III - Croissance, inflation et emploi dans la zone euro : réflexions sur le sentier de croissance européenne à moyen terme

M. Christian de BOISSIEU, Directeur scientifique au Centre d'Observation Economique (COE) de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris.

Messieurs les Présidents, Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs, merci de votre accueil. Nous allons nous partager le travail avec Mme MARCHESI.

En quelques mots, je vais introduire la présentation. Ensuite Mme MARCHESI reprendra le flambeau et je le reprendrai dans la seconde partie.

Sans transition, je vais m'inscrire dans le prolongement de ce que vient de dire Mme DEBONNEUIL. Il faudra que nous en parlions ensemble autour de cette table : l'avenir n'est pas aux modèles.

C'est une expression un peu ambiguë, c'est-à-dire que dans le travail qui vous est présenté, nous sommes partis de l'idée que, quand nous abordons les problèmes de croissance à moyen terme dans la zone euro et en particulier en France, il est un peu facile et peu satisfaisant de prolonger de façon mécanique des modèles construits sur des données passées dans un monde où les comportements sont très instables.

Par exemple, l'événement sur lequel je reviendrai tout à l'heure, l'arrivée de l'euro, est en soi un changement qui a pu provoquer une certaine instabilité des comportements des agents économiques. Ainsi, quand vous faites de la prévision à moyen ou long terme en prolongeant des modèles économétriques testés sur le passé, vous pouvez aboutir à des résultats précis.

Vous pouvez alors dire : à partir d'un certain modèle, la croissance en France sera de 2,8 % mais, d'une certaine façon, vous n'aurez rien dit de plus. L'estimation que vous aurez sera conditionnée par beaucoup d'hypothèses plus ou moins explicites.

Nous nous rejoignons sur la démarche que nous avons adoptée dans la présentation que nous allons faire. Nous n'avons pas voulu faire tourner un modèle de façon mécanique mais présenter une prévision raisonnée sur les perspectives de croissance dans la zone euro à l'horizon de cinq ans.

Pour ce faire, nous avons distingué deux étapes.

La première, qui va être présentée par Mme MARCHESI, consiste à essayer de se projeter sur un certain nombre de variables fondamentales conditionnant la croissance dans la zone euro et en France. Qu'il s'agisse de l'évolution de la croissance potentielle ou de l'évolution du chômage dans ses relations avec ce que l'on appelle le " chômage de plein emploi ". Tout un ensemble d'éléments fondamentaux quand nous cherchons à étudier le régime de croissance et d'inflation, ou plutôt de désinflation.

Quel régime de croissance et de désinflation pour la zone euro et en particulier pour la France dans les cinq ans qui viennent ?

Voila les points sur lesquels nous allons dans un premier temps chercher à apporter des éléments de réponse.

La seconde partie, que je présenterai, sera consacrée aux marges de manoeuvre. Cela rejoint le débat sur ce que peuvent ou doivent faire les politiques économiques dans le contexte que nous allons évoquer.

C'est dans celle-ci que je répondrai à la question que vous avez posée au début, Monsieur le Président. A savoir dans quelle mesure l'arrivée de l'euro a-t-elle déjà ou va-t-elle modifier le sentier de croissance et par-là même les perspectives d'emploi dans la zone euro et en particulier chez nous en France ?

Voilà le menu que nous vous proposons.



Mme Marie-Claire MARCHESI, responsable de la modélisation au Centre d'Observation Economique (COE) de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris -

Comme M. de BOISSIEU vient de le dire, je vais me concentrer sur la première partie.

Nous avons choisi d'aborder cette réflexion sur les conditions de la croissance future dans la zone euro par un éclaircissement sur les implications que peut avoir l'entrée dans un régime d'inflation basse, qui nous paraît être un fait marquant de cette dernière décennie.

Nous pouvons dire que les performances en matière d'inflation dans les pays industrialisés ont des origines conjoncturelles. Depuis deux ans, nous avons des facteurs conjoncturels évidents tels que la crise asiatique qui a provoqué la baisse des prix importés, une chute importante du prix du pétrole, etc..

Néanmoins, il nous a paru fondamental de ne pas reléguer au second plan les facteurs structurels, en particulier le rôle des politiques économiques dans le cheminement vers cette inflation basse ou quasiment nulle aujourd'hui. Christian de BOISSIEU s'étendra sur les questions de politique économique et de marge de manoeuvre de politique économique. Quant à moi, je me concentrerai sur deux points.

Le premier tentera de préciser le débat qui existe aujourd'hui encore concernant les coûts de l'inflation, malgré les performances atteintes dans le monde industrialisé.

L'inflation a-t-elle encore un coût y compris lorsqu'elle est à des niveaux extrêmement bas ? Ces coûts sont-ils supérieurs au coût d'une politique de désinflation ? Est-on arrivé à la stabilité des prix en Europe ? Est-il possible de poursuivre cette désinflation et de passer d'un taux d'environ 2 % à une inflation strictement nulle, donc à une stabilité des prix ?

Ce débat, amorcé aux Etats-Unis, est arrivé en Europe avec l'arrivée de l'euro et le débat sur le rôle et les objectifs de la Banque Centrale Européenne.

Dans un deuxième temps, j'aborderai les questions de croissance à proprement parler, en me greffant toujours sur la relation entre l'inflation et la croissance et entre l'inflation et le chômage. Il faudra aborder la question du taux de chômage d'équilibre, du " taux de chômage de plein emploi " et relever le fait que l'on a bien atteint des performances en matière de désinflation, maîtrisé le déficit public en Europe mais sans avoir été performants dans la lutte contre le chômage (12 % de taux de chômage actuellement et une croissance trop modérée pour pouvoir résorber le chômage spontanément).

Comme le disait à l'instant Mme DEBONNEUIL, nous sommes tentés, face à cette description un peu sommaire, de dire : " Cela fonctionne bien aux Etats-Unis, ils ont une croissance continue, un taux de chômage extrêmement bas, aucune tension inflationniste n'apparaît ". En rebondissant sur l'exposé de Mme DEBONNEUIL, j'essaierai de fournir quelques éléments de comparaison entre la zone euro et les Etats-Unis.

1. Les coûts de l'inflation et de la désinflation : certains tenants de la thèse de la stabilité des prix défendent à tout prix l'idée qu'une inflation, aussi modérée soit-elle, entraîne toujours des distorsions de prix et dans le comportement des agents. Les comportements ne sont pas optimaux, l'accumulation de la richesse et du capital est finalement défavorisée par rapport à des comportements d'endettement ou autres. Quoiqu'il arrive, une inflation entraîne toujours des pertes de production et donc une distribution entre agents non optimale et peu équitable.

Selon les tenants de cette thèse, ces arguments sont suffisants pour dire : " Nous arrivons à une stabilité des prix. Il vaut mieux en arriver là plutôt que de se contenter d'une stabilité de l'inflation aussi maîtrisée soit-elle . "

Il est clair que la relation entre l'inflation et la croissance est négative, d'autant plus que l'inflation est élevée. Toutefois, dans les études disponibles actuellement, il n'est pas évident de trouver une relation négative entre une inflation basse à un chiffre (en dessous de 10 %), le taux de croissance et le niveau du PIB.

De nombreuses études, concentrées sur les coûts d'une politique de désinflation en termes de croissance et d'emploi, montrent qu'il y a un sacrifice à conduire cette politique de la désinflation en matière de croissance et d'emploi. Ce sacrifice est d'autant plus fort que l'on serait déjà à des niveaux d'inflation basse. Nous pouvons citer à l'appui l'exemple de l'Allemagne dans les années 80 dont le coût de sa politique de désinflation a été plus élevé que pour les autres pays européens en raison d'une inflation déjà basse.

Nous pouvons également citer une étude faite à la Banque de France sur le coût de la politique de désinflation en France dans les années 90, qui nous conduit à dire que ce coût a été plus élevé en France dans les années 90, pour baisser de 2 points le taux d'inflation, que la politique de désinflation conduite dans les années 80.

Pour conclure, je dirais que notre intuition est que lorsque l'on arrive à des niveaux modérés d'inflation, les coûts de poursuite de cette désinflation peuvent être élevés.

En effet, les politiques successives de désinflation laissent des effets sur le taux de chômage. Après un choc négatif de croissance, on ne revient pas au niveau de chômage que l'on avait avant ce choc. Finalement, les coûts de désinflation ne seraient pas seulement transitoires mais pourraient avoir des effets permanents.

Précisément, la persistance du chômage en Europe et le dilemme inflation-chômage qui y persiste est un contraste important par rapport à la situation américaine. Ce dilemme semble avoir disparu aux Etats-Unis où il y a une inflation et un taux de chômage extrêmement bas.

Ce constat sur la croissance américaine a développé un débat outre-Atlantique sur l'apparition éventuelle d'un nouvel âge de l'économie américaine. Deux thèses s'opposent sur l'analyse de la situation américaine aujourd'hui. D'un côté les tenants de la nouvelle économie, du New Age , avancent que le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication serait tel, qu'il tirerait la croissance vers le haut. Nous aurions donc des taux de croissance rapides, avec des productivités élevées comme le disait Mme DEBONNEUIL, et en même temps des prix ne cessant de chuter. Les prix des ordinateurs aux Etats-Unis continuent de baisser à un rythme très élevé.

Cette thèse pourrait expliquer des choses mais elle manque un peu de constat empirique. Elle est un peu affaiblie par le fait que nous ne constatons pas empiriquement tous les progrès de productivité.

A l'opposé de ces tenants de la nouvelle économie, un autre groupe d'économistes dit que la croissance américaine peut être expliquée par les schémas traditionnels. Le bas niveau atteint aujourd'hui par l'inflation aux Etats-Unis s'expliquerait en partie par des chocs ponctuels (baisse des prix de la santé, des ordinateurs...). Mais des choses peu claires demeurent : le taux de chômage est bas, les salaires ont commencé d'accélérer.

Nous avons du mal à nous y retrouver dans les relations que nous avons l'habitude de manipuler et les économistes américains sont revenus sur leurs outils d'analyse traditionnels, parmi lesquels le NAIRU, que l'on peut définir comme le taux de chômage d'équilibre en dessous duquel on ne pourrait pas aller sans tension inflationniste.

Un courant de pensée avance que nous nous sommes un peu trompés sur le niveau de ce taux de chômage, que nous aurions surestimé les risques de surchauffe aux Etats-Unis et les risques inflationnistes. En même temps, nous aurions sous-estimé la croissance potentielle américaine puisque ce taux de chômage d'équilibre est un élément clé pour évaluer la croissance potentielle.

2. J'en viens à la deuxième partie concernant l'évaluation de la croissance potentielle en Europe et aux Etats-Unis. Comme le disait Mme DEBONNEUIL, nous laissons souvent de côté ce qui nous embarrasse dans l'évaluation de la croissance potentielle (le progrès technique, l'évaluation du stock de capital, sa progression), en nous concentrant sur l'élément clé déterminant la croissance potentielle : l'emploi potentiel.

Ce dernier est déterminé par le taux de chômage d'équilibre ou le NAIRU, par la croissance de la population active et par le taux de participation ou, son symétrique, le taux de non-emploi sur le marché du travail.

La comparaison entre l'Europe et les Etats-Unis montre que ces derniers sont avantagés sur ces trois points. Leur taux de chômage d'équilibre est très faible : en dessous de 5 % actuellement alors que pour l'ensemble des pays européens, nous sommes sensiblement à 9 %, voire 10 % en France, en intégrant l'incidence de la fiscalité sur le travail.

La croissance potentielle américaine est avantagée par ce faible taux de chômage d'équilibre mais aussi par la dynamique démographique : aux Etats-Unis, la croissance de la population active est plus rapide qu'en Europe. Le taux de non-emploi est ainsi très faible aux Etats-Unis (environ 25 %), alors que dans la zone euro, nous sommes proches de 45 %.

Dans notre étude, nous avons tenté d'évaluer la croissance potentielle dans la zone euro et aux Etats-Unis. Nous avons utilisé les méthodes statistiques traditionnelles pour obtenir une croissance tendancielle à partir des évolutions passées. Nous arrivons à un contraste saisissant : la croissance potentielle serait d'environ 3 % pour les Etats-Unis et de seulement 2 % pour la zone euro, la France se situant de façon assez favorable avec un taux légèrement au-dessus de celui de la zone euro.

Notre estimation est un peu inférieure à celle proposée par l'Union Européenne qui est voisine de 2,5 %. Si nous faisons des estimations à partir d'une fonction de production, nous sommes dans une fourchette de 2 à 2,5 % pour la zone euro.

Je vais conclure sur d'autres facteurs pouvant nous différencier des Etats-Unis. Michèle DEBONNEUIL s'est étendue sur les questions de productivité de travail. Effectivement, les Etats-Unis ont une productivité apparente du travail très faible.

En s'intéressant à la productivité globale des facteurs et pas seulement à la productivité du travail, nous constatons que l'écart entre la situation américaine et européenne est un peu moins contrasté, les Etats-Unis connaissant en effet une croissance soutenue - par rapport à l'Europe - de la productivité du capital.

Il est vrai que les évaluations sur la productivité du capital sont fragiles. Mais il est clair que les Etats-Unis ont connu, dans une période récente, une croissance de la productivité du capital, une croissance du stock de capital et une croissance du ratio de l'investissement sur le capital. C'est vrai au niveau global, mais également au niveau des nouvelles technologies et du matériel informatique. C'est assez cohérent avec ce que nous observons sur le rythme d'investissement et sur le rapport entre l'investissement et le PIB. Tout cela a un effet favorable pour la croissance américaine.

M. Christian de BOISSIEU.- Si je résume un peu ce que vient de dire Mme MARCHESI, nous pouvons améliorer les choses du point de vue de la croissance mais il n'y a pas de miracle à attendre. Ceux qui en France parlent déjà de l'arrivée possible de ce que l'on appelle aux Etats-Unis la nouvelle économie, le nouvel âge - depuis huit ans, les Etats-Unis n'ont pas été très loin de 4 % de croissance annuelle en moyenne - sont en train de prendre leurs désirs pour des réalités.

En résumant l'esprit du message délivré par Mme Marie-Claire MARCHESI, nous pouvons améliorer les choses mais nous n'allons pas retrouver spontanément un sentier de croissance à 3,5 ou 4 % dans la zone euro et également en France.

Cela pose le problème des marges de manoeuvre du côté des politiques économiques. Puisqu'il n'y a pas de miracle à attendre, pouvons-nous essayer à la marge d'améliorer les choses, d'améliorer le sentier de croissance et donc d'accélérer le recul du chômage ?

Je vais concentrer la partie de ma présentation sur ce problème des marges de manoeuvre, en reliant cela à votre question de tout à l'heure, Monsieur le Président, c'est-à-dire les conséquences de l'euro sur le sentier de croissance, pour les pays de la zone euro et ceux qui viendront nous rejoindre dans les années qui viennent :

Tout d'abord, il faudrait étudier de près les canaux par lesquels l'arrivée de l'euro modifie, ou peut modifier, le sentier de croissance dans nos économies. Il faudrait vraiment distinguer les effets de moyen-long terme et les effets de court terme.

Sans être exhaustif, je donnerai deux exemples de ce que j'appelle les canaux par lesquels l'arrivée de l'euro modifie le sentier de croissance dans nos économies. Tout d'abord, l'euro modifie forcément la manière dont nous faisons de la politique économique et, par ce biais, modifie les marges de manoeuvre.

L'arrivée de l'euro est forcément un peu ambiguë concernant les marges de manoeuvre du côté de la politique économique. D'un côté, sa préparation et son arrivée créent certaines contraintes sur les politiques économiques, je pense aux règles du Pacte de stabilité. Règles indispensables sur le moyen-long terme mais vécues à court terme comme des contraintes par les Gouvernements.

Nous avons de nouveau le problème : nous pourrions essayer de desserrer un peu la contrainte à court terme et la reporter sur le long terme. C'est tout le débat sur la soutenabilité des déficits et de la dette publique.

D'un côté, l'euro donne l'impression de créer des contraintes. Mais, de l'autre, il crée des marges de manoeuvre. Même si le débat aujourd'hui est très vif - surtout depuis un mois entre la Banque Centrale Européenne et les Gouvernements à propos de la politique de change -, mon sentiment est que bon nombre d'arguments permettent de penser que, même si les Européens vont sans doute continuer à accorder plus d'importance au taux de change de l'euro que la réserve fédérale américaine en a accordée - c'est-à-dire pas beaucoup ou pas du tout - depuis des années, le mariage par l'euro fait que le statut du taux de change dans la conduite des politiques économiques est modifié par rapport à ce qu'il était quand chacun de nos pays avait à gérer de manière extrêmement sévère cette contrainte de change.

Vous voyez que la réponse est plus compliquée qu'elle n'en a l'air. J'ajoute que l'euro modifie le sentier de croissance dans nos zones et va le modifier à travers l'accélération des restructurations. Ce sujet me paraît à la fois très important et très difficile à modéliser.

Nous savons que l'accélération des restructurations dans tous les secteurs, et pas seulement dans la banque ou la finance, antérieure à l'euro, est due au phénomène de globalisation et déréglementation. Mais nous savons aussi que l'arrivée de l'euro a ajouté " une couche de peinture " par rapport à ce phénomène, que son anticipation et, maintenant, son existence font que cela a très certainement accéléré les restructurations dans tous les secteurs.

Il est très difficile de modéliser cela. Il faudrait voir dans quelle mesure l'accélération des restructurations, à travers ses effets sur l'innovation industrielle, pourrait avoir une incidence sur l'évolution de la productivité.

La concentration est-elle favorable à l'innovation ? Nous retrouvons le débat de Schumpeter au début du siècle, qui disait que les grandes entreprises innovaient le plus. Mais ce débat reste encore ouvert un siècle après, la liaison entre la taille des entreprises et le rythme des innovations étant assez complexe.

Dès que nous partons sur les pistes de ce que j'appelle les effets micro-économiques de l'euro et pas uniquement son impact macroéconomique, nous débouchons sur des questions peu traitées : les canaux de transmission vers les phénomènes de restructuration, l'impact sur les innovations et donc l'évolution des productivités. Productivité du capital, du travail, nous allons retrouver le début de nos discussions avec les deux exposés précédents.

Ayant dit cela, je voudrais expliquer ce que nous avons cherché à faire à propos du débat sur les marges de manoeuvre dans la zone euro. Pour ce faire, nous sommes revenus vers les modèles (il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. ..). Même s'il ne faut pas aujourd'hui chercher à faire des prévisions précises à cinq ou dix ans, ces modèles sont utiles pour cadrer le raisonnement et permettre des exercices de variantes.

Nous proposons dans notre présentation - et nous retrouvons vraiment le débat sur les marges de manoeuvre - plusieurs variantes que je vais citer dans l'ordre de présentation : une variante de politique monétaire et une de taux de change.

Ensuite, hors variantes, je dirai quelques mots sur le problème du policy mix (combinaison politique monétaire-politique budgétaire dans la zone euro), en terminant par notre dernière variante qui porte sur un aspect des politiques structurelles : en effet, la recherche des marges de manoeuvre n'est pas à trouver uniquement du côté de la monnaie ou du budget pour la plupart des pays européens et en particulier le nôtre, il faut les chercher aussi dans les réformes structurelles.

Quelles sont les marges de manoeuvre associées à la politique monétaire ? Nous avons fait un exercice montrant les conséquences pour les pays de la zone euro, y compris la France, d'une baisse des taux d'intérêt. Exercice fait à partir d'un scénario central : combien gagnons-nous, en variante, de PIB ? De combien pouvons-nous réduire le chômage en faisant baisser le taux d'intérêt directeur de la Banque Centrale Européenne de 1 point ?

Voilà le genre d'exercice assez classique que nous présentons à partir du modèle utilisé dans tous ces exercices, le modèle OEF (Oxford Economic Forecasting) qui, à nos yeux, a l'avantage d'être un modèle multinational. Il est clair qu'il nous faut aujourd'hui travailler avec des modèles multinationaux, si possible sectoriels, mais il est parfois difficile de combiner l'aspect international et l'aspect sectoriel.

Ce qui apparaît déjà, c'est quelque chose que nous savons, mais qui rejoint un débat qui me paraît avoir rebondi de manière paradoxale depuis le 1 er janvier. Nous avons beaucoup parlé des problèmes de convergence avant l'arrivée de l'euro et nous n'en avons jamais autant parlé depuis l'existence de l'euro.

Si nous prenons l'euro 11 tel qu'il existe, du point de vue des rythmes de croissance et parfois du point de vue du calendrier des points de retournement, de l'appartenance ou pas aux mêmes cycles ou à des cycles différents, nous nous rendons compte que le débat, que nous considérions comme un débat théorique pour économistes en chambre sur la gestion des " chocs asymétriques ", se pose déjà à nous.

Regardez la façon dont certains pays membres de la zone euro ont mal réagi face à la baisse des taux d'intérêt de la Banque Centrale Européenne le 8 avril dernier. L'Irlande, qui est en surchauffe, a dit : "  Cela ne nous va pas du tout ! "  L'Espagne, dont la croissance est encore supérieure à 3 %, essentiellement une croissance de rattrapage, a également contesté cette décision de la Banque Centrale Européenne.

Je pense personnellement que la Banque Centrale Européenne a eu raison de faire ce qu'elle a fait le 8 avril. Les situations asymétriques, spécifiques, comme celles que connaissent certains pays, en écart par rapport à la moyenne, doivent être clairement gérées par les politiques économiques non monétaires, par les politiques budgétaires, salariales, structurelles.

La Banque Centrale Européenne ne peut pas prendre en considération toute la dispersion des situations nationales. Elle est obligée de travailler pour la moyenne, surtout si dans celle-ci figurent les grands pays. Ce ne sera peut-être pas toujours ainsi, mais aujourd'hui c'est à peu près le cas, même si dans les grands pays, l'Allemagne et l'Italie sont un peu à la traîne par rapport à la France au niveau de la croissance.

C'est le débat sur lequel nous reviendrons grâce à Philippe MOUTOT et à d'autres, le débat sur les marges de manoeuvre monétaires.

Le deuxième exercice " variantiel " que nous avons fait, c'est un choc de taux de change. Nous l'avons pris sous l'angle négatif, nous aurions pu le prendre sous l'angle positif. Que se passe-t-il si l'euro s'apprécie de 10 % par rapport au dollar ?

Ce n'est pas ce qui se passe depuis janvier, c'est l'inverse. Mais justement, c'est parce qu'il a baissé depuis janvier que nous sommes aujourd'hui dans un scénario où il risque de remonter au deuxième semestre 1999 pour de nombreuses raisons. Essayer de voir quelles sont les conséquences d'une remontée de l'euro sur les variables macroéconomiques dans l'ensemble de la zone et dans les pays est donc également intéressant.

Quand nous faisons ce genre d'exercice, nous rencontrons très vite les questions d'hétérogénéité dans la zone. Le fait que les spécialisations internationales des onze pays membres ne soient pas les mêmes fait qu'à partir du même choc sur la parité euro-dollar, les conséquences sont différentes, même en ne prenant que la seule zone euro.

Le troisième axe à propos du débat sur les marges de manoeuvre porte sur le policy mix (combinaison de la politique monétaire et de la politique budgétaire). Nous n'avons pas utilisé le modèle OEF pour raisonner là-dessus, c'est plutôt un raisonnement hors modèle.

Je voudrais livrer la réflexion suivante développée dans le papier : la question du policy mix dans la zone euro sera importante. Elle va conditionner l'évolution des taux d'intérêt dans la zone, en particulier les taux d'intérêt à long terme, importants à côté des taux à court terme. La nature du policy mix va également conditionner la crédibilité de l'euro à l'intérieur et vis-à-vis de l'extérieur.

Comme vous le savez, le débat est rendu spécialement délicat du fait que nous avons à coordonner une politique monétaire unique et onze - quinze demain et peut-être vingt après-demain - politiques budgétaires et fiscales.

Derrière tout cela, il y a à la fois un débat économique et institutionnel qui, à mon avis, est ouvert pour les mois qui viennent sur les rôles respectifs du Conseil de l'euro, du Conseil ECOFIN, l'articulation entre ces deux étages de la fusée : qui décide de quoi et jusqu'où va-t-on en matière de surveillance multilatérale des politiques budgétaires dans la zone euro, donc de coordination de nos politiques budgétaires.

Avec, en toile de fond, parce que nous ne pouvons pas trop séparer le budget et la fiscalité, la discussion ouverte sur l'harmonisation fiscale.

Nous ne savons toujours pas, aujourd'hui, si l'on va s'harmoniser par un processus politique (propositions MONTI) ou si, à défaut d'accord politique, l'harmonisation fiscale va se faire par ce qui s'est déjà amorcé : une concurrence fiscale avec ajustement sur le " moins disant ".

Nous sommes là au coeur de l'articulation entre fonctionnel et institutionnel. Pour terminer sur le policy mix , je voudrais dire que j'ai eu le sentiment qu'à un moment donné, nous étions à ce propos dans des situations un peu conflictuelles entre la Banque Centrale Européenne qui existe officiellement depuis le 1er juillet 1998, avant même l'arrivée de l'euro, et les Gouvernements. Il y a eu des hauts et des bas par rapport à ce conflit et mon sentiment aujourd'hui, au mois de juin 1999, est que nous sommes encore dans une situation délicate. Il y a en quelque sorte un dialogue difficile entre l'autorité monétaire européenne et les autorités budgétaires nationales.

Depuis la baisse des taux d'intérêt du 8 avril, il me semble que la balle est clairement dans le camp des Gouvernements. C'est plutôt à ces derniers de montrer leur capacité à réduire les déficits publics. Ce qui s'est passé en Italie est assez inquiétant. C'est aussi aux Gouvernements de montrer leur capacité à engager des réformes structurelles. Il ne s'agit pas uniquement d'un problème franco-français, c'est aussi la question de l'Allemagne, parfois confrontée à des problèmes plus délicats que les nôtres.

Je termine par le dernier exercice de variante que nous avons proposé dans notre contribution. Cette variante porte sur un aspect important des réformes structurelles : la baisse des charges sociales patronales. Pour la zone euro et les principaux pays, nous avons cherché à avoir les conséquences d'une baisse coordonnée des charges sociales patronales dans trois grands pays de la zone euro : France, Allemagne, Italie.

Il est clair que cela a des effets importants et favorables sur la croissance et sur l'emploi. D'autant plus que dans nos schémas, nous avons fait l'hypothèse que la baisse des charges sociales patronales n'était pas financée. Dans ce cas, il faut à peu près quatre ans pour retrouver la situation de départ des finances publiques.

Cela n'est pas réaliste : avec le Pacte de stabilité et la surveillance des marchés financiers, un pays ou une zone ne peuvent pas se permettre d'avoir un dérapage important des finances publiques et sociales pendant un temps aussi long.

Si je fais la liaison entre cette variante réalisée à l'aide d'un modèle et le débat franco-français sur la baisse des charges sociales patronales récemment proposée par le Gouvernement, je fais partie des gens considérant qu'il faudrait financer ex ante cette baisse des charges sociales patronales par une baisse des dépenses publiques.

Si nous finançons la baisse des charges patronales en augmentant d'autres impôts, l'effet sur le PIB et sur l'emploi est limité. Je n'engage que moi en disant que je suis persuadé qu'il aurait été sympathique et sans doute positif que le Gouvernement annonce, par exemple, que 50 % de la réduction des charges sociales patronales allait être financée par une baisse des dépenses. Pas nécessairement des dépenses sociales. Nous sommes sous Maastricht et je ne fais plus de différence entre les dépenses sociales et budgétaires. En termes d'impact sur la croissance et sur l'emploi, un message de ce style eût sans doute été plus efficace.

M. Serge LEPELTIER, Président - Merci beaucoup, vous nous avez ouvert des perspectives de réflexion.

A deux ou trois reprises, vous avez été à la limite du jargon de l'expert. Je préfère l'expression de « combinaison monnaie-budget » à celle de policy mix ».

Sur tous ces sujets et notamment sur le coût de la désinflation, vos conclusions se rapprochaient de cette formule triviale que j'emploie parfois dans des réunions locales : un peu d'inflation met de l'huile dans les rouages, ce qui ne fait pas de mal ; mais quand il y a en trop, cela noie le moteur.

Nous le constatons, c'est presque du bon sens. Les ajustements dont vous parliez, pouvant avoir des conséquences très graves en matière économique lorsque l'on est à 15 % d'inflation, peuvent être nécessaires à un moment donné, et un peu d'inflation permet de les réaliser. C'est ce que nous pouvons constater les uns et les autres sans forcement recourir aux modèles. Il est important que cela soit confirmé par vos recherches.

Questions et observations des Sénateurs

M. Xavier de VILLEPIN.- Je souhaiterais poser trois questions :

1. Le lien entre l'accélération des restructurations et de l'euro, est-il tout à fait certain ?

Je pense à la Grande-Bretagne qui n'est pas dans l'euro mais a restructuré et restructure en permanence, et au Japon, qui a beaucoup restructuré tout en ayant gardé la même monnaie.

2. Il a été dit que la France avait un potentiel de croissance supérieur aux autres pays européens. Je pense à nos voisins allemands et italiens. Qu'est ce qui explique cela puisque nous souffrons à peu près des mêmes maux ?

3. La réserve fédérale américaine a-t-elle des raisons de baisser les taux aux Etats-Unis actuellement ? Ce qui serait un événement lourd de conséquences pour le futur de l'économie, y compris européenne.

M. Christian de BOISSIEU.- Sur l'accélération des restructurations à cause de l'euro : il est clair que tous les secteurs (banque, automobile, pharmacie, etc.) sont en train de se concentrer peu ou prou. Vous avez raison de rappeler que ces restructurations sont antérieures à l'euro et tiennent à des phénomènes de globalisation, de déréglementation et de surcapacités dans certains secteurs.

Les surcapacités créent des pressions à la baisse sur les prix et sur les marges bénéficiaires. Dans un contexte où vous ne pouvez pas trop compter sur la reprise de la demande pour faire disparaître les surcapacités, comment le marché fait-il disparaître celle-ci ? Par une restructuration de l'offre.

A partir du moment où l'on ne compte pas trop sur la demande, il faut jouer sur l'offre. C'est ce qui se passe, c'est le phénomène de concentration qui apparaît dans tous les secteurs.

Quand j'ai dit que l'euro accélère les restructurations, il est difficile de refaire l'histoire mais je pense par exemple qu'une opération comme celle de la B.N.P., face à la Société Générale et Paribas, aurait eu lieu, mais sans doute à un moment différent, peut-être plus tard s'il n'y avait pas eu l'arrivée de l'euro.

L'euro renforce assez sensiblement les pressions concurrentielles qui existaient avant lui et, de fait, accélère dans certains cas des phénomènes de restructuration qui, de toute façon, seraient intervenus. Cela précipite un peu le calendrier. Voila la thèse que je défendrais.

Sur la croissance comparée à l'intérieur de la zone euro et les raisons pour lesquelles l'Allemagne et l'Italie, en 1999, sont décrochées par rapport à la France : en 1999, l'Allemagne va être à 1,5% ou 1,7%, nous serons en France autour de 2,3%, l'Italie, pour les optimistes, sera à 1 % et pour les pessimistes, entre 0 % et 1 %.

Ceci s'explique tout d'abord par leur spécialisation internationale qui a plus exposé ces deux pays aux conséquences de la crise internationale, au choc asiatique, au choc russe, pour prendre ces deux exemples et ne pas revenir sur le Brésil. Ces deux événements ont plus pesé sur les exportations allemandes et italiennes que sur les exportations françaises.

L'Italie, pour être au rendez-vous de l'euro, a dû faire une politique budgétaire très sévère, finissant par peser sur la consommation. La fameuse " Prodette ", mesure fiscale équivalente en Italie à la " Juppette ", a dopé la consommation pendant un certain temps. Mais une fois supprimée, des effets de compensation à travers le temps font que la consommation retombe. Surtout lorsqu'il a fallu lever des taxes pour être au rendez-vous de l'euro.

D'autres facteurs ont joué, sur lesquels je n'insiste pas. Nous arrivons a posteriori à comprendre cet écart qui pourrait peut-être se réduire l'année prochaine.

Prenez l'exemple de la Corée du Sud : le fait qu'elle reparte cette année à 5 % de croissance, donc plus vite que la plupart des économistes ne le prévoyaient, aura peut-être un effet plus favorable pour l'Allemagne que pour nous, même si le raisonnement ne peut être complètement symétrique.

Sur le dernier point : le hasard du débat que nous avons aujourd'hui fait que je viens de passer quelques jours à Washington, à la réserve fédérale américaine, où j'ai travaillé sur la politique monétaire américaine et la question de savoir ce qu'il peut se passer les 29 et 30 juin où aura lieu une réunion du comité de politique monétaire de la réserve fédérale.

Je suis revenu avec le sentiment que compte tenu des dernières nouvelles sur l'économie américaine montrant que celle-ci est encore très dynamique, il ne faut pas écarter l'hypothèse que la réserve fédérale monte ses taux les 29 et 30 juin prochains de 50 points de base et passe de 4,75 à 5,25 %.

La réserve fédérale va être tentée de le faire, mais je pense qu'elle aurait tort. Je reste persuadé que même aux Etats-Unis, il n'y a pas franchement risque d'inflation. Malgré le dernier chiffre de 0,7 %, la reprise limitée de l'inflation aux Etats-Unis est due essentiellement à la remontée des prix du pétrole et des matières premières.

Les Etats-Unis sont, comme les autres pays, dans un monde de forte concurrence et de globalisation. Les entreprises américaines ne peuvent pas faire n'importe quoi dans la fixation de leurs prix de vente. Il me semble qu'un certain nombre d'analystes et de décideurs américains ont tendance à exagérer le risque inflationniste.

Cela rejoint le débat sur le taux de chômage d'équilibre. Le taux de chômage effectif aux Etats-Unis est - dernier chiffre connu - de 4,2 %. Où se situe le taux de chômage d'équilibre américain ? Chaque fois que j'ai discuté avec des responsables ou des analystes, j'ai eu autant de réponses que de personnes.

Certains disent que le taux de chômage d'équilibre aux Etats-Unis est de 5,5 % et considèrent que s'il n'y a pas eu d'inflation malgré le taux de chômage très bas, c'est parce que des facteurs transitoires comme la baisse du prix du pétrole en 1998 font qu'il n'y a pas eu l'inflation que l'on pouvait attendre avec un taux de chômage aussi bas.

D'autres économistes ou décideurs publics, y compris au sein de la réserve fédérale, défendent la thèse que la nouvelle économie, l'informatique, les nouvelles technologies ont entraîné une baisse du taux de chômage naturel et que le taux de chômage d'équilibre américain ne serait pas à 5,5 % mais autour de 4,5 %.

Le débat est entier là-bas, donc a fortiori entier chez nous.

M. Jean CLOUET - Je voudrais parler de productivité car j'ai lu que M. GREENSPAN a dit il y a deux ou trois jours que nous ne pouvions pas toujours faire progresser la productivité. Compte tenu de ce que vous dites, cela parait relativement intéressant comme remarque et susceptible d'avoir des conséquences sur les taux d'intérêt.

Mme DEBONNEUIL a évoqué tantôt la productivité du travail et tantôt la productivité apparente, ce qui tendrait à vouloir dire qu'il y a plusieurs productivités du travail. De laquelle avez-vous voulu parler ?

Mme Michèle DEBONNEUIL.- Lorsque nous étudions la croissance de la production et que nous essayons de la décomposer en deux termes, croissance des actifs et croissance de la productivité, il s'agit de la productivité " apparente " du travail.

Nous supposons que l'on ne regarde que le facteur travail et quand nous divisons la croissance de la production par la croissance de la population employée, nous trouvons que la production a progressé plus vite que le facteur travail.

L'évolution de la productivité apparente du travail, c'est " apparemment " la différence entre la croissance de la production et celle du facteur travail. C'est un concept apparent. C'est pour cela que j'ai dit au départ que c'était une supercherie de dire que cette productivité apparente va évoluer de la même façon que par le passé.

Tout le problème est de prévoir cette productivité apparente. Lorsque nous la décomposons, pour répondre à votre deuxième question, cela peut se faire en deux termes :

- la productivité globale des facteurs : c'est-à-dire la progression de la production indépendante de la croissance des facteurs de production. Le travail et le capital n'augmentent pas. Mais parce que le progrès technique est là, la production croît indépendamment de la croissance des facteurs de production.

La productivité apparente du travail est égale à la somme de la productivité globale des facteurs et d'un terme qui dépend de l'intensité capitalistique, c'est-à-dire de la plus ou moins grande quantité de capital que vous mettez sur chaque travailleur.

Il existe deux façons de faire augmenter la productivité apparente du travail : soit en faisant croître la production sans faire croître les facteurs par la productivité globale des facteurs, soit en accumulant plus de capital sur chacun des individus.

Nous observons qu'au cours du temps, la productivité apparente du travail aux Etats-Unis progressait autrefois de 2 % par an, comme elle progresse aujourd'hui en France. Depuis 1974, la croissance de la productivité apparente du travail aux Etats-Unis a baissé. Elle n'est plus que de 1 % et, en France, nous sommes sur ce rythme de 2 %.

Le problème est de savoir si, en France, la croissance de la productivité apparente du travail va passer de 2 à 1 % ou se stabiliser sur un autre rythme.

Toute la question est là. Plus ce rythme est élevé, plus la capacité de croissance avec un nombre de personnes donné est élevée. A priori, il est très important d'avoir une croissance de la productivité apparente du travail plus forte.

Aujourd'hui, nous observons que les Etats-Unis parviennent au plein emploi avec une plus forte croissance qu'ailleurs, même si elle n'est pas formidable (2,5 %).

Ce pays parvient au plein emploi avec une faible croissance de la productivité apparente du travail. C'est ce qui pose problème. Ce n'est pas parce que les secteurs à fort progrès technique ne sont pas créateurs d'emploi mais parce qu'il y a trop peu de secteurs ayant une très forte croissance de la productivité du travail avec une très forte croissance de l'emploi, et qu'il y a trop de créations d'emploi dans des secteurs non productifs.

Pourquoi l'économie des Etats-Unis est-elle au plein emploi ? Parce qu'elle est duale. L'on a à la fois des secteurs très innovants avec de très fortes croissances de la productivité et de l'emploi et des secteurs très créateurs d'emploi, mais à faible productivité.

Aujourd'hui, la France est en train d'imiter les Etats-Unis. Il n'est pas difficile de faire croître l'emploi dans des secteurs à faible productivité. Il suffit d'abaisser le coût du travail. C'est ce que nous faisons.

Nous allons vers une économie qui aura cette dualité entre deux secteurs, dont l'un est très créateur d'emplois avec des gains de productivité importants et l'autre très créateur d'emplois mais avec un niveau de productivité très faible (et donc, avec des inégalités salariales très marquées entre les deux secteurs).

Soit l'on considère que cela ne pose pas de problème et le sujet est terminé, soit cela en pose et l'on se dit : la croissance à la française, n'est-ce pas d'essayer d'obtenir des créations d'emploi, mais avec davantage de dynamique de la productivité dans les secteurs de services à la personne ?

Ce qui me semble intéressant, c'est que nous nous sommes habitués à ce que l'on appelle services aux ménages, par opposition aux services aux collectivités locales et aux entreprises qui n'ont pas la même connotation que ces services à la personne, où l'on a l'impression qu'il s'agit d'un secteur social.

Il faudrait voir que ce qui a existé jusqu'à présent dans le secteur des services aux ménages : services sociaux pour les enfants ou les personnes âgées. Ce secteur social extrêmement important doit rester avec sa spécificité, ses aides, etc..

Mais il faut se dire que les services aux ménages, c'est tout à fait autre chose. Existe-t-il une " politique industrielle " permettant de " soulever " la productivité dans ces secteurs où elle est très faible, puisque les gens y travaillent simplement avec leurs mains ?

Selon la réponse, nous avons deux modes de développement très différents avec la possibilité d'avoir à la fois beaucoup d'emplois et une croissance de la productivité apparente du travail plus forte.

Le défi pour l'Europe est de parvenir à soulever ce secteur des services aux ménages en termes de productivité. Ce n'est pas un problème de légitimité de la politique économique parce que dans les secteurs à forte croissance de la productivité du travail, comme l'informatique, la politique industrielle aux Etats-Unis est extrêmement importante. Ce n'est donc pas une question de principe de légitimité de l'action de l'Etat. Cela signifie que les Etats ne veulent pas ou ne savent pas intervenir sur des secteurs à faible productivité. Ils y sont intervenus massivement, mais pour des causes différentes.

Le Gouvernement français intervient très massivement sur ce secteur des services aux personnes, mais sur un segment particulier, le secteur social.

N'y a-t-il pas moyen d'industrialiser un secteur de services à des personnes tout à fait capables, qui ne sont ni des enfants ni des personnes âgées, et qui veulent avoir en face d'elles un secteur organisé comme les secteurs de services aux collectivités locales ou aux entreprises ?

Cela permettrait de créer des emplois peu qualifiés, mais avec des croissances soutenues de la productivité et, donc des salaires qui pourront augmenter. Sinon, nous allons faire comme les Etats-Unis, en opérant des transferts financiers qui permettront de soutenir le revenu des personnes travaillant des secteurs mais à un coût très élevé pour la collectivité.

Saurons-nous faire mieux que les Etats-Unis et mettre en place une autre politique que ces transferts financiers ? Existe-t-il une politique industrielle intelligente de l'Etat qui ne soit pas cantonnée dans des secteurs à très forte croissance de la productivité comme cela est le cas en Europe et aux Etats-Unis pour les secteurs de l'informatique, des nouvelles technologies, etc., et qui pourrait s'exercer dans des secteurs à faible productivité mais où le potentiel de croissance de la productivité est très fort ?

M. Serge LEPELTIER, Président.- Merci beaucoup. Le mot que je cherchais tout à l'heure, c'est de rendre ces politiques solvables, que quelqu'un, derrière, ait la volonté de payer.

Mme Michèle DEBONNEUIL.- Le but est de faire en sorte que ce soit l'organisation productive qui la rende solvable. Au lieu de donner de l'argent à des gens pour acheter un produit trop cher parce que la productivité est insuffisante, il faut monter celle-ci pour que le prix baisse, que les gens puissent l'acheter et que nous puissions payer ceux qui auront produit de façon productive.

Ce que je dis n'est pas scandaleux, c'est le mode de développement classique de tous les secteurs matures comme l'automobile et autres.

Pourquoi ce secteur de services aux ménages ne relèverait-il pas de la même logique ? Parce que jusqu'à présent, étant un microsecteur, son développement s'est cantonné sur un aspect extrêmement important, son aspect social, et que l'on confond les deux. Il y a une espèce de trouble et l'action de l'Etat n'est pas claire sur ces sujets.

M. Xavier de VILLEPIN, Sénateur.- Il faudrait affiner la terminologie et déterminer les frontières.

Quand vous parlez de services aux ménages, je dis que fabriquer des voitures particulières est un service aux ménages. Dans ce domaine, vous avez eu un développement considérable de la productivité.

Où commencent et où finissent ces services aux ménages ? Je pense qu'il y a là un problème.

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