2. Les tentatives d'établissement d'une typologie des trous noirs
Dans la
perspective d'une action visant à réduire la capacité de
nuisance des places offshore, il est important d'en établir une
typologie. Le groupe de travail, qui n'a pas étudié
spécifiquement cette question n'a pas la prétention d'en
établir une.
En revanche, ce sujet est actuellement en traitement par le GAFI, organe de
l'OCDE chargé de traquer le blanchiment, et par le Forum de
stabilité financière, présidé par M. Andrew
Crockett, qui étudie les places
offshore
en général.
Les trous noirs sont en effet essentiellement les centres
offshore
, car
l'argent de la corruption y converge comme celui de blanchiment. En
règle générale, ainsi que le montre une étude
récente du
Narcotic Bureau
, les Etats où sévit une
forte corruption ne sont pas des centres
offshore
.
Le GAFI a établi une typologie des pays ou territoires non
coopératifs, en 25 critères, qu'il explique dans son rapport du
14 février 2000.
Critères du GAFI définissant les pays ou territoires non coopératifs
A.
Lacunes dans les réglementations financières
Absence ou insuffisance des réglementations et des dispositifs de
surveillance visant les institutions financières
1. Absence ou inefficience des réglementations et des dispositifs de
surveillance visant l'ensemble des institutions financières d'un pays ou
d'un territoire donné, au plan interne ou extraterritorial, sur une base
équivalente au regard des normes internationales applicables au
blanchiment de capitaux.
Inadéquation des règles concernant la délivrance
d'agréments et l'établissement des institutions
financières, y compris l'évaluation des antécédents
des directeurs et propriétaires-bénéficiaires
2. Possibilité pour des personnes physiques ou morales de gérer
une institution financière sans autorisation ou enregistrement ou avec
seulement des obligations rudimentaires en matière d'autorisation ou
d'enregistrement.
3. Absence de mesures pour empêcher des criminels ou leurs
associés d'exercer des fonctions de gestion ou un contrôle ou
d'acquérir une participation importante dans des institutions
financières.
Insuffisance des obligations d'identification des clients imposées
aux institutions financières
4. Existence de comptes anonymes ou de comptes à des noms manifestement
fictifs.
5. Absence de lois, réglementations ou accords efficaces entre les
autorités de surveillance et les institutions financières ou
d'accords d'autoréglementation entre les institutions financières
sur l'identification du client et du bénéficiaire effectif d'un
compte :
- aucune obligation de vérifier l'identité du client ;
- aucune obligation d'identifier les
propriétaires-bénéficiaires lorsqu'il existe des doutes
quant à la question de savoir si le client agit en son nom propre ;
- aucune obligation de vérifier l'identité du client ou du
propriétaire-bénéficiaire effectif lorsque des doutes
paraissent à cet égard au cours de relations d'affaires ;
- aucune obligation pour les institutions financières de mettre en place
des programmes continus de formation au blanchiment des capitaux.
6. Absence d'obligations légales ou réglementaires pour les
institutions financières, d'accords entre les autorités de
surveillance et les institutions financières ou d'accords automatiques
entre les institutions financières en vue de l'enregistrement et de la
conservation, pendant un délai raisonnable et suffisant (cinq ans), des
documents concernant l'identité de leurs clients ainsi que des dossiers
relatifs aux transactions nationales et internationales.
7. Obstacles juridiques ou pratiques à l'accès par les
autorités administratives et judiciaires aux informations concernant
l'identité des titulaires ou des
propriétaires-bénéficiaires ainsi qu'aux informations
liées aux transactions enregistrées.
Caractère excessif des régimes de secret applicable aux
institutions financières
8. Dispositions en matière de secret pouvant être invoquées
à l'encontre des autorités administratives compétentes,
mais pas levées par elles, dans le cadre des enquêtes concernant
des opérations de blanchiment des capitaux.
9. Dispositions en matière de secret pouvant être invoquées
à l'encontre des autorités judiciaires, mais pas levées
par elles, dans le cadre d'enquêtes criminelles sur des opérations
de blanchiment de capitaux.
Absence d'un système efficace de déclaration des transactions
suspectes
10. Absence d'un système obligatoire et efficient pour la
déclaration des transactions suspectes ou inhabituelles aux
autorités compétentes, un tel système devant assurer la
détection et la poursuite du blanchiment de capitaux.
11. Absence de suivi et de sanctions pénales ou administratives
concernant l'obligation de déclaration des transactions suspectes ou
inhabituelles.
B. Obstacles soulevés par d'autres secteurs de
réglementation
Inadéquation des règles de droit commercial concernant
l'enregistrement des entreprises et des personnes morales
12. Inadéquation des moyens d'identification, d'enregistrement et de
diffusion de l'information concernant les entreprises et les personnes morales
(nom, forme juridique, adresse, identité des directeurs, dispositions
réglementant la possibilité d'engager l'entité).
Absence d'identification du (des)
propriétaire(s)-bénéficiaire(s) des entreprises ou des
personnes morales
13. Obstacles à l'identification par les institutions financières
du/des propriétaire(s) bénéficiaire(s) et des
directeurs/administrateurs d'une société ou des
bénéficiaires d'une entreprise ou d'une personne morale.
14. Systèmes réglementaires ou autres permettant aux institutions
financières de réaliser des transactions financières sans
que soient connus le(s) propriétaire(s)-bénéficiaire(s) de
ces transactions ou permettant à ces bénéficiaires
d'être représentés par un intermédiaire refusant de
divulguer cette information, sans informer les autorités
compétentes.
C. Obstacles à la coopération internationale
Obstacles à la coopération internationale entre
autorités administratives
15. Lois ou réglementations interdisant l'échange international
d'informations entre les autorités administratives anti-blanchiment, ne
prévoyant pas des canaux clairs pour l'échange d'informations ou
subordonnant ces échanges à des conditions très
restrictives.
16. Interdiction pour les autorités administratives de mener des
enquêtes ou des investigations au nom ou pour le compte de leurs
homologues étrangers.
17. Mauvaise volonté évidente pour répondre
constructivement à des demandes (défaut de prise de mesures
appropriées en temps voulu, longs délais de réponse).
18. Pratiques restreignant la coopération internationale contre le
blanchiment de capitaux entre les autorités de surveillance ou entre les
unités de recherche financière pour l'analyse et l'investigation
de transactions suspectes, en particulier au motif que ces transactions peuvent
concerner des questions fiscales.
Obstacles à la coopération internationale entre
autorités judiciaires
19. Défaut d'incrimination du blanchiment des produits d'infractions
graves.
20. Lois ou réglementations interdisant l'échange international
d'informations entre les autorités judiciaires (notamment
réserves spécifiques aux dispositions des accords internationaux
concernant le blanchiment des capitaux) ou application de conditions
très restrictives à l'échange d'informations.
21. Mauvaise volonté évidente pour répondre
constructivement à des demandes d'entraide judiciaire (par exemple,
défaut de prise des mesures appropriées en temps voulu, longs
délais de réponse).
22. Refus de coopérer au niveau judiciaire dans le cas impliquant des
infractions reconnues comme telles par la juridiction requise, en particulier
au motif que des questions fiscales sont en cause.
D. Inadéquation des ressources consacrées à la
prévention et à la détection des activités de
blanchiment de capitaux
Insuffisance des ressources dans les secteurs public et privé
23. Incapacité de fournir aux autorités administratives et
judiciaires les ressources financières, humaines ou techniques
nécessaires pour exercer leurs fonctions ou mener leurs enquêtes.
24. Incompétence ou corruption des agents employés par les
autorités gouvernementales, judiciaires ou de surveillance ou des
responsables de la mise en oeuvre de mesures anti-blanchiment de capitaux dans
le secteur des services financiers.
Absence d'une unité de renseignements financiers ou d'un
mécanisme équivalent
25. Absence d'une unité centralisée (c'est-à-dire d'une
unité de renseignements financiers) ou d'un mécanisme
équivalent pour la collecte, l'analyse et la diffusion d'informations
sur des transactions suspectes aux autorités compétentes.
A partir de cette typologie, le GAFI entend publier une liste des territoires
facilitant le blanchiment d'argent criminel dès le mois de
juin 2000.
De son côté, le Forum de stabilité financière
publiera, dès le printemps 2000, son étude sur les places
offshore
. Il devrait les classer en trois groupes, en fonction de leur
degré de " fréquentabilité ", le groupe des
moins fréquentables devant faire l'objet de mesures d'exclusion de la
part de la communauté internationale, sous la forme d'interdiction
totale de relations financières des pays industriels avec ces places.
Les places
offshore
sont en effet plus ou moins regardantes à
l'égard de la délinquance financière. Certaines, comme
Nauru, dans le Pacifique, ne possèdent aucun organe de contrôle.
D'autres sont dotées d'un organe de contrôle bancaire ou boursier,
comme les Iles anglo-normandes. Les Bahamas viennent d'en créer un.
Certaines ont une législation anti-blanchiment comme le Liechtenstein ou
Grand Caïman alors que Nauru n'en dispose pas. La plupart des
législations anti-blanchiment ne concernent toutefois que le trafic de
stupéfiants et laissent de côté les produits de la fraude
et de l'évasion fiscales. C'est le cas du Liechtenstein.
L'OCDE a recensé au total 47 paradis fiscaux. Le
Narcotic Bureau
américain vient de dénombrer 52 Etats accueillant des organismes
offshore
. Quelques listes indicatives peuvent en être
dressées, à la fois du point de vue des autorités
publiques, et de celui des " utilisateurs ".
Quelques listes de paradis fiscaux
Liste établie en 1981 par le commissaire américain au
Trésor
41(
*
)
Caraïbes et Atlantique Sud |
Europe, Moyen-Orient, Afrique |
Anguilla |
Autriche |
Antigua |
Bahreïn |
Antilles néerlandaises |
Iles anglo-normandes |
Bahamas |
Gibraltar |
Barbade |
Ile de Man |
Belize |
Liberia |
Bermudes |
Liechtenstein |
Iles vierges britanniques |
Luxembourg |
Iles Caymans |
Monaco |
Costa Rica |
Pays-Bas |
Grenade |
Suisse |
Malouines |
Asie et Pacifique |
Montserrat |
Iles Cook |
Nevis |
Guam |
Panama |
HongKong |
St-Kitts |
Maldives |
Sainte-Lucie |
Nauru |
Iles Turks et Caicos |
Vanuatu |
Uruguay |
Singapour |
|
Tonga |
Liste des places sur lesquelles sont établis les hedge funds offshore américains (1999)
Europe |
Antilles/Caraïbes |
Asie |
Irlande |
Grand Caïman |
Hong Kong |
Luxembourg |
Antilles néerlandaises |
|
Guernesey |
Iles vierges |
|
Pays-Bas |
Bermudes |
|
Jersey |
Bahamas |
|
Ile de Man |
Panama |
|
Suisse |
Amérique / Etats-Unis |
|
|
New-York |
|
|
Canada |
|
|
San Francisco |
|
|
Rocky Mountain |
|
|
Greenwich |
|
Liste
des places
offshore
proposées par
Finor associates Ltd
(îles vierges)
en vue d'aider à l'implantation d'entreprises ou
de
trusts
(2000)
Europe |
Antilles / Caraïbes |
Afrique |
Gibraltar |
Antigua |
Afrique du Sud |
Hongrie |
Bahamas |
Maurice |
Ile de Rau |
Bermudes |
Asie/Pacifique |
Madère |
Iles vierges britanniques |
Nauru |
Suisse |
Antilles néerlandaises |
Bahrein |
Andorre |
Anguilla |
Labuan |
Chypre |
Belize |
Hong-Kong |
Guernesey |
Costa Rica |
Etats-Unis |
Irlande |
Caïmans |
Delaware |
Monaco |
Turk et Caïcos |
|
Autriche |
Montserrat |
|
Liechtenstein |
|
|
Royaume-Uni |
|
|
Ces
listes démontrent que l'
offshore
n'est pas l'apanage de quelques
îles exotiques, mais que l'évasion fiscale est possible au coeur
même de l'Europe.
Elles indiquent aussi les liens pouvant apparaître entre les
différentes formes de criminalité financière. Ainsi, parmi
les pays de l'Union européenne, l'Irlande, apparue récemment sur
les listes de paradis fiscaux, a connu une très vive dégradation
de son indice de perception de la corruption entre 1998 et 1999, passé
de 8,2 à 7,7 alors qu'aucun autre Etat des 15 n'a connu de
dégradation supérieure à 0,1 point (dont la France...).
Territoires accueillant des centres
offshore
selon le
Narcotic Bureau
(
strategic report
1999)
mars 2000
Europe |
Antilles/Caraibes |
Afrique |
Asie/Pacifique |
Amérique |
Chypre |
Anguilla |
Liberia |
Bahrein |
Etats-Unis |
Gibraltar |
Antigua et Barbuda |
Maurice |
Iles Cook |
Uruguay |
Guernesey |
Aruba |
Tunisie |
Hong-Kong |
|
Irlande |
Bahamas |
|
Liban |
|
Ile de Man |
Barbade |
|
Macao |
|
Jersey |
Belize |
|
Malaisie |
|
Liechstenstein |
Bermudes |
|
Iles Marshall |
|
Luxembourg |
Iles vierges |
|
Nauru |
|
Malte |
Iles Caïmans |
|
Niue |
|
Monaco |
Costa Rica |
|
Samoa |
|
Portugal |
Dominique |
|
Seychelles |
|
Russie |
Grenade |
|
Singapour |
|
Suisse |
Montserrat |
|
Thaïlande |
|
|
Antilles néerlandaises |
|
Emirats Arabes Unis |
|
|
Panama |
|
Vanuatu |
|
|
Saint Kitts et Nevis |
|
|
|
|
Sainte Lucie |
|
|
|
|
Saint Vincent/Grenadines |
|
|
|
|
Turks et Caïcos |
|
|
|
La liste établie par le Narcotic Bureau du département d'Etat des Etats-Unis, aux fins de la lutte contre le trafic de drogue, est la plus complète à ce jour. Elle classe les Etats et territoires du monde en fonction d'une approche multicritères, pour mesurer leur sensibilité au trafic de drogue et au recyclage de ses produits financiers. Parmi ces critères figure l'accueil, ou non, d'établissements offshore sur le territoire. 52 Etats ou territoires accueillent des centres offshore , dont les Etats-Unis eux-mêmes.