III. LA RÉGULARISATION DES ACTES EST SOUVENT PRÉFÉRABLE À LEUR ANNULATION
L'article L.600-1 du code de l'urbanisme a d'ores et déjà permis de réaliser des progrès afin d'éviter les annulations reposant sur de purs motifs de procédure. Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs reconnu sa conformité à la loi fondamentale, en considérant que ce texte avait été adopté " eu égard à la multiplicité des contestations de la légalité externe de ces actes " afin de " prendre en compte le risque d'instabilité juridique en résultant, qui est particulièrement marqué en matière d'urbanisme " 30 ( * ) . Ne serait-il pas souhaitable de faciliter la régularisation d'actes dont l'élaboration est très complexe et dont le risque d'annulation occasionne une incertitude dommageable aussi bien aux collectivités locales qu'aux titulaires d'autorisation de construire ?
A. LE JUGE ADMINISTRATIF ET LA VIOLATION DES PROCÉDURES
La jurisprudence administrative distingue d'ores et déjà entre les formalités substantielles et les formalités non substantielles afin d'éviter des annulations systématiques.
Le juge administratif lui-même n'est pas insensible au problème posé par l'annulation d'une décision pour un vice de forme ou de procédure de portée négligeable. Avant même le vote de la loi n° 94-112 du 9 février 1994 précitée, il a mis au point des aménagements aux principes qui gouvernent sa jurisprudence en établissant une distinction entre les formalités substantielles dont le non respect entraîne l'annulation de l'acte, et les formalités non substantielles dont " l'omission ou l'accomplissement irrégulier [n'] a pu exercer une influence sur la décision intervenue " 31 ( * ) . Cependant, cette avancée jurisprudentielle ne permet pas de régulariser a posteriori un acte illégal ; tout au plus peut-on grâce à elle, éviter l'annulation d'un acte pour un motif procédural insignifiant.
B. VERS UNE " LÉGALITÉ SOUS RÉSERVE "
Deux initiatives ont été prises au cours de ces dernières années qui confirment l'intérêt d'une procédure permettant de régulariser , sous de strictes conditions, une formalité omise par l'autorité compétente pour élaborer un acte.
En matière d'enquête publique : la proposition de loi n° 497 de M. Daniel Eckenspieller
Une proposition de loi 32 ( * ) récemment déposée sur le Bureau du Sénat par notre collègue, Daniel Eckenspieller, tend à permettre de régulariser a posteriori certains vices susceptibles d'entacher la légalité d'une enquête publique . Cette proposition de loi prévoit qu'à l'issue d'une procédure contradictoire, le juge pourrait prononcer un sursis à statuer sur la demande d'annulation qui lui a été soumise. Il accorderait alors un délai maximum de six mois, susceptible d'être mis à profit pour régulariser l'enquête publique. Cette régularisation permettrait d'éviter une annulation pure et simple.
En matière de permis de construire : la " légalité sous réserve "
En s'appuyant sur des exemples notamment tirés du contentieux civil et du contentieux pénal, le professeur Jean-Paul Gilli estime 33 ( * ) qu'un système de reconnaissance de la légalité d'un permis de construire " sous réserve " serait concevable. Il consisterait à " ne pas sanctionner certaines illégalités aisément régularisables, mais à n'admettre la légalité du permis qu'à condition qu'elles soient régularisées avant sa mise en oeuvre " 34 ( * ) . Comme le relève cet auteur, l'attribution de cette faculté au juge irait dans le sens d'une jurisprudence qui permet, sous certaines conditions, qu'un permis de construire ne soit pas annulé si l'illégalité qu'il comportait a été régularisée avant le jugement, à l'occasion de la délivrance d'un permis modificatif 35 ( * ) .
Le juge aurait la possibilité d'utiliser cette faculté lorsque les formalités omises ne vicient pas la procédure dans son ensemble. Il s'agirait, par exemple, de questions tenant :
- au non respect de dispositions réglementaires concernant les accès ou le stationnement ;
- aux adaptations mineures de hauteur ou de gabarit de la construction ;
- à certaines autorisations prévues notamment par les articles R.421-3 et suivants du code de l'urbanisme ;
- et de façon générale aux illégalités sans incidence sur le cours de la procédure d'instruction.
Au total, la procédure de régularisation des décisions aurait pour effet de concilier le respect du droit d'agir en justice et le souci d'éviter de mettre en péril des décisions reposant sur des procédures longues et coûteuses. L'essentiel n'est-il pas, en dernière analyse, que le droit soit respecté ? Cette procédure permettrait probablement de décourager les plaideurs qui effectuent des recours abusifs puisque ceux-ci sauraient, dès l'abord, que leur intervention n'aurait pas d'autre résultat que d'amener la régularisation de l'acte alors qu'ils ne poursuivent, tout au contraire, que son annulation.
* 30 Décision n° 93-335 DC du 21 janvier 1994, Journal Officiel du 26 janvier 1994.
* 31 Cf. Jean-Marie Auby et Roland Drago, Traité de contentieux administratif, tome II, 3 e édition, Paris, 1984, p. 301.
* 32 Proposition de loi n° 497 relative aux enquêtes publiques et modifiant la loi n° 83-630 du 12 juillet 1983 relative à la démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l'environnement.
* 33 Jean-Paul Gilli, " Contentieux du permis de construire : la légalité sous réserve ", article précité, p. 355-360.
* 34 Jean-Paul Gilli, article précité, p. 355.
* 35 Conseil d'Etat, 28 décembre 1992, Garcin, Revue de droit public, 1993, p. 1124.