d'approvisionnement a alors pour la première fois
utilisé son pouvoir de cosignature pour refuser des contrats de
sociétés britanniques, allemandes ou belges non compatibles avec
le contingent fixé. Elle a aussi exigé en retour la transmission
par la France de ses propres contrats, au nom de la non discrimination avec les
autres industriels de la CEEA.
Cette " réactivation " de l'Agence d'approvisionnement ne
fait pas l'unanimité. Si elle correspond à une demande de la
France, les Etats membres les plus attachés à un fonctionnement
libéral du marché, en particulier le Royaume-Uni et la
Suède, contestent le monopole de signature des contrats
d'approvisionnement encore détenu formellement par
l'Agence, et
le contingentement des importations de matières fissiles qui en
résulte.
C. LES DISPOSITIONS TOUJOURS D'ACTUALITÉ
A
côté des dispositions du traité Euratom devenues
obsolètes, d'autres dispositions apparaissent toujours
d'actualité.
Parmi celles-ci, le
marché commun nucléaire
, auquel est
consacré le chapitre IX du traité Euratom, ne doit être
rappelé que pour mémoire. Sans être dépassé,
il ne présente qu'un caractère fragmentaire et supplétif
par rapport au marché commun du traité CEE, dans lequel il s'est
progressivement fondu.
Les dispositions relatives au marché commun nucléaire
prévoient une union douanière pour les matières et
équipements nucléaires, qui a été
réalisée par anticipation sur l'union douanière
générale, ainsi qu'une libre circulation des personnes et des
capitaux, qui relève aujourd'hui essentiellement du droit
dérivé du traité CEE.
Elles prévoient également l'obligation pour les opérateurs
communautaires de s'assurer contre le risque industriel nucléaire, qui a
été satisfaite dans le cadre juridique plus large des conventions
internationales de Vienne et Paris relatives à la responsabilité
civile nucléaire, conclues sous les auspices de l'AIEA et de l'OCDE.
Les dispositions du traité Euratom aujourd'hui les plus pertinentes sont
celles relatives au contrôle de sécurité, aux accords de
coopération nucléaire avec les pays tiers, et à la
protection sanitaire contre les radiations.
1. Un contrôle de sécurité exercé en coordination avec l'AIEA
a) Des pouvoirs de contrôle étendus
Le
chapitre VII du traité Euratom instaure un contrôle de
sécurité destiné à prévenir tout risque de
prolifération nucléaire en Europe.
Dès la naissance de la CEEA, les Etats-Unis, qui détenaient alors
le monopole de l'enrichissement de l'uranium parmi les pays occidentaux, ont
exprimé très clairement leur préoccupation à ce
sujet dans un mémorandum remis aux Six à la veille de la
conférence de Messine.
Cette crainte du principal fournisseur de combustibles nucléaires de la
Communauté à l'époque a été prise en compte
par le traité Euratom selon deux modalités :
- le
contrôle de conformité
consiste, sur une base
déclarative, à "
s'assurer que les minerais,
matières brutes et matières fissiles spéciales ne sont pas
détournés des usages auxquels leurs utilisateurs ont
déclaré les destiner
" (article 77a) ;
- le
contrôle de finalité
consiste, lorsqu'un
fournisseur d'un pays tiers a subordonné la livraison de matières
nucléaires à la condition d'un usage pacifique, à
"
s'assurer que sont respectées les dispositions relatives
à l'approvisionnement et tout engagement particulier relatif au
contrôle souscrit par la Communauté dans un accord conclu avec un
Etat tiers ou une organisation internationale
" (article 77b).
Le contrôle d'Euratom est territorial : il prend effet au moment
où un minerai est extrait du sol de la Communauté ou lorsqu'une
matière est importée sur son territoire, et cesse lorsqu'une
matière est exportée.
Pour exercer ce contrôle obligatoire de sécurité, la
Commission dispose de
pouvoirs étendus
:
- toute entreprise qui manipule des matières nucléaires
à usage pacifique est tenue de communiquer à la Commission les
plans et capacités de ses installations, la nature des matières
utilisées et produites, les procédures techniques
employées et les méthodes appliquées pour mesurer et
vérifier les quantités et qualités des substances
détenues dans ses installations (article 78) ;
- la Commission doit disposer de relevés permettant la
comptabilité des matières nucléaires (article 79) ;
- enfin, et surtout, la Commission peut envoyer des inspecteurs sur le
territoire des Etats membres qui "
ont à tout moment
accès à tous lieux, à tous éléments
d'information et auprès de toute personne qui, de par leur profession,
s'occupent de matières, équipements ou installations soumises au
contrôle
" (article 81).
En cas de violation de ces différentes obligations, la CEEA dispose de
moyens de contrainte
sur les Etats membres et les entreprises
concernés.
La Commission peut adresser aux Etats membres l'injonction de prendre, dans le
délai qu'elle fixe, toutes les mesures nécessaires pour mettre
fin à la violation constatée (article 82.2). Dans le cas
où l'Etat membre ne respecterait pas les instructions de la Commission,
celle-ci ou tout Etat membre intéressé peut saisir
immédiatement la CJCE (article 82.3).
La Commission dispose de pouvoirs de sanction plus contraignants pour les
entreprises qui ne respecteraient pas leurs obligations : avertissement,
retrait d'avantages particuliers, mise sous administration, retrait total ou
partiel des matières nucléaires en leur possession.
b) L'articulation avec le système de garanties de l'AIEA
La
conclusion, le 1
er
juillet 1968, du Traité de Non
Prolifération des armes nucléaires posait la question de
l'articulation du contrôle de sécurité de l'Euratom avec
celui exercé par l'AIEA.
Les dispositions pratiques des mécanismes de contrôle
prévus par les deux organisations sont très voisines.
La
différence essentielle est que le contrôle de
sécurité de l'AIEA a un caractère contractuel, sur une
base d'adhésion volontaire au TNP, alors que celui de la CEEA a un
caractère obligatoire, applicable d'office en vertu du chapitre VII du
traité Euratom.
A cet égard, tous les Etats membres de la CEEA ne sont pas dans une
situation identique, deux d'entre eux, la France et le Royaume-Uni, ayant un
statut de puissance militaire nucléaire qui les classe à part au
regard du TNP.
Pour les Etats membres non dotés de l'arme nucléaire, la
technique juridique retenue a été celle de
l'accord mixte
(type de convention internationale à laquelle sont parties à la
fois la Communauté et directement des Etats membres) entre l'AIEA, d'une
part, la CEEA et chacun des Etats en question, d'autre part.
Dans la convention signée le 5 avril 1973
(48(
*
))
, la CEEA s'engage à coopérer avec l'AIEA
afin que cette dernière puisse "
vérifier les
résultats obtenus par le système de garanties de la
Communauté
". Cet engagement implique le libre accès de
l'AIEA à la comptabilité des matières nucléaires de
la CEEA, ainsi que la possibilité pour l'AIEA de réaliser des
inspections dans les installations nucléaires, sous réserve que
la Communauté et les Etats membres concernés aient donné
leur consentement relativement à la désignation des inspecteurs.
La mise en oeuvre de cette convention tripartite est subordonnée
à l'adaptation des procédures internes de contrôle de la
CEEA. Le règlement communautaire d'application adopté le 19
octobre 1976, après un long délai en raison de sa
complexité, a été depuis modifié à plusieurs
reprises pour tenir compte de l'évolution du système de garanties
de l'AIEA.
La préoccupation initiale des négociateurs de l'accord mixte
de 1973 était d'éviter une répétition inutile des
contrôles entre les deux organisations.
On constate cependant une
généralisation des observations indépendantes de l'AIEA,
alors que celles-ci ne devaient revêtir qu'un caractère
exceptionnel, et un accroissement de l'effort d'inspection de l'AIEA dans les
Etats membres, alors que cet effort aurait dû rester moindre que dans les
pays tiers, Euratom fournissant la base du contrôle de
sécurité.
Depuis 1992, l'Euratom et l'AIEA s'efforcent de rationaliser leur
coopération en conduisant des inspections communes, qui laissent
à la seconde la possibilité de tirer ses propres conclusions en
pleine indépendance.
En dépit de ce partenariat, la Direction du Contrôle de
Sécurité de la Commission européenne se positionne en
situation de surenchère avec l'AIEA et exerce un contrôle
étroit sur les déchets des installations nucléaires,
pourtant peu dangereux au regard du risque de prolifération.
La France supporte à elle seule plus de 40 % de l'effort communautaire
d'inspection, ce qui n'est pas neutre compte tenu des coûts induits.
Enfin, la Commission a cherché à utiliser la négociation
en 1998 du protocole additionnel au système des garanties de l'AIEA pour
étendre sa compétence aux équipements et aux technologies,
alors qu'elle est strictement limitée par le traité Euratom aux
matières fissiles.
En dépit de l'échec de cette tentative, certains Etats membres,
faute de moyens propres, laissent aujourd'hui la CEEA exercer pour leur compte
certains des contrôles non liés aux matières prévus
par le protocole additionnel aux garanties de l'AIEA.
c) Le cas particulier des Etats membres puissances nucléaires
L'intégration de l'Euratom dans le système
international de contrôle de sécurité ne résout pas
le problème posé par les Etats membres détenteurs d'armes
nucléaires.
En effet, le contrôle de sécurité de la CEEA comporte une
exception importante. Aux termes de l'article 84.3 du traité Euratom, le
contrôle ne peut s'étendre "
aux matières
destinées aux besoins de la défense qui sont en cours de
façonnage spécial pour ces besoins, ou qui, après ce
façonnage, sont conformément à un plan
d'opérations, implantées ou stockées dans un
établissement militaire
".
Initialement, la France et le Royaume-Uni n'étaient pas tenus de
conclure des accords de garanties avec l'AIEA, et rien dans le traité
Euratom ne s'opposait à ce que des Etats membres non dotés
d'armes nucléaires leur transfèrent, sans avoir à en
contrôler l'utilisation, des matières et des équipements.
Mais les deux Etats membres puissances nucléaires se sont trouvés
soumis à des pressions croissantes de la part de leurs fournisseurs de
minerais, tels le Canada et l'Australie, pour qu'ils se soumettent
volontairement au contrôle de sécurité de l'AIEA. Par
ailleurs, leur ralliement à l'AIEA est apparu comme un facteur de
cohésion communautaire.
Chacun à leur tour, le Royaume-Uni et la France ont fait une
" offre volontaire " d'accepter des garanties de l'AIEA analogues
à celles prévues pour les Etats membres non dotés d'armes
nucléaires. Deux nouveaux accords tripartites furent signés le 6
septembre 1976 et le 27 juillet 1978.
A la demande la France, le champ de l'exception prévue à
l'article 84.3 du traité Euratom a été élargi
et la CEEA a reconnu la notion de
" matière libre
d'emploi "
qui l'autorise à ne soumettre au contrôle de
sécurité que les seules matières dont elle reconnaît
la destination exclusivement civile. Les matières libre d'emploi ont un
usage indifféremment civil ou militaire, ce qui permet de maintenir le
secret défense sur la nature et les quantités exactes des
matières à destination militaire.
Récemment, la Commission européenne a enjoint, par simple
circulaire en date du 24 juin 1998, les opérateurs communautaires de
déclarer soumises à utilisation pacifique les matières
provenant de pays tiers pour façonnage et destinées à
faire retour dans ces pays.
Les autorités françaises ont
refusé d'appliquer cette circulaire, qui remettrait en question la
confidentialité des flux affectés aux besoins de la
défense en restreignant la quantité des " matières
libre d'emploi ".
En fait, la Commission contestait la notion même de " matière
libre d'emploi " et a exprimé sa préférence pour une
séparation claire des cycles civil et militaire. Mais elle a dû
finalement admettre une dérogation à sa circulaire pour le cycle
mixte propre à la France.
2. Une politique active d'accords internationaux
a) Le parallélisme des compétences intérieures et extérieures
Le
chapitre X du traité Euratom est consacré aux relations
extérieures de la CEEA.
Aux termes de l'article 101.1 du traité Euratom, "
la
Communauté peut, dans le cadre de sa compétence, s'engager par la
conclusion d'accords ou de conventions avec un Etat tiers, une organisation
internationale ou un ressortissant d'un Etat tiers
". Il
résulte de ces dispositions que l'étendue de la compétence
de la CEEA en matière de relations extérieures est identique
à celle de la compétence dont elle dispose à
l'intérieur.
Le principe de parallélisme de la compétence interne et de la
compétence de conclure des accords internationaux est donc explicitement
affirmé par le traité Euratom, alors que dans le traité
CEE ce même principe a dû être dégagé par la
jurisprudence de la Cour de Justice
(49(
*
))
.
La CEEA peut conclure des accords internationaux non seulement dans les
domaines où ceci est expressément prévu (échanges
de connaissances scientifiques et industrielles, approvisionnement en
matières fissiles) mais aussi dans ceux où elle ne dispose
explicitement que d'une compétence interne, tel celui de la recherche.
La procédure de conclusion d'accords internationaux par la CEEA
diffère de celle prévue dans le traité CEE. Dans le
traité Euratom, les accords sont négociés et conclus par
la Commission, selon les directives du Conseil. Avant de conclure, la
Commission doit obtenir l'approbation du Conseil qui statue à la
majorité qualifiée.
Toutefois, l'alinéa 3 de l'article 101 du traité Euratom donne
à la Commission le droit de négocier et de conclure seule les
accords "
dont l'exécution n'exige pas une intervention du Conseil et
peut être assurée dans les limites du budget
intéressé
". La Commission est tenue, dans ce cas, de
tenir le Conseil informé.
L'article 102 du traité Euratom prévoit la possibilité
d'accords mixtes auxquels sont parties, outre la Communauté, un ou
plusieurs Etats membres. Cet instrument est particulièrement utile dans
le cas d'accords internationaux relevant en partie de la compétence
communautaire et en partie de celle des Etats membres.
b) Un contrôle juridictionnel original
Le
traité Euratom prévoit par ailleurs un contrôle
juridictionnel original des relations extérieures de la CEEA.
En effet, la conclusion d'accords internationaux spécifiquement
communautaires ou mixtes n'est pas exclusive de la compétence des
Etats membres. Aux termes de l'article 103.1 du traité Euratom,
ceux-ci conservent la possibilité de conclure "
avec un Etat
tiers, une organisation internationale ou un ressortissant d'un Etat tiers,
dans la mesure où ces accords ou conventions intéressent le
domaine d'application du présent traité
".
Il appartient donc à la CJCE de garantir la conformité au
droit communautaire de ces accords internationaux conclus par les Etats
membres
. Elle le fait selon un mécanisme institutionnel
spécifique qui comporte trois temps :
- les projets d'accords élaborés par les Etats membres dans
le domaine d'application du traité Euratom doivent être
communiqués à la Commission européenne (article
103.1) ;
- dans le cas où celle-ci estime qu'ils comportent des clauses
contraires aux engagements communautaires, elle adresse ses observations
à l'Etat membre concerné dans le délai d'un mois ;
- celui-ci, s'il conteste les observations de la Commission, peut
introduire une requête devant la CJCE pour qu'elle se prononce d'urgence
sur la compatibilité des clauses envisagées avec les dispositions
du traité Euratom.
L'accord ou la convention envisagés ne peuvent être conclus que
lorsque les objections de la Commission européenne ont été
levées ou que l'Etat membre s'est conformé à la
délibération de la CJCE.
c) Un réseau étoffé d'accords internationaux
Sur la
base de ces dispositions juridiques, l'Euratom a développé un
réseau étoffé de conventions internationales.
En ce qui concerne les
institutions internationales
multilatérales
, la CEEA est liée à l'AIEA par les
accords de coopération sur le contrôle de sécurité
précédemment évoqués, ainsi que par un accord
général de coopération signé le 1
er
décembre 1975.
Elle est également partie, en tant que telle, aux conventions
internationales négociées dans le cadre de l'AIEA, telles la
convention de 1994 sur la sûreté nucléaire ou la convention
de 1997 sur la gestion du combustible usé et des déchets
radioactifs.
En ce qui concerne le
reste de l'Europe occidentale
, la CEEA avait
négocié en 1986 quatre accords-cadres de coopération
scientifique et technique avec l'Autriche, la Finlande, la Norvège et la
Suède. Ces accords ont perdu leur raison d'être après
l'entrée de trois des pays concernés dans la Communauté.
Les droits et obligations qui en découlaient ont été alors
repris après négociation, en application de l'article 106 du
traité Euratom.
En revanche, la CEEA reste liée à la Suisse par un accord de
coopération dans le domaine de la fusion thermonucléaire et de la
physique des plasmas signé le 10 mai 1976, ainsi que par un accord-cadre
de coopération scientifique et technique signé le 13 janvier 1986.
Historiquement, avant leur diversification récente, les relations
extérieures de la CEEA ont été concentrées sur les
accords avec ses trois grands fournisseurs occidentaux de matières et de
technologies nucléaires.
La Communauté est liée avec le
Canada
par un accord de
coopération sur les utilisations pacifiques de l'énergie
atomique, signé le 6 octobre 1959, ainsi que par un
mémorandum d'accord concernant une coopération dans la recherche
et le développement dans le domaine de la fusion thermonucléaire,
signé le 6 mars 1986.
Elle est liée avec
l'Australie
par un accord relatif aux
transferts de matières nucléaires d'Australie à la CEEA,
signé le 21 septembre 1981.
Enfin, la Communauté est liée depuis l'origine aux
Etats-Unis
par plusieurs accords : accord préliminaire
signé le 29 mai 1958, avenant à l'accord de coopération
signé le 25 juillet 1960, accord de coopération dans le domaine
de la fusion thermonucléaire contrôlée signé le 15
décembre 1986.
La Commission s'apprête à conclure un accord entre la CEEA et la
Nuclear Regulatory Commission
américaine (US-NRC) dans le domaine
de la recherche sur la sûreté nucléaire. Les relations
directes entre l'US-NRC et la Communauté remontent à la fin des
années 1970, suite à l'accident de Three Mile Island.
Ces accords tendent à changer de nature. Ils sont davantage accords
de coopération réciproque qu'accords de fourniture
stricto
sensu
. D'où une difficulté pour distinguer les dispositions
relevant de la non prolifération en général, de la
compétence des Etats membres, et les dispositions relevant du
contrôle de sécurité spécifique sur les
matières, de la compétence de la Communauté.
Ils ont ouvert la voie à la négociation d'accords comparables
avec d'autres pays : un accord a été signé avec
l'Argentine en 1998, le premier liant la CEEA à un Etat
d'Amérique latine, et un mandat de négociation a
été confié à la Commission pour un accord avec le
Japon.
Plus récemment, la CEEA cherche à étendre son
réseau d'accords internationaux vers les
Etats issus de l'ancienne
URSS
.
Le 29 mars 1999, la Commission a avalisé un accord de coopération
avec le Kazakhstan dans le domaine de la sûreté nucléaire,
ainsi que dans celui du contrôle des matières nucléaires et
de la lutte contre leur trafic.
Le 12 juillet 1999, le Conseil a entériné deux accords de
coopération avec l'Ukraine, portant sur la sûreté
nucléaire et la fusion nucléaire contrôlée
menée à des fins pacifiques.
Comme on l'a vu, le commerce de matières nucléaires avec la
Russie reste géré conformément au système de
contingentement prévu par l'accord de partenariat de 1994, seule la
Suède étant favorable à la conclusion d'un accord
spécifique, qui devait en principe être conclu avant 1997.
3. Une préoccupation de protection sanitaire devenue prioritaire
L'article 2.a du traité Euratom prévoit que la
CEEA
doit "
établir des normes de sécurité uniformes
pour la protection sanitaire de la population et des travailleurs, et veiller
à leur application
".
Cet objectif de protection sanitaire est devenu prioritaire par rapport
à celui de promotion de l'énergie nucléaire. Afin de le
satisfaire, la Commission européenne dispose de pouvoirs importants en
matière de radioprotection, qu'elle a constamment augmentés en
interprétant de manière extensive les dispositions juridiques
existantes, et même en suppléant parfois les lacunes du
traité Euratom.
a) Des compétences importantes en matière de radioprotection
Le
chapitre III du traité Euratom est consacré à la
protection sanitaire. Il dote la Commission, au nom de la CEEA, de trois
instruments juridiques inégalement contraignants : la fixation de
normes de base communes, l'harmonisation des législations nationales et
le contrôle de la radioactivité dans les Etats membres.
Les
normes de base communes
"
relatives à la protection
sanitaire de la population et des travailleurs contre les dangers
résultant des radiations ionisantes
" sont fixées par le
Conseil, qui statue à la majorité qualifiée sur
proposition de la Commission, élaborée après avis d'un
groupe d'experts scientifiques des Etats membres (articles 30 et 31).
Afin de fonder ses propres normes de base, la CEEA a suivi dès sa
création les recommandations de la Commission internationale de
protection radiologique (CIPR), organisme scientifique indépendant des
gouvernements qui est à l'origine de toutes les réglementations
nationales ou internationales concernant la radioprotection.
Les normes de base ont été fixées pour la première
fois en 1959, et ont été depuis révisées à
plusieurs reprises. La directive du 13 mai 1996 sur la radioprotection
(50(
*
))
s'inspire des recommandations
formulées en 1990 par la CIPR, et abaisse sensiblement les doses
maximales d'exposition annuelle aux radiations.
Elle doit être
transposée par les Etats membres avant le 13 mai 2000. Votre
rapporteur constate que la France, une fois encore, ne respectera pas cette
date limite de transposition.
L'
harmonisation des législations nationales
est prévue par
l'article 33 du traité Euratom, dont le premier alinéa
reconnaît que "
chaque Etat membre établit les
dispositions législatives, réglementaires et administratives
propres à assurer le respect des normes de base
fixées (...)",
mais dont le deuxième alinéa
prévoit que "
la Commission fait toute recommandation en vue
d'assurer l'harmonisation des dispositions applicables à cet
égard par les Etats membres
".
Afin que la Commission puisse exercer son pouvoir de recommandation, les Etats
membres sont tenus de lui communiquer leurs dispositions nationales (article
33.3).
Le
contrôle de la radioactivité
dans les Etats membres
résulte de trois articles du traité Euratom. L'article 35
prescrit à ceux-ci d'établir "
les installations
nécessaires pour effectuer le contrôle permanent du taux de la
radioactivité de l'atmosphère, des eaux du sol, ainsi que le
contrôle du respect des normes de base
" et donne à la
Commission le droit d'accéder à ces installations de
contrôle afin d'en vérifier le fonctionnement et
l'efficacité.
Par ailleurs, l'article 36 oblige les Etats membres à communiquer
régulièrement à la Commission les résultats des
contrôles visés à l'article précédent, afin
que celle-ci "
soit tenue au courant du taux de la radioactivité
susceptible d'exercer une influence sur la population
".
Enfin, l'article 37 prévoit que "
chaque Etat membre est tenu de
fournir à la Commission les données générales de
tout projet de rejet d'effluents radioactifs sous n'importe quelle forme,
permettant de déterminer si la mise en oeuvre de ce projet est
susceptible d'entraîner une contamination radioactive des eaux, du sol ou
de l'espace aérien d'un autre Etat membre
". La Commission,
après consultation du groupe d'experts, émet un avis dans un
délai de six mois.
b) Une conception extensive de ces compétences
La
Commission a adopté une conception systématiquement extensive des
dispositions du traité Euratom qui lui confèrent des
compétences en matière de radioprotection.
Ainsi, elle a utilisé le pouvoir de proposer les normes de base qui lui
est conféré par l'article 31 pour mettre en place, avec l'aval du
Conseil, une législation communautaire dérivée abondante.
Cette législation dérivée ne concerne pas seulement
l'exposition constante des travailleurs et des populations, mais aussi, suite
à l'accident de Tchernobyl, les niveaux maxima admissibles de
contamination radioactive pour les denrées alimentaires
(51(
*
))
, ainsi que les modalités d'échange
d'informations et les mesures de protection à prendre en cas d'urgence
radiologique
(52(
*
)).
De même, la Commission a invoqué les pouvoirs de
vérification des installations de contrôle des Etats membres qui
lui sont donnés par l'article 35 pour mettre en oeuvre un contrôle
permanent des rejets des installations nucléaires.
Enfin, elle a invoqué la compétence consultative qui lui est
conférée par l'article 37 pour chercher à contrôler
systématiquement et
a priori
les effluents des installations
nucléaires, alors que certains Etats membres, dont la France,
considéraient que ces dispositions ne lui permettent d'intervenir que
très ponctuellement.
Une décision préjudicielle de la CJCE
(53(
*
))
a validé en 1988 l'interprétation de la
Commission, et même considéré que l'avis de celle-ci devait
intervenir avant l'autorisation administrative des installations par les
autorités compétentes de l'Etat membre.
Bien que ce sujet soit connexe à la question du nucléaire
civil, votre rapporteur estime utile de rappeler qu'à l'occasion des
derniers essais nucléaires français dans l'atoll de Mururoa, en
1995 et 1996, la Commission européenne a invoqué l'article 34 du
traité Euratom pour demander des explications à la France
.
Cette disposition lui confère un droit d'avis conforme pour toute les
"
expériences particulièrement dangereuses
"
devant avoir lieu sur le territoire d'un Etat membre. Sous la pression du
Parlement européen, qui la menaçait d'un vote de censure, la
Commission avait alors envisagé de fonder sur cette base juridique un
recours en manquement contre la France, avant d'abandonner la
procédure.
c) De nouveaux domaines d'intervention non prévus par les textes
Loin de
se contenter d'une interprétation extensive des dispositions existantes,
la Commission européenne va au-delà de la lettre du traité
Euratom pour proposer au Conseil, avec un succès inégal, de
mettre en place des politiques communes.
On a vu précédemment la manière dont la Commission
revendique avec obstination une compétence en matière de
sûreté des centrales nucléaires
, aussi bien dans le
cadre des programmes PHARE et TACIS que dans celui des négociations
d'adhésion ou dans celui de la convention internationale de 1994 sur la
sûreté nucléaire. Mais, jusqu'à présent,
elle n'a guère été suivie sur ce terrain par les Etats
membres.
En effet, la sûreté nucléaire est un sujet bien trop
grave et délicat pour que les Etats membres acceptent de s'en dessaisir
au profit de la Communauté. Compte tenu de la sensibilité de
leurs opinions publiques sur cette question, ils préfèrent la
traiter, y compris dans le domaine de l'information, au niveau national.
Aussi, la compétence exclusive des Etats membres en matière de
sûreté nucléaire est-elle constamment rappelée dans
les diverses résolutions du Conseil.
La solidarité entre les Etats membres est très forte sur ce
point, même de la part de ceux qui ne sont pas favorables au
nucléaire.
Elle a été renforcée par le recours
juridictionnel de la Commission contre les bases juridiques de la
décision du Conseil d'adhésion d'Euratom à la convention
sur la sûreté nucléaire, qui avait été
adoptée à l'unanimité des Etats membres.
En revanche, la Commission européenne a eu plus de succès
lorsqu'il s'est agi de mettre en place des programmes pour certains aspects de
la filière nucléaire qui ont été omis par les
auteurs du traité Euratom, mais qui justifient aujourd'hui un minimum
d'harmonisation communautaire.
Ainsi, elle a pu faire adopter en 1992 une importante directive
(54(
*
))
sur la surveillance radiologique des
transports de
déchets radioactifs
à l'intérieur et aux
frontières de la Communauté, parce que cela correspond à
une réelle préoccupation de l'opinion publique et des Etats
membres, même si cette question n'est pas évoquée par le
traité Euratom autrement que sous l'angle de la liberté de
circulation des matières nucléaires.
De même, la Commission a obtenu l'application, par analogie, de la
procédure de consultation prévue par l'article 37 du
traité pour les projets d'installations nouvelles aux premières
opérations de démantèlement de centrales
nucléaires
. La France a ainsi soumis pour avis à la
Commission le programme de démantèlement de la centrale de
Brennilis, alors qu'elle n'était juridiquement pas tenue de le faire.
Enfin, la Commission s'est saisie récemment de la question de la
gestion des déchets
nucléaires
en
préconisant l'adhésion de l'Union européenne à la
convention commune de 1997 sur la sûreté de la gestion du
combustible usé et des déchets radioactifs, et en proposant de
mettre en place un plan d'action communautaire en la
matière
(55(
*
)).
Bien que la base légale " à tout faire " fournie par
l'article 31 du traité Euratom relatif à la radioprotection soit
des plus minces, le Conseil a donné son aval au principe d'un plan
communautaire de gestion des déchets nucléaires, dans la mesure
où celui-ci consiste pour l'essentiel en un simple échange
d'informations sur les politiques nationales et une coordination des efforts de
recherche scientifique menés dans ce domaine.
Votre rapporteur considère comme légitimes les extensions du
champ de compétences de la CEEA demandées par la Commission,
lorsque celles-ci correspondent à des aspects de la filière
nucléaire qui n'avaient pas été envisagés en 1957
par les auteurs du traité Euratom, tels que le
démantèlement des centrales ou la gestion des déchets
nucléaires.
Mais tout dépend de l'esprit dans lequel ces extensions de
compétences interviennent.
Elles doivent respecter la responsabilité première des Etats
membres dans le domaine nucléaire, par une application bien comprise du
principe de subsidiarité.
Elles ne doivent pas se faire dans un sens abusivement restrictif. Car la
tentation permanente des opposants au nucléaire reste d'étrangler
économiquement toute la filière, en la soumettant à des
exigences communautaires intenables relatives aux rejets, aux transports ou aux
déchets.
Votre rapporteur relève que l'absence de consensus parmi les Etats
membres et au sein des instances européennes ne garantit pas que
l'aggiornamento
du traité Euratom se fasse dans ces conditions
idéales de sérénité, et appelle donc le
gouvernement français à rester toujours vigilant.
CONCLUSION
Au terme
de ce tour d'horizon, qui ne peut être exhaustif vu l'ampleur et la
complexité du sujet, la délégation pour l'Union
européenne tient à souligner en particulier les quatre points
suivants.
1) L'Union européenne se trouve placée devant une
alternative incontournable : l'option nucléaire ou l'effet de
serre.
Ce constat ne doit pas être pris comme une critique des énergies
renouvelables. Celles-ci peuvent en effet, dans une certaine mesure, être
présentées comme une alternative au nucléaire. Il se fonde
simplement sur
une juste appréciation du potentiel des
différentes sources d'énergie, ainsi que des besoins
énergétiques futurs de l'Europe
.
Il est surprenant que l'alternative entre nucléaire et effet de serre
soit restée jusqu'à présent absente des débats
communautaires sur les choix énergétiques et fiscaux de l'Union.
Il est de la responsabilité de la France, premier pays européen
producteur d'électricité nucléaire, de prendre une
position sans équivoque en portant ce débat devant l'opinion
publique. Il est aussi temps de demander aux Etats membres qui ne veulent plus
du nucléaire pour eux-mêmes et le dénoncent chez les
autres, mais continuent d'importer de l'électricité d'origine
nucléaire, de clarifier leur attitude.
Néanmoins, il faut avoir conscience que cette alternative ne pourra
être vraiment prise en compte que lorsque des solutions pour le stockage
définitif des déchets nucléaires ultimes auront
été politiquement décidées dans chacun des Etats
membres.
2) L'Union européenne doit veiller à ne pas perdre les
compétences acquises en matière d'énergie nucléaire
par ses différents Etats membres, qui l'ont portée à la
pointe de la technologie.
Cette recommandation reste pertinente, que l'on envisage de développer
la filière électronucléaire en Europe ou de renouveler
simplement le parc existant des centrales. Elle demeurerait même
justifiée dans le cas où l'on déciderait d'abandonner
progressivement le nucléaire. En effet, les connaissances scientifiques
et les procédés techniques sont indispensables pour assurer
correctement " l'aval du cycle ", c'est-à-dire le
démantèlement des installations nucléaires et la gestion
des déchets radioactifs.
L'Union européenne ne doit donc pas relâcher davantage son effort
de recherche nucléaire, ni réduire encore les activités
proprement nucléaires du Centre commun de recherche. Les partisans,
comme les adversaires du nucléaire, doivent pouvoir tomber d'accord sur
cet objectif de bon sens.
La France a également une responsabilité particulière en
la matière. Elle est de loin l'Etat membre qui consacre le plus de
crédits à la recherche nucléaire. De plus, certaines
déclarations gouvernementales montrent qu'elle continue de miser, pour
l'avenir, sur la filière électronucléaire.
Sur ce dernier point, la délégation estime qu'il serait temps que
le Gouvernement se décide enfin à déclencher le
" compte à rebours " des études et des autorisations
nécessaires pour le lancement en temps voulu d'un prototype comme l'EPR,
destiné à remplacer la génération actuelle des
centrales nucléaires françaises. On doit tenir compte du fait que
des Etats-continents comme la Chine ou l'Inde ne pourront se passer du
nucléaire et auront besoin de la recherche, de la technique, du
matériel et de la coopération de la France et de l'Europe.
3) L'Union européenne doit maintenir sa contribution à
l'amélioration de la sûreté des centrales nucléaires
à l'Est du continent.
Un nouveau " Tchernobyl " mettrait en danger la santé de
nombreux citoyens européens, et porterait un coup fatal à la
légitimité de l'ensemble de la filière
électronucléaire dans l'opinion publique. L'Union doit en
conséquence rechercher plus d'efficacité dans l'utilisation des
crédits importants qu'elle consacre à la sûreté
nucléaire dans les pays d'Europe centrale et orientale. Les
défaillances de la Commission européenne sur cet aspect de la
gestion des programmes PHARE et TACIS sont avérées.
En ce domaine il faut s'appuyer davantage sur l'expertise des autorités
de sûreté nucléaire des Etats membres, et faire confiance
à la grande compétence des ingénieurs de l'Est. L'Union
européenne ne doit pas dicter la marche à suivre aux pays
d'Europe centrale et orientale auxquels elle prétend offrir son
assistance, mais les traiter en égaux.
La délégation ne nie pas le bien-fondé de la promesse que
l'Union européenne a obtenue, de la part de trois pays candidats
à l'adhésion, de fermer certains réacteurs
nucléaires jugés particulièrement dangereux. Il faut
cependant garder à l'esprit que le degré de dangerosité
des réacteurs incriminés fait l'objet de divergences
d'appréciation chez les spécialistes, alors que la pression
exercée par l'Union a un coût politique et économique lourd
et que la portée exacte des engagements de fermeture obtenus reste
incertaine.
4) Le traité Euratom est-il encore adapté à la
situation actuelle et aux perspectives de l'énergie nucléaire
dans l'Union européenne ?
Le traité CECA doit arriver à échéance en 2001,
pour se fondre dans le traité CE. Inévitablement, la
question sera également posée pour le traité Euratom. En
théorie, il serait certes plus satisfaisant d'adapter les dispositions
de fond et de forme du traité Euratom à la réalité
de l'énergie nucléaire dans l'Europe d'aujourd'hui. Mais il est
clair que l'absence de consensus à l'intérieur même des
Etats membres et dans les instances européennes ne permet pas de faire
cet
aggiornamento
dans la sérénité.
C'est pourquoi, en pratique,
la délégation estime qu'il ne
serait ni judicieux ni prudent que la France consente à ouvrir la
" boîte de pandore " que serait une révision globale du
traité Euratom
.
Même si le traité Euratom apparaît aujourd'hui comme un
cadre juridique non adapté et largement périmé, il n'a pas
empêché la France de développer de façon autonome un
vaste programme électronucléaire, qui contribue à sa
compétitivité économique et à son
indépendance énergétique.
La délégation n'est pas opposée pour autant à toute
réforme du traité Euratom. Celle-ci paraît possible par
touches ponctuelles, dès lors que les choix nucléaires de la
France ne se trouvent pas
ipso facto
remis en cause. Et il convient de
rappeler que les intérêts nationaux de la France ne vont pas, en
la matière, à l'encontre des intérêts de l'Union
européenne, mais coïncident plutôt avec eux.
Dans le cadre des propositions qu'elle a adoptées en décembre
dernier
(56(
*
)),
la délégation pour
l'Union européenne s'est déjà clairement prononcée,
sur proposition de votre rapporteur, contre toute extension de la
majorité qualifiée au domaine de la politique
énergétique
. Au terme du présent rapport, elle ne peut
que confirmer cette position car, en l'état actuel du débat
européen sur le nucléaire, seul le maintien de la règle
actuelle de l'unanimité des voix au sein du Conseil semble garantir un
strict respect des choix de la France dans ce domaine, en application du
principe de subsidiarité.
EXAMEN EN DÉLÉGATION
La délégation s'est réunie le mardi 2 mai 2000 pour l'examen du présent rapport.
M. Hubert Haenel :
Mon prédécesseur avait confié à notre collègue Aymeri de Montesquiou un travail sur un sujet très intéressant et particulièrement important : l'énergie nucléaire en Europe. Avec la politique européenne des transports, c'est l'un des dossiers " lourds " qui méritent l'attention de notre délégation.
M. Aymeri de Montesquiou :
Effectivement, il s'agit d'un rapport particulièrement
" lourd ". J'ai procédé à de nombreuses
auditions et, à mesure que se multipliaient les points de vue et les
angles d'attaque, mon rapport s'est considérablement
étoffé.
Je voudrais d'abord rappeler les considérations de départ qui ont
motivé le choix de ce sujet.
La première considération est politique. On assiste à une
évolution importante et peu cohérente des Etats membres de
l'Union européenne sur la question nucléaire. Il y a trente ans,
le nucléaire apparaissait comme la seule issue face à la crise
énergétique.
Depuis, des doutes et de fortes oppositions sont apparues, qui ont conduit
certains Etats membres à se retirer du nucléaire. Plus
récemment, avec la préoccupation nouvelle du réchauffement
climatique de la planète, le nucléaire redevient une
réponse pertinente.
Aujourd'hui, au sein de l'Union européenne, les pays recourant à
l'énergie nucléaire sont minoritaires. L'Allemagne a
récemment décidé d'arrêter le nucléaire, de
manière progressive, ce qui a entraîné un débat
entre les industriels et le Gouvernement. La " sortie du
nucléaire " étant étalée sur vingt ans, des
revirements sont toujours possibles. Si l'on prend le cas de la Suède,
qui avait décidé par référendum en 1980
d'abandonner le nucléaire, l'opinion publique suédoise est
aujourd'hui redevenue favorable à cette forme d'énergie. La
Finlande, qui figure parmi les derniers Etats membres entrés dans
l'Union, s'engage résolument dans le développement de sa
filière électronucléaire.
Bref, il n'y a pas de cohérence dans les choix des quinze Etats membres.
Si l'on observe le débat interne à la France, premier pays
européen producteur d'électricité d'origine
nucléaire, personne ne peut être vraiment péremptoire sur
ce sujet.
La seconde considération est d'ordre diplomatique. Les pays d'Europe
centrale et orientale candidats à l'adhésion sont dotés de
centrales nucléaires, dont beaucoup ont une sûreté
déficiente. Faut-il fermer ces centrales ? Dans quelle mesure les
pays concernés peuvent-ils s'en passer ? L'Union européenne
doit-elle leur imposer cet effort supplémentaire ?
La troisième considération est d'ordre économique. Avec
l'ouverture du marché européen de l'électricité,
les différentes sources d'énergie se retrouvent en
compétition. Le nucléaire a-t-il encore une place dans cette
compétition ?
La dernière considération est d'ordre institutionnel. Le
traité Euratom, qui constitue le cadre juridique dans lequel la
filière électronucléaire s'est historiquement
développée en Europe, est-il toujours d'actualité ?
Le nucléaire est un sujet très controversé.
L'objectivité ne règne pas toujours dans ce domaine. Certains
fondamentalistes sont pour cette forme d'énergie, d'autres y sont au
contraire très hostiles. J'ai essayé de naviguer entre ces
opinions diverses, qui reflètent une véritable " guerre de
religion ", en procédant à de nombreuses auditions, tant
à Paris qu'à Bruxelles.
Le constat de départ est que l'Union européenne est une zone
majeure pour le nucléaire, puisqu'elle représente 40 % des
capacités électronucléaires mondiales. Mais les situations
sont très variables selon les pays : le nucléaire fournit
5 % de l'électricité aux Pays-Bas, environ 30 % en
Finlande, en Allemagne, en Espagne et au Royaume-Uni, et plus de 50 % en
Suède, en Belgique et en France. En moyenne, le nucléaire fournit
35,5 % de l'électricité en Europe.
La France représente environ 22 % de la production
européenne d'électricité, mais 47 % de sa part
d'origine nucléaire.
En ce qui concerne l'industrie nucléaire européenne, on constate
une très forte concentration. Depuis que Framatome a racheté les
activités nucléaires de Siemens et BNFL celles d'ABB, on a un
quasi duopole franco-britannique.
Une interrogation pèse sur la rentabilité réelle du
nucléaire, compte tenu des investissements massifs que cette
filière énergétique exige. Néanmoins, le
nucléaire a toujours un coût de production inférieur
à celui des énergies fossiles. Le gaz est aujourd'hui à la
mode en Europe, en tant que source d'énergie facile d'emploi,
relativement peu émettrice de CO
2
et abondante. Mais le gaz
présente des difficultés d'approvisionnement et pose un vrai
problème d'autonomie énergétique. A l'inverse, l'uranium
provient de sources géographiquement variées et peut facilement
être stocké en raison de sa haute teneur énergétique.
En ce qui concerne les énergies renouvelables, celles-ci ne sont pas
exemptes d'inconvénients. Les éoliennes entraînent des
nuisances graves en termes de pollution sonore et d'occupation de l'espace. La
biomasse pose des problèmes de stockage difficilement surmontables, qui
la rend impropre à des usages intensifs en zone urbaine.
L'énergie solaire revient à la mode, notamment avec les nouvelles
technologies d'intégration des cellules photoélectriques dans les
surfaces des bâtiments. Toutefois, compte tenu de l'ampleur des besoins
énergétiques, aucune de ces sources d'énergie ne peut
prétendre remplacer le nucléaire à échéance
prévisible.
L'inconvénient majeur de la filière
électronucléaire est la production de déchets radioactifs,
pour lesquels il n'existe pas encore de solutions vraiment satisfaisantes. Mais
je considère qu'il n'y a pas, en Europe occidentale du moins, de
problème de sûreté des installations. Pour la gestion des
déchets, on peut d'abord diminuer leur volume en les retraitant.
Ensuite, on peut soit les enterrer en couche géologique profonde, soit
les stocker en " sub-surface " de manière réversible
afin de pouvoir les reprendre si les progrès de la recherche sur la
transmutation deviennent tels qu'ils permettent de diminuer leur
radiotoxicité.
Un point qui me paraît psychologiquement important est que chaque Etat
doit disposer de son propre centre d'enfouissement de déchets
nucléaires. Il faut éviter de se retrouver avec un
" mistigri " radioactif que l'on se passerait entre pays
européens. A cet égard, la tentation qu'a eue un moment le
Gouvernement de M. Schroeder de dénoncer l'accord avec la France
pour le retraitement des déchets nucléaires allemands à
La Hague est inquiétante.
Pour ce qui est du futur, une interrogation importante me paraît relative
à l'EPR (
European Pressurized Reactor
). Le " compte à
rebours " des étapes nécessaires est tel qu'il faut une
décision rapide aujourd'hui, si l'on veut renouveler à temps le
parc des centrales nucléaires existantes. On peut certes prolonger la
durée de vie de celles-ci, mais il serait irresponsable de ne pas mettre
en chantier dès aujourd'hui un prototype. Les divergences internes au
Gouvernement de M. Lionel Jospin constituent à cet égard un
frein important.
En ce qui concerne la question du réchauffement climatique,
l'alternative est soit le nucléaire, soit les gaz à effet de
serre. Lors de la conférence de Kyoto en 1997, l'Union européenne
s'est engagée à diminuer de 8 % ses émissions de
CO
2
entre 1990 et 2012. De ce point de vue, le nucléaire
constitue un atout majeur pour la France, qui s'est engagée à
stabiliser ses émissions de CO
2
. Mais la Commission
européenne ne fait jamais allusion au nucléaire dans ses
programmes de lutte contre le réchauffement climatique, et cet avantage
n'est pas mis au crédit de la France. Il me semble que le Gouvernement
devrait être plus ferme sur ce point. Nous nous engageons dans une
compétition internationale très coûteuse pour
réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le projet
communautaire d'écotaxe, qui me paraît équilibré et
loyal, a été refusé sous prétexte qu'il
avantagerait trop les Etats membres dotés de centrales
nucléaires. Le nucléaire a certes des inconvénients, mais
les énergies fossiles également : refuser le
nucléaire, c'est choisir l'effet de serre. Il n'y a pas de solution
entièrement satisfaisante.
Certes, la catastrophe de Tchernobyl a eu un effet désastreux pour
l'image de l'énergie nucléaire en Europe. La version officielle
de l'origine de l'accident est que les responsables de l'équipe de
conduite de la centrale ont perdu le contrôle du réacteur lors
d'une expérimentation volontairement hors des limites de
sûreté. Toutefois, un reportage récent d'une
télévision allemande a défendu la thèse d'un
tremblement de terre à l'origine de l'accident. En Europe occidentale,
les centrales nucléaires sont bâties selon des normes
anti-sismiques sévères, et sont situées dans des zones
à faible risque sismique.
Quoi qu'il en soit, dans toute l'histoire de la filière
électronucléaire, nulle part ailleurs il n'y a eu d'accidents
aussi graves. On pourrait se livrer à des comparaisons de mauvais
goût entre le nombre de mineurs morts dans les mines de charbon ou des
suites de la silicose et le nombre des morts résultant de l'accident de
Tchernobyl. Mais le nucléaire reste symboliquement effrayant à
cause de la bombe d'Hiroshima.
En Europe de l'Est, il existe trois types de réacteurs de conception
soviétique : les réacteurs RBMK et VVER 230, qui n'ont
pas d'enceinte de confinement extérieure, et les autres classes de
réacteurs VVER, qui présentent un niveau de sûreté
satisfaisant. L'effort financier consenti par les pays occidentaux
réunis au sein du G7 pour améliorer la sûreté de ces
réacteurs est considérable : 720 millions de dollars
sont nécessaires pour les travaux d'urgence sur les réacteurs
RBMK et VVER 230, 5,7 milliards de dollars pour la mise à niveau de
tous les réacteurs. Mais il ne s'agit pas là d'engagement de
dépenses de la part des pays occidentaux. En 1998, ceux-ci n'avaient
encore engagé que 1,5 milliard d'euros pour la mise aux normes de
sûreté des réacteurs nucléaires d'Europe de l'Est.
Cela dit, on ne peut pas généraliser la situation dramatique du
réacteur RBMK de Tchernobyl. Certaines centrales d'Europe de l'Est
présentent des niveaux de sûreté comparables à ceux
des centrales occidentales d'âge identique. Il existe au Royaume-Uni des
centrales de la vieille génération refroidies par gaz qui sont
plus dangereuses que les centrales de conception soviétique
récentes.
Je crois qu'il faut faire particulièrement attention aux pays d'Europe
centrale et orientale candidats à l'adhésion. Ceux-ci ont
déjà subi une chute de 30 à 35 % de leur production
industrielle. Il serait bienvenu que l'Union européenne ne se comporte
pas vis-à-vis d'eux comme envers des protectorats. Ils disposent d'un
véritable savoir-faire dans le domaine nucléaire et
d'ingénieurs de très haut niveau, qui constituent une base solide
pour développer une relation de coopération confiante, sur un
pied d'égalité. Si l'Union européenne s'adresse avec
arrogance aux pays d'Europe occidentale et orientale, elle risque de les
braquer.
Des économies d'énergie considérables peuvent être
réalisées en Europe de l'Est. Le gâchis du réseau de
chauffage urbain de la ville de Kiev serait ainsi équivalent à la
production d'électricité du réacteur n° 4, toujours
en fonctionnement, de la centrale de Tchernobyl. Des gains importants sont
à réaliser en améliorant des installations qui datent
d'une autre époque.
Récemment, les autorités de sûreté nucléaire
des pays d'Europe occidentale se sont regroupées au sein d'une
association, pour analyser la sûreté nucléaire en Europe de
l'Est et conseiller l'Union européenne. L'esprit d'échange qui
inspire ce club, où l'information circule de manière ouverte et
transparente, me paraît très important. La catastrophe de
Tchernobyl a eu des conséquences désastreuses dans l'opinion
publique parce que l'on a voulu occulter l'information. Il en est
résulté une " psychose " préjudiciable à
l'ensemble de la filière nucléaire en Europe.
Dans son intervention en faveur de la sûreté nucléaire
à l'Est, la Commission européenne a souffert de la faiblesse de
ses capacités d'expertise. Un montant de 850 millions d'euros a
été engagé entre 1990 et 1997 dans le cadre des programmes
PHARE et TACIS, la Russie et l'Ukraine étant les principaux
bénéficiaires. Or, ces crédits ont été
très mal gérés. L'appréciation de la Cour des
comptes européenne dans le rapport spécial qu'elle a
consacré en 1998 à ce sujet est sévère :
absence de suivi des projets, ressources humaines rares et
hétéroclites, lenteur des procédures de gestion, ignorance
des résultats finaux. On a ainsi gâché beaucoup d'argent,
dans des opérations de " copinage " à travers
lesquelles les bureaux d'études occidentaux ont accaparé les
crédits. Si l'on avait travaillé en confiance et en association
plus étroite avec les pays concernés, les choses se seraient
passées bien mieux. Car il n'y a pas de " fatalisme slave "
à l'égard du risque nucléaire. Il s'agit de gens
informés, qui acceptent de recourir à cette source
d'énergie en connaissance de cause.
Un autre point important est l'attachement des pays d'Europe centrale et
nucléaire à leurs centrales nucléaires. Quiconque a
voyagé dans ces contrées a vu des paysages dévastés
par la pollution générée par les énergies fossiles.
Ces pays, qui étaient totalement dépendants de l'URSS pour leur
approvisionnement en énergie, veulent conserver leur relative
indépendance énergétique actuelle. Nous aurions beaucoup
de mal à les obliger à renoncer complètement à
leurs centrales nucléaires, qui procurent par ailleurs à certains
d'entre eux des ressources en devises grâce aux exportations
d'électricité.
En ce qui concerne le cadre juridique du nucléaire en Europe, je crois
que l'on est arrivé au bout des possibilités du traité
Euratom.
Au départ, il y a eu un enthousiasme partagé pour
l'énergie nucléaire, et tous les Etats membres allaient dans le
même sens. Aujourd'hui, chacun a choisi sa voie et il n'y a pas de
politique commune dans le domaine nucléaire.
La procédure de codécision entre le Conseil et le Parlement
européen, qui a été instaurée par l'Acte unique et
étendue par les traités de Maastricht et d'Amsterdam, n'existe
pas dans le cadre du traité Euratom, qui n'a pas bougé sur ce
point depuis l'origine. Le Parlement européen en conçoit un
dépit bien compréhensible. Alors qu'il comporte
déjà une minorité " verte " très active
dans ses prises de position antinucléaires, sa majorité refuse
d'être mise à l'écart dans ce domaine et manifeste son
mécontentement en usant de ses pouvoirs budgétaires à
l'encontre des programmes communs de recherche nucléaire.
Je crains qu'il n'y ait pas de solution à ce problème
institutionnel, du fait de l'absence d'homogénéité des
positions des Etats membres sur le nucléaire. Il semble difficile pour
la France d'accepter de " remettre les clefs de la maison " au
Parlement européen. Mais en même temps, faute d'une meilleure
intégration au processus de décision communautaire, l'opposition
du Parlement européen au nucléaire risque d'être durable.
Les commissaires européens sont également divisés. Il faut
toutefois noter que Mme Loyola de Palacio, commissaire chargée de
l'énergie, veut clairement resituer la question nucléaire dans la
double perspective de la sécurité d'approvisionnement
énergétique de l'Europe et de la lutte contre l'effet de serre.
Les crédits consacrés à la recherche nucléaire
commune ne représentent plus aujourd'hui que 10 % du montant total du
programme-cadre de recherche et de développement (PCRD).
Cette situation reflète le problème à long terme que
constitue la crise des vocations des jeunes scientifiques européens pour
la recherche nucléaire. L'Europe risque de manquer bientôt de
cerveaux dans ce domaine. On ne peut pourtant pas se permettre d'avoir une
rupture des connaissances et du savoir-faire entre les fondateurs de la
filière nucléaire européenne et les responsables de son
suivi.
Le Centre commun de recherche était spécialisé dans le
nucléaire lors de sa création, même s'il s'est beaucoup
diversifié depuis. Il constitue toujours une référence
scientifique mondiale dans ce domaine, où il coopère avec
l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA). Je n'ai pas d'opinion sur
la pertinence des reproches qui lui sont faits à propos de sa gestion.
Mais sa valeur scientifique est certaine, même ses critiques le
reconnaissent.
Je constate l'obsolescence de l'Agence d'approvisionnement de l'Euratom, qui
dispose en théorie d'un droit d'option sur toutes les matières
fissiles produites ou importées dans l'Union européenne.
L'abondance de l'uranium sur le marché mondial l'a réduite
à un rôle de simple greffier, chargé d'enregistrer les
contrats d'approvisionnement négociés directement par l'industrie
nucléaire européenne.
En revanche, la compétence extérieure de la Communauté
européenne de l'énergie atomique se traduit par une politique
active d'accords de coopération Euratom avec les pays tiers.
Enfin, la politique commune de protection sanitaire contre les radiations est
devenue prioritaire, ce qui me paraît une bonne chose pour le futur du
nucléaire. La Commission européenne revendique une
compétence en matière de sûreté des centrales
nucléaires. Les Etats membres refusent de la suivre, et de lui
déléguer ce qui reste une compétence nationale, et il n'y
a pas aujourd'hui d'harmonisation possible dans ce domaine. Mais un accord
existe pour autoriser la Commission à intervenir dans les domaines du
transport international de matières nucléaires, du
démantèlement des centrales nucléaires et de la gestion
des déchets radioactifs.
Il nous faut aujourd'hui faire un effort d'imagination. La conférence
intergouvernementale en cours traite des institutions européennes, dont
fait partie le traité Euratom. Faut-il conserver inchangé un
traité vieux de quarante ans, et qui est devenu largement
obsolète ? Il faudra trouver un juste équilibre entre le
respect du principe de subsidiarité et les intérêts communs
des Etats membres de l'Union européenne.
A l'issue de la présentation du rapport, le débat suivant
s'est engagé.
M. Hubert Haenel :
Je
rappelle que, lorsqu'elle a examiné la réforme des institutions
européennes actuellement en cours dans le cadre de la Conférence
intergouvernementale, notre délégation a souhaité que la
règle du vote à l'unanimité au sein du Conseil demeure
pour les choix énergétiques.
Votre rapport souligne que l'Union européenne n'a pas de politique en
matière d'énergie, et encore moins en matière de
nucléaire. Je crois qu'il faut conserver le cadre du traité
Euratom, qui est toujours mieux que rien.
M. Aymeri de Montesquiou :
Je précise que, même si les pays d'Europe centrale et orientale candidats à l'adhésion acceptent aujourd'hui les " oukases " de l'Union européenne, une fois entrés dans l'Union, ils redeviendront libres de concrétiser ou non leurs engagements de fermer les réacteurs dangereux, en vertu du traité Euratom qui consacre la liberté de choix des Etats membres.
M. Hubert Haenel :
Le commissaire européen chargé de ces questions, Mme Loyola de Palacio aborde les choses de manière très pragmatique. Le débat sur l'énergie nucléaire en Europe ne fait que commencer. Je crois qu'il est important que la délégation prenne position.
M. Jacques Oudin :
Si
l'Union européenne a réussi dans certains domaines, elle n'a pas
fait ses preuves dans d'autres, où existent des oppositions entre Etats
membres et des approches idéologiques. L'absence de politique
européenne de sécurité maritime a produit la marée
noire de l'Erika. L'absence de politique européenne des transports se
traduit par la saturation de toutes les infrastructures de transport sur le
continent. L'absence de politique européenne nucléaire nous place
devant le choix paradoxal entre effet de serre ou énergie
nucléaire. Je crois important de rappeler aux autorités
françaises, qui doivent prendre position sur cette question, qu'il y a
un tabou du nucléaire en Europe.
Du point de vue environnemental, l'énergie nucléaire est la plus
propre, avec les énergies renouvelables. Mais on ne voit vraiment pas
laquelle de celles-ci pourrait remplacer complètement le
nucléaire. Ce constat est encore plus vrai si l'on élargit
l'analyse au niveau mondial. Vous pouvez imaginer le niveau de pollution de la
Chine, de l'Inde ou du Brésil, lorsque ces pays rattraperont le niveau
de consommation énergétique de l'Union européenne.
Il ne faut pas ignorer non plus la question de l'indépendance
énergétique. L'opposition entre pays développés et
pays sous-développés se retrouve sur le terrain de
l'énergie. L'indépendance énergétique est un
facteur de la compétition internationale. En ce qui concerne les
coûts, le nucléaire est de loin l'énergie la plus
compétitive, en dépit des progrès du gaz et de la
cogénération. Cela dit, que devons-nous faire ?
Tout d'abord, il faut démontrer l'absurdité de certains
raisonnements : les rejets des centrales sont sans comparaison aucune avec
la radioactivité médicale, ou même la radioactivité
naturelle. Bien entendu, il y a l'accident de Tchernobyl et la bombe atomique.
Mais faire de la bombe atomique un argument contre l'énergie
nucléaire, c'est comparer la bombe au napalm et le moteur à
essence. En ce qui concerne les déchets, je crois qu'il y a vraiment
matière pour une politique européenne des déchets
radioactifs.
Enfin, une projection à long terme des besoins et des
développements énergétiques de l'Europe s'impose.
M. Aymeri de Montesquiou :
Il y a
une certaine hypocrisie : des Etats membres opposés au
nucléaire utilisent de l'électricité d'origine
nucléaire. Il faut poser la question de manière abrupte et
franche. On ne peut pas prétendre garder les mains propres et
" pêcher " comme les autres.
En ce qui concerne l'indépendance énergétique, les
réserves de pétrole représentent quarante à
soixante ans de consommation annuelle. Mais la France a une grande avance
technologique pour le nucléaire : il faut la conserver. C'est
pourquoi je crois très important de mettre en chantier un prototype
d'EPR.
M. Simon Sutour :
L'énergie nucléaire est importante dans mon
département, le Gard, où se trouve le site de l'usine Cogema de
Marcoule. Je partage l'essentiel des observations du rapporteur. Il faut une
décision pour l'EPR au niveau gouvernemental.
Le débat national sur le stockage des déchets nucléaires
est toujours en cours. Un site a été choisi dans la Meuse pour le
premier laboratoire souterrain de l'ANDRA, et un site est prospecté pour
un second laboratoire, non sans difficultés comme vous le savez. Dans le
Gard, les élus nationaux étaient unanimement favorables à
l'accueil d'un site de stockage. Les cinq députés et les trois
sénateurs avaient saisi le Premier ministre, sans être finalement
suivis.
Pour illustrer le caractère parfois irrationnel du débat sur le
nucléaire, je voudrais rappeler que la CRII-Rad (Commission de recherche
et d'information indépendante sur la radioactivité), organisme
indépendant animé par des techniciens de sensibilité
écologiste, a réuni une conférence de presse pour annoncer
que, d'après ses mesures, les plages de Camargue sont radioactives. De
nombreuses réservations touristiques ont été
annulées, même si le CRI-Rad s'est finalement excusé, en
reconnaissant qu'il s'agissait d'une radioactivité naturelle provenant
de certaines des roches composant le sable des plages.
Le nucléaire est sans doute l'énergie la plus écologique,
et je regrette que, au niveau de l'Union européenne, les crédits
ne soient pas à la hauteur des enjeux.
M. Hubert Durand-Chastel :
Je
partage entièrement l'opinion exprimée par notre rapporteur. Que
se passerait-il si un nouveau Tchernobyl survenait demain ? Il est
probable que l'opinion publique et l'Union européenne demanderaient
l'arrêt du nucléaire. Pour la France, ce serait une catastrophe.
Or, il y a des Tchernobyl en puissance en Europe de l'Est. Fait-on tout ce
qu'il faut pour conjurer ce risque ?
M. Emmanuel Hamel :
J'ai
simplement deux questions.
Quelle est la répartition des crédits de recherche communautaires
entre les différents Etats membres ?
Quel contrôle l'Union européenne exerce-t-elle sur les
crédits versés aux pays d'Europe de l'Est pour
l'amélioration de la sûreté de leurs centrales
nucléaires ?
M. Lucien Lanier :
Je
remercie le rapporteur d'avoir été très clair, et surtout
nuancé et calme dans ses propos. Cela me paraît d'autant plus
nécessaire que le problème du nucléaire est un
problème de " désinformation ", même s'il s'agit
d'une désinformation bien intentionnée. Il faut s'efforcer de
remonter ce courant dominant auprès de l'opinion publique.
L'Union européenne ne peut pas continuer d'avoir un taux de
dépendance de 80 % pour le pétrole, alors que les cours du
brut explosent. Le pétrole nous met entre les mains de petits pays qui
" jouent au chat et à la souris " avec les pays occidentaux.
Faudra-t-il refaire une guerre du Golfe à chaque fois qu'ils menacent de
fermer le robinet ?
Il est nécessaire de s'expliquer longuement et calmement sur les enjeux
du nucléaire. Lors de notre déplacement à l'usine Cogema
de La Hague, nous avons pu constater que les exploitants nucléaires sont
toujours sur la défensive. Ailleurs, il faut prévenir
d'éventuelles actions commandos de militants anti-nucléaires
contre des navires japonais ou des trains allemands transportant des
matières nucléaires.
Mais ce travail d'explication devrait aller de pair avec une pensée
politique sur le nucléaire. Or, nous n'en avons aucune. La France a
acquis une relative indépendance énergétique grâce
au général de Gaulle, qui avait une vision de l'avenir. Mais son
point de vue n'est pas unanimement partagé en Europe. Je crois essentiel
de sortir d'une attitude défensive sur la question nucléaire.
C'est un choix de bon sens : ce n'est pas avec des bons sentiments que
l'on assurera le développement économique de demain.
M. Marcel Deneux :
Je
partage les analyses de notre rapporteur. Je travaille actuellement à un
rapport sur l'évolution du climat. Comme notre collègue Emmanuel
Hamel, je m'inquiète aussi du contrôle de l'Union
européenne sur l'utilisation des crédits consacrés
à la sûreté nucléaire à l'Est. Vous nous avez
dit que la France s'est engagée à stabiliser ses émissions
de CO
2
à leur niveau de 1990. Mais comme ces émissions
ont déjà augmenté depuis dix ans, cela veut dire qu'il
nous faut aujourd'hui les réduire, notamment en réalisant des
économies d'énergie.
Je souhaiterais que la France fasse plus pour la biomasse. Notre pays a, dans
ce domaine, un potentiel qu'il ne met pas en valeur. Les intérêts
de la pétrochimie sont puissants et nous pourrions sans doute faire
mieux. Mais la biomasse, à elle seule, n'est pas à la mesure des
besoins énergétiques globaux.
M. Aymeri de Montesquiou :
Les
emplois induits par l'industrie nucléaire sont estimés à
400 000 en Europe, dont environ 200 000 pour la France.
Les crédits communautaires consacrés à la recherche
nucléaire s'élèvent à 1,26 milliard d'euros dans le
cinquième programme-cadre de recherche, dont le montant total pour la
période 1998-2002 est de 14,96 milliards d'euros. Pour
l'amélioration de la sûreté des centrales nucléaires
en Europe de l'Est, 1,5 milliard d'euros a été
dépensé entre 1992 et 1997, le montant total des dépenses
de modernisation étant estimé à 5,7 milliards de
dollars.
Je suis d'accord avec notre collègue Marcel Deneux pour
considérer que l'on peut faire des économies d'énergie
importantes et que la biomasse a un grand potentiel, bien que ses applications
concrètes ne puissent être que très ponctuelles. A terme,
la part du nucléaire dans la production d'électricité
française devrait baisser de 80 % à 60 % seulement, les centrales
nucléaires étant utilisées en base, sans pointes de
production.
En ce qui concerne la réalité du danger de la
radioactivité, je rappellerai simplement qu'un trajet en avion à
haute altitude entre Paris et New-York équivaut à une dose de
radiation supérieure à celle résultant d'une année
passée à proximité de La Hague, au niveau de la mer. La
radioactivité naturelle varie de un à trois selon les
régions françaises, et atteint des niveaux très
supérieurs aux effluents des installations nucléaires. Il s'agit
donc surtout d'un problème de communication, l'industrie
nucléaire devant être parfaitement transparente pour être
crédible.
M. Hubert Haenel :
Je pense qu'il faudrait que vous nous fassiez périodiquement des rapports de suivi du dossier nucléaire européen. On pourrait également envisager une question orale avec débat à l'automne, puisqu'il n'y a pas d'urgence particulière dans ce domaine.
M. Aymeri de Montesquiou :
Les
choix nucléaires sont un vrai problème. Sans vouloir faire de
politique politicienne, je rappelle que les Verts ont déclaré
qu'ils quitteraient le Gouvernement si celui-ci décidait de lancer l'EPR.
A l'issue de ce débat, la délégation a
autorisé la publication du présent rapport.
ANNEXE I
PERSONNES
AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR
I.
REPRÉSENTANTS DE L'INDUSTRIE NUCLÉAIRE
A. EN FRANCE
Electricité De France (EDF)
-
M. Bernard Teinturier
, conseiller du président
pour les questions nucléaires.
-
M. Jean-Luc Guièze
, chef du secteur Europe à
la direction des affaires publiques.
-
M. Bertrand Le Thiec
, chargé des relations
avec le Parlement au service des affaires publiques.
-
M. Alain Vicaud,
directeur de la centrale nucléaire de
Nogent-sur-Seine.
-
M. Gilbert Moritz,
chef de la mission
sûreté-qualité de la centrale nucléaire de
Nogent-sur-Seine.
FRAMATOME
-
M. Jean-Daniel Lévi
, directeur de la branche
" énergie ".
-
M. Daniel Chavardes
, représentant auprès
des institutions européennes.
-
Mme Brigitte Guillemette
, directeur de la communication.
COGEMA
-
M. Christian Gobert
, directeur général
adjoint.
-
M. François Scheer
, ambassadeur de France,
conseiller auprès de la direction internationale.
-
Mme Christine Gallot
, directeur des relations institutionnelles
et des affaires publiques.
-
M. Guy Bousquet
, directeur adjoint de l'usine de La Hague.
B. À BRUXELLES
FORATOM (
European Atomic Forum
)
-
Dr. Wolf Schmidt-Küster
, secrétaire
général.
-
M. Jean-Paul Lehmann
, conseiller technique.
II. REPRÉSENTANTS DES ADMINISTRATIONS
A. EN FRANCE
Commissariat à l'Energie Atomique (CEA)
-
M. Philippe Thiebaud
, directeur des relations
internationales.
-
M. Pierre Tréfouret
, chef du service des
affaires publiques.
Direction Générale de l'Energie et des Matières
Premières (DGEMP)
-
M. Philippe Kahn
, chef du service des affaires
nucléaires.
-
M. Toni Cavatorta
, adjoint au chef du service des
affaires nucléaires.
-
M. Jean-Pascal Chatel
, administrateur.
Agence Nationale de gestions des Déchets Radioactifs (ANDRA)
-
M. Yves Kaluzny
, directeur général.
-
M. Francis Chastagner
, directeur du Centre de stockage
de l'Aube.
Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires
(DSIN)
-
M. André-Claude Lacoste
, directeur
général, président de l'Association des autorités
de sûreté d'Europe de l'Ouest (WENRA).
-
M. Michel Asty
, sous-directeur des relations
internationales.
-
M. André Jouve
, chargé de mission
à la direction des relations internationales.
B. À BRUXELLES
Direction générale de la Recherche
-
M. Hans Forsström
, chef de l'Unité
" énergie nucléaire ".
-
M. Michel Hugon
, administrateur.
Centre Commun de Recherche (CCR)
-
M. Herbert Allgeier
, directeur général.
-
M. Pierre Frigola
, chef d'Unité.
Direction générale de l'Environnement
-
Mme Suzanne Frigren
, directeur de la sûreté
nucléaire.
Direction générale de l'Energie et des transports
-
M. Christian Waeterloos
, chef de l'Unité
" énergie nucléaire ".
Direction générale de l'Elargissement
-
M.
Jean Trestour
, chef d'Unité.
Représentation permanente de la France
-
M. Philippe Etienne
, représentant permanent adjoint.
-
Mme Caroline Chevasson
, conseiller pour les questions
nucléaires.
III.
AUTRES
PERSONNALITÉS
A. EN FRANCE
-
M. Henri Revol
, sénateur, président de
l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et
technologiques, président du groupe d'études sénatorial
sur l'énergie.
- M. Philippe Adnot
, sénateur, président du
Conseil général de l'Aube.
-
M. Michel Roche
, conseiller général de
l'Aube.
-
M. Bernard Laponche
, conseiller pour l'énergie
auprès de Mme Dominique Voynet, Ministre de
l'Aménagement du territoire et de l'Environnement.
-
M. Mathias Hautefort
, conseiller pour les questions
nucléaires auprès de M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat à l'Industrie.
B. À BRUXELLES
-
Mme Dolores Carillo
, membre du cabinet de Mme Loyola de
Palacio, Commissaire européen chargée de l'Energie et des
Transports.
-
M. Benoît Le Bret
, membre du cabinet de M.
Michel Barnier, Commissaire européen chargé de la Politique
régionale et des réformes institutionnelles.
ANNEXE II
LISTE DES SIGLES ET UNITÉS DE MESURE
I. SIGLES ET ACRONYMES
ABB : |
Asean Brown Boveri |
AEN : |
Agence pour l'Energie Nucléaire |
AGR : |
Advanced Gaz Reactor |
AIE : |
Agence Internationale de l'Energie |
AIEA : |
Agence Nationale de l'Energie Atomique |
ALTENER : |
Programme communautaire pour la promotion des sources d'énergies renouvelables. |
ANDRA : |
Agence Nationale de gestion des Déchets Radioactifs |
BNFL : |
British National Fuel Limited |
CCR : |
Centre Commun de Recherche |
CECA : |
Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier |
CED : |
Communauté Européenne de Défense |
CEE : |
Communauté Economique Européenne |
CEEA : |
Communauté Européenne de l'Energie Atomique |
CEI : |
Communauté des Etats Indépendants |
CIG : |
Conférence intergouvernementale |
CIPR : |
Commission Internationale de Protection Radiologique |
CJCE : |
Cour de Justice des Communautés Européennes |
CO 2 : |
Gaz carbonique |
COGEMA : |
Compagnie générale des matières nucléaires |
CRII-RAD : |
Commission de Recherche et d'Information Indépendante sur la Radioactivité |
DSIN : |
Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires |
EDF : |
Electricité de France |
EPR : |
European Pressurized Reactor |
FORATOM : |
European Atomic Forum |
FRAMATOME : |
Société française de fabrication de chaudières nucléaires |
HTGR : |
High Temperature Gaz cooled Reactor |
IPSN : |
Institut de Protection et de Sûreté Nucléaires |
ITER : |
International Thermonuclear Experimental Reactor |
KEDO : |
Korean Peninsula Energy Development Organization |
MOX : |
Mixed Oxide Fuel |
OCDE : |
Organisation de Coopération et de Développement Economiques |
OPRI : |
Office de Protection contre les Rayonnements Ionisants |
PCRD : |
Programme-Cadre de Recherche et de Développement |
PHARE : |
Programme communautaire d'aide à la reconstruction économique de la Pologne et de la Hongrie (élargi à tous les pays d'Europe centrale et orientale). |
PINC : |
Programme Indicatif Nucléaire Commun |
RBMK : |
Reaktor Bolchoi Mochnotsti Kanalny (réacteur à eau ordinaire à tubes de force) |
REB : |
Réacteur à Eau Bouillante |
REP : |
Réacteur à Eau sous Pression |
SAVE : |
Programme communautaire pour l'encouragement de l'efficacité énergétique |
TACIS : |
Programme communautaire d'aide aux pays de la CEI |
TNP : |
Traité de Non Prolifération des armes nucléaires |
TPEG : |
Twinning Programme Engineering Group |
US-NRC : |
United State Nuclear Regulatory Commission |
VVER : |
Vodiano Vodianoi Energuiehtitcheski Reaktor (réacteur à eau ordinaire sous pression) |
WANO : |
World Association of Nuclear Operators |
WENRA : |
West European Nuclear Regulators Association |
II. UNITES DE MESURE
BECQUEREL : |
Unité de mesure de l'activité d'une source radioactive, correspondant à la désintégration d'un noyau par seconde. |
GWh : |
Gigawattheure, 1000 KWh. |
KWh : |
Kilowattheure, quantité d'énergie équivalant au travail exécuté pendant une heure par une machine dont la puissance est de 1000 Watt. |
MILLISIEVERT : |
Millième de Sievert. |
Mt : |
Million de tonnes. |
MWh : |
Mégawhattheure, 1 million de KWh |
SIEVERT : |
Unité de mesure du dommage biologique subi par un organisme vivant exposé à un rayonnement, correspondant à une dose d'un Gray. |
TEP : |
Tonne équivalent pétrole. |
TWh : |
Terawhattheure, 1 milliard de KWh. |
ANNEXE III
LISTE DES TABLEAUX ET DES CARTES
- Carte de l'Europe des centrales nucléaires |
p. 11 |
- Bilan énergétique sommaire de l'Union européenne en 1997 |
p. 15 |
- Evolution des taux d'indépendance énergétique des Etats membres |
p. 16 |
- Réserves et ressources d'uranium en 1997 |
p. 17 |
- Tranches nucléaires - capacités installées et prévues au 1 er janvier 1996 |
p. 19 |
- Répartition en 1997 des différentes sources d'électricité dans l'Union européenne |
p. 20 |
- Répartition par pays de la production européenne d'électricité en 1997 |
p. 21 |
- Répartition de la production d'électricité nucléaire |
p. 22 |
- Répartition par région de la consommation énergétique mondiale |
p. 23 |
- Intensités énergétiques dans le monde en 1997 |
p. 23 |
- Besoins d'énergie primaire dans l'Union européenne |
p. 24 |
- Production d'énergie primaire dans l'Union européenne |
p. 25 |
- Taux de dépendance énergétique de l'Union européenne |
p. 26 |
- Part des sources d'énergie renouvelables dans la consommation intérieure brute d'énergie (en %) |
p. 28 |
- Capacités annuelles de conversion de l'uranium dans l'Union |
p. 33 |
- Capacités annuelles d'enrichissement de l'uranium dans l'Union |
p. 33 |
- Capacités annuelles de fabrication de combustible à base d'uranium dans l'Union |
p. 34 |
- Chiffre d'affaires 1998 de la Cogema par activité |
p. 35 |
- Répartition géographique des exportations de la Cogema en 1998 |
p. 36 |
- Taux de disponibilité des centrales nucléaires européennes en 1997 |
p. 39 |
- Coûts comparés de la production d'électricité aux prix de 1991 |
p. 40 |
- Prix hors TVA de l'électricité dans
l'industrie au
|
p. 45 |
- Doses annuelles reçues par habitant selon les sources d'exposition |
p. 54 |
- La " moxification " des réacteurs nucléaires en Europe |
p. 61 |
- Quantité de carbone émise selon la technique de production d'électricité |
p. 79 |
- Engagements du protocole de Kyoto par pays |
p. 81 |
- Echanges physiques d'électricité dans l'Union européenne moins l'Irlande en 1998 |
p. 84 |
- Carte des réacteurs nucléaires en Europe centrale et orientale |
p. 107 |
- Fonds engagés au 31 décembre 1997 par la communauté internationale pour l'amélioration de la sûreté nucléaire en Europe de l'Est |
p. 109 |
- Crédits affectés entre 1990 et 1997 par l'Union européenne à la sûreté nucléaire à l'Est |
p. 115 |
- Fonds engagés au 31 décembre 1997 par l'Union européenne pour l'amélioration de la sûreté nucléaire en Europe de l'Est |
p. 116 |
- Calendrier prévisionnel des fermetures de réacteurs nucléaires dans les pays candidats |
p. 122 |
- Crédits consacrés à la recherche nucléaire 1998-2002 |
p. 137 |
L'ÉNERGIE NUCLÉAIRE EN EUROPE : UNION OU CONFUSION ?
Aymeri de
MONTESQUIOU,
Sénateur
Délégation pour l'Union européenne
L'ENERGIE NUCLEAIRE EN EUROPE :
UNION OU CONFUSION ?
A la
suite du dernier élargissement de l'Union européenne et de la
récente décision de l'Allemagne de renoncer au nucléaire,
les Etats membres ouvertement favorables à l'énergie
nucléaire sont désormais minoritaires parmi les Quinze. La France
elle-même, premier pays européen producteur
d'électricité d'origine nucléaire, n'est pas
épargnée par les doutes à l'égard de cette forme
d'énergie.
Partant de ce constat, la Délégation du Sénat pour l'Union
européenne s'est interrogée sur la situation actuelle et les
perspectives d'avenir de l'énergie nucléaire en Europe. Le sujet
a été abordé dans ses dimensions politiques,
diplomatiques, économiques et juridiques, au travers de nombreuses
questions.
Quel est l'état du débat au sein des différents Etats
membres et dans l'opinion publique européenne ? Les solutions
alternatives au nucléaire sont-elles réalistes face à
l'ampleur des besoins énergétiques de l'Europe ? La
filière électronucléaire est-elle toujours
compétitive dans le nouveau contexte de libéralisation du
marché européen de l'électricité ? L'Union
européenne peut-elle se passer du nucléaire pour satisfaire ses
engagements internationaux de réduction des émissions de
CO
2
? L'intervention de la Communauté pour
améliorer la sûreté des réacteurs nucléaires
à l'Est est-elle efficace ? Quelle est la place de la question
nucléaire dans les négociations d'adhésion avec les
pays d'Europe centrale et orientale ? Le cadre juridique du traité
Euratom est-il toujours adapté ?
(1)
COM (97) du 26/11/1997 : " Energie pour l'avenir : les sources
d'énergie renouvelables - Livre Blanc établissant une
stratégie et un plan d'action communautaires ".
(2) COM (98) du 29 avril 1998 sur l'efficacité énergétique
dans la Communauté européenne : " Vers une
stratégie d'utilisation rationnelle de l'énergie ".
(3) " L'aval du cycle nucléaire - Tome II : les coûts de
production de l'électricité " - février 1999
-(Rapport de l'OPECST - n° 1359 AN / n° 195 Sénat).
(4) Le taux de rendement énergétique d'une installation de
production d'électricité est la part de l'énergie
dégagée sous forme de chaleur qui est effectivement convertie en
électricité, le reste étant dissipé dans
l'atmosphère ou les cours d'eau.
(5) Directive 90/377 du 29 juin 1990 instaurant une procédure
communautaire assurant la transparence des prix au consommateur final
industriel de gaz et d'électricité.
(6) Directive 90/547 du 29 octobre 1990 relative au transit
d'électricité sur les grands réseaux.
(7) Loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la
modernisation du service public de l'électricité
(8) Article 3 de la directive 96/92/CE précitée
(9) Notes et études documentaires - Marie-Hélène
Labbé - " Le nucléaire à la croisée des
chemins " - décembre 1999
(10) Cette version officielle des causes de l'accident est toutefois
contestée. Un reportage d'une chaîne régionale de
télévision allemande, diffusé le 10 avril dernier sur
Arte, défend la thèse d'un tremblement de terre à
l'origine de la destruction du réacteur, en s'appuyant sur des sources
scientifiques russes et ukrainiennes, ainsi que sur les archives du KGB.
(11) Cette estimation officielle est toutefois contestée, en
l'absence de suivi rigoureux des personnes concernées et de lien
évident entre l'exposition aux radiations et les pathologies mortelles
ultérieures. Selon des sources officieuses, citées par le
quotidien " Les Echos " du 25 avril 2000, le nombre des victimes de
Tchernobyl pourrait s'élever déjà à 15.000
" morts anticipées " et à 50.000 invalides.
(12) Selon le bilan rendu public le 4 mai 2000 par l'Institut de Protection et
de Sûreté Nucléaire (IPSN), intitulé
" Tchernobyl, 14 ans après ", l'exposition moyenne de la
population française au nuage radioactif a été comprise
entre 6,5 et 16 millisieverts.
(13) Le
becquerel
est l'unité de mesure de l'activité
de la source radioactive, et correspond à la
désintégration d'un noyau par seconde. Le
gray
est
l'unité de mesure de la dose absorbée par l'organisme qui
reçoit le rayonnement, et correspond au dépôt d'un joule
par kilogramme de matière vivante. Le
sievert
est l'unité
de mesure du dommage biologique subi par l'organisme vivant en question, qui
varie selon la nature du rayonnement, et correspond au dépôt d'un
gray par des particules Beta ou Gamma. Pour les particules Alpha, beaucoup plus
nocives, le dépôt d'un gray entraîne une dose
équivalente de 20 sieverts.
(14) " Le contrôle de la sûreté et de la
sécurité des installations nucléaires " - mars 1999 -
(Rapport OPECST AN n° 1496 / Sénat n° 285).
(15) Directive 96/29 Euratom du 13 mai 1996.
(16) " Communication sur la situation actuelle et les perspectives de
la gestion des déchets radioactifs dans l'Union européenne "
du 11 janvier 1999 - COM (98) 799 final.
(17) Loi n° 90-1381 du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur
la gestion des déchets radioactifs.
(18) " Les conséquences des installations de stockage des
déchets nucléaires sur la santé publique et
l'environnement " - mars 2000 - (Rapport de l'OPECST - n° 2257
AN/n° 272 Sénat).
(19) La transmutation des produits de fission consiste à casser
leur structure atomique pour les transformer en éléments moins
radioactifs et à période plus brève. Cette technique
fonctionne en laboratoire sur des quantités infinitésimales, mais
n'a pas encore franchi le cap du procédé industriel.
(20) " La politique énergétique de la France :
passion ou raison ? " - mai 1998 - Rapport d'information Sénat
n° 439.
(21) " Superphénix et la filière des réacteurs
à neutrons rapides " - juin 1998 - Rapport Assemblée
nationale n° 1018.
(22) Le Monde du 20 août 1999.
(23) Le Monde du 16 décembre 1998.
(24) J.O. Débats Assemblée nationale du 21 janvier 1999,
page 207 et suivantes.
(25) Le Monde du 11 décembre 1998
(26) Le Monde du 1
er
décembre 1998
(27) A l'époque, votre rapporteur avait souhaité
connaître la position du Gouvernement à l'occasion d'une question
d'actualité (JO Débats Sénat - séance du 10
décembre 1998 - page 6267).
(28) L'Express du 25 mars 1999
(29) " Public opinion on radioactive waste management in the European
Union " - Site internet de la Direction générale de
l'Environnement.
(30) " Maîtriser les émissions de gaz à effet de
serre : quels instruments économiques ? " - mai 1999 -
(Rapport d'information Sénat n° 346).
(31) Décision 93/389 du 24 juin 1993, relative à un
mécanisme de surveillance des émissions de CO
2
dans
la Communauté
(32) " Livre vert sur l'établissement dans l'Union
européenne d'un système d'échange de droits
d'émission des gaz à effet de serre " - mars 2000
(33) " La dimension énergétique du changement
climatique " - COM (97) 196 final du 14 mai 1997
(34) Dans la terminologie propre au nucléaire, le
" contrôle de sécurité ", relatif à
l'utilisation pacifique des matières fissiles, ne doit pas être
confondu avec le " contrôle de sûreté ", relatif
à la fiabilité des installations industrielles.
(35) Rapport de M. Guy Cabanel sur le projet de loi autorisant
l'adhésion de la France au Traité de non prolifération des
armes nucléaires - (n°295 seconde session ordinaire 1991-1992).
(36) Rapport de M. Paul Caron sur le projet de loi autorisant
l'approbation d'une convention sur la sûreté nucléaire -
(n°335 session ordinaire 1994-1995).
Rapport de M. Robert Del Picchia sur le projet de loi autorisant l'approbation
de la convention commune sur la sûreté de la gestion du
combustible usé et sur la sûreté de la gestion des
déchets radioactif - (n°170, session ordinaire 1998-1999).
(37) Document figurant en annexe du rapport d'information de M. Bernard
Schreiner sur l'activité de l'Assemblée de l'UEO au cours de sa
44
ème
session ordinaire - juin 1999 - (Assemblée
Nationale n°1678 Onzième législature).
(38) Résolution du Conseil du 22 juillet 1975 relative aux
problèmes technologiques de sûreté nucléaire (JO
C185 du 14 août 1975)
(39) Résolution du Conseil du 18 juin 1992 relative aux
problèmes technologiques de sûreté nucléaire (JO
C172 du 8 juillet 1992)
(40) EDF pour la France, Tractebel pour la Belgique, Magnox pour le
Royaume-Uni, DTN pour l'Espagne, VGB pour l'Allemagne, ENEL pour l'Italie, GKN
pour les Pays-Bas et IVO/ITO pour la Finlande.
(41) Il s'agit des autorités de sûreté des neuf Etats
membres de l'Union européenne disposant d'installations
nucléaires : Allemagne, Belgique, Espagne, Finlande, France,
Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède.
(42) Rapport spécial n°25/98 relatif aux opérations
engagées par l'Union européenne dans le domaine de la
sûreté nucléaire en Europe centrale et orientale et dans
les nouveaux Etats indépendants (période 1990-1997).
(43) Rapport OPECST - mars 1999 - " Le contrôle de la
sûreté et de la sécurité des installations
nucléaires " - (AN n° 1496 / Sénat n° 285)
(44) Pour une présentation détaillée du projet du Pr.
Carlo Rubbia, voir le rapport de M. Claude Birraux :
" Contrôle de la sûreté et de la sécurité
des installations nucléaires " - avril 1997 (Rapport de l'OPECST
n° 3 491 AN / n° 300 Sénat).
(45) PE - Direction des études - février 1999 - " Le
rapport coût / efficacité du Centre commun de recherche de l'Union
européenne " - (BUDG 101 EN rév).
(46) JOCE du 11 mai 1960 - Règlement de l'Agence
d'approvisionnement déterminant les modalités relatives à
la confrontation des offres et des demandes de minerais, matières brutes
et matières fissiles spéciales.
(47) CJCE - 14 décembre 1971 - Commission c/ France
(48) JOCE n°L 51/1 du 22 février 1978 - Accord entre la
Belgique, le Danemark, la RFA, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg, les
Pays-Bas, la CEEA et l'AIEA en application du Traité de
non-prolifération des armes nucléaires
(49) Arrêt de la CJCE du 31 mars 1971 - AETR
(50) Directive n° 96/29 du 13 mai 1996 modifiant la directive
84/467/Euratom en ce qui concerne les normes de base relatives à la
protection sanitaire de la population et des travailleurs contre les dangers
résultant des rayonnements ionisants.
(51) Règlement n° 3954/87 du 22 décembre 1987 fixant
les taux maxima de contamination radioactive pour les denrées
alimentaires et les aliments pour bétail après un accident
nucléaire ou dans toute autre situation d'urgence radiologique.
(52) Décision du 14 décembre 1987 concernant les
modalités communautaires en vue de l'échange rapide
d'informations dans le cas d'une situation d'urgence radiologique.
Directive du 27 novembre 1989 concernant l'information de la population sur
les mesures de protection sanitaire applicables et sur le comportement à
adopter en cas d'urgence radiologique.
(53) CJCE - Arrêt 187 / 87 du 22 septembre 1988 - Land de la Sarre
c/ Ministre de l'industrie.
(54) Directive 92 / 3 du 3 février 1992 relative à la
surveillance et au contrôle des transferts de déchets radioactifs
entre Etats membres ainsi qu'à l'entrée et à la sortie de
la Communauté.
(55) " Une stratégie communautaire pour la gestion des
déchets radioactifs " COM(94) 66 final du 2 mars 1994 ;
" Communication sur les perspectives de la gestion des déchets
radioactifs dans l'Union européenne " COM(98) 799 final du 11
janvier 1999.
(56) MM. Hubert Haenel, Robert Badinter, Pierre Fauchon, Lucien Lanier, Aymeri
de Montesquiou Xavier de Villepin : " Quelle réforme des
institutions européennes pour l'an 2000 ? " - décembre
1999 - (rapport n°148, session ordinaire de 1999-2000).