4. L'allocation initiale des permis soulève toutefois des difficultés considérables
D'un
point de vue théorique, la taxation des émissions de
CO
2
et l'instauration d'un marché de permis d'émission
sont des instruments relativement proches, en ce qu'il s'agit d'instruments de
marché qui permettent tous deux de réduire les émissions
au moindre coût. La vente de permis à prix fixe est ainsi analogue
à une taxe. Marché de permis et taxation présentent
toutefois plusieurs différences :
- la taxation permet aux autorités publiques de fixer un
plafond
(le montant de la taxe), pour les
coûts
de réduction des
émissions, avec une incertitude sur l'efficacité de la taxe pour
réduire les atteintes à l'environnement. En revanche, un
système de permis négociables permet de fixer à l'avance
un plafond pour les émissions de CO
2
, mais avec une
incertitude sur les coûts de la dépollution mise en oeuvre.
Le choix de l'instrument optimal dépend donc de l'
incertitude
que les autorités publiques préfèrent supporter. Dans le
cas de l'effet de serre, les coûts du changement climatique pourraient
être quasiment proportionnels aux émissions (il est difficile de
mettre en évidence des effets de seuil), tandis que les coûts de
dépollution sont très sensibles aux objectifs (la
détermination d'objectifs trop ambitieux pourrait conduire à des
coûts économiques prohibitifs). Dans ces conditions, il est
a
priori
préférable de recourir à la taxation
plutôt qu'à des quotas et à des échanges de
permis ;
- par ailleurs, le système de marchés de permis est un instrument
moins adapté si le nombre d'intervenants est trop élevé
(en raison des
coûts de transactions),
ou si ce nombre est
réduit (en raison des risques de
collusion
). A l'échelle
nationale, il ne saurait donc être question de marchés de permis
qu'entre entreprises de taille suffisante (ce qui ne couvrirait qu'une partie
des émissions) ;
- les marchés de permis présentent toutefois l'avantage d'ajuster
les contraintes pesant sur les agents économiques au
contexte
économique
général : lorsque la conjoncture est
déprimée, les émissions ralentissent, donc le prix des
permis baisse, toutes choses égales par ailleurs, ce qui réduit
les efforts demandés aux entreprises ;
- en outre, lorsque les permis sont distribués gratuitement (comme dans
le programme " Acid Rain "), les entreprises polluantes ne subissent
pas de
choc financier
initial, ce qui rend l'instrument plus
acceptable
qu'une taxe.
L'
allocation initiale
des permis soulève toutefois des
difficultés considérables.
En théorie, si les coûts de transaction sont faibles, l'efficience
économique et environnementale ne dépend pas des modalités
d'allocation de ces permis : les réductions d'émission ont
lieu de toute façon là où leur coût est le plus
faible.
L'allocation des permis présente toutefois des effets redistributifs
très importants, dès lors que ces permis ont une
valeur
marchande
ou un coût d'opportunité.
Les modalités d'allocation initiale et de
renouvellement
des
permis d'émissions (à l'instar des permis de pêche, ils
sont temporaires), soulèvent ainsi des problèmes
d'
équité
et
de distorsions de concurrence
, aussi
bien à l'échelle nationale, qu'à l'échelle
internationale. Par exemple, selon quelles règles allouer des permis aux
nouvelles entreprises ? Une entreprise qui ferme une installation
polluante conserve-t-elle ses quotas ?
Sauf si elle s'effectue sous forme d'enchères périodiques,
l'allocation des permis donne ainsi lieu à des
marchandages
aux
enjeux financiers considérables, pour lesquels les diplomaties (à
l'échelle internationale) et les administrations (à
l'échelle nationale), sont inégalement préparées.
Les négociations internationales sur le changement climatique achoppent
ainsi entre pays en développement et pays industrialisés sur le
critère d'allocation " équitable " qui doit être
retenu (cf. chapitre III.1)
De manière générale, l'allocation des permis risque en
fait de conduire à une situation de
"
victime-payeur
" : les victimes ayant davantage
intérêt que les " pollueurs " à la maîtrise
des émissions, elles se verront contraintes de brader des quotas
à bas prix aux pollueurs afin que ceux-ci consentent à s'associer
à la réduction des émissions. La répartition des
quotas de Kyoto repose ainsi largement sur des " droits acquis ".
À l'échelle nationale, cette situation se manifesterait par
l'allocation gratuite de permis aux entreprises émettrices, au
détriment de la collectivité (qui aliénerait ce faisant
son patrimoine).