2. L'ESTIMATION

I. 2.1 LA FORMATION DES SALAIRES

Dans cette section, nous proposons une estimation des rigidités salariales au cours des années 90 pour un échantillon de 8 pays européens : les 5 pays retenus pour l'étude ( Allemagne , France , Italie , Royaume-Uni et Pays-Bas ) ainsi que 3 pays nordiques (Suède, Danemark et Finlande). Pour les autres pays de l'UE (Espagne, Belgique, Luxembourg, Autriche, Portugal, Grèce, Irlande) les données nécessaires ne sont pas disponibles41 ( * ). Il existe déjà des mesures de cette rigidité des salaires à l'évolution du taux de chômage (voir plus bas, Tableau 3 ). Toutefois, plusieurs sont réalisées sur une longue période sur laquelle, comme nous l'avons montré dans la première partie, les caractéristiques des marchés du travail en Europe ont été profondément modifiées. D'autres études ont été réalisées sur des périodes plus courtes (donc plus homogènes) mais nous paraissent trop anciennes.

Nous estimons tout d'abord des équations de salaires en données trimestrielles, du premier trimestre de 1991 au dernier trimestre de 1997 pour les 8 pays de l'UE  mentionnés précédemment. Pour chacun de ces pays, la masse salariale (salaire brut plus cotisations sociales employeurs) est rapportée au nombre de salariés, ce qui définit le taux de salaire. Ces données sont tirées des comptabilités nationales42 ( * ), sauf pour l' Italie où elles sont issues des comptes trimestriels de l'OCDE. Les données de PIB, d'emploi total et de prix à la consommation proviennent toutes des comptabilités nationales. Il est important de noter que nous ne disposons pas d'un taux de salaire horaire, mais d'un taux de salaire moyen. Ce dernier incorpore donc les effets des modifications de la durée du travail. Le taux de salaire utilisé dans la suite peut baisser soit parce que le salaire horaire sous-jacent a diminué, soit parce que la durée moyenne du travail à elle-même baissé. Enfin, les taux de chômage retenus sont ceux d'Eurostat43 ( * ). Un autre indicateur des tensions sur le marché du travail est le taux d'emploi (rapport entre l'emploi et la population en âge de travailler). Les données de population n'existent que sur une base annuelle et elles ne sont disponibles que jusqu'au milieu des années 90. Nous nous sommes appuyés sur les projections de population de l'ONU (en fréquence quinquennale) pour construire par interpolation des données trimestrielles de 1991 à 1997.

Il faut noter que la mesure de la rigidité salariale que nous proposons ici est une mesure au niveau macro-économique. Elle résume le plus souvent des disparités importantes à l'intérieur d'un même pays (disparités régionales, sectorielles, dualité du marché du travail selon la taille des entreprises, le niveau de qualification des salariés ou le type d'emploi).

A. 2.1.1 SALAIRE RÉEL, PRODUCTIVITÉ DU TRAVAIL ET TAUX DE CHÔMAGE : QUELLE ÉVOLUTION ?

Les graphiques du Tableau 1 représentent la part des salaires dans la valeur ajoutée et le taux de chômage pour les pays étudiés. La part des salaires dans la valeur ajoutée évolue comme l'écart entre le salaire réel et la productivité du travail. Lorsqu'elle augmente (diminue), les salaires croissent plus (moins) vite que la productivité44 ( * ). La théorie économique suggère alors que le taux de chômage augmente (diminue). L'évolution des salaires réels et de la productivité est présentée dans l'annexe III. On distingue trois groupes de pays. En Allemagne , en France et en Italie , la part des salaires dans la valeur ajoutée est sur une tendance décroissante depuis le début des années 80. Cette baisse fait suite aux mouvements de hausse consécutifs aux deux chocs pétroliers de 1973 et 1979. Dans ces trois pays, le taux de chômage apparaît suivre une tendance croissante, ponctuée par des paliers, voire de légères baisses pendant les périodes de forte activité économique.

Le deuxième groupe de pays est constitué de la Suède et la Finlande. La part des salaires dans la valeur ajoutée s'effondre brutalement au début des années 80 dans le premier et à la fin des années 70 dans le second, avant de se stabiliser sur le reste de la période. Dans ces deux pays, le taux de chômage est stable et faible jusqu'à la fin des années 80. Les graves récessions que ces pays connaissent au début des années 90 entraînent une explosion du taux de chômage, qui dans le cas de la Finlande tend à diminuer dans la seconde partie des années 90.

Enfin au Royaume-Uni , la part des salaires dans la valeur ajoutée est plus stable. La hausse du chômage au début des années 80 et sa baisse à la fin de cette décennie se sont accompagnées de mouvements inverses sur la part des salaires dans la valeur ajoutée, mais d'une ampleur modérée. Par ailleurs ce lien semble s'être détendu depuis 1993, taux de chômage et part des salaires dans la valeur ajoutée décroissant simultanément.

Un trait commun à l'ensemble des pays étudiés est la baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée au cours des années 90, sauf en Suède. Cette tendance est particulièrement marquée en Italie et au Danemark. Dans certains pays le taux de chômage augmente sur cette période ( Allemagne , France , Italie ). Au Danemark et aux Pays-Bas , le chômage progresse dans un premier temps, avant de reculer depuis 1995. En Suède, la forte progression du chômage au début des années 90 s'est accompagnée d'un léger recul de la part des salaires dans la valeur ajoutée, mais dès 1995 les salaires augmentent plus vite que la productivité alors que le taux de chômage reste à peu près stable.

Tableau 1 : Taux de chômage (trait gras) et taux de salaire réel net de la productivité du travail (trait fin).

* (23) 41 Tous ces pays sauf l'Autriche ne publient pas de données de salaires en fréquence trimestrielles. En Autriche, les données trimestrielles sur la masse salariale s'arrêtent en 1995.

* (24) 42 Nous remercions les instituts statistiques européens pour leur précieux concours et en particulier Ferry Lapré du CBS, Pays-Bas ; Jorgen Enmark du SCB, Suède ; Herr Macht du Statistiches Bundesamt, Allemagne ; et Markus Scheiblecker du WIFO, Autriche.

* (25) 43 Ces données ont l'avantage d'avoir été harmonisées.

* (26) 44 La productivité étant égale au nombre d'unités de production (ici le PIB) par travailleurs.

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