IV. LA RÉDUCTION DU PATRIMOINE NET DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES AURAIT SERVI À FINANCER DES DÉPENSES DE FONCTIONNEMENT ET DE TRANSFERT
Le poids dans le PIB des actifs financiers et non financiers détenus par les administrations publiques sont restés quasiment stables depuis 1980. La croissance rapide de la dette publique brute ne s'explique donc pas par un rôle accru des administrations publiques en tant qu'actionnaire, intermédiaire financier ou investisseur physique. Par déduction, la diminution de la valeur nette du patrimoine des administrations publiques semble avoir servi à financer des dépenses de fonctionnement et de transfert.
A. L'INTÉRÊT D'UNE ANALYSE EN TERMES DE COMPTES DE PATRIMOINE
L'attention portée à l'évolution de la
dette
brute s'explique par la grande disponibilité de ce concept, qui permet
de comparer sur une base commune le poids de l'endettement public dans les
différents pays, et d'évaluer à travers celui-ci
l'évolution de leur solvabilité.
Néanmoins, cette analyse présente certaines limites, car elle ne
permet pas de prendre en compte explicitement l'impact de la politique
budgétaire sur l'évolution des actifs physiques et financiers des
administrations. Or, ceux-ci sont eux-mêmes générateurs de
revenus budgétaires qu'il convient de prendre en compte, qu'il soient
directs (revenus de la propriété et de l'entreprise :
intérêts, dividendes versés par les entreprises publiques,
revenus de la terre et des actifs incorporels, etc ...) ou indirects, comme par
exemple l'impact des infrastructures routières et portuaires sur
l'activité économique et donc sur l'assiette des recettes
fiscales.
Ainsi, un accroissement de la dette publique ne se traduit pas
nécessairement par une dégradation de la solvabilité
à long terme des administrations. Une augmentation de la dette servant
à financer l'acquisition d'un actif (financier ou physique) de rendement
actualisé net positif ne dégrade pas la solvabilité des
APU. Le patrimoine net des administrations (actifs - passifs) devrait
même augmenter à terme.
Pour juger du caractère soutenable d'une politique budgétaire, il
apparaît nécessaire d'analyser simultanément son impact sur
le passif et sur l'actif physique ou financier des administrations.
B. LA DETTE NETTE DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES FRANÇAISES A FORTEMENT PROGRESSÉ DEPUIS 1980
La dette
publique nette, définie comme la différence entre la dette brute
et les créances des administrations publiques françaises, a
fortement progressé en parts de richesse nationale depuis 1980 du fait
de la progression du passif financier corrélative à une
légère diminution des actifs financiers.
Une légère diminution des actifs financiers en points de
PIB
Le poids des actifs financiers détenus par les administrations publiques
dans la richesse nationale a légèrement diminué de 40,4
points de PIB en 1980 à 36,7 points en 1997.
La structure de ces créances a néanmoins fortement
évolué au cours de cette période. Le poids de l'Etat a
diminué relativement aux autres administrations. Du point de vue de la
nature des créances, le poids des prêts de court à long
terme s'est renforcé au détriment des actions et des moyens de
paiements. Ces évolutions s'expliquent en grande partie par les vagues
successives de privatisations menées par l'Etat (premières
privatisations en 1986-1987, cessions minoritaires d'actifs de 1991 à
1993 puis nouvelles privatisations à partir de 1993). Au total, les
actions et autres participations de l'Etat ont fortement diminué, de
15,7 points du PIB en 1980 à 8,2 points en 1997. Par ailleurs, l'Etat,
dont les crédits à l'économie ont continué à
décroître de 8,4 à 6,9 points du PIB entre 1980 et 1997, a
été relayé en la matière par les autres secteurs de
l'administration (en particulier les ODAC et les APUL).
Encours de créances
(en points de PIB)
Source : Comptes nationaux, « base 80 »
Une
forte dégradation de l'endettement net
Si l'on rapporte ces actifs financiers au passif des administrations publiques,
le bilan apparaît fortement négatif en comptabilité
nationale : la dette nette des administrations (passifs - actifs financiers)
représente, en comptabilité nationale, 41,8% du PIB en 1997. Ce
bilan était légèrement positif en 1980 mais l'augmentation
de l'endettement brut - mise en évidence dans les chapitres
précédents - conjuguée au tassement des actifs financiers
a entraîné une forte progression de la dette nette.
Décomposition de la dette nette (en points de PIB)
Source : Comptes nationaux, « base 80 »
Des
actifs financiers qui dégradent structurellement l'endettement net
Les actifs financiers détenus par les administrations font
bénéficier celles-ci de revenus dont le rendement moyen
28(
*
)
est en moyenne inférieur
d'environ 4 points au coût moyen de la dette publique depuis 1980. Cet
écart entre rendement des actifs financiers et coût de
l'endettement brut dégrade à long terme l'endettement net.
En particulier, les créances détenues par l'Etat et les
administrations publiques locales ont en moyenne un rendement inférieur
aux créances détenues par les particuliers sur ces
administrations
29(
*
)
. En effet,
l'Etat continue à remplir un rôle (certes bien moindre
qu'auparavant) d'intermédiaire financier, en empruntant sur les
marchés pour offrir ensuite des prêts à des taux avantageux
afin de satisfaire certains objectifs (développement du logement social,
politique commerciale, ...). En outre, les bénéfices des
entreprises publiques ne sont pas systématiquement
prélevés par l'actionnaire
30(
*
)
.
Par ailleurs, une grande partie des créances des administrations locales
ont un rendement quasiment nul, que ce soit les liquidités, les avances
(arrhes et acomptes) consenties dans le cadre d'opérations
d'investissement et les créances liées aux transferts avec l'Etat
(opérations en instance).
Moyennes des écarts entre rendement apparent des actifs financiers
et coût moyen de la dette publique (1980-1997)
Source : Comptes nationaux, calculs DP
Une
situation cependant plus favorable que la plupart des autres grands pays de
l'OCDE
Une comparaison internationale, réalisée sur la base des
statistiques de dette nette collectées par l'OCDE montre que la
situation financière des administrations publiques françaises
reste relativement plus favorable que celle des autres pays européens,
et ce en dépit de la progression rapide de l'endettement survenue au
cours des années 1990.
En 1997, la France se situe parmi les pays dont la dette nette est la plus
faible (41,8 points de PIB contre 58 en moyenne dans les pays européens
et 49,5 en Allemagne), bien que loin derrière la Suède (21,6) et
le Japon (18,3). Pour ce dernier pays, les actifs financiers couvrent
près de 80 % d'un endettement public brut pourtant
élevé (87,1 points de PIB). Par rapport aux pays dont
l'endettement brut est équivalent ou supérieur (Royaume-Uni,
Allemagne, Espagne, Etats-Unis), la France est celui dont l'endettement
rapporté aux actifs est le plus faible, ce qui représente un gage
de plus grande solvabilité à long terme.
Cependant, il convient de noter que cette comparaison repose sur des bases
relativement fragiles, en raison de
l'hétérogénéité des séries de dette
nette collectées par l'OCDE : problèmes de valorisation, de
consolidation entre administrations, différences de champ d'un pays
à l'autre. La méthode d'évaluation des actifs
détenus par les administrations publiques ne fait pas encore l'objet
d'une harmonisation statistique systématique, ce qui incite à
considérer ces résultats avec précaution.
C. LA DÉGRADATION DU PATRIMOINE NET DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES DEPUIS 1980
Des
actifs non financiers quasiment stables autour de 50 points du PIB
D'après les comptes de patrimoine de l'INSEE, les actifs non financiers
représentent 4 021,7 MdsF en 1997, soit légèrement moins
de 50 points de PIB. Ces actifs regroupent les actifs corporels ou non-
reproductibles (stocks, logements, ouvrages d'infrastructure, matériels
de transport et d'équipement) reproductibles (terrains, ressources du
sous-sol), "détenus " par les administrations
31(
*
)
.
Depuis 1980, les actifs non financiers restant quasiment stables autour de
50 points du PIB, en dépit d'un léger tassement dans les
années 1986-1990.
Une valeur nette du patrimoine en forte décroissance
La valeur nette du patrimoine des administrations publiques françaises
(actifs - passifs) représentait 7,6 points du PIB à la fin de
1997. Les actifs détenus par les administrations (86,2 points du PIB)
compensent donc l'endettement brut de celles-ci vis-à-vis du reste de
l'économie (78,5).
En 1980, cette valeur nette du patrimoine représentait 53,3 points de
PIB. Cette dernière s'est considérablement contractée en
raison de l'accroissement rapide de l'endettement brut public
corrélativement à une stabilisation tant des actifs financiers
que non-financiers détenus par les administrations publiques.
Comptes de patrimoine
(en points de PIB)
Source : Comptes nationaux, « base 80 »
De
façon plus générale, il est difficile de mesurer de
façon satisfaisante l'impact précis des actifs physiques sur le
solde des administrations. En effet, si les revenus perçus sous forme de
dividendes peuvent être aisément isolés et rapportés
à la part de l'actif détenu sous formes d'actions, il est plus
malaisé d'estimer précisément l'impact des actifs non
financiers, en particulier des infrastructures publiques (routes,
aérodromes, ports, mobilier urbain, etc....) sur la croissance
économique (externalités positives) et donc sur les
rentrées fiscales à long terme. Cet impact ne peut cependant pas
être négligé.
La croissance rapide de la dette publique brute depuis 1980 ne s'explique pas
par un rôle accru des administrations publiques en tant qu'actionnaire,
intermédiaire financier ou investisseur physique. La montée de
l'endettement brut n'est pas compensée par une augmentation à due
concurrence des actifs financiers et physiques. On assiste donc une diminution
de la valeur nette du patrimoine des administrations publiques.