C. 2.1.3 LES RÉSULTATS DES ÉQUATIONS DE SALAIRES AVEC LE TAUX DE CHÔMAGE
L'égalité entre pays des coefficients du chômage et de la productivité à court terme, de la force de rappel, et du terme de chômage dans la relation de long terme est rejetée par les données47 ( * ). De manière à faciliter la convergence de l'estimation non linéaire, on a exclu au fur et à mesure les variables qui n'étaient pas significatives au seuil de 15%. Les résultats de nos estimations sont présentés dans le Tableau 2 .
On suppose que l'ajustement des salaires nominaux sur les prix est complet48 ( * ). Sous cette contrainte, la dynamique d'ajustement n'est pas statistiquement différente entre les pays. En revanche, l'impact à court terme d'un choc de productivité sur les salaires est différent d'un pays à l'autre (la contrainte d'égalité est rejetée). Dans trois pays ( Pays-Bas , Suède, Danemark), la force de rappel n'est pas significative. Ainsi, toutes choses égales par ailleurs, un choc de productivité n'a aucun effet à long terme sur le salaire réel, même si à court terme les effets sont significatifs (de 0,30 aux Pays-Bas et 0,74 au Royaume-Uni ). Pour les cinq autres pays, l'indexation des salaires réels sur la productivité est unitaire à long terme. Là aussi, les réponses à court terme sont différentes (0,66 en Italie , 0,61 en Allemagne , 0,42 en France et 0,64 en Finlande). Le régime de change a un impact significatif au Royaume-Uni et en Finlande, mais le signe est opposé dans ces deux pays. Au Royaume-Uni, la participation au mécanisme de change européen semble bien s'être accompagnée d'un niveau de salaire légèrement plus faible. En Finlande la volonté politique affichée depuis la début de la décennie 90 de participer à la monnaie unique dès son lancement a pu dominer l'appartenance formelle au mécanisme de change, et pourrait expliquer le signe de la variable SME.
Tableau 2 : Résultats de l'estimation des équations de salaires avec le taux de chômage et le régime de change
Estimation 91T1 à 97T4 (trimestriel) |
France |
Allemagne |
Italie |
Royaume-Uni |
Pays-Bas |
Suède |
Danemark |
Finlande |
constante |
1,81 (6,2) |
2,47 (5,1) |
1,50 (3,2) |
0,56 (2,2) |
-0,00 (0,8) |
0,00 (3,0) |
0,00 (4,2) |
1,27 (3,1) |
SME |
so |
so |
-- |
0,008 (3,3) |
so |
so |
so |
-0,012 (2,1) |
log(W it-1 ) |
-0,28 (contraint) |
-0,28 (contraint) |
-0,28 (contraint) |
-0,28 (contraint) |
-0,28 (contraint) |
-0,28 (contraint) |
-0,28 (contraint) |
-0,28 (contraint) |
log(P it ) |
0,64 (11,8) |
0,64 (11,8) |
0,64 (11,8) |
0,64 (11,8) |
0,64 (11,8) |
0,64 (11,8) |
0,64 (11,8) |
0,64 (11,8) |
log(P it-1 ) |
0,64 (12,1) |
0,64 (12,1) |
0,64 (12,1) |
0,64 (12,1) |
0,64 (12,1) |
0,64 (12,1) |
0,64 (12,1) |
0,64 (12,1) |
log(Pc it -P it ) |
0,22 (3,7) |
0,22 (3,7) |
0,22 (3,7) |
0,22 (3,7) |
0,22 (3,7) |
0,22 (3,7) |
0,22 (3,7) |
0,22 (3,7) |
log(Pc it-1 -P it-1 ) |
0,35 (6,1) |
0,35 (6,1) |
0,35 (6,1) |
0,35 (6,1) |
0,35 (6,1) |
0,35 (6,1) |
0,35 (6,1) |
0,35 (6,1) |
log(Q it /N it ) |
0,42 (6,9) |
0,61 (12,1) |
0,66 (7,5) |
0,74 (4,0) |
0,32 (2,3) |
-- |
0,12 (2,0) |
0,64 (4,5) |
Force de rappel |
0,28 (6,2) |
0,37 (5,0) |
0,22 (3,2) |
0,09 (2,2) |
-- |
-- |
-- |
0,19 (3,1) |
TCH it-1 |
-0,008 (3,8) |
-0,019 (5,5) |
-0,028 (7,1) |
-- |
-- |
-- |
-- |
-0,013 (4,2) |
R² |
0,34 |
0,48 |
0,67 |
0,37 |
0,12 |
0,00 |
0,06 |
0,18 |
DW |
1,7 |
1,7 |
1,5 |
2,2 |
1,9 |
2,2 |
2,2 |
2,5 |
Sauf indication contraire, les coefficients sont significatifs au seuil de 5%. Les T de Student sont présentés entre parenthèses.
-- variable non significative au seuil de 5%
so variable sans objet.
Le Graphique 1 illustre la réponse des salaires réels à une hausse de 1 point du taux de chômage. Ces courbes représentent l'effet du taux de chômage à court et à long terme, ainsi que de la dynamique des salaires réels. Il ressort de nos estimations que le pays où le salaire réel réagit, à long terme, le plus fortement au taux de chômage est l' Italie . Viennent ensuite l' Allemagne , la Finlande et la France . A un horizon d'un an, l' Italie et l' Allemagne présentent la même sensibilité des salaires, tout comme à quatre ans la France et la Finlande. Au Royaume-Uni , aux Pays-Bas, en Suède et au Danemark, l'impact du chômage sur les salaires réels n'est pas statistiquement significatif.
Nous avons vu dans la première partie que les résultats de nos estimations étaient susceptibles d'être biaisés dans certains pays par l'importance du secteur informel. Dans la mesure où ce biais joue dans le sens d'une sous-estimation de la flexibilité des salaires lorsque le secteur informel est important, il nous amène à penser que l'ajustement des salaires aux tensions sur le marché du travail est en réalité encore plus fort que celui que nous avons calculé en Italie. Il serait aussi plus élevé, mais dans une moindre mesure en France, en Allemagne et au Royaume-Uni.
Graphique 1 : Réponse des salaires réels à une augmentation de 1 point du taux de chômage
Nous avons également estimé nos équations de salaires sur les années 80, pour un sous-groupe de pays pour lesquels nous disposons de données ( Allemagne de l'ouest, France, Italie, Royaume-Uni , Suède et Finlande). Ceci permet de repérer les éventuelles modifications dans la formation des salaires au cours des années récentes. Une difficulté insurmontable est que depuis le troisième trimestre de 1994, le Statistiches Bundesamt ne publie plus de données sur la masse salariale et l'emploi salarié dans l'ex-Allemagne de l'ouest. Les estimations sur les années 80 sont réalisées avec l'Allemagne de l'ouest, alors que les résultats présentés précédemment pour les années 90 concernent l'Allemagne totale. Sous cette réserve, l' Italie apparaît également dans les années 80 comme le pays où les salaires réels sont les plus sensibles au taux de chômage. Mais cette sensibilité s'est renforcée dans les années 90. On observe un même mouvement entre les deux décennies pour la Finlande où les salaires réels restent néanmoins nettement plus rigides qu'en Italie. En Suède, le constat est inverse. En France également, mais la désindexation des salaires dans les années 80 biaise fortement l'estimation de la sensibilité des salaires réels au taux de chômage au cours de cette décennie. Au Royaume-Uni , les salaires réels sont restés assez rigides, et s'il y a eu une modification entre les années 80 et 90, elle semble plutôt aller dans le sens d'un léger renforcement de cette rigidité. Enfin, les salaires réels apparaissent très rigides en Allemagne de l'ouest dans les années 80 et assez flexibles dans l'Allemagne réunifiée dans les années 90.
La hiérarchie des pays au regard du critère de sensibilité des salaires aux tensions sur le marché du travail est relativement proche, dans nos estimations sur les années 90, de celles obtenues par d'autres auteurs sur des périodes différentes (plus longues et/ou plus anciennes), avec des données de fréquence différente (annuelle, semestrielle) et ayant recourt à des techniques économétriques différentes ( Tableau 3 ). Ainsi, il ne semble pas que les réformes entreprises dans certains pays au cours des 20 dernières années aient, au moins jusqu'à récemment, sensiblement bouleversé la position relative des pays étudiés.
On retrouve dans de nombreuses études une sensibilité des salaires réels italiens au taux de chômage plus marquée que dans les autres pays d'Europe. C'est le cas dans Layard, Nickell et Jackman (1991), Tyrvaïnen (1995), Mc Morrow (1996), Sinclair et Horsewood (1997) et Roeger et in't Veld (1997). De même, la faible influence du taux de chômage sur les salaires réels au Royaume-Uni est soulignée dans ces cinq études, tout comme par Bertola (1990) et Barrel, Pain et Young (1994). Ainsi, le résultat a priori peu intuitif au regard de notre première partie selon lequel l' Italie est le pays de l'échantillon où la flexibilité des salaires est la plus forte, et le Royaume-Uni celui où elle est la plus faible apparaît comme un résultat robuste sur le plan macroéconomique49 ( * ), et confirmé sur les années récentes.
Dans la majorité de ces études, la France et l' Allemagne se situent dans une position intermédiaire. Toutefois, seuls Barrel, Pain et Young (1994) obtiennent comme nous une plus grande sensibilité des salaires allemands au taux de chômage. Les salaires en France sont en revanche considérés comme plus sensibles au chômage par Layard, Nickell et Jackman (1991), Tyrvaïnen (1995), Bertola (1990) Sinclair et Horsewood (1997), et Roeger et in't Veld (1997), alors que cette sensibilité est proche dans les deux pays pour Mc Morrow (1996). La question est alors de savoir à quoi tient la hiérarchie franco-allemande obtenue dans notre étude. Une explication possible est que nous retenons ici l' Allemagne réunifiée et non l'Allemagne de l'ouest comme dans les autres études. D'ailleurs, nos estimations sur les années 80 avec l'Allemagne de l'ouest semblent confirmer une plus grande flexibilité relative des salaires réels en France sur cette période.
Tableau 3 : Les autres études empiriques sur la question
Référence |
Pays |
Période |
Méthode et type d'équation |
Layard, Nickell et Jackman (1991) |
19 pays de l'OCDE (dont 13 européens) |
(1) 1969-1985 (2) annuel |
Estimation simultanée d'équations de salaire et de prix |
Tyrvaïnen (1995) |
(1) G7 plus Autriche, Suède et Finlande |
1962-1992 semestriel |
(1) Equation de salaire par modèle VAR avec productivité, prix et wedge fiscal |
Mc Morrow (1996) |
France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie |
(1) 1960-1994 trimestriel |
Courbe de Phillips augmentée |
Bertola (1990) |
10 pays de l'OCDE (dont 8 européens) |
1963-1986 annuel |
Courbe de Phillips augmentée |
Barrel, Pain et Young (1994) |
France, Allemagne, Royaume-Uni |
1972-1991 trimestriel |
Plusieurs méthodes |
Sinclair et Horsewood (1997) |
17 pays de l'OCDE (dont 13 européens) |
1983-1995 trimestriel |
Courbe de Phillips |
Roeger et in't Veld (1997) |
16 (pays de l'OCDE dont 14 Européens50 ( * )) |
1973-1995 trimestriel |
Equation de salaire type WS |
Les Pays-Bas sont pour nous proches du cas anglais, comme pour Bertola (1990). Tyrvaïnen, Roeger et in't Veld (1997) obtiennent sur longue période un résultat très différent puisque selon eux les salaires hollandais sont plus flexibles que les salaires allemands. Presque toutes les études présentent le Danemark comme un pays où les salaires sont très rigides. Enfin, la Suède apparaît comme un pays flexible pour Bertola (1990), Layard, Nickell et Jackman (1991), Tyrvaïnen (1995) Roeger et in't Veld (1997), alors qu'au cours du dernier cycle les salaires ont peu répondu à la hausse du taux de chômage. La comparaison de nos résultats d'estimation entre les années 80 et les années 90 tend à confirmer une plus grande rigidité des salaires réels suédois dans la dernière décennie. Enfin, la Finlande est dans une position moyenne dans notre étude et dans celles de Roeger et in't Veld (1997) et de Tyrvaïnen, alors qu'elle est rigide dans Layard, Nickell et Jackman (1991).
* (29) 47 On a aussi testé la possibilité d'une équation identique en France et en Allemagne ; cette hypothèse est également rejetée par les données. Les résultats, disponibles auprès des auteurs, ne sont pas reproduits ici.
* (30) 48 Ceci signifie que le salaire nominal s'ajuste exactement asymptotiquement au prix (voir Malgrange et Loufir (1997)). Il faut pour cela que d'une part l'indexation des salaires sur les prix soit unitaire dans la relation de long terme, mais aussi que la somme des élasticités de la relation de court terme soit égale à un. D'une certaine manière, on estime ici une équation de salaire réel, tout en acceptant une forme d'ajustement dynamique des salaires nominaux aux prix à court terme.
* 49 Des travaux micro-économiques récents confirment la plus grande rigidité des salaires au Royaume-Uni (voir Burgess (1998) et Fouquin, Jean et Stulzman (1998)).
* 50 En fréquence trimestrielle, Roeger et in't Veld (1997) présentent des estimations pour tous les pays de l'UE (sauf le Luxembourg). Celles-ci ont contribué à la construction du modèle Quest de la Commission européenne dans lequel chaque pays membre est représenté individuellement. Les données des pays ne disposants pas de comptes nationaux trimestriels ont été obtenus en trimestrialisant des données annuelles. Nous avons préféré accepter un moins grand nombre de pays, et utiliser avec des données publiques non retravaillées.