Régulation financière et monétaire internationale
MARINI (Philippe), Rapporteur général
RAPPORT D'INFORMATION 284 (1999-2000) - COMMISSION DES FINANCES
Rapport au format Acrobat ( 954 Ko )Table des matières
- AVANT-PROPOS
- INTRODUCTION
-
CHAPITRE I :
POURQUOI FAUT-IL RÉGULER LES FLUX MONÉTAIRES ET FINANCIERS INTERNATIONAUX ?-
I. LES EFFETS CONTRASTÉS DE LA MONDIALISATION
FINANCIÈRE
- A. LE DÉVELOPPEMENT DES ACTIVITÉS FINANCIÈRES ET MONÉTAIRES INTERNATIONALES
- B. LES EFFETS POSITIFS INCONTESTABLES DU DÉVELOPPEMENT DES ACTIVITÉS MONÉTAIRES ET FINANCIÈRES INTERNATIONALES
- C. L'EXTENSION DES CIRCUITS FINANCIERS CRIMINELS
-
D. L'AMPLEUR MONDIALE DES CRISES FINANCIÈRES ET
ÉCONOMIQUES
-
1. La crise dans les pays émergents
- a) La crise mexicaine de 1994 et les risques du financement des déficits par des capitaux volatils
- b) Les causes cachées de la crise asiatique ou l'émergence des fragilités des pays modèles
- c) La diffusion de la crise en Asie.
- d) La contagion de la crise : un effet de panique plutôt qu'un effet de domino.
- 2. Les effets de la crise sur les pays en voie de développement
- 3. Des effets asymétriques entre les pays développés
-
1. La crise dans les pays émergents
- II. LA NÉCESSITÉ D'UNE NOUVELLE RÉGULATION
-
I. LES EFFETS CONTRASTÉS DE LA MONDIALISATION
FINANCIÈRE
-
CHAPITRE II :
LES LIMITES DES DISPOSITIFS ACTUELS :
POURQUOI AMÉLIORER LES MODES DE RÉGULATION ?-
I. LE RÔLE LIMITÉ ET AMBIGU DES
ORGANISATIONS INTERNATIONALES MULTILATÉRALES
-
A. LE FMI : UNE ACTION CONTRAINTE ET
CONTESTÉE
- 1. Un rôle limité à la résorption des déséquilibres de la balance des paiements
- 2. L'action du FMI est contrainte par une obligation de prudence...
- 3. ...et par la mise en oeuvre des politiques d'ajustement par les gouvernements nationaux
- 4. Le coût social des mesures d'ajustement prônées par le FMI constitue un dilemme majeur pour cette institution
- B. LA BANQUE MONDIALE : UNE COORDINATION INSUFFISANTE AVEC LES AUTRES INSTITUTIONS
- C. LES LIMITES RENCONTRÉES PAR L'INTERVENTION DES AUTRES INSTITUTIONS INTERNATIONALES
-
A. LE FMI : UNE ACTION CONTRAINTE ET
CONTESTÉE
- II. LES LIMITES DE LA SUPERVISION FINANCIÈRE ET BANCAIRE
-
I. LE RÔLE LIMITÉ ET AMBIGU DES
ORGANISATIONS INTERNATIONALES MULTILATÉRALES
-
CHAPITRE III :
LES PROPOSITIONS POUR AMÉLIORER LA RÉGULATION MONÉTAIRE ET FINANCIÈRE INTERNATIONALE- I. LES PROPOSITIONS EXTÉRIEURES
-
II. LES PROPOSITIONS DU GROUPE DE TRAVAIL
- A. RÉORGANISER LES COMPÉTENCES AU SEIN DU SYSTÈME INTERNATIONAL
- B. PERFECTIONNER L'ENVIRONNEMENT PRUDENTIEL
- C. AMÉLIORER L'ORGANISATION ET LE FONCTIONNEMENT DU CONTRÔLE EXTERNE
- D. LUTTER CONTRE LA CRIMINALITÉ FINANCIÈRE
- E. RÉDUIRE L'IRRESPONSABILITÉ DES ACTEURS
- CONCLUSION
-
RÉSUMÉ DES PROPOSITIONS
- A. RÉORGANISER LES COMPÉTENCES AU SEIN DU SYSTÈME INTERNATIONAL
- B. L'AMÉLIORATION DE L'ENVIRONNEMENT DU CONTRÔLE PRUDENTIEL EST NÉCESSAIRE
- C. AMELIORER L'ORGANISATION DU CONTRÔLE EXTERNE
- D. LA LUTTE CONTRE LA CRIMINALITÉ FINANCIÈRE
- E. RÉDUIRE L'IRRESPONSABILITÉ DES ACTEURS : LA QUESTION DU PRÊTEUR EN DERNIER RESSORT
-
CLASSIFICATION DES PROPOSITIONS
PAR NIVEAU DE DÉCISION - EXAMEN EN COMMISSION
-
CONTRIBUTIONS
DE CERTAINS MEMBRES DE LA COMMISSION - ANNEXES
N°
284
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès-verbal de la séance du 22 mars 2000
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur la régulation financière et monétaire internationale ,
Par M.
Philippe MARINI,
Sénateur,
Rapporteur général.
(1) Cette commission est composée de : MM. Alain Lambert, président ; Jacques Oudin, Claude Belot, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet, vice-présidents ; Jacques-Richard Delong, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Philippe Marini, rapporteur général ; Philippe Adnot, Denis Badré, René Ballayer, Jacques Baudot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Pelletier, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Henri Torre, René Trégouët.
Marchés financiers. |
POUR
UN NOUVEL ORDRE FINANCIER MONDIAL :
RESPONSABILITÉ,
ÉTHIQUE, EFFICACITÉ
Philippe MARINI
Sénateur
Rapporteur général
Commission des Finances
Groupe de travail sur la régulation financière et
monétaire internationale
AVANT-PROPOS
La
commission des finances a décidé de créer un groupe de
travail sur la régulation financière et monétaire
internationale au début de l'année 1999. Il a été
installé par Alain Lambert, Président de la commission, le
16 février 1999. Il était ainsi composé :
Philippe Marini, Président,
Jacques Pelletier, Vice-Président,
Paul Loridant, Vice-Président,
Philippe Adnot,
Denis Badré,
Maurice Blin,
Michel Charasse,
Jacques Chaumont,
Roland du Luart,
Marc Massion,
Henri Torre,
La création de ce groupe de travail répondait à trois
préoccupations :
- les crises de paiement des années 1997 et 1998 survenues dans les
pays dits " émergents ", en Asie du sud-est, en Russie et en
Amérique Latine. Les crises étaient préoccupantes pour les
pays concernés, et aussi par leurs répercussions sur les pays
industriels.
Surtout, elle témoignait de l'extrême précarité de
la prospérité économique, et de l'incapacité des
grands Etats industriels à prémunir la planète contre de
tels bouleversements. Ces crises ont naturellement suscité la question
d'éventuelles réformes de l'architecture financière
internationale, tant dans les institutions qui la composent (le fonds
monétaire international, la banque mondiale, la banque des
règlements internationaux, les banques régionales de
développement, les groupes informels de pays, les " G 7,
G 10, G 22... ") que dans leurs moyens d'action.
- les défaillances de certains intervenants sur les marchés
financiers, en particulier la faillite du fonds " long term credit
management " (LTCM). Ces défaillances posent la question des
risques économiques engendrés par les marchés financiers,
en particulier ceux de produits dérivés, et conduisent à
l'intéresser à la prévention des risques
systémiques. A cette question est liée toute la
problématique de la surveillance des marchés de capitaux et de
crédit. Elle rejoint celle des circuits d'argent criminel, de nombreux
fonds d'investissement étant établis dans des paradis bancaires
et fiscaux qui attirent les transactions les plus contestables.
- l'apparition de l'euro en 1999. Quel peut être son rôle dans la
stabilité économique et financière mondiale ?
L'exemple de la zone euro peut il être exploité par d'autres
régions, ou par le monde ? Que peuvent faire les zones
monétaires ? Comment doit on traiter les relations entre grandes
monnaies ?
Le groupe de travail a procédé à 13 auditions à
Paris, et a effectué 6 déplacements à l'étranger,
de mai à novembre 1999 : aux États-Unis (Washington et New
York), en Suisse (Bâle), en Allemagne (Francfort), en Côte d'Ivoire
(Abidjan), au Japon (Tokyo), et en Belgique (Bruxelles). Il s'agissait de
rencontrer les responsables des institutions financières
multinationales, mondiales, régionales ou européennes, et
également des économistes et des responsables du secteur
privé intéressés par la question de la stabilité
financière internationale.
Le présent rapport est le fruit de ces investigations.
INTRODUCTION
Par son
intitulé même, le groupe de travail de la commission des finances
a pris le parti de la régulation financière et monétaire
internationale. La régulation peut se définir comme la
présence, au sein d'un système comme le système financier
mondial, de mécanismes de stabilisation qui assurent son bon
fonctionnement. Par exemple, lorsque les taux de change des grandes monnaies
ont tendance à diverger de façon excessive, les banques centrales
interviennent, notamment par les taux d'intérêt, pour stabiliser
les taux de change. Cette action est dite " régulatrice ", par
opposition à une action de contrainte, comme l'interdiction de la
conversion des monnaies, ou l'inaction totale, laissant faire le marché.
Le but de la régulation est d'assurer le développement
harmonieux de ce dernier. Ceci suppose l'existence de règles du jeu
admises dans l'intérêt commun et celles d'institutions capables de
les faire respecter. Le présent rapport va s'attacher à justifier
cette prise de position initiale, que les auditions et missions ont
confortée au long de l'année 1999, en répondant à
trois questions.
Tout d'abord, pourquoi faut-il une régulation financière
internationale ? La réponse est en apparence simple : la
mondialisation économique et financière, source de progrès
économique, s'accompagne de dysfonctionnements majeurs dont les effets
sont dévastateurs, notamment dans les pays émergents et pauvres.
Mais cette réponse ne suffit pas car il faut également savoir
pourquoi, parmi les solutions possibles, il est nécessaire de recourir
à la régulation plutôt qu'à d'autres solutions,
comme le laisser-faire intégral ou la mise en oeuvre de contraintes
globalement imposées à tous les acteurs.
En second lieu, quels sont les systèmes actuels de prévention des
crises et de stabilisation du système financier mondial ? Il s'agit
d'analyser le fonctionnement des dispositifs actuels et de mettre en
évidence leurs lacunes s'il y a lieu.
Enfin, et à l'issue de cette analyse, quelles propositions le groupe de
travail peut il faire pour améliorer la régulation
financière ? Certaines pistes peuvent être explorées,
même si le groupe de travail souhaite rester humble compte tenu de
l'ampleur de la tâche et de l'insuffisance manifeste de l'échelon
national pour apporter des solutions. Car, même si des formules
parfaitement efficaces pouvaient être avancées, ce qui n'est
déjà pas sûr, la principale difficulté réside
dans leur mise en oeuvre : il est en effet nécessaire que les
principaux décideurs mondiaux se mettent d'accord et surtout qu'ils ne
cèdent pas, ce faisant, à la tentation de mettre le monde en
développement ou les pays émergents sous tutelle.
CHAPITRE I :
POURQUOI FAUT-IL RÉGULER LES FLUX
MONÉTAIRES ET FINANCIERS INTERNATIONAUX ?
I. LES EFFETS CONTRASTÉS DE LA MONDIALISATION FINANCIÈRE
L'idée de régulation financière et monétaire ne va pas de soi. Le strict jeu des forces de marché devrait, en pure théorie économique, conduire à un équilibre correspondant à l'optimum. Cependant, la nécessité d'une régulation apparaît à la lumière d'un double constat : d'une part, les flux financiers et monétaires ont changé de volume et de nature en 50 ans ; d'autre part, les récentes crises ont montré que les marchés ne pouvaient, seuls, assurer un retour rapide à l'équilibre.
A. LE DÉVELOPPEMENT DES ACTIVITÉS FINANCIÈRES ET MONÉTAIRES INTERNATIONALES
1. Le développement des marchés financiers...
La
libéralisation des marchés financiers a commencé avec
l'effondrement du système monétaire international fondé
sur un régime généralisé de taux de change fixes
ajustables, au début des années soixante-dix. Le
démantèlement des contrôles nationaux sur les mouvements de
capitaux, au cours des années quatre-vingt, dans les pays
développés, a accru la liquidité des marchés
financiers. Cette évolution s'est accentuée avec l'ouverture des
pays émergents aux capitaux étrangers au début des
années quatre-vingt dix.
La globalisation financière a
été marquée par l'apparition de nouveaux marchés et
de nouveaux acteurs significatifs dans le jeu financier international
.
La déréglementation des marchés financiers a permis,
mais a également été encouragée, par la
montée en puissance des innovations et de l'ingénierie
financière, notamment en matière de produits
dérivés.
2. ... et la diversification des produits financiers...
Dès le début des années quatre-vingt-dix,
la
Banque des règlements internationaux a attiré l'attention des
autorités monétaires des différents pays sur les risques
que le développement des produits dérivés pourrait faire
courir au système financier international. La croissance rapide des
marchés dérivés s'explique par des facteurs structurels et
conjoncturels. Les produits dérivés sont nés des
réactions du marché face à l'instabilité des taux
d'intérêt, facteur d'incertitude et de risque pour les
investisseurs. Ils permettent en effet de couvrir tout ou partie des risques
liés à cette incertitude, en offrant des possibilités
d'arbitrage et de gestion sophistiquées et peu coûteuses.
L'expansion des produits dérivés a donc été
fortement favorisée par la volatilité croissante des taux de
change et des taux d'intérêt au cours de la dernière
décennie. L'introduction de nouveaux produits et le développement
de l'ingénierie financière ont également favorisé
la croissance des produits dérivés, en permettant de proposer des
produits de plus en plus complexes, tandis que le développement des
technologies de l'information a permis une diminution importante des
coûts de transaction.
Les activités sur les marchés organisés peuvent être
mesurées en termes de transactions ou en nombre de contrats
échangés. En 1997, 1.200 millions de contrats financiers ont
été échangés sur les marchés
organisés, contre 480 millions en 1990, et 100 millions en 1981.
L'encours notionnel sur les marchés organisés est passé de
583 milliards de dollars en 1986 à 12.207 milliards en 1997, et de 500
milliards de dollars à 28.733 milliards sur les marchés de
gré à gré
1(
*
)
. Le risque de
contrepartie sur les produits dérivés a été
estimé à 1.200 milliards de dollars par le Banque des
règlements internationaux en 1998.
Les marchés de produits dérivés progressent de
manière importante lors des périodes de retournement de cycle.
Ainsi, les crises asiatique et russe ont conduit à une forte
augmentation de la demande de couverture des risques de la part des
investisseurs.
3. ... permettent d'obtenir des effets de levier considérables, qui servent les objectifs de rentabilité des fonds d'investissement.
Le
rôle des produits dérivés dans le développement des
crises financières et de la volatilité des prix est
contesté. En effet, il est indéniable que les produits
dérivés ont une influence importante sur le processus de
formation des prix sur les marchés financiers, du fait des liens qui
unissent, par le biais des arbitrages, les marchés au comptant et les
marchés dérivés. La théorie économique
s'accorde cependant à dire que les produits dérivés
améliorent la prise en compte de l'information et renforcent ainsi
l'efficience de l'ensemble des marchés financiers. De plus, la
déconcentration et la diversification des financements internationaux
diffusent les risques de pertes et réduisent, par là même,
les risques de crise systémique dans les pays créditeurs. La
complexité des produits dérivés ne permettant souvent pas
une mesure et un contrôle précis des risques, les produits
dérivés sont néanmoins susceptibles de conduire à
des prises de risque excessives. Les faillites des institutions
financières qui ont marqué la dernière décennie
(Metallgesellschaft, Orange County, Barings, ou encore LTCM) sont ainsi
liées, pour la plupart d'entres-elles, à des prises de risque
excessives sur les marchés dérivés.
Ces marchés constituent les principaux outils de placement des fonds
d'investissement spéculatifs. Ils permettent d'obtenir des effets de
levier considérables, avec une très faible exigence de fonds
propres. Les investisseurs institutionnels qui interviennent sur ces
marchés (fonds de pension, fonds d'investissement collectifs et
compagnies d'assurance notamment) sont devenus des intervenants majeurs sur les
marchés financiers, et ont conduit à une profonde modification de
la gestion des patrimoines à l'échelle mondiale.
Le développement des marchés financiers, et des produits
dérivés en particulier, emporte des conséquences
importantes pour la définition des politiques économiques par les
Etats. La déréglementation et l'abaissement des coûts de
transaction ont considérablement facilité la mobilité des
capitaux et ont conduit à un décloisonnement et à une
intégration de l'ensemble des marchés financiers mondiaux
. Les
masses de capitaux échangées chaque jour sur les marchés
financiers sont désormais largement supérieures aux
capacités d'intervention des Etats. Par conséquent, tout
gouvernement peut se retrouver l'otage des marchés, dès lors que
sa politique est perçue négativement par ceux-ci.
Enfin, les
produits dérivés retardent l'effet de la politique
monétaire sur l'économie réelle, puisque les acteurs
peuvent limiter l'impact des variations de taux d'intérêt en
modifiant les caractéristiques de leur endettement.
Le développement des activités financières et
monétaires internationales répond à un besoin croissant de
couverture des risques, en permettant de réduire l'incertitude des
investisseurs. L'ampleur des transactions réduit en revanche
considérablement l'efficacité des moyens d'action des
autorités nationales en matière de politique monétaire, et
constitue un facteur d'accroissement de la violence des ajustement des
marchés financiers en réponse à un choc.
B. LES EFFETS POSITIFS INCONTESTABLES DU DÉVELOPPEMENT DES ACTIVITÉS MONÉTAIRES ET FINANCIÈRES INTERNATIONALES
1. Ce développement a permis une meilleure couverture des risques
L'économie de marché est
caractérisée
par le risque, contrepartie du profit, dont la libéralisation des
mouvements de capitaux permet de se prémunir de mieux en mieux.
On peut différencier deux grandes catégories de risques, ceux
attachés aux opérateurs d'une transaction (risques de
crédit, c'est à dire risque de défaillance de
l'opérateur) et ceux attachés aux variables des transactions
(risques de marchés, comme les prix, les taux de change, les taux
d'intérêt,...). Si les produits financiers se sont d'abord
développés sur ces derniers, pour les couvrir dans leur
quasi-totalité, ils se tournent depuis quelques années (moins
d'une dizaine aux Etats-Unis, contre trois ou quatre ans en France) vers les
seconds. Les produits dérivés constituent les instruments
techniques de cette couverture des risques.
Qu'est-ce que les produits dérivés ?
Les
produits dérivés désignent l'ensemble des instruments
financiers mis en place sur les marchés à terme. Ces derniers se
différencient des marchés au comptant encore appelés
marchés sous-jacents.
Les opérations à terme peuvent s'effectuer de deux
manières. D'une part de façon optionnelle, d'autre part de
façon ferme. Pour chaque produit l'échange se fait soit de
gré à gré soit sur un marché organisé. Les
marchés optionnels utilisent les options, par exemple une option de
vente (
put
) ou une option d'achat (
call
). Les marchés
fermes se servent de produits se référant à des livraisons
différées (les
forward
) ou bien à des contrats (les
futures
). Les
swaps
permettent de traiter des échanges de
flux d'intérêt ou de dettes.
Les produits dérivés sont ainsi appelés parce qu'ils
tirent leur origine (ils dérivent) des produits acquis au comptant. Leur
fonction n'a qu'un lointain rapport avec une marchandise précise :
ils servent avant tout à se protéger contre des risques, comme
celui de la variation de prix. Ainsi, ils contribuent de façon
déterminante à la conclusion des prix sur les marchés
sous-jacents.
Source : Note d'information de la Banque de France, " Les
marchés de produits dérivés ", n° 108, octobre
1997.
Ces instruments de prévention du risque permettent de réduire les
facteurs d'incertitude et créent un environnement favorable aux
investissements et aux échanges. Les produits dérivés
permettent en effet de gérer sur l'ensemble des marchés les
risques potentiels, et ouvrent la possibilité de caler
l'équilibre présent d'un marché sur les offres et les
demandes à venir. S'opère ainsi un transfert du risque sur
d'autres agents, d'autres variables, d'autres horizons de temps. Ceux qui
l'assument sont des professionnels mieux à même de le gérer
que l'entreprise ou le particulier.
L'énumération des risques fait prendre conscience de leur
ampleur
2(
*
)
: risques de défaillance,
risques de contrepartie, risques de liquidité, risques de taux (de
change et d'intérêt), risques monétaires, risques
commerciaux, risques financiers (de faillite, d'exploitation, du
résultat financier, du résultat net). S'y ajoutent des risques
traditionnels (instabilités politique et réglementaire, risque
pays) et de nouveaux risques, comme les risques systémiques (situations
dans lesquelles les réponses des agents aux risques qu'ils
perçoivent aggravent l'insécurité des marchés), les
risques en provenance des économies émergentes (à l'oeuvre
dans le cas des crises asiatiques) et en transition (crise russe), les risques
environnementaux, les risques stratégiques (l'erreur de décision
a des conséquences plus lourdes en cas de développement des
marchés), et le risque technologique (lié aux innovations).
Bien entendu, les instruments financiers ne permettent pas de supprimer ces
risques. Ils ne traitent d'ailleurs pas de tous. Ils peuvent être
déterminés par les risques (les mouvements de capitaux augmentent
au fur et à mesure que certains risques diminuent), mais se
développent cependant toujours en cherchant à les réduire.
Les risques de taux apparaissent ainsi aujourd'hui particulièrement bien
gérés et maîtrisés grâce aux outils qui
existent. Le développement des marchés financiers résulte
ainsi pour une grande partie de celui des instruments de couverture, soit
qu'ils facilitent les opérations en diminuant les risques qui leur sont
associés, soit qu'ils en constituent les supports directs.
Cependant, le développement des instruments de couverture peut
paradoxalement faire naître de nouveaux aléas : risque de
contreparties en cas de mise en jeu de très nombreux acteurs, risque de
produit et risque systémique. Ce sont ces mécanismes qui ont
joué dans le cadre des crises financières asiatiques. Et c'est
pour les réduire et, dans la mesure du possible, s'en prémunir
que se développent les réglementations prudentielles, la
connaissance et l'organisation des marchés.
2. Il a favorisé l'accroissement du commerce mondial
La diminution progressive des barrières aux échanges de biens et services a pris des formes multiples, financières mais aussi commerciales. Le développement du commerce mondial depuis la fin de la seconde guerre mondiale constitue une réalité tangible, dont l'ampleur est différente selon les Etats. En 1948, les exportations mondiales ont représenté l'équivalent de 23 milliards de dollars ; en 1968 elles s'élevaient à 238 milliards de dollars ; le débuts des années 1970 et celui des années 1980 marquent deux périodes de stagnation du commerce mondial, qui connaît cependant une forte reprise à partir de 1983 : entre 1983 et 1990 le commerce mondial de marchandises augmente de 6 % par an en moyenne contre 3,4 % pour le PIB mondial.
Exportations de marchandises au XXe siècle
(en pourcentage du PIB en prix 1990)
|
1913 |
1929 |
1950 |
1973 |
1992 |
Etats-Unis |
3,7 |
3,6 |
3 |
5 |
8,2 |
Europe de l'Ouest |
16,3 |
13,3 |
9,4 |
20,9 |
29,7 |
Japon |
2,4 |
3,5 |
2,3 |
7,9 |
12,4 |
Chine |
1,4 |
1,7 |
1,9 |
1,1 |
2,3 |
Inde |
4,7 |
3,7 |
2,6 |
2 |
1,7 |
Corée |
1 |
4,5 |
1 |
8,2 |
17,8 |
Taïwan |
2,5 |
5,2 |
2,5 |
10,2 |
34,4 |
Monde |
8,7 |
9 |
7 |
11,2 |
13,5 |
Source : Monitoring the World Economy, 1820-1992, par
Angus
Maddison, publication OCDE, 1994
Le système commercial apparaît de plus essentiel pour le
développement des pays émergents. La baisse massive des obstacles
douaniers a permis la libéralisation des échanges. Outre la
dynamisation des transactions, les réductions tarifaires ont
rééquilibré leur structure et permis une
réorientation des ressources vers le système productif national.
Par ailleurs, l'insertion dans le commerce international constitue une
incitation très forte à l'innovation technologique et à la
restructuration des économies. Les entreprises doivent s'adapter
à la concurrence internationale afin d'en profiter, améliorer
leur productivité, adopter une tarification au coût marginal,
etc...
Peut-on considérer que l'évolution du commerce international et
le développement des mouvements financiers sont allés de
concert ? Les liens entre ouverture aux échanges, flux de capitaux
et croissance économique sont complexes. La théorie
économique de la concurrence pure et parfaite les fait aller de pair,
mais les études empiriques sur longue période tendent
plutôt à mettre en exergue le rôle joué par le
commerce international de " catalyseur de la croissance "
3(
*
)
pour Jean-Louis Guérin, et celui joué
par l'ouverture financière de signal favorable aux investisseurs
internationaux. Le graphique suivant montre bien la contribution des
échanges commerciaux à la croissance économique mondiale.
Evolution comparée du commerce mondial et du PIB
mondial
(variation annuelle moyenne en %)
Source : GATT
Les liens entre flux financiers et flux commerciaux peuvent également
expliquer la diffusion progressive de la crise asiatique par le biais du
commerce international :
" le commerce mondial s'est
comporté comme une vaste caisse de résonance du choc
initial "
4(
*
)
selon Jean-François
Dauphin. Les retraits de capitaux ont en effet suscité des modifications
importantes des parités monétaires, qui ont immédiatement
fait sentir leur effet sur les flux commerciaux. Les pays exportateurs ayant
dévalué y ont gagné une meilleure
compétitivité prix, tandis que le coût de leurs
importations augmentait. A ces effets prix s'est ajouté un effet volume
en raison de la contraction du volume d'activité et de la demande
mondiale. Le commerce mondial a ainsi connu une forte contraction : le
taux de croissance en glissement annuel des importations mondiales est
passé de 13,4 % à 1,5 % en un an et demi
5(
*
)
, plus fortement dans les pays asiatiques qui,
justement, ont connu les plus grandes contractions de flux financiers. La crise
asiatique illustre ainsi,
a contrario
, le lien entre
libéralisation financière et commerce international.
Ainsi, parce qu'ils créent un effet de richesse, parce qu'ils facilitent
le financement de l'économie, parce qu'ils assurent une meilleure
couverture des risques commerciaux, les flux financiers,
libéralisés, ont accompagné sinon permis l'accroissement
massif du commerce mondial.
3. Il a contribué à une meilleure allocation des ressources
Le
développement des mouvements de capitaux favorise la meilleure
allocation mondiale des ressources, au plus grand profit des économies
émergentes qui y ont vu là un moyen de financer leur
développement.
Les progrès technologiques considérables de ces dernières
années, dans le domaine des télécommunications et de
l'informatique ont eu pour conséquences une très forte
réduction des délais et des coûts de transaction. Par
ailleurs, ils ont fluidifié la circulation de l'information rendant
meilleures les comparaisons internationales et l'exercice des arbitrages
économiques et financiers. Enfin, la lisibilité de l'horizon des
placements a considérablement progressé. Tout ceci rend plus
facile le financement des projets d'investissement, au meilleur coût pour
le bénéficiaire et au moindre risque pour l'investisseur. Au
début des années 1990, alors que les pays industrialisés
connaissaient une récession et engageaient une politique de baisse des
taux d'intérêt, les investisseurs ont trouvé avantage
à placer les capitaux disponibles dans des pays d'Asie et
d'Amérique latine offrant des rémunérations
supérieures et des perspectives de croissance encourageantes. Au total,
ainsi que l'exprime Claudia Senik-Leygonie
6(
*
)
,
la liberté des capitaux
" améliore l'allocation des
ressources, en l'occurrence des risques et de l'épargne. D'une part
quand les capitaux sont mobiles, ils s'orientent normalement vers les meilleurs
projets qui trouvent ainsi un financement. Ce qui est avantageux pour tout le
monde. D'autre part, un titre financier est un échange de
liquidités disponibles aujourd'hui contre des liquidités
disponibles demain. Comme futur est synonyme d'incertain, il s'agit d'un
échange de risques. Les flux de capitaux permettent donc une assurance
et une mutualisation des risques. "
Les mouvements de capitaux du XIX
ème
siècle
permettaient essentiellement le financement de grandes infrastructures
publiques, telles que les voies de chemin de fer, ou privées, les usines
de groupes industriels ou les installations minières. La forme de ces
investissements a considérablement changé. Ils sont
constitués d'abord d'investissements directs à long terme des
grands groupes internationaux qui, développant leurs activités
sur une échelle mondiale, apportent avec eux l'accès aux
marchés, la circulation des connaissances et des progrès
technologiques. En ce sens, ils sont davantage porteurs de développement
que leurs prédécesseurs. S'y ajoutent les mouvements de capitaux
à court terme, qui ont la double caractéristique de constituer
des montants considérables et de permettre l'essor d'instruments
financiers de couverture de risques propres à rassurer les
investisseurs. Cependant ces derniers sont également facteurs de
risques, leur retrait massif et brutal pouvant déstabiliser les
économies, comme l'a montré la crise asiatique.
L'intégration financière internationale exerce un effet positif
sur le financement du développement des pays émergents
7(
*
)
. Comme l'écrit la Banque mondiale :
" Jusqu'au début des années 90, l'allégement des
dispositions financières contraignantes était
considéré comme un moyen de favoriser la croissance, mais il
n'était pas jugé aussi important que les autres facteurs. Ce
point de vue est en train de changer à la faveur des recherches
menées ces dernières années. On considère à
présent que l'expansion des circuits financiers, et notamment
l'établissement de marchés boursiers performants, contribue
fortement à la croissance future d'un pays, surtout grâce à
une meilleure répartition des ressources. Le lien entre finance et
croissance est plus prononcé dans certaines régions que dans
d'autres, et certaines données permettent de dire de manière tout
à fait plausible que de systèmes bancaires bien
réglementés favorisent également la croissance. Il existe
une forte corrélation entre les financements sur fonds propres, les
capitaux à risques disponibles et le progrès
industriel. "
Les
enseignements du succès
de l'implantation d'un marché de
produits dérivés dans un pays émergent
" L'implantation réussie d'un marché
dérivé dans un pays émergent met, ex post, trois
enseignements en valeur.
Le premier est que les marchés dérivés rencontrent du
succès dans des environnements volatils où des intervenants
souhaitent transférer leurs risques à d'autres participants ce
qui suppose la présence de structures ou de spéculateurs
prêts à assumer ce risque.
Le second est que le développement d'un tel marché
nécessite la présence de supports technologiques avancés
notamment dans le domaine des cotations et d'une infrastructure de
marché complète incluant un système de compensation et de
conservation de titres, afin de disposer d'une liquidité suffisamment
attractive pour les investisseurs.
Le dernier est que le maniement de produits sophistiqués comme les
contrats à terme et les options requiert une technicité et une
compétence élevée de la part des utilisateurs mais aussi
de la part des courtiers auxquels s'adressent les investisseurs, des membres
des instances de régulation et des étudiants amenés
à travailler à l'avenir sur ces marchés. "
Source : D. Grimbert, P. Mordacq, E. Tchemeni,
Les marchés
émergents
, Economica, Paris, 1995, pages 29et 30.
Cependant, les effets de la libéralisation des mouvements de capitaux
sur la croissance n'apparaissent pas avec évidence dans la stricte
comparaison des statistiques asiatiques.
Flux nets de capitaux privés et taux de croissance en Asie 1991-1997
(en % du PIB)
|
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
Singapour |
|
|
|
|
|
|
|
Flux nets de capitaux privés |
1,7 |
- 2,7 |
9,4 |
2,5 |
1,3 |
- 10,1 |
- 5,5 |
Croissance |
7,3 |
6,2 |
10,4 |
10,5 |
8,8 |
7,0 |
7,8 |
Chine |
|
|
|
|
|
|
|
Flux nets de capitaux privés |
1,7 |
- 0,9 |
4,5 |
5,6 |
5,2 |
4,6 |
3,7 |
Croissance |
9,2 |
14,2 |
13,5 |
12,6 |
10,5 |
9,7 |
8,8 |
Thaïlande |
|
|
|
|
|
|
|
Flux nets de capitaux privés |
10,7 |
8,7 |
8,4 |
8,6 |
12,7 |
9,3 |
- 10,7 |
Croissance |
8,1 |
8,2 |
8,5 |
8,9 |
8,7 |
6,4 |
- 0,4 |
Indonésie |
|
|
|
|
|
|
|
Flux nets de capitaux privés |
4,6 |
2,5 |
3,1 |
3,9 |
6,2 |
6,3 |
1,6 |
Croissance |
8,9 |
7,2 |
7,3 |
7,5 |
8,2 |
8,0 |
4,6 |
Corée du Sud |
|
|
|
|
|
|
|
Flux nets de capitaux privés |
2,2 |
2,4 |
- 1,6 |
3,1 |
3,9 |
4,9 |
2,8 |
Croissance |
9,1 |
5,1 |
5,8 |
8,6 |
8,9 |
7,1 |
5,5 |
Malaisie |
|
|
|
|
|
|
|
Flux nets de capitaux privés |
11,2 |
15,1 |
17,4 |
1,5 |
8,8 |
,96 |
4,7 |
Croissance |
8,6 |
7,8 |
8,3 |
9,2 |
9,5 |
8,6 |
7,8 |
Philippines |
|
|
|
|
|
|
|
Flux nets de capitaux privés |
1,6 |
2,0 |
2,6 |
5,0 |
4,6 |
9,8 |
0,5 |
Croissance |
- 0,6 |
0,3 |
2,1 |
4,4 |
4,8 |
5,7 |
5,1 |
Source : FMI
En fait, on peut considérer que ces conséquences positives
passent par l'intermédiaire de deux canaux principaux.
Le premier consiste en la progression très importante de l'offre
mondiale de capitaux, à même de s'investir sur de nouveaux
marchés. C'est ainsi qu'en 1997, 30 % des investissements
étrangers directs, soit 1.043 milliards de dollars selon la Banque
mondiale, ont profité aux pays en développement. Ceux qui en ont
le plus bénéficié sont ceux qui possèdent des
marchés financiers organisés et actifs : l'Argentine, le
Brésil, la Chine, le Mexique et la Pologne. En revanche, l'Afrique
représentait moins de 2 % des investissements directs en 1997. De
plus, l'essentiel y fut concentré dans le secteur des matières
premières qui ne fait pas profiter des avantages associés aux
investissements dans d'autres secteurs (en termes d'accès aux
marchés, de transferts technologiques et de capital humain).
Source : CNUCED
Le second est la forte incitation qu'elle crée à
l'émergence et au développement de marchés financiers
intérieurs permettant l'apparition d'un financement interne de
l'économie nationale. Ceci a favorisé dans les pays en
développement la bonne répartition des ressources, a rendu
possible l'essor de nouveaux outils financiers
8(
*
)
, a amélioré l'efficacité des
marchés et a permis de se construire un vrai système bancaire.
C. L'EXTENSION DES CIRCUITS FINANCIERS CRIMINELS
Le
groupe de travail ne s'est pas penché de façon spécifique
sur les circuits financiers criminels, sur lesquels il n'a recueilli que des
informations incidentes à ses préoccupations principales. Il ne
les a envisagés que sous l'angle de leurs liens avec les crises
financières, et non en tant que tels.
A la faveur de la mondialisation, trois fléaux paraissent se
développer :
la localisation de fonds gérés sous mandat dans des paradis
bancaires ou fiscaux, que l'on désigne couramment sous l'expression
d'Etats ou zones
offshore
,
le blanchiment des liquidités produites par des activités
criminelles,
la corruption et le trafic d'influence.
1. La mondialisation favorise les circuits financiers criminels
Le développement des circuits financiers transfrontaliers facilite et renforce le développement des circuits financiers criminels, qui sont par nature transfrontaliers.
a) Les territoires à fiscalité réduite...
A
l'origine du phénomène se trouve une préoccupation qui
n'est pas en soi criminelle, mais qui peut avoir une dimension
délictueuse :
le souci d'échapper aux
prélèvements fiscaux, sur des activités licites par
ailleurs
.
Cette préoccupation est manifeste s'agissant des fonds à fort
effet de levier ou
hedge funds
. Destinés à des
investisseurs avertis, particuliers très fortunés ou entreprises,
et souvent capables de profits (et de pertes) très supérieurs
à ceux des autres activités financières, ces fonds sont
massivement localisés
offshore
.
Interrogé par le groupe de travail, le président de l'association
américaine des fonds à fort effet de levier n'a pas caché
que les raisons de ce type d'établissement sont essentiellement
fiscales, et ne sont pas liées à des tentatives d'échapper
à la réglementation prudentielle ou au contrôle des
opérations.
Avec plus de 100 milliards de dollars d'encours (sur 400 milliards de
dollars pour l'ensemble des fonds à effet de levier dans le monde), la
plupart des
hedge funds
gérés depuis les
Etats-Unis sont établis dans un paradis fiscal. En 1999, l'association
comptait environ 600 fonds. Ils n'ont rien d'occulte, puisqu'il existe à
leur sujet de nombreuses informations diffusées dans le public et en
particulier un annuaire professionnel précisant leurs modes
d'intervention et l'ensemble des coordonnées utiles.
Or, pour permettre à leurs clients d'échapper plus facilement au
contrôle fiscal de leur pays d'origine, les dépositaires de fonds
situés dans les paradis fiscaux offrent une grande discrétion
bancaire, ne permettant pas d'identifier les titulaires de compte. Les
centres
offshore
se caractérisent ainsi par deux critères
fondamentaux :
une fiscalité très faible, et un secret
bancaire rigoureux.
b) ... attirent les détenteurs de fonds d'origine criminelle
De
là vient l'attrait des paradis fiscaux pour les détenteurs de
fonds provenant d'activités illégales : trafic de drogue,
d'armes, d'êtres humains. C'est ainsi que l'on glisse progressivement
d'un phénomène d'évasion fiscale provenant
d'activités licites, vers un phénomène de dissimulation
des produits d'activités illicites.
Les circuits financiers criminels se fondent dans la masse des courants
financiers qui accompagnent l'internationalisation des marchés de
capitaux. La libéralisation des mouvements de capitaux, la suppression
des contrôle des changes, l'euro, destinés à faciliter les
flux légaux, facilitent également les flux illégaux. La
monnaie unique, en particulier, favorise la discrétion des transactions
intra-européennes portant sur des fonds d'origine douteuse.
Le développement d'Internet facilite aussi le phénomène.
En effectuant des recherches relatives aux places
offshore
sur le
réseau mondial, des dizaines de références d'officines
spécialisées dans l'implantation d'activités dans les
paradis fiscaux apparaissent. N'importe qui peut ainsi avoir recours à
une prestation de services d'optimisation fiscale par la localisation la plus
efficace. Ces officines sont elles-mêmes implantées
offshore
, à l'abri de la juridiction de tout organe de
contrôle national ou international.
Selon le FMI en 1997, les places
offshore
étaient
dépositaires de 4.800 milliards de dollars. Le blanchiment d'argent
criminel représenterait 600 milliards de dollars de flux annuels
(soit 2 % du PIB mondial) actuellement, selon le FMI et le
secrétariat américain au Trésor, dont 50 %
proviendrait du trafic de stupéfiants. Certains Etats sont des zones
privilégiées pour les trafiquants : lors d'une
réunion internationale tenue à Genève en
décembre 1999, le président du Sénat de Haïti
mentionnait par exemple que l'essentiel des capitaux investis dans son pays
était d'origine douteuse... Enfin, selon Pino Arlacchi,
secrétaire général adjoint de l'ONU, les sommes provenant
de l'évasion fiscale et de la corruption seraient chacune
supérieures à celles du blanchiment.
2. Les circuits financiers criminels sont susceptibles de favoriser les crises financières
Le
développement des circuits financiers criminels est dommageable en soi.
Mais le groupe de travail a surtout cherché à savoir si ces flux
financiers pouvaient avoir une influence sur le bon fonctionnement des circuits
financiers légaux, et
s'ils étaient de nature à jouer
un rôle dans les crises financières internationales
.
Les montants en cause ainsi que leur cheminement sont par nature trop mal
connus pour que des études économiques systématiques aient
pu être menées sur ce point. Il est donc très difficile
d'évaluer l'éventuelle part de responsabilité de
l'illégalité financière dans les difficultés
économiques et financières du monde.
Deux constats peuvent néanmoins être établis, qui
permettent de penser que la criminalité financière a sa part dans
les crises financières :
les pays émergents touchés par la crise souffrent en
général d'un niveau de corruption élevé, alors que
les Etats réputés moins corrompus ont traversé la crise
plus facilement,
les investigations du groupe de travail ont nettement établi que
la
transparence
des flux financiers était nécessaire
à une meilleure maîtrise des risques et à une saine
allocation des actifs. Or, les flux criminels, opaques et sans
rationalité économique, perturbent les équilibres.
a) Un niveau élevé de corruption va de pair avec la vulnérabilité aux crises
Selon
l'OCDE, la corruption représenterait un montant annuel de
80 milliards de dollars de commissions illicites.
La mise en perspective des travaux de l'association Transparency
international permet d'établir ce constat, sans toutefois
permettre de déterminer le sens des liens de causalité. Toujours
est-il qu'un bon niveau de développement s'accompagne d'une faible
corruption.
Comparaison des indices de perception de la corruption
1998/1999
entre l'Union européenne et douze pays émergents au coeur des
crises financières de 1997/1998
(source : Transparency International)
1. Indices 1998/1999 des 15 pays de l'Union européenne
Rang 1999 |
Pays |
Score ICP 1999 |
Indice 1998 |
1 |
Danemark |
10,0 |
10,0 |
2 |
Finlande |
9,8 |
9,6 |
3 |
Suède |
9,4 |
9,5 |
8 |
Pays-Bas |
9,0 |
9,0 |
11 |
Luxembourg |
8,8 |
8,7 |
13 |
Royaume-Uni |
8,6 |
8,7 |
14 |
Allemagne |
8,0 |
7,9 |
15 |
Irlande |
7,7 |
8,2 |
17 |
Autriche |
7,6 |
7,5 |
21 |
Portugal |
6,7 |
6,5 |
22 |
France |
6,6 |
6,7 |
|
Espagne |
6,6 |
6,1 |
29 |
Belgique |
5,3 |
5,4 |
36 |
Grèce |
4,9 |
4,9 |
38 |
Italie |
4,7 |
4,6 |
2. Indices 1998/1999 de 12 pays émergents
Rang
|
Pays |
Score ICP 1999 |
Indice 1998 |
19 |
Chili |
6,9 |
6,8 |
28 |
Taiwan |
5,6 |
5,3 |
32 |
Malaisie |
5,1 |
5,3 |
45 |
Brésil |
4,1 |
4,0 |
50 |
Corée du Sud |
3,8 |
4,2 |
58 |
Chine |
3,4 |
3,5 |
58 |
Mexique |
3,4 |
3,3 |
68 |
Thaïlande |
3,2 |
3,0 |
71 |
Argentine |
3,0 |
3,0 |
82 |
Russie |
2,4 |
2,4 |
87 |
Pakistan |
2,2 |
2,7 |
96 |
Indonésie |
1,7 |
2,0 |
L'indice
de perception de la corruption établi par
l'association Transparency international est un sondage
" classant les Etats en fonction du degré selon lequel ils sont
perçus comme étant le lieu où vivent les personnes
susceptibles d'être corrompues - c'est-à-dire les fonctionnaires
qui abusent de leur fonction par intérêt personnel ".
Plus l'indice est bas, et plus le pays est perçu comme
corrompu.
Il convient toutefois de prendre les indications ci-dessus avec beaucoup de
précautions : outre que les indices établis reflètent
des appréciations qualitatives largement invérifiables, il est
également permis de s'interroger sur la nature même
de Transparency international , organisation américaine dont
les préoccupations pourraient être pour une part liées aux
intérêts commerciaux de sa zone d'origine...
b) Les effets pervers des circuits financiers criminels
Bien que
non mesurés faute de statistiques suffisantes, les circuits criminels
ont, du fait de leur opacité, de multiples conséquences
perturbatrices sur les politiques économiques. On peut en énoncer
six :
des changements dans la demande de monnaie sans lien avec les
fondamentaux économiques,
des mouvements erratiques de taux de change et de taux
d'intérêt liés à des transactions financières
importantes entre Etats différents, transactions dont les sous-jacents
sont criminels, et qui ne peuvent être mesurées,
une altération de la solidité et de la
sécurité des actifs financiers, notamment sur le plan juridique,
lorsque leur constitution provient du recyclage de fonds criminels,
des perturbations dans le fonctionnement des finances publiques des
Etats, liées à l'évasion et à la fraude fiscale,
ainsi qu'à l'absence totale de participation aux charges publiques des
fortunes et revenus criminels (la Russie est un exemple du
phénomène),
une certaine insécurité des transactions légales,
dès lors qu'elles peuvent être contaminées par les circuits
illégaux,
des phénomènes de bulles spéculatives sur les
marchés d'actifs lors du réinvestissement massif, pour
blanchiment, de fonds d'origine délinquante.
D'une façon générale, les circuits criminels
échappent, du fait de leur opacité, à la connaissance des
organismes chargés de mener les politiques économiques et
financières, ce qui peut conduire à des erreurs graves de
pilotage. Ils occasionnent aussi de sérieuses pertes d'efficacité
des aides financières légales : dans les pays
émergents et en développement, une grande partie de l'aide
multilatérale subit des fuites dans les circuits de la corruption ou de
trafics en tout genre. Bien qu'on ne puisse mesurer ces effets, on peut
subodorer leur importance croissante.
D. L'AMPLEUR MONDIALE DES CRISES FINANCIÈRES ET ÉCONOMIQUES
1. La crise dans les pays émergents
Depuis l'explosion du système monétaire international tel que défini par la conférence de Bretton Woods, au début des années 70, plusieurs crises financières dont les causes sont différentes ont affecté l'économie mondiale, et, en particulier, les pays émergents : crise de la dette au Mexique et dans les pays d'Amérique latine en 1982, puis en 1994, et enfin, la crise asiatique en 1997-1998. Le nombre des pays en défaillance et en défaut de paiement dans le monde a ainsi considérablement augmenté depuis le début des années quatre-vingt .
a) La crise mexicaine de 1994 et les risques du financement des déficits par des capitaux volatils
La
crise mexicaine de 1994 a souligné
les risques du financement
d'un déficit extérieur élevé par une épargne
instable
. Malgré une situation économique en voie
d'amélioration (accélération de la croissance,
ralentissement de l'inflation, réduction des déficits publics),
le Mexique a vu le déficit de sa balance des paiements courant se
creuser. Or, ce déficit était financé essentiellement par
des flux de capitaux privés à court terme et facilement
réversibles. En 1994, les investisseurs ont considéré que
le taux de change de la devise mexicaine était largement
surévalué, et ont brutalement retiré leurs capitaux. La
crise de financement qui a résulté de ce retrait des capitaux a
été surmontée grâce au flottement de la devise
mexicaine et aux interventions financières massives des Etats-Unis et du
Fonds monétaire international.
La crise mexicaine n'a pas modifié de manière substantielle
l'attitude des investisseurs vis-à-vis des pays émergents
,
les besoins structurels de financement de ces pays étant
généralement largement couvert par des entrées de capitaux
privés de toute nature (investissements de portefeuille, prêts
bancaires à court terme, placements en monnaie locale de
non-résidents notamment).
L'environnement financier
particulièrement favorable et l'abondance de la liquidité
internationale a en effet incité les pays émergents à
financer leur déficit structurel de financement à l'aide
d'émissions obligataires plutôt que de prendre les mesures
économiques nécessaires pour parvenir à
rééquilibrer leur balance des paiements.
Ces pays ont ainsi,
après avoir libéralisé leur taux de change et ouvert leur
marché financier, titrisé une part croissante de leur dette, mais
également de leurs déficits publics, notamment en Amérique
latine, qui constituait la zone la plus endettée.
De nombreux pays émergents qui ne connaissaient pas de déficits
budgétaires ont cependant accueilli des dépôts de
non-résidents pour des montants importants. La couverture excessive des
besoins de financement des pays émergents par des capitaux volatils a
artificiellement gonflé les réserves en devise de ces pays. La
concurrence entre les fonds d'investissement et les fonds de pension pour
obtenir le meilleur rendement les a poussé à investir leur argent
dans des titres des pays émergents, davantage
rémunérés mais également plus risqués que
les titres des pays développés. Or, les placements des
non-résidents sont extrêmement sensibles aux modifications des
anticipations relatives à l'évolution des taux de change.
Flux privés à destination des PED
b) Les causes cachées de la crise asiatique ou l'émergence des fragilités des pays modèles
La crise
asiatique, tant par son ampleur que par sa dimension systémique, a
surpris l'ensemble des économistes, pour qui les pays asiatiques
constituaient, de par leur croissance et leur stabilité sur longue
période, des modèles de développement.
Dans un article célèbre intitulé " The Myth of Asia's
Miracle "
9(
*
)
, l'économiste Paul
Krugman soulignait cependant que la croissance des pays asiatiques
résultait, pour l'essentiel, d'une formidable accumulation de capital,
mais que cette croissance serait inévitablement limitée par des
contraintes structurelles et une diminution des taux de retour sur
investissements, compte tenu des faibles gains de productivité et de
l'insuffisante qualification des personnes. Cependant, cette analyse ne
prédisait qu'un ralentissement de la croissance, et non le choc subi par
les économies asiatiques en 1997-1998.
Les pays asiatiques se caractérisaient avant la crise, par un fort
taux d'épargne, des excédents budgétaires, une politique
monétaire faiblement expansionniste et une inflation relativement faible
et stable, autour de 5 %. Ces pays émergents ne présentaient
donc pas les syndromes de vulnérabilité des économies
d'Amérique latine.
Cependant, ils accueillaient des flux importants
d'obligations, d'investissements de portefeuille et de placements en monnaies
locales. L'endettement des résidents asiatiques auprès des
banques a ainsi cru très rapidement à partir de 1994. En quatre
ans, ce passif a presque doublé, et a atteint 450 milliards de dollars
en 1997, pour des avoirs inférieurs à 280 milliards de dollars,
soit un ratio de couverture apparente de 60 %. La part des crédits
à court terme a atteint 65 % en Asie en 1995, et les entrées
de capitaux étrangers en Thaïlande ont atteint 82 milliards de
dollars entre 1991 et 1996, alors que les besoins de financement ne
s'élevaient qu'à 47 milliards de dollars.
Indicateurs de vulnérabilité financière
La progression des crédits à l'économie relative à
celle du PIB des pays d'Asie fait apparaître des similitudes avec la
situation du Mexique en 1994. Les besoins structurels de financement de ces
économies n'étant que partiellement couverts par des capitaux
stables ou à long terme, le montant de la dette à court terme
dépassait les réserves en devise de ces pays. La
vulnérabilité des économies asiatiques était donc
provoquée par leur propre succès, l'afflux massif de capitaux
provoquant un surinvestissement, en particulier dans le secteur immobilier, et
conduisant à la formation d'une bulle spéculative. Les biens
immobiliers servaient généralement de collatéraux pour les
prêts.
Le gonflement de la bulle immobilière a donc
contribué à entretenir l'endettement du secteur privé. Or,
une partie de la dette du secteur privé a été
contractée en monnaie étrangère et sans utiliser des
instruments de couverture, les emprunteurs considérant l'ancrage du baht
au dollar comme une garantie absolue de stabilité.
La crise asiatique a été déclenchée par les
attaques spéculatives contre la monnaie thaïlandaise, le baht,
forçant le pays à abandonner son ancrage au dollar et à
dévaluer en juillet 1997. Les raisons de ces attaques sont
multiples :
- l'appréciation du dollar a provoqué un ralentissement des
exportations et de la croissance. Les investisseurs ont anticipé une
dévaluation du baht, car ils considéraient que la politique de
change n'était plus soutenable, à terme, compte tenu de ses
conséquences néfastes sur l'économie réelle ;
- la baisse de l'efficacité de l'investissement a
dévoilé l'importance des créances douteuses
détenues par les institutions financières. Au début de
l'année 1997, la révélation du niveau des créances
douteuses de dix institutions financières a accentué les doutes
sur la soutenabilité de la politique de change et a provoqué un
mouvement de reflux des capitaux.
L'analyse des causes de la crise en Asie par l'économiste Paul Krugman
souligne que la crise monétaire en Asie est une conséquence et
non une cause de la situation financière des économies
asiatiques, et insiste sur le rôle des intermédiaires financiers
(en particulier, le rôle des compagnies financières en
Thaïlande) et de la bulle spéculative qui s'est
développée dans ces pays. Les intermédiaires financiers
empruntaient en effet des sommes importantes en devises
étrangères, notamment en dollars, qui étaient ensuite
prêtées à des fins d'investissements spéculatifs.
Ces institutions bénéficiaient généralement d'une
garantie implicite de l'Etat, bien que n'étant que très peu
encadrées dans leur politique de prêt. Ce système a permis
une croissance considérable du prix des actifs financiers, ainsi que du
prix du foncier. La politique non sélective du crédit
menée par les institutions financières a donc engendré une
bulle spéculative et une détérioration de la
qualité des investissements, entretenus par la pérennité
apparente de la politique de " crédit facile ".
Lors de son audition par le groupe de travail, le 19 mai 1999,
M. José-Luis Daza
10(
*
)
a
insisté également sur la dimension micro-économique de la
crise en Asie, liée au surendettement des acteurs privés et aux
surcapacités de production, alors que l'Etat lui-même se trouvait
dans une situation financière saine.
Le dégonflement de la bulle spéculative a
révélé la situation financière réelle des
institutions et des banques. La crise monétaire apparaît donc
clairement comme une conséquence du dégonflement de cette bulle
spéculative, et non des politiques macro-économiques conduites
par les gouvernements asiatiques.
c) La diffusion de la crise en Asie.
La
diffusion de la crise thaïlandaise vers les autres pays d'Asie est
liée au retournement des anticipations des investisseurs.
Le
décrochage du baht par rapport au dollar a en effet jeté un doute
sur la viabilité des régimes de change dans la région, la
plupart des pays ayant lié leur monnaie au dollar.
La dépréciation du baht renforçait la
compétitivité-prix des exportations thaïlandaises
relativement à celles des pays dont la monnaie était liée
au dollar. Cependant, il est relativement peu probable que l'anticipation d'une
réaction en chaîne de dévaluations compétitives dans
l'ensemble de la région, puisse expliquer la diffusion de la crise dans
les pays voisins de la Thaïlande. En effet, la relative faiblesse de
l'intégration régionale des économies asiatiques,
conjuguée à une concurrence limitée sur les marchés
extérieurs, réduisent d'autant la puissance explicative de cette
hypothèse. En revanche, les économies voisines de la
Thaïlande étaient perçues comme possédant des
faiblesses analogues à elle, entraînant une
réévaluation des risques et un désengagement de la part
des investisseurs, qui ont subitement révisé leur jugement sur le
" modèle asiatique de développement ".
Contrairement à la plupart des crises précédentes, la
crise asiatique ne résulte pas d'un choc d'offre ou de demande, mais
d'une défiance des investisseurs vis-à-vis de la
soutenabilité de la politique d'ancrage des monnaies au dollar.
L'ensemble des monnaies de pays asiatiques ont fait l'objet d'attaques
spéculatives, contraignant la plupart des pays de la région, dont
les taux de change étaient liés au dollar qui
s'appréciait, à abandonner ce lien et à dévaluer
leur monnaie.
M. Christian de Boissieu décrit les crises financières
récentes comme résultant d'une combinaison d'un taux de change
rigide et surévalué et d'une dette extérieure à
court terme importante. La perte de confiance des investisseurs dans la monnaie
locale entraîne alors des ventes massives et simultanées de
titres, des mécanismes de mimétisme et d'" anticipations
autoréalisatrices ". Le fait que les gestionnaires des fonds
d'investissement sont jugés sur leurs performances relatives provoque en
effet des comportements de mimétisme qui amplifient de manière
considérable les fluctuations des marchés financiers.
L'ancien directeur général du Fonds monétaire
international, Michel Camdessus, a indiqué que la crise asiatique
marquait la fin de la distinction entre les pays systémiques,
susceptibles d'exporter chez leurs voisins leurs déséquilibres
macro-économiques, et les pays non-systémiques. En effet,
rappelle-t-il, "
qui aurait osé penser en 1997 que la
Thaïlande était un pays systémique ?
".
La contagion rapide de la crise est liée à un effet de panique
propagé par la très grande mobilité des capitaux, les
investisseurs considérant que la dépréciation des actifs
était inévitable dans l'ensemble de la zone asiatique, et non
à un mécanisme classique de transmission de la crise par les
canaux du crédit ou de l'économie réelle. Cette
explication permet de comprendre les raisons de la surprise qui a
accompagné l'effondrement des économies asiatiques, puisque les
fondamentaux économiques des pays de la région ne faisaient pas
apparaître de déséquilibres significatifs. Lors de son
audition par le groupe de travail, le 19 mai 1999
11(
*
)
, M. José-Luis Daza a estimé que la
contagion de la crise asiatique a été provoquée par les
similarités de situation qui sont observées par les
marchés financiers.
d) La contagion de la crise : un effet de panique plutôt qu'un effet de domino.
Si les
banques ont été les principaux acteurs du déclenchement de
la crise en Thaïlande et en Asie, les investisseurs institutionnels ont
joué un rôle déterminant dans la propagation de celle-ci,
en reportant leur défiance sur les pays d'Amérique latine et la
Russie.
Lors de son audition par le groupe de travail le 21 avril 1999,
M. Jean-Pierre Landau a expliqué ce phénomène par
l'effet de levier des contrats financiers et par le sentiment de panique qui a
sévi sur les marchés. Le développement de la crise vers la
Russie et le Brésil serait essentiellement lié à
l'aversion au risque des marchés, provoquée par la crise en Asie
et la crise brésilienne serait directement liée à la crise
russe, les opérateurs financiers prenant acte de la similitude des
situations financières entre les deux pays.
Comme les pays d'Asie et malgré des faiblesses économiques et
financières importantes et largement connues, la Russie a
continué à attirer les financements internationaux
(crédits bancaires et émissions d'obligations notamment),
pratiquement jusqu'au déclenchement de la crise financière en
août 1998. L'absence de maîtrise des finances publiques,
l'accélération des émissions d'emprunts publics à
court terme, la chute des cours des matières premières et
l'appréciation du taux de change réel ont fait douter de la
capacité de la Russie à assurer le service de sa dette à
compter de la fin de l'année 1997. Afin de sauvegarder la
stabilité du rouble, les taux d'intérêt se sont
considérablement élevés, de sorte que le service de la
dette publique absorbait près de la moitié des recettes
budgétaires. Face à l'aggravation des problèmes de
financement, le gouvernement russe a décidé de laisser flotter le
rouble et annoncé un moratoire sur le service de la dette
intérieure et sur le remboursement des dettes des entreprises et des
banques envers les créanciers étrangers. Ces décisions ont
déclenché une réaction particulièrement violente
des marchés financiers, la crise montrant, pour la première fois
depuis le début des années quatre-vingt dix, la
possibilité d'un défaut sur des obligations d'Etat.
Par conséquent,
le milieu de l'année 1998 est
caractérisé par une très forte aversion pour le risque de
la part des investisseurs, et une crise de confiance
généralisée envers les économies
émergentes
. Au début du mois d'octobre 1998, la hausse des
marges sur les obligations de la plupart des pays émergents d'Asie et
d'Amérique latine rendait très difficile l'émission de
titres pour ces pays.
Malgré une détérioration des déficits public et
commercial de la plupart des pays, l'Amérique latine avait
continué à attirer des flux de capitaux importants après
le déclenchement de la crise asiatique. Or, la crise de confiance du
milieu de 1998 a provoqué un quasi-tarissement des financements
extérieurs.
La cessation de paiements de la Russie a eu un impact important sur le
Brésil, provoquant notamment des ventes massives d'obligations
internationales émises par ce pays, et une fuite des capitaux vers la
qualité. Au début de l'année 1999, le gouvernement
brésilien a été contraint d'abandonner le régime de
change fixe en vigueur depuis 1994.
L'analyse de la crise asiatique met en valeur les insuffisances de la
régulation bancaire, et souligne les effets déstabilisateurs de
la mobilité des capitaux, en particulier lorsque les institutions
financières locales ne sont pas réglementées de
manière appropriée. Elle souligne également
l'insoutenabilité des régimes de change fixes en présence
d'un déficit budgétaire ou extérieur
élevé.
En effet, l'élévation des taux
d'intérêt nécessaire pour soutenir la monnaie nationale
encourage les résidents à emprunter en devise sans se couvrir, et
les non-résidents, à acheter des actifs en monnaie nationale. La
crise asiatique souligne donc qu'un pays ne peut soutenir à long terme
un déficit du compte courant, même lorsque ce déficit
finance l'investissement du secteur privé et non la consommation ou les
dépenses publiques.
2. Les effets de la crise sur les pays en voie de développement
La crise
a touché de façon différenciée les pays en voie de
développement selon les deux canaux de transmission que constituent les
flux d'échanges et les flux financiers.
De ce point de vue, la situation des pays asiatiques et celles des autres pays
en développement, particulièrement les pays d'Afrique, est
très différente. La très forte dépendance des pays
asiatiques aux capitaux internationaux et leur meilleure insertion dans le
commerce international les a fait ressentir très brusquement et
très durement cette crise. Les pays d'Afrique en ont quant à eux
souffert de manière plus diffuse et risquent ainsi d'en devenir les
victimes finales quand les pays d'Asie seront revenus sur le chemin de la
croissance.
L'Inde a-t-elle été préservée de la crise par sa faible insertion dans les échanges internationaux de capitaux ?
La
libéralisation du système financier a été plus
mesurée en Inde que dans la plupart des pays d'Asie du sud-est, comme en
Chine d'ailleurs. En conséquence, l'Inde n'a pas été
directement touchée par les fluctuations monétaires et
financières qui ont secoué la région à partir de
l'été 1997. Le maintien d'un contrôle étatique sur
le financement de l'économie, ses réserves de change et la
non-convertibilité de sa monnaie la préservent en effet des
déstabilisations induites par des mouvements de capitaux importants.
Cependant, le financement de l'économie indienne laisse une place de
plus en plus importante aux apports de capitaux étrangers, et les
bourses de Bombay et Delhi sont largement plus importantes que la plupart des
bourses d'Asie, avec un chiffre d'affaire commun de 12 milliards de
dollars pour le mois de juin 1998 et une capitalisation de 206 milliards
de dollars à cette même période. A la fin de mars 1998, le
stock d'investissements de portefeuille est de 15 milliards de dollars.
Les réserves en devises de l'Inde devraient néanmoins lui
permettre de faire face à la volatilité croissante des capitaux.
La faible ouverture de l'économie indienne sur l'extérieur, les
exportations ne représentant que 9 % du PIB, a préservé le
pays de la contagion de la crise. Le commerce avec les pays touchés est
relativement faible, et les entreprises indiennes ne sont que très
faiblement en concurrence avec les pays asiatiques sur les marchés
d'exportation. Les débouchés pour l'industrie indienne sont donc
peu menacés par l'accroissement de compétitivité des
exportations des pays du sud-est asiatique résultant des
dévaluations de leurs monnaies nationales.
La crise asiatique a toutefois contribué à aggraver le
déficit commercial de l'Inde. La roupie s'est
dépréciée à partir du mois d'août 1997, en
partie pour compenser la hausse de l'inflation, mais également pour
prendre en compte le désavantage compétitif dû aux
dévaluations des monnaies des pays du sud-est asiatique. Le
relèvement des tarifs douaniers en 1998-1999 participe de ce même
objectif.
La stratégie indienne d'appel à l'épargne
extérieure ne permet pas encore d'accroître suffisamment
l'investissement pour atteindre les objectifs de croissance annoncés
pour le IX
ème
Plan, soit une moyenne de 7 % par an.
Mais un recours accru aux capitaux extérieurs exige au préalable
un assainissement des finances publiques en Inde.
Les mouvements de capitaux continuent de faire l'objet d'une
réglementation restrictive, et les sorties de capitaux des
résidents doivent faire l'objet d'une autorisation de la Banque
Centrale. Du point de vue indien, l'appel à l'épargne
extérieure n'est bénéfique que si les capitaux sont
stables et orientés vers les secteurs définis comme prioritaires
par les pouvoirs publics. Les investissements doivent être
effectués par des investisseurs institutionnels agréés par
la Banque Centrale. L'analyse de la crise asiatique pousse les autorités
indiennes à renforcer la politique sélective du crédit,
afin de répartir l'investissement de manière
équilibrée selon les secteurs et de limiter les investissements
spéculatifs.
Malgré les protections dont l'Inde dispose pour ne pas subir la
contagion de la crise asiatique, son déficit courant risque d'engendrer
une crise de confiance à laquelle elle ne pourrait que difficilement
résister.
L'Inde a dû faire appel à l'épargne des Indiens
non-résidents pour financer son déficit courant, compte tenu de
la restriction de l'accès au crédit bancaire international et de
l'élévation des primes de risques sur les taux
d'intérêt consécutifs à la crise asiatique. Certes,
la dette indienne ne s'élève qu'à 28 % du PIB et le
service de la dette absorbe moins de 28 % des recettes d'exportation,
tandis que la dette à court terme reste relativement faible et
préserve l'Inde des risques de liquidité. Toutefois, le niveau
élevé des taux d'intérêt provoqué par
l'importance des déficits publics comporte un risque de
spéculation sur les instruments de gestion de la dette, et donc de
déstabilisation du pays si une crise de confiance se présentait.
Les protections tarifaires et réglementaires réduisent l'impact
de la crise, mais favorisent un ralentissement et une prudence accrue dans la
mise en oeuvre des réformes économiques. La réaction des
investisseurs étrangers à l'égard d'une pause du processus
de libéralisation pourrait fragiliser la situation financière
indienne.
L'Inde est confrontée à l'importance de ses déficits
internes et externes, et doit s'efforcer de stimuler la croissance sans
engendrer de déséquilibres trop importants. Elle doit
également contenir les pressions inflationnistes liées aux
tensions sur le marché des biens et services.
Enfin, le coût du conflit récemment rouvert avec le Pakistan
entraîne une dépréciation de la roupie, un ralentissement
de certaines activités générant des devises, telles le
tourisme et le transport aérien, et pèse sur le budget de l'Etat.
L'incertitude liée à cette situation fait peser un risque de
déstabilisation de l'économie indienne dont les fondements
demeurent fragiles. Le pays a moins souffert de la crise financière que
les autres pays d'Asie, mais pourrait difficilement supporter une crise de
confiance étant donné l'importance de ses besoins de financement.
Source : " L'Inde en mouvement : une chance à saisir
pour la France ", rapport d'information de M. Jacques Chaumont,
sénateur, au nom de la commission des finances, n°476, 1998-1999,
pages 26-28.
En termes de croissance économique, selon la Banque africaine de
développement, l'Afrique aurait perdu 1,2 point de croissance entre 1997
et 1998 (soit l'équivalent de la perte de 2 milliards de dollars
d'investissements directs). En décembre 1998, le FMI estimait la
croissance 1998 du continent africain à 3,8 % soit un point de moins que
la prévision de janvier 1998. Les pays dépendants des
exportations ont le plus fortement ressenti ces conséquences, même
si des situations locales favorables peuvent laisser apparaître une
situation plutôt positive au Maroc (bonne récolte), en Côte
d'Ivoire et au Cameroun (conséquences de la dévaluation du franc
CFA et de l'appréciation du dollar en 1997).
Effets de la crise sur la croissance en Afrique (en %)
|
Prévision pour 1998 avant la crise (août 1996) |
Prévision pour 1998 après la crise (4 ème trimestre 1998) |
Impact |
Algérie |
5,3 |
1 |
- 4,3 |
Cameroun |
3,7 |
4,9 |
1,2 |
Côte d'Ivoire |
5 |
6,7 |
1,7 |
Egypte |
4,5 |
5 |
0,5 |
Gabon |
3 |
0,55 |
- 2,45 |
Ghana |
4,8 |
2,95 |
- 1,85 |
Kenya |
4,3 |
1,5 |
- 2,8 |
Maroc |
6 |
7,5 |
1,5 |
Nigeria |
3,9 |
2,2 |
- 1,7 |
Afrique du Sud |
3 |
0,8 |
- 2,2 |
Tunisie |
6,5 |
5,2 |
- 1,3 |
Zambie |
3 |
0,6 |
- 2,4 |
Zimbabwe |
5,5 |
2 |
- 3,5 |
Afrique |
4,5 |
3,3 |
- 1,2 |
Source : Banque africaine de développement
Au-delà de ces effets statistiques, il paraît important
d'étudier les modes de diffusion de la crise de l'Asie vers l'Afrique,
qui en révèlent les aspects les plus durables.
L'Afrique au bord du chemin
Alors
que l'Asie a renoué avec les taux de croissance du passé,
l'Afrique, notamment subsaharienne, toujours tributaire des exportations de
matières premières, secouée par des
événements meurtriers, handicapée par le niveau
élevé de sa dette n'a connu qu'une croissance économique
de 2,3 % en 1999, inférieure à la croissance
démographique, avec pour conséquence la diminution du revenu
moyen par habitant (-0,3 %). Près de la moitié de sa population
vit en état de pauvreté contre 15 % dans le monde entier. Les
investissements en Afrique n'ont pas cessé de chuter depuis dix ans. La
part du continent dans le commerce mondial est passée de 1,5 % en 1990
à 0,6 % en 1998.
Ce phénomène s'ajoute à celui plus général
de creusement des inégalités dans le monde. La
X
ème
Cnuced réunie à Bangkok a constaté
que les 48 pays les moins avancés représentaient en 1997, dans le
monde, 13 % de la population, 0,6 % des importations et 0,4 % des exportations.
Ils n'étaient que 25 Etats à être classés parmi les
pays les moins avancés en 1971. L'écart entre les pays les plus
riches et les plus pauvres est passé de 1 à 3 en 1820, à 1
à 11 en 1913, 1 à 35 en 1950, 1 à 44 en 1973, 1 à
72 en 1992 et 1 à 127 en 2000. Trois milliards de personne vivent
aujourd'hui avec moins de deux dollars par jour. La dette des pays en voie de
développement est passée de 1.500 milliards de dollars en 1990
à 2.300 milliards de dollars en 2000.
Sources : Cnuced,
Newsweek
,
Jeune Afrique
Pour les pays d'Afrique, la crise asiatique a eu pour conséquences
immédiates d'une part une très forte dépréciation
des monnaies, se traduisant par une augmentation du prix des produits
exportés en Asie, d'autre part, une contraction très forte de
leur demande intérieure et une baisse du volume de ces exportations vers
cette zone. Comme l'explique la Banque africaine de
développement
12(
*
)
,
" en
conséquence, les exportations de l'Afrique vers l'Asie, qui
représentaient 13 % du total des exportations africaines en 1996 (et
dont 4 % étaient destinés au Japon) ont
décliné. "
Les produits les plus affectés furent
les matières premières minérales, les produits
alimentaires, le tabac et les boissons. L'Afrique australe et l'Afrique du
Nord, qui constituent les deux tiers des exportations africaines en direction
de l'Asie, furent les plus touchés, ainsi que les producteurs de
pétrole qui avaient pour clients des pays asiatiques.
Par ailleurs, l'Asie a amélioré sa compétitivité
prix, venant renforcer une tendance déjà en oeuvre s'agissant de
la part de marché de l'Asie sur les marchés internationaux de
certaines matières premières. Or la concurrence était
déjà sévère et avait déjà
touché fortement l'Afrique qui avait perdu des parts de marché
sur tous les produits de base en 20 ans :
Parts sur les marchés internationaux d'exportation (en %)
|
Afrique |
Asie |
||||
|
1970 |
1993 |
Variation |
1970 |
1993 |
Variation |
Cacao |
80,3 |
60,1 |
- 20,2 |
0,4 |
20 |
+ 19,6 |
Café |
24,6 |
14,3 |
- 10,3 |
4,9 |
10,9 |
+ 6 |
Caoutchouc |
7,4 |
5,6 |
- 1,8 |
89,1 |
90,8 |
+ 1,7 |
Bois d'oeuvre |
13,4 |
7,3 |
- 6,1 |
43,3 |
52,5 |
+ 9,2 |
Coton |
30,7 |
17,2 |
- 13,5 |
16,6 |
35,6 |
+ 19 |
Source : Banque africaine de développement
Ainsi, l'Indonésie, la Malaisie, la Thaïlande devraient tirer
profit des aléas monétaires tandis que la Côte d'Ivoire
perdra encore plus pied sur le marché du cacao, ou le Cameroun sur celui
du bois d'oeuvre, ou encore le Kenya sur celui du thé. Il paraît
au total peu probable que la baisse des prix des importations en provenance
d'Asie compense les conséquences négatives de la crise sur les
exportations africaines.
Par ailleurs, la crise asiatique a accentué un mouvement,
déjà amorcé, de baisse des cours des produits de base. Le
baril de pétrole est ainsi passé de 18,8 dollars en 1997 à
12,7 dollars en septembre 1998. L'Algérie et le Nigeria ont durement
ressenti cette chute des cours. Il en va de même pour l'or (qui a
touché l'Afrique du Sud), le cuivre (33 % de baisse des cours en six
mois, qui a frappé de plein fouet la Zambie, directement par les cours
et la baisse de la demande, indirectement en remettant en cause le programme de
privatisation des mines), le bois d'oeuvre, le caoutchouc (baisse des prix de
37 % en un an), le café, le thé, le cacao.
S'agissant des flux financiers, l'impact de la crise a été plus
diffus mais pas moins lourd pour les pays africains en voie de
développement. Les investissements directs les plus concernés
sont concentrés dans les secteurs liés aux matières
premières. La diminution de la demande mondiale de ces produits a
affecté la rentabilité des investissements réalisés
dans ces domaines et a conduit les grandes entreprises à revoir leurs
projets.
L'accès aux marchés financiers a été
également rendu plus délicat par la crise asiatique. Le
différentiel de taux s'est creusé et il est devenu difficile de
recourir aux marchés internationaux de capitaux pour financer les
déficits de balances des paiements. De ce point de vue, l'appartenance
à la zone franc a constitué une protection très efficace
pour ses membres. En réalité, cet effet financier a
essentiellement touché les pays intermédiaires, ceux qui avaient
couramment recours aux emprunts internationaux, comme l'Egypte, le Maroc,
l'Afrique du Sud, ou la Tunisie.
En définitive, l'impact de la crise sur les pays en voie de
développement, singulièrement africains, a probablement
été sous-estimé à l'origine en raison de leur
relativement faible insertion dans les échanges internationaux. Cela
était sans compter d'une part sur l'importance que représentent
ces échanges pour l'économie de ces pays, et d'autre part sur les
effets d'éviction (notamment par les taux, mais aussi par la
rentabilité et l'apparence du risque) que la crise a provoqués
sur les marchés financiers. Loin d'être préservés
par leur pauvreté, les pays les moins développés ont
souffert en perdant ou en voyant s'affaiblir leurs sources de financement. Ceci
justifie fortement que se mette en oeuvre la solidarité internationale
à leur égard, notamment en agissant sur le levier de la dette
publique.
Les crises bancaires et monétaires cassent le développement
" Bien qu'il soit généralement admis que
les
pays en développement ont grandement profité de l'afflux
d'investissements étrangers directs, la politique (ou l'absence de
politique) à l'égard des investissements étrangers de
portefeuille et des emprunts extérieurs à court terme est de loi
l'aspect le plus controversé de la libéralisation des
opérations en capital. L'instabilité des marchés
financiers et monétaires observée à la fin des
années 90 est étroitement liée à ces flux de
capitaux. Les pays dont la dette à court terme est très
importante sont à la merci des brusques revirements des investisseurs.
La réorientation massive des flux de capitaux qui en résulte a
souvent des effets désastreux sur les systèmes
financières, même les plus solides. Les crises économiques
provoquées par ces fluctuations ont coûté fort cher aux
pays concernés - touchant non seulement les emprunteurs, mais aussi
l'ensemble de la société. Elles ont entraîné une
flambée du chômage et une baisse des salaires de 25 % ou
plus. Des petites entreprises modérément endettées se sont
trouvées privées d'accès au crédit ou
confrontées à des taux d'intérêt exorbitants. Les
faillites se sont multipliées, contribuant au chaos économique et
à la destruction d'un capital de savoir et d'organisation qui ne pourra
être reconstitué avant longtemps. (...)
L'expérience des 20 dernières années ne laisse subsister
aucun doute quant au coût des crises bancaires globales. Entre 1977 et
1995, 69 pays ont été confrontés à une crise
bancaire si grave que leurs banques ont perdu la quasi-totalité de leur
capital. Leur recapitalisation a coûté fort cher à l'Etat,
engloutissant environ 10 % du PIB en Malaisie (1985-88) et 20 % au
Venezuela (1994-99). Ces crises peuvent freiner la croissance économique
pendant des années. Comme l'ont montré clairement la crise
mexicaine en 1994 et la crise asiatique en 1997-98, les crises bancaires et
monétaires vont souvent de pair.
La libéralisation des opérations en capital influe aussi sur la
stabilité du système financier en raison de la volatilité
des investissements de portefeuille. En Amérique latine, les capitaux
étrangers ont été très fluctuants. En 1993, les
entrées nettes s'élevaient à 60 milliards de dollars
mais, au lendemain de la crise mexicaine en 1995, les sorties nettes ont
atteint 7,5 milliards de dollars. L'accès à une masse
croissante de capitaux internationaux peut engendrer une plus grande
instabilité sur les marchés financiers émergents, qui sont
aussi plus vulnérables aux revirements des investisseurs
institutionnels. (...)
La hausse des taux dans les pays industriels accroît le risque de crise
bancaire dans les pays en développement et les pays en transition, pour
trois raisons. D'abord, pour retenir les investisseurs qui peuvent
désormais obtenir des rendements plus élevés chez eux, les
banques des pays en développement doivent relever leurs taux. (...).
Ensuite, comme les entreprises des pays en développement sont nombreuses
à emprunter à l'étranger, la hausse des taux
d'intérêt dans les pays industriels provoque un choc
macro-économique collectif, mettant les entreprises dans
l'impossibilité de rembourser les prêts consentis par les banques
nationales et étrangères. Les bilans se détériorent
encore plus si la hausse des taux d'intérêt dans les pays
industriels entraîne la dépréciation de la monnaie des pays
en développement, ce qui a pour effet d'accroître le coût du
remboursement des emprunts en devises. Enfin, les attaques spéculatives
peuvent sérieusement compromettre la stabilité du système
bancaire d'un pays en développement. (...)
La crainte d'une attaque spéculative contre les banques ou la monnaie
peut provoquer d'elle-même un mouvement de panique, déclenchant
une crise macro-économique artificielle. (...)
Les deux crises financières récentes en Asie de l'Est et en
Amérique latine donnent à penser que la proximité
géographique est un important facteur de contagion. La
" similarité institutionnelle ", c'est-à-dire les
analogies entre systèmes juridique et réglementaire, et
l'exposition aux mêmes chocs peuvent également être des
facteurs importants. Les pays ont donc intérêt à veiller
à ce que le système financier et la politique
macro-économique de leurs voisins n'augmentent pas le risque de crise
financière et de contagion. Les retombées possibles
par-delà les frontières sont une raison impérieuse de
renforcer la coopération et la coordination régionales dans le
domaine macro-économique et dans celui de l'établissement et de
l'application des normes et des règlements bancaires.
Des comparaisons internationales récentes montrent que le contrôle
des mouvements de capitaux a peu d'effet sur la croissance économique.
Cette observation signifie sans doute que les avantages de l'accès
à la masse des capitaux circulant dans le monde - notamment la
possibilité d'augmenter les investissements ou de diversifier les
risques - sont neutralisés par le coût des crises
provoquées par la libéralisation du système financier.
Bien qu'il faille toujours interpréter avec prudence les comparaisons
d'un pays à l'autre, celles-ci mettent bien en évidence la
différence entre les effets sur la croissance économique de la
libéralisation des échanges et de la libéralisation des
opérations en capital. De multiples études sur la
libéralisation des échanges concluent toutes aux nombreux
avantages de cette politique, mais les travaux empiriques sur la
libéralisation des opérations conduisent à un constat
beaucoup plus nuancé. La difficulté est donc d'élaborer
des politiques et un cadre institutionnel suffisamment attrayants pour attirer
des investissements susceptibles de stimuler la croissance, tout en
réduisant le risque de crise financière grave. "
Source : Banque mondiale,
Rapport sur le développement dans le
monde 1999-2000
, éditions Eska / Banque mondiale, Paris, 2000, pages
78 et 79.
3. Des effets asymétriques entre les pays développés
Si les
crises financières récentes ont entraîné des effets
asymétriques entre les pays en développement et les pays
développés, une caractéristique identique doit être
relevée quant aux effets de ces crises sur cette dernière
catégorie de pays.
Si l'Europe et le Japon ont été sérieusement atteints,
les Etats-Unis ont peu souffert de la crise et semblent même en avoir
tiré certains bénéfices.
Cette analyse se vérifie d'abord sous un angle purement
macro-économique.
La contraction du commerce mondial qui est
intervenue après le déclenchement de la crise est principalement
venue de la réduction de la demande exprimée par les pays
asiatiques en crise et par certaines économies d'Europe centrale et
orientale. Dans sa composante asiatique, elle a touché de plein fouet le
Japon et cet effet, sensible pour l'Europe, a été encore
accentué pour elle par la composante européenne de la crise. Si
la France a été relativement épargnée du fait de la
composition sectorielle de son économie, l'exposant relativement peu
à la chute des exportations industrielles par laquelle s'est
principalement traduite la réduction des importations des pays en crise,
il n'en est pas allé de même pour l'Italie et l'Allemagne qui ont
été tout particulièrement concernés.
Quant aux Etats-Unis, si la crise du commerce international a pu
dégrader encore leurs déséquilibres extérieurs, la
sensibilité de l'activité économique américaine
à la demande étrangère n'y est pas telle que ce
phénomène ait pu sérieusement affecter une croissance
soutenue par une forte demande interne. Il faut ajouter que les Etats-Unis
jouissent toujours du privilège de financer leur croissance grâce
à l'épargne mondiale, privilège que les crises ont encore
accentué.
Car c'est également sur le plan des enchaînements
macrofinanciers que les effets des crises récentes se sont
révélés asymétriques.
L'atténuation du
rythme de la croissance mondiale, la réallocation des flux financiers
vers les supports les plus crédibles ( le fameux
fly to
quality
) ont favorisé d'une part une détente des taux
d'intérêt, d'autre part le financement de la croissance des pays
occidentaux. Ces effets n'ont pas été négligeables pour
l'Europe mais ont principalement bénéficié aux Etats-Unis
en soulageant l'économie américaine du poids de primes que sa
situation fortement débitrice et les perspectives incertaines du dollar
auraient pu lui valoir
13(
*
)
.
Ces enchaînements macrofinanciers dissemblables ont été
confortés et amplifiés par des réalités
microfinancières nuancées qu'il convient maintenant
d'expliquer.
L'ensemble des banques des pays développés ont augmenté
considérablement leurs engagements en Asie jusqu'à la fin de
l'année 1996. Puis ces engagements se sont réduits à
partir de l'année 1997.
Evolution des créances bancaires internationales des pays développés sur l'Asie entre 1994 et 1998
(en milliards de $)
Total
(pays développés)
Source : Rexecode à partir de données de la BRI
Cependant, le niveau des engagements des banques occidentales sur l'Asie et leur évolution au cours de cette période ont été très contrastés selon l'origine géographique des établissements bancaires. Les graphiques ci-après, réalisés à partir des données de la Banque des règlements internationaux, illustrent des réalités financières profondément disparates.
Banques américaines
Source : Rexecode à partir de données de la BRI
Banques européennes
Source : Rexecode à partir de données de la BRI
Banques japonaises
Source : Rexecode à partir de données de la BRI
* 18
pays : Etats-Unis, Canada, Japon, Norvège, Suisse, UE (hors
Portugal et Grèce) ; 1
er
trimestre 1998.
Il apparaît d'abord que les niveaux de départ des engagements
respectifs des banques américaines, européennes et japonaises en
Asie étaient inégaux. En 1994, les banques américaines ne
portaient que 11,8 % du total des engagements bancaires en Asie, les
banques japonaises et européennes représentant donc, à peu
près moitié-moitié, l'essentiel des engagements bancaires
des pays développés dans la zone.
Cette inégale exposition s'est renforcée au cous des
années suivantes. Les banques américaines n'ont que peu
augmenté leurs engagements en Asie jusqu'à la crise. Les banques
japonaises ont développé leurs engagements plus substantiellement
mais sensiblement moins que les banques européennes. A mi-97, les
engagements des différents intermédiaires se
répartissaient ainsi par origine nationale.
Répartition des engagements bancaires des pays développés en Asie par origine mi-97
(En %)
Banques américaines |
Banques japonaises |
Banques européennes |
10,4 |
36,2 |
53,4 |
Ces
évolutions disparates ne peuvent être entièrement
élucidées. Le marasme économique en Europe et
le
credit crunch
observé au cours de la période
ont sans doute entretenu une orientation des banques européennes vers
l'Asie qui apparaît comme la région la plus dynamique. Il est
possible que les difficultés économiques du Japon n'aient pas
produit les mêmes comportements chez des banques japonaises alors en
grande difficulté. Enfin, le dynamisme d'une économie
américaine très autocentrée a probablement polarisé
le secteur bancaire américain sur sa propre économie. Pourtant
ces explications ne peuvent être considérées comme en
excluant d'autres plus étroitement en rapport avec les conditions
mêmes dans lesquelles les établissements bancaires ont
été gérés de part et d'autre.
Il est permis d'évoquer de ce point de vue des degrés variables
de réactivité aux risques.
Cette hypothèse que l'inégale exposition des banques sous revue
aux risques asiatiques tend à valider
ex-post
se
nourrit surtout du constat d'un désengagement plus précoce des
banques américaines et japonaises, à la veille de la crise
asiatique, tandis que les banques européennes ont plus tardé
à réagir.
Le tableau ci-dessous témoigne de cette situation à fin juin 1998.
Créances bancaires internationales des pays
développés
(a)
sur le reste du monde
Montant en milliards de dollars
(fin juin 1998)
Nationalité de la banque
Créances sur : |
E-Unis |
Japon |
R.Uni |
Allemagne |
France |
Italie |
Espagne |
Zone euro (hors Portugal) |
Total Pays développés |
RESTE DU MONDE (b) |
125,5 |
142,7 |
96,7 |
194,0 |
116,4 |
43,8 |
50,3 |
528,5 |
1119,5 |
Autres pays développés (c) |
16,2 |
19,8 |
23,9 |
38,7 |
17,1 |
7,2 |
8,2 |
95,3 |
216,4 |
Europe de l'Est
|
12,4
|
4,1
|
3,9
|
52,5
|
11,1
|
6,4
|
0,9
|
92,4
|
133,4
|
Amérique latine |
64,2 |
14,8 |
23,1 |
39,5 |
25,1 |
14,3 |
36,6 |
140,7 |
295,7 |
dont
Mexique
|
16,7
|
4,4
|
5,7
|
6,1
|
6,1
|
2,1
|
6,0
|
24,8
|
62,9
|
Moyen Orient |
5,3 |
3,0 |
6,5 |
11,6 |
7,0 |
2,5 |
0,4 |
25,7 |
57,3 |
Afrique |
4,8 |
2,3 |
3,9 |
9,4 |
18,7 |
2,9 |
1,4 |
39,4 |
58,3 |
Asie
|
22,6
|
98,5
|
30,2
|
42,2
|
35,4
|
4,2
|
1,9
|
120,5
|
324,8
|
Institutions internationales |
0,0 |
0,0 |
5,0 |
0,0 |
0,0 |
6,4 |
0,7 |
9,5 |
20,8 |
Autres |
0,0 |
0,0 |
0,4 |
0,0 |
1,9 |
0,0 |
0,1 |
5,0 |
12,7 |
a) La
BRI retient 18 pays :Etats-Unis, Canada, Japon, Norvège, Suisse et
l'Union européenne (moins le Portugal et la Grèce)
b) Ce total ne prend pas en compte les 18 pays retenus par la BRI, ni les
centres bancaires
offshore
c) Principalement Australie, Grèce, Nouvelle-Zélande,
Portugal, Turquie.
Source : Rexecode
Un engagement bien supérieur des banques européennes et une plus
grande hésitation à réagir ont constitué un couple
de facteurs à partir duquel les banques européennes ont davantage
souffert des crises que leurs concurrentes américaines et même
japonaises.
Selon toutes vraisemblances, les créanciers européens ont
également moins profité des corrections d'actifs auxquelles ont
donné lieu les plus récentes crises.
II. LA NÉCESSITÉ D'UNE NOUVELLE RÉGULATION
La
traversée sereine des crises de 1997 et 1998 par certains pays en
développement ou émergents relativement fermés aux
capitaux extérieurs comme la Chine, l'Inde ou la Malaisie laisse parfois
penser que l'accès à l'OCDE et à la mondialisation des
échanges est en soi facteur de difficultés économiques
pour le monde en développement, et qu'il pourrait être
bénéfique de revenir sur cette évolution.
Mais, outre que cela serait renoncer aux aspects bénéfiques de
l'internationalisation des échanges décrits ci-dessus, il est
hautement improbable qu'une telle action à rebours de l'économie
mondiale soit possible. Car les pays qui décident de refermer leur
économie sont contraints de renoncer aux biens et services qu'ils ne
produisent pas et ne sauraient pas nécessairement fabriquer à un
coût acceptable pour leur population, ainsi qu'aux capitaux
extérieurs dont ils peuvent avoir besoin pour financer leur
développement. Ce retour vers l'autarcie s'apparenterait à un
mouvement d' " albanisation ", selon le terme appliqué
à l'Albanie de l'époque d'Enver Hodja, dont l'indépendance
économique et financière se payait d'une très grande
pauvreté et d'un retard scientifique et technologique
considérable.
De ce point de vue, la constitution de zones économiques et
monétaires vastes et bien intégrées permet de retrouver
une certaine autonomie avec un bon niveau de développement :
l'Union européenne en est un exemple.
Tout concourt au contraire à une intensification des flux
d'échanges économiques et financiers à travers le monde,
avec, au premier chef, le développement des techniques de transport et
de communication.
Toutefois, si la mondialisation est inéluctable et profitable, il ne
relève pas de la nécessité qu'elle soit anarchique. Elle
peut être contrôlée, elle peut être
régulée : il appartient à la communauté
internationale qu'il en soit ainsi. Il lui appartient de mettre en place des
garde-fous, des régulateurs, c'est-à-dire des outils qui
permettent d'en éviter les effets excessifs ou pervers. C'est au
demeurant sur le fondement d'une telle analyse qu'est née l'Organisation
mondiale du commerce au sommet de Marrakech en 1994 : pour la
première fois dans l'histoire des relations économiques
internationales se mettait en place un système juridictionnel à
vocation mondiale, assurant le règlement des litiges
interétatiques nés de l'application de règles du jeu
choisies d'un commun accord.
A. L'IMPOSSIBLE RETOUR À L'ANCIEN SYSTÈME MONÉTAIRE INTERNATIONAL
Le
système monétaire international issu des accords de Bretton Woods
a disparu, en matière monétaire, le 15 août 1971 quand le
président Nixon a décidé la suspension de la
convertibilité en or du dollar. Dans le système monétaire
international mis en place en 1945, les taux de change étaient maintenus
fixes par rapport au dollar, ce dernier étant convertible en or (35
dollars l'once) et les monnaies pouvant varier de plus ou moins 0,75 % autour
de leur cours pivot. La mobilité très réduite des
capitaux, l'absence de convertibilité des monnaies européennes
jusqu'en 1958 et la difficulté à mobiliser des ressources
extérieures encadraient strictement le système. La
défiance croissante vis-à-vis du dollar à partir du
début des années soixante et le développement des
économies européenne et japonaise ont considérablement
ébranlé le système de Bretton Woods : les dollars se
sont accumulés hors des Etats-Unis dans des proportions bien
supérieures aux disponibilités en or de la Réserve
fédérale. L'éclatement du système de taux de change
fixe a alors conduit, en 1973, au choix d'un système de changes
flottants avec libre circulation des capitaux et autonomie de la politique
monétaire.
Les pays ayant mis en place des mécanismes de changes flottants mais
encadrés (le tunnel européen) n'ont pas davantage tenu le choc et
le système monétaire international actuel se retrouve être
celui d'une complète liberté des changes. Tous les pays n'y ont
pas recouru immédiatement, mais il convient de remarquer que depuis
l'explosion du système de Bretton Woods ; ils sont toujours plus
nombreux à avoir dû, sous la pression des
événements, consentir à adopter un taux de change flottant.
Les régimes de changes des pays membres du FMI
Régimes de changes* |
1978 |
1983 |
1988 |
1992 |
1998 |
Fixité par rapport à une monnaie |
64 |
52 |
58 |
57 |
48 |
dont USD |
43 |
34 |
39 |
26 |
18 |
Fixité par rapport à un panier |
36 |
40 |
39 |
31 |
18 |
Flexibilité limitée, serpent, autres parités fixes avec marges étroites de fluctuation |
4 |
7 |
7 |
8 |
17 |
Parités glissantes et flottement géré |
7** |
29 |
27 |
30 |
55 |
Flottement libre |
27*** |
9 |
17 |
48 |
46 |
Total |
138 |
137 |
148 |
174 |
184 |
*
Situation prévalant en début d'année
** Parités glissantes seulement
*** Y compris flottement géré
Sources : FMI, Exchange Arrangements and Exchange Restriction (divers
numéros), Paribas
La situation de flottement total
de facto
dans laquelle se retrouvent la
plupart des pays touchés par la crise asiatique pour retrouver une
certaine compétitivité prix et la maîtrise de leur
politique monétaire n'apparaît cependant pas comme une solution
satisfaisante et tenable à terme
14(
*
)
.
Elle engendre en effet des distorsions durables et importantes des taux de
change (
misalignments
) qui contraignent à des ajustements brutaux
et déstabilisateurs. De plus, la volatilité constitue un facteur
d'insécurité peu propice aux transactions et aux investissements.
Elle est porteuse d'inflation en cas de croissance retrouvée et de
hausse du prix des importations. Le risque de dépréciation de la
monnaie confère une très forte instabilité aux taux
d'intérêt et donc à l'ensemble du système bancaire
et financier national. Les taux d'intérêt réels subissent
un
spread
défavorable. Bref, la flexibilité totale des
changes transfère le risque sur les agents économiques alors
même que ceux-ci ne sont probablement pas en mesure de
l'assumer
15(
*
)
.
Le cavalier seul de la Malaisie
En
septembre 1998, la Malaisie a pris la décision de refuser le plan de
réformes et l'aide qui y était liée proposés par le
Fonds monétaire international et de recourir à des mesures peu
propices à la reconquête de la confiance internationale :
contrôle des changes, blocage puis taxation du rapatriement des fonds
investis et refus de dévaluer le
ringgit
. Alors que les premiers
résultats apparaissaient défavorables à cette
stratégie (le PIB a reculé de 7,5 % en 1998, chiffre cependant
dans la norme des économies asiatiques touchées par la crise),
l'activité a fortement repris en 1999 : recul du chômage,
taux d'intérêt divisés par deux, reprise forte du commerce
extérieur, croissance de 5,9 %, excédent commercial de 19
milliards de dollars. Pour 2000, le gouvernement annonce une croissance
économique de 5,8 %.
Est-ce à dire que le choix de la Malaisie se trouve à l'origine
de ces bons résultats ? L'année 1999 a en effet vu
l'ensemble de la région renouer avec les taux de croissance
passés. Mais la Malaisie n'a pas effectué le travail de ses
voisins en matière de réglementation prudentielle, de
réforme du système bancaire, etc. Et elle a perdu durablement la
confiance des investisseurs internationaux.
Surtout, cette expérience, fort intéressante, n'est absolument
pas transposable à d'autres Etats, en raison des conditions très
spécifiques de l'économie et de la société malaises
exposés en annexe au présent rapport par M. Edouard Braine,
ancien ambassadeur de France à Kuala Lumpur.
Faut-il pour autant revenir à la philosophie précédente et
aux taux de change fixes ? Il semble que cette solution doive être
écartée. Le Japon a formellement proposé le 2 mars 1998 de
revenir à un système de parité fixe entre les trois
grandes monnaies internationales que constituaient le dollar, le yen et le
futur euro. Cela partait du constat de la volatilité plus forte des taux
de change au cours des trois années ayant précédé
les débuts de la crise asiatique. Le Japon en tirait la conclusion que
cette instabilité des monnaies les unes par rapport aux autres,
exprimée par le biais du taux de change, se trouvait à l'origine
du déclenchement de la crise.
Il est cependant possible d'inverser le raisonnement et de concevoir cette
instabilité soit comme une des formes de la crise et non comme une de
ses causes, soit comme un phénomène exogène à la
crise. La très forte baisse de la parité de l'euro avec le dollar
tout au long de l'année 1999 montre d'ailleurs que la crise
passée, la volatilité subsiste.
De toute évidence, l'élaboration d'un nouveau système
monétaire international revenant aux sources de Bretton Woods ne
paraît guère envisageable. Il ne faut pas oublier qu'au sein du
SMI sont tout de même survenus de forts déséquilibres
monétaires, que la fixité des taux de change n'a pas pu
empêcher. L'exemple du SME et des crises qu'il a subies en 1992 rappelle
également que la fixité des changes ne se décrète
pas entre gouvernements mais se juge sur les marchés financiers. En
effet, les monnaies sont devenues des actifs financiers à part
entière, soumis à des fluctuations liées aux performances
économiques des Etats mais aussi à d'autres facteurs.
Il apparaît aujourd'hui impossible à qui que ce soit de
défendre une parité fixe des monnaies dans un environnement de
déréglementation totale des transactions financières. Sauf
à réaliser une monnaie unique mondiale, nulle frontière
étatique ne peut s'opposer aux verdicts des marchés et aux
arbitrages financiers qu'ils réalisent.
Les formes plus souples de l'ancrage fixe ont ainsi échoué ces
dernières années
16(
*
)
.
La crise asiatique a montré les limites du mécanisme d'ancrage
strict d'une monnaie à celle d'un autre pays (
peg
strict) en
l'occurrence le dollar. En effet, cette forte rigidité a eu deux
conséquences au coeur du déclenchement de la crise qu'ont connu
les pays émergents d'Asie : elle a dégradé leur
compétitivité prix et favorisé de manière parfois
artificielle l'entrée des capitaux. Cette surévaluation du taux
de change et cette présence importante de capitaux étrangers au
caractère volatile ont été à l'origine de la crise
à partir du moment où le dollar a commencé à
monter.
Les mécanismes de fixité des changes avaient pu apporter la
stabilité, briser les spirales inflationnistes, supprimer la
volatilité des changes et réduire considérablement les
primes de risque. Cependant, l'inadaptation de la politique budgétaire,
le caractère insoutenable de déséquilibres
macro-économiques ou l'incertitude entourant la qualité des
fondamentaux déclenchent aussitôt une crise contraignant à
l'abandon du régime de fixité.
Même le système du conseil monétaire (
currency
board
), adopté par exemple en Argentine et à Hongkong, ne
semble pas satisfaisant. S'il a conforté la crédibilité de
ces pays et s'il leur a permis
de " compter sur des mécanismes
de stabilisation "
17(
*
)
, le coût
en semble très élevé : dépendance de la masse
monétaire aux réserves de change, conséquences lourdes des
ajustements en termes de croissance économique, de partage des
richesses, de chômage.
Pour toutes ces raisons, le retour à l'ancien système
monétaire international semble davantage relever de l'utopie
généreuse que d'une proposition opérationnelle et efficace
pour l'économie mondiale, sauf à s'inscrire dans le cadre d'une
monnaie-monde qui ouvrirait la voie à d'autres régulations. Le
choix du juste milieu, tant recherché, semble alors la voie d'avenir.
Les propositions sont de deux ordres. On peut concevoir un mécanisme
d'ancrage à un panier fixe de monnaies (proportion
déterminée de la valeur du dollar, ce celle de l'euro, de celle
du yen, etc.). On peut aussi imaginer la création d'un ancrage mobile
(
crawling peg
) vis-à-vis d'un tel panier, en corrigeant
régulièrement les écarts accumulés pour
éviter les réajustements brutaux
18(
*
)
. Enfin, dans les pays développés, les
théories de la zone-cible connaissent un regain d'intérêt
prononcé. Cependant, comme le montre Christian de Boissieu
19(
*
)
, cela supposerait la réduction des
déséquilibres commerciaux, porteurs à terme de
réajustements du taux de change, et une meilleure coordination des
politiques économiques.
B. L'ILLUSION DE LA RECHERCHE D'UNE PLUS GRANDE STABILITÉ VIA L'INSTAURATION DE RÉGIMES DE CHANGE RIGIDES
L'instabilité, monétaire et financière se
nourrit du polycentrisme monétaire. La diversité des monnaies,
l'architecture des parités qu'elles présentent, les occasions
d'arbitrage qui s'ensuivent sont autant d'éléments susceptibles
de produire de la volatilité. Celle-ci, à son tour, mal
maîtrisée, peut engendrer de l'instabilité et introduire de
profonds désordres économiques.
C'est le démantèlement du système monétaire
international inventé à la suite de la guerre à Bretton
Woods autour d'un mécanisme de fixités plus ou moins strictes des
parités qui a créé cette situation dont l'essor des
opérations financières internationales a eu pour effet
d'accroître l'instabilité.
Face aux perturbations associées à l'avènement de ce
non-système monétaire international, des réactions sont
intervenues. Elles ont pour l'essentiel visé un même
objectif : la réduction voire l'élimination des variations
excessives de change.
La poursuite de cet objectif a emprunté des chemins variables.
De ce point de vue, l'on peut d'abord distinguer les solutions
concertées entre plusieurs pays, processus qui trouve sa plus parfaite
illustration dans la construction monétaire européenne, des
initiatives individuelles qui conduisent un pays donné à annoncer
tel ou tel objectif de parité.
Il convient surtout de souligner la gradation des mesures prises pour
réduire l'instabilité monétaire. Elles s'étagent
tout au long d'un spectre qui va d'ancrages nominaux, plus ou moins rigides,
opérés le plus souvent par référence au dollar,
à l'unification monétaire.
Quelques exemples de disciplines de change recherchées à travers une réduction de la volatilité des parités.
La
réduction de la volatilité des monnaies nationales qui peut
être recherchée par d'autres moyens - une politique
économique adéquate par exemple - a donné lieu à
l'adoption de différentes organisations de change basées sur une
plus ou moins grande rigidité des parités.
En effet, si, officiellement, rares sont les pays qui ont notifié au
fonds monétaire international des taux de change fixe - dans les pays
asiatiques par exemple seul Hong Kong avait rattaché officiellement sa
monnaie au dollar -, la plupart des pays émergents avaient adopté
des politiques de change reposant sur des ancrages nominaux plus ou moins
étroits.
Les systèmes suivants peuvent être rappelés :
les bandes de fluctuation autour d'un cours pivot calculé en
fonction d'un panier de devises dominé par le dollar (Chili, Colombie,
Mexique...) ;
les systèmes à crémaillère (
crawling
peg
) ménageant l'éventualité d'ajustements
graduels et adaptés (Brésil, Venezuela) ;
les systèmes de change fixe par rapport au dollar
accompagnés d'une garantie monétaire consistant dans la
constitution de réserves en devises (
currency board
) de
l'Argentine ou de Hong Kong) ;
l'ancrage nominal fixe implicite à un panier de monnaie
dominé par le dollar qu'ont adopté la plupart des pays asiatiques.
Ces approches peuvent se différencier au regard du degré de
rigidité de la relation de change entre la monnaie nationale et les
devises étrangères. Elles ont en commun des objectifs analogues
qui, tous, se déclinent à partir d'une ambition d'assurer
à la monnaie nationale une meilleure crédibilité.
Ces engagements de change équivalent en effet à des engagements
financiers et économiques. Financiers en ce sens qu'il s'agit de
garantir les investisseurs contre le risque de change. Economiques en ce qu'il
s'agit d'assurer une gestion de l'économie nationale conforme aux
conditions du maintien du taux de change c'est à dire principalement
orientée vers la stabilisation des prix internes.
La préoccupation d'acquérir une réelle
crédibilité n'a rien de l'expression d'une simple fierté
nationale. Elle poursuit des objectifs très concrets : l'obtention
de financements aux meilleurs coûts ; pour les pays fortement
endettés en monnaie étrangère, une garantie contre une
revalorisation de leur dette qui proviendrait mécaniquement d'une
dépréciation de la devise nationale.
L'histoire monétaire montre malheureusement que peu de monnaies sont
susceptibles, dans un monde financier libéralisé,
d'acquérir une telle crédibilité que les flux de devises
ne puissent les déstabiliser.
Quant à l'histoire monétaire des pays émergents, elle
montre que les ancrages nominaux de leurs monnaies ne résistent pas aux
situations d'intense instabilité.
Cette situation s'explique par des facteurs de nature différente. Les
variables macro-économiques ont toutes les chances de jouer à
travers au moins deux types d'enchaînement :
le choix d'une monnaie de référence conduit la plupart du
temps à étalonner la monnaie nationale sur celle des pays
développés (dollar, yen, DM...) ; or, les pays
émergents à forte croissance sont davantage exposés
à l'inflation que les pays de référence ; il s'ensuit
alors une appréciation du taux de change réel dont la
soutenabilité apparaît plus ou moins vite
problématique ;
si l'expérience montre que l'ensemble des pays émergents ne
sont pas incapables d'assurer un équilibre convenable de leur
épargne et de leur investissement domestiques, la probabilité de
déséquilibres extérieurs y est toutefois importante et
susceptible d'altérer la crédibilité de l'ancrage nominal.
A ces raisons macro-économiques s'en ajoutent d'autres fondées
sur des données monétaires et financières. Les crises
asiatiques ont montré l'importance prise par ces derniers
éléments, certaines crises comme celle subie par la Corée
n'apparaissent pas justiciables d'explications strictement
macro-économiques. Au demeurant, il apparaît que de nombreux
modèles internes aux banques et construits sur des liaisons
économétriques de type macro-économique n'ont pas permis
d'anticiper les crises asiatiques après prise en compte des
évolutions ayant précédé la crise.
Aux explications traditionnelles de l'effondrement des cours de change des pays
à fort ancrage nominal, il faut de ce point de vue ajouter une
explication plus systémique.
Les sources de faiblesse traditionnellement avancées consistent pour
l'essentiel en une insuffisance des réserves de change mobilisables pour
stabiliser la monnaie et en l'absence de crédibilité de la
politique monétaire pour les pays fortement endettés à
court terme. L'incapacité à relever les taux
d'intérêt courts devant l'immédiate pénalisation des
débiteurs qui s'ensuit, constitue un handicap majeur de
crédibilité de la politique monétaire et, par
conséquent, de la crédibilité des monnaies
concernées.
Plus fondamentalement, il convient de souligner le renforcement de l'autonomie
des comportements financiers.
Ces constats conduisent alors à s'inquiéter de ce que l'affichage
explicite ou implicite d'une politique de change basée sur un ancrage
nominal puisse constituer en soi pour des monnaies sans statut international
fort, une source de vulnérabilité.
La question des solutions alternatives doit alors être posée.
L'Europe en a construit une avec l'adoption de l'euro, c'est-à-dire
à travers la constitution d'une zone monétaire unique,
éliminant les variations de change entre des économies
très interdépendantes, et susceptible de donner naissance
à une monnaie à statut international. De nombreux projets
régionaux existent ailleurs et notamment en Asie avec l'
Asian
currency unit
(l'ACU). Il faut pourtant tempérer les
espérances qui accompagnent de tels projets. La construction d'une zone
monétaire unique est soumise à de strictes conditions de
viabilité et, en particulier, au constat d'une convergence nominale et
réelle suffisante entre les pays qui partagent une même monnaie.
Une telle situation n'apparaît pas réunie pour les pays asiatiques
ou d'Amérique latine dont l'interdépendance économique
justifierait l'adoption d'une monnaie unique.
En outre, il y a plus qu'un pas entre l'adoption d'une telle monnaie et son
avènement au statut de monnaie internationale. Ce qui est encore vrai
pour l'euro le serait bien plus pour des pays insuffisamment proches.
Il reste que le souci d'accroître la stabilité de leurs monnaies
conduira très légitimement les pays qui souffrent de la faiblesse
du statut de leurs devises à rechercher dans des unifications
monétaires une solution de remplacement à des ancrages nominaux
stricts insoutenables.
Il n'est pas sûr que le monde en sortira monétairement plus
stable, les unions monétaires risquant d'être contestées
à travers des volatilités supérieures entre des monnaies
certes moins nombreuses mais de plus en plus concurrentes.
Il ne s'agit ici que de prospective et il convient de revenir à des
données plus immédiates exposant les autres méthodes
alternatives à l'ancrage nominal, employées pour stabiliser le
change des pays les plus fragiles en la matière.
L'adoption de politiques économiques destinées à
préserver la stabilité des prix et les équilibres
extérieurs représente une voie d'autant plus fréquemment
empruntée qu'elle est prônée par les institutions
financières internationales. Il peut s'agir d'une discipline douloureuse
méritant à ce titre d'être accompagnée. Si on voit
mal comment s'en passer - sauf l'exception ci-après mentionnée -,
il ne faut pas lui prêter des vertus qu'elle ne peut avoir.
Elle ne garantit pas contre des mouvements de change suscités par des
comportements financiers qui ont acquis leur autonomie. Nécessaire,
cette option n'est pas suffisante.
Une autre méthode, parfois empruntée, consiste en un renoncement
au bénéfice de la libéralisation des flux
monétaires et de capitaux. On en a évoqué plus avant les
limites évidentes.
En revanche, il est très fortement recommandable que les
autorités responsables des changes suivent avec attention les principaux
déterminants monétaires des risques de change. En la
matière, la crise asiatique a montré l'importance fondamentale du
ratio " endettement extérieur/crédits domestiques "
dont l'évolution mérite donc un suivi particulier.
Evolution du ratio " Emprunts bancaires de cinq pays asiatiques auprès des banques étrangères/crédits domestiques " *
|
En % du crédit domestique |
Stock en milliards de dollars |
|||
|
1990 |
1997 T2 |
1990 |
1997 T2 |
1998 T2 |
Indonésie |
11 |
18 |
5 |
25 |
18 |
Corée |
16 |
30 |
21 |
92 |
61 |
Malaisie |
14 |
24 |
4 |
25 |
19 |
Philippines |
70 |
25 |
6 |
12 |
10 |
Thaïlande |
17 |
46 |
8 |
86 |
55 |
*
mesuré par les actifs des banques enregistrées à la BRI
vis-à-vis des banques des pays énoncés ci-dessus
Source : FMI, données nationales et BRI
Certains pays ont pu trouver dans l'instauration de barrières à
l'entrée des capitaux étrangers (Indonésie) ou des
capitaux les plus courts (Chili) un moyen de maîtriser ce ratio.
Il semble plus judicieux de conférer aux banques centrales la
tâche d'adapter son évolution compte tenu des risques qu'elle est
susceptible de révéler.
L'instrument existe avec le ratio des avoirs de réserve par rapport aux
engagements courts en devises, que les banques centrales devraient mobiliser
davantage en le faisant varier en fonction de l'intensité des flux
d'entrée de capitaux courts étrangers et des risques qui y sont
associés.
Les expériences des crises financières et monétaires
les plus récentes ne conduisent pas à dénier tout
intérêt à des politiques de change bien conçues et
appuyées sur des politiques économiques soutenables. Elles
disqualifient les options de change excessivement prévisibles ou
insoutenables.
Elles démontrent surtout que la stabilité
des changes appelle une rationalisation des comportements financiers.
C. DES SOLUTIONS GLOBALES UTOPIQUES
1. Le mirage de la taxe " Tobin " sur les mouvements de capitaux
L'idée d'une taxe universelle sur les mouvements de
capitaux
a été développée en 1978 par l'économiste et
prix Nobel (1981) américain James Tobin, qui estimait nécessaire
de
mettre un grain de sable dans les rouages du système
monétaire international.
Cette taxe porterait sur toutes les
opérations de change privées, avec un faible taux, afin de ne pas
affecter les mouvements de capitaux à long terme. En revanche, une telle
taxe devrait dissuader et freiner les transactions spéculatives, puisque
les fréquents aller et retour des capitaux entraîneraient un
surcoût important.
L'idée de James Tobin devait permettre, en
réduisant les mouvements de capitaux spéculatifs qui profitent
des écarts de taux d'intérêts réels, de redonner une
marge de manoeuvre aux politiques monétaires nationales, et d'assurer
une plus grande stabilité du processus de formation des prix sur les
marchés financiers. Le produit de cette taxe serait consacré
à l'aide publique au développement.
La crise asiatique a renforcé la conviction des personnes qui
soulignaient les effets pervers de la mondialisation, et, en particulier, de la
libéralisation des mouvements de capitaux. La multiplication des
instruments financiers permettant de prendre des positions à terme sur
le marché des changes au cours de la dernière décennie a
nourri la spéculation, en particulier sur le marché des changes,
entraînant une plus grande volatilité et une plus grande
fragilité des monnaies.
Ce constat, ainsi que la redistribution du produit de la taxe sur les
mouvements de capitaux en faveur des pays en voie de développement,
suscite désormais l'intérêt, sinon l'adhésion d'une
partie de la classe politique française. L'idée paraît en
effet généreuse et séduisante par sa simplicité. Il
convient cependant d'en évaluer la faisabilité d'une part, et
l'efficacité d'autre part. En effet, une telle taxe, souvent
présentée comme un remède miracle aux excès des
marchés par ses promoteurs, doit être évoquée comme
une utopie et ne tient pas compte de la complexité des mécanismes
financiers.
a) L'impossibilité de mettre en oeuvre une taxe sur les mouvements de capitaux, ou la contrainte d'universalité
Lionel
Jospin s'était déclaré favorable à une taxe sur les
mouvements de capitaux avant d'être nommé premier ministre. Il a
cependant abandonné cette idée depuis : dans sa
réponse à une question du député Jean-Claude
Lefort, publiée au
Journal officiel
le 1
er
mars 1999,
le gouvernement a fourni les indications suivantes : "
Il serait
inexact (...) de considérer que tous les mouvements de capitaux
internationaux, fussent-ils spéculatifs et/ou n'ayant pas pour objet de
servir l'intérêt général, ont des effets nocifs.
(...) La taxe Tobin paraît cependant, dans l'état actuel du
débat international, notamment en raison de la vive opposition des
Etats-Unis, impossible à mettre en place au niveau mondial. Or,
l'idée ne vaudrait que si elle était appliquée partout,
faute de quoi elle serait inefficace
. ". Le gouvernement expose donc
de manière claire les obstacles comme les limites d'une taxe Tobin.
Au cours de son audition par le groupe de travail, M. Christian de Boissieu a
souligné l'impossibilité d'une application universelle de la taxe
Tobin. En effet, les pays qui n'adhéreraient pas à la convention
instituant une telle taxe (ce qui est inévitable, compte tenu de
l'avantage inhérent à un tel comportement de " passager
clandestin ") constitueraient de fait des places
offshore
vis-à-vis des pays partie prenante à la convention.
Une
taxe sur les mouvements de capitaux limitée à quelques pays,
même à un très grand nombre d'entre-eux, ne provoquerait
sans doute qu'un déplacement des transactions vers les autres pays. Le
développement des transactions via le réseau internet
faciliterait de surcroît le contournement d'une telle taxe.
b) Les effets pervers d'une taxe " aveugle " sur les mouvements de capitaux
Les
effets pervers de la création d'une taxe sur les mouvements de capitaux
ne sont pas à négliger. En effet, la spéculation constitue
un acte utile pour le développement des échanges internationaux.
Le spéculateur s'engage à acheter ou à vendre à
terme un bien pour une valeur déterminée, en cherchant soit
à se mettre à l'abri des variations des cours, soit à
s'enrichir en profitant de ces variations.
Un contrat à terme s'analyse comme un transfert de risque de celui qui
veut se couvrir vers celui qui accepte de couvrir ce risque contre
rémunération. Ces contrats permettant aux exportateurs et aux
importateurs de s'assurer contre les variations des cours des devises, la
création d'une taxe sur les mouvements de capitaux entraînerait un
renchérissement du coût de la couverture des risques, et serait
donc dommageable aux échanges de biens. Lors de son audition par le
groupe de travail, M. Christian de Boissieu a souligné
l'impossibilité de distinguer les opérations purement
spéculatives des opérations financières liées au
commerce international, ce qui constitue un obstacle sérieux à
l'établissement d'une taxe sur les mouvements de capitaux.
La taxe Tobin pourrait également avoir des effets contraires à
ceux recherchés. En effet, en renchérissant le coût des
transactions sur les marchés des changes, elle limiterait la
diversification internationale des risques des institutions financières,
et pourrait donc entraîner une plus grande vulnérabilité de
l'épargne investie à l'étranger. La taxe frapperait
essentiellement les mouvements de capitaux spéculatifs sur le
marché des changes, généralement motivés par des
variations très faibles des parités entre les monnaies. Or, il
convient de rappeler que la volatilité quotidienne provoquée par
ces transactions ne constitue pas un danger pour l'économie
réelle. L'ampleur de cette spéculation peut, au contraire, avoir
un effet stabilisateur sur les marchés, car l'équilibre
découle des anticipations des différents acteurs,
généralement fondées sur la faible probabilité d'un
retournement soudain du marché. En réduisant le nombre de
transactions et la liquidité des marchés financiers, la taxe
Tobin pourrait accroître l'ampleur des variations des prix et
l'instabilité des marchés. M. Jean-Pierre Landau illustre cette
idée en rappelant que "
le jet d'une pierre dans un grand lac
produit des remous invisibles ; dans une petite mare, il provoque des
vagues de grande ampleur.
".
20(
*
)
La volatilité excessive des marchés est celle qui entraîne
des fluctuations importantes des taux de change, ou qui conduit à des
taux de change sans rapport avec les données fondamentales de
l'économie réelle. Compte tenu de l'ampleur des gains provenant
à de tels écarts, cette volatilité, qui n'est pas
liée fondamentalement au volume ou à la durée de placement
des capitaux, ne pourrait pas être contenue par l'instauration d'une taxe.
Les principales crises financières qui justifient, aux yeux de ses
promoteurs, la création d'une taxe Tobin, ne seraient donc pas
empêchées par celle-ci, compte tenu de l'ampleur des
dévaluations qui ont eu lieu en Asie. On rappellera à cet
égard que les coûts de transaction n'ont jamais constitué
un rempart efficace aux maux de l'instabilité financière
internationale.
Enfin, une moindre liquidité des marchés
pourrait, en amplifiant les mouvements de panique, accroître au contraire
les risques systémiques.
2. L'utopie de la monnaie mondiale
Enfin,
plus ambitieuse encore, est l'idée de concevoir un système
international unique, construit autour d'institutions communes, d'une seule
monnaie, de règles financières, bancaires, prudentielles
uniformes dans le monde entier. Dans cette étape ultime du capitalisme,
l'ensemble des crises serait résolu par un prêteur unique en
dernier ressort. Elles seraient toutes prévenues par
l'établissement et le respect au plan mondial de règles strictes.
Les échanges s'effectuant tous dans une monnaie mondiale, les
problèmes de change et de dévaluation disparaîtraient. Les
fiscalités deviendraient parfaitement harmonisées pour supprimer
toute concurrence fiscale. L'information économique circulerait de
façon parfaite. Bref, d'international, le système
monétaire et financier deviendrait véritablement mondial. De
nombreuses raisons militent en ce sens : les institutions
financières travaillent de manière mondiale ; les
décisions d'investissement sont mondiales ; le commerce est
mondial ; les marchés financiers sont mondialement
intégrés ; le nombre des monnaies renchérit les
coûts de transaction et suscite une inutile et coûteuse
spéculation. Il s'agit d'une véritable
" monomoney
mania "
pour reprendre le titre d'un article de Paul Krugman
21(
*
)
.
Et pourtant, il n'est nul besoin de démontrer le caractère
irréaliste de telles propositions et, surtout, l'impossibilité
dans laquelle se trouveraient aujourd'hui les organisations internationales
pour en assurer l'application et le respect. D'abord, sur le plan
théorique, le remplacement des taux de change par une monnaie mondiale
ne supprimerait pas pour autant la survenance de crises. De plus, la politique
monétaire et financière a un caractère encore très
national ; les institutions agissent dans un cadre national selon des
politiques définies d'abord au sein de chaque Etat. Les nations
protègent avec beaucoup d'attention leur souveraineté. Comme
l'écrit Barry Eichengreen :
" même en Europe,
où il y a une forte tradition intégrationniste aux racines
intellectuelles remontant à plusieurs siècles, les Etats nations
continuent de veiller jalousement sur leur responsabilité en
matière de régulation des marchés financiers domestiques
et hésitent à se tourner vers une entité
internationale. "
22(
*
)
A ces arguments pratiques s'ajoutent les raisons théoriques qui plaident
en faveur du pluralisme monétaire. Comme le rappelle Paul
Krugman
23(
*
)
, ce débat est ancien et
transcende les écoles traditionnelles. Milton Friedman, constatant qu'il
est parfois nécessaire pour le bon fonctionnement du marché de
réaliser de profonds changements dans le système national des
prix, préfère un ajustement par la monnaie plutôt qu'une
action jouant à la fois sur le niveau d'inflation et le niveau d'emploi
(par exemple lorsque le niveau des salaires en Irlande a besoin d'augmenter par
rapport à ceux de l'Allemagne, il vaut mieux changer de parité
monétaire plutôt que de créer une inflation en Irlande et
une déflation en Allemagne). Friedman compare cela au changement d'heure
au printemps et à l'automne. La principale raison de choisir le
pluralisme monétaire réside ainsi dans l'absorption plus facile
des chocs asymétriques par le biais de l'action sur le taux de change.
De plus, les progrès technologiques facilitent grandement les
transactions en plusieurs monnaies et en diminuent le coût puisque
l'activité de change proprement dite n'a plus qu'une place marginale
avec la dématérialisation. Les innovations financières
permettent, enfin, de se protéger contre les risques de change.
Cependant, comme pour tout système utopique, les raisonnements de base
sur lesquels s'appuient cette idée de système mondial sont
à l'oeuvre aujourd'hui. Le renforcement de la surveillance
macro-économique, l'idée d'une discipline croissante des
mouvements de capitaux, l'association du secteur privé à la
prévention et à la résolution des crises, les
réflexions autour de l'établissement progressif de zones-cibles,
la recherche de normes prudentielles respectées et plus adaptées,
le débat sur le rôle du FMI, l'existence d'un prêteur en
dernier ressort sur la scène internationale et les aléas moraux
qu'il pourrait susciter, constituent autant de pistes aujourd'hui
explorées.
CHAPITRE II :
LES LIMITES DES DISPOSITIFS ACTUELS :
POURQUOI AMÉLIORER LES MODES DE
RÉGULATION ?
Le système financier et monétaire international s'est construit autour de deux polices complémentaires : les organisations internationales, principalement celles de Bretton Woods, et un corpus de normes propres à unifier les pratiques de supervision financière et bancaire. Or ces deux garants de l'équilibre font aujourd'hui la preuve de leurs limites, montrant la nécessité d'une nouvelle régulation.
I. LE RÔLE LIMITÉ ET AMBIGU DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES MULTILATÉRALES
A. LE FMI : UNE ACTION CONTRAINTE ET CONTESTÉE
1. Un rôle limité à la résorption des déséquilibres de la balance des paiements
Le Fonds
monétaire international est une institution centrale du système
monétaire international défini par la conférence de
Bretton Woods. Ses missions ont cependant considérablement
évolué au cours des trente dernières années.
Le
FMI a en effet été créé dans le but de
réguler le système monétaire international de changes
fixes, et de mettre fin aux fréquentes dévaluations
compétitives utilisées au cours des années trente
. Or,
le démantèlement du système monétaire international
fondé sur la fixité des taux de change au début des
années soixante-dix a modifié de manière fondamentale son
rôle, qui demeure cependant essentiel à la stabilité du
système monétaire international.
Le FMI est devenu un instrument de régulation financière et
d'aide aux pays de développement, chargé de permettre à
ces pays de surmonter des crises temporaires de financement de leur
déficit de la balance des paiements. L'action du FMI consiste ainsi
à prêter de l'argent aux pays connaissant ce type de
difficultés, à condition que ceux-ci mettent en oeuvre des
politiques appropriées pour parvenir à l'équilibre de leur
balance des paiements. La limitation du capital du FMI implique que les
prêts aient une durée réduite, afin de disposer constamment
des financements nécessaires pour venir en aide aux pays en crise.
2. L'action du FMI est contrainte par une obligation de prudence...
L'action
du FMI est contrainte par une obligation de prudence dans l'appréciation
des situations financières des pays et par rapport aux signaux qu'il est
susceptible de délivrer aux marchés financiers. Lorsque le FMI
considère qu'une crise va survenir, celle-ci ne se produit pas
nécessairement. Cependant, il doit veiller, en émettant ses
avertissements, à ne pas aggraver la situation qu'il dénonce, en
confirmant les doutes et les réserves des marchés financiers. Ce
risque d'" anticipation autoréalisatrice " constitue une
limite constante à l'action du FMI, qui risque de jouer le rôle
d'un " pompier pyromane ", qui allumerait le feu en tentant
d'éteindre les braises des déséquilibres en formation.
L'économiste Jeffrey Sachs, très critique de l'action du FMI en
Asie, rappellait ainsi en 1998 : "
On compare parfois cette
institution [le FMI] à une compagnie de pompiers. Moi elle me fait
plutôt penser à une personne qui crierait au feu dans un
théatre. Elle a vu quelques flammèches qui pourraient se
transformer en incendie - pour le moment, ce ne sont que des petits
problèmes structurels -, mais elle ne trouve rien de mieux à
faire que de donner l'alerte en hurlant " Au feu ! au
feu ! ". Résultat : c'est la panique !
Croyez-moi : en Asie, le FMI n'a pas aidé à restaurer la
confiance ! au contraire, il a suscité un mouvement de
défiance chez les investisseurs qui se sont tous dit : Si le FMI
est là, mieux vaut s'en aller.
".
Le rôle du FMI dans la surveillance des économies et la
prévention des crises est rendu particulièrement délicat
par l'influence de ses appréciations sur les anticipations des
marchés financiers. Les critiques portent donc aussi bien sur l'absence
de signaux d'alarme délivrés par l'institution, que sur l'effet
dévastateur que peuvent avoir ceux-ci sur les pays en situation de
fragilité.
3. ...et par la mise en oeuvre des politiques d'ajustement par les gouvernements nationaux
Lors de
leur audition par le groupe de travail, le 18 mai 1999
24(
*
)
, MM. Stanley Fischer et Jean-Claude Milleron ont
indiqué les limites de l'action du FMI dans la prévention des
crises, liées notamment à l'action des gouvernements compte tenu
du respect du principe de souveraineté des Etats. Les crises
financières peuvent avoir une origine politique, qu'il n'est pas facile
de prévoir. De plus, le FMI n'est pas toujours écouté par
les gouvernements lorsqu'il émet des avertissements quant à la
possibilité ou à l'imminence d'une crise.
L'action du FMI est ainsi fortement dépendante de la volonté
politique des gouvernements des pays qui subissent une situation de crise, et
ce, à toutes les étapes de son intervention. Le FMI ne peut agir
que quand les gouvernements en font la demande. Or, ceux-ci ne font souvent
appel au FMI que lorsque la situation apparaît impossible à
maîtriser sans un soutien financier important. A propos de la crise en
Asie, Michel Camdessus rappelait ainsi en 1998 que "
la surprise n'a
pas été moindre pour les pays eux-mêmes que pour les
opérateurs sur les marchés. Quelque peu grisés par de
longues années de succès, ils en ont ignoré les
prémisses autant que les avertissements qui leur venaient de
l'extérieur. Ce syndrome du déni est pour beaucoup dans l'ampleur
des sinistres auxquels il leur a fallu faire face quand ils se sont enfin
décidé - trop tard ! - chacun à leur tour, à
appeler à l'aide le FMI et la communauté
internationale
. "
25(
*
)
Or, le FMI ne
dispose pas de la même vitesse de réaction que les marchés
financiers, du fait de son statut d'institution internationale.
L'action du FMI est également limitée par la mise en oeuvre par
les Etats des réformes nécessaires à la résorption
de leurs déséquilibres financiers. En effet, il ne peut se
substituer à l'action de l'administration, notamment dans le domaine
fiscal, et ne peut contrôler sur le terrain les engagements pris par les
gouvernements. Enfin, il reste tributaire, à l'ensemble des stades de
son intervention, de l'information qui lui est communiquée par les
autorités nationales.
Une des clés de la résolution des crises financières est
l'implication du secteur privé. Or, le FMI ne dispose d'aucun pouvoir de
contrainte à l'égard du secteur privé, et ne peut que s'en
remettre aux gouvernements des Etats pour mettre en oeuvre les conditions de
sortie de crise. Il ne peut contraindre, par exemple, les banques et
établissements de crédit à maintenir leurs fonds dans un
pays. De plus, ses interventions peuvent emporter des effets pervers et
renforcer les déséquilibres :
dès lors que les
interventions du FMI sont anticipées par les marchés financiers,
ceux-ci sont incités à sous-évaluer le risque des
placements, et à renforcer ainsi les facteurs même qui justifient
son intervention
. Les modalités d'action du FMI ont
été critiquée après la crise asiatique, les
soutiens financiers aux pays en difficulté servant essentiellement
à rembourser les capitaux privés, et incitant ceux-ci à
des prises de risque excessives dans les pays émergents.
Enfin, l'analyse des situations économiques et les interventions
financières du FMI ne prennent pas nécessairement en compte la
dimension systémique des problèmes, car elle s'effectue pays par
pays.
4. Le coût social des mesures d'ajustement prônées par le FMI constitue un dilemme majeur pour cette institution
Les
politiques d'ajustement imposées par le FMI sont fondées de
manière simple selon le schéma suivant : dans un premier
temps, le volume des importations permettant de parvenir à un
équilibre de la balance des paiements, compte tenu des perspectives
d'exportation, est défini conjointement avec les autorités du
pays sollicitant l'aide du FMI. Par la suite, ce volume d'importation
définit, compte tenu de la propension à importer du pays et des
prévisions de croissance, le niveau de consommation et des
dépenses de l'Etat permettant d'atteindre l'équilibre de la
balance des paiements. Les politiques d'ajustement prônées par le
FMI impliquent donc une forte réduction des dépenses
budgétaires et ont un effet récessif inévitable sur les
économies des pays émergents confrontées à un
problème de financement de leur balance des paiements.
Les préconisations de rigueur du FMI en matière de politique
budgétaire et monétaire ont conduit en Asie notamment à
une forte élévation du niveau des taux d'intérêt,
qui a provoqué la faillite de nombreuses entreprises fortement
endettées, et sont sans doute partiellement responsables des troubles
politiques et sociaux en Indonésie. Selon Joseph Stiglitz, principal
économiste de la Banque mondiale, le FMI aurait imposé une
politique budgétaire et fiscale trop rigide et contraignante à
l'ensemble des pays d'Asie en crise, alors que les politiques menées en
la matière ne peuvent être tenues pour responsables de
l'émergence de cette crise.
Lors de son audition par le groupe de travail, le 21 avril 1999
26(
*
)
, M. Jean-Pierre Landau a rappelé que le
FMI avait donné l'impression, au cours de ses récentes
interventions, qu'il était porteur de certaines valeurs, en particulier
du modèle économique américain, jugé
supérieur, et que ses actions consistaient à l'implanter au
tréfonds des sociétés des Etats secourus. Or, ceci avait
été très mal vécu par les Asiatiques.
Il convient de rappeler à cet égard que les Etats-Unis disposent
de 17,87 % des quotes-parts du FMI, soit presque autant de droits de vote.
Compte tenu des modalités de prise de décision au sein du FMI,
qui suppose une majorité qualifiée correspondant à
85 % des droits de vote, les Etats-Unis disposent de fait d'un droit de
veto sur les décisions du FMI. Les pays de la zone euro
représentent, quant à eux, 22,66 % des quotes-parts.
Cependant, leur influence est considérablement moindre que celle des
Etats-Unis, du fait d'une insuffisante coordination entre les pays. Une
révision de la formule de calcul des quotes-parts est actuellement
étudiée par le FMI, afin d'accorder une plus large place aux pays
émergents, probablement au détriment de l'Europe.
De nombreux hommes politiques et économistes ont souligné les
effets désastreux des politiques macro-économiques
imposées par le FMI sur les niveaux de vie des pays en voie de
développement. La prise en compte de ces critiques a conduit le FMI
à mener des politiques d'ajustement " à visage
humain ", en élargissant la gamme des prêts accordés
aux pays en voie de développement. Cet infléchissement de la
politique du FMI a conduit celui-ci à s'intéresser davantage aux
réformes structurelles et aux conséquences sociales des
politiques d'ajustement mises en oeuvre dans ces pays.
L'élargissement du champ d'action du FMI l'a amené à
interférer avec les compétences de la Banque mondiale, et
à faire apparaître ces deux institutions comme concurrentes
davantage que comme complémentaires.
La Banque mondiale a en effet
considéré que la FMI tendait à mettre en oeuvre des
conditions qui entraient dans son champ de compétence, sans l'associer
à leur définition.
M. Jean-Pierre Landau a évoqué, lors de son audition par le
groupe de travail
27(
*
)
, les relations
désastreuses entre le FMI et la Banque mondiale au cours de la crise
asiatique, puisque le FMI mettait en cause les politiques économiques
des pays atteints par la crise, tandis que la Banque mondiale tenait pour
responsables les marchés financiers.
Le FMI a été accusé par de nombreux économistes et
hommes politiques d'avoir fait preuve de " myopie " au cours des
récentes crises. Lors de son audition par le groupe de travail
28(
*
)
, M. Christian de Boissieu a estimé que le
FMI devrait se recentrer sur l'objectif qu'il lui était dévolu au
moment de sa création, c'est-à-dire le financement des crises de
paiement à court terme. Il a observé que le FMI impulsait des
politiques structurelles, ce qui est du ressort de la Banque mondiale.
B. LA BANQUE MONDIALE : UNE COORDINATION INSUFFISANTE AVEC LES AUTRES INSTITUTIONS
Le système de Bretton Woods était conçu de manière complémentaire. Alors que le Fonds monétaire international devait traiter les questions de balance des paiements et assurer leur équilibre, la Banque mondiale se voyait confier la responsabilité de la reconstruction et du développement. D'une certaine manière, elle aidait les pays à se développer, réduisait la pauvreté dans le monde et accordait des crédits aux pays membres du FMI. Parallèlement, des banques régionales spécialisées ont vu le jour, en Amérique (la Banque interaméricaine du développement - BID), en Asie (la Banque asiatique de développement) et en Afrique (la Banque africaine de développement). Celles-ci ont le même objectif de développement économique, dans leur zone.
Repères chronologiques sur la Banque mondiale
1944 |
Création de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), siège à Washington |
1946 |
Première assemblée générale de la banque à Savannah |
1952 |
Entrée du Japon et de l'Allemagne |
1955 |
Création de l'Institut de développement économique |
1956 |
Création de la Société financière internationale (SFI) |
1960 |
Création de l'Association internationale de développement (AID) |
1966 |
Création du Centre international pour le règlement des différents relatifs aux investissements |
1988 |
Création de l'Agence multilatérale de garantie des investissements |
1990 |
Création du Fonds pour l'environnement mondial |
1992 |
La Suisse, la Russie ainsi que 12 républiques de l'ex-URSS deviennent membres de la Banque mondiale |
1994 |
177 Etats-membres |
En
réalité, le FMI et la Banque mondiale se sont longtemps
développés selon des logiques indépendantes. Le premier a
mis en place ses propres instruments financiers tandis que la seconde
développait ses modèles économiques sur des
hypothèses différentes de celles utilisées par le Fonds.
Des dysfonctionnements forts ont existé et peuvent demeurer. Le premier
réside dans le maintien, à un niveau très important,
d'aides sous forme de prêts d'ajustement structurel de la Banque mondiale
dont on ne voit pas toujours ce qui les distingue des actions du FMI. Ceci est
d'autant plus source d'inefficacité quand ils interviennent dans le
secteur financier, domaine de compétences partagées. Le second
renvoie à la possibilité de divergences de diagnostic ou de
conditionnalité (FMI et Banque mondiale ne s'entendaient pas, par
exemple, sur le rythme de privatisation de la société ivoirienne
de raffinage en Côte d'Ivoire). Le troisième est la persistance de
zones d'incertitude, comme en témoigne l'impossibilité pour les
responsables de la Banque africaine de développement de définir
précisément à votre rapporteur la notion de " bonne
gouvernance " pourtant quotidiennement utilisée. Par ailleurs, ces
institutions ont pu apparaître parfois comme bien trop
cloisonnées, la Banque mondiale ne s'ouvrant pas aux questions de
surveillance bancaire et le FMI restant réticent à sortir des
concepts de stabilisation macro-économique pour entrer dans une logique
de développement
29(
*
)
. Souvent, la Banque
mondiale a pu considérer que le FMI proposait des solutions qui
l'impliquaient sans pour autant l'associer à leur élaboration.
Le
chevauchement des interventions des institutions de Bretton
Woods :
l'exemple du Centrafique
" Jeune Afrique économie :
Quel est
l'état de vos relations avec les bailleurs de fonds, notamment le Fonds
monétaire international et la Banque mondiale ?
Anicet Georges Dologuélé
*
: Nous avons
signé, en juin 1998, un accord pour une Facilité d'ajustement
structurel renforcée (FASR) avec le FMI. Si le premier
décaissement a bien été versé, le deuxième,
qui devait intervenir au mois de décembre 1998, n'a pas eu lieu. De
fait, les élections législatives ont entraîné des
dysfonctionnements de l'économie et nous n'avons pas pu conclure
" la revue à mi-parcours " avec le FMI. Une mission du Fonds
s'est rendue en Centrafrique, en février 1999, et cet examen a
été conclu à la fin du mois d'avril. Dans la
foulée, le deuxième décaissement devrait intervenir au
mois de juin.
Pour sa part, la Banque mondiale doit présenter devant son conseil
d'administration un programme de Crédit d'ajustement structurel (Cas).
La décision devrait être prise d'ici à la fin du mois de
juin. Comme nous sortons d'une période de crise, la Banque mondiale
propose de monter un programme post-conflit qui a l'avantage d'être moins
contraignant qu'un Programme d'ajustement structurel (Pas) classique. Le
décaissement est plus rapide et, entre deux décaissements, nous
ne sommes pas contraints de respecter certains critères de performance.
Cela permet de relancer la machine avant de pouvoir bénéficier de
programmes sectoriels bien précis.
La Banque africaine de développement (Bad) se situe à peu
près dans le même timing. Elle a effectué une mission en
mai 1999 pour localiser les projets à financer. L'arrêt des
décaissements de la Bad est lié essentiellement à des
retards que nous avons pris dans les échéances de remboursement.
Les décaissements du FMI et de la Banque mondiale devraient nous aider
à faire face à ces retards et donnent une bouffée
d'oxygène à l'économie du pays. Nos arriérés
de paiement, qui s'élevaient à 6 milliards de F CFA à
la fin de décembre 1998, se situent actuellement aux environs de 7
à 8 milliards. "
* alors Premier ministre de la République centrafricaine
Source :
Jeune Afrique économie
, 28 juin - 11 juillet 1999
Depuis , la crise asiatique et les débats auxquels elle a donné
lieu entre le FMI et la Banque mondiale, ces institutions ont
amélioré leur coordination. M. James Wolfensohn l'exprimait ainsi
le 21 janvier 1999 :
" Je suis convaincu que les rôles
respectifs de la BIRD et du FMI sont mieux harmonisés. D'une
façon générale, notre institution soeur est chargée
de la stabilisation macro-économique dans nos pays clients et du
contrôle à exercer. Quant à nous, nous sommes responsables
des aspects structurels et sociaux du développement. Ces deux
rôles ne sont manifestement pas dissociables et nous collaborons
très étroitement sur une base
journalière. "
30(
*
)
La Banque
s'est ainsi retrouvée, après de vives discussions, aux
côtés du Fonds dans la réflexion sur la crise asiatique et
ces deux institutions ont élaboré avec la Banque asiatique de
développement le plan de sauvetage mis en oeuvre dans cette
région. De même, en Amérique latine, la Banque, le Fonds et
la BID ont défini de manière conjointe les programmes de
réformes économiques structurelles nécessaires à la
sortie de la crise.
La crise a permis de mettre en place des mécanismes de coordination et
de répartition des rôles entre les deux institutions. Elles se
sont accordées sur un partage des compétences en matière
financière, avec la création d'un comité de liaison
assurant une information régulière des activités de
chacune. Outre le développement des missions conjointes (les fameuses
reviews
), les institutions se sont accordées sur la
possibilité pour le dirigeant de chacune de participer pleinement aux
réunions du comité intérimaire (FMI) et du comité
de développement (Banque mondiale). Progressivement, une meilleure
coordination se met donc en place.
Le FMI, la Banque mondiale et les banques régionales de
développement ont ainsi des missions différentes mais sont
contraints d'agir de concert. Le Fonds délivre une aide
budgétaire globale à un Etat ; la Banque finance des
programmes d'amélioration des conditions de vie, de développement
des systèmes de santé et d'éducation ; les banques
régionales s'inscrivent dans une logique de projets, la plupart du temps
structurants pour l'espace régional. Cependant ces trois formes d'aide
interviennent dans un contexte commun et devraient donc découler d'un
diagnostic commun ; de même, elles supposent la réunion de
conditions dont les plus importantes (réformes structurelles, cadre
législatif, privatisations, blocage des salaires, abandon du soutien des
prix, réduction du nombre de fonctionnaires, etc.) font partie des
compétences communes aux trois institutions.
C. LES LIMITES RENCONTRÉES PAR L'INTERVENTION DES AUTRES INSTITUTIONS INTERNATIONALES
1. Les limites de l'action et de la légitimité de la Banque des règlements internationaux
La Banque des règlements internationaux est compétente en matière de supervision bancaire. L'action de cette institution est cependant limitée par ses statuts, notamment l'absence de moyens de contrainte appropriés. En effet, le FMI dispose de la conditionnalité des aides pour obliger un pays à modifier les conditions macro-économiques des pays, tandis que la BRI ne dispose pas des moyens de contraindre les pays à mettre en oeuvre ses recommandations en matière de gestion bancaire. De plus, la BRI souffre de l'absence en son sein de nombreux pays, même si des pays émergents rejoignent désormais cette institution (neuf banques centrales de pays émergents y ont adhéré en 1996). Sa légitimité repose cependant sur une plus grande ouverture aux pays émergents, afin que les recommandations et les réglementations émanant de la BRI prennent une dimension universelle, et dépassent le cadre des pays de l'OCDE. Enfin, le consensus nécessaire à son fonctionnement constitue un obstacle sérieux au développement de son rôle dans la régulation financière internationale.
2. De nombreux cercles d'échange et de lieux de décision sont réservés aux pays développés
De
nombreux groupes informels de concertation ont vocation à
améliorer la coordination des politiques économiques et
monétaires à l'échelle mondiale. Le plus connu
d'entre-eux, le G 7, regroupe les sept pays les plus riches du monde
(Etats-Unis, Japon, Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie et Canada) ainsi
que la Russie (G 8), et représente ainsi près de la
moitié du PIB mondial. Les décisions prises au sein de cette
instance ont des conséquences importantes sur l'évolution des
taux d'intérêts et des parités entre les monnaies
notamment. Le G 7 constitue en effet le cadre de la gestion des
responsabilités monétaires dans le monde. Cependant, ses
décisions manquent de légitimité dès lors qu'elles
sont perçues par les pays en voie de développement comme
émanant d'un " gouvernement de fait " du monde dont ils se
trouvent exclus. L'ancien directeur général du FMI, Michel
Camdessus, a proposé peu avant son départ de l'institution, un
élargissement de ce groupe à une trentaine de pays. Le
caractère informel et restreint des sommets du G 7 serait
préservé, mais la légitimité de ses
décisions serait accrue par une telle mesure.
Le groupe des vingt (G 20), constitué du groupe des sept pays les
plus industrialisés (le G 7), et de onze " nouveaux "
pays (l'Argentine, l'Australie, le Brésil, la Chine, l'Inde, le Mexique,
la Russie, l'Arabie Saoudite, l'Afrique du sud, la Corée du sud et la
Turquie), en sus d'un représentant de l'Union européenne et d'un
représentant du FMI, s'est réuni pour la première fois au
mois de décembre 1999. Ce groupe doit émettre des avis, notamment
sur la surveillance des flux de capitaux et sur la place du FMI dans le
système monétaire international. Cependant, il n'a pas vocation
à prendre des décisions.
Le groupe des vingt-deux (G 22), connu également sous le nom de
" Willard Group " a été mis en place par le FMI
à la suite de la crise financière internationale, afin de
proposer des solutions à cette crise. Il comprend les pays membres du
G 7 et d'autres pays développés et émergents
touchés par la crise.
Le Groupe des trente-trois (G 33), élargit également le
G 7 à de nombreux pays émergents. Cependant, il constitue un
lieux d'échange, et non de décision, et apparaît comme une
timide ouverture des pays riches vers le reste du monde.
La puissance et le manque de légitimité du G 7 a conduit les
pays en développement à créer des groupes analogues afin
de faire entendre leurs voix et constituer une force de proposition face aux
pays industriels. Le G 24, qui comprend huit pays africains, huit pays
d'Asie et huit pays d'Amérique latine revendique ainsi une
représentation équitable des pays en développement dans
les processus de décision afin de mettre la politique monétaire
et financière au service du développement.
La multiplication des groupes informels regroupant les dirigeants de pays ne
favorise pas la lisibilité des moyens et des objectifs de ceux-ci dans
le système international, et ne résout pas la question de la
légitimité du G 7. Son élargissement à de
nouveaux pays permettrait sans doute d'accroître cette
légitimité et de limiter la formation de groupes concurrents.
3. Les instances de supervision et de concertation : un rôle limité par leur objet
Plusieurs organisations internationales sectorielles sont en
charge
d'édicter des règlements et d'émettre des recommandations
afin d'assurer le bon fonctionnement des institutions financière dont
elles exercent la supervision. Il s'agit notamment du Comité de
Bâle pour les banques, de l'Association internationale des
contrôleurs d'assurance (IAIS en anglais), dont le secrétariat est
situé dans les locaux de la Banque des règlements internationaux
à Bâle, pour le secteur des assurances, et de l'Organisation
internationale des commissions de valeurs (OICV), dont le siège est
à Montréal. L'action de ces organisations est essentielle pour la
définition des réglementations et l'établissement de codes
de bonne conduite, qui sont mis en oeuvre dans les pays membres par les
autorités nationales. Cependant, leur rôle est limité par
leur objet, et la compartimentation des compétences selon le type
d'institution financière, ainsi que par leur influence limitée
sur les pratiques des pays émergents. Les standards fixés par ces
institutions sont en effet applicables aux pays développés qui
disposent d'un secteur financier structuré et
déréglementé, et ne répondent
généralement pas aux besoins des pays émergents.
L'augmentation de la fréquence et de la taille des sinistres financiers
a suscité l'inquiétude des organismes de réglementation,
qui se sont interrogés sur l'opportunité d'une
réglementation accrue. De nombreuses instances de supervision et de
concertation regroupent des autorités des pays industrialisés,
notamment le Groupe des Trente (G 30), le Comité de Bâle, et
l'IAIS. L'IAIS et l'OICV ont fondé en 1996 un forum commun sur les
conglomérats financiers, sous l'égide du Comité de
supervision bancaire, situé à Bâle. Ce forum a
étudié les modalités d'une plus grande coordination afin
d'aboutir à la définition de principes communs de supervision des
institutions financières.
II. LES LIMITES DE LA SUPERVISION FINANCIÈRE ET BANCAIRE
Le
développement, dans un contexte économique et financier fragile,
de pratiques individuelles risquées de la part des intermédiaires
financiers mais surtout bancaires a constitué un facteur puissant des
dernières crises financières. De façon plus
générale, la plupart des crises de cette nature
révèlent
a posteriori
des comportements individuels
inadaptés. Mais, dans ce domaine, comme dans bien d'autres, les
leçons de l'histoire tardent à produire les adaptations dont
celle-ci révèle pourtant la nécessité.
Il reste donc indispensable de mettre en place des instruments permettant de
prévenir les comportements susceptibles d'apporter des désordres
majeurs.
Les différentes crises financières récentes ont
démontré la faiblesse des contrôles internes mis en oeuvre
par les intermédiaires financiers et les établissements de
crédit. Même s'il ne peut être
généralisé, ce constat ne saurait être
sérieusement contesté. Il ne manque pas d'être
préoccupant au vu des nombreuses recommandations et dispositions
réglementaires adoptées pour promouvoir un meilleur
contrôle interne.
Ces déficiences appellent un renforcement de la supervision
émanant d'organismes extérieurs, en bref du contrôle
externe.
Cette conclusion n'est pas contestée. En revanche, les voies et moyens
d'un meilleur contrôle externe font l'objet d'âpres débats
qui reflètent étroitement des enjeux de pouvoir qu'il convient
d'exposer.
A. LES DÉFAILLANCES DANS LA MAÎTRISE DES RISQUES
1. Les crises financières récentes révèlent une exposition excessive aux risques de la part de certains acteurs
La
plupart des crises financières récentes ont été
engendrées par les défaillances, le plus souvent
constatées
ex-post
, dans la maîtrise des risques par les
acteurs de marché. Elles se distinguent en cela des crises
financières et monétaires internationales
précédentes qui étaient suscitées par des
déséquilibres macroéconomiques ou des chocs
monétaires.
C'est une caractéristique naturelle des métiers financiers que
cette exposition à des risques. Elle est d'ailleurs heureuse et
souhaitable puisqu'elle alimente des progrès économiques. Elle
s'est sans doute accentuée ces dernières années sous le
double effet de l'intensification des exigences de retour sur fonds propres et
de l'atténuation des marges sur les taux d'intérêt
encaissées par les banques.
Cependant, un défaut de maîtrise de leurs risques de la part des
acteurs de marché constitue une grave source d'instabilité.
Or, ce phénomène a joué un rôle majeur dans les
crises financières et monétaires récentes.
Il peut d'abord concerner des acteurs individuels. Ces défaillances se
retrouvent d'abord dans le cadre des événements qui concernent un
établissement bancaire donné comme la faillite de la Barings, les
difficultés du Crédit Lyonnais ou du groupe japonais Daïwa.
Mais, il peut aussi concerner une catégorie particulière
d'acteurs.
En effet, si tous les agents financiers sont exposés au risque et, par
conséquent, encourent celui de mésestimer la portée de
leurs engagements, il existe une catégorie particulière
d'entités financières qui, par nature, se trouvent
particulièrement vulnérables de ce point de vue. Il s'agit des
fonds à haut effet de levier mieux connus sous leur vocable anglo-saxon
de
hedge funds
.
S'il n'existe pas de définition universellement adéquate de ces
fonds, l'on s'accorde toutefois à leur trouver quelques
caractéristiques communes.
Leur stratégie financière s'appuie sur la mobilisation à
grande échelle de l'effet de levier, c'est-à-dire d'un fort
endettement destiné à financer des investissements le plus
souvent risqués et des opérations d'arbitrage visant à
exploiter systématiquement les écarts de prix entre
marchés.
L'accès des investisseurs à ces fonds suppose, en outre, des
engagements financiers très importants de leur part, toute souscription
aux
hedge funds
mettant ainsi en oeuvre des capitaux
élevés.
Enfin, ces fonds fonctionnent le plus souvent en dehors des contraintes
prudentielles et de régulation ce qui tend à les localiser dans
les centres
off-shore
. Ce n'est pas toujours le cas cependant puisque
leur nature juridique de " partenaristes privés " les fait
échapper à la quasi-totalité des dispositifs prudentiels
et des contrôles externes.
L'on distingue usuellement trois catégories de
hedge funds
:
- les " macro-funds " qui prennent des positions sur les
marchés nationaux à partir d'analyses
macroéconomiques ;
- les " fonds globaux " qui spéculent sur les perspectives
financières des sociétés ;
- les " fonds d'arbitrage " qui jouent sur les écarts de prix
relatifs entre des actifs étroitement interdépendants.
Il faut souligner que les
hedge funds
n'ont pas le monopole des
techniques financières qu'ils mobilisent. D'autres investisseurs plus
traditionnels, comme les banques commerciales, procèdent à des
investissements de même nature.
Les
hedge funds
comportent des risques considérables pour leurs
investisseurs mais aussi pour le système financier dans son ensemble
comme l'a illustré le naufrage du fonds LTCM (
Long Term Capital
Management
) en 1998.
Il est difficile de disposer de données sur les
hedge funds
puisque l'une de leurs caractéristiques majeures est d'échapper
souvent aux contrôles des superviseurs. Les sources sont en la
matière des sociétés privées qui recueillent leurs
informations à partir des déclarations volontaires et non
contrôlées qui sont communiquées par les
hedge funds
.
Les chiffres suivants ne sont donc que des estimations. Fin 1998, il existait
ainsi environ 914 fonds gérant un capital total de
110 milliards
31(
*
)
de dollars
répartis comme suit : 38 milliards dans les
" macro-fonds ", 27 milliards dans les " fonds
globaux ", le reste, soit l'essentiel, dans les " fonds
d'arbitrage ".
Le capital des
hedge funds
représente donc une infime portion du
capital des autres investisseurs évalué à
20 trillions de dollars pour les seuls marchés des pays
avancés.
Cependant, l'une des particularités des
hedge funds
,
l'utilisation systématique de l'effet de levier, leur permet de
démultiplier leurs engagements, si bien que ces derniers sont
incomparablement plus importants que la part de capital financier qu'ils
réunissent.
En outre, l'influence des
hedge funds
sur les marchés ne
s'alimente pas que de ces données financières. Les gestionnaires
de ces fonds sont souvent regardés comme les " leaders du
marché " et sont imités par les autres intervenants. Cette
situation est décrite par l'ensemble des experts
32(
*
)
.
Un exemple de mimétisme 33( * )
Les
hedge funds
pourraient avoir acquis le statut de " leaders de
marché " et influencer les marchés très
au-delà de leurs poids financiers. Cette situation est ainsi
décrite dans une étude publiée par la Banque de France.
" La possibilité pour certains intervenants à fort effet
de levier de prendre des positions suffisamment importantes pour provoquer le
saut vers un nouvel équilibre (crise de change ) est une incitation
supplémentaire pour beaucoup d'opérateurs à imiter les
prises de positions d'intervenants majeurs, tels que les fonds
spéculatifs : ceci est vrai,
a fortiori
, lorsque ces fonds
mettent en place leurs positions auprès de banques qui transmettent
l'information concernant ces flux à leurs
proprietary desks
,
lesquels prennent à leur tour des positions semblables. "
L'implication des phénomènes de contagion dans les crises
financières appelle des mesures appropriées. Il convient d'en
endiguer le développement en promouvant une stricte séparation -
les " murailles de Chine " - entre les différents
départements des établissements bancaires.
L'influence des
hedge funds
sur les marchés peut enfin
procéder des techniques financières qu'ils utilisent et qui sont
susceptibles de servir de relais aux phénomènes de contagion.
Plusieurs exemples en sont donnés dans l'article
sus-cité
34(
*
)
.
Des techniques financières favorisant les phénomènes de contagion
" L'utilisation des techniques de couverture dynamique
(dynamic hedging)
est également souvent citée comme
pouvant être à l'origine d'anomalies de marché, et peut, de
ce fait, jouer un rôle dans la contagion. Ainsi, une opération de
protection de portefeuille consistant pour l'investisseur à acheter des
options de vente
(put)
de l'actif détenu lui permet de
s'immuniser contre la baisse de la valeur de cet actif au-delà d'un
certain seuil. Mais cette protection aura pour contrepartie, chez le vendeur de
l'option, des opérations de couverture (vente du
" sous-jacent " lorsque son prix se rapproche du prix d'exercice de
l'option) de nature à amplifier le mouvement de baisse. L'utilisation
croissante d'instruments de couverture plus sophistiqués, tels que les
options à barrière désactivante, peut aussi se traduire
par des mouvements de prix cumulatifs sur le marché sous-jacent. Ainsi,
le vendeur d'un tel
put
aura intérêt à vendre le
sous-jacent, de sorte que la baisse du marché aboutisse à
désactiver l'option ; une fois la barrière franchie, c'est
l'acheteur de l'option qui a perdu la couverture que celle-ci lui procurait et
qui doit vendre le sous-jacent pour se couvrir de nouveau.
Dans un environnement d'asymétrie d'information, les mouvements de prix
résultant de telles opérations de couverture dynamique sont
susceptibles d'être interprétés par les intervenants non
informés comme justifiés par une révision en baisse de la
valeur fondamentale des actifs concernés.
Il convient (...) de tenir compte de la pratique de la couverture de
substitution
(proxy hedging).
Lorsqu'un portefeuille est investi sur des
actifs relativement peu liquides, comme peuvent l'être les titres
traités sur les marchés émergents du fait de la faible
profondeur de ceux-ci, les opérations de couverture ne peuvent
être qu'approximatives. Ces transactions sont réalisées sur
un marché plus liquide, jugé
a priori
comme très
corrélé au prix des actifs sous-jacents. Si tant est que ces
corrélations soient appréciées objectivement, elles
reposent au mieux sur des relations historiques, ne reflétant pas
nécessairement l'actualité des fondamentaux ou du comportement
des investisseurs. "
Le naufrage de LTCM en septembre 1998 illustre les dangers des
hedge
funds
pour le système financier international.
LTCM, une affaire édifiante
Long
Term Capital Management (LTCM) constituait l'archétype du
hedge
fund
voué aux arbitrages. Son activité concentrée sur
les marchés des pays avancés consistait pour l'essentiel à
profiter des écarts de prix entre actifs proches par leurs
caractéristiques. Au début de 1998, sur la base de fonds propres
atteignant 4,8 milliards de dollars, LTCM était engagé
à hauteur de 120 milliards de dollars inscrits à son bilan
(soit un levier égal à 25).
Dans le courant de septembre 1998, la crise russe provoqua des
enchaînements financiers défavorables au fonds. Celui-ci avait en
effet misé sur un rapprochement des taux d'intérêt entre
les pays appelés à participer à l'euro. Cette
stratégie, fondée compte tenu de la perspective d'adoption de
l'euro, et d'ailleurs soutenue par la Banque centrale d'Italie qui ne manquait
pas d'intérêts en la matière, fut prise à revers par
les turbulences issues de l'effondrement du marché des obligations
russes (les GKO). Plutôt que de se réduire, les écarts de
taux en Europe s'accrurent. Le 23 septembre 1998, l'actif net de LTCM
était réduit à 600 millions de dollars face à
des engagements de 100 milliards (soit un levier de 167).
La cessation de paiement du fonds l'aurait alors contraint à
dénouer ses positions, ce qui aurait entraîné une crise de
système compte tenu de l'importance prise par celles-ci. Afin de
l'éviter, la Banque fédérale de New-York organisa
rapidement un plan de sauvetage réunissant 14 institutions
financières, mobilisant 3,6 milliards de dollars de prêts
à bas taux d'intérêt.
Il est intéressant d'observer que cette intervention de prêteur
en dernier ressort fut réalisée sans recourir à un taux de
pénalité et sans changement de direction de LTCM.
2. Les crises financières récentes révèlent aussi une mésestimation généralisée des risques
Les
crises survenues en Asie témoignent de l'existence de
défaillances suffisamment généralisées pour que
puisse être évoqué un problème global.
Les données macro-économiques
ont été
négligées par les intervenants. Tel a été le cas en
particulier de l'excessive accumulation des investissements.
Les rythmes d'investissement observés dans la plupart des pays
asiatiques auraient dû conduire à envisager la question du niveau
des capacités de production mises en place et d'éventuelles
surcapacités.
Croissance des investissements matériels
(en %)
|
31.12.93 |
31.12.94 |
31.12.95 |
31.12.96 |
Moyenne |
Hong Kong |
22 |
17 |
15 |
13 |
17 |
Indonésie |
22 |
37 |
36 |
35 |
33 |
Corée |
11 |
15 |
24 |
N.D |
17 |
Malaisie |
15 |
21 |
18 |
26 |
20 |
Philippines |
13 |
9 |
5 |
15 |
11 |
Singapour |
19 |
32 |
20 |
27 |
25 |
Taiwan |
9 |
3 |
- 5 |
24 |
8 |
Thaïlande |
25 |
47 |
27 |
17 |
29 |
Amérique latine |
- 2 |
8 |
12 |
8 |
7 |
France |
2 |
1 |
- 1 |
2 |
1 |
Allemagne |
2 |
1 |
1 |
6 |
3 |
Japon |
5 |
5 |
5 |
3 |
5 |
Etats-Unis |
2 |
3 |
3 |
5 |
3 |
Source : Mickael Pomerleano. Massachussets Institute of
Technology - MIT.
Les évolutions microfinancières qui ont
précédé la crise asiatique telles qu'analysées par
le Massachussets Institute Technology (MIT)
35(
*
)
accréditent, quant à elles, la thèse de Paul Krugman selon
laquelle ces crises témoigneraient de graves dysfonctionnements des
intermédiaires financiers.
Les déséquilibres financiers des agents économiques de la
région se sont en effet accentués, ce dont témoigne
l'accroissement du ratio dettes / fonds propres entre 1992 et 1996
dans la quasi-totalité des pays concernés.
Source : MIT
Ce phénomène s'est principalement produit sous l'effet des
interventions des banques, les marchés obligataires restant peu
développés dans la zone.
Le développement des engagements bancaires n'a pas été
freiné par le constat des déséquilibres de l'endettement
des entreprises de la zone marqué par la part de plus en plus excessive
des dettes de court terme.
Part des dettes à court terme dans l'endettement total 1992-1996 (moyenne)
Source : MIT
L'augmentation du nombre des entreprises en difficultés du fait d'un
surendettement massif a été rapide et n'a pas été
décelée assez tôt comme en témoigne le tableau
ci-après.
Evolution du nombre des entreprises en difficultés dans quelques pays asiatiques
|
|
Ratio de couverture (1) des charges d'intérêt |
Evolution du nombre des entreprises en difficultés (en %) |
Philippines |
1996 |
5,2 |
8,7 |
|
1997 |
3,7 |
10,8 |
|
1998 |
3,3 |
18,4 |
Indonésie |
1996 |
3,7 |
8,0 |
|
1997 |
2,9 |
15,6 |
|
1998 |
1,3 |
45,6 |
Corée |
1996 |
2,7 |
16,2 |
|
1997 |
2,2 |
20,7 |
|
1998 |
1,7 |
31,5 |
Malaisie |
1996 |
6,5 |
8,3 |
|
1997 |
6,3 |
11,2 |
|
1998 |
4,3 |
18,5 |
(1)
Cash-flow avant taxes, intérêts et amortissements / charges
d'intérêt.
Source : Mickael Pomerleano. MIT.
En conclusion, le manque de clairvoyance des acteurs de marché
à l'égard des risques est un constat fort des récentes
crises qui différencie celles-ci des crises traditionnelles de type
macroéconomique.
B. UNE INSUFFISANTE AUTODISCIPLINE DES ACTEURS
Le
contrôle des opérations bancaires et financières est au
coeur de la régulation financière internationale. Dans ces
conditions, il n'est pas surprenant que le contrôle interne apparaisse
comme le dispositif fondamental d'un monde financier plus stable.
Les différentes crises monétaires et financières
témoignent systématiquement de défaillances graves de
cette catégorie de contrôles de gestion, ce qui justifie
pleinement le raffinement de la réflexion et de la législation
sur le contrôle interne au sein des intermédiaires bancaires et
financiers.
Mais, le passage des intentions ou des réglementations à un
contrôle interne systématique et effectif est susceptible de
rencontrer de graves résistances et se heurte à un dilemme
systémique, le risque d'irresponsabilité.
1. Le développement des règles concernant le contrôle interne
La volonté de développer les contrôles internes, qui n'est pas nouvelle, a connu dernièrement un regain de vitalité dont témoigne de façon très illustrative les travaux menés par le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, comité qui, au sein de la BRI, constitue, autour des hauts représentants des autorités de contrôle et des banques centrales du groupe des Dix, l'enceinte d'élaboration de la réglementation bancaire. Celui-ci a établi au mois de janvier 1998 une série de recommandations permettant d'évaluer la qualité des systèmes de contrôle interne 36( * ) .
Résumé des recommandations du Comité de Bâle sur le contrôle interne
D'emblée, le Comité place ses recommandations au
coeur
des efforts engagés pour améliorer le contrôle des banques
et les présente comme susceptibles d'être utilisées par les
superviseurs extérieurs pour évaluer les contrôles internes
des établissements financiers.
Selon le Comité, les contrôles internes doivent permettre de
s'assurer de la qualité de la gestion bancaire dans une perspective de
long terme mais aussi du respect par les banques des réglementations
d'intérêt général.
Les principes d'organisation du contrôle interne recommandés par
le Comité sont au nombre de 14.
Répartition des responsabilités et diffusion de la
culture de contrôle :
Principe n° 1
: Le conseil d'administration a la
responsabilité d'approuver les stratégies, d'apprécier les
risques, de fixer les niveaux de risques acceptables et de s'assurer que les
directions des services prennent les mesures nécessaires à
l'identification et au contrôle de ces risques.
Principe n° 2 :
Les directions des services ont la
responsabilité de mettre en oeuvre sur ce point les décisions des
administrateurs et d'en contrôler l'effectivité.
Principe n° 3 :
Les administrateurs et les directions des
services ont la responsabilité de promouvoir des normes
d'intégrité élevées et la culture du contrôle
interne à tous les niveaux de l'établissement.
Evaluation des risques
:
Principe n° 4 :
Les directions des services doivent
s'assurer que l'ensemble des facteurs de risques, internes ou externes, sont
identifiés et évalués.
Principe n° 5 :
Les directions des services doivent
veiller à l'actualisation permanente des risques.
Les activités de contrôle :
Principe n° 6 :
Les activités de contrôle
doivent faire intégralement partie des opérations quotidiennes de
la banque et doivent inclure : des examens à haut niveau, un
contrôle approprié de chaque département ou division, des
contrôles physiques, un système précis d'approbation et de
délégation, un système rigoureux de vérification.
Principe n° 7 :
Les directions des services doivent
veiller à une séparation appropriée des tâches et
à ce que les personnels n'exercent pas de responsabilités
supposant des conflits d'intérêts. Ceux-ci doivent être
identifiés, réduits et surveillés.
Information et communication
:
Principe n° 8 :
Les directions des services doivent
s'assurer de la disponibilité des données opérationnelles
et financières internes et de leur exhaustivité. Une même
solution s'impose s'agissant des données pertinentes concernant
l'environnement extérieur. L'information doit être digne de
confiance, à jour et accessible.
Principe n° 9
: Les directions des services doivent
établir des canaux de communication effectifs au sein des banques.
Principe n° 10 :
Elles doivent veiller à la
qualité et à la sécurité des systèmes de
communication.
Surveillance
:
Principe n° 11
: Les directions des services doivent
surveiller en permanence l'effectivité des contrôles internes et
les risques majeurs doivent être surveillés sur une base
quotidienne.
Principe n° 12 :
Il faut instituer un audit interne des
systèmes de contrôle interne confié à des personnels
compétents et qualifiés chargés de rapporter directement
au conseil d'administration et aux directions.
Principe n° 13 :
Les déficiences du
contrôle interne doivent être rapidement identifiées et
corrigées.
L'évaluation des systèmes de contrôle interne par
les autorités de supervision :
Principe n° 14 :
Les superviseurs doivent exiger des
banques, quelle que soit leur taille, qu'elles disposent d'un système
efficace de contrôle interne adapté à leur situation de
risques et à la nature et à la complexité de leur
activité. En cas de défaillance des banques sur ce point, les
superviseurs doivent entreprendre des actions afin d'obtenir une
amélioration immédiate de la situation.
Les recommandations du Comité de Bâle prolongent des
réflexions précédentes qui se sont traduites dans des
textes réglementaires.
La législation européenne
s'est ainsi
inquiétée du contrôle interne des établissements de
crédit.
Il faut citer l'article 13-2 de la
directive n° 89-646 du
15 décembre 1989
visant à la coordination des
dispositions législatives, réglementaires et administratives
concernant l'accès à l'activité des établissements
de crédit et son exercice.
"
Les autorités compétentes de l'Etat membre d'origine
exigent que tout établissement de crédit dispose d'une bonne
organisation administrative et comptable et de procédures de
contrôle interne adéquates. "
De même, l'article 3-6 de la
directive n° 92-30 du 6 avril
1992
sur la surveillance des établissements de crédit sur une
base consolidée prévoit :
" Les autorités compétentes prescrivent, dans l'ensemble
des entreprises incluses dans le champ de la surveillance sur une base
consolidée à laquelle est soumise un établissement de
crédit en application des paragraphes 1 et 2, l'institution de
procédures de contrôle interne adéquates pour la production
des informations et renseignements utiles aux fins de l'exercice de la
surveillance sur une base consolidée. "
La France
a, quant à elle, adopté une telle
réglementation spécifique avec le règlement
n° 97-02 du 21 février 1997 relatif au contrôle
interne des établissements de crédit.
Il édicte une obligation imposant aux établissements de
crédit de se doter d'un contrôle interne qu'il définit
comme devant comprendre :
"
a) un système de contrôle des opérations et des
procédures internes ;
b) Une organisation comptable et du traitement de l'information ;
c) des systèmes de mesure des risques et des résultats ;
d) des systèmes de surveillance et de maîtrise des risques ;
e) un système de documentation et d'information.
Le règlement traite l'ensemble des questions que pose tout
système de contrôle interne.
Son organisation doit assurer l'effectivité du contrôle interne
à travers la mise en oeuvre de moyens suffisants et une
indépendance réelle, conférée aux structures de
contrôle.
Il doit pouvoir se référer à des données comptables
exactes, exhaustives et accessibles ce qui justifie que le titre III du
règlement édicte des règles d'organisation comptable et de
traitement de l'information.
Il doit également pouvoir s'appuyer sur des systèmes fiables de
mesure des risques et des résultats. Le titre IV du règlement
comporte plusieurs règles concernant les unes les risques de
crédit, les autres les risques de marché, les troisièmes
le risque de taux d'intérêt global, les dernières le risque
de règlement.
Le contrôle interne suppose aussi la mise en place de systèmes de
surveillance et de maîtrise des risques.
Il est enfin prévu que l'organisation du contrôle interne soit un
élément d'appréciation pour les contrôleurs externes
et qu'à ce titre, notamment, la Commission bancaire soit destinataire,
au moins une fois par an, de deux rapports imposés aux
établissements de crédit, l'un sur les conditions dans lesquelles
le contrôle interne est assuré, l'autre sur la mesure et la
surveillance des risques par chaque établissement.
2. Des règles aux faits, un écart considérable
Le
développement du contrôle interne est assurément
souhaitable. Mais, les réglementations et les incitations qui peuvent y
contribuer paraissent en elles-mêmes insusceptibles de le garantir.
Cette situation est clairement illustrée par le graphique
ci-après qui rend compte d'une étude sur les causes des
problèmes d'insolvabilité rencontrés par un
échantillon de 29 banques.
Facteurs à l'origine des problèmes d'insolvabilité de vingt-neuf banques
Note : Nombre de fois que chaque facteur a été
cité dans vingt-neuf cas nationaux.
Source : Caprio et Klingebiel, 1996, cité par l'OCDE.
Les facteurs les plus fréquemment cités ne sont pas d'ordre
macroéconomiques mais d'ordre microéconomique, et, parmi eux,
concernent généralement la qualité de la gestion des
établissements et, difficulté la plus souvent mentionnée,
l'insuffisance du contrôle et de la réglementation.
En théorie, les intervenants devraient
proprio motu
souhaiter
l'instauration de systèmes de contrôle et d'évaluation dont
l'apport au bon déroulement de leur activité est incontestable.
Cependant, outre que ces procédures entraînent des coûts
dont le poids peut n'être pas négligeable pour certains petits
intermédiaires, il est naturel qu'en ce domaine les attitudes
diffèrent selon le niveau d'aversion au risque des agents.
De fait, tout démontre la variabilité des comportements bancaires
sous cet angle.
Le tableau ci-après en rend compte. Il expose la variabilité des
comportements prudentiels observés dans différents
systèmes bancaires en matière de risques.
Qu'il s'agisse de la couverte effective des risques par les fonds propres, du
plafond des prêts consentis à un débiteur, des
critères retenus pour la classification des prêts douteux ou non
performants ou encore des règles de provisionnement, les pratiques
diffèrent considérablement.
Incitations à une appréciation adéquate du risque dans les systèmes bancaires
|
Ratio de fonds propres (définition de Bâle) |
Prêt maximal à un seul emprunteur |
Prêts douteux
|
Prêts non performants |
||
|
Ratio
|
Ratio
|
Pourcentage du capital |
Mois d'arriérés |
Provision (en pour cent) |
en pourcentage du total des prêts, 1996 |
Corée |
8 |
9,1 |
15 |
6+ |
20-75 b) |
0,8 |
Mexique |
8 |
13,1 |
10-30 c) |
3+ |
Variable |
12,2 |
Hong-Kong, Chine |
8 |
17,5 |
25 |
Néant |
Néant |
2,7 |
Indonésie |
8 |
11,9 |
10-20 e) |
3-6 |
10 |
8,8 |
Malaisie |
8 |
11,3 |
30 f) |
6-12 |
Variable |
3,9 |
Thaïlande |
8 |
9,3 |
25 g) |
6+ |
71/2-15 b) |
7,7 |
Taipei chinois |
8 |
12,2 |
3-5 |
6+ |
Variable |
3,8 |
Argentine |
12 |
18,5 |
15 |
3-6 |
1-25 b) |
9,4 |
Brésil |
8 |
12,9 |
30 |
3-6 |
20-100 b) |
5,8 |
Chili |
8 |
10,7 |
5 h) |
1-2 |
20 i) |
1,0 |
Russie |
8 |
13,5 e) |
50-100 |
|
Variable |
15,1 |
Etats-Unis |
8 |
12,8 |
15 |
3+ |
Variable k) |
1,1 |
Japon |
8 d) |
9,1 |
20 |
6+ j) |
Néant |
3,4 |
Allemagne |
8 |
10,2 e) |
25 |
Néant l |
Néant |
|
a)
1996 pour les pays de l'OCDE ; 1995 pour les autres
|
En bref, rien ne garantit que l'ensemble des intervenants accepte de la même manière d'instaurer des procédures de contrôle interne également rigoureuses.
3. Les défaillances des incitations de marché
A
défaut d'espérer des gains systémiques d'une réelle
autodiscipline des intervenants financiers, l'on pourrait attendre des
incitations du marché une stabilisation du système.
Tel serait le cas si le marché devait spontanément imposer des
primes aux intervenants dénués d'organes de contrôle
interne.
Or, rien ne permet d'affirmer qu'il le fasse systématiquement.
En réalité, l'une des leçons majeures des crises
asiatiques, mais aussi de la crise russe par exemple, est
précisément l'incapacité de nombreux opérateurs de
marché à percevoir finement les risques et, en
conséquence, à faire varier leurs comportements en fonction de
leur évolution.
C'est vrai pour les prêteurs
puisque ce n'est ainsi qu'au cours du
quatrième trimestre 1997, et donc bien après le début de
la crise, que les marges sur la dette des pays émergents se sont
fortement élargies.
Mais c'est aussi vrai pour les agences de notation
qui ont
révisé tardivement leurs évaluations restant, par exemple,
insensibles dans leurs estimations du risque de change à l'explosion de
l'endettement extérieur à court terme des pays émergents.
Cette absence de capacité des incitations de marché à
intervenir à bonne date se double d'ailleurs de la question de savoir si
leur déclenchement est susceptible d'amener les stabilisations
nécessaires.
Pour les évolutions de marché postérieures à la
survenance des crises
, au vu des expériences asiatiques, la plupart
des commentateurs s'accordent à reconnaître une certaine forme de
surréaction des opérateurs et particulièrement des agences
de notation. Les primes exigées ont alors tendance à
s'accroître brutalement sans considération pour les conditions
dans lesquelles la crise est gérée par les autorités, ces
évolutions compliquant d'ailleurs leur tâche.
La capacité d'évolutions de marché antérieures
aux crises à les prévenir est, quant à elle, on l'a vu,
plus théorique.
Sous cet angle, on est d'abord conduit à
envisager la probabilité d'apparition de telles réactions chez
les prêteurs compte tenu des conditions actuelles de fonctionnement du
système financier international.
L'existence d'un fort risque d'irresponsabilité, la course à la
performance entre des opérateurs aux comportements mimétiques,
les stratégies fondées sur des anticipations
autoréalisatrices, les phénomènes de concurrence
axés sur l'exploitation des situations respectives
d'intermédiaires de plus en plus concentrés, ces nombreux
facteurs conduisent à douter de la capacité des marchés
à s'autoréguler par les réactions des prêteurs
suffisamment précoces et adaptées à l'évaluation
des risques.
Ces facteurs et les risques qui en découlent sont accentués par
des caractéristiques concrètes propres aux emprunteurs. A
supposer même que ceux-ci doivent supporter une tension de leurs
conditions de financement, les insuffisances structurelles observées
dans nombre de pays débiteurs peuvent faire obstacle à une
adaptation convenable de leurs comportements financiers.
Tel est manifestement le cas, s'agissant des emprunteurs publics, de la Russie,
les gouvernements russes ayant paru totalement insensibles au durcissement des
conditions de marché imposées à l'Etat russe.
S'agissant des emprunteurs privés appartenant aux secteurs bancaires ou
productifs, il n'est pas utile de s'appesantir longuement sur les profonds
défauts structurels de la gestion des entreprises asiatiques.
Une conséquence forte de ces développements s'impose : il
est essentiel de restaurer les conditions d'un meilleur fonctionnement des
marchés.
4. Le risque d'irresponsabilité
Il
convient ici d'insister sur l'importance du risque d'irresponsabilité
comme facteur des crises financières récentes.
Ce dernier, comme dans le monde anglo-saxon sous le vocable de
moral
hazard
, représente le risque de comportements imprudents ou
irresponsables de la part de celui qui sait que sa sauvegarde est garantie en
toute circonstance.
On en a observé l'existence par exemple lorsque les porteurs
d'obligations d'Etat russes à court terme (les GKO) à haut
rendement et à risque de défaillance élevé ont
continué d'acquérir ce type de titres jusqu'à la crise du
mois d'août 1998, assurés qu'ils étaient de voir le
Fonds monétaire international venir à la rescousse de la Russie
et lui permettre de faire face tranquillement à ses
échéances. Dans le cadre de la mission du groupe de travail
à Washington, l'économiste en chef de la Banque mondiale, Joseph
Stiglitz a pu apporter au groupe une anecdote éclairante selon laquelle
les spéculateurs internationaux travaillaient alors avec un
combiné téléphonique à chaque oreille : l'un
pour acheter des GKO, l'autre pour savoir quand et pour combien les
institutions internationales interviendraient pour en payer principal et
intérêt.
De fait, les régulateurs, confrontés à une crise,
disposent d'une panoplie d'instruments pour la contrecarrer.
Tout d'abord, il peut être fait appel aux actionnaires des
établissements en difficulté, voire dans certains cas à
leurs créanciers ou à leurs contreparties. Le recours aux
actionnaires est prévu en France par l'article 52 de la loi
bancaire. Le recours aux créanciers et contreparties est une solution
plus récente, expérimentée à l'occasion des crises
financières de l'année 1998. Elle a été
utilisée notamment pour sauvegarder les systèmes financiers des
pays émergents en difficulté. Les établissements
financiers occidentaux ont été amenés à
rééchelonner leurs créances. Dans le cas du Pakistan, le
Club de Paris a même mis en place un rééchelonnement de la
dette obligataire détenue par les créanciers privés,
accompagné d'une baisse de son taux d'intérêt. Cette
solution a aussi été utilisée par la réserve
fédérale de l'Etat de New-York pour prévenir les risques
engendrés par l'effondrement du
hedge fund
LTCM
.
Pour les sinistres touchant essentiellement les intérêts d'une
seule place financière, il peut être fait appel aux acteurs du
système financier qui n'ont pas de lien en capital ou en dette avec le
ou les établissements à sauvegarder. C'est ce qu'on appelle la
solidarité de place. Lorsque celle-ci est organisée au
préalable, elle prend la forme de systèmes de garantie. La France
s'est dotée récemment d'une panoplie de fonds de garantie
destinés à préserver les intérêts des clients
des prestataires de services financiers agréés chez elle. Elle a
réformé son système de garantie des dépôts
pour lequel elle a créé un fonds unique, et s'est dotée
d'un fonds de garantie des investisseurs (contre l'indisponibilité de
leurs instruments financiers), d'un fonds de garantie des assurés et
même d'un fonds de garantie des cautions. Le principe de ces fonds est de
nature très différente de celle des instruments
précédents, car il consiste à faire appel aux concurrents
des établissements défaillants. L'objectif est de prévenir
une crise de confiance généralisée des clients dans le
système financier, crise de confiance pouvant entraîner son
effondrement du fait du retrait massif de leurs fonds par les clients.
L'intérêt de cette législation doit toutefois être
relativisé, car les montants susceptibles d'être mobilisés
par ces fonds ne seraient pas à la mesure d'un accident majeur, dont le
traitement ne pourrait demeurer purement national.
Une troisième catégorie d'intervention publique peut
intervenir : le recours aux contribuables. Les pays les plus
développés n'ont pas hésité à recourir
à cette solution pour faire face à leurs sinistres majeurs. Ce
fut le cas pour le sauvetage des caisses d'épargne américaines
(les savings and loans)
dans les années 80 (sinistre
estimé à 130 milliards de dollars), pour celui du
Crédit Lyonnais en France ou pour le système bancaire et
financier japonais. Contrairement aux catégories d'interventions
précédemment citées qui visent à traiter des
problèmes de liquidité, le recours aux contribuables survient
pour faire face à des problèmes d'insolvabilité. Il s'agit
sans doute d'éviter des contagions financières, mais aussi de
prévenir les conséquences sociales des faillites bancaires.
Pour faire face aux crises systémiques les plus graves, celles qui
mettent en cause la liquidité du système financier sur le plan
national et international, il faut recourir à un prêteur en
dernier ressort, c'est-à-dire à la création
monétaire par une banque centrale, ou, le cas échéant, une
institution qui peut en tenir lieu, comme le Fonds monétaire
international, qui dispose de droits de tirage monétaires sur les Etats
qui en sont membres. Lorsque la défaillance d'un ou plusieurs
établissements est de nature à provoquer une cascade de
défaillances, le prêteur en dernier ressort peut être
amené à injecter des liquidités dans le circuit, sans
prendre de gage en contrepartie, de façon à éviter la
réaction en chaîne.
Ces différentes modalités d'intervention ne sont pas
étanches les unes par rapport aux autres ; elles peuvent se
combiner. Ainsi, le sauvetage de LTCM a mobilisé tout à la fois
une certaine " solidarité " de place et l'injection de
liquidités par la Fed.
Mais si elles sont toutes susceptibles d'atténuer les effets des crises
financières, elles concourent également toutes, même
inégalement, à atténuer la perception des risques par les
acteurs financiers et donc à élever la probabilité de
crises financières. Elles conduisent à mettre en évidence
le dilemme suivant imposé au régulateur public :
d'un côté, il ne faut pas encourager
l'irresponsabilité des opérateurs en leur garantissant des
secours ;
mais d'un autre côté, une défaillance très
importante pouvant entraîner, dans le monde financier globalisé
d'aujourd'hui, une cascade de défauts de paiement et une
récession mondiale, la tentation est alors forte de secourir le
défaillant.
Le défaut d'une solution à ce dilemme, solution qui certes
présente des difficultés conceptuelles importantes et met aussi
en jeu des conflits d'intérêt majeurs, entretient
l'instabilité financière internationale. Il faut donc le
combler.
C. LES INSUFFISANCES DU CONTRÔLE EXTÉRIEUR
La
communauté financière internationale a largement reconnu les
insuffisances du cadre des contrôles externes portant sur les agents
financiers.
Ces insuffisances concernent un vaste ensemble de dispositifs prudentiels
imposés aux intervenants.
Elles sont amplifiées par les problèmes d'organisation du
contrôle externe qui n'a pas suffisamment engagé les adaptations
que suppose la globalisation des marchés.
1. Des dispositifs prudentiels incomplets ou inadaptés
Avec l'exposé du renforcement des exigences imposées en matière de contrôle interne, l'on a déjà évoqué l'un des domaines de la réglementation prudentielle qui est apparu, à juste titre, comme insuffisamment développé. Mais d'autres sources d'insatisfaction doivent être mentionnées.
a) Les insuffisances du ratio Cooke
La
première d'entre elle est relative à la couverture des
engagements des banques par leurs fonds propres. Il existe en la matière
une norme internationale depuis l'accord de Bâle de 1988
dénommée " ratio Cooke " du nom du président du
Comité de Bâle sur la supervision bancaire de l'époque.
Initialement destiné à limiter l'exposition aux risques de
crédit, puis amendé pour tenir compte des risques de
marché, l'accord consiste à exiger que les engagements des
banques ayant une activité internationale significative soient couverts
par un minimum de fonds propres. Le ratio de couverture des risques est
calculé en rapportant les éléments constitutifs des
capitaux propres des intermédiaires à un encours d'engagements,
lui-même calculé à partir de pondérations diverses
des risques en fonction de leur nature. En bref, les différents types
d'engagements sont accompagnés d'exigences variables de couverture.
L'échelle des pondérations va de 0 % pour les engagements
auprès des banques centrales des pays appartenant à l'OCDE
à 100 pour les catégories d'engagements les plus risqués.
En conséquence, le capital exigible pour la couverture des engagements
varie, quatre catégories d'engagements étant distinguées
et accompagnées des exigences de couverture
suivantes : 0 ; 1,6 ; 4 et 8 % respectivement.
L'on ne peut que s'associer aux propos d'Alan Greenspan selon lequel le
" provisionnement en capital constitue un sujet d'importance
essentielle pour les banquiers, et leurs contreparties, mais aussi pour les
régulateurs et les banques centrales dont la tâche est de
s'assurer de la stabilité du système financier ".
L'on peut aussi partager le jugement du Comité de Bâle sur
l'impact très positif du ratio Cooke sur la stabilité du
système financier. Il est bien vrai que l'accord de 1988 a
été suivi par des augmentations substantielles des capitaux
propres des banques.
Il est également exact que le respect mondial du ratio Cooke a beaucoup
progressé
37(
*
)
.
Cependant, il ne faut pas dissimuler les insuffisances de la norme
prudentielle établie en matière de couverture des engagements par
les fonds propres. Elles appellent des réformes qui seront
examinées plus loin dans le présent rapport, et qui suscitent, on
le verra, un vrai débat.
Il faut d'abord souligner que l'évolution de la norme est allée
dans le sens d'une atténuation de sa rigueur qui,
rétrospectivement, peut apparaître quelque peu hâtive
.
C'est ainsi que le Comité de Bâle a pu accéder, en janvier
1996, aux demandes des établissements dotés de modèles
d'estimations de risques de marché développés -demandes
appuyées par leurs autorités de contrôle- de pouvoir
respecter une norme dérogatoire revenant à opérer une
réfaction de moitié par rapport aux risques calculés sur
la base de l'approche standard. Cette décision témoigne
d'ailleurs d'une orientation globale, sur laquelle on reviendra, tendant
à substituer à des normes portant sur les risques
eux-mêmes, des normes prudentielles fondées sur la capacité
de chaque établissement à maîtriser ses risques.
Il faut aussi mettre en évidence les problèmes posés
par l'adaptation de la norme de couverture à la sophistication des
opérations financières des banques.
Les innovations financières ont, par exemple, engendré une
diversification des sources de financement des établissements bancaires
assimilées parfois à tort comme des fonds propres. Il en est
allé ainsi par exemple pour des titres libellés le plus souvent
en monnaie étrangère comportant de la part de leurs souscripteurs
des engagements financiers conditionnels. Ces innovations ont conduit le
Comité de Bâle à préciser les conditions à
retenir pour déterminer les fonds propres des banques.
38(
*
)
Les innovations financières se sont également
considérablement développées du côté des
engagements. Elles offrent une large gamme d'opportunités pour
échapper aux contraintes du ratio Cooke. Une pratique courante consiste
par exemple à regrouper un ensemble de prêts pour les transformer
en titres de créances cessibles à des investisseurs actifs sur le
marché. La titrisation permet en effet aux banques de
" formater " leurs engagements de telle sorte que leurs obligations
d'immobilisation de capitaux propres soient minimisées au regard du
ratio Cooke.
Cette véritable course entre les innovations financières et les
garants de la règle de fonds propres témoigne peut être
d'une certaine réticence des promoteurs des premières à se
plier aux disciplines prudentielles, réticence compréhensible
lorsque leurs défauts sont établis. Mais, elle constitue surtout
un véritable défi pour les régulateurs.
Il faut aussi souligner que le ratio Cooke tel qu'il est aujourd'hui
défini ne va pas sans poser de problèmes au regard de son
objectif primordial qui est d'assurer la viabilité des banques.
Deux défauts majeurs doivent être distingués.
Il apparaît d'abord que l'application du ratio est susceptible de
créer des coûts d'opportunité altérant la
rentabilité des banques et de nature à limiter l'accès au
crédit.
L'exigence formelle d'un ratio minimum de capital
censé sécuriser différentes grandes catégories
d'engagements constitue une approche quelque peu sommaire. A titre d'exemple,
dans le mécanisme actuel, l'ensemble des prêts aux entreprises est
affecté d'une exigence de couverture uniforme égale à 8 %
des engagements. Or, il n'est pas douteux que ces prêts peuvent
être très inégalement risqués, la solvabilité
des emprunteurs pouvant varier considérablement. Le manque de prise en
compte des probabilités inégales d'insolvabilité conduit
ainsi à créer une aversion artificielle des banques pour des
engagements rendus inutilement coûteux. Elle peut être à
l'origine de coûts d'opportunité pour les banques, allant à
l'encontre de l'objectif recherché de solidité financière,
et créer des difficultés indues d'accès au crédit
pour les entreprises.
Mais il apparaît également que l'insuffisante diversification
des pondérations utilisées pour mesurer les risques conduit
à mésestimer les dangers de certains engagements.
Tel est en particulier le cas des crédits souverains pour lesquels la
règle de la pondération 0 des crédits consentis aux pays
de l'OCDE a conduit à des traitements homogènes
injustifiés des dettes souveraines de pays aussi différents que
la Corée ou l'Allemagne. De la même manière, le traitement
uniforme des entreprises est loin de refléter la réalité.
Il est donc tout à fait recommandable d'améliorer le
dispositif de couverture des risques.
b) Les règles comptables
Il faut
d'abord citer, car cette question est étroitement liée à
celle de la couverture des engagements par les fonds propres,
les
difficultés considérables qui résultent du défaut
d'harmonisation des règles comptables et de certaines pratiques
couramment observées en ce domaine, malgré l'existence des normes
comptables élaborées par l'International Accounting Standards
Committee
. La diversité des pratiques comptables remet en cause
l'homogénéité de l'impact du ratio Cooke. Il ne s'agit pas
en soi d'un problème prudentiel mais plutôt d'une question
concernant l'égalité de traitement des établissements
bancaires. Toutefois, la variabilité des coutumes comptables devient un
vrai sujet prudentiel lorsque certaines pratiques sont
exagérément laxistes. L'existence de telles pratiques peut
constituer d'ailleurs un élément d'attractivité qui
renforce encore leur caractère déstabilisant. Or,
l'expérience montre qu'elles sont répandues. Sans même
évoquer la situation des places
off-shore
ou des pays
émergents, l'on peut en faire la démonstration en recourant
à des exemples tirés de pays dont l'influence économique
internationale est majeure. Deux illustrations importantes sont à
citer :
la valorisation des actifs financiers des banques et investisseurs
institutionnels au Japon, établie jusqu'ici en retenant la
référence la plus haute entre la valeur historique et la valeur
de marché ;
L'impact de l'évolution du prix des actifs au Japon sur l'effectivité du ratio Cooke
Durant
la phase de croissance rapide des actifs, les contraintes exercées par
le ratio Cooke sur le développement des bilans bancaires japonais ont
été considérablement allégées.
L'essor du marché boursier a d'abord facilité les
émissions de fonds propres entrant dans les fonds propres de
première catégorie du ratio Cooke.
Cet accroissement des fonds propres de première catégorie a,
à son tour, permis de concrétiser les plus-values latentes
engendrées par l'envol des marchés boursiers. On sait que les
fonds propres de catégorie 2 du ratio Cooke ne peuvent excéder
ceux de la catégorie 1. Les banques japonaises incorporaient 45 %
des plus-values latentes sur titres dans les fonds propres de catégorie
2. Toute augmentation des fonds propres de 1
ère
catégorie leur permettait d'incorporer davantage de plus-values
latentes : une unité supplémentaire de fonds propres de
1
ère
catégorie se traduisait par une unité
supplémentaire de fonds propres de 2
ème
catégorie, permettant d'augmenter l'actif pondéré du
risque de 2 unités.
La chute de l'immobilier et le retournement du marché boursier ont pris
à revers les banques japonaises. D'une part, les sources d'alimentation
autonome de leurs fonds propres ont disparu, un mouvement de contraction
mécanique des fonds propres se déclenchant. D'autre part, cette
évolution a spontanément dégradé la qualité
des risques des banques : les garanties données au secteur de
l'assurance se sont soudainement révélées aventureuses,
les collatéraux garantissant les créances hypothécaires se
sont effondrés...
des passages de provisions insuffisamment rigoureux notamment en
matière de prêts douteux, dont rendent compte les analyses
convergentes de tous les observateurs des crises asiatiques.
Il faut donc procéder à une harmonisation internationale des
règles comptables plus effective et relever le niveau des exigences
prudentielles en la matière.
c) Le champ des réglementations prudentielles
Le
champ des règles prudentielles constitue une autre faiblesse du monde
financier contemporain.
Il ne s'agit pas ici non plus d'évoquer le problème particulier
des places
off-shore
traité par ailleurs. Hormis la question des
banques centrales qui sont affranchies du respect des réglementations
prudentielles au vu d'une réputation que certains
événements récents - l'implication d'une banque
centrale de l'Union européenne dans le naufrage de LTCM, les circuits
financiers mobilisés par la Banque de Russie - pourraient conduire
à réestimer, un problème majeur concerne les
conglomérats financiers.
L'essor d'entités exerçant concourramment plusieurs
métiers, la banque, le titre mais aussi l'assurance, ne s'est pas
accompagné d'un effort conceptuel et normatif suffisant pour donner
naissance à des règles prudentielles adaptées à ces
nouveaux intervenants. Les réglementations prudentielles propres
à chacune de ces activités se sont développées dans
le cadre d'enceintes qui leur sont propres avec, au niveau international :
l'
International Organisation of Securities Commissions
(IOSCO) pour les
contrôleurs des marchés financiers, le Comité de Bâle
pour les banques et l'
International Association of Insurance Supervisors
(IAIS) pour les assurances.
La compatibilité et la cohérence des différentes normes
n'ont pas été suffisamment vérifiées et le besoin
d'une intégration existe.
De nombreux autres intervenants financiers apparaissent en outre mal
- voire nullement - couverts : les
hedge funds
et les
transactions sur Internet en constituent deux illustrations importantes.
Enfin, et surtout, le champ géographique de la réglementation
prudentielle pose le problème crucial de son harmonisation
internationale.
En l'état, les enceintes internationales - BRI, Union
européenne... - où sont élaborées les
règles prudentielles regroupent un petit nombre de pays
développés, ce qui facilite la formation des règles mais
limite probablement leur rayonnement, l'acceptation de ces règles par
les pays tiers étant d'autant moins acquise qu'ils ne participent pas
à leur définition.
A cela s'ajoute le fait que, construites sur la base du consensus, lesdites
règles représentent le plus souvent des compromis minimaux qui ne
sont probablement pas adaptés à la variété des
situations locales. Il est certes loisible à chacun de mettre en place
des règles prudentielles plus strictes mais cette latitude n'est que
fort peu séduisante pour les autorités nationales.
La rigueur plus ou moins grande des règles prudentielles est en effet
considérée comme constitutive d'un enjeu de concurrence.
Cette situation se vérifie avec une particulière acuité
dans les zones économiques homogènes. Le marché unique
européen en fournit un bon exemple.
La législation prudentielle européenne qui s'est
développée au fil des différentes directives intervenues
dans le but spécifique de construire le marché financier unique,
objectif différent de celui qui consisterait à bâtir des
règles prudentielles uniformes, a débouché sur
l'édiction d'obligations prudentielles minimales. Plusieurs sujets
importants comme une législation européenne sur la liquidation
des établissements bancaires sont en chantier depuis longtemps sans
progresser réellement.
Cette situation est, selon M. Tommaso Padoa-Schioppa, membre du Directoire
de la Banque centrale européenne, susceptible d'enclencher un processus
de dérégulation dans les différents espaces nationaux de
l'Union européenne qui s'explique par les compétences
limitées de celle-ci et la dimension concurrentielle des règles
prudentielles.
Cette situation mérite d'être corrigée d'autant qu'elle
concerne une zone monétaire unifiée.
d) Les obligations de transparence
On ne
peut sans doute pas prétendre que les crises financières sont
exclusivement provoquées par un défaut d'accès à
l'information. D'autres causes agissantes ont été largement
mentionnées. On ne doit sans doute pas davantage imaginer qu'une
complète information des agents et des contrôleurs puisse
constituer une garantie sans faille contre la survenance de crises. La crise
asiatique en particulier a amplement démontré qu'au-delà
de sa disponibilité, il importait en l'espèce de faire un bon
usage de l'information.
La théorie économique, qui a depuis longtemps montré le
rôle sur les déséquilibres de marché d'une
insuffisante information ou d'une information insuffisamment partagée,
et les expériences empiriques conduisent à conclure à la
nécessité de renforcer l'éclairage des acteurs.
Cet objectif de principe est du reste reconnu par le Comité de
Bâle comme devant constituer le troisième pilier de la
réforme des règles prudentielles.
2. Les défauts d'organisation du contrôle externe
a) Des exigences théoriques connues
La communauté financière internationale s'est attachée à définir les conditions d'une supervision bancaire effective. C'est ainsi que le Comité de Bâle a établi en avril 1997 une liste de 25 principes fondamentaux à respecter pour assurer une supervision effective 39( * ) . Ce document, qui est le résultat de travaux menés par le G 10 en relation avec les autorités de supervision de nombreux pays n'appartenant pas à celui-ci - 16 en tout -, fixe des exigences minimales.
Synthèse des 25 principes fondamentaux pour une supervision bancaire effective
Préalables à une supervision bancaire
effective
Principe n° 1
:
Le système de supervision bancaire doit se voir confier des
responsabilités claires. Chaque organisme de contrôle doit
bénéficier de moyens suffisants et d'une réelle
indépendance fonctionnelle. Un cadre légal satisfaisant doit
être mis en place incluant des dispositions relatives aux
agréments bancaires et au contrôle de la sécurité de
l'exploitation des banques. Le système de contrôle doit instaurer
une protection des contrôleurs.
Agréments
Principe n° 2 :
La liste des activités autorisées aux banques doit être
précisément définie.
Principe n° 3 :
Les autorités chargées de l'agrément doivent pouvoir fixer
leurs propres conditions et rejeter les candidatures qui ne les satisferaient
pas. L'agrément doit au minimum permettre de vérifier que la
structure de la propriété de la banque, ses dirigeants, son
organisation interne et son capital sont satisfaisants. Lorsque
l'agrément porte sur un établissement d'une banque de
nationalité étrangère, l'agrément préalable
du pays d'origine doit être obtenu.
Principe n° 4 :
Les contrôleurs doivent pouvoir s'opposer aux transferts de
propriété ou de contrôle significatifs touchant des banques
déjà agréées.
Principe n° 5 :
Les contrôleurs doivent être en mesure d'évaluer les
opérations significatives d'acquisition ou d'investissement des banques
afin de s'assurer qu'elles ne débouchent pas sur une exposition
excessive aux risques ou sur une altération de la capacité
effective de contrôle.
Réglementations prudentielles
Principe n° 6 :
Les contrôleurs doivent établir des règles
appropriées en matière de couverture minimale par les fonds
propres à partir d'une évaluation des risques et fondées
sur une définition pertinente des fonds propres disponibles pour
absorber les pertes.
Pour les banques actives à l'international, ces exigences ne doivent pas
être moins strictes que celles établies par l'Accord de Bâle
de 1988 tel qu'amendé.
Principe n° 7 :
Un aspect essentiel des systèmes de contrôle consiste dans
l'évaluation des stratégies, pratiques et procédures
bancaires en matière de crédit et d'investissement ainsi que de
leur suivi.
Principe n° 8 :
Les contrôleurs doivent s'assurer de la qualité de la gestion
interne en matière d'évaluation des actifs et de provisions et
réserves.
Principe n° 9 :
Les contrôleurs doivent s'assurer de la capacité des gestionnaires
à identifier la concentration des engagements et établir des
limites prudentielles en la matière.
Principe n° 10 :
Afin de prévenir les risques excessifs résultant de prêts
à des entités liées, les contrôleurs doivent
s'assurer de la capacité des gestionnaires à contrôler
leurs engagements sur une base consolidée.
Principe n° 11 :
Les contrôleurs doivent s'assurer que les banques maîtrisent le
risque-pays et le risque de transfert liés à leurs prêts et
investissements internationaux et qu'elles disposent de réserves
suffisantes pour y faire face.
Principe n° 12 :
Les contrôleurs doivent s'assurer que les banques maîtrisent le
risque de marché et doivent pouvoir imposer des limites et une
couverture spécifique en fonds propres à l'égard de ces
risques.
Principe n° 13 :
Les contrôleurs doivent s'assurer que les banques disposent des moyens
d'évaluer le risque de management et la capacité de celui-ci
à contrôler l'ensemble des risques de l'activité bancaire.
Principe n° 14 :
Les contrôleurs doivent s'assurer que les banques ont mis en place des
contrôles internes adéquats compte tenu de la nature et de
l'ampleur de leur activité.
Principe n° 15 :
Les contrôleurs doivent s'assurer que les banques disposent de tous les
moyens de connaître leurs clients et relations d'affaires aux fins de
promouvoir une activité bancaire conforme à l'éthique et
d'éviter de se livrer intentionnellement ou non à des
activités criminelles.
Méthodes de supervision
Principe n° 16 :
La supervision doit pouvoir être effectuée sur pièces et
sur place.
Principe n° 17 :
Les contrôleurs doivent entretenir des contacts réguliers avec les
dirigeants et disposer d'une compétence suffisante.
Principe n° 18 :
Les contrôleurs doivent être en mesure d'accéder aux
rapports prudentiels et à toutes les statistiques nécessaires sur
une base consolidée ou non.
Principe n° 19 :
Les contrôleurs doivent pouvoir évaluer les données
nécessaires à leur contrôle sur une base entièrement
indépendante à partir de leurs propres contrôles sur place
ou en recourant à des vérificateurs extérieurs.
Principe n° 20 :
Un aspect essentiel de la supervision consiste à pouvoir contrôler
les groupes bancaires sur une base consolidée.
Les exigences en matière d'information
Principe n° 21 :
Les contrôleurs doivent s'assurer que les banques tiennent leurs livres
de façon adéquate sur la base de pratiques comptables
fondées sur un souci d'exactitude et de sincérité
compatibles avec une appréciation de la situation financière
réelle des banques.
Les prérogatives formelles des contrôleurs.
Principe n° 22 :
Les contrôleurs doivent disposer des prérogatives suffisantes pour
leur permettre d'apporter à temps les corrections nécessaires en
matière de couverture des engagements par les fonds propres, de
pratiques prudentielles générales, de violations des
règlements ou lorsque les déposants encourent des périls
quel qu'en soit la raison. Dans les circonstances extrêmes, ces
prérogatives doivent aller jusqu'au retrait de l'agrément.
Les activités bancaires internationales.
Principe n° 23 :
Les contrôleurs doivent placer leur contrôle des banques actives
à l'international dans une perspective consolidée et appliquer
les règles prudentielles pertinentes à l'ensemble des
activités de ces établissements, en particulier à celles
de leurs filiales, succursales ou sociétés jointes à
l'étranger.
Principe n° 24 :
Une des composantes clefs du contrôle consiste à établir
des contacts et des échanges d'informations avec les autres
contrôleurs, en particulier avec les contrôleurs étrangers.
Principe n° 25 :
Les contrôleurs doivent avoir pour les établissements
localisés dans leur territoire de compétence dépendants
d'organismes étrangers les mêmes exigences que pour les
intervenants domestiques et doivent pouvoir partager leurs informations avec
les autorités de contrôle des banques des pays d'origine afin de
permettre d'établir un contrôle consolidé.
b) Une pratique lacunaire du contrôle externe
En
dépit de l'édiction de normes de bonnes pratiques de
contrôle externe, les diagnostics convergent pour attribuer aux
défaillances de la supervision externe une responsabilité
importante dans les crises financières les plus récentes.
Le constat de la montée des risques pris par les établissements
soumis à contrôle - il ne faut pas oublier que d'importants
acteurs de marché échappent à tout contrôle -
donne du crédit à ce diagnostic déjà posé en
matière de contrôle interne.
Un diagnostic partagé ne signifie pas que les causes du mal soient
identiques. Les motifs d'inertie des contrôles internes ont
été exposés. Ils ne recouvrent pas ceux qui sont
généralement identifiés comme source d'inefficacité
des contrôles externes.
Pour l'essentiel, les explications avancées de ce dernier point de
vue consistent à mettre en évidence le manque
général de moyens conférés aux organes de
contrôle, caractéristique particulièrement soulignée
dans le cas des pays émergents.
Cette approche est illustrée par le rapport de l'OCDE de juin 1999
relevant que :
" les organismes de contrôle avaient souvent
des pouvoirs limités dans les économies émergentes, et les
pénalités imposées en cas de non-respect de la
réglementation étaient généralement peu
élevées. Cette situation était due à plusieurs
facteurs : le caractère informel des liens entre entreprises
(notamment en Asie) et le flou qui entourait les droits de
propriété, rendant difficile une estimation de l'importance des
prêts à des entités apparentées ; des
contraintes de ressources se traduisant par de rares inspections sur place et
par un contrôle minime de l'évaluation des risques de
crédit ; le poids limité des organismes de contrôle
dans l'administration publique, par comparaison avec celui des organismes
chargés de la politique à l'égard du secteur des
entreprises ; le fait qu'il était difficile, sur le plan politique,
d'amener les entreprises à constituer des provisions pour faire face
à une modification éventuelle de la politique officielle
(modification de la politique de taux de change annoncée, par
exemple) ".
Mais,
ce diagnostic ne semble pas devoir être réservé
à la situation des pays émergents
puisqu'aussi bien, les
créances douteuses des banques localisées dans les pays
avancés se sont elles aussi accumulées. D'ailleurs, dans son
68
ème
rapport de juin 1998, la Banque des
règlements internationaux n'exclut pas explicitement les organes de
contrôle externe des pays avancés lorsqu'elle observe :
" La prévention des crises exige, par-dessus tout, un
système financier domestique solide. Alors que les principes de base de
la supervision bancaire édictés par le Comité de
Bâle fournissent un point d'appui crucial pour des améliorations
en ce domaine, leur mise en oeuvre constitue un défi. Il y a
actuellement dans les banques et dans les agences de supervision une grande
pénurie de personnels qualifiés qui réclamera un effort de
formation significatif exigeant de la durée et des ressources
considérables. Une difficulté encore plus difficile devra
être éliminée avec les résistances politiques de
ceux qui ont jusqu'à présent bénéficié du
système. "
A ces problèmes d'organisation qui, pour apparaître triviaux n'en
sont pas moins très importants, il faut ajouter le constat d'une
complexification considérable des missions de contrôle externe.
Elle est elle-même due à la sophistication des flux financiers et
des organisations des acteurs de marché.
Leur internationalisation constitue en soi un défi majeur pour des
contrôleurs qui sont, eux, restés nationaux.
Les capacités des contrôleurs nationaux à accéder
à toutes les données pertinentes s'en trouve réduite. Sans
doute des obligations de consolidation comptable sont-elles
posées ; sans doute des systèmes de coopération entre
contrôleurs sont-ils institués ; sans doute des clauses de
reconnaissance mutuelle entre contrôleurs sont-elles prévues.
Pourtant, aucun de ces dispositifs ne peut garantir entièrement contre
une mauvaise appréciation de la dimension internationale de
l'activité d'un établissement soumis au contrôle d'une
instance strictement nationale.
Les obligations de consolidation peuvent être contournées et les
organes de contrôle, limités par le champ géographique de
leurs compétences, sont mal à même d'en vérifier la
bonne application. Les systèmes de coopération internationale
entre contrôleurs sont inégalement efficaces, ne serait-ce que
parce qu'aucune instance d'arbitrage n'existe réellement pour en assurer
un fonctionnement harmonieux. La reconnaissance mutuelle entre
contrôleurs est assise sur la fiction d'une
homogénéité des pratiques et des exigences des
contrôleurs.
Ces vulnérabilités sont amplifiées par la
diversification des risques.
Les acteurs se diversifient et certains
échappent à tout contrôle, à l'image de certains
hedge funds
ou des opérateurs sur internet. Les produits
financiers se multiplient et les contrôleurs sont mis en demeure de
s'adapter aux progrès constants de l'ingéniérie
financière. Les risques deviennent multiformes et appellent une
diversification des compétences des contrôleurs qui ne doivent
plus seulement maîtriser les savoirs bancaires et financiers, mais aussi
les techniques de gestion et de management et les environnements juridiques. Un
exemple parmi d'autres de ces risques juridiques peut être cité
avec les déboires d'Altus - ex filiale du Crédit
lyonnais - confronté à la législation californienne
sur les banques et les assurances, déboires que la Commission bancaire
n'avait, de toute évidence, pas les moyens de prévenir.
D. LES TROUS NOIRS DU SYSTÈME FINANCIER INTERNATIONAL
La surveillance bancaire et financière internationale trouve également ses limites dans un certain nombre de " trous noirs " auxquels les régulateurs et leurs organisations internationales n'ont pas accès.
1. Deux types de trous noirs : géopolitiques, et techniques
On peut
classer ces trous noirs en deux catégories :
Les trous noirs géographiques et politiques
. Ce sont
,
d'une part, les Etats souverains où sévit la corruption.
Ce
sont,
d'autre part, les places off-shore, terrains privilégiés
de l'évasion fiscale et du blanchiment
. Ou bien il n'existe pas
localement d'organismes de surveillance de marché ou bancaire ;
c'est souvent le cas des paradis fiscaux. Ou bien ces organismes existent, mais
ne coopèrent pas. Ou bien ces organismes sont inaptes à enrayer
des fraudes massives ; c'est le cas dans les Etats gangrenés par la
corruption.
Ces lieux constituent des zones peu accessibles pour les organes de
surveillance des pays industriels ou pour leurs organisations internationales,
comme l'organisation internationale des commissions de valeurs
mobilières (OICV), ou le comité de Bâle.
Il en est de même des institutions unilatérales : on a vu que
le FMI avait peu de moyens de savoir ce qui est fait des fonds qu'il
prête aux banques centrales.
Lorsqu'un flux financier transite par de
telles places, il disparaît aux yeux de la communauté
internationale
.
Un
concentré des lacunes du mode de contrôle traditionnel
à
l'égard des " trous noirs " : l'affaire FIMACO
L'affaire de la FIMACO, filiale sise à Jersey de la
banque
commerciale d'Europe du Nord (BCEN), elle-même filiale de la Banque
centrale de Russie, est un exemple concentrant une bonne partie des
dysfonctionnements des systèmes de régulation bancaire
traditionnels à l'égard des circuits financiers transitant par
les zones
off-shore
. Et il ne s'agit que d'un aspect particulier des
difficultés financières impliquant la Russie.
Un échantillon des acteurs du système financier international est
en effet réuni dans ce scénario exemplaire. Y sont ainsi
impliqués :
des prêts du Fonds monétaire international, (en l'occurrence
pour équilibrer la balance des paiements russes) et le FMI
lui-même,
la Banque centrale de Russie (BCR),
une banque commerciale agréée en France, filiale de la
Banque centrale de Russie : la BCEN,
les autorités de contrôle bancaires françaises, en
particulier la commission bancaire, et le ministère de
l'économie, des finances et de l'industrie,
une place
off-shore
européenne : Jersey, et un
établissement financier y détenant son siège :
FIMACO, filiale de la BCEN,
la spéculation sur les obligations de l'Etat russe : les GKO,
soit l'un des facteurs de la crise russe d'août 1998.
On peut ajouter, pour bien camper le décor, que l'affaire FIMACO n'a pas
directement concerné des fonds d'origine criminelle (puisque ce sont
précisément des aides du FMI qui ont emprunté ce circuit,
pour être replacés sur le marché russe des valeurs d'Etat,
contribuant à sa liquidité et à son attractivité
pour les investisseurs internationaux), et n'a pas révélé
d'incompétence technique de la part des régulateurs, mais a au
contraire mis en évidence des lacunes de nature institutionnelle. Il a
fallu en effet recourir à un cabinet d'audit privé, Price
Waterhouse Coopers, avec le consentement de la Banque de Russie, pour
établir les faits.
Une partie de fonds accordés par le FMI à la Russie en vue
d'équilibrer sa balance des paiements a en effet suivi le circuit
suivant à partir de 1992, et jusqu'en 1996.
FMI
Prêt sans contrôle
Communauté internationale
832 millions USD
267 millions DEM
Titres de la dette fédérale Russe (GKO)
Apports de devises (2,5 Mds USD)
Russie
Somme non identifiée
BCR
Banque commerciale Russe
1,1 milliard UDS (dont les fonds du FMI)
Commission bancaire France
Somme non identifiée
FIMACO
,
Jersey, filiale
à 100 %
Même somme
Europe
Contrôle prudentiel
BCEN - Paris, France filiale à 78 %
Contrôle
Commission de valeurs mobilières de Jersey et Guernesey
Contrôle de la gestion sous mandat
Commission des opérations de Bourse France
La
Banque centrale de Russie a pris l'habitude de placer une partie de ses
réserves en Europe, via sa filiale BCEN, installée en France
depuis 1921. Au terme du circuit schématisé ci-dessus, elle a
réorienté une partie des fonds de l'aide internationale
accordée par le FMI vers la spéculation sur les GKO, permettant
l'enrichissement de nombreux intervenants, mais participant aussi, par les
excès de ce marché, à la crise de la dette de l'Etat
russe, qui a éclaté en 1998.
Cette affaire a mis en évidence
les lacunes des contrôles
nationaux et internationaux
dans l'appréhension des mouvements
internationaux de capitaux transitant par une place
off-shore
(en
l'occurrence Jersey) :
Le FMI
subordonne ses prêts à la réalisation
d'objectifs macroéconomiques, mais ne contrôle pas l'emploi des
liquidités. A la suite de cette affaire, il a décidé
d'accorder à la Russie des crédits sous forme d'un compte
bloqué dans ses livres.
La commission bancaire
a, en France, effectivement
contrôlé la BCEN, mais son contrôle était,
malgré elle, en grande partie aveugle :
- elle a pu savoir, en interrogeant la BCEN, qu'une grande partie des fonds
(3 milliards de francs sur 10 milliards de francs de bilan)
gérés par elle provenaient de sa mère, la banque centrale
de Russie (BCR), mais n'avait aucun moyen de savoir qu'une partie de ces
mêmes fonds pouvaient initialement être des prêts du FMI,
celui-ci ne sachant pas ce que ses prêts deviennent, et la commission
bancaire n'ayant pas compétence vis-à-vis de la BCR.
- son contrôle, de nature prudentielle, n'a rien
révélé d'anormal, la BCEN respectant ses ratios.
- sur le plan géographique et institutionnel, la commission bancaire n'a
pas compétence pour contrôler FIMACO car
Jersey est un paradis
fiscal situé hors de l'Espace économique européen
. Il
ne lui était donc pas possible de savoir ce qu'il advenait des fonds
gérés par FIMACO, et en particulier leur retour en Russie lui
était inconnu.
Paradis fiscal, Jersey est tout de même doté d'une
commission des valeurs mobilières, pilotée par d'anciens
dirigeants du
Securities investment board
(SIB) britannique. Cette
autorité est membre de l'OICV. Elle a alerté la
Commission des
opérations de bourse
sur d'éventuelles
irrégularités touchant la BCEN. Ces irrégularités
ne portent toutefois que sur un aspect mineur : la BCEN n'a pas
d'agrément pour pratiquer la gestion pour compte de tiers. La COB a donc
saisi le Parquet. En revanche, il ne semble pas que la commission bancaire et
la COB aient eu des contacts sur ce dossier, dont l'écheveau n'a
été reconstitué que par le travail de Price Waterhouse
Coopers.
Enfin, l'une des lacunes non négligeables est le défaut de
dialogue entre les différentes autorités publiques de
contrôle impliquées dans cette affaire. Mais à leur
décharge, elles ne pouvaient savoir le plus souvent de quoi elles
auraient eu à parler.
Et c'est ainsi que malgré lui, le FMI a alimenté - pour
une partie modeste, mais qui a le défaut d'exister - la
spéculation sur les GKO, et que la Banque de Russie l'a trompé
sur le niveau de ses réserves en devises en utilisant ses propres
fonds
. L'aide internationale a ainsi - paradoxe suprême -
contribué directement à la crise russe de 1998, et ce au travers
d'une banque agréée en France !
Les trous noirs techniques
, tenant à la nature des
contrôles effectués. Les commissions de contrôle bancaire
ont une compétence de nature prudentielle. Un établissement de
crédit se livrant au traitement de flux financiers criminels peut
très bien par ailleurs respecter les ratios prudentiels. C'est
d'ailleurs bien souvent le cas. De la même façon les
autorités de surveillance des marchés financiers surveillent la
régularité formelle des transactions. Hors délits
d'initiés ou franchissements de seuil, rien n'apparaît d'une
transaction sur valeurs mobilières opérée avec des fonds
d'origine criminelle.
C'est pourquoi la législation française repose sur la pratique de
la déclaration de soupçon. C'est en fonction des doutes, plus ou
moins subjectifs, que suscite un client, des fonds qu'il souhaite placer, de
ses buts de placement etc., que les établissements peuvent
déceler une opération délictueuse, mais non en fonction de
la nature de l'opération réalisée. Cette détection
est
a fortiori
, plus difficile lorsque les établissements
financiers eux-mêmes sont complices.
En outre, les circuits du blanchiment tentent d'éviter les circuits
bancaires traditionnels. Le dernier rapport du GAFI
40(
*
)
fait état de techniques comme le
" Hawala/Hundi " en Asie du Sud-Est, consistant à
éviter les transferts de fonds d'un pays à l'autre, par des
transferts locaux de même sens dans deux pays différents dans deux
devises différentes. Il suffit que les partenaires soient
présents dans les deux pays à la fois. De la même
façon, à l'autre extrême de la modernité, les
institutions de surveillance sont encore désarmées
vis-à-vis des transactions effectuées par internet, que ce soient
des transactions classiques ou des jeux d'argent (casino virtuels).
Les trois techniques du blanchiment selon le GAFI
le
placement
: conversion d'espèces issues de trafics en
placements licites (or, devises, comptes bancaires),
l'empilage
: multiplication de transactions
financières, notamment via des sociétés-écrans ou
des trusts, éventuellement établis
offshore
,
l'intégration
: investissement des espèces
frauduleuses en actifs réels légaux.
Source :
Banque magazine
- décembre 1999.
On comprend dans ces conditions l'extrême difficulté que
revêt le contrôle des fonds à effet de levier établis
offshore
. Sur le plan technique, le contrôle du risque d'un fonds
à effet de levier est difficile en soi, alors même que les hauts
niveaux de levier exposent les marchés à des risques
systémiques méconnus. Mais, en outre, sur le plan juridique, leur
établissement
off
shore les fait échapper aux organes de
contrôle compétents des pays industriels dans lesquels ils
opèrent et sur l'économie desquels il font peser un risque.
2. Les tentatives d'établissement d'une typologie des trous noirs
Dans la
perspective d'une action visant à réduire la capacité de
nuisance des places offshore, il est important d'en établir une
typologie. Le groupe de travail, qui n'a pas étudié
spécifiquement cette question n'a pas la prétention d'en
établir une.
En revanche, ce sujet est actuellement en traitement par le GAFI, organe de
l'OCDE chargé de traquer le blanchiment, et par le Forum de
stabilité financière, présidé par M. Andrew
Crockett, qui étudie les places
offshore
en général.
Les trous noirs sont en effet essentiellement les centres
offshore
, car
l'argent de la corruption y converge comme celui de blanchiment. En
règle générale, ainsi que le montre une étude
récente du
Narcotic Bureau
, les Etats où sévit une
forte corruption ne sont pas des centres
offshore
.
Le GAFI a établi une typologie des pays ou territoires non
coopératifs, en 25 critères, qu'il explique dans son rapport du
14 février 2000.
Critères du GAFI définissant les pays ou territoires non coopératifs
A.
Lacunes dans les réglementations financières
Absence ou insuffisance des réglementations et des dispositifs de
surveillance visant les institutions financières
1. Absence ou inefficience des réglementations et des dispositifs de
surveillance visant l'ensemble des institutions financières d'un pays ou
d'un territoire donné, au plan interne ou extraterritorial, sur une base
équivalente au regard des normes internationales applicables au
blanchiment de capitaux.
Inadéquation des règles concernant la délivrance
d'agréments et l'établissement des institutions
financières, y compris l'évaluation des antécédents
des directeurs et propriétaires-bénéficiaires
2. Possibilité pour des personnes physiques ou morales de gérer
une institution financière sans autorisation ou enregistrement ou avec
seulement des obligations rudimentaires en matière d'autorisation ou
d'enregistrement.
3. Absence de mesures pour empêcher des criminels ou leurs
associés d'exercer des fonctions de gestion ou un contrôle ou
d'acquérir une participation importante dans des institutions
financières.
Insuffisance des obligations d'identification des clients imposées
aux institutions financières
4. Existence de comptes anonymes ou de comptes à des noms manifestement
fictifs.
5. Absence de lois, réglementations ou accords efficaces entre les
autorités de surveillance et les institutions financières ou
d'accords d'autoréglementation entre les institutions financières
sur l'identification du client et du bénéficiaire effectif d'un
compte :
- aucune obligation de vérifier l'identité du client ;
- aucune obligation d'identifier les
propriétaires-bénéficiaires lorsqu'il existe des doutes
quant à la question de savoir si le client agit en son nom propre ;
- aucune obligation de vérifier l'identité du client ou du
propriétaire-bénéficiaire effectif lorsque des doutes
paraissent à cet égard au cours de relations d'affaires ;
- aucune obligation pour les institutions financières de mettre en place
des programmes continus de formation au blanchiment des capitaux.
6. Absence d'obligations légales ou réglementaires pour les
institutions financières, d'accords entre les autorités de
surveillance et les institutions financières ou d'accords automatiques
entre les institutions financières en vue de l'enregistrement et de la
conservation, pendant un délai raisonnable et suffisant (cinq ans), des
documents concernant l'identité de leurs clients ainsi que des dossiers
relatifs aux transactions nationales et internationales.
7. Obstacles juridiques ou pratiques à l'accès par les
autorités administratives et judiciaires aux informations concernant
l'identité des titulaires ou des
propriétaires-bénéficiaires ainsi qu'aux informations
liées aux transactions enregistrées.
Caractère excessif des régimes de secret applicable aux
institutions financières
8. Dispositions en matière de secret pouvant être invoquées
à l'encontre des autorités administratives compétentes,
mais pas levées par elles, dans le cadre des enquêtes concernant
des opérations de blanchiment des capitaux.
9. Dispositions en matière de secret pouvant être invoquées
à l'encontre des autorités judiciaires, mais pas levées
par elles, dans le cadre d'enquêtes criminelles sur des opérations
de blanchiment de capitaux.
Absence d'un système efficace de déclaration des transactions
suspectes
10. Absence d'un système obligatoire et efficient pour la
déclaration des transactions suspectes ou inhabituelles aux
autorités compétentes, un tel système devant assurer la
détection et la poursuite du blanchiment de capitaux.
11. Absence de suivi et de sanctions pénales ou administratives
concernant l'obligation de déclaration des transactions suspectes ou
inhabituelles.
B. Obstacles soulevés par d'autres secteurs de
réglementation
Inadéquation des règles de droit commercial concernant
l'enregistrement des entreprises et des personnes morales
12. Inadéquation des moyens d'identification, d'enregistrement et de
diffusion de l'information concernant les entreprises et les personnes morales
(nom, forme juridique, adresse, identité des directeurs, dispositions
réglementant la possibilité d'engager l'entité).
Absence d'identification du (des)
propriétaire(s)-bénéficiaire(s) des entreprises ou des
personnes morales
13. Obstacles à l'identification par les institutions financières
du/des propriétaire(s) bénéficiaire(s) et des
directeurs/administrateurs d'une société ou des
bénéficiaires d'une entreprise ou d'une personne morale.
14. Systèmes réglementaires ou autres permettant aux institutions
financières de réaliser des transactions financières sans
que soient connus le(s) propriétaire(s)-bénéficiaire(s) de
ces transactions ou permettant à ces bénéficiaires
d'être représentés par un intermédiaire refusant de
divulguer cette information, sans informer les autorités
compétentes.
C. Obstacles à la coopération internationale
Obstacles à la coopération internationale entre
autorités administratives
15. Lois ou réglementations interdisant l'échange international
d'informations entre les autorités administratives anti-blanchiment, ne
prévoyant pas des canaux clairs pour l'échange d'informations ou
subordonnant ces échanges à des conditions très
restrictives.
16. Interdiction pour les autorités administratives de mener des
enquêtes ou des investigations au nom ou pour le compte de leurs
homologues étrangers.
17. Mauvaise volonté évidente pour répondre
constructivement à des demandes (défaut de prise de mesures
appropriées en temps voulu, longs délais de réponse).
18. Pratiques restreignant la coopération internationale contre le
blanchiment de capitaux entre les autorités de surveillance ou entre les
unités de recherche financière pour l'analyse et l'investigation
de transactions suspectes, en particulier au motif que ces transactions peuvent
concerner des questions fiscales.
Obstacles à la coopération internationale entre
autorités judiciaires
19. Défaut d'incrimination du blanchiment des produits d'infractions
graves.
20. Lois ou réglementations interdisant l'échange international
d'informations entre les autorités judiciaires (notamment
réserves spécifiques aux dispositions des accords internationaux
concernant le blanchiment des capitaux) ou application de conditions
très restrictives à l'échange d'informations.
21. Mauvaise volonté évidente pour répondre
constructivement à des demandes d'entraide judiciaire (par exemple,
défaut de prise des mesures appropriées en temps voulu, longs
délais de réponse).
22. Refus de coopérer au niveau judiciaire dans le cas impliquant des
infractions reconnues comme telles par la juridiction requise, en particulier
au motif que des questions fiscales sont en cause.
D. Inadéquation des ressources consacrées à la
prévention et à la détection des activités de
blanchiment de capitaux
Insuffisance des ressources dans les secteurs public et privé
23. Incapacité de fournir aux autorités administratives et
judiciaires les ressources financières, humaines ou techniques
nécessaires pour exercer leurs fonctions ou mener leurs enquêtes.
24. Incompétence ou corruption des agents employés par les
autorités gouvernementales, judiciaires ou de surveillance ou des
responsables de la mise en oeuvre de mesures anti-blanchiment de capitaux dans
le secteur des services financiers.
Absence d'une unité de renseignements financiers ou d'un
mécanisme équivalent
25. Absence d'une unité centralisée (c'est-à-dire d'une
unité de renseignements financiers) ou d'un mécanisme
équivalent pour la collecte, l'analyse et la diffusion d'informations
sur des transactions suspectes aux autorités compétentes.
A partir de cette typologie, le GAFI entend publier une liste des territoires
facilitant le blanchiment d'argent criminel dès le mois de
juin 2000.
De son côté, le Forum de stabilité financière
publiera, dès le printemps 2000, son étude sur les places
offshore
. Il devrait les classer en trois groupes, en fonction de leur
degré de " fréquentabilité ", le groupe des
moins fréquentables devant faire l'objet de mesures d'exclusion de la
part de la communauté internationale, sous la forme d'interdiction
totale de relations financières des pays industriels avec ces places.
Les places
offshore
sont en effet plus ou moins regardantes à
l'égard de la délinquance financière. Certaines, comme
Nauru, dans le Pacifique, ne possèdent aucun organe de contrôle.
D'autres sont dotées d'un organe de contrôle bancaire ou boursier,
comme les Iles anglo-normandes. Les Bahamas viennent d'en créer un.
Certaines ont une législation anti-blanchiment comme le Liechtenstein ou
Grand Caïman alors que Nauru n'en dispose pas. La plupart des
législations anti-blanchiment ne concernent toutefois que le trafic de
stupéfiants et laissent de côté les produits de la fraude
et de l'évasion fiscales. C'est le cas du Liechtenstein.
L'OCDE a recensé au total 47 paradis fiscaux. Le
Narcotic Bureau
américain vient de dénombrer 52 Etats accueillant des organismes
offshore
. Quelques listes indicatives peuvent en être
dressées, à la fois du point de vue des autorités
publiques, et de celui des " utilisateurs ".
Quelques listes de paradis fiscaux
Liste établie en 1981 par le commissaire américain au
Trésor
41(
*
)
Caraïbes et Atlantique Sud |
Europe, Moyen-Orient, Afrique |
Anguilla |
Autriche |
Antigua |
Bahreïn |
Antilles néerlandaises |
Iles anglo-normandes |
Bahamas |
Gibraltar |
Barbade |
Ile de Man |
Belize |
Liberia |
Bermudes |
Liechtenstein |
Iles vierges britanniques |
Luxembourg |
Iles Caymans |
Monaco |
Costa Rica |
Pays-Bas |
Grenade |
Suisse |
Malouines |
Asie et Pacifique |
Montserrat |
Iles Cook |
Nevis |
Guam |
Panama |
HongKong |
St-Kitts |
Maldives |
Sainte-Lucie |
Nauru |
Iles Turks et Caicos |
Vanuatu |
Uruguay |
Singapour |
|
Tonga |
Liste des places sur lesquelles sont établis les hedge funds offshore américains (1999)
Europe |
Antilles/Caraïbes |
Asie |
Irlande |
Grand Caïman |
Hong Kong |
Luxembourg |
Antilles néerlandaises |
|
Guernesey |
Iles vierges |
|
Pays-Bas |
Bermudes |
|
Jersey |
Bahamas |
|
Ile de Man |
Panama |
|
Suisse |
Amérique / Etats-Unis |
|
|
New-York |
|
|
Canada |
|
|
San Francisco |
|
|
Rocky Mountain |
|
|
Greenwich |
|
Liste
des places
offshore
proposées par
Finor associates Ltd
(îles vierges)
en vue d'aider à l'implantation d'entreprises ou
de
trusts
(2000)
Europe |
Antilles / Caraïbes |
Afrique |
Gibraltar |
Antigua |
Afrique du Sud |
Hongrie |
Bahamas |
Maurice |
Ile de Rau |
Bermudes |
Asie/Pacifique |
Madère |
Iles vierges britanniques |
Nauru |
Suisse |
Antilles néerlandaises |
Bahrein |
Andorre |
Anguilla |
Labuan |
Chypre |
Belize |
Hong-Kong |
Guernesey |
Costa Rica |
Etats-Unis |
Irlande |
Caïmans |
Delaware |
Monaco |
Turk et Caïcos |
|
Autriche |
Montserrat |
|
Liechtenstein |
|
|
Royaume-Uni |
|
|
Ces
listes démontrent que l'
offshore
n'est pas l'apanage de quelques
îles exotiques, mais que l'évasion fiscale est possible au coeur
même de l'Europe.
Elles indiquent aussi les liens pouvant apparaître entre les
différentes formes de criminalité financière. Ainsi, parmi
les pays de l'Union européenne, l'Irlande, apparue récemment sur
les listes de paradis fiscaux, a connu une très vive dégradation
de son indice de perception de la corruption entre 1998 et 1999, passé
de 8,2 à 7,7 alors qu'aucun autre Etat des 15 n'a connu de
dégradation supérieure à 0,1 point (dont la France...).
Territoires accueillant des centres
offshore
selon le
Narcotic Bureau
(
strategic report
1999)
mars 2000
Europe |
Antilles/Caraibes |
Afrique |
Asie/Pacifique |
Amérique |
Chypre |
Anguilla |
Liberia |
Bahrein |
Etats-Unis |
Gibraltar |
Antigua et Barbuda |
Maurice |
Iles Cook |
Uruguay |
Guernesey |
Aruba |
Tunisie |
Hong-Kong |
|
Irlande |
Bahamas |
|
Liban |
|
Ile de Man |
Barbade |
|
Macao |
|
Jersey |
Belize |
|
Malaisie |
|
Liechstenstein |
Bermudes |
|
Iles Marshall |
|
Luxembourg |
Iles vierges |
|
Nauru |
|
Malte |
Iles Caïmans |
|
Niue |
|
Monaco |
Costa Rica |
|
Samoa |
|
Portugal |
Dominique |
|
Seychelles |
|
Russie |
Grenade |
|
Singapour |
|
Suisse |
Montserrat |
|
Thaïlande |
|
|
Antilles néerlandaises |
|
Emirats Arabes Unis |
|
|
Panama |
|
Vanuatu |
|
|
Saint Kitts et Nevis |
|
|
|
|
Sainte Lucie |
|
|
|
|
Saint Vincent/Grenadines |
|
|
|
|
Turks et Caïcos |
|
|
|
La liste établie par le Narcotic Bureau du département d'Etat des Etats-Unis, aux fins de la lutte contre le trafic de drogue, est la plus complète à ce jour. Elle classe les Etats et territoires du monde en fonction d'une approche multicritères, pour mesurer leur sensibilité au trafic de drogue et au recyclage de ses produits financiers. Parmi ces critères figure l'accueil, ou non, d'établissements offshore sur le territoire. 52 Etats ou territoires accueillent des centres offshore , dont les Etats-Unis eux-mêmes.
CHAPITRE III :
LES PROPOSITIONS POUR AMÉLIORER LA
RÉGULATION MONÉTAIRE ET FINANCIÈRE
INTERNATIONALE
Le
nombre impressionnant d'organismes, de groupes de travail, d'instances de
réflexion, permanentes ou
ad hoc
, qui se sont penchés sur
l'avenir du système monétaire et financier international, permet
de disposer aujourd'hui d'une abondante documentation et de propositions
très riches et très diverses.
Finalement, l'obstacle le plus grand dans cette réforme du régime
né après la seconde guerre mondiale réside moins dans la
connaissance des phénomènes ou dans la recherche de solutions que
dans la détermination des instances appropriées pour prendre les
décisions requises. En 1945, la puissance économique et
financière était centralisée en Amérique du Nord.
La négociation collective sur le système de Bretton Woods fut
grandement facilitée par la présence d'une économie et
d'une monnaie dominantes et l'absence quasi-totale (la BRI faisant exception)
d'institutions internationales compétentes dans le domaine
économique et financier. Près de soixante ans plus tard, la
planète économique et financière a éclaté,
les instances de décision se sont multipliées et les
intérêts ne convergent plus nécessairement. Il paraît
ainsi inenvisageable de reproduire une conférence mondiale du type de
celle de Bretton Woods. Le nouveau système monétaire et financier
international sera le fruit de concertations diverses et non pas d'un
traité unique.
Dans cet horizon morcelé, de nombreuses propositions se font cependant
jour, sur lesquelles votre groupe de travail tenté d'émettre un
avis éclairé par les missions et entretiens qu'il a
réalisés dans le monde entier, avant d'ouvrir ses propres pistes
de réflexion.
I. LES PROPOSITIONS EXTÉRIEURES
" Nous savons quelles réformes doivent être accomplies. Bien sûr, il faut d'abord mettre en oeuvre de bonnes politiques économiques dans chacun de nos Etats. C'est un préalable. Mais il faut aussi renforcer les obligations des Etats et des institutions financières internationales en matière de transparence. Il faut accroître nos capacités de prévention des crises. Il faut adopter un vrai `code de la route' pour la circulation des capitaux, un code qui s'applique à tous, y compris aux fonds d'investissement spéculatifs et aux centres " offshore ". Il faut mieux associer le secteur privé à la solution des crises. Il faut identifier et définir le rôle du `prêteur en dernier ressort' du système financier international. " Par ces quelques phrases, le président de la République, M. Jacques Chirac, résumait l'ensemble des propositions de réforme du système monétaire et financier international, le 18 février 1999 à l'occasion de sa visite aux institutions de Bretton Woods. Elles prennent trois directions : une refonte des organismes multilatéraux, une amélioration de la supervision et une accentuation de la lutte contre les circuits financiers parallèles. On peut y ajouter la question de la dette des pays les plus pauvres.
A. RÉFORMER LES INSTITUTIONS DE BRETTON WOODS
1. L'initiative française : leur conférer davantage de légitimité politique
La
principale proposition française vis-à-vis des institutions de
Bretton Woods, formulée au sommet du G 7 de Birmingham en juin 1998,
réside dans le voeu de voir leur légitimité politique
renforcée (l'
accountability
). Ce procès en
légitimité recouvre deux volets : le niveau de
représentation des Etats aux instances de direction et le mode de
représentation des pays les plus pauvres.
La Banque mondiale et le Fonds monétaire international devraient agir en
fonction des décisions de leurs actionnaires, c'est-à-dire des
Etats. Or force est de constater qu'aujourd'hui les instances de direction ne
se réunissent jamais à un niveau politique et toujours à
un niveau technique. Alors que les statuts du Fonds en prévoient la
possibilité, il n'y a jamais eu de réunion du comité
intérimaire du FMI au niveau ministériel. La France a donc
proposé de réformer cette instance et de prévoir des
réunions régulières des ministres compétents avec
pouvoir de décision
42(
*
)
. Elle a
également suggéré d'étendre cette réforme au
comité de développement de la Banque mondiale. A
côté des conseils d'administration, les ministres donneraient
ainsi les impulsions nécessaires et assureraient le contrôle
démocratique des décisions.
Par ailleurs, le président Chirac a indiqué le souhait de la
France de voir mieux associés les pays les plus pauvres à la
prise de décision. Ainsi qu'il l'écrivait au président
Clinton le 24 septembre 1998 :
" Nous devons associer plus
étroitement les pays en transition, les pays émergents et les
pays en développement à nos travaux. La crise financière
actuelle montre que nous avons besoin aujourd'hui d'un dialogue approfondi
entre tous, ainsi que d`un mécanisme de prise de décision qui
donne aux marchés des signaux politiques forts et manifestes
d'adhésion universelle à un système ouvert et sans
exclusive. "
Il n'est qu'à citer le mécanisme
extrêmement complexe de représentation des Etats auprès de
la Banque mondiale. Si les grands Etats possèdent chacun un
administrateur (Etats-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Chine,
Fédération de Russie), les autres sont regroupés en
circonscriptions élisant chacune un administrateur. Le continent
africain élargi aux îles de l'océan indien ne dispose ainsi
que de deux sièges ! L'administrateur élu par les Pays-Bas
représente aussi la Géorgie (et inversement puisqu'il y a
rotation), celui de la Belgique, la Turquie, celui de l'Algérie vote en
même temps au nom du Pakistan, ou encore celui de la Suisse pour la
République kirghize. Il y a là un véritable défaut
de représentation du Tiers monde qui altère l'appropriation,
chère aux dirigeants de la Banque mondiale, par les Etats
" bénéficiaires " des mesures proposées.
2. Les propositions du Congrès américain : recentrer les institutions sur de strictes missions
Le
Congrès des Etats-Unis a demandé en novembre 1998 à un
groupe de onze experts présidé par Allan Meltzer
(l'
international financial institutions advisory commission
)
d'étudier une éventuelle réforme des institutions
financières internationales
43(
*
)
. Ce
rapport a été rendu public en mars 2000
44(
*
)
et appelle chacune d'entre elles à recentrer
ses missions
" sur un nombre limité d'objectifs ".
Le FMI devrait ainsi agir seulement sous la forme de prêts de
liquidités à court terme et ne plus intervenir en matière
de soutien à long terme aux pays en voie de développement. Il
jouerait vis-à-vis d'eux le rôle de prêteur en dernier
ressort. Ces prêts d'urgence se feraient à taux de marché
et ne bénéficieraient qu'à ceux ayant déjà
des institutions saines et efficaces, condition assouplie en cas de risque
systémique. Les pays éligibles offriraient une totale
liberté aux institutions financières étrangères
pour intervenir sur leurs marchés, et publieraient
régulièrement des données sur leur dette publique et leur
balance des paiements. Le FMI doit promouvoir une réforme fiscale pour
s'assurer que les ressources ainsi attribuées ne soutiennent pas des
" politiques budgétaires irresponsables ".
Il
abandonnerait ses autres fonctions, apparues depuis les années
soixante-dix, comme la gestion des crises financières internationales,
les concours aux pays en développement, le conseil économique aux
nations et la collecte des données économiques. Quant aux Etats
bénéficiaires des concours du FMI, ils devront abandonner tout
système de
peg
ou de taux de change flottant pour retenir un
currency board
ou la dollarisation de leur économie.
La Banque mondiale subit une sévère critique sur
l'efficacité de ses interventions
45(
*
)
: le taux d'échec s'élève
à 73 % pour l'Afrique par exemple. Le rapport propose de la
dénommer Agence de développement du monde et de ne plus la
laisser faire que des prêts aux pays n'ayant pas accès aux
marchés financiers, en tout cas ayant un revenu annuel en dessous de
4.000 dollars par habitant. Elle devra se concentrer sur l'Afrique et laisser
l'Asie et les Amériques à leurs structures régionales.
Tout prêt sera conditionné à la mise en place de
réformes institutionnelles et politiques, avec un contrôle
régulier d'auditeurs internationaux indépendants des
prêteurs comme des emprunteurs. En matière de santé et
d'éducation, l'agence pourra préférer l'attribution
directe de dons (
" grants and not loans "
).
Le rapport critique le manque de cohérence entre Banque mondiale et
banques régionales de développement, ces dernières
étant accusées de concurrencer la première en
matière d'appels de fonds, de choix des pays aidés et de
détermination des projets. Il dénonce aussi les coûteux
doublons en matière de fonctionnement. Il propose de les transformer en
centre d'assistance technique et de conseils et en promoteur des
investissements privés dans le pays les plus pauvres.
La BRI conserve son rôle traditionnel de formulation des standards
financiers, tels que les ratios de solvabilité, mis en oeuvre ensuite au
plan national. Parallèlement, l'OMC doit se garder d'édicter des
règles internationales contraires aux réglementations nationales.
Pour ne pas apparaître trop rudes, les auteurs de ce rapport proposent un
double effort en faveur des pays les plus pauvres : l'annulation totale de
leur dette auprès du FMI et de la Banque mondiale et l'augmentation de
l'aide au développement délivrée par les Etats-Unis.
3. Les réformes engagées par les institutions elles-mêmes : une meilleure coordination des actions
La crise
financière internationale a eu pour conséquence d'inciter le FMI
et la Banque mondiale à réfléchir sur leur propre
évolution.
Les deux structures se sont d'abord attachées à améliorer
la coordination de leurs interventions. Elles se sont entendues sur une
délimitation de leur champ d'action commun en matière
financière. Elles ont développé leurs missions conjointes
d'expertise. Elles ont ouvert les portes de leur organe de décision
à la direction de l'autre institution. La Banque mondiale a repris
à son compte le concept de bonne gouvernance en cherchant à
améliorer le suivi de ses opérations, et à n'accorder de
nouveaux soutiens qu'en fonction du respect de programmes de réformes
durables correspondant aux critères, par ailleurs encore très
imprécis, de la bonne gouvernance.
Mais au-delà des actions communes, chacune des deux institutions a
amorcé des réformes qui lui sont propres. La direction du FMI a,
au début de l'année 1998, fait part de ses propositions qui
correspondent aux souhaits du département américain du
Trésor. Il s'agit d'abord d'améliorer, sous l'égide du
FMI, la qualité, la disponibilité et l'exhaustivité des
données statistiques. Il propose aussi d'accroître
l'efficacité de la surveillance exercée par le Fonds qui
publierait ses documents de travail. Enfin, il suggère que le Fonds
définisse (et surveille le respect), conjointement avec la Banque
mondiale, des standards internationaux dans les domaines nécessaires au
bon fonctionnement des marchés financiers, comme les règles
encadrant les faillites, les activités sur titres et le gouvernement des
entreprises. En matière de gestion des crises, le Fonds propose de mieux
associer le secteur privé, permettant ainsi de réduire les
risques d'aléa moral.
Parallèlement, le FMI s'est doté de nouveaux moyens financiers et
techniques
46(
*
)
. Le 17 décembre 1997, les
Etats ont décidé de créer un nouvel instrument de
prêt, la facilité de réserve supplémentaire (FRS),
pour aider les pays subissant, suite à des crises de confiance, un choc
soudain ; la FRS a notamment servi à la Corée du Sud. Le FMI
a été autorisé à lever 6,3 milliards de DTS pour la
Russie le 20 juillet 1998 par les accords généraux d'emprunt. Les
ressources du Fonds ont été portées de 18,5 à 34
milliards de DTS le 20 novembre 1998 conformément aux nouveaux accords
d'emprunt. Cet argent a été utilisé pour le Brésil
en décembre 1998. Le 19 décembre 1998, le FMI a
créé le système général de diffusion des
données pour mettre à disposition de tous un cadre statistique
unique. Le 22 janvier 1999, le capital du FMI a été porté
de 146 à 212 milliards de DTS. Le 26 avril 1999, le Fonds a
créé un nouvel instrument de prêt, la ligne de
crédit conditionnelle (LCC) lui permettant de mettre à
disposition d'un pays susceptible de connaître une crise des
liquidités de court terme. Par ailleurs, le FMI a diffusé un code
des bonnes pratiques en matière de transparence des finances publiques,
a commencé à publier les résultats et recommandations de
ses missions de surveillance, a créé une procédure
d'évaluation externe, a organisé la collecte et le traitement des
données, et a intégré des aspects sociaux dans ses
programmes de gestion de crise.
Actuellement, le FMI réfléchit à la possibilité de
recourir à des contrôles de capitaux, de mieux associer le secteur
privé, et de mettre en place une sorte de règle
d'insolvabilité des Etats.
De son côté, la Banque mondiale a engagé une
réflexion approfondie sur son rôle et sur l'efficacité de
ses interventions, eu égard notamment au taux trop important
d'échec des projets qu'elle a menés depuis cinquante ans.
B. ACCROÎTRE LA SUPERVISION BANCAIRE
1. Améliorer les règles prudentielles : le Forum de stabilité
Le 3
octobre 1998, les ministres des finances du G 7 ont chargé le
président de la Bundesbank, M. Hans Tietmeyer, de mener des
consultations avec les instances de régulation et de supervision
financières et les institutions intéressées en vue de la
création d'une structure réfléchissant autour de deux
axes : le renforcement de la surveillance du secteur financier et
l'amélioration de la coordination des actions des différents
organismes. A la suite de ses propositions, le G 7 a décidé, le
20 février 1999, la création du Forum de stabilité
financière.
Il a pour mission de prendre la suite des nombreux comités
ad hoc
créés ici et là, d'analyser les faiblesses du
fonctionnement du système financier international et de proposer des
mesures opérationnelles pour l'améliorer. Le Forum est
composé de représentants des ministres des finances, des banques
centrales et des instances nationales de supervision du G 7, de
représentants du FMI, de la Banque mondiale, de la BRI, de l'OCDE et des
instances internationales de régulation (Comité de Bâle,
Organisation internationale des commissions de valeurs, Association
internationale des contrôleurs d'assurances, Comité sur les
systèmes de paiements et de règlement). Le Forum de
stabilité financière est présidé pour trois ans par
M. Andrew Crockett, directeur général de la BRI.
Cette instance devrait rendre ses recommandations au début du printemps
2000. Elles porteront sur trois volets : le dépassement de la
séparation entre les aspects micro et macro prudentiels, le renforcement
de la coopération internationale et l'amélioration de
l'intégration des marchés émergents à ces
recommandations. Les pistes d'amélioration sont nombreuses :
identification des facteurs de vulnérabilité, prévention
des risques systémiques, développement de standards
internationaux, élaboration de codes de bonne conduite,
amélioration de la supervision financière au delà des
cadres nationaux, élaboration d'indicateurs d'alerte et de
procédures de coordination entre régulateurs, renforcement et
encouragement du recours aux bonnes pratiques comptables et d'analyse du
risque.
Sans attendre ces résultats, le Comité de Bâle, plus
particulièrement compétent en matière de définition
de règles de solvabilité bancaire, a, entre avril 1999 et janvier
2000, émis un certain nombre de propositions. Elles reposent sur trois
piliers : la réaffirmation d'une exigence minimale de fonds
propres, une surveillance prudentielle et la soumission des banques à
une discipline de marché. Ces propositions reprennent l'accord de 1988
qui prévoit l'obligation pour les banques de disposer d'un ratio de
solvabilité (engagements sur fonds propres) d'au moins 8 %. Pour
favoriser la transparence et la discipline effective des marchés, le
comité de Bâle suggère la publication
régulière par les banques d'informations sur la composition
qualitative et quantitative de leurs fonds propres et de leurs risques. Il
évoque aussi la création d'un système commun de notation
interne des banques en raison des grandes différences existant
aujourd'hui dans les méthodes d'évaluation. Ces axes de
réformes devraient également déboucher sur des mesures
concrètes avant l'été 2000.
2. Contrôler les instruments financiers les plus volatils : les propositions américaines
La mise
en cause des nouveaux instruments financiers (produits dérivés en
particulier), de leur très forte volatilité et des risques
systémiques qu'ils suscitent a nourri des réflexions aux
Etats-Unis et se sont mises en place des structures de propositions en 1999.
Suite à l'affaire LTCM, le président Clinton a
décidé de constituer un groupe de travail sur les marchés
financiers qui a rendu ses conclusions en avril 1999. Ce dernier n'a pas
envisagé de soumettre les
hedge funds
à un contrôle
direct mais à des obligations de transparence, à une supervision
bancaire et à une surveillance des effets de levier pratiqués. Le
groupe a constaté la grande liberté donnée par les acteurs
traditionnels à ces fonds d'investissement. Il propose donc d'imposer
une obligation de publication des prises de risque et résultats des
portefeuilles trimestriels, et d'information sur leurs pratiques d'emprunt et
de
trading
. Il a suggéré de les inciter à une
meilleure gestion interne des risques et de soumettre les banques commerciales
et d'investissement à la publication d'informations sur leurs risques de
crédit et de contrepartie. Par ailleurs, le groupe souhaite le
renforcement des pouvoirs des régulateurs, la SEC étant
compétente également pou les filiales des banques
d'investissement et obtenant de nouvelles informations sur les positions
individuelles de
trading
des
hedge funds
. Il se prononce en
faveur d'une incitation des centres
off-shore
et des pays
étrangers à prendre les mêmes mesures que les Etats-Unis.
S'agissant des produits dérivés, en janvier 1999, douze banques
ont constitué à New York, à l'initiative de la SEC, un
groupe, présidé par M. Gerald Corrigan, chargé de
proposer un code d'autorégulation applicable aux activités sur
produits dérivés. Il devait définir un corpus de pratiques
professionnelles et de règles touchant la gestion et le
reporting
des risques : modalités du
trading
, exigences documentaires,
obligations de transparence sur les risques. Ce groupe s'est divisé en
trois entités, l'une chargée de la gestion des risques de
crédit et de marché (liquidité, appels de marges,
documentation, valorisation des positions), une autre compétente pour le
reporting
des risques de crédit et de marché, et une
dernière travaillant sur les procédures de compensation.
C. S'ATTAQUER AUX ZONES D'OMBRE
Les flux
d'argent sale, les zones de non droit bancaire et financier, les paradis
fiscaux, les centres
off-shore
constituent autant de facteurs
d'instabilité et de risque. Les études réalisées au
niveau international estiment que le blanchiment d'argent représente
chaque année entre 2 % et 5 % du PIB mondial. Les récentes
affaires mises au jour confirment l'urgente nécessité de
renforcer les moyens de lutte existants et la coopération internationale
pour une plus grande efficacité.
L'émergence d'une volonté politique internationale de lutter
contre le blanchiment est apparue à la fin des années 1980 avec
la déclaration de principes du Comité de Bâle, la
création du Groupe d'Action Financière Internationale (GAFI) et
les 40 recommandations de ce dernier. Aujourd'hui, la communauté
financière internationale prend conscience de l'ampleur de ce
fléau. Un nouveau pas a été franchi au printemps, avec
l'adoption par la commission des Nations-Unies pour la prévention du
crime et la justice pénale (Vienne, mai 1999) des " recommandations
de Bercy " mises au point par les experts de 42 pays et 12 organisations
internationales en avril 1999. Cette démarche est relayée par les
travaux engagés au sein du GAFI et au sein du Forum de stabilité
financière.
La France a voulu apparaître en pointe sur cette question et a
formulé devant le G 7 et le FMI, en septembre 1999, des propositions
précises, animées par la volonté de construire une
régulation internationale à la mesure de la globalisation, ce qui
implique une lutte implacable contre la criminalité financière,
notamment contre le blanchiment des capitaux. Pour cela, une coordination forte
des États est nécessaire pour que l'économie fonctionne de
manière efficace et juste. Ces neuf propositions visent ainsi à
lutter contre les paradis bancaires et fiscaux, notamment contre le blanchiment
des capitaux.
1. L'intégration dans les normes anti-blanchiment recommandées au
niveau international, notamment par les institutions financières
internationales et par le GAFI, de l'interdiction de formes juridiques mal ou
non réglementées (
trusts, international business
corporations
, sociétés écrans)
47(
*
)
.
2. Le renforcement des législations anti-blanchiment en
élargissant le champ de l'incrimination pénale et de la
déclaration de soupçons à tous les crimes et délits
graves, y compris la corruption, et en associant toutes les professions
d'intermédiaires à la lutte contre le blanchiment (y compris les
intermédiaires non financiers : conseils juridiques, agents immobiliers,
casinos, etc.).
3. L'établissement rapide par le GAFI et les autorités
prudentielles d'une liste des États et territoires non
coopératifs (sur la base de critères objectifs : absence de
qualification pénale du blanchiment ; droit commercial opaque, ne
permettant pas l'identification des ayants-droit ; normes de supervision
financière déficientes, voire inexistantes ; moyens
administratifs et judiciaires insuffisants ; défaut ou insuffisance de
coopération judiciaire, etc.).
4. Une pression constante (notamment par une coopération technique) pour
que ces États et territoires se mettent aux normes internationales dans
un calendrier strict et la levée automatique du secret bancaire dans les
investigations et procédures judiciaires.
5. Une coopération renforcée entre les services chargés de
la lutte contre le blanchiment, avec étude de pistes nouvelles telles
que, par exemple, la création d'un mécanisme de signalement
international permettant aux services concernés de demander aux
autorités judiciaires de leur pays le blocage simultané des
comptes détenus par la personne soupçonnée.
6. Une mobilisation accrue des institutions financières internationales
dans la lutte contre le blanchiment : en les dotant d'une " charte de
gouvernance " appliquée dans l'examen de la situation des pays et
conditionnant des concours financiers (règles minimales de lutte contre
le blanchiment, interdiction de l'utilisation de centres
off-shore
par
les entités publiques de pays bénéficiant d'une aide,
audits indépendants des secteurs sensibles, mise en place de
systèmes efficaces et de règles de transparence dans le domaine
budgétaire et du change) ; et en améliorant la coordination de
l'action de ces institutions (création au FMI d'un département
chargé de la gouvernance, échange d'informations
systématique entre les institutions de Bretton Woods et l'Union
européenne).
7. Des encouragements et injonctions dans le cadre des organismes
multilatéraux (institutions de Bretton Woods, GAFI, Union
européenne) et des relations bilatérales (sujet inscrit à
l'ordre du jour de toutes les visites bilatérales).
8. Une interruption des flux financiers publics en direction des États
ou territoires figurant sur la liste établie par le GAFI et les
autorités prudentielles, s'ils refusent de renforcer leur
législation ou d'améliorer leur niveau de coopération
internationale.
9. Sous l'égide des autorités prudentielles pouvant agir à
l'égard des intermédiaires financiers, des mesures de restriction
des mouvements de capitaux avec les centres
off-shore
, partielles ou
totales, temporaires ou définitives.
Pour aboutir sur tous ces sujets, la France a proposé la tenue de
réunions conjointes des ministres des finances, de la justice et de
l'intérieur, dans le cadre du G 7/G 8, de l'Union européenne et
du FMI.
D. DETTE PUBLIQUE ET DÉVELOPPEMENT : FAUT-IL ANNULER LA DETTE ?
" Là [à la bourse de Londres], le quaker
traite avec l'anabaptiste,
le mahométan avec le papiste, et le
nom d'infidèle
est réservé à celui qui ne
paie pas ses dettes "
Voltaire
, Sixième lettre anglaise
Ancienne (que l'on pense aux dettes interalliées de la première guerre mondiale, ou aux prêts anglais à l'Egypte à la fin du XIXème siècle), la question des dettes internationales a connu une actualité particulière en raison de la crise financière internationale. En effet, au nom de la solidarité internationale, les pays les plus pauvres ont demandé un effort supplémentaire en leur faveur sous forme d'allégement de leur dette. Le G 7 y a répondu en mettant en place plusieurs instruments (qui font suite aux précédents plans comme le plan Brady, l'initiative de Toronto et les décisions françaises comme celles de Libreville et de Dakar). Il convient cependant de s'interroger sur la pertinence des modalités retenues et sur la justification même de tels efforts.
1. De nombreuses initiatives déjà mises en oeuvre
A
l'initiative de la France, le G 7 a décidé en juillet 1996
à Lyon d'un vaste plan destiné à permettre un traitement
définitif de la dette des pays les plus pauvres et les plus
endettés. Cette proposition présente une double
originalité : d'une part, constituer un effort massif et sans
précédent ; d'autre part, inclure dans la négociation
les créances détenues par les institutions financières
internationales. Pour cette dernière raison, les pays du G 7 ont
décidé de confier la mise en oeuvre de cette initiative aux
institutions de Bretton Woods, en collaboration avec les autres réunions
de créanciers (club de Paris et club de Londres notamment). Ce plan se
fixait un objectif d'annulation de 80 % de la dette.
Il s'agit, d'après le Programme d'action pour résoudre les
problèmes d'endettement des pays pauvres très endettés, de
parvenir à un niveau d'endettement soutenable, d'assurer une
participation de tous les créanciers sur la base d'un partage
équitable du fardeau, de mettre en place un processus participatif et de
permettre la prise en compte de critères sociaux.
Un pays peut bénéficier de cette initiative PPTE s'il est
éligible aux seuls prêts concessionnels de l'Association
internationale pour le développement, s'il a démontré son
engagement sur la voie de l'ajustement structurel (il faut trois ans de
politique d'ajustement pour lancer l'initiative qui s'achève
après un nouveau délai de trois ans) et s'il connaît un
niveau de dette considéré comme insoutenable (ratio dette /
exportations supérieur à 200 % ou ratio dette / recettes
gouvernementales supérieur à 280 %).
La Banque mondiale participe à cette initiative par le biais d'un fonds
fiduciaire procédant à l'allégement des créances
détenues par l'AID par le rachat et l'annulation ou par la prise en
charge des intérêts. Le FMI a créé un fonds
spécial des échéances dues par les pays débiteurs,
alimenté par le fonds fiduciaire FASR - PPTE lui-même
abondé par des contributions volontaires et par des réserves (ce
fonds fiduciaire sert aussi à la bonification d'intérêts et
peut accorder des dons, ce qui suscite la crainte d'une éviction). Cette
mise en oeuvre se heurte cependant à un manque de ressources. Sept pays
ont déjà commencé à bénéficier du
programme, deux n'ont pas été retenus, et trois ont engagé
les démarches préliminaires.
Devant ces retards, le sommet du G 7 de Cologne de juin 1999 a examiné
une relance de l'initiative, sous l'impulsion une nouvelle fois de la France,
selon le triple principe de la générosité, de la
responsabilité et de l'équité. Il s'agit d'offrir un
allégement accru, renforcé et accéléré de la
dette grâce à la baisse des critères
d'éligibilité (ratio dette / exportations passé à
150 % et ratio dette / recettes gouvernementales à 250 %), à la
hausse des termes de l'allégement de 80 à 90 % et à
l'instauration d'échéances plus rapprochées pour les
étapes intermédiaires. Les pays qui ont engagé les
politiques macro-économiques indispensables pour garantir leur
développement futur en constituent les premiers
bénéficiaires. L'effort représente un coût total de
65 milliards de dollars dont la moitié devrait revenir aux institutions
internationales, déjà en peine de boucler le financement de leurs
actions présentes (à noter que le FMI est autorisé
à vendre une partie de ses réserves en or pour alimenter le fonds
fiduciaire consacré aux pays les plus pauvres). Le G 7 a appelé
à un partage équitable de cette charge. Déjà la
France, le Royaume-Uni et l'Allemagne ont commencé à appliquer
les termes des recommandations du G 7, alors que le Congrès des
Etats-Unis empêche toujours le versement de la part américaine du
financement.
2. De la diversité des formes d'annulation à la question de son utilité réelle
a) Comment annuler ? Qui doit payer ?
D'un
point de vue pratique, cette dernière initiative fait suite à un
nombre impressionnant de précédentes remises, chacune empruntant
des voies techniques différentes. De l'annulation pure et simple au
rachat de dettes décotées, en passant par des
rééchelonnements, des conversions, des prises en charge
d'intérêts, les voies d'annulation de manquent pas qui toutes ont
deux objectifs : ne pas afficher trop ouvertement une amnistie des dettes
passées (argument moral) et réaliser un montage pas trop
désavantageux pour le créancier généreux (argument
financier et comptable).
Les mêmes variations se retrouvent quant aux voies explorées pour
faire supporter le coût. La logique libérale le renvoie sur les
créanciers qui étaient conscients des risques pris en consentant
la dette. Une logique mutualiste plaide, comme le suggère l'Allemagne,
pour une répartition de la charge selon la part de créances
détenues par chaque pays créancier. La France offre une
troisième voie avec l'idée de socialisation des risques où
l'intérêt bien compris de tous les pays riches réside dans
l'annulation des dettes des pays les plus pauvres.
b) " Les mythes de la dette "
Cependant, sans perdre de vue les handicaps très
importants
que représente le poids de la dette dans les économies des pays
les plus pauvres, il convient de relativiser certains des propos couramment
tenus sur ce sujet
48(
*
)
. La dette en elle
même n'est pas mauvaise si son produit est bien utilisé dans des
activités productives. Avant d'être une cause de pauvreté,
le surendettement est la marque d'un vaste gâchis de ressources des pays
et il est possible de se demander en quoi l'annulation aura un quelconque effet
sur ce mode de gestion malencontreux. De plus, il ne paraît pas
forcément moral ni juste d'annuler la dette de pays pauvres mal
gérés et, ainsi, de ne pas récompenser les pays pauvres
bien gérés (aléa moral) en raison du caractère
restreint des ressources affectées à l'aide publique au
développement (effet d'éviction).
En réalité, au-delà des débats sur la justification
même de l'annulation et sur les moyens à employer, il convient de
revenir sur certains aspects négligés dans cette question. Il ne
paraît guère possible de l'aborder en séparant strictement
les intérêts des débiteurs et des créanciers. La
réussite de l'annulation réside probablement dans la
crédibilité des pays qui en bénéficient.
L'annulation ne doit être ni charité, ni compassion, ni
solidarité, mais recherche de crédibilité. Pour la
conforter, on pourrait lier l'annulation à certains principes nouveaux,
à concilier certes avec la souveraineté des Etats, comme la
surveillance de l'utilisation des ressources (la confiance doublée du
contrôle), l'attachement plus grand à l'effectivité
plutôt que le formalisme (passer autant de temps à s'assurer de la
réalité du respect des conditions qu'à leur
élaboration et négociation), ou bien le traitement des autres
maux du système financier international comme l'instabilité
monétaire.
L'annulation de la dette ne peut ainsi être considérée de
manière isolée. Elle doit s'inscrire dans un processus global de
réflexion sur l'ensemble du système financier international et
compléter les autres leviers de l'aide au développement
plutôt que d'en constituer l'unique élément. L'annulation
de la dette des pays les plus pauvres ne doit donc en aucun cas servir de
politique d'aide au développement mais doit être mise au service
de cette dernière.
Au total, qu'il s'agisse de l'organisation et du rôle des institutions
internationales, de réglementation prudentielle du crédit, de
lutte contre les circuits financiers parallèles, d'amélioration
de la concertation et d'annulation de la dette, la communauté
internationale se mobilise et formule un certain nombre de propositions dont
cependant la définition précise et la mise en oeuvre devraient
prendre davantage de temps et d'énergie.
C'est dans ce cadre extrêmement riche que votre groupe de travail
souhaite émettre un certain nombre d'appréciations.
II. LES PROPOSITIONS DU GROUPE DE TRAVAIL
A. RÉORGANISER LES COMPÉTENCES AU SEIN DU SYSTÈME INTERNATIONAL
1. Le développement des compétences régionales au service de la régulation et de la prévention
a) Des réseaux implantés localement au service des institutions internationales
Les
banques régionales de développement ont considérablement
accru leur action en matière de financement de projets d'infrastructures
au cours des dernières années. Des liens institutionnels
fréquents unissent ces banques et la Banque mondiale pour la
définition des critères de financement de ces projets, afin que
les différentes institutions prennent des décisions
cohérentes vis-à-vis des pays des régions
concernées. Cependant, il conviendrait de développer cette
coopération en associant étroitement les banques
régionales de développement aux décisions et à la
mise en oeuvre de celles-ci par la Banque mondiale, notamment en faisant
davantage bénéficier cette dernière de leur expertise. Les
banques régionales pourraient se constituer en un réseau
permettant, de par leur proximité avec les pays de leur région,
de développer l'information des institutions internationales.
Les critiques exprimées envers le FMI soulignent parfois la connaissance
imparfaite de l'environnement politique et social des pays auxquels le FMI
prête de l'argent, et les habitants de ces pays s'indignent des missions
des administrateurs du fonds, qui décident en quelques jours de l'avenir
de leur pays lors de discussions avec les représentants du gouvernement.
Afin de prendre en compte ces critiques, le FMI a décidé la
création d'un bureau régional pour l'Asie et le Pacifique
à Tokyo, chargé d'entretenir le dialogue entre le Fonds et les
responsables de la politique économique en Asie dans le cadre des
instances régionales et de faciliter les activités de
surveillance régionale. Il analyse le comportement des marchés de
capitaux dans la région, pour permettre au FMI d'avoir une meilleure
compréhension de l'évolution de la situation économique
dans la région. Ce bureau assure également le secrétariat
du
" Manilla Framework Group ",
constitué de
représentants des ministères des finances et des banques
centrales de quatorze économies de la région, afin de
renforcer la surveillance, développer la coopération et
promouvoir la stabilité financière.
La " décentralisation " des institutions internationales et
la constitution de réseaux régionaux doivent permettre une
meilleure surveillance des économies, ainsi qu'une plus grande
proximité culturelle et institutionnelle de ces institutions avec les
pays.
b) La création de fonds monétaires régionaux et le développement de l'intégration monétaire régionale
Le
développement des organisations régionales favorise la
concertation et les échanges d'expertise entre les pays, ainsi que,
à terme, une plus grande solidarité mutuelle.
L'idée d'un Fonds monétaire asiatique avait été
émise par le Japon en 1997, mais refusée par les Etats-Unis,
notamment en raison de la crainte de créer un outil au service des
tentations hégémoniques du Japon et de la volonté de ne
pas créer d'institution dont l'action serait concurrente de celle du
FMI.
La création de fonds monétaires régionaux dans les
pays émergents semble néanmoins être une idée
intéressante, car elle permettrait une plus grande solidarité
entre les pays membres, ainsi qu'une plus grande acceptation des
recommandations qui seraient émises par ces fonds par rapport à
celles du FMI.
Un fonds régional permettrait donc d'assurer une
entraide entre pays voisins, mais également une surveillance des
économies meilleure que celle exercée au niveau mondial.
Le développement des compétences régionales est une
idée importante de réforme de l'architecture du système
monétaire international, qui doit progresser. Des systèmes de
surveillance et d'alerte régionaux doivent être mis en place et
l'idée de créer un prêteur en dernier ressort au niveau
régional mérite d'être étudiée.
Les Japonais souhaitent un renforcement de la coopération
économique et financière en Asie, qui pourrait aboutir, à
terme, à la création d'une monnaie unique sur le modèle de
l'euro. Bien entendu, un progrès réel vers cet objectif suppose
un accord avec la Chine, dont il est difficile d'imaginer aujourd'hui les
termes. L'instauration de blocs monétaires régionaux
apparaît difficile à mettre en oeuvre, de même que les
" zones cibles ". Ces propositions ont été
développées du fait de l'ampleur des fluctuations de la
parité yen-dollar au cours des dernières années. Les pays
dont la monnaie était liée au dollar, comme la Thaïlande,
ont profité de la faiblesse du dollar, qui améliorait leur
compétitivité-prix sur les marchés extérieurs, pour
développer leurs exportations. Cependant, l'appréciation du
dollar vis-à-vis du yen a eu des conséquences désastreuses
sur ces économies, en réduisant leur
compétitivité-prix et en accroissant le coût de leur dette.
Ce retournement a donc constitué un facteur de déclenchement de
la crise en Asie.
Un système de " zones cibles " a été mis en
oeuvre lors du sommet du G 7 du Louvre en 1987, afin d'encadrer les
fluctuations importantes du dollar. Cet accord n'a cependant été
respecté que pendant quelques mois, et a reporté une partie de la
volatilité du marché des changes vers le marché des
capitaux. Ce système implique que les banques centrales soient
disposées à défendre les parités définies
par les zones cibles. Or, cette défense peut s'avérer
particulièrement coûteuse pour les pays, en épuisant leurs
réserves de change. L'exemple de la crise du système
monétaire européen en 1992 montre par ailleurs que les banques
centrales sont incapables de faire face aux marchés financiers lorsque
ceux-ci considèrent que les politiques menées par les Etats sont
insoutenables à terme. Dans un système de " zones
cibles " les banques centrales sont forcées d'ajuster leur taux
d'intérêt pour maintenir les parités des monnaies à
l'intérieur des zones définies, y compris lorsque cette hausse
des taux d'intérêt emporte des effets récessifs non
désirés.
La définition des zones cibles constitue donc une idée
potentiellement coûteuse, et implique une forme de mutualisation des
pertes entre les pays prenant part à ce type d'accord. De plus, la
définition d'une parité de référence entre les
monnaies constitue une première étape sur laquelle il convient
que les pays se mettent d'accord. En tout état de cause,
l'établissement de zones cibles exige une réduction des
déséquilibres internationaux et une amélioration de la
coordination des politiques économiques des différentes
entités. Il apparaît que ce type de proposition ne constitue pas
une solution réaliste compte tenu du contexte international.
Cependant, la proposition japonaise de fonds monétaires
régionaux, évoqué ci-dessus, mérite d'être
gardé en mémoire, et votre groupe de travail estime qu'il faudra
être particulièrement attentif à toutes les situations qui
permettraient de diffuser ainsi un modèle " à
l'européenne ".
2. Une clarification des compétences du FMI et de la Banque mondiale
Le
spectacle des actions et des discours désordonnés voire
contradictoires des institutions de Bretton Woods au cours de la crise
asiatique montre la nécessité d'une clarification de la
répartition des compétences entre le FMI et la Banque mondiale.
Le rapport du groupe de travail constitué par le Congrès des
Etats-Unis et présidé par M. Allan Meltzer propose une
réforme de grande ampleur des institutions financières
internationales, encadrant de manière rigoureuse les compétences
du FMI et de la Banque mondiale.
Votre groupe de travail considère que ces propositions sont
intéressantes en ce qu'elles recentrent de manière radicale les
missions des deux institutions. Cependant, certaines de ces conclusions
apparaissent délicates à mettre en oeuvre. Premièrement,
la condition d'aide de la Banque mondiale aux seuls pays n'ayant pas
accès aux marchés financiers est particulièrement
contraignante pour les pays qui ne disposent d'un accès aux capitaux
qu'au prix de primes de risques particulièrement élevées.
Ensuite, la limitation du rôle du FMI à celui de prêteur en
dernier ressort restreint considérablement son action en matière
de prévention des crises. Enfin, la condition d'instauration d'un
currency board
ou une dollarisation de l'économie apparaît
particulièrement favorable aux Etats-Unis, qui disposent des droits de
seigneuriage liés à l'émission du dollar, et
apparaît difficile à mettre en oeuvre dans certains pays pour
lesquels la monnaie constitue une composante essentielle de la
souveraineté nationale.
Malgré la radicalité des réformes proposées dans le
rapport Meltzer, certaines pistes de réflexion apparaissent
intéressantes. Le FMI pourrait réduire la durée de ses
prêts et assouplir les conditionnalités qui y sont
généralement associées. En effet, les conditions
posées par le FMI apparaissent particulièrement contraignantes et
renforcent souvent les conséquences sociales des crises sur les groupes
de population les plus fragiles. Les prêts du FMI viseraient uniquement
à permettre à un pays de surmonter le déséquilibre
de sa balance des paiements, en évitant le défaut de paiement.
Ces prêts seraient coûteux afin d'inciter les pays à mettre
en oeuvre les politiques économiques adaptées au
rééquilibrage de la balance des paiements.
Le rôle du
FMI serait ainsi limité au court terme.
La Banque mondiale continuerait en revanche d'être en charge des
réformes structurelles à mettre en oeuvre afin d'améliorer
les conditions de fonctionnement des systèmes financiers, et prendrait
également en charge la mise en place de filets de sécurité
sociale et les mesures visant au maintien des dépenses en faveur de la
santé et de l'éducation, afin que les contraintes de l'ajustement
et des réformes structurelles ne conduisent pas à sacrifier le
développement à long terme de l'économie.
Cette
répartition des rôles limiterait donc le FMI au rôle de
surveillance des modalités de financement des économies et
d'intervention en cas de crise, tandis que la Banque mondiale regrouperait
l'ensemble des compétences en matière d'aide au
développement et de réformes structurelles, permettant
d'accompagner les mesures nécessaires à l'ajustement des
économies touchées par la crise.
3. Vers une plus grande légitimité des institutions de Bretton Woods
La
légitimité politique du FMI et de la Banque mondiale doit
être renforcée par une plus grande transparence des processus de
décision
, et notamment, une plus grande visibilité de
l'implication des Etats-membres dans ce processus et de la
responsabilité des institutions vis-à-vis de ceux-ci. Au niveau
local, la communication de ces organisations doit être
développée, de même que leurs rapports avec la
société civile. Ces réformes permettront d'atténuer
l'image bureaucratique du FMI notamment.
Il est indispensable que les pays émergents soient davantage
représentés et entendus au sein du FMI et de la Banque mondiale.
En effet,
s'il apparaît normal que les principaux actionnaires des
institutions exercent le plus d'influence sur la définition de leurs
politiques, les pays émergents et les pays en voie de
développement, qui constituent les principaux
bénéficiaires des aides de ces institutions, doivent pouvoir
faire entendre leur voix sur leurs modalités d'intervention.
La
légitimité du FMI a pu être mise en cause par certains pays
du fait de la protection que ses interventions pouvaient accorder aux banques
occidentales au cours de la crise asiatique, notamment en défendant trop
longtemps les taux de change fixes. Ces critiques considèrent que le FMI
et la Banque mondiale ont été pris en otage par leurs principaux
actionnaires et sont devenus l'instrument de la politique
étrangère en général et américaine en
particulier
49(
*
)
. Ces accusations apparaissent
outrancières mais montrent les doutes qui planent sur l'action du FMI.
Une réforme du mode de calcul des quotes-parts et des droits de vote
qui y sont associés en faveur des pays hors OCDE devrait permettre une
meilleure prise en compte de leurs points de vue.
Cette réforme se
ferait sans doute au détriment des droits de vote détenus par les
pays européens, qui sont importants en comparaison avec ceux
détenus par les Etats-Unis, compte tenu du poids économique et
financier relatif des deux ensembles.
Par ailleurs, l'Europe doit s'efforcer d'agir davantage de concert au sein du
FMI. Elle ne possède déjà pas une influence en proportion
de ses droits de vote, en raison de la dispersion des interventions de ses
membres. La montée en puissance de l'euro sur la scène
internationale doit donc encourager l'Union européenne à
mobiliser davantage ses ressources au sein des institutions internationales.
4. Pour une conception globale de l'annulation de la dette
La
question de l'annulation de la dette des pays les plus pauvres apparaît
délicate aux yeux de votre groupe de travail. En effet, elle revêt
d'abord des aspects moraux. L'annulation représente ainsi un bel exemple
d'aléa moral où la communauté internationale paie pour des
Etats qui ont mal utilisé l'argent prêté, voire qui l'ont
détourné aux fins personnelles de leurs dirigeants. Cependant,
les responsabilités sont aussi partagées dans la mesure où
les prêteurs n'ont pas toujours contrôlé efficacement
l'utilisation des concours attribués, ou n'ont pas toujours su les
assortir d'une aide précise aux réformes structurelles sans
lesquelles tout argent supplémentaire ne sert qu'à prolonger les
erreurs passées. L'annulation, par ailleurs, fait intervenir des acteurs
très différents : institutions financières
internationales, banques régionales de développement, Etats
(prêts bilatéraux), acteurs privés (créances
privées). Même si des instances de concertation existent, aucun
organisme n'est en mesure de décider d'une annulation
générale, de ses conditions et du partage de son financement.
Enfin, la dette des pays les plus pauvres ne peut être
séparée de la question plus globale du
développement : l'annulation doit servir au développement.
Mais l'apport financier qu'elle représente (sous forme
d'intérêts en moins à verser et de capital à ne pas
rembourser) ne servira à rien s'il ne s'accompagne de plans
précis de réformes dont le respect sera effectivement
contrôlé.
Les initiatives du G 7 s'inscrivent toutes dans cette optique : respect
par les bailleurs bilatéraux des conditions posées par les
institutions de Bretton Woods, recherche d'un meilleur suivi et d'un meilleur
contrôle des programmes d'accompagnement, etc.
Votre groupe de travail approuve ces orientations. Ainsi, il ne conteste pas la
définition par les institutions de Bretton Woods du champ de
l'annulation, des critères et des bénéficiaires de
celle-ci, même si ces conditions mériteraient parfois d'être
assouplies. Il souhaiterait néanmoins voir plus affirmés certains
principes :
• il ne doit jamais y avoir d'annulation totale de la dette d'un
pays ; en raison de l'aléa moral, une part doit être
maintenue, dût-elle rester très faible (5 à
10 %) ;
• les programmes mis en place doivent se faire avec l'accord du pays sur
des contrôles extrêmement précis de leur respect ;
• ils ne peuvent laisser de côté la composante sociale,
notamment en matière d'éducation, de santé et de pouvoir
d'achat ;
• ils doivent tendre vers une meilleure insertion des Etats dans les
transactions internationales ;
• ils doivent prendre en compte la question des taux de change et de la
sécurité juridique et financière des investissements.
L'annulation ne peut cependant être séparée de la
réforme des institutions de Bretton Woods. La souveraineté sera
d'autant mieux respectée qu'elles auront gagné en
légitimité politique et en représentativité des
pays les plus pauvres. L'appropriation mais aussi le contrôle seront
facilités par la présence permanente d'équipes
remplaçant la déplorable impression fournie par le
débarquement des membres des missions de
reviews
. La composante
sociale sera d'autant mieux prise en compte que le FMI, la Banque mondiale et
les banques régionales de développement se seront entendues sur
le partage de leurs rôles et la coordination de leurs interventions.
Bref, l'annulation de la dette des pays les plus pauvres représente
certainement un enjeu moral pour les créanciers. Votre groupe de travail
estime que ce serait une erreur de vouloir annuler pour annuler et de
séparer ce geste de la réforme d'ensemble du système
financier et monétaire international. Tant que cette dernière ne
se mettra pas en place, il y aura tout lieu de penser que les sommes
consacrées à l'annulation et l'aléa moral qui en
résultera ne se traduiront que bien peu en termes de
développement, de réduction de la pauvreté et
d'amélioration du bien-être des populations.
B. PERFECTIONNER L'ENVIRONNEMENT PRUDENTIEL
Un
préalable s'impose.
Un monde financier plus stable réclame de
la part des agents nationaux - acteurs ou contrôleurs - une meilleure
appréciation, un meilleur contrôle et une meilleure gestion des
risques.
La décentralisation des responsabilités est conforme
à la réalité du monde financier. Il serait impossible
à une entité mondiale centralisée de jouer seule ce
rôle. Toutefois, cette décentralisation appelle des règles
et des contrôles. Les enceintes internationales retrouvent alors toute
leur importance.
La communauté financière internationale a entrepris des efforts
importants pour définir des normes prudentielles plus cohérentes
et déterminer les conditions nécessaires à un
contrôle des risques plus satisfaisant. Ces efforts doivent être
prolongés.
1. Améliorer les règles prudentielles
En
matière de règles prudentielles, la régulation
financière nécessite d'abord un processus continu d'adaptation.
Cela suppose d'abord que des moyens suffisants soient confiés aux
organismes internationaux chargés d'élaborer la
réglementation. Cela suppose aussi de reconnaître les
interdépendances entre les différents métiers financiers
- crédit, titre, assurances - et d'assurer les liaisons
nécessaires entre les superviseurs pour que leur approche devienne
véritablement pluridisciplinaire.
L'approfondissement des règles apparaît également
nécessaire. Le
corpus
théorique élaboré par
la communauté internationale a sans doute, par sa
généralité, le mérite d'une certaine
exhaustivité. Sa substance peut en outre s'enrichir des manuels de
méthodologie qui l'éclairent. Il n'en reste pas moins que ces
dispositifs mériteraient d'être plus normatifs et plus
concrètement précis. Il ne suffit pas de se référer
à des concepts comme la " suffisance des dispositifs
d'évaluation " ou " l'adéquation des principes
d'organisation ". Il est souhaitable de donner du corps à ces
référents en énonçant clairement ce qui est
suffisant ou adéquat.
En bref, une meilleure explicitation des critères et des normes
s'impose.
A ces recommandations de méthode, il faut en ajouter d'autres qui
concernent le fond des problèmes.
Il faut d'abord recommander aux organismes intervenant dans
l'élaboration des règles prudentielles au niveau international
(BRI, Union européenne, etc.) de s'interroger sur le sens de leur
démarche.
Jusqu'à présent, elle a consisté
à édicter des règles minimales de protection laissant
libres les autorités nationales d'appliquer des méthodes plus
strictes. Il apparaît d'abord que cette démarche n'aboutit pas
à l'édiction de règles prudentielles toujours
adaptées aux situations de crise. C'est peut-être souhaitable pour
ne pas brider l'activité bancaire. Mais cette approche devrait
probablement être complétée par des dispositifs
prévoyant un durcissement graduel des normes prudentielles à
partir du suivi d'indicateurs de risques. Il apparaît également
nécessaire que les régulateurs internationaux précisent
les situations de risques appelant concrètement un resserrement des
pratiques prudentielles.
Des règles de fond méritent en outre d'être
modifiées.
Sur ce sujet, le groupe de travail veut d'abord affirmer qu'en dépit
de la très grande technicité des questions ici abordées et
malgré leur appartenance, d'ailleurs parfois discutable, au domaine
réglementaire, au sens du droit constitutionnel français, il
convient de cesser de confisquer les débats qu'elles soulèvent au
profit de quelques experts gouvernementaux et des banques centrales. Ces sujets
sont en effet essentiels au regard de la construction de l'économie
internationale de demain, construction qui recèle des enjeux politiques
évidents. Ils doivent donc être débattus et le Parlement
national est par nature l'enceinte de ces débats. Le gouvernement
français qui, dans le cadre de la constitution d'un droit
européen bancaire et financier, est conduit à s'ouvrir
auprès de nos partenaires européens de ses positions sur les
thèmes prudentiels ici évoqués, devrait à tout le
moins rendre compte régulièrement au Parlement des positions
adoptées par lui dans ces matières.
Parmi les sujets de réforme il faut d'abord évoquer les
règles de l'Accord ce Bâle de 1988, en matière de
couverture des engagements par les fonds propres, qui doivent être
amendées
.
La démarche générale suivie par le Comité de
Bâle à l'occasion de la réforme de cet accord qui est en
cours doit être approuvée. Les trois piliers identifiés
comme de nature à améliorer la sécurité des
opérations bancaires, une exigence minimale de couverture en fonds
propres, l'importance d'un examen systématique de la pertinence de cette
couverture et une meilleure mise en oeuvre de la discipline de marché
correspondent à une logique d'action satisfaisante.
Il faut en particulier promouvoir :
une diversification plus grande des exigences de couverture en fonction
des risques ;
une approche consolidée de la couverture ;
un contrôle effectif des règles par les superviseurs
extérieurs et la possibilité pour eux d'imposer des couvertures
supplémentaires ;
une information complète et régulière sur la
consistance de leur capital et de leurs risques par les banques.
Toutefois, plusieurs des approches retenues par le Comité appellent
des observations et des réflexions supplémentaires.
Il s'agit d'abord du parti pris de repousser l'élargissement de la
couverture en fonds propres aux conglomérats financiers
en
réaffirmant que le ratio n'a vocation à s'appliquer qu'aux
risques bancaires. Cette approche apparaît trop restrictive et doit
être rapidement complétée par la prise en compte des
risques propres aux conglomérats financiers.
Il s'agit ensuite de la timidité de l'approche retenue à
l'égard des risques de grande ampleur
, c'est-à-dire des
opérations dont l'histoire financière montre la très
grande volatilité ou qui concernent des opérateurs, tels certains
hedge funds
, usant de pratiques financières techniquement
risquées (l'effet de levier) ou insuffisamment contrôlables. Le
même raisonnement doit à notre sens s'appliquer aux financements
destinés aux territoires
offshore
, selon la classification de ces
derniers en termes de régulation financière et d'ouverture aux
contrôles internationaux.
Il faut affecter aux engagements des banques à l'égard de tels
risques des exigences de couverture proportionnées sans toutefois
s'imaginer qu'une telle mesure puisse prévenir l'ensemble des prises
excessives de risques.
Cependant, couplée avec la proposition (v.
infra
) d'un traitement
rigoureux des sinistres déclarés, une telle mesure contribuerait
activement à un fonctionnement plus sûr des marchés.
Sur ce point, il est évidemment souhaitable qu'un arbitre international
soit explicitement chargé d'identifier les entités
présentant des risques exceptionnels.
La
Banque des règlements internationaux
devrait se voir charger
de cette mission et énumérer précisément les
organismes à hauts risques.
Il convient par ailleurs d'approfondir les réflexions sur
l'autorisation donnée aux banques de recourir à des
méthodes dérogatoires à la norme commune pour calculer
leurs provisions en fonds propres.
De quoi s'agit-il ?
Le Comité de Bâle envisage dans le cadre de la réforme du
ratio Cooke de donner aux banques la possibilité de recourir davantage
à leurs notations internes et à leurs propres modèles
d'évaluation des risques.
Ainsi, le Comité propose que les banques "
les plus
sophistiquées
" puissent substituer leurs propres estimations
du risque-crédit à celles réalisées par lui. Il
envisage en outre de permettre à ces mêmes banques de
déterminer leurs besoins de couverture en capital du
risque-crédit sur la base de leurs propres modèles
d'évaluation des risques.
Il est possible de justifier de telles dérogations, sur le plan
théorique. Mais, en pratique, elles paraissent dangereuses.
Etant observé qu'elles s'appliqueraient aux acteurs de marché les
plus importants et par là-même les plus susceptibles d'influencer
le cours des événements, il convient de rappeler la
responsabilité des défaillances des contrôles internes dans
les crises et l'insuffisante robustesse des modèles de risques en usage
dans les banques. Ceux-ci sont en effet construits sur des données
historiques moyennes dont la capacité à retracer des situations
inédites est clairement en cause de même que celle d'anticiper les
situations de crise.
Une autre considération concrète doit être
évoquée. Les dérogations envisagées seraient
accordées avec pour contrepartie un contrôle des performances des
évaluations internes aux banques. Il est à craindre que de tels
contrôles n'absorbent des moyens excessifs et divertissent les
superviseurs externes de la nécessaire attention qu'appellent les
contrôles effectifs des risques.
C'est donc avec une grande circonspection qu'il faut accueillir une
proposition qui, en théorie, va dans le bon sens mais qui apparaît
prématurée en pratique.
Il convient enfin de s'interroger sur l'opportunité de recourir aux
évaluations des agences de notation pour fixer le niveau du
provisionnement en capital de certains risques de crédit.
Le Comité de Bâle, dans sa volonté justifiée de
moduler les exigences de couverture en fonds propres des risques de
crédits souverains, interbancaires et de ceux destinés aux
entreprises propose d'établir cette modulation sur les notes des agences
de notation.
Le tableau ci-après rappelle les notes usuellement
décernées par les grandes agences internationales.
Standards usuels de notation par agence
Agences |
Très bonnes notes |
Très basses notes |
Fitch IBCA |
AA - et au-delà |
En dessous de B |
Moody's |
AA3 et au-delà |
En dessous de B 3 |
Standard & Poor's |
AA - et au-delà |
En dessous de B - |
Agences d'assurance-export |
1 |
7 |
Le tableau suivant indique les modulations de l'exigence d'une couverture en fonds propres de 8 % envisagées dans les travaux du Comité à partir de l'exemple des notes données par " Standard and Poor's ".
Propositions de diversification des pondérations
en fonction des notes des agences de notation
Engagements |
De AAA à AA- |
A + à A - |
BBB + à BBB - |
BB + à B - |
Sous B - |
Sans notation |
Souverains |
0 % |
20 % |
50 % |
100 % |
150 % |
100 % |
|
|
|
|
|
|
|
Entreprises |
20 % |
100 % |
100 % |
100 % |
150 % |
100 % |
(1)
Pondération fondée sur la pondération des risques
souverains du pays d'origine de la banque.
(2) Pondération fondée sur la notation de la banque.
(3) Les engagements de court terme (moins de 6 mois) seraient
pondérés plus favorablement.
La lecture du tableau est la suivante : les risques des crédits
souverains des pays les mieux notés (de AAA à AA-) n'auraient pas
à être provisionnés tandis que ceux des pays les moins bien
notés (sous B -) devraient être provisionnés à
hauteur de 12 % (150 % de 8 %).
La mise en oeuvre rapide de cette perspective n'apparaît pas
envisageable. Elle suppose en effet résolu un grand nombre de
préalables qui ne l'est pas.
Il faut d'abord mettre en exergue l'éventualité de contradictions
entre les évaluations internes des établissements bancaires et
les notations extérieures. La coexistence harmonieuse entre les deux
procédures dérogatoires aux standards communs envisagées
par le Comité n'est donc pas acquise.
Il est d'ailleurs possible que les notations externes soient elles aussi
contradictoires entre elles ce qui poserait le problème délicat
d'un arbitrage entre les agences de notation.
Cette éventualité a d'autant plus de chances de se rencontrer que
l'accréditation des évaluateurs concernera un plus grand nombre
d'entre eux. Or, la perspective d'une multiplication des sources externes
d'évaluation n'est pas une vue de l'esprit d'autant que le
mécanisme imaginé à Bâle délègue aux
superviseurs nationaux la prérogative d'accréditer les agences de
notation. En l'état, les agences reconnues au plan international sont en
nombre très restreint et bien souvent anglo-saxonnes. Il n'est
évidemment pas admissible pour les autres pays d'être contraints
à se référer à des évaluations qui,
même effectuées par des organismes indépendants, peuvent
être influencées par des habitudes de pensée directement
issues de la culture américaine, et même dépendantes des
intérêts dominants.
Il est compréhensible - cela est
d'ailleurs très souhaitable pour l'Europe - que ces pays s'attachent
à promouvoir des institutions de notation indépendantes.
Leur
avènement offrira autant d'occasions de contradictions qu'il faudra
résoudre. Mais
il s'impose comme un préalable à la mise
en oeuvre de la proposition du Comité de Bâle.
Ce n'est en
effet qu'à cette condition que celle-ci présentera une
réelle acceptabilité.
En effet, en l'état du développement des métiers de la
notation, la référence proposée par le Comité de
Bâle risque de se traduire par certaines distorsions. Le nombre des
agents économiques accédant à la notation est en effet
très limité, le coût des notations externes n'apparaissant
souvent pas contrebalancé par ses avantages dans un monde financier
où l'usage des notations externes ne s'est réellement
imposé que pour les très grands émetteurs.
Si la quasi-totalité des Etats fait l'objet de telles
évaluations, il n'en va pas de même des agents privés.
L'exemple des entreprises est parlant : seules 600 d'entre elles sont
notées en Europe. L'application du système dérogatoire
évoqué par le Comité pourrait ainsi engendrer au sein
même de l'Europe des restrictions ou des renchérissements de
crédit peu justifiés au détriment des entreprises sans
notation externe. Il y a plus grave pour l'Europe. Comme le taux de
pénétration des agences de notation est beaucoup plus
élevé aux Etats-Unis qu'en Europe, les distorsions de concurrence
entre entreprises de part et d'autre de l'Atlantique résultant de
l'application rapide de la référence à la notation externe
dans le calcul des couvertures en fonds propres pénaliseraient les
entreprises européennes.
Cela ne signifie pas que la proposition articulée par le Comité
de Bâle de recourir davantage aux évaluations externes doive
être rejetée purement et simplement. Il s'agit certainement d'un
progrès. Cependant, il convient d'en réunir les
préalables.
Il s'agit de promouvoir le développement de la
notation en Europe et la mise en place d'une procédure
systématique de contrôle international des performances des
agences de notation. La clef de voûte de ce système serait
située au sein du FMI.
De nombreuses autres règles prudentielles devraient être
améliorées que le cadre du présent rapport ne permet pas
d'aborder dans le détail.
Une attention toute particulière doit être portée
aux
règles comptables
dont
l'hétérogénéité et l'insuffisante rigueur
sont responsables de dysfonctionnements potentiellement très
déstabilisateurs.
Les bonnes pratiques de
gouvernance
doivent être rigoureusement
définies.
Il convient en outre de mettre en place des normes adaptées dans
l'hypothèse
de faillites
d'agents économiques,
règles qui doivent en particulier reposer sur un traitement
égalitaire des créanciers en situation analogue connaissant une
situation analogue.
Le chantier de la réglementation prudentielle est vaste
.
L'ensemble des corps de métier nécessaires à son bon
achèvement doit y travailler. Ce peut être la BRI en
matière de réglementation bancaire, ce peut être le FMI
pour certains aspects structurels de la réglementation prudentielle, etc.
L'important en la matière est, qu'une fois identifiée la bonne
enceinte de réglementation, les travaux qui s'y déroulent soient,
selon les modalités pratiques souples, largement ouverts à
l'ensemble de la communauté internationale.
Il faut en outre inventer une instance internationale d'arbitrage capable
d'évaluer les réglementations prudentielles nationales à
partir des normes élaborées par la communauté
internationale. Ici également, l'arbitre ultime devrait être
situé au sein du FMI.
2. Améliorer la transparence des acteurs privés et l'information des marchés
La transparence de l'information constitue un facteur essentiel d'une meilleure régulation financière internationale. La crise asiatique souligne que les objectifs et les résultats des politiques économiques menées par les pays doivent être connus et diffusés, afin d'identifier et de traiter les facteurs potentiels de crise avant qu'il ne soit trop tard. En particulier, la crise a mis en évidence les déficiences de l'accès à l'information liée aux activités des banques centrales et des autres acteurs sur le marché des changes.
a) Une meilleure information pourrait prévenir l'amplification des déséquilibres engendrée par les marchés financiers
Michel
Camdessus considère que "
c'est en veillant à
l'élaboration rapide d'informations précises, à leur
diffusion et à la meilleure information possible des gouvernements, des
marchés et de l'ensemble des acteurs sur les objectifs et les
résultats des politiques économiques que l'on aura les meilleures
chances de résorber avant qu'ils ne s'aggravent les facteurs potentiels
de crises et de réduire les phénomènes grégaires
d'engouement ou de retraits frileux dont l'on connaît mieux aujourd'hui
le coût
"
50(
*
)
.
Une diffusion de manière continue des informations sur les prises de
position des acteurs et la liquidité des marchés réduirait
le risque de " mauvaises surprises " qui conduit à des
réactions excessives de la part des marchés financiers.
L'amélioration de la transparence et la réduction des
coûts d'accès à l'information a un effet positif sur la
rationalité des décisions des acteurs et la bonne gestion des
crises
. En effet, les anticipations des spéculateurs peuvent
être modifiées par toute information jugée pertinente par
eux. Par conséquent, le nombre et la qualité des signaux
perçus par les agents a une influence certaine sur le lissage de leurs
anticipations. Cependant, il convient de rappeler que le risque d'un mauvais
usage de l'information demeurerait présent, ainsi que le montre la phase
qui a précédé l'éclatement de la crise en Asie,
alors que les déficits des transactions courantes des pays
étaient connus des acteurs du marché.
Les progrès effectués vers une meilleure collecte et une plus
large diffusion des informations doivent être soulignés. Le
bulletin du FMI du 15 février 1999 indiquait que "
le FMI
doit apprendre à mieux connaître les marchés
". Le
fonds a mis en place une norme spéciale de diffusion des données
(NSDD) pour les pays qui satisfont déjà à une norme
élevée de qualité des données, et un système
général de diffusion des données (SGDD) afin
d'améliorer la qualité des données dans tous les pays
membres, et a accru la transparence des conseils qu'il donne aux gouvernements.
Ce système devrait permettre la constitution de données
statistiques complètes et accessibles, et inciter à
améliorer la qualité des données. On rappellera à
cet égard que les données communiquées au FMI sur les
réserves de change se sont révélées fausses pour
certains pays asiatiques.
L'amélioration de la transparence des
emprunteurs doit être complétée par une meilleure
connaissance de la part des acteurs sur les marchés financiers des
positions prises par les autres participants, appréciées sur une
base agrégée.
Les gouverneurs du G 10 ont demandé à un groupe de travail
d'identifier les informations statistiques qui pourraient permettre aux
marchés de mieux évaluer les positions prises par les
autorités sur le marché des changes, ainsi que les
modalités de diffusion de ces informations. Le rapport
" Brockmeijer ", issu des travaux de ce groupe, souligne qu'il
conviendrait de prendre en compte l'ensemble des acteurs nationaux susceptibles
de prendre part à une action de défense de la monnaie en cas de
crise. Cependant, les comptes publics ne permettent pas de mesurer l'ensemble
des risques de marché, comme l'a montré la crise asiatique. Le
rapport propose donc la mise en oeuvre de méthodes permettant aux
banques centrales de collecter de manière régulière et
coordonnée des statistiques sur les marchés dérivés
afin d'en améliorer la transparence. L'harmonisation des principes
comptables constitue un préalable indispensable à une meilleure
transparence des produits dérivés. Le Groupe des Trente
(G 30) et le Comité de Bâle ont publié des rapports
concluant à la nécessité de présenter de
manière plus transparente les opérations dérivées
et, en particulier, la compensation de ces opérations et ses effets sur
le calcul des ratios de solvabilité. En effet, la diffusion des
informations relatives aux positions prises par les fonds d'investissement
à fort effet de levier pourrait permettre de prévenir les risques
systémiques que ces fonds sont susceptibles de susciter.
L'amélioration de l'information des marchés devrait permettre une
correction rapide et moins violente des politiques insoutenables et limiter les
effets de contagion de ces ajustements. Pour atteindre cet objectif, il
convient cependant d'établir des modalités de diffusion des
données à la fois fréquentes et suffisamment proches des
phénomènes de marchés afin d'éviter les ajustements
violents provoqués par une information imparfaite qui
déclencherait le retournement soudain des anticipations sur les
marchés.
Une périodicité mensuelle, voire hebdomadaire
pourrait être adoptée, dès lors que les pays disposent des
outils statistiques appropriés.
Une plus grande information des marchés limite la latitude d'action des
autorités nationales pour " contrer " les marchés
financiers. Le risque existe donc qu'une publication intégrale des
informations transmises par les pays conduise ceux-ci à ne pas
dévoiler totalement leur situation, afin de conserver la
confidentialité de certaines données sensibles dans les domaines
financier et économique.
Le choix de la transparence implique une
acceptation égale de la contrainte décidée pour l'ensemble
des pays, c'est-à-dire l'expression d'une préférence pour
une volatilité maîtrisée par rapport à l'incertitude
qui peut permettre d'afficher une solidité artificielle, mais est
également à l'origine d'ajustements violents lorsque le masque
tombe.
b) La question de l'autorité collectrice des informations et de ses destinataires finaux demeure posée
La
question des destinataires et de l'ampleur de la diffusion des informations
demeure à ce jour contestée : celle-ci doit-elle être
essentiellement destinées aux institutions internationales ou à
l'ensemble des acteurs du marché ? Lors de son audition par le
groupe de travail, M. Gérard Pfauwadel a estimé que la
transparence devait s'adresser surtout aux autorités, afin
d'éviter qu'un excès de transparence n'entraîne des
surréactions de la part des marchés. Il a par ailleurs
indiqué que, même avec davantage de transparence, il
n'était pas certain que les positions agrégées de chaque
acteur et de chaque marché soient connues.
Joseph Stiglitz, chef des économistes à la Banque mondiale,
considère que "
la plupart des informations qui aideront au
contrôle de la situation financière de divers pays peuvent
être efficacement recueillies s'il y a une coopération
internationale, de sorte que les informations venant des pays prêteurs,
des pays emprunteurs et des institutions internationales, peuvent être
rapprochées. Reste que l'on peut se demander si ces informations ne
devraient pas être recueillies par une agence indépendante
internationale de statistiques, plutôt que par une agence
opérationnelle, pour éviter de réels et visibles conflits
d'intérêts...
"
51(
*
)
.
Le groupe de travail considère que la BRI devrait logiquement, de par
ses compétences, être l'organe collecteur des informations en
provenance des banques centrales. Cependant, de très nombreux pays ne
sont pas membres de cette institution, ce qui limite considérablement
ses capacités d'action.
La création d'une " centrale des risques internationaux "
pourrait également être envisagée, mais risquerait de
compliquer inutilement, dans un premier temps, l'architecture des institutions
internationales.
Par conséquent,
il conviendrait que le FMI assure la diffusion des
informations, dans le cadre de son rôle de surveillance et de
prévention des crises
. Le FMI pourrait ainsi " mettre sous
surveillance " les pays qui connaissent des afflux importants de capitaux,
et une détérioration de leur endettement à court terme,
notamment en monnaie étrangère, et accroître les signaux
d'alerte dans le cadre de la prévention des crises. De telles
informations auraient été précieuses, en particulier dans
la phase qui a précédé le déclenchement des
difficultés en Thaïlande en 1997.
C. AMÉLIORER L'ORGANISATION ET LE FONCTIONNEMENT DU CONTRÔLE EXTERNE
Le
développement de règles prudentielles internationales appelle,
malgré l'essor souhaitable des procédures de contrôle
interne, des vérifications extérieures de leur bonne application.
En principe, il appartient à chaque Etat de mettre en oeuvre les
contrôles de cette sorte les plus efficaces possibles. Cette attribution
de compétence de principe ne signifie pas pour autant que le
renforcement du contrôle externe puisse être entrepris sans
considération pour des initiatives internationales qui apparaissent
aujourd'hui nécessaires à sa pleine efficacité.
Une première considération pratique s'impose. Le
développement des institutions de contrôle externe est, à
l'image du développement économique, fort inégal selon les
nations. Cette inégalité contraste avec
l'homogéneité plus grande du processus d'intégration
à l'économie mondiale. Les pays les plus en avance en
matière d'infrastructures économiques doivent assumer la
responsabilité d'apporter efficacement leur assistance aux pays moins
développés. L'Union européenne l'a bien compris, mais pas
très bien fait, dans le cadre des programmes PHARE et TACIS. Le
Comité de Bâle a, lui aussi, saisi l'importance de l'enjeu et sa
mission même consiste à établir les bases de bonnes
pratiques. Mais il y a plus qu'un pas entre la définition de principes
et l'appropriation concrète de ces principes par tous.
Il convient donc d'abord de reconnaître toute l'importance qu'il y a
à promouvoir les efforts d'assistance en direction des organes de
contrôle externe qui en éprouvent le besoin.
Le deuxième aspect fondamental du sujet consiste à recommander de
remédier aux cloisonnements nés des superpositions actuellement
à l'oeuvre entre organes nationaux de contrôle.
L'internationalisation des acteurs de marchés et le caractère
transnational de leurs engagements offrent sous cet angle un contraste avec le
" localisme " des instances de contrôle. Il est indispensable
d'y remédier en instaurant des processus organisés de
coopération entre contrôleurs. Des accords existent en la
matière mais ils ne sont ni systématisés ni
véritablement contrôlés. Il importe donc d'étendre
le réseau de ces accords. Il convient aussi d'envisager
l'opportunité de leur conférer une certaine solennité. Il
existe des précédents, en matière fiscale notamment avec
les conventions fiscales internationales dont certaines clauses concernent les
questions d'assistance administrative. Ces conventions passées entre
Etats obéissent à un modèle-type dit " modèle
de l'OCDE ". Elles impliquent des Etats dont les administrations fiscales
connaissent des statuts très variées, certaines étatiques,
d'autres fédérales, d'autres encore relevant du système de
l'Agence, c'est à dire indépendantes de l'Etat.
Il serait souhaitable d'appliquer cette formule liant les Etats en
matière d'assistance et de coopération internationale entre
superviseurs financiers.
Dans cette perspective, il peut sembler utile de se doter d'un arbitre
international en mesure de régler les litiges que pourrait faire
naître l'application pratique de ces conventions.
Cette recommandation paraît s'imposer face aux dysfonctionnements
observés dans le déroulement des procédures de
coopération, y compris en Europe, qui ont souvent été
rapportés à votre groupe de travail.
L'internationalisation du contrôle demande des initiatives
complémentaires.
Il faut à ce sujet aborder la question
fréquemment débattue de l'instauration d'un organe de
contrôle international.
Selon certains, la mondialisation monétaire et financière devrait
donner naissance un organe international de contrôle. Le FMI ne joue-t-il
d'ailleurs pas ce rôle à l'égard des Etats ?
Cette idée, sous des dehors séduisants, manque
singulièrement de réalisme. Sans même insister sur les
abandons de souveraineté que sa mise en oeuvre supposerait, il convient
de mettre en évidence deux objections fortes. La première
consiste à faire valoir qu'à défaut d'un droit prudentiel
universel, l'on voit mal à quelles normes un tel organe pourrait se
référer.
S'il devait s'appuyer sur les règles édictées par la
communauté internationale qui jusqu'à présent n'ont pas de
valeur normative et revêtent un caractère minimal, le
régulateur international userait d'un " droit mou ", souvent
en retrait par rapport aux règles en vigueur dans les Etats. S'il devait
se référer à ces dernières, il lui faudrait
appliquer un droit très hétérogène sanctionnant ici
ce qui serait ailleurs autorisé. En toute hypothèse, il faudrait
à ce superviseur des moyens considérables représentant au
minimum le regroupement des moyens existants aux niveaux nationaux.
Sachant que rien ne permet d'imaginer une telle architecture applicable, et
outre que les avantages d'un tel système sont introuvables, il faut
faire le constat de ses inconvénients. Le contrôle prudentiel de
droit commun doit en effet demeurer proche des réalités
économiques et financières sur lesquelles il s'exerce. C'est une
des leçons des crises que l'éloignement des centres de
décisions par rapport à ces réalités constitue un
handicap majeur dans l'appréciation des risques. Il ne faut pas
transposer ce handicap au niveau des contrôleurs.
C'est un tel argument qui milite pour le maintien, dans un ensemble
régional aussi cohérent que l'Union européenne, des
responsabilités et compétences des contrôleurs nationaux.
Est-ce à dire qu'il n'y ait pas de place pour un échelon
international de contrôle ? La réponse à cette
interrogation est bien sûr négative.
Au cours de ses entretiens, le groupe de travail a acquis la conviction que
l'instauration d'une coopération même améliorée
entre les superviseurs nationaux ne pouvait pas constituer l'unique
réponse aux incohérences issues de l'éclatement et de la
superposition des compétences nationales.
Il faut en premier lieu résoudre les problèmes posés
par le contrôle des groupes multinationaux.
Pour ces groupes, il serait d'abord souhaitable de généraliser le
recours à la formule d'un partage formalisé des
responsabilités entre autorités nationales de contrôle
à l'image de celle mise en place par le "
memorandum of
understanding
" entre la Commission bancaire française et la
Commission bancaire et financière belge à propos du groupe Dexia.
Il s'agit en l'espèce de désigner un responsable principal de la
supervision ("
lead supervisor
") et d'organiser les
coopérations nécessaires. Un tel aménagement constitue
l'une des formes que peut revêtir une coopération internationale
satisfaisante entre contrôleurs nationaux. Bien adapté à
des groupes peu disséminés, il l'est sans doute moins pour des
entités à dimension internationale plus développée.
Toutefois, il pourrait être fructueux d'envisager sa
généralisation à toutes les très grandes
institutions bancaires internationales.
L'amélioration de l'organisation et du fonctionnement du
contrôle externe devra être complétée par la mise en
oeuvre d'un contrôle des contrôleurs externes.
L'on sait que le développement souhaité des contrôles
internes s'accompagne d'une exigence d'un contrôle externe effectif de ce
type d'évaluation. "
Mutatis mutandis
", un monde
financier globalisé où le contrôle externe reste
exercé dans le cadre de compétences nationales appelle une
évaluation et un contrôle internationaux de la façon dont
elles sont concrètement exercées.
L'Union européenne offre une illustration grandeur nature de la justesse
d'une telle recommandation.
Les conditions dans lesquelles y sont exercés les contrôles
externes varient considérablement, à tel point que plusieurs des
interlocuteurs du groupe de travail ont pu évoquer l'existence de
problèmes de distorsion de concurrence entre systèmes bancaires
nés de cette hétérogénéité des
pratiques.
Ce dernier constat s'il devait être vérifié poserait en soi
un grave problème. Mais, en dehors même de cette hypothèse,
il n'est pas douteux que la solidarité monétaire entre les pays
de l'Union européenne ne saurait se satisfaire d'une divergence des
pratiques de contrôle bancaire tant la solidité d'une monnaie
dépend de celle du système bancaire.
L'on a exposé les motifs pour lesquels la substitution d'un organe
central de supervision bancaire au réseau décentralisé
actuellement en place n'était pas souhaitable. Mais les défauts
d'organisation observés ne doivent pas perdurer pour autant.
La Banque des règlements internationaux a entrepris une
évaluation des contrôleurs nationaux dont la Commission bancaire.
Il serait souhaitable que, compte tenu de ses missions, la Banque centrale
européenne (BCE) se voie doter des moyens nécessaires à
une telle évaluation qu'elle devrait conduire de manière
systématique et régulière.
Un système analogue de supervision des superviseurs devrait être
mis en place au niveau international, c'est-à-dire à celui du FMI.
Il convient d'ajouter qu'il serait souhaitable que de telles supervisions
s'appliquent également à l'égard des autres métiers
financiers et qu'une réelle coopération se noue entre les
différents organes en charge de ces différentes missions.
D. LUTTER CONTRE LA CRIMINALITÉ FINANCIÈRE
La lutte
contre la criminalité financière internationale est devenue un
sujet central des réunions inter-gouvernementales traitant de la
stabilité du système financier international. Les propositions se
multiplient à ce sujet, particulièrement provenant de la France.
La pression sur les Etats délinquants ou accommodants à
l'égard de la délinquance financière augmente, notamment
de la part des Etats-Unis.
Le groupe de travail n'a pas la prétention d'émettre des
propositions définitives sur ce sujet préoccupant. Il tient
toutefois à donner quelques conseils au gouvernement français et
aux négociateurs internationaux à ce sujet.
1. Deux préalables indispensables
Deux
conseils initiaux paraissent pouvoir être formulés :
il faut, en premier lieu, choisir le
bon niveau de décision
pour une lutte concertée des Etats contre la criminalité
financière. L'ONU d'une part et l'OMC d'autre part semblent constituer
ce bon niveau.
La France a fait neuf propositions pour lutter contre les paradis bancaires et
fiscaux. Mais elle les a exprimées au FMI et au G 7. L'OCDE est
également un lieu traditionnel de débats à ce sujet.
Or, de deux choses l'une : ou bien les pays industriels sont
décidés à mener des
opérations militaires de
police internationale
contre les Etats ou gouvernements délinquants,
et ils peuvent décider entre eux ce qu'il convient de faire. Ou bien, et
c'est le plus probable, ils n'y sont pas disposés, et alors il est
indispensable
d'associer étroitement ces territoires à la
lutte contre les flux financiers criminels
. Délivrer des
"oukazes"
serait inefficace. Il conviendrait de réunir
un
groupe
ad hoc
, où seraient convenablement
représentés les centres
offshore
ainsi que les Etats
souffrant de criminalité à grande échelle,
dans une
négociation où leurs intérêts seraient
préservés
.
L'Organisation des Nations-Unies
serait
probablement le niveau adapté de décision. Par ailleurs,
l'OMC
est directement concernée puisque l'opacité de
certains territoires crée de réelles distorsions
préjudiciables à la liberté des échanges et
à la bonne organisation du commerce mondial. L'organisation de
Genève pourrait utilement participer à l'émergence de
nouvelles normes en la matière. Votre groupe de travail estime donc
qu'une première négociation au sein de l'ONU devrait ouvrir la
voie à la définition de règles et de procédures,
notamment juridictionnelles, au sein de l'OMC.
Il paraît également important de distinguer le traitement
des fonds d'origine criminelle de celui des fonds qui proviennent d'une
activité licite
. Autrement dit, il ne faut pas considérer le
blanchiment
et la
corruption
d'un côté, et
l'évasion fiscale
de l'autre, comme étant des
fléaux de même gravité. L'OCDE serait sur le point de
considérer la fraude fiscale comme un crime grave en lui-même.
Cela paraît aller un peu vite en besogne, d'autant que le degré de
sévérité des règles fiscales varie beaucoup dans le
monde : de la concurrence fiscale à la fraude fiscale, il existe
une large marge d'appréciation. Les pays industriels doivent laisser aux
paradis fiscaux le bénéfice d'une fiscalité
légère : ils ont le droit d'avoir fait ce choix. En
échange d'une relation tolérante dans ce domaine, au moins dans
un premier temps, il pourra être exigé de la part de ces Etats une
vigilance accrue contre les fonds d'origine criminelle, ainsi que davantage de
coopération dans les échanges d'information.
2. L'instauration d'une coopération " gagnant/gagnant "
La lutte
contre les fléaux financiers nécessite de convaincre les Etats
où ils sévissent qu'ils ont plus à gagner qu'à
perdre à lutter contre eux. Trois attitudes peuvent être
préconisées :
Mettre les Etats délinquants sous pression
. Les listes
établies par Transparency international pour la corruption, ou le
département d'Etat américain pour le blanchiment contribuent
à faire prendre conscience à certains Etats de la
réprobation qu'ils suscitent, et à les obliger à adopter
une attitude plus coopérative. L'Allemagne vient de livrer le
Liechtenstein à la vindicte. Le gouvernement britannique a
demandé à la firme KPMG un audit sur les paradis fiscaux de la
Couronne
52(
*
)
. La Banque centrale de Russie a
placé sous surveillance certaines îles du Pacifique
53(
*
)
. Les Etats-Unis menacent de sanctions Antigua, la
Dominique, la Russie, le Nigeria et la Colombie.
Le Forum de stabilité financière se propose de publier une
" liste noire "
des paradis fiscaux. Le GAFI devrait
faire de même en juillet. Cette technique peut être efficace :
en condamnant certains et en épargnant les autres, la communauté
internationale peut amener les plus délinquants à se rapprocher
des plus présentables. De proche en proche, une amélioration
générale de la situation devrait être observée.
S'agissant de la
corruption
, il serait nécessaire comme pour les
centres
offshore
d'établir une liste officielle des Etats
où elle sévit, sous l'égide de la Banque des
règlements internationaux et de l'Organisation mondiale du commerce
,
à partir d'une enquête de fond. En effet, quel que soit
l'intérêt des sondages de Transparency international, ils ne
révèlent qu'une perception subjective de la corruption et ne
revêtent aucun caractère officiel.
Subordonner les aides aux Etats à des mesures de lutte contre
la délinquance financière
. Certains pays émergents ou
en développement ont aujourd'hui besoin d'aides publiques
internationales, certains paradis fiscaux aussi. Plutôt que de soumettre
l'octroi des aides à des objectifs macro ou micro-économiques, il
peut être suggéré d'établir des objectifs de lutte
contre la corruption, les trafics, le blanchiment. Selon votre groupe de
travail, cette lutte, si elle est bien menée, peut de surcroît
faciliter les performances économiques, la délinquance
financière étant nuisible à la santé
financière des Etats.
Dans le débat sur l'annulation totale de l'ensemble de la dette des pays
en développement, une des conditions les plus importantes à poser
pourrait être celle-là.
Coopérer à l'établissement de règles de
conduite et à la mise en place d'organes de contrôle locaux.
Le Sénat français coopère institutionnellement avec les
jeunes démocraties dans la mise en place de leurs institutions, et, bien
souvent, d'une seconde chambre.
Les pays industriels pourraient faire de même avec les pays
émergents et les centres
offshore
. Les Bahamas viennent de mettre
en place un organisme de surveillance bancaire et boursier. Il appartient aux
pays de l'OCDE, au Comité de Bâle, à l'OICV, de proposer
leur aide bénévole, voire accompagnée d'un soutien
financier, à tous les Etats souhaitant se doter de structures de
surveillance bancaire et financière, ainsi que d'une législation
en ce sens.
3. Mettre la délinquance financière au coeur du contrôle
Etendre les compétences de tous les
régulateurs financiers à la surveillance de la délinquance
financière
. Les organes de contrôle des banques, des
assurances, des marchés financiers, les institutions
multilatérales, les banques régionales de
développement : tous les organes de l'architecture
financière internationale doivent avoir compétence, mais aussi
acquérir la culture et les qualifications techniques,
éventuellement à l'aide de magistrats ou de policiers, pour
lutter contre la criminalité financière. Leur point de vue est
encore trop économique et financier, et insuffisamment policier à
cet égard.
Dans les ratios prudentiels, les crédits accordés à des
organismes situés
offshore
devront également être
pondérés en fonction des risques particuliers que ces flux font
courir à l'ensemble du système financier.
La BRI pourrait
définir ces pondérations.
Coordonner l'action de tous les organes de régulation
.
L'exemple FIMACO a fait apparaître qu'un dialogue plus approfondi entre
le FMI, la Commission bancaire et la Commission des opérations de bourse
françaises, la commission des valeurs mobilières de Jersey, ainsi
que la Banque centrale de Russie, aurait sans doute permis d'éviter tout
ou partie des dévoiements observés.
Il est nécessaire que les multiples institutions financières
nationales et internationales forment un véritable réseau de
contrôleurs.
Les flux financiers internationaux passent souvent par
un grand nombre de pays et de transactions : un maillage serré de
contrôleurs rendrait les recoupements inévitables.
Pour cela,
il serait utile d'approfondir, en la pérennisant, une structure du type
du Forum de stabilité financière.
4. France : balayer devant notre porte
Le
groupe de travail tient enfin à formuler quelques recommandations
à l'égard de notre pays. Au sujet de la régulation
financière internationale, le Gouvernement est en effet prompt à
de grandes déclarations et à multiplier les propositions soumises
à nos partenaires, que ce soit sur la dette, l'architecture
financière internationale, ou les paradis fiscaux.
Mais qu'en est-il
de son action ?
Au sujet de la corruption,
la France est classée dixième
dans l'Europe des Quinze par Transparency international
, et sa note s'est
détériorée de 1998 à 1999. La lutte contre la
corruption doit d'abord commencer chez nous. Des mesures de rapprochement avec
les normes les plus élevées doivent être prises.
La France abrite elle-même des paradis fiscaux
, dans ses
collectivités outre-mer. Le moins admissible est Saint-Martin, qui peut
être considérée comme une véritable zone
offshore
.
Il faut, à tout le moins, rétablir à
Saint-Martin le droit commun fiscal appliqué dans les DOM.
S'agissant du
blanchiment
, la France est classée par le
Narcotic bureau
parmi les pays où se déroule une intense
délinquance financière. Les Etats-Unis reconnaissent la ferme
volonté de lutte du Gouvernement. Mais ils déplorent la relative
clémence des peines encourues, notamment du fait de la confusion des
incriminations et des peines.
Contre la délinquance financière
internationale, il conviendrait peut-être d'appliquer un droit largement
partagé par la communauté internationale.
A cet égard, et sous réserve des positions que votre commission
prendra à ce sujet, le groupe de travail considère que les
mesures proposées dans le projet de loi sur les nouvelles
régulations économiques vont dans le bon sens. Certaines de ces
mesures, relativement aux restrictions ou interdictions des relations avec les
centres
offshore
, sont toutefois subordonnées à
l'établissement des listes des centres les moins coopératifs. La
France se référera probablement à la typologie
établie par le GAFI.
Le projet prévoit en outre une généralisation de la
déclaration de soupçon aux transactions dont les
opérateurs ne peuvent être identifiés, et une
généralisation des relations des autorités publiques avec
Tracfin, service de renseignement contre le blanchiment.
Enfin,
tout en donnant des leçons de
transparence
,
la France
n'en fait guère preuve
elle-même
. Sur l'affaire FIMACO, notre pays ne s'est guère
vanté de sa faible efficacité au sujet des transactions douteuses
de la Banque centrale de Russie. Le président de la commission des
finances et votre rapporteur ont posé à ce sujet une question
écrite au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
en septembre 1999. La réponse se fait toujours attendre...
E. RÉDUIRE L'IRRESPONSABILITÉ DES ACTEURS
1. L'interdiction des prêts en dernier ressort est une vue de l'esprit
Le
risque d'irresponsabilité des acteurs de marché et la
probabilité de crises financières qui en découle est, on
l'a mentionné, entretenu par la perspective d'interventions publiques
qui, jouant comme une assurance sans primes, introduit un fort risque moral.
Cette situation irritante suscite la tentation de prohiber le recours de telles
interventions. La suppression des prêts en dernier ressort ou d'autres
formes gratuites d'assurance imposerait davantage de prudence aux acteurs de
marché et supprimerait l'impression désagréable d'une
socialisation des pertes subies par des intervenants qui savent, au contraire,
bénéficier à titre exclusivement privé des
bénéfices de leurs imprudences.
Mais, outre qu'une telle mesure ne saurait se décréter
universellement
54(
*
)
, elle apparaît
comporter un bilan coûts-avantages défavorable.
Il semble d'abord qu'une prohibition générale de ces
interventions, à supposer même qu'elle permette de prévenir
les comportements financiers imprudents - concept qui appelle une
définition générale introuvable - ne supprimerait pas
l'ensemble des occasions de crises qu'appellent par nature l'activité
bancaire et le développement économique.
Dès lors, les autorités publiques confrontées à une
crise, se trouveraient privées d'un instrument essentiel à leur
résolution. Ainsi désarmées, elles ne pourraient que
laisser se développer des crises systémiques qui, par contagion,
affectent les acteurs dont la responsabilité directe dans des crises est
nulle. Il ne s'agirait pas d'autre chose que de " jeter le
bébé avec l'eau du bain ".
L'élimination
a priori
de tout prêteur en dernier
ressort doit être écartée comme constituant une mesure
inappropriée.
L'existence d'un prêteur en dernier ressort est donc nécessaire
pour faire face aux crises systémiques. Mais le problème
systémique que le prêteur en dernier ressort engendre doit, quant
à lui, être traité.
C'est à partir de ces deux considérations fondamentales qu'il
faut aborder les questions essentielles que sont l'identité du
prêteur en dernier ressort et les conditions que doit satisfaire son
intervention.
2. Qui doit être appelé à jouer le rôle de prêteur en dernier ressort ?
En
l'état, l'identité du prêteur en dernier ressort est
fixée sur des bases quelque peu existentialistes. Il s'agit
principalement d'instances nationales (banques centrales, budgets,
assurances...) mais il peut s'agir aussi des institutions financières
internationales, et en particulier du FMI, qui, même s'il manque de
moyens en ce sens, joue de fait ce rôle.
Cette architecture est-elle satisfaisante ? Ne faut-il pas mieux
préciser les rôles ?
Cette question souvent abordée sur un plan académique doit
pourtant être traité avec pragmatisme.
Il convient d'abord de rappeler en quoi consiste l'activité de
prêteur en dernier ressort entendue au sens strict. Il s'agit de
consentir des prêts d'urgence à des établissements qui,
bien que solvables en régime normal, se trouvent confrontés
à une pénurie de liquidités.
Une telle situation est généralement susceptible d'être
gérée par n'importe quelle banque centrale puisqu'aussi bien ces
institutions disposent d'une capacité illimitée de créer
de la monnaie. Il en va d'ailleurs ainsi en pratique.
Il n'apparaît donc pas systématiquement nécessaire de
mobiliser un quelconque prêteur en dernier ressort supra-national pour
régler les problèmes de liquidité des banques.
Toutefois, en de rares circonstances
, soit que la banque centrale d'un
pays se refuse à intervenir, soit que le problème de
liquidité rencontré consiste en une pénurie en devises
impossible à combler via des interventions de banques centrales en crise
de liquidités elles-mêmes,
l'intervention d'un prêteur en
dernier ressort non-national s'impose.
Qui peut et qui doit jouer ce rôle ?
La première question amène naturellement à s'interroger
sur la capacité du FMI à jouer efficacement le rôle d'un
prêteur en dernier ressort. Le déroulement des crises asiatiques a
montré que cette capacité était limitée. Le Fonds
n'a pas la possibilité de créer de la monnaie. Face à des
besoins massifs, il doit au préalable recourir aux Etats en
espérant que ceux-ci consentent à une augmentation de ses moyens.
Ses interventions sont destinées aux Etats alors que les
problèmes de liquidité concernent désormais souvent des
acteurs privés. Ceux-ci ne bénéficient des interventions
du Fonds qu'après intermédiation des banques centrales nationales
et donc moyennant des délais supplémentaires.
Les interventions du Fonds sont donc, par construction, tardives. Elles ne
parviennent pas à prévenir les crises.
En fait, dans la plupart des crises de liquidité à impact
international potentiellement élevé, les prêteurs en
dernier ressort efficaces ont été les banques centrales
nationales en mesure d'intervenir massivement c'est à dire pour
l'essentiel la banque centrale américaine, la Banque du Japon et,
à un moindre degré, les banques centrales des pays
européens.
Faut-il modifier cette situation ?
Cette question revêt deux
aspects distincts.
Le premier d'entre eux consiste à s'interroger sur le choix de
l'organisme qu'il conviendrait de charger de la mission de prêteur en
dernier ressort.
Ce rôle est mal joué par le FMI dans
l'hypothèse de crises d'illiquidité des agents privés.
Seule une réforme profonde du Fonds et un accroissement très
sensible de ses moyens lui permettrait d'être un prêteur en dernier
ressort efficace, c'est-à-dire capable de prévenir le
déclenchement d'une spirale de crises.
D'un autre côté, la décentralisation actuelle des
initiatives aux grandes banques centrales nationales ne constitue pas une
solution coopérative et laisse perdurer une réelle
dépendance des pays émergents à l'égard des pays
les plus développés.
Ce diagnostic fonde les recommandations suivantes
.
Il importe d'abord que des banques régionales se développent dans
les zones économiques où elles font défaut. Elles doivent
être en mesure sinon d'exercer toujours le rôle de prêteur en
dernier ressort du moins d'en constituer un support éventuel et
d'être des interlocuteurs crédibles des banques centrales des pays
développés.
En outre, la coordination entre les grandes banques centrales doit être
renforcée pour traiter de façon harmonieuse leurs interventions
au titre de prêteur en dernier ressort.
C'est d'ailleurs un modèle de ce type qui est implicitement retenu dans
le cadre du système européen de banques centrales (SEBC). En son
sein, les refinancements restent en pratique à la charge des banques
centrales nationales mais la Banque centrale européenne dispose d'un
droit de regard général sur l'activité des banques
nationales et il existe au sein du SEBC des accords de liquidité
susceptibles d'être mobilisés le cas échéant.
Ainsi, et même si la BCE ne s'est pas vue explicitement confier le
rôle de prêteur en dernier ressort dans la zone euro, cette
solution apparaît d'abord conforme au principe de subsidiarité. En
outre, contrairement aux critiques qu'elle a suscitées en particulier de
la part des économistes du FMI, cette solution paraît compatible
avec les exigences de régulation en Europe. La probabilité d'y
voir une banque centrale nationale hors d'état de jouer le rôle de
prêteur en dernier ressort est faible ; le SEBC semble avoir mis en
place les instruments que pourrait réclamer une crise d'une ampleur
particulière. Enfin, l'imprécision qui caractérise cette
organisation est conforme au principe "
d'ambiguïté
constructive
" par les incertitudes qu'elle laisse planer sur le
principe même d'une intervention en permettant de limiter le risque
d'irresponsabilité né du sentiment de l'existence de
l'intervention garantie d'un assureur des risques.
En conclusion, il apparaît souhaitable de mettre en oeuvre au niveau
international un système de coopération souple mais attentif
entre banques centrales plutôt que de se reposer sur la
désignation institutionnelle d'un prêteur en dernier ressort.
Cette recommandation qui procède du constat que le Fonds n'est pas un
mesure d'être un prêteur en dernier ressort préventif ne
signifie pas que le FMI doive renoncer à l'exercice des missions qui
sont les siennes.
La seconde question qui ne peut être éludée consiste
à s'interroger sur la compatibilité d'un système
décentralisé de prêteur en dernier ressort avec l'existence
d'une communauté d'intérêts dans le domaine
monétaire
. Cette question revêt une particulière
importance dans le cadre des zones monétaires unifiées. En leur
sein, l'intervention d'un prêteur en dernier ressort est susceptible
d'exercer des effets contradictoires avec l'objectif de stabilité
monétaire. La situation de la zone euro illustre un éventuel
conflit entre les décisions monétaires prises par l'organe
central (la BCE) et les interventions comme prêteur en dernier ressort
des organes décentralisés (les banques centrales nationales).
La perspective d'un tel conflit et les voies de sa résolution ne sont
pas éludées par le traité d'Union monétaire puisque
les activités des banques centrales nationales ne doivent pas nuire aux
objectifs et aux missions du SEBC où la BCE exerce la
responsabilité de la définition de la politique monétaire.
C'est sur ces bases que les autorités monétaires en Europe
pourraient assurer, de façon pragmatique, la conciliation des
initiatives de secours d'urgence et des objectifs de la politique
monétaire unique.
Cette architecture, il faut l'admettre, ne se retrouve pas en l'état au
niveau international. Cependant il est loisible et souhaitable d'aborder cet
aspect du problème dans les enceintes internationales de concertation.
3. Comment doit être exercé le rôle de prêteur en dernier ressort ?
Une
recommandation préalable ressort de l'expérience des
crises : la nécessité d'interventions rapides doit
être affirmée avec force. Mais une autre considération est
essentielle.
Le constat de l'existence d'un risque d'irresponsabilité associé
aux interventions des prêteurs en dernier ressort appelle à une
réflexion sur les moyens de réduire ce risque. Ce dernier,
soulignons-le n'est pas l'apanage du secteur privé ; il concerne
aussi les Etats pour lesquels la perspective d'un secours extérieur peut
agir comme un dangereux lénifiant.
C'est pourquoi il importe d'accoler aux interventions des prêteurs en
dernier ressort un coût afin qu'elles cessent d'apparaître comme
une assurance sans prime.
Cette préconisation ne signifie pas que ce type de prêts soit
assorti systématiquement d'un taux de pénalité. Cela est
parfois recommandé comme étant de nature à prévenir
un recours abusif à la monnaie de la banque centrale lorsque le
marché serait capable, mais à un taux plus élevé,
de refinancer l'établissement défaillant. Dans les faits, de
nombreux prêts de secours sont attribués sans application d'un
taux de pénalité. Cet usage s'explique par des
considérations pratiques, infliger un taux de pénalité
pouvant accroître les difficultés de l'intermédiaire
secouru. En la matière, tout esprit de système doit être
exclu, tout étant du domaine des cas d'espèces.
Il faut en revanche systématiquement rechercher quelles
conditionnalités s'imposent dans le cadre des interventions de
secours
. Il peut s'agir d'un changement des dirigeants - solution
envisageable dans les prêts au secteur privé mais
évidemment non-mobilisable lorsqu'il s'agit du secteur public - voire
d'un retrait d'agrément. Il peut être nécessaire de
resserrer les exigences de couverture en capital imposées à
l'établissement ou encore d'élever les provisions passées
par lui. Une large gamme de conditions peuvent être envisagées.
Elles doivent l'être au coup par coup. Mais il faut faire plus.
Il est important et souhaitable que les prêteurs en dernier ressort,
et en particulier les banques centrales, définissent explicitement en
commun, le prix de leurs éventuelles interventions. Cette
déclaration commune serait en soi une manière de réduire
le risque moral.
D'autres voies doivent être explorées.
Un sujet mérite de ce point de vue une attention
particulière : celui de l'association des intérêts
privés à la résolution des crises de liquidité
.
Ce thème a été développé depuis les crises
asiatiques pour une raison évidente : ces crises ont principalement
concerné des agents privés. Il a fait l'objet d'une
déclaration lors du sommet du Conseil européen de Cologne en juin
1999.
" Pour le Conseil européen, il est particulièrement
important d'associer davantage le secteur privé à la
prévention et au règlement des crises financières. A cet
égard, il insiste sur la nécessité d'intensifier les
travaux visant à fixer des règles plus efficaces pour la
participation du secteur privé à la prise en charge du coût
des turbulences sur les marchés financiers ".
C'est une même approche qui a été suivie par le G 10
lors de sa réunion de Washington en septembre 1999 où furent
réaffirmés
" les
principes selon lesquels les
débiteurs doivent honorer leurs obligations et contrats et qu'aucune
catégorie de créanciers privés ne doit être
considérée comme privilégiée par rapport à
d'autres ".
Un appel a été lancé à cette
occasion pour l'intensification du dialogue entre créanciers et
débiteurs ainsi que pour l'extension du recours aux clauses d'action
collective dans les émissions obligataires privées ou
émanant d'emprunteurs souverains.
En l'état, ce qui est en discussion est essentiellement relatif à
l'introduction de modalités juridiques et pratiques permettant de
restructurer les dettes obligataires privées. Tout part du constat, plus
ou moins strictement fondé, qu'à l'occasion des crises les
interventions de secours des prêteurs en dernier ressort permettraient
d'acquitter les dettes obligataires privées. L'inclusion de clauses de
restructuration des dettes privées dans toutes les émissions
où elle pourrait sembler nécessaire serait ainsi
censée :
- résoudre les problèmes d'aléa moral que pose
l'intervention massive des institutions financières
internationales ;
- assurer la comparabilité de traitement entre créanciers publics
et privés ainsi qu'entre les créanciers privés
eux-mêmes ;
- inciter les prêteurs et les investisseurs à une meilleure
évaluation des risques associés à leurs opérations
sur les marchés émergents.
La poursuite de tels objectifs apparaît souhaitable. Il convient
cependant d'ajouter une observation
.
Si la participation des porteurs d'obligations au traitement des crises doit
être mieux établie, il faut veiller aussi à ce que les
banques créditrices et les actionnaires y soient également
associés. C'est souvent le cas pour les banques qui se trouvent
" collées " au moment où survient la crise mais il est
souhaitable de réfléchir à la situation de celles dont les
désengagements plus précoces leur permettent sans doute d'y
échapper mais peuvent avoir une responsabilité de premier rang
dans les processus de crise. Il y a là un thème de
réflexion à approfondir.
CONCLUSION
La crise
asiatique et sa diffusion vers l'ensemble des pays émergents ont
constitué un coup de semonce qui a ébranlé, par sa vigueur
et sa soudaineté, le système monétaire et financier
international. L'économiste Paul Krugman soulignait que la sortie de la
crise est arrivée trop tôt pour espérer la voir provoquer
une véritable volonté de réforme à l'échelle
mondiale. Cependant, le " lâche soulagement " des pays et des
institutions financières ne fait pas disparaître les risques
inhérents à l'instabilité des marchés de capitaux.
L'épée de Damoclès, dont la chaîne s'est
soudainement déliée, incite l'ensemble des gouvernements à
la vertu dans la conduite des politiques économiques et
monétaires, et à une prudence accrue dans le financement de leurs
économies. Cependant, votre groupe de travail considère qu'il est
urgent de formuler des modes de régulation souples, mais clairs et
communs à l'ensemble des pays. La mondialisation n'exclut aucunement le
contrôle des autorités publiques mais contraint celles-ci à
se moderniser constamment pour s'adapter à l'évolution des
techniques, et à développer la coopération internationale.
Le groupe de travail a retenu cinq grands axes de réformes du
système financier et monétaire international, qui
répondent à des objectifs d'efficacité et de transparence,
mais également de justice et de solidarité. En effet,
l'instabilité du système international fragilise les pays et les
populations les plus démunis et conduit les acteurs mondiaux à
considérer avec un regard nouveau la question du développement.
Les organisations internationales doivent mener une action plus efficace et
coordonnée, mais également davantage en prise avec les
réalités régionales et nationales. La question de
l'annulation de la dette doit être traitée dans cet esprit.
L'aléa de moralité qui caractérise les crises
financières doit être pris en compte et l'instauration d'un
prêteur en dernier ressort doit permettre d'établir un partage du
coût équitable entre les acteurs. La question du contrôle
est essentielle afin d'encadrer de manière efficace les acteurs des
marchés financiers. Le développement d'une transparence
organisée doit, en limitant la dissimulation à laquelle chaque
acteur peut trouver un intérêt, et en améliorant
l'information à la disposition de l'ensemble des acteurs,
accroître la rationalité des marchés en réduisant le
champ des fantasmes amplifiés par les " esprits animaux " des
acteurs financiers. Le contrôle prudentiel interne doit être
modernisé, et le contrôle externe nécessite une
coordination accrue entre les organes nationaux et la mise en place d'un
arbitre international. Enfin, la surveillance et l'exercice d'une contrainte
envers les circuits financiers parallèles doit être au centre de
toute réforme du système financier et monétaire
international, afin que le coût de la régulation ne favorise pas
le développement d'une sphère financière parallèle
qui constitue d'ores et déjà une atteinte considérable au
pouvoir des Etats.
Ces propositions ne prétendent pas offrir des solutions miracles, mais
souhaitent simplement nourrir un débat déjà largement
engagé. Il s'agit désormais d'amorcer des réformes qui, si
elles ne refont pas le monde en quelques mois, empêcheront qu'il ne se
défasse en quelques jours, et ouvriront la voie à une nouvelle
conception des relations financières et monétaires
internationales.
RÉSUMÉ DES PROPOSITIONS
Le
groupe de travail a retenu cinq grands axes de réforme du système
financier et monétaire international, orientés autour des
objectifs de responsabilité, d'éthique et
d'efficacité :
• les organisations internationales : les rendre plus efficaces,
mieux coordonnées et plus au fait des réalités
nationales ; ceci recouvre aussi la question de l'annulation de la
dette ;
• le contrôle prudentiel interne : l'améliorer en en
modernisant les outils et en accroissant les obligations d'information pesant
sur les acteurs privés ;
• le contrôle externe : assurer une meilleure coordination des
organes de contrôle et mettre en place un arbitre international ;
• la surveillance des circuits financiers parallèles en la
plaçant au centre des projets de réformes du système
financier et monétaire international ;
• la lutte contre les risques d'aléa de moralité en
précisant le recours aux prêteurs en dernier ressort.
A. RÉORGANISER LES COMPÉTENCES AU SEIN DU SYSTÈME INTERNATIONAL
1. Utiliser les compétences régionales au service de la régulation et de la prévention
a) Des réseaux implantés localement au service des institutions internationales
•
Mise en place d'un réseau entre les institutions financières
internationales ;
• Création de représentations régionales du FMI.
b) La création de fonds monétaires régionaux et le développement de l'intégration monétaire régionale
•
Mise en place de systèmes de surveillance et d'alerte
régionaux ;
• Promotion de l'intégration monétaire régionale.
2. Clarifier les compétences du FMI et de la Banque mondiale
•
Limiter le rôle du FMI aux interventions de court terme avec des
conditionnalités assouplies ;
• Assurer au FMI un rôle de surveillance des risques
systémiques ;
• Confier à la Banque mondiale l'ensemble des interventions
à long terme dans les pays en développement ;
• Mieux contrôler l'utilisation des concours financiers
accordés par les institutions internationales.
3. Donner une plus grande légitimité aux institutions de Bretton Woods
•
Améliorer la représentation des pays en voie de
développement au sein des organes de décision du FMI et de la
Banque mondiale ;
• Associer les gouvernements à la définition des
orientations stratégiques et à la prise de décision au FMI
et à la Banque mondiale.
4. Promouvoir une conception globale de l'allégement de la dette
•
L'allégement de la dette des pays les plus pauvres est
nécessaire...
• ... sous certaines conditions : pas d'annulation à 100 %,
contrôle de l'application des programmes de réformes et
d'accompagnement, prise en compte des besoins d'éducation et de
santé, meilleure insertion des Etats dans les transactions
internationales, promotion de la sécurité juridique et
financière des investissements ;
• Lier cet allégement à la réforme des institutions
de Bretton Woods ;
• Prendre les mesures complémentaires nécessaires pour que
l'allégement se traduise en terme de réduction de la
pauvreté.
B. L'AMÉLIORATION DE L'ENVIRONNEMENT DU CONTRÔLE PRUDENTIEL EST NÉCESSAIRE
1. L'amélioration des règles prudentielles
•
Mieux assurer le respect des règles établies par consensus et
prévoir un ajustement de ces règles en fonction d'indicateurs de
risques ;
• Revoir les exceptions accordées aux banques pour les rations de
fonds propres ;
• Préciser les méthodes de notation et créer une
instance de contrôle des agences de notation ;
• Etendre les recommandations prudentielles aux pratiques comptables ;
• Permettre un débat public et politique sur l'édiction des
normes prudentielles à partir au sein du comité de Bâle.
2. Améliorer la transparence des acteurs privés et l'information des marchés
•
Une meilleure information pourrait prévenir l'amplification des
déséquilibres engendrée par les marchés
financiers ;
• La question de l'autorité collectrice des informations et de ses
destinataires finaux demeure posée : mieux vaudrait confier cette
responsabilité au FMI plutôt qu'à la BRI, et
réfléchir à la création d'une agence
indépendante.
C. AMELIORER L'ORGANISATION DU CONTRÔLE EXTERNE
1. Apporter une assistance aux organes de contrôle externe
•
Renforcer les procédures nationales de contrôle externe ;
• Apporter une aide internationale à la mise en place de tels
contrôles dans les pays en voie de développement.
2. Assurer une meilleure coordination des organes de contrôle
•
Remédier aux cloisonnements nés des superpositions entre organes
nationaux ;
• Promouvoir les coopérations entre organes de contrôle.
3. Créer une instance internationale d'arbitrage
•
Une intervention internationale est nécessaire ;
• Résoudre le problème du contrôle des groupes
multinationaux par la coopération et la désignation d'un
responsable principal de la supervision ;
• Créer un système international de " supervision des
superviseurs " au sein du FMI.
D. LA LUTTE CONTRE LA CRIMINALITÉ FINANCIÈRE
1. Résoudre deux questions préalables
•
Qui doit décider ? Les normes pourraient être établies
par l'ONU et l'OMC ; leur respect serait assuré par une
procédure juridictionnelle entre Etats ;
• Quels flux retenir ? il convient de distinguer le traitement des
fonds criminels de celui des fonds provenant d'une activité licite.
2. Instaurer une coopération gagnant / gagnant
•
Mettre les Etats délinquants sous pression ;
• Subordonner l'aide aux Etats à des mesures de lutte contre la
délinquance financière ;
• Coopérer à l'établissement de règles de
conduite et à la mise en place d'organes de contrôle locaux.
3. Mettre la délinquance financière au coeur du contrôle
•
Etendre les compétences de tous les régulateurs financiers
à la surveillance de la délinquance financière ;
• Coordonner l'action de tous les organes de régulation.
4. France : balayer devant notre porte
•
Etre à l'avant-garde de la réforme des règles
prudentielles et revoir les dispositifs légaux français
permettant des actions dénoncées ailleurs ;
• Accentuer la lutte contre la corruption ;
• Mieux contrôler les mouvements de capitaux transitant ou
s'investissant en France ;
• Améliorer le système TRACFIN.
E. RÉDUIRE L'IRRESPONSABILITÉ DES ACTEURS : LA QUESTION DU PRÊTEUR EN DERNIER RESSORT
•
Un prêteur en dernier ressort international est nécessaire ;
• Réfléchir au rôle de banques régionales
comme prêteurs en dernier ressort ;
• Mettre en place un système de coopération souple mais
attentif entre banques centrales ;
• Définir de manière explicite le coût et les
conditionnalités des interventions des prêteurs en dernier ressort
;
• Mieux associer les acteurs privés à la résolution
des crises par exemple en prévoyant une clause de restructuration des
dettes privées dans toutes les émissions.
CLASSIFICATION DES PROPOSITIONS
PAR NIVEAU DE DÉCISION
Niveau de la prise de décision ou de la discussion |
Mesure ou thème de réflexion identifié par le groupe de travail |
Tous niveaux |
Prise de conscience de la nécessité du respect des normes prudentielles internationales |
|
Lutte contre les perturbations induites par les flux financiers délinquants par un maillage serré de tous le régulateurs nationaux et internationaux |
Institutions de Bretton Woods (FMI, Banque mondiale) |
Clarifier la répartition des compétences (au FMI le court terme et le risque systémique, à la Banque mondiale le long terme) |
|
Promouvoir la coopération en cas d'intervention sur un même pays : diagnostic commun, représentation permanente commune, conditionnalités communes |
|
Assurer une meilleure représentation des pays en voie de développement |
|
Promouvoir une initiative globale de traitement de la dette conçue sous des conditions strictes permettant une véritable réduction de la pauvreté |
|
Renforcer les contrôles sur l'utilisation des concours alloués |
Fonds monétaire international |
Apporter des concours financiers à court terme avec des conditionnalités limitées |
|
Prévenir les risques systémiques |
|
Devenir un arbitre international du système prudentiel |
|
Collecter et diffuser les informations sur les marchés |
|
Instance de contrôle des agences de notation |
|
Coordination avec une architecture de systèmes régionaux de banques centrales ou de fonds monétaires régionaux pour les aspects prudentiels |
|
Promouvoir la stabilité monétaire régionale |
|
Surveiller la délinquance financière et coordonner les organes de régulation oeuvrant en la matière |
|
Améliorer la représentativité et la légitimité ( accountability ) de l'institution |
Banque mondiale |
Apporter des financements à long terme en faveur du développement : prêts et dons |
|
Concevoir les programmes globaux de développement et de réformes structurelles |
|
Prendre en compte la composante sociale |
|
Favoriser l'insertion sur les marchés internationaux de biens et de capitaux des pays en développement |
|
Améliorer la représentativité et la légitimité ( accountability ) de l'institution |
Banques régionales de développement |
Aider la Banque mondiale et le FMI dans le diagnostic de la situation des pays où elles sont présentes |
|
Mobiliser les financements pour les investissements structurants au plan régional (exemple des infrastructures de transport entre plusieurs pays) |
|
Instance de concertation pour les pays bénéficiaires |
|
Système d'alerte régional en cas d'absence de regroupement des autorités monétaires de la zone |
Banque des règlements internationaux |
Elaboration des normes prudentielles et bancaires au plan technique entre professionnels |
|
Réflexion sur l'amélioration de la sécurité technique des marchés |
|
Elaboration des normes d'information en vue des statistiques bancaires et financières |
|
Coordination des règles prudentielles en matière de marchés financiers, bancaires, d'assurance et de comptabilité |
|
Soutien au développement et à la mise en place d'organes de contrôle dans les pays qui en sont dépourvus |
ONU |
Concertation internationale sur la lutte contre les flux financiers d'origine criminelle |
|
Dénonciation des pays les moins coopératifs en la matière |
OMC |
Elaboration de règles de conduite en vue de discipliner les centres offshore |
|
Mise en oeuvre de procédures juridictionnelles entre Etats |
|
Etablissement de listes de pays accueillant une délinquance financière (blanchiment, corruption), avec une classification susceptible d'être prise en compte par les régulateurs internationaux |
G 7 |
Concertation sur la lutte contre les flux financiers criminels |
|
Concertation sur l'identification des prêteurs en dernier ressort ainsi que leurs interventions |
|
Elaboration d'un consensus sur les règles de nature à encadrer l'utilisation des instruments financiers les plus volatils |
Union européenne |
Coordination des propositions en matière de réforme du système financier et monétaire international |
|
Harmonisation des règles prudentielles en Europe |
|
Législation pour résoudre le problème des zones européennes accueillant la délinquance financière |
Banque centrale européenne |
Evaluation des contrôleurs nationaux (BCE) |
|
Rôle de prêteur en dernier ressort pour les sinistres pour lesquels l'intervention des banques centrales ne serait pas adaptée (BCE) |
|
Participation de la BCE aux nouvelles fonctions du FMI |
France |
Accentuation de la lutte contre la corruption |
|
Révision des dispositifs légaux permettant l'évasion fiscale sur des territoires à souveraineté française |
|
Amélioration du contrôle sur les flux financiers transitant par la France |
|
Modernisation de TRACFIN |
|
Organisation d'un débat parlementaire sur les normes prudentielles |
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 22 mars 2000, sous la
présidence de
M. Alain Lambert, président, la commission a
procédé à
l'examen
des
conclusions
du
groupe de travail
sur la
régulation financière
et
monétaire internationale
, sur le rapport
de M. Philippe
Marini, rapporteur, président du groupe de travail.
Après avoir remercié l'ensemble des membres du groupe de
travail,
M. Philippe Marini, rapporteur
, a rappelé que sa
constitution avait été décidée à la suite
des crises internationales de 1997 et 1998. Il a alors indiqué que la
régulation se situait dans l'esprit du groupe entre la
réglementation au sens strict du terme et le libre jeu des
marchés, et qu'elle était apparue comme devant être
sérieusement renforcée.
Il a indiqué que le rapport suivait une démarche ordonnée
en trois étapes, répondant d'abord à la question de savoir
pourquoi réguler, examinant ensuite les dispositifs actuels de
régulation et se penchant enfin sur les propositions susceptibles
d'améliorer la situation. Il a observé, à ce sujet, que
les suggestions du groupe de travail visaient notamment à orienter les
positions que peuvent être appelés à prendre nos
représentants dans les diverses instances internationales.
M. Philippe Marini
a ensuite développé le contenu du
premier chapitre du rapport, consacré à démontrer la
nécessité d'une régulation des flux monétaires et
financiers internationaux.
Il a fait valoir que la mondialisation financière, si elle avait des
effets bénéfiques en favorisant le développement
économique mondial, pouvait présenter des aspects
négatifs, en facilitant l'essor des circuits financiers criminels et en
exposant l'économie mondiale à des
déséquilibres systémiques. A ce propos, il a
insisté sur l'impact, particulièrement défavorable, de
crises sur les pays pauvres et a relevé qu'au sein des pays
développés, l'Europe et le Japon en avaient subi le contrecoup,
tandis que les Etats-Unis semblaient en avoir tiré un certain parti.
Il a alors jugé que la prévention de ces
déséquilibres ne pouvait être atteinte à travers un
retour au système monétaire international de Bretton Woods, non
plus que par l'instauration systématique de régimes de change
plus rigides.
Il a émis un jugement analogue s'agissant de solutions globales, telle
la " taxe Tobin " ou l'instauration d'une monnaie mondiale.
Détaillant le chapitre deuxième du rapport consacré
à l'examen des modalités actuelles de la régulation,
M.
Philippe Marini, rapporteur
, a indiqué qu'il s'agissait d'abord
d'examiner le rôle des grandes institutions financières
internationales. Pour le fonds monétaire international (FMI), il a
souligné que face à des attentes excessivement ambitieuses et
contradictoires, l'institution était contrainte par les limites et
l'ambiguïté de son rôle propre. Evoquant l'action de la
Banque mondiale, il a tout particulièrement souligné les
défauts de coordination de ses interventions avec celles du FMI. Enfin,
mentionnant la Banque des règlements internationaux (BRI), il a
observé que sa fonction, bien que fondamentale, était
naturellement limitée par la composition de ses membres.
M. Philippe Marini, rapporteur
, a complété son
exposé du chapitre deuxième du rapport en indiquant qu'il
était enfin consacré à cerner les limites de la
supervision financière et bancaire.
Il a souligné, à ce propos, que la défaillance dans la
maîtrise des risques pris par les acteurs du marché avait
été à l'origine des crises les plus récentes. Puis
il a remarqué que cette situation traduisait tout à la fois une
insuffisante autodiscipline des acteurs alimentée par le risque
d'irresponsabilité, les insuffisances des règles prudentielles,
telles que le ratio Cooke , comme du contrôle de leur
application, et l'existence de " trous noirs " dans le système
financier international, comme certains centres
offshore
.
Abordant les propositions du groupe de travail
,
M. Philippe Marini, rapporteur
, a commencé par un
recensement des travaux existants sur le même sujet. Il a ainsi
présenté rapidement les propositions du Gouvernement
français sur la représentativité des organes de direction
des institutions de Bretton Woods, le dernier rapport du Congrès
américain, les réflexions engagées par le Fonds
monétaire international (FMI) et la Banque mondiale sur leur
fonctionnement interne et leur coordination, les propositions au G7, du Forum
de stabilité financière, les travaux engagés par plusieurs
groupes d'entreprises privées aux Etats-Unis, et les nombreuses
initiatives en matière d'annulation de la dette des pays en voie de
développement.
Il a organisé les propositions du groupe de travail autour de cinq
principaux points : l'architecture institutionnelle, le contrôle
prudentiel interne, le contrôle externe, la lutte contre la
délinquance financière et la réduction de
l'irresponsabilité des agents.
Tout d'abord, le groupe de travail souhaite une réorganisation des
compétences au sein du système financier international. Il
préconise ainsi de développer les compétences
régionales sur le modèle européen (banque centrale
européenne) et autour de l'idée japonaise d'un fonds
monétaire asiatique : il s'agit d'asseoir la prévention et
la régulation sur des relais régionaux avec des zones de
stabilité monétaire et des enceintes de surveillance prudentielle
au même échelon. Il convient également de clarifier les
relations entre le FMI et la Banque mondiale. Le rapporteur a estimé que
le FMI devrait se voir confier des missions de court terme visant au
rééquilibrage de la balance des paiements des Etats, ainsi que le
rôle de clé de voûte de l'ensemble du système
prudentiel international. Il a considéré que,
parallèlement, la Banque mondiale devrait s'attacher à des
actions de long terme, au financement structurel des économies en voie
de développement et à la mise en place des indispensables filets
de protection sociale. Enfin, le groupe de travail s'est prononcé pour
une annulation, sous conditions, de la dette des pays les plus pauvres, en
précisant que cette annulation ne saurait être
séparée de la réforme globale du système
monétaire et financier international.
M. Philippe Marini, rapporteur
, a ensuite exposé ses
propositions s'agissant du système prudentiel. Il a estimé qu'il
convenait d'abord d'améliorer la qualité des normes
internationales et leur respect. Il s'agit ensuite d'assurer la circulation et
la transparence de l'information sur les marchés, en distinguant les
deux niveaux de responsabilité que sont l'élaboration des
concepts techniques, qui revient à la BRI, et la responsabilité
politique de la surveillance, qui incombe au FMI et à ses relais
régionaux. Il s'est enfin interrogé sur le devenir des agences de
notation, estimant que le cadre de leur travail mériterait d'être
plus régulé et plus homogène, ce qui passe probablement
par l'intervention d'un arbitre international situé au niveau du FMI.
Puis le groupe de travail a formulé trois principales propositions en
matière d'organisation du contrôle externe : il s'agit
d'apporter une assistance aux organes chargés de ce contrôle,
notamment dans les pays en voie de développement qui en sont
dépourvus, d'assurer une meilleure coordination des interventions des
organes de contrôle et enfin, de créer une instance internationale
d'arbitrage, probablement placée au sein du FMI.
Le rapporteur a voulu développer, en quatrième point, la
nécessité de lutter contre la criminalité
financière (corruption, blanchiment). Se demandant quel niveau de
décision serait le plus opérationnel en la matière, il a
estimé que ce rôle pourrait revenir à l'Organisation des
Nations unies et à l'Organisation mondiale du commerce. Il a
distingué le traitement des fonds provenant d'une activité
licite, mais replacés offshore, de celui des fonds criminels. De ce
point de vue, il a considéré qu'il convenait de coopérer
à l'établissement de règles de conduite et à la
mise en place d'organes de contrôle propres à mettre sous pression
les Etats ou territoires délinquants. Enfin, il a proposé
l'établissement d'une classification des zones offshore allant des plus
opaques à celles qui sont déjà un peu
régulées. Il a conclu en estimant qu'en la matière, la
France devait encore travailler avant de se poser en donneuse de leçons.
Enfin, le rapporteur a abordé la question de l'irresponsabilité
des acteurs et de l'aléa moral que représentent les interventions
des prêteurs en dernier ressort. Il a estimé qu'il était
indispensable de réduire cette irresponsabilité et de
réfléchir à la mise en place d'un prêteur en dernier
ressort au plan international ou, au moins, de règles communes sur le
coût et les conditionnalités des interventions des
différents prêteurs en dernier ressort, nationaux ou
régionaux.
Pour conclure,
M. Philippe Marini, rapporteur,
a rappelé que M.
Michel Camdessus avait déclaré à la commission des
finances, en septembre 1998, que " le lâche soulagement "
des marchés financiers n'avait pas fait disparaître les risques de
crise.
Un large débat s'est alors ouvert.
M. Denis Badré
a indiqué que les travaux du groupe
avaient permis à ses membres de mieux appréhender les
réalités de la mondialisation des marchés financiers. Il a
souligné qu'une organisation mondiale de la finance comparable à
l'OMC n'était pas justifiée. Il a constaté que
l'organisation du système monétaire et financier international
avait des implications politiques importantes, mais que certains sujets
nécessitaient néanmoins des prises de position politiques
claires, notamment le problème des paradis bancaires et fiscaux et celui
du remboursement de la dette, qui pose le problème de l'aide au
développement.
M. Denis Badré
a rappelé l'expression de M. Michel
Camdessus évoquant les " trois mains " : la main
invisible du marché, la main de fer de la justice, mais également
la main tendue de la solidarité. Il a également insisté
sur le rôle que doit jouer l'Union européenne dans
l'établissement d'un nouveau système de régulation
à l'échelle internationale, et en particulier le modèle
que peuvent constituer la Banque centrale européenne (BCE) et le
système européen de banques centrales (SEBC).
M. Joël Bourdin
a rappelé que la régulation devait
résulter des ajustements naturels des marchés. Ainsi les rapports
de change à long terme entre les monnaies sont-ils
déterminés en fonction des taux de croissance et d'inflation de
l'économie, selon la théorie de la parité des pouvoirs
d'achat. Il a insisté sur la nécessité de distinguer les
grandes monnaies mondiales des monnaies dont la valeur est uniquement
déterminée par la création monétaire des banques
centrales, et dont la valeur ne représente généralement
pas grand chose. Dans les pays développés, il a estimé que
l'exagération des réactions des marchés financiers ne peut
être imputée qu'à l'insuffisance des informations
disponibles. Pour les pays moins avancés, l'existence d'accords
monétaires, tels que la zone franc, constitue une garantie de change
avantageuse.
M. Jacques Chaumont
a souligné que le rapport
" Meltzer ", commandé par le Congrès américain,
s'appuyait sur l'objectif de réduction de la pauvreté et
préconisait un recentrage des compétences du FMI. Compte tenu des
effets négatifs des interventions du FMI sur l'environnement, les
dépenses de santé et d'éducation, il a
considéré que celui-ci ne devait pas être
exonéré de ses responsabilités vis-à-vis des pays
en voie de développement. Il s'est également interrogé sur
l'organisme adapté pour jouer le rôle de prêteur en dernier
ressort, et les avantages respectifs des Banques centrales et du FMI en ce
domaine.
M. Paul Loridant
a souligné que la taxe " Tobin " sur
les mouvements de capitaux constituait un élément de
réflexion important, mais également un outil de régulation
susceptible de provoquer des ajustements bénéfiques sur les
marchés financiers. Il a rappelé que le
ratio " Cooke " était devenu obsolète, et qu'un
nouveau ratio mieux adapté était actuellement
étudié par des techniciens. Il s'est indigné de ce
qu'aucune institution démocratique ne débatte d'un tel outil,
dont l'importance est fondamentale pour le fonctionnement des marchés
financiers et des économies.
Il a ensuite constaté que l'existence de paradis bancaires et fiscaux
constituait la preuve de l'impossibilité, pour le système
financier international, de fonctionner de manière totalement
régulée. Il a proposé que tous les centres
offshore
soient prohibés sur le territoire de l'Union européenne, qui doit
servir de modèle pour les autres régions du monde. Il a enfin
insisté sur la nécessité de confier, à une
institution internationale, l'évaluation et le contrôle des
agences de notation.
Mme Maryse Bergé-Lavigne
a défendu la création
d'une taxe sur les mouvements de capitaux, qui constituerait un signe important
en faveur des victimes de la globalisation financière, et s'est
interrogée, par rapport à d'autres propositions de
réforme, sur sa dimension.
M. Jacques Pelletier
s'est prononcé en faveur de l'effacement de
la dette en faveur des pays les plus pauvres. Il a cependant rappelé que
la France avait participé à quatre opérations d'effacement
de la dette depuis dix ans. Il a estimé que cette constatation
conduisait à s'interroger sur l'opportunité d'accorder des
subventions aux pays les moins avancés, plutôt que des
prêts. Il a rappelé la dégradation des relations entre le
FMI et la Banque mondiale, et a souhaité que l'on profite du changement
de directeur général du FMI pour recadrer l'action de
l'organisation et faire progresser les positions européennes. Il a
enfin indiqué partager les vues de M. Paul Loridant sur l'interdiction
des paradis bancaires au sein de l'Union européenne.
M. Maurice Blin
a souligné l'impossibilité de
créer une autorité internationale unique, chargée de la
régulation financière. En conséquence, il a
considéré qu'un réflexe commun de transparence et de
coopération était nécessaire chez l'ensemble des acteurs
sur les marchés financiers. Il s'est également
interrogé sur les moyens techniques dont disposent les autorités
publiques pour repérer les capitaux criminels. Afin d'améliorer
la transparence des marchés, il s'est interrogé sur la
possibilité d'existence d'une autorité qui passerait outre le
secret que souhaitent maintenir certains Etats sur leurs actions et leurs
moyens.
M. Alain Lambert, président,
a insisté sur la
portée démocratique des réflexions du groupe de travail et
a souhaité que ses travaux soient l'occasion d'un dialogue avec tous
ceux qui s'inquiètent des effets de la mondialisation. Il a
considéré que si les autorités de marché faisaient
preuve de leur capacité à s'organiser, les autorités
publiques peinaient à faire de même à l'échelle
internationale.
En réponse aux intervenants,
M. Philippe Marini, rapporteur,
a
d'abord observé que les débats de la commission confirmaient la
légitimité du rapport en apportant, après
l'assiduité des membres du groupe de travail, la démonstration de
l'intérêt du politique pour des sujets fréquemment
confisqués en Europe par les techniciens. Il a souligné que cette
situation tranchait avec celle observée aux Etats-Unis, où le
Congrès suivait de près ces sujets, et a souhaité que les
travaux du groupe puissent connaître la plus large diffusion, en
particulier auprès de nos partenaires européens.
Revenant sur la question des centres
offshore
, il a insisté sur
la nécessité de leur appliquer des normes, sur le fondement de
procédures du type de celles de l'Organisation mondiale du commerce
(OMC). Il a considéré qu'il s'agissait de rétablir, en la
matière, l'Etat de droit au niveau international et que cela supposait
d'entamer l'élaboration d'une convention internationale fixant des
règles et ménageant les conditions permettant de garantir leur
respect.
S'agissant du FMI, il a indiqué qu'on ne pourrait se passer d'un tel
organisme que dans le cadre d'un monde idéal, où les besoins de
régulation seraient absents. Il a ajouté cependant que le Fonds
devait évoluer vers des missions plus précisément
définies.
Généralisant cette dernière observation, il a
insisté sur les enjeux d'une clarification des responsabilités de
chacun des niveaux et des acteurs de la régulation.
Il a alors observé que la prohibition des centres
offshore
sur le territoire de l'Union européenne
supposerait sans doute d'introduire une modification des règles de vote
au sein des instances européennes, allant dans le sens d'un
fédéralisme approfondi. Il s'est alors demandé si telle
était bien l'intention de chacun des commissaires et, en particulier, de
ceux qui pouvaient souhaiter une telle mesure.
Il a enfin admis que l'humilité était de mise face à
l'ensemble des sujets abordés par le groupe de travail, en soulignant
que les propositions du groupe, contrairement à d'autres, ne relevaient
pas d'une démarche utopique, puisqu'elles s'appuyaient sur une prise de
conscience collective, illustrée notamment par les profondes
évolutions observées au Japon, sur des réflexions
préexistantes.
La commission a alors
pris acte des conclusions de son rapporteur et en a
décidé la publication sous forme d'un rapport
d'information
.
CONTRIBUTIONS
DE CERTAINS MEMBRES DE LA COMMISSION
Contribution de Paul Loridant, sénateur de l'Essonne
La
régulation monétaire et financière internationale devient
de l'aveu même des acteurs une absolue nécessité dès
lors que des crises financières mettent régulièrement en
péril l'équilibre mondial qui repose sur un partage
inégal. Les analyses et les propositions du présent rapport se
situent dans la perspective d'un aménagement du système financier
actuel avec quelques timides orientations d'un rééquilibrage vers
un monde multipolaire.
En ce sens, le rejet
a priori
d'un instrument de type " taxe
Tobin " - dont les partisans eux-mêmes mesurent la
complexité d'une mise en oeuvre - participe du principe
d'aménagement et de non remise en cause du système financier
international. L'auteur de la présente contribution regrette que
l'étude des modalités de la mise en oeuvre d'une telle taxe n'ait
pas été examinée.
Il tient par ailleurs à rappeler que le ratio Cooke, instrument de
régulation dont aujourd'hui presque tout le monde s'accorde pour dire
qu'il est dépassé parce que trop global et fruste, n'a jamais
fait l'objet d'une approbation formelle par des instances démocratiques
de type parlementaire, si ce n'est par le biais indirect de son introduction
dans des " lois bancaires " y faisant référence.
Son remplacement annoncé et préparé à la BRI par un
instrument multicritères plus affiné va, à n'en pas
douter, complexifier encore plus le système de régulation et donc
accentuer son caractère technocratique. Faut-il pour autant qu'une
nouvelle fois les autorités monétaires et financières
s'affranchissent d'un débat démocratique ?
Le rapport dresse pour la première fois une diversification
intéressante des différents centres financiers
offshore
existant de par le monde. L'auteur de cette contribution préconise que
dans le territoire de l'Union européenne soit totalement proscrite
l'existence de tels centres pour être en état de prôner leur
suppression dans le monde. Outre l'harmonisation intraeuropéenne devenue
chaque jour plus indispensable pour des raisons de loyauté de
concurrence, cette position du groupe de travail aurait eu le mérite de
la clarté et de la vertu.
Enfin, l'élaboration de nouvelles normes de régulation a pour
corollaire le renforcement du rôle des agences internationales de
notation, au demeurant le plus souvent d'inspiration anglo-saxonne. Or ces
agences ne sont pas elles-mêmes exemptes d'erreurs d'analyse ou de
jugement. Leurs appréciations ont un rôle déterminant sur
le comportement des acteurs des marchés. Il conviendrait donc de mettre
sur pied une autorité, réellement multipolaire, apte à
" noter des notateurs ".
Contribution de Marc Massion, sénateur de
Seine-Maritime,
et
Michel Charasse, sénateur du Puy-de-Dôme
1. Fonds
monétaires régionaux
La coopération monétaire régionale doit être
encouragée mais elle doit s'inscrire dans le système de
Bretton-Woods et non le concurrencer.
C'est l'exemple européen avec une intégration monétaire
poussée à son terme avec dans le même temps un fort soutien
au FMI et à son rôle sur la scène financière
internationale.
Il paraît donc souhaitable d'affirmer que " la coopération
économique et monétaire au niveau régional permet
d'assurer une entraide entre pays voisins ainsi qu'une meilleure surveillance
à la fois régionale (interne) et nationale (par le FMI notamment)
mais cette coopération doit s'intégrer harmonieusement dans le
système de Bretton-Woods et non chercher à le concurrencer ".
2. Clarification des compétences du FMI et de la Banque mondiale
L'idée de laisser les pays pauvres dépendre uniquement de la
Banque mondiale va à l'encontre de ce qui a été fait
depuis des années en matière de renforcement de la
stabilité macro-économique des pays pauvres.
Les institutions,
en vertu du principe d'universalité, ne doivent pas être
spécialisées par pays, mais par outil et/ou par métier.
L'écueil de cette division du travail par pays (qui est celle qui
sous-tend l'essentiel du rapport Meltzer) est que, en laissant les pays pauvres
à la Banque mondiale qui n'a ni pour mission ni pour compétence
de promouvoir la stabilité macro-économique (monétaire,
budgétaire et de changes), on abandonne tout conditionnalité de
ce type pour ces pays. Or, les pays les plus pauvres et ceux de la
" tranche intermédiaire " (c'est-à-dire ceux qui ont un
début d'accès coûteux, limité et instable aux
financements privés), bénéficient actuellement via le FMI
de deux facilités spécifiques (la facilité pour la
réduction de la pauvreté et la croissance -FRCP- et la
facilité de crédit élargie -EFF) qui permettent de
promouvoir sur le moyen-long terme, justement grâce à un cadre
macro-économique stable, les réformes essentielles.
Ces pays ont en effet en général des problèmes
institutionnels profonds, liés au manque de capacités de l'Etat,
à la corruption et à l'instabilité politique. Le
rôle du FMI est donc ici central (les responsables de la Banque mondiale
le reconnaissent d'ailleurs eux-mêmes).
ANNEXES
1
Chiffres cités par Jean-Pierre
Allégret dans l'article intitulé " Globalisation
financière et mutations du système monétaire
international ", paru dans la revue
Humanisme et Entreprise
.
2
Pour un développement sur ces différents risques, cf
Anne-Marie Percie du Sert,
Risque et contrôle du risque
,
Economica, Paris, 1999, 133 pages.
3
" Quel cadre pour l'ouverture ", in
La Lettre du
CEPII
, n°181, juillet-août 1999.
4
" L'impact de la crise des pays émergents sur le
commerce mondial ", in
Bulletin de la Banque de France
, n°72,
décembre 1999.
5
Ibid.
6
in " Faut-il juguler les mouvements de
capitaux ? ",
Tendances économiques mondiales
, n°
2, Coface, Paris, mai 1999.
7
Voir notamment Banque mondiale,
Rapport sur le
développement dans le monde 1999-2000
, éditions Eska / Banque
mondiale, Paris, 2000, 329 pages.
8
Les produits dérivés ont, de ce point de vue,
constitué un progrès technique considérable. En effet, ils
offrent aux investisseurs un moyen plus sûr et intéressant que
l'achat d'actions ou obligations. Ils permettent de supprimer les
problèmes de conservation, des titres, d'accès à
l'information, de paiement-livraison : un produit dérivé
reproduit la valeur de titres sous-jacents. De plus, là où ils
s'appuient sur des indices ou des panels, ils permettent une certaine
diversification des risques et l'accès aux marchés les moins
liquides.
9
Foreign Affairs, novembre/décembre 1994
10
Voir en annexe le compte-rendu de cette audition.
11
Voir en annexe le compte rendu de cette audition
12
In Rapport sur le développement en Afrique
,
Economica, Paris, Abidjan, 1999, 243 pages
13
Une telle remarque, qui était vraie en 1998, ne le serait
pas forcément aujourd'hui, en raison de l'amplification extraordinaire
de la " bulle financière " correspondant, aux Etats-Unis,
à la " Net-économie ". Le " fly to quality ",
s'il se produisait à nouveau, conduirait à constater des
dépréciations considérables dont l'épargne
américaine serait sans doute la première victime.
14
Ils sont passés " d'un flottement géré
à un flottement avéré " pour reprendre la bonne
formule d'Olivier de Boysson, " Pays émergents : le flottement
est-il rassurant ? ", in
Conjoncture
, novembre 1999, Paribas,
pages 8 et suivantes.
15
Ibid.
16
Voir Christian de Boissieu, " Comment sortir de la crise
mondiale ", in
Crise mondiale et marchés financiers
, Les
Cahiers français, n° 289, avril 1999, Paris, La Documentation
française, pages 82 et suivantes.
17
Ibid.
18
Cependant les exemples du
peso
mexicain en 1994, du
bolivar
vénézuélien - provisoirement - en 1996, du
real
brésilien, du
sucre
équatorien et du
peso
chilien en 1999 montrent les limites des
crawling pegs
.
19
Ibid.
20
" Institutions et marchés financiers : quelles
responsabilités ? " in
Crise mondiale et marchés
financiers
, Les Cahiers français, n°289, avril 1999, Paris, La
Documentation française.
21
Paul Krugman, " Monomoney mania ", in
Slate
, 15 avril 1999.
22
Barry Eichengreen,
Toward a new financial architecture :
a practical post-Asia agenda
, Institute for international economics,
Washington, 1999, page 93 : " Even in Europe, where there is a strong
integrationist tradition with intellectual roots stretching back centuries,
nation-states continue to jealously guard their responsibility for the
regulation of domestic financial markets and hesitate to turn this over to an
international entity. "
23
Ibid.
24
Voir en annexe le compte rendu de ces auditions.
25
" La crise asiatique : crise régionale, crise de
système " in Rapport moral sur l'argent dans le monde - 1998,
Toulouse, Montchrestien, 1998
26
Voir en annexe le compte rendu de cette audition.
27
Voir en annexe le compte rendu de cette audition
28
Voir en annexe le compte rendu de cette audition.
29
Il est ici difficile de ne pas mentionner les divergences
théoriques entre les
chief economists
de la Banque mondiale et du
FMI sur la nature de la crise asiatique : dérèglement des
marchés financiers pour le premier et fruit de politiques
macro-économiques hasardeuses pour le second. Ce débat a
certainement fortement retardé l'élaboration d'un cadre commun
d'intervention.
30
James Wolfensohn, " Proposition concernant un cadre de
développement durable ", avant-projet à l'attention du
Conseil, de la direction et des services du groupe de la Banque mondiale.
31
D'autres estimations font état d'un chiffre de
200 milliards de dollars, deux fois plus élevé donc, mais ne
représentant néanmoins que 1 % des capitaux
gérés sur les marchés des pays avancés.
32
Voir en particulier Eichengreen et Mathieson " Hedge funds,
what do we really know ". FMI - Septembre 1999.
33
Cailleteau et Vidon. Bulletin de la Banque de France -
Avril 1999.
34
Cailleteau et Vidon. Bulletin de la Banque de France -
Avril 1999.
35
Mickael Pomerleano. " The East Asia Crisis and corporate
finances. The untold Micro Story ".
36
Comité de Bâle sur la supervision bancaire,
" Le cadre d'évaluation des systèmes de contrôle
interne ". janvier 1998.
37
A la suite de l'Accord de Bâle, l'Europe a
élaboré un dispositif de même nature mais plus exigeant
dans la directive n° 89-647 du 18 décembre 1989. La
France a réalisé la transposition de cette directive par le
règlement n° 91-05 du 15 février 1991 du
Comité de la réglementation bancaire.
38
Voir le communiqué de presse du Comité de
Bâle du 27 octobre 1998.
39
Comité de Bâle sur la supervision bancaire, -
" Les principes fondamentaux pour une supervision bancaire
effective " avril 1997.
40
Groupe d'action financière sur le blanchiment des
capitaux, OCDE, 14 février 2000.
41
Citée Olivier Jerez, " Le blanchiment de
l'argent ",
Banque
, 1999.
42
Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie,
M. Dominique Strauss-Kahn, s'exprimait ainsi devant le comité
intérimaire du FMI le 27 avril 1998 : " le FMI doit être
plus légitime, plus
accountable
et plus représentatif,
nous en sommes tous conscients. Ceci signifie que nous, Gouverneurs, devons
décider et nous approprier les grands choix politiques qui structurent
les actions du Fonds en matière de surveillance ou d'ajustement. Si dans
certains domaines des lacunes subsistent aujourd'hui, c'est justement parce que
la communauté financière internationale, au niveau politique, n'a
pas su encore parvenir au consensus nécessaire : on le voit sur les
questions de change, on l'a vu également sur le rôle du secteur
privé dans les crises. "
43
Les institutions concernées sont : le FMI, le groupe
Banque mondiale, la BID, la BAD, la BAfD, l'OMC et la BRI.
44
A noter que, jugeant
" cavalières et radicales
les conclusions du rapport
", trois des onze membres de la commission
s'en sont publiquement désolidarisés.
45
Le rapport indique :
" there is a wide gap between
the Bank's rhetoric and promises and their performance and achievements ".
46
Pour cette chronologie, voir Frédéric
Bobay, " Réinventer Bretton Woods : la réforme de
l'architecture financière internationale ", in
Revue du
financier
, n° 118-119, Paris, 1999, pages 6 à 9.
47
Ainsi formulée, cette première proposition n'est
évidemment pas réaliste, car le
trust
ou la fiducie par
exemple, répondent à un grand nombre de besoins des acteurs
économiques, indépendamment de l'utilisation qui peut en
être faite pour camoufler des mouvements de capitaux d'origine
délictueuse.
48
Voir notamment l'article de Martin Wolf dans le
Financial
Times
du 24 juin 1999 : " the debt myths ".
49
Voir l'article de " The Economist " traduit et
reproduit dans
Courrier International
, n° 465, du 30 septembre
au 6 octobre 1999.
50
" La crise asiatique : crise régionale, crise de
système " in Rapport moral sur l'argent dans le monde - 1998,
Montchrestien
51
" International financial institutions and the provision of
international public goods ", in Cahiers de la BEI, volume 3, n°2,
1998.
52
Anguilla, Bermudes, Iles Vierges, Caïmans, Montserrat, Turk
et Caicos
53
Marshall, Nauru, Niue, Samoa, Vanuatu
54
Il s'agit en effet d'une question qui entre essentiellement dans
le domaine des différentes souverainetés nationales. Pour le
comprendre, il suffit de se reporter au cas du Crédit Lyonnais dont le
sauvetage a été décidé par les Français et
leurs représentants. On rappellera à ce sujet les crispations
nationales auxquelles a donné lieu l'intervention de la Commission
européenne dans ce dossier malgré l'existence d'un sentiment
européen bien mieux établi qu'un quelconque sentiment
mondial.