B. PERFECTIONNER L'ENVIRONNEMENT PRUDENTIEL
Un
préalable s'impose.
Un monde financier plus stable réclame de
la part des agents nationaux - acteurs ou contrôleurs - une meilleure
appréciation, un meilleur contrôle et une meilleure gestion des
risques.
La décentralisation des responsabilités est conforme
à la réalité du monde financier. Il serait impossible
à une entité mondiale centralisée de jouer seule ce
rôle. Toutefois, cette décentralisation appelle des règles
et des contrôles. Les enceintes internationales retrouvent alors toute
leur importance.
La communauté financière internationale a entrepris des efforts
importants pour définir des normes prudentielles plus cohérentes
et déterminer les conditions nécessaires à un
contrôle des risques plus satisfaisant. Ces efforts doivent être
prolongés.
1. Améliorer les règles prudentielles
En
matière de règles prudentielles, la régulation
financière nécessite d'abord un processus continu d'adaptation.
Cela suppose d'abord que des moyens suffisants soient confiés aux
organismes internationaux chargés d'élaborer la
réglementation. Cela suppose aussi de reconnaître les
interdépendances entre les différents métiers financiers
- crédit, titre, assurances - et d'assurer les liaisons
nécessaires entre les superviseurs pour que leur approche devienne
véritablement pluridisciplinaire.
L'approfondissement des règles apparaît également
nécessaire. Le
corpus
théorique élaboré par
la communauté internationale a sans doute, par sa
généralité, le mérite d'une certaine
exhaustivité. Sa substance peut en outre s'enrichir des manuels de
méthodologie qui l'éclairent. Il n'en reste pas moins que ces
dispositifs mériteraient d'être plus normatifs et plus
concrètement précis. Il ne suffit pas de se référer
à des concepts comme la " suffisance des dispositifs
d'évaluation " ou " l'adéquation des principes
d'organisation ". Il est souhaitable de donner du corps à ces
référents en énonçant clairement ce qui est
suffisant ou adéquat.
En bref, une meilleure explicitation des critères et des normes
s'impose.
A ces recommandations de méthode, il faut en ajouter d'autres qui
concernent le fond des problèmes.
Il faut d'abord recommander aux organismes intervenant dans
l'élaboration des règles prudentielles au niveau international
(BRI, Union européenne, etc.) de s'interroger sur le sens de leur
démarche.
Jusqu'à présent, elle a consisté
à édicter des règles minimales de protection laissant
libres les autorités nationales d'appliquer des méthodes plus
strictes. Il apparaît d'abord que cette démarche n'aboutit pas
à l'édiction de règles prudentielles toujours
adaptées aux situations de crise. C'est peut-être souhaitable pour
ne pas brider l'activité bancaire. Mais cette approche devrait
probablement être complétée par des dispositifs
prévoyant un durcissement graduel des normes prudentielles à
partir du suivi d'indicateurs de risques. Il apparaît également
nécessaire que les régulateurs internationaux précisent
les situations de risques appelant concrètement un resserrement des
pratiques prudentielles.
Des règles de fond méritent en outre d'être
modifiées.
Sur ce sujet, le groupe de travail veut d'abord affirmer qu'en dépit
de la très grande technicité des questions ici abordées et
malgré leur appartenance, d'ailleurs parfois discutable, au domaine
réglementaire, au sens du droit constitutionnel français, il
convient de cesser de confisquer les débats qu'elles soulèvent au
profit de quelques experts gouvernementaux et des banques centrales. Ces sujets
sont en effet essentiels au regard de la construction de l'économie
internationale de demain, construction qui recèle des enjeux politiques
évidents. Ils doivent donc être débattus et le Parlement
national est par nature l'enceinte de ces débats. Le gouvernement
français qui, dans le cadre de la constitution d'un droit
européen bancaire et financier, est conduit à s'ouvrir
auprès de nos partenaires européens de ses positions sur les
thèmes prudentiels ici évoqués, devrait à tout le
moins rendre compte régulièrement au Parlement des positions
adoptées par lui dans ces matières.
Parmi les sujets de réforme il faut d'abord évoquer les
règles de l'Accord ce Bâle de 1988, en matière de
couverture des engagements par les fonds propres, qui doivent être
amendées
.
La démarche générale suivie par le Comité de
Bâle à l'occasion de la réforme de cet accord qui est en
cours doit être approuvée. Les trois piliers identifiés
comme de nature à améliorer la sécurité des
opérations bancaires, une exigence minimale de couverture en fonds
propres, l'importance d'un examen systématique de la pertinence de cette
couverture et une meilleure mise en oeuvre de la discipline de marché
correspondent à une logique d'action satisfaisante.
Il faut en particulier promouvoir :
une diversification plus grande des exigences de couverture en fonction
des risques ;
une approche consolidée de la couverture ;
un contrôle effectif des règles par les superviseurs
extérieurs et la possibilité pour eux d'imposer des couvertures
supplémentaires ;
une information complète et régulière sur la
consistance de leur capital et de leurs risques par les banques.
Toutefois, plusieurs des approches retenues par le Comité appellent
des observations et des réflexions supplémentaires.
Il s'agit d'abord du parti pris de repousser l'élargissement de la
couverture en fonds propres aux conglomérats financiers
en
réaffirmant que le ratio n'a vocation à s'appliquer qu'aux
risques bancaires. Cette approche apparaît trop restrictive et doit
être rapidement complétée par la prise en compte des
risques propres aux conglomérats financiers.
Il s'agit ensuite de la timidité de l'approche retenue à
l'égard des risques de grande ampleur
, c'est-à-dire des
opérations dont l'histoire financière montre la très
grande volatilité ou qui concernent des opérateurs, tels certains
hedge funds
, usant de pratiques financières techniquement
risquées (l'effet de levier) ou insuffisamment contrôlables. Le
même raisonnement doit à notre sens s'appliquer aux financements
destinés aux territoires
offshore
, selon la classification de ces
derniers en termes de régulation financière et d'ouverture aux
contrôles internationaux.
Il faut affecter aux engagements des banques à l'égard de tels
risques des exigences de couverture proportionnées sans toutefois
s'imaginer qu'une telle mesure puisse prévenir l'ensemble des prises
excessives de risques.
Cependant, couplée avec la proposition (v.
infra
) d'un traitement
rigoureux des sinistres déclarés, une telle mesure contribuerait
activement à un fonctionnement plus sûr des marchés.
Sur ce point, il est évidemment souhaitable qu'un arbitre international
soit explicitement chargé d'identifier les entités
présentant des risques exceptionnels.
La
Banque des règlements internationaux
devrait se voir charger
de cette mission et énumérer précisément les
organismes à hauts risques.
Il convient par ailleurs d'approfondir les réflexions sur
l'autorisation donnée aux banques de recourir à des
méthodes dérogatoires à la norme commune pour calculer
leurs provisions en fonds propres.
De quoi s'agit-il ?
Le Comité de Bâle envisage dans le cadre de la réforme du
ratio Cooke de donner aux banques la possibilité de recourir davantage
à leurs notations internes et à leurs propres modèles
d'évaluation des risques.
Ainsi, le Comité propose que les banques "
les plus
sophistiquées
" puissent substituer leurs propres estimations
du risque-crédit à celles réalisées par lui. Il
envisage en outre de permettre à ces mêmes banques de
déterminer leurs besoins de couverture en capital du
risque-crédit sur la base de leurs propres modèles
d'évaluation des risques.
Il est possible de justifier de telles dérogations, sur le plan
théorique. Mais, en pratique, elles paraissent dangereuses.
Etant observé qu'elles s'appliqueraient aux acteurs de marché les
plus importants et par là-même les plus susceptibles d'influencer
le cours des événements, il convient de rappeler la
responsabilité des défaillances des contrôles internes dans
les crises et l'insuffisante robustesse des modèles de risques en usage
dans les banques. Ceux-ci sont en effet construits sur des données
historiques moyennes dont la capacité à retracer des situations
inédites est clairement en cause de même que celle d'anticiper les
situations de crise.
Une autre considération concrète doit être
évoquée. Les dérogations envisagées seraient
accordées avec pour contrepartie un contrôle des performances des
évaluations internes aux banques. Il est à craindre que de tels
contrôles n'absorbent des moyens excessifs et divertissent les
superviseurs externes de la nécessaire attention qu'appellent les
contrôles effectifs des risques.
C'est donc avec une grande circonspection qu'il faut accueillir une
proposition qui, en théorie, va dans le bon sens mais qui apparaît
prématurée en pratique.
Il convient enfin de s'interroger sur l'opportunité de recourir aux
évaluations des agences de notation pour fixer le niveau du
provisionnement en capital de certains risques de crédit.
Le Comité de Bâle, dans sa volonté justifiée de
moduler les exigences de couverture en fonds propres des risques de
crédits souverains, interbancaires et de ceux destinés aux
entreprises propose d'établir cette modulation sur les notes des agences
de notation.
Le tableau ci-après rappelle les notes usuellement
décernées par les grandes agences internationales.
Standards usuels de notation par agence
Agences |
Très bonnes notes |
Très basses notes |
Fitch IBCA |
AA - et au-delà |
En dessous de B |
Moody's |
AA3 et au-delà |
En dessous de B 3 |
Standard & Poor's |
AA - et au-delà |
En dessous de B - |
Agences d'assurance-export |
1 |
7 |
Le tableau suivant indique les modulations de l'exigence d'une couverture en fonds propres de 8 % envisagées dans les travaux du Comité à partir de l'exemple des notes données par " Standard and Poor's ".
Propositions de diversification des pondérations
en fonction des notes des agences de notation
Engagements |
De AAA à AA- |
A + à A - |
BBB + à BBB - |
BB + à B - |
Sous B - |
Sans notation |
Souverains |
0 % |
20 % |
50 % |
100 % |
150 % |
100 % |
|
|
|
|
|
|
|
Entreprises |
20 % |
100 % |
100 % |
100 % |
150 % |
100 % |
(1)
Pondération fondée sur la pondération des risques
souverains du pays d'origine de la banque.
(2) Pondération fondée sur la notation de la banque.
(3) Les engagements de court terme (moins de 6 mois) seraient
pondérés plus favorablement.
La lecture du tableau est la suivante : les risques des crédits
souverains des pays les mieux notés (de AAA à AA-) n'auraient pas
à être provisionnés tandis que ceux des pays les moins bien
notés (sous B -) devraient être provisionnés à
hauteur de 12 % (150 % de 8 %).
La mise en oeuvre rapide de cette perspective n'apparaît pas
envisageable. Elle suppose en effet résolu un grand nombre de
préalables qui ne l'est pas.
Il faut d'abord mettre en exergue l'éventualité de contradictions
entre les évaluations internes des établissements bancaires et
les notations extérieures. La coexistence harmonieuse entre les deux
procédures dérogatoires aux standards communs envisagées
par le Comité n'est donc pas acquise.
Il est d'ailleurs possible que les notations externes soient elles aussi
contradictoires entre elles ce qui poserait le problème délicat
d'un arbitrage entre les agences de notation.
Cette éventualité a d'autant plus de chances de se rencontrer que
l'accréditation des évaluateurs concernera un plus grand nombre
d'entre eux. Or, la perspective d'une multiplication des sources externes
d'évaluation n'est pas une vue de l'esprit d'autant que le
mécanisme imaginé à Bâle délègue aux
superviseurs nationaux la prérogative d'accréditer les agences de
notation. En l'état, les agences reconnues au plan international sont en
nombre très restreint et bien souvent anglo-saxonnes. Il n'est
évidemment pas admissible pour les autres pays d'être contraints
à se référer à des évaluations qui,
même effectuées par des organismes indépendants, peuvent
être influencées par des habitudes de pensée directement
issues de la culture américaine, et même dépendantes des
intérêts dominants.
Il est compréhensible - cela est
d'ailleurs très souhaitable pour l'Europe - que ces pays s'attachent
à promouvoir des institutions de notation indépendantes.
Leur
avènement offrira autant d'occasions de contradictions qu'il faudra
résoudre. Mais
il s'impose comme un préalable à la mise
en oeuvre de la proposition du Comité de Bâle.
Ce n'est en
effet qu'à cette condition que celle-ci présentera une
réelle acceptabilité.
En effet, en l'état du développement des métiers de la
notation, la référence proposée par le Comité de
Bâle risque de se traduire par certaines distorsions. Le nombre des
agents économiques accédant à la notation est en effet
très limité, le coût des notations externes n'apparaissant
souvent pas contrebalancé par ses avantages dans un monde financier
où l'usage des notations externes ne s'est réellement
imposé que pour les très grands émetteurs.
Si la quasi-totalité des Etats fait l'objet de telles
évaluations, il n'en va pas de même des agents privés.
L'exemple des entreprises est parlant : seules 600 d'entre elles sont
notées en Europe. L'application du système dérogatoire
évoqué par le Comité pourrait ainsi engendrer au sein
même de l'Europe des restrictions ou des renchérissements de
crédit peu justifiés au détriment des entreprises sans
notation externe. Il y a plus grave pour l'Europe. Comme le taux de
pénétration des agences de notation est beaucoup plus
élevé aux Etats-Unis qu'en Europe, les distorsions de concurrence
entre entreprises de part et d'autre de l'Atlantique résultant de
l'application rapide de la référence à la notation externe
dans le calcul des couvertures en fonds propres pénaliseraient les
entreprises européennes.
Cela ne signifie pas que la proposition articulée par le Comité
de Bâle de recourir davantage aux évaluations externes doive
être rejetée purement et simplement. Il s'agit certainement d'un
progrès. Cependant, il convient d'en réunir les
préalables.
Il s'agit de promouvoir le développement de la
notation en Europe et la mise en place d'une procédure
systématique de contrôle international des performances des
agences de notation. La clef de voûte de ce système serait
située au sein du FMI.
De nombreuses autres règles prudentielles devraient être
améliorées que le cadre du présent rapport ne permet pas
d'aborder dans le détail.
Une attention toute particulière doit être portée
aux
règles comptables
dont
l'hétérogénéité et l'insuffisante rigueur
sont responsables de dysfonctionnements potentiellement très
déstabilisateurs.
Les bonnes pratiques de
gouvernance
doivent être rigoureusement
définies.
Il convient en outre de mettre en place des normes adaptées dans
l'hypothèse
de faillites
d'agents économiques,
règles qui doivent en particulier reposer sur un traitement
égalitaire des créanciers en situation analogue connaissant une
situation analogue.
Le chantier de la réglementation prudentielle est vaste
.
L'ensemble des corps de métier nécessaires à son bon
achèvement doit y travailler. Ce peut être la BRI en
matière de réglementation bancaire, ce peut être le FMI
pour certains aspects structurels de la réglementation prudentielle, etc.
L'important en la matière est, qu'une fois identifiée la bonne
enceinte de réglementation, les travaux qui s'y déroulent soient,
selon les modalités pratiques souples, largement ouverts à
l'ensemble de la communauté internationale.
Il faut en outre inventer une instance internationale d'arbitrage capable
d'évaluer les réglementations prudentielles nationales à
partir des normes élaborées par la communauté
internationale. Ici également, l'arbitre ultime devrait être
situé au sein du FMI.