2. De la diversité des formes d'annulation à la question de son utilité réelle
a) Comment annuler ? Qui doit payer ?
D'un
point de vue pratique, cette dernière initiative fait suite à un
nombre impressionnant de précédentes remises, chacune empruntant
des voies techniques différentes. De l'annulation pure et simple au
rachat de dettes décotées, en passant par des
rééchelonnements, des conversions, des prises en charge
d'intérêts, les voies d'annulation de manquent pas qui toutes ont
deux objectifs : ne pas afficher trop ouvertement une amnistie des dettes
passées (argument moral) et réaliser un montage pas trop
désavantageux pour le créancier généreux (argument
financier et comptable).
Les mêmes variations se retrouvent quant aux voies explorées pour
faire supporter le coût. La logique libérale le renvoie sur les
créanciers qui étaient conscients des risques pris en consentant
la dette. Une logique mutualiste plaide, comme le suggère l'Allemagne,
pour une répartition de la charge selon la part de créances
détenues par chaque pays créancier. La France offre une
troisième voie avec l'idée de socialisation des risques où
l'intérêt bien compris de tous les pays riches réside dans
l'annulation des dettes des pays les plus pauvres.
b) " Les mythes de la dette "
Cependant, sans perdre de vue les handicaps très
importants
que représente le poids de la dette dans les économies des pays
les plus pauvres, il convient de relativiser certains des propos couramment
tenus sur ce sujet
48(
*
)
. La dette
en elle même n'est pas mauvaise si son produit est bien utilisé
dans des activités productives. Avant d'être une cause de
pauvreté, le surendettement est la marque d'un vaste gâchis de
ressources des pays et il est possible de se demander en quoi l'annulation aura
un quelconque effet sur ce mode de gestion malencontreux. De plus, il ne
paraît pas forcément moral ni juste d'annuler la dette de pays
pauvres mal gérés et, ainsi, de ne pas récompenser les
pays pauvres bien gérés (aléa moral) en raison du
caractère restreint des ressources affectées à l'aide
publique au développement (effet d'éviction).
En réalité, au-delà des débats sur la justification
même de l'annulation et sur les moyens à employer, il convient de
revenir sur certains aspects négligés dans cette question. Il ne
paraît guère possible de l'aborder en séparant strictement
les intérêts des débiteurs et des créanciers. La
réussite de l'annulation réside probablement dans la
crédibilité des pays qui en bénéficient.
L'annulation ne doit être ni charité, ni compassion, ni
solidarité, mais recherche de crédibilité. Pour la
conforter, on pourrait lier l'annulation à certains principes nouveaux,
à concilier certes avec la souveraineté des Etats, comme la
surveillance de l'utilisation des ressources (la confiance doublée du
contrôle), l'attachement plus grand à l'effectivité
plutôt que le formalisme (passer autant de temps à s'assurer de la
réalité du respect des conditions qu'à leur
élaboration et négociation), ou bien le traitement des autres
maux du système financier international comme l'instabilité
monétaire.
L'annulation de la dette ne peut ainsi être considérée de
manière isolée. Elle doit s'inscrire dans un processus global de
réflexion sur l'ensemble du système financier international et
compléter les autres leviers de l'aide au développement
plutôt que d'en constituer l'unique élément. L'annulation
de la dette des pays les plus pauvres ne doit donc en aucun cas servir de
politique d'aide au développement mais doit être mise au service
de cette dernière.
Au total, qu'il s'agisse de l'organisation et du rôle des institutions
internationales, de réglementation prudentielle du crédit, de
lutte contre les circuits financiers parallèles, d'amélioration
de la concertation et d'annulation de la dette, la communauté
internationale se mobilise et formule un certain nombre de propositions dont
cependant la définition précise et la mise en oeuvre devraient
prendre davantage de temps et d'énergie.
C'est dans ce cadre extrêmement riche que votre groupe de travail
souhaite émettre un certain nombre d'appréciations.