3. Des effets asymétriques entre les pays développés

Si les crises financières récentes ont entraîné des effets asymétriques entre les pays en développement et les pays développés, une caractéristique identique doit être relevée quant aux effets de ces crises sur cette dernière catégorie de pays.

Si l'Europe et le Japon ont été sérieusement atteints, les Etats-Unis ont peu souffert de la crise et semblent même en avoir tiré certains bénéfices.

Cette analyse se vérifie d'abord sous un angle purement macro-économique.
La contraction du commerce mondial qui est intervenue après le déclenchement de la crise est principalement venue de la réduction de la demande exprimée par les pays asiatiques en crise et par certaines économies d'Europe centrale et orientale. Dans sa composante asiatique, elle a touché de plein fouet le Japon et cet effet, sensible pour l'Europe, a été encore accentué pour elle par la composante européenne de la crise. Si la France a été relativement épargnée du fait de la composition sectorielle de son économie, l'exposant relativement peu à la chute des exportations industrielles par laquelle s'est principalement traduite la réduction des importations des pays en crise, il n'en est pas allé de même pour l'Italie et l'Allemagne qui ont été tout particulièrement concernés.

Quant aux Etats-Unis, si la crise du commerce international a pu dégrader encore leurs déséquilibres extérieurs, la sensibilité de l'activité économique américaine à la demande étrangère n'y est pas telle que ce phénomène ait pu sérieusement affecter une croissance soutenue par une forte demande interne. Il faut ajouter que les Etats-Unis jouissent toujours du privilège de financer leur croissance grâce à l'épargne mondiale, privilège que les crises ont encore accentué.

Car c'est également sur le plan des enchaînements macrofinanciers que les effets des crises récentes se sont révélés asymétriques. L'atténuation du rythme de la croissance mondiale, la réallocation des flux financiers vers les supports les plus crédibles ( le fameux fly to quality ) ont favorisé d'une part une détente des taux d'intérêt, d'autre part le financement de la croissance des pays occidentaux. Ces effets n'ont pas été négligeables pour l'Europe mais ont principalement bénéficié aux Etats-Unis en soulageant l'économie américaine du poids de primes que sa situation fortement débitrice et les perspectives incertaines du dollar auraient pu lui valoir 13( * ) .

Ces enchaînements macrofinanciers dissemblables ont été confortés et amplifiés par des réalités microfinancières nuancées qu'il convient maintenant d'expliquer.

L'ensemble des banques des pays développés ont augmenté considérablement leurs engagements en Asie jusqu'à la fin de l'année 1996. Puis ces engagements se sont réduits à partir de l'année 1997.

Evolution des créances bancaires internationales des pays développés sur l'Asie entre 1994 et 1998

(en milliards de $)

Total (pays développés)

Source : Rexecode à partir de données de la BRI

Cependant, le niveau des engagements des banques occidentales sur l'Asie et leur évolution au cours de cette période ont été très contrastés selon l'origine géographique des établissements bancaires. Les graphiques ci-après, réalisés à partir des données de la Banque des règlements internationaux, illustrent des réalités financières profondément disparates.

Banques américaines

Source : Rexecode à partir de données de la BRI

Banques européennes

Source : Rexecode à partir de données de la BRI

Banques japonaises

Source : Rexecode à partir de données de la BRI

* 18 pays : Etats-Unis, Canada, Japon, Norvège, Suisse, UE (hors Portugal et Grèce) ; 1 er trimestre 1998.

Il apparaît d'abord que les niveaux de départ des engagements respectifs des banques américaines, européennes et japonaises en Asie étaient inégaux. En 1994, les banques américaines ne portaient que 11,8 % du total des engagements bancaires en Asie, les banques japonaises et européennes représentant donc, à peu près moitié-moitié, l'essentiel des engagements bancaires des pays développés dans la zone.

Cette inégale exposition s'est renforcée au cous des années suivantes. Les banques américaines n'ont que peu augmenté leurs engagements en Asie jusqu'à la crise. Les banques japonaises ont développé leurs engagements plus substantiellement mais sensiblement moins que les banques européennes. A mi-97, les engagements des différents intermédiaires se répartissaient ainsi par origine nationale.

Répartition des engagements bancaires des pays développés en Asie par origine mi-97

(En %)

Banques américaines

Banques japonaises

Banques européennes

10,4

36,2

53,4

Ces évolutions disparates ne peuvent être entièrement élucidées. Le marasme économique en Europe et le credit crunch observé au cours de la période ont sans doute entretenu une orientation des banques européennes vers l'Asie qui apparaît comme la région la plus dynamique. Il est possible que les difficultés économiques du Japon n'aient pas produit les mêmes comportements chez des banques japonaises alors en grande difficulté. Enfin, le dynamisme d'une économie américaine très autocentrée a probablement polarisé le secteur bancaire américain sur sa propre économie. Pourtant ces explications ne peuvent être considérées comme en excluant d'autres plus étroitement en rapport avec les conditions mêmes dans lesquelles les établissements bancaires ont été gérés de part et d'autre.

Il est permis d'évoquer de ce point de vue des degrés variables de réactivité aux risques.

Cette hypothèse que l'inégale exposition des banques sous revue aux risques asiatiques tend à valider ex-post se nourrit surtout du constat d'un désengagement plus précoce des banques américaines et japonaises, à la veille de la crise asiatique, tandis que les banques européennes ont plus tardé à réagir.

Le tableau ci-dessous témoigne de cette situation à fin juin 1998.

Créances bancaires internationales des pays développés (a) sur le reste du monde

Montant en milliards de dollars (fin juin 1998)

Nationalité de la banque

Créances sur :

E-Unis

Japon

R.Uni

Allemagne

France

Italie

Espagne

Zone euro (hors Portugal)

Total Pays développés

RESTE DU MONDE (b)

125,5

142,7

96,7

194,0

116,4

43,8

50,3

528,5

1119,5

Autres pays développés (c)

16,2

19,8

23,9

38,7

17,1

7,2

8,2

95,3

216,4

Europe de l'Est

dont Russie

12,4

7,8

4,1

1,0

3,9

1,8

52,5

31,3

11,1

6,7

6,4

4,3

0,9

-

92,4

50,8

133,4

75,9

Amérique latine

64,2

14,8

23,1

39,5

25,1

14,3

36,6

140,7

295,7

dont Mexique

Argentine

Brésil

Chili

16,7

10,2

16,8

4,9

4,4

1,7

5,2

1,2

5,7

5,2

5,8

0,7

6,1

7,5

12,8

3,5

6,1

5,2

7,9

1,7

2,1

4,6

3,6

0,5

6,0

12,7

4,6

3,8

24,8

34,3

37,4

11,7

62,9

60,2

84,6

21,9

Moyen Orient

5,3

3,0

6,5

11,6

7,0

2,5

0,4

25,7

57,3

Afrique

4,8

2,3

3,9

9,4

18,7

2,9

1,4

39,4

58,3

Asie

dont Corée du Sud

Taiwan

Chine

Inde

Indonésie

Malaisie

Philippines

Thaïlande

22,6

7,4

1,5

2,1

1,4

3,2

1,1

3,0

1,8

98,5

18,9

2,6

17,5

3,3

19,0

7,9

2,3

26,1

30,2

5,6

3,5

7,8

2,0

4,0

1,6

1,8

2,1

42,2

8,4

2,4

7,4

3,3

5,9

5,2

2,2

5,3

35,4

7,9

4,2

8,0

1,2

4,0

2,4

1,8

3,9

4,2

0,9

0,5

1,5

0,4

0,2

0,1

0,1

0,3

1,9

0,2

0,0

1,0

0,1

0,2

0,0

0,2

0,2

120,5

22,1

11,5

23,4

6,9

17,9

9,2

8,9

13,1

324,8

72,4

23,2

59,3

18,9

50,3

23,0

17,8

46,8

Institutions internationales

0,0

0,0

5,0

0,0

0,0

6,4

0,7

9,5

20,8

Autres

0,0

0,0

0,4

0,0

1,9

0,0

0,1

5,0

12,7

a) La BRI retient 18 pays :Etats-Unis, Canada, Japon, Norvège, Suisse et l'Union européenne (moins le Portugal et la Grèce)

b) Ce total ne prend pas en compte les 18 pays retenus par la BRI, ni les centres bancaires
offshore

c) Principalement Australie, Grèce, Nouvelle-Zélande, Portugal, Turquie.

Source : Rexecode


Un engagement bien supérieur des banques européennes et une plus grande hésitation à réagir ont constitué un couple de facteurs à partir duquel les banques européennes ont davantage souffert des crises que leurs concurrentes américaines et même japonaises.

Selon toutes vraisemblances, les créanciers européens ont également moins profité des corrections d'actifs auxquelles ont donné lieu les plus récentes crises.

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