AUDITION DE MME SÉGOLÈNE ROYAL,
MINISTRE
DÉLÉGUÉE CHARGÉE DE L'ENSEIGNEMENT
SCOLAIRE
(24 MARS 1999)
Le
président lit la note sur le protocole de publicité des travaux
de la commission d'enquête et fait prêter serment à Mme
Ségolène Royal.
M. Adrien Gouteyron, président -
Vous avez la
parole pour un exposé avant que nous vous posions des questions
Mme Ségolène Royal, ministre déléguée
-
Monsieur le président, madame et messieurs les
sénateurs, je vous remercie de l'occasion que vous me donnez de dire mon
point de vue sur l'enquête que vous avez décidée de mener
qui couvre un sujet très intéressant. L'ensemble des responsables
des services, et donc des deniers publics sont amenés, à chaque
fois qu'ils ont une décision à prendre, à se poser la
question que vous avez décidé d'examiner :
« Y
a-t-il adéquation entre les moyens humains mis en oeuvre par le service
public de l'éducation nationale et les objectifs
pédagogiques ? »
.
Je me limiterai à quelques éléments d'introduction pour
laisser une place importante aux questions. La question sous-jacente est en
fait de savoir s'il y a des gaspillages dans le système scolaire.
Le nombre d'élèves entre bien dans la vision budgétaire
des choses. Dès qu'il y a arbitrage budgétaire, c'est le premier
critère qui est avancé par les services qui ont la charge de la
bonne utilisation des deniers publics. Cette baisse d'élèves
touche le premier degré. Nous reviendrons sur la façon dont nous
gérons ces moyens au niveau du premier degré lors des questions.
Le Gouvernement a fait le choix du maintien de ces moyens pour la
troisième rentrée scolaire dont j'ai la charge. Je le constate
sur le territoire. Il l'a fait en observant qu'un certain nombre de besoins
n'étaient pas encore couverts. Mais ce maintien des moyens n'exclut pas
la nécessité d'une réorganisation que nous avons
engagée avec Claude Allègre dès 1997. Tout ce que le
Sénat pourra nous dire sur ce sujet afin de nous aider à
poursuivre cette réorganisation sera bienvenu.
La préoccupation de fond dans l'organisation des moyens et
l'adéquation par rapport aux besoins scolaires non couverts
constatés sur le territoire, est de savoir comment nous articulons les
missions du système scolaire avec les programmes scolaires, les
méthodes pédagogiques et la formation des enseignants.
C'est sans doute parce qu'il est difficile aujourd'hui de définir les
objectifs et leur adéquation de ces quatre pôles sur lesquels
repose le système scolaire que le système scolaire est en
interrogation ; certains disent en crise.
Si la crise est salutaire par rapport à ces questions fondamentales qui
interrogent la société entière et si nous pouvons sortir
de ces interrogations en allant de l'avant, en mettant de la cohérence
dans la définition des missions de l'école par rapport au contenu
des programmes, à la définition des méthodes
pédagogiques et à la formation des maîtres, nous ferons
progresser le système scolaire.
Un exemple pour illustrer ce propos : aujourd'hui la mission de
l'école reste toujours de transmettre des savoirs, mais nous savons que
nous accueillons des élèves de plus en plus
hétérogènes, de plus en plus diversifiés. La
gestion de la diversité des élèves, tant au sein de la
classe que de l'établissement scolaire, est une interrogation
fondamentale dans le cadre de la bonne répartition des moyens et de la
préparation de la carte scolaire du premier degré.
Je ressens la même question fondamentale au niveau du débat sur
les collèges aujourd'hui, et en préparant les états
généraux de la lecture et des langages qui auront lieu à
Nantes au début du mois de mai. Je cite ces trois chantiers de fond car
les questions soulevées se résument aux trois questions
essentielles suivantes :
- Comment gère-t-on la diversité des élèves ?
Comment l'école de la République apporte-t-elle à chacun,
en fonction de ce qu'il est et de ce vers quoi on veut l'élever, tout en
restant fidèle à sa mission de transmettre un savoir
homogène, égal pour tous ? Quel équilibre
retrouve-t-on ?
- Comment doit évoluer le métier par rapport à ce
défi nouveau de plus en plus prégnant puisque l'école
accueille de plus en plus tous les élèves ? Elle a
réussi ce défi de la massification.
- Comment aller de l'avant sur l'interdisciplinarité ?
Une prise de conscience très forte aujourd'hui explique sans doute une
partie du malaise enseignant. Nous avons à faire l'interaction entre une
matière et des élèves. Dans le monde que nous
préparons, c'est l'interdisciplinarité qui doit aller de l'avant
pour permettre aux élèves de se situer dans le monde dans lequel
ils vivent, d'appréhender le futur, et surtout d'apprendre à
apprendre toute la vie.
Je reviens aux questions plus techniques déjà
évoquées : des évolutions démographiques
réelles qui ne sont pas contestables. D'autres que moi vous l'ont dit.
Plus de 200.000 élèves en moins depuis 1992-1993 dans le
premier degré et moins 50.000 élèves dans le second
degré. Des moyens d'enseignement qui se sont maintenus dans le premier
degré et qui continuent d'augmenter dans le second, du fait notamment de
la résorption des surnombres budgétaires et de la titularisation
des maîtres auxiliaires.
Comment profiter de la baisse démographique pour mettre en oeuvre une
politique qualitative afin de répondre aux besoins non couverts ?
Je relève plusieurs priorités qui me tiennent à coeur et
que j'essaie de mettre en application sur le territoire au fur et à
mesure des décisions prises :
- premièrement, la prise en compte de la grande difficulté
scolaire liée aux difficultés sociales avec la relance de la
politique d'éducation prioritaire et le développement
nécessaire des emplois dans les secteurs médico-sociaux ;
- deuxièmement, les progrès à poursuivre dans l'accueil
des enfants de moins de trois ans, la scolarisation en école maternelle.
Nous savons aujourd'hui que c'est l'une des conditions fondamentales de la
bonne maîtrise des langages, de la lutte devant l'échec scolaire
de la lecture qui reste l'un des problèmes majeurs du système
scolaire auquel il faut s'attaquer ;
- troisièmement, la baisse des effectifs recouvre des évolutions
démographiques contrastées. Année après
année, quand on essaie de redéployer des moyens, les choses sont
de moins en moins "élastiques". Il faut donc tenir compte du rôle
de l'école dans l'aménagement du territoire. On ne peut pas, bien
évidemment, procéder de façon brutale dans la
répartition de ces moyens.
Cela implique de nouvelles méthodes. Au-delà des chiffres, du
dispositif arithmétique, le système scolaire
accélérera sa progression s'il est conscient de la
nécessité d'évoluer au niveau des méthodes.
Je prends un exemple, déjà évoqué devant votre
commission : le problème du moratoire pour la fermeture des
écoles à classe unique. Pour cette rentrée scolaire, nous
allons fermer des classes uniques pour la première fois. Cela se fait
sans bruit. C'est un travail que j'ai préparé depuis six mois, en
partenariat, sur le territoire. Nous avons dit aux élus qu'il n'y a pas
l'éducation nationale contre les élus, il y a les
élèves.
A partir du moment où l'on sait que dans certaines classes uniques les
élèves ne bénéficient pas d'une une certaine
densité pédagogique, que les enseignants souffrent d'isolement et
qu'il vaut mieux mettre les écoles en réseau en maintenant les
moyens pédagogiques, en les mettant en commun entre plusieurs structures
scolaires, on peut restructurer le système scolaire et donner un plus
aux élèves.
On fait comprendre à l'éducation nationale, qui a longtemps
considéré qu'elle était un monde clos, qui décidait
toute seule, qu'elle a intérêt au partenariat. Ce n'est pas
toujours évident. Cela ne se fait pas toujours facilement pour les
restructurations. On lui fait comprendre également qu'elle a
intérêt à investir en temps dans ce partenariat et à
faire comprendre ses décisions. C'est ainsi que j'ai créé
les comités locaux d'éducation qui fonctionnent plus ou moins
bien, mais qui impulsent un nouvel état d'esprit. Chaque fois que je
rencontre les inspecteurs d'académies ou de circonscriptions, je leur
demande de discuter avec les partenaires de l'école. Je leur dis que
cela leur facilitera le travail et qu'ensuite ils feront ainsi comprendre leurs
difficultés de gestion.
Répondre à ces besoins nouveaux ne doit pas nous empêcher
de procéder à une réorganisation profonde. Cette
réorganisation est mise en oeuvre depuis 1997, mais on peut aller
au-delà. Elle est fondée sur l'utilisation des moyens disponibles
en fonction des priorités pédagogiques.
Je voudrais citer à ce titre la reconfiguration de la carte des ZEP qui
est un exercice difficile. Je pense l'avoir acheminée dans de bonnes
conditions. La carte des ZEP n'avait pas bougé depuis dix ans. Il a
fallu procéder avec tact, le sens du dialogue, prendre son temps. Au
total, 640 établissements scolaires sortent de ZEP et
1600 établissements entrent en zone d'éducation prioritaire.
Par conséquent, c'est une restructuration non négligeable de
cette carte.
Autre exemple de réorganisation, la gestion du remplacement dans lequel
s'est beaucoup investi Claude Allègre qui y reviendra sans doute.
Pour ma part, je citerai la carte scolaire du premier degré qui a
été faite dans un souci de rééquilibrage, de
transparence. J'en reviens au problème de méthode. J'ai mis sur
la table les critères de répartition des moyens par
académie, des critères démographiques, mais pas seulement.
Ces critères démographiques ont été assouplis par
des critères sociaux pour maintenir les encadrements là où
les élèves en ont le plus besoin, par des critères
d'aménagement du territoire. Les règles démographiques ont
été également assouplies pour que, dans le réseau
rural, on maintienne des structures scolaires viables et on encourage les
écoles à se mettre en réseau.
Au total, j'ai veillé à ce que, dans tous les départements
de France, le redéploiement des postes aboutisse à une
amélioration de l'encadrement scolaire, même si cela se fait
à la marge. Autrement dit, aucun endroit du territoire, au niveau
départemental, ne subit un recul de l'encadrement scolaire, du nombre
d'enseignants pour cent élèves. Il reste encore des
inégalités entre les départements, nous les corrigeons
progressivement. Nous ne pouvons pas le faire du jour au lendemain car cela
serait trop douloureux pour certains.
Cette restructuration s'appuie aussi sur notre volonté de prévoir
les évolutions pluriannuelles. Il est souvent difficile d'en convaincre
le budget, mais nous arrivons quand même à mettre en place une
gestion pluriannuelle en contractualisant avec les académies. Dans cet
esprit de contractualisation qui correspond à une attente du territoire,
les partenaires de l'école éprouvant le besoin de s'engager sur
deux ou trois ans je pense à l'école rurale ou aux ZEP quant
à l'évolution des moyens pour trouver une stabilisation, pour ne
pas perturber le système scolaire chaque année par des
redéploiements, les engagements de l'Etat s'accompagnent d'un
engagement, en retour, de bien viser des objectifs pédagogiques en
termes de réussite des élèves.
Je crois que l'on pourra améliorer les choses par une gestion des
ressources humaines proches du terrain. C'est bien sûr toute la logique
de la déconcentration, mais pas seulement.
Je termine en disant que l'on ne peut faire l'économie, dans une
réflexion sur une bonne gestion des moyens, d'une interrogation profonde
sur l'évolution de tous les métiers. On parle beaucoup de
l'évolution du métier d'enseignant. Quelque chose d'essentiel se
joue dans l'évolution de tous les corps intermédiaires.
L'éducation nationale a beaucoup de corps intermédiaires entre le
ministère, la hiérarchie et l'enseignant qui est dans sa classe.
Tout le monde doit redéfinir son métier et pas seulement
l'enseignant qui remet en cause son métier tous les jours en
étant confronté à ses élèves. Souvent, les
innovations pédagogiques existent dans la classe et parfois, avec un
certain décalage, au niveau des échelons intermédiaires,
des inspecteurs pédagogiques régionaux, des animateurs divers,
des responsables des réseaux que je rencontre actuellement sur la
question du langage etc.
Toutes les professions de l'éducation nationale, notamment celles qui
ont des charges d'inspection ou administratives, doivent comprendre que leur
métier doit évoluer. Par exemple, les missions d'un inspecteur
résident autant dans le fait d'inspecter et de noter que d'être un
entraîneur d'hommes et de femmes, capable d'encourager,
d'entraîner, de conseiller, d'innover, d'animer.
De même que, dans toutes les structures humaines, les métiers
évoluent dans ce sens. Nous sommes aujourd'hui autant performants parce
que nous avons une capacité à animer, à entraîner,
à cristalliser les énergies, à tirer le meilleur de
chacun. Dans l'éducation nationale également. J'observe encore
certaines pesanteurs, mais nous devons avoir la capacité dans les mois
et les années qui viennent à redéfinir le plus rapidement
possible les missions qui sont attendues de chaque catégorie de
personnels.
Pour terminer, je prends l'exemple des chefs d'établissement ; j'en
ai réuni aujourd'hui une quinzaine dans le cadre des débats sur
les collèges. Ils me disaient leur envie d'avoir du temps pour animer
l'équipe pédagogique, de ne pas être dévorés
par les charges administratives, de recevoir chaque année une lettre de
mission ministérielle leur disant ce que nous attendons d'eux et le
temps qu'ils doivent consacrer pour animer l'équipe pédagogique
des enseignants afin d'identifier le projet du collège, les actions
auprès des élèves en difficulté, la façon
dont on tire tous les élèves vers le haut et pas seulement ceux
en difficulté, l'organisation au niveau du collège, la
répartition des moyens en fonction des parcours diversifiés ou
des objectifs de chaque cycle.
Bref, chaque profession s'interroge sur ses missions. L'une de nos
responsabilités est d'aider à la redéfinition de ces
missions, car la bonne utilisation des moyens se calcule autant en termes
quantitatifs qu'en termes d'utilisation du temps de chaque fonctionnaire, de
chaque agent public qui est au service du plus beau service public du pays, il
faut bien le dire.
M. Francis Grignon, rapporteur -
Madame la ministre,
vous avez posé trois questions fondamentales : quelle école,
quel métier et comment répondre à
l'interdisciplinarité qui s'impose à nous ?
Dans vos réponses, j'ai surtout soulevé des interrogations.
J'aimerais que vous précisiez plus encore. Dès lors que le
rôle de l'école ne se limite pas aux fondamentaux ni même
à apprendre, mais qu'elle a en plus un rôle social d'encadrement,
comment faire dans le primaire et dans le secondaire pour répondre
à cela, sachant que dans le primaire, il y a déjà un
potentiel de professeurs ? Va-t-on les former pour leur apprendre à
mieux aborder les problèmes ?
Bien qu'ils soient habitués à avoir une approche plus globale,
quels sont les moyens ou les changements progressifs de culture que vous allez
mettre en oeuvre dans le primaire pour répondre à ces
exigences ?
Dans le secondaire cela me paraît beaucoup plus difficile en raison de la
spécialisation des personnes. Pour la transition entre le primaire et le
secondaire, envisagez-vous des mesures ? Il est parfois difficile, pour
des jeunes qui sortent de l'école primaire et qui ont eu un professeur
d'école, un instituteur, de passer subitement devant plusieurs
personnes.
Dans le secondaire, vous avez aussi parlé des chefs
d'établissement. J'ai discuté avec beaucoup d'entre eux. Ils se
plaignent de ne pas savoir gérer les extrêmes, tant en ce qui
concerne les professeurs que les élèves. Pensez-vous leur donner
des moyens je n'utiliserai pas le terme de
management
qui me
paraît impropre
d'agir encore mieux dans ces directions pour mieux
gérer leur établissement ? Je ne pose pas de question en
terme quantitatif. Nous avons les chiffres.
Mme Ségolène Royal, ministre délé
;guée -
Les questions que vous posez nécessiteraient un
débat et touchent à la mission fondamentale du système
scolaire.
Pour répondre à ces missions, il nous faut d'abord admettre, et
faire admettre par les enseignants, que le métier évolue et
qu'ils ont une certaine liberté de manoeuvre sur la gestion de leur
temps. Ils en ont conscience en étant confrontés chaque jour
à leurs élèves.
L'une des clefs de la réponse sur ces trois missions de l'école
réside sans doute dans plus de liberté et plus d'autonomie aux
établissements. Cela suppose que l'on en soit capable au niveau
national, parce qu'il ne faut pas non plus une
hétérogénéité totale sur le territoire.
C'est ce que nous faisons à la fois dans le cadre de l'école du
XXIe siècle et dans les divers chantiers ouverts. Par exemple, mes
instructions sur l'utilisation des évaluations annuelles des
élèves de CE² et des élèves de
6
ème
déterminent assez strictement la façon
dont les enseignants doivent s'y prendre pour utiliser ces évaluations
et surtout apporter aux élèves une aide individuelle dans le
repérage de leurs faiblesses.
C'est la première fois que l'on validait, dans le système
scolaire, des pratiques pédagogiques qui existaient déjà
depuis longtemps ; depuis toujours, les enseignants ont aidé les
élèves de façon individuelle. Mais il y avait une sorte de
mythe du groupe classe et une certaine réticence, sauf en zone
d'éducation prioritaire où nous constatons beaucoup d'innovations
pédagogiques, car on utilise tous les moyens quand on est
confronté à la grande difficulté.
L'une de mes idées, que je mets en application, notamment dans le
repérage de la difficulté des élèves, est de
généraliser dans le système scolaire ce qui a
été inventé, mis au point et réalisé dans
les endroits les plus difficiles. Là, en effet, par la force des choses,
on leur a laissé une grande liberté pédagogique. Si cela
réussit là où c'est le plus difficile et que, par
définition, on a laissé cette liberté, pourquoi ne
réussirait-elle pas ailleurs ? Des élèves sont en
difficulté même hors zone d'éducation prioritaire.
Il faut réaffirmer que le système scolaire, dès lors qu'il
a vocation ce qui est un progrès formidable pour notre pays à
accueillir tous les élèves, a aussi la légitimité
d'apporter une aide individuelle aux élèves.
Je crois que cette mutation culturelle de l'école est en marche ;
elle n'est plus contestée. Une valorisation du travail a
déjà été faite dans les écoles.
L'arrivée des aides-éducateurs, qui en est à ses
débuts au niveau de l'évaluation, est un nouvel atout
extraordinaire pour permettre, pendant que l'éducateur fait
réviser la classe, à l'enseignant de dégager du temps pour
les élèves les plus en difficulté. Je ne peux pas aborder
toutes les réponses à la question que vous avez posée. Je
m'en tiens aux points essentiels.
Quant à votre question, très importante, de l'articulation entre
le primaire et le secondaire, je l'approfondis dans le cadre du chantier de la
réflexion de la consultation sur les collèges et ce thème
revient très fréquemment.
Les pistes sur lesquelles nous travaillons consistent à faire des
échanges d'enseignants entre le CM² et la 6
e
en
repérant des réalisations de terrain qui marchent. Des
élèves bien encadrés dans le premier degré, parce
qu'ils n'ont qu'un adulte référant, se retrouvent
déstabilisés en classe de 6
e
parce qu'ils se
retrouvent avec huit adultes en face d'eux. Quelques élèves,
très bons en primaire, plongent au collège, ne serait-ce que
parce qu'ils sont insuffisamment encadrés.
Des actions seront donc mises en place sur l'articulation entre les CM² et
la 6
e
, c'est-à-dire à la fois la venue du professeur
de CM² au collège, y compris pour continuer à suivre
certains élèves, et l'intervention des professeurs du
collège en CM² pendant toute la durée de l'année
scolaire à des rythmes variables ; cela dans le cadre de la mise en
réseau des écoles. En particulier, dans les réseaux
d'éducation prioritaire (REP) que j'ai mis en place, l'une des actions
les plus fréquentes est cet échange d'enseignants entre la
6
e
et le CM². On peut donc bien le généraliser
à l'ensemble du système scolaire.
Enfin l'une des idées qui me tient à coeur, et que je pense
pouvoir réaliser, est la mise en place de tutorats. On sait que le
professeur principal a une classe en charge. Le tutorat consisterait à
avoir un adulte référant dans le collège pour les
élèves qui le souhaitent, et pas seulement pour les
élèves en difficulté. Des élèves fragiles
qui ne sont pas forcément repérés en difficulté
peuvent avoir besoin d'un adulte référant qui puisse dialoguer
avec l'élève dès qu'il y a une difficulté :
problème scolaire, personnel, de vie scolaire. chaque
élève qui le souhaite aurait ainsi dans le collège un
adulte référant, avec lequel il serait en phase.
M. le Président -
Pour que les choses soient encore plus
précises, à propos de la liaison collège-lycée vous
en avez rappelé les raisons pédagogiques, très fortes
d'ailleurs je voudrais rappeler les soucis de
M. Claude Allègre concernant le remplacement des
maîtres.
Je relie cette remarque au sujet que vous étiez en train de traiter en
me posant la question suivante : pensez-vous que le
périmètre je ne parle pas de polyvalence ni de bivalence des
champs disciplinaires qu'ont à couvrir les enseignants de collège
doit être le même que celui qu'ont à couvrir les enseignants
de lycée ?
Pensez-vous que, dans les collèges, les professeurs peuvent avoir une
"compétence" plus large que celle qu'ont les professeurs de lycée
pour tenir compte de ce que sont les élèves et pour faciliter
cette transition dont vous êtes en train de nous parler ?
Mme Ségolène Royal, ministre délé
;guée -
Ce sont des sujets un peu tabous ; vous connaissez
le poids des disciplines. Le moment est sans doute mûr pour faire
évoluer les choses et aller au-delà de
l'interdisciplinarité, pour qu'un enseignant de collège ait deux,
voire trois disciplines.
Cela dit, je crois que les choses doivent évoluer par étape. Si
dans un premier temps, nous parvenons dans tous les collèges à
faire des actions en interdisciplinarité, nous aurons déjà
franchi un pas très important. D'ailleurs, les parcours
diversifiés sont, de ce point de vue, une grande réussite.
Plusieurs enseignants se mettent ensemble au service d'un même projet
pour un groupe d'élèves. Ce travail en interdisciplinarité
est extrêmement fructueux et préfigure ce que seront
peut-être, dans plusieurs années, la formation, le profil et les
compétences des enseignants.
Autrement dit, à brusquer les choses, nous bloquerions le
dispositif ; en revanche, en utilisant la prise de conscience, aujourd'hui
réelle, qu'il faut travailler ensemble et approfondir
l'interdisciplinarité, nous pouvons déjà, au sein de la
classe et des établissements scolaires, réformer les
méthodes de travail en profondeur.
Si j'en ai la possibilité à l'issue du débat sur le
collège, je voudrais donner aux collèges une certaine
quantité d'heures utilisables en liberté par rapport à
cette préoccupation d'interdisciplinarité en organisant
différemment la journée, la semaine et l'organisation du temps
des enseignants, comme cela se fait déjà dans certains
collèges.
Par exemple, au lieu d'avoir le module traditionnel qui me semble parfois
devoir être remis en cause de l'adulte face à la classe, avec la
gestion des adolescents, de leurs pulsions, de leur activisme, de leur
parole... Ils sont très gentils, mais il faut savoir les gérer.
Quand on est parent avec un ou deux à gérer, ou quand on en a
vingt-cinq, ce n'est plus le même métier aujourd'hui.
Physiquement, les adolescents dépassent souvent l'enseignant en
taille ; ils ont une tonicité extraordinaire, souvent
interprétée comme de la violence alors que c'est leur corpulence
et leur mode d'expression qui apparaissent aux adultes qui ne font pas partie
de cette même génération comme des phénomènes
de violence. Aujourd'hui, il y a une difficulté, presque physique,
à se retrouver face à un groupe de grands adolescents.
L'idée du maître seul face à la classe doit sans doute
évoluer. Je voudrais laisser la liberté aux établissements
scolaires de regrouper des classes et d'avoir deux enseignants face à la
classe. Ils peuvent rester deux heures avec des interruptions par petit groupe.
Les aides-éducateurs peuvent faire du travail scolaire pendant que
l'enseignant continue avec un autre groupe. Il vaut mieux avoir deux adultes
référants pendant deux heures face aux groupes classes que des
adultes qui se succèdent, mais avec une liberté d'organisation
dans l'équipe pédagogique au sein de l'établissement afin
de réfléchir à ces modes d'organisation et de gestion des
élèves.
On en revient à la question essentielle : quel est le rôle
d'un chef d'établissement par rapport à cette liberté
nouvelle qui serait donnée aux collèges pour rassembler les
enseignants, discuter sur la répartition des moyens horaires, sur la
gestion des classes et sur la gestion de
l'hétérogénéité des classes ?
C'est en donnant de la liberté au niveau de l'utilisation des moyens
d'enseignement, du nombre d'heures que l'on attribue à un
collège, que l'on arrivera à gérer
l'hétérogénéité des classes sans
reconstituer des filières de relégation.
M. Francis Grignon, rapporteur -
Avez-vous
simulé les moyens supplémentaires nécessaires ?
Mme Ségolène Royal, ministre déléguée
-
Nous avons simulé des moyens supplémentaires
nécessaires en heures supplémentaires. Nous sommes dans un
contexte où nous ne créons plus d'emplois, surtout face à
l'urgence de résorber les surnombres, d'affecter les auxiliaires sur des
postes, etc. Nous avons simulé des moyens supplémentaires en
termes de volume d'heures à donner aux établissements pour
gérer cette liberté pédagogique.
Outre un travail interne dans le cadre des moyens existants, des modules
d'heures supplémentaires seraient donnés pour mettre en place le
tutorat, les parcours diversifiés, pour continuer à faire du
travail par petits groupes, etc.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur adjoint -
Face
à la diversité des élèves ou des publics pour
reprendre votre expression et face aux réalités du quotidien
marquées par la violence et les problèmes
d'insécurité, qui demandent sans doute des moyens importants ou
adaptés, mais face aussi à la baisse des effectifs qui peut
générer une économie en terme de moyens, la réponse
peut-elle être apportée par un budget constant ou, une fois
encore, aura-t-on recours à l'inflation budgétaire ? Je ne
fais pas votre procès ou celui de ce Gouvernement, je le dis avec la
même constance depuis trois ans. Peut-on aujourd'hui gérer
à budget constant ?
Concernant la scolarisation des moins de trois ans, cette mesure est sans doute
intéressante. Elle permet de compenser un certain nombre de handicaps
culturels ou sociologiques, mais cette mesure a un coût. A-t-il
été évalué au niveau de l'Etat en ce qui concerne
les personnels et au niveau des moyens matériels ou immobiliers pour les
collectivités locales ? Ne peut-on pas avoir une réponse qui
pourrait être différenciée en fonction des situations
géographiques ou sociologiques ?
Ma troisième question concerne la gestion des remplacements. Un certain
nombre de mesures, tout à fait louables au plan de l'éthique je
pense à la titularisation des maîtres auxiliaires ou à
l'extinction du corps des PEGC ne vont-elles pas entraîner une
rigidification de ces remplacements et donc un surcoût ?
Mme Ségolène Royal, ministre délé
;guée -
Sur la diversité des publics, la baisse des
effectifs et la question de savoir si l'on peut réformer à moyens
constants, il faut distinguer selon les types de personnels. On peut
réformer à moyens constants, c'est-à-dire améliorer
à moyens constants, puisqu'il y a une baisse des effectifs. Mais on ne
le peut certainement pas en réduisant les moyens des personnels
enseignants, précisément pour répondre à des
besoins nouveaux, à la plus grande diversité des
élèves dans les classes, qui nécessitent moins d'effectifs
par classe, du travail individuel, du tutorat, etc.
Je crois que le moment n'est certainement pas venu de baisser la garde sur le
plan de l'encadrement des élèves par les enseignants, à
condition que l'on ait la capacité et la force d'attribuer les moyens en
fonction des objectifs pédagogiques, d'évaluer ces moyens quant
à leur utilisation, de fixer les objectifs établissement par
établissement pour faire reculer l'échec scolaire.
En revanche, nous avons besoin de moyens supplémentaires, d'abord pour
les personnels ATOS. Il y a là une grande misère par rapport au
manque de ces personnels dans les établissements scolaires. Lorsqu'un
établissement scolaire est bien entretenu, c'est aussi un
élément de maintien de la citoyenneté, de la
civilité, de l'encadrement des élèves. Il faudra y
répondre avec l'interrogation qui consiste à savoir comment les
collectivités locales peuvent contribuer à cet effort avec des
contreparties. Mais comme elles ont la charge de l'entretien de l'immobilier,
toute une réflexion est à ouvrir sur les personnels
chargés de cet entretien.
J'ai vu des personnels ATOS qui faisaient des actions du tutorat, de
l'éducation civique. Quand des élèves dégradaient
du matériel, ils étaient encadrés par des personnels ATOS
et réparaient les dégradations qu'ils avaient causées.
J'ai visité un collège en Moselle extraordinaire ;
c'était impeccable. Lorsque vous entrez dans un collège, vous
voyez la qualité des personnels ATOS rien qu'en constatant la
façon dont il est entretenu.
En outre, certains métiers se perdent. Toute une réflexion est
à faire sur la disparition de certains métiers. Les gros
collèges qui ont leur électricien, leur menuisier, peuvent en
outre prendre des élèves en tutorat. Il y a quelque chose
d'humainement fort dans ces établissement qui ont gardé de vrais
métiers dont les personnels ont un rôle éducatif sur les
élèves. Je crois qu'il y a là un chantier de
réflexion à mener en partenariat avec les collectivités
locales.
Le second besoin criant est celui des personnels médico-sociaux. J'ai
besoin d'infirmières, d'assistantes sociales. Nous avons
créé 1.000 postes en deux ans. Cela fait plusieurs
années que l'on n'avait pas vu un tel effort, mais un médecin
pour 7.000 élèves, ce n'est rien du tout ! Il y a une
telle montée des problèmes médico-sociaux des
élèves que si l'on ne gère pas bien là aussi il y a
une réflexion à mener en partenariat, car ce n'est pas
l'école toute seule qui peut porter la gravité de ces
problèmes, si ces problèmes ne sont pas résolus, ils
pèsent sur les enseignants. Si l'on veut dégager les enseignants
de ces soucis afin qu'ils se concentrent sur la transmission du savoir, sur
l'instruction et sur l'éducation, il faut vraiment régler les
problèmes médico-sociaux.
Là, il y a sans doute des nouveaux partenariats à inventer. Je
viens de demander une inspection générale conjointe à
l'IGAEN et à l'IGAS, qui va m'être remise dans les prochains
jours, pour voir comment rationaliser les choses. Nous avons les assistantes
sociales des conseils généraux, les assistantes sociales
scolaires. Parfois les enfants passent d'un médecin scolaire à un
médecin de quartier, puis à une assistante sociale du conseil
général pour ensuite revenir vers l'assistante sociale scolaire
etc. Une harmonisation est à mettre en place.
Il y a des écarts entre les statuts. L'assistante du conseil
général est mieux payée que celle du scolaire. En
Seine-Saint-Denis, nous n'arrivons pas à combler les postes vacants
d'infirmières et d'assistantes sociales, car elles ne sont pas
suffisamment rémunérées par rapport à des
professions équivalentes ailleurs. Un vrai travail de réflexion,
d'articulation, de rationalisation est à faire. Mais il y a surtout un
besoin de ces personnels, sachant qu'ils manquent cruellement et que dans les
établissements scolaires où ils existent, l'ambiance n'est pas la
même.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur adjoint -
Vous
n'avez pas répondu à ma question concernant la scolarisation des
moins de trois ans.
Mme Ségolène Royal, ministre délé
;guée -
Le taux de scolarisation continue à progresser.
C'est un objectif auquel je suis très attachée. Dans la
préparation de la carte scolaire, j'ai veillé à tenir
compte, dans l'attribution des moyens ou dans le retrait moindre des moyens de
certains départements, du taux de scolarisation des enfants de moins de
trois ans. Il faut progresser. C'est une demande très forte des parents.
Cela peut se faire de façon intelligente ; ce n'est pas
l'école forcée à tout prix pour tous les enfants :
cela reste facultatif.
En milieu rural, je souhaite que la qualité de la scolarisation en
maternelle s'améliore. Les classes à niveaux multiples ne sont
bénéfiques ni pour les élèves de maternelle, car
c'est une vraie spécificité, ni pour les autres
élèves, car voir arriver en cours d'année des tout petits
de deux ans qui sont mélangés à des élèves
déjà en processus d'acquisition des langages, ralentit certains
élèves. C'est pourquoi j'ai donné l'autorisation, dans le
cadre de la mise en place des réseaux d'écoles rurales, de placer
des maîtres bivalents. Ils feraient le matin l'accueil en maternelle, la
demi scolarisation étant suffisante pour les petits, et
l'après-midi du soutien scolaire pour l'ensemble des
élèves sur le réseau d'écoles.
Je souhaite que le partenariat s'approfondisse avec les collectivités
locales pour faire des
« classes passerelles »,
des
choses douces entre l'accueil en crèche et l'accueil en école
maternelle qui est une vraie école. Ce n'est pas une garderie gratuite.
Je laisserai Claude Allègre répondre à la question
concernant la gestion des remplacements.
Mme Hélène Luc -
Vous avez beaucoup parlé de
la cohérence, de l'adéquation nécessaire, de la
diversité des élèves ; c'est là que
réside l'une des grandes difficultés que nous avons à
résoudre. Dans Le Monde hier, un article très intéressant
pose la question suivante :
"Va-t-on continuer d'assumer, du point de
vue pédagogique et financier, la massification pour la scolarisation des
élèves, à laquelle nous sommes arrivés où un
effort très important a été fait ou bien va-t-on
recréer des filières et faire une sélection ?"
La question se pose en effet : on a beaucoup d'élèves
très divers. Comment peut-on faire pour les mener à la
réussite ?
Quand on examine le problème de près, je suis persuadée
que les efforts doivent venir de tous les côtés, mais aussi du
côté du Gouvernement pour donner encore plus de crédits. Je
pense que cela va se faire, monsieur Allègre l'ayant
annoncé, et j'en suis satisfaite.
Vous avez dit qu'il fallait mettre à profit la baisse
démographique pour améliorer le niveau d'enseignement. Je ne
comprends pas comment on peut appliquer cela. Concernant les fermetures de
classes, dans le département du Val-de-Marne, 110 classes ferment,
55 ouvrent, soit un déficit de 45. On ferme une classe pour deux
élèves de moins dans une école où il y a des
enfants étrangers, des enfants de familles très modestes. Comment
les parents peuvent-ils comprendre que l'on utilise ainsi l'évolution
démographique ? On leur supprime une classe, ce qui fait baisser la
moyenne générale. Cela signifie aussi des classes de près
de 30 élèves ! Dans un quartier difficile, il n'est pas
possible de conduire tous les élèves au taux de réussite
qu'il faudrait pour qu'ils entrent dans de bonnes conditions au collège.
Pour les REP, ne pourrait-on pas avoir la volonté d'avoir des classes
avec une moyenne de 25 élèves et la mettre en
application ? Les professeurs des REP n'ont pas d'indemnité. Qu'au
moins, on leur donne moins d'élèves !
Je voulais parler également des comités locaux
d'éducation. Dans certains endroits, cela fonctionne, mais dans
d'autres...
M. le Président -
Revenons à notre commission
d'enquête, madame.
Mme Hélène Luc -
Tout cela est lié. Vous avez
parlé de l'interdisciplinarité dans le collège ; cela
me pose problème. Je pense que les élèves de CM² sont
contents d'aller au collège parce qu'ils ont un professeur. En revanche,
le professeur principal devrait jouer un rôle bien plus grand afin que
les parents sentent réellement qu'un professeur a leur enfant à
charge. Cela signifie qu'il devrait avoir plus de temps pour être
professeur principal. C'est l'une des solutions.
Mme Ségolène Royal, ministre
déléguée -
Sur l'idée qu'il faut utiliser
la baisse démographique pour l'amélioration qualitative, c'est le
défi qui est posé aujourd'hui au système scolaire. Nous
avons réussi cette démocratisation, cette massification. Nous
sommes vraiment à un tournant. Il ne faut pas se tromper sur les choix
faits et nous devons avoir la volonté farouche d'accueillir tous les
élèves au collège.
Il y a deux réponses à cela : premièrement, pour
lutter contre l'échec scolaire au collège, il faut commencer
dès l'école maternelle. Les élèves en
difficulté au collège pouvaient être repérés
en maternelle. C'est dans un travail en profondeur et sur la durée qu'il
faut agir. En particulier, ce seront les objectifs du travail en profondeur sur
la maîtrise de la lecture et des langages. Je pense en effet que tout
converge vers cela à un moment ou à un autre. Il faut donc bien
redéfinir le rôle de chaque niveau d'enseignement par rapport
à la réussite des élèves qui arrivent en
6
e
.
M. le Président -
Pourquoi n'a-t-on pas commencé par
là ?
Mme Ségolène Royal, ministre délé
;guée -
Le collège avait été l'objet de
multiples réformes. Aborder tout de suite la réforme du
collège sans prendre le temps d'un bilan, cela aurait été
mal perçu.
J'ai donc fait le bilan des réformes, des mesures de M. Bayrou.
Certaines sont bonnes, d'autres n'ont pas été appliquées,
d'autres sont moins bonnes. Me gardant bien de faire de l'idéologie sur
le collège, mais en repérant très concrètement
l'articulation entre les mesures, les problèmes nouveaux et ce qu'il
convient de continuer à faire, il faut mettre le collège en
perspective par rapport au premier degré, à l'école
maternelle, à l'école primaire. Il faut savoir ce qui doit
être fait avant pour que tous les élèves arrivant en
6
e
sachent lire et s'exprimer correctement. C'est l'une des
conditions fondamentales.
Que fait-on des élèves déjà au collège et en
situation de grande fragilité sur l'acquisition des savoirs ? Il
faut lutter contre la tentation de refaire des filières. Grâce
à cette marge de manoeuvre en termes de moyens, on peut demander aux
équipes pédagogiques ce plus en termes qualitatif, à
savoir individualiser l'aide aux élèves.
Une des clefs de l'évolution du métier d'enseignant est une
capacité à travailler en équipe, à sortir du
cloisonnement des disciplines et que chaque enseignant se sente responsable de
la transmission du savoir des autres enseignants, autrement dit de
l'éducation au savoir-être et au savoir-faire, sans diminuer
l'exigence de l'instruction et de la transmission du savoir.
Je suis assez optimiste. Cette mutation est en chemin ; il faut
accompagner le corps enseignant à la réussir. Accompagner le
corps enseignant, c'est aussi demander le même effort d'évolution
à tous ceux qui contribuent au système scolaire et qui ne sont
pas dans les classes.
Il faut aussi renforcer tous les dispositifs d'individualisation, de
consolidation, les parcours diversifiés, les études
dirigées. Ce sont de bonnes mesures que j'ai l'intention de renforcer.
Il convient de renforcer aussi les dispositifs qui existent, dont on ne
s'occupe jamais et qui pourtant répondent aux besoins de certains
élèves. Je pense aux SEGPA dans les collèges, qu'il faut
revaloriser et renforcer.
Enfin, il y a tout le travail sur l'orientation. On arrivera d'autant mieux
à prendre en charge la diversité des élèves que
l'on arrivera à faire des orientations positives vers les lycées
professionnels. Tout se tient, mais le collège est au coeur du
dispositif, car c'est là que la France accueille encore tous les
élèves, tout le monde est mélangé. C'est le coeur
de l'école de la République. C'est là également
qu'émergent les problèmes les plus lourds : les
problèmes de comportement que l'on ne voit pas encore dans le premier
degré. C'est là que les adolescents définissent les
adultes qu'ils seront demain.
Les valeurs, les points de repères que l'on arrive à leur donner
au cours de ces quatre années vont les marquer toute leur vie et vont
définir les comportements par la suite. Les élèves de
6
e
et de 5
e
sont encore malléables, on a encore
une capacité d'éducation, une capacité à remettre
les jeunes dans le droit chemin, à les recadrer, à dialoguer.
Pour les 4
e
et 3
e
, ce n'est pas complètement
perdu, mais c'est déjà plus dur.
Bref, nous avons un effort essentiel à faire sur la
6
e
et la 5
e
; 4
e
et 3
e
,
c'est le début de l'orientation. Il faut réussir des orientations
positives quel que soit le choix qui est fait après la
3
e
.C'est également là que se joue l'éducation
du comportement et la base des savoirs qui serviront toute la vie. C'est au
collège que cela se joue.
M. Jean-Léonce Dupont, vice-président -
Je suis un
peu déçu de votre propos. Vous aviez démarré sur
une question intéressante. Vous avez dit de façon
implicite :
« La question que l'on peut se poser sur le
thème d'étude de cette commission est : y a-t-il des
gaspillages ? »
. Je n'ai pas le sentiment que vous avez
identifié d'éventuels gaspillages ; j'ai le sentiment que
vous avez voulu légitimer le fait que, à un nombre d'effectifs
donné, il fallait absolument trouver les moyens d'occuper l'ensemble de
ces personnels sur des objectifs de qualité.
En vous posant une question par l'absurde, compte tenu d'une évolution
démographique toujours à la baisse, jusqu'où faudrait-il
aller pour que l'on puisse envisager le début d'un soupçon de
commencement d'une adaptation des effectifs enseignants à
l'évolution des effectifs des élèves du premier
degré ?
N'avez-vous pas identifié des sources de gaspillages dans le secondaire,
notamment par rapport au problème des options, les professeurs en
surnombre, le recrutement ? Vous nous dites vouloir maintenir un niveau
constant en redistribuant. Vous nous dites qu'il faut développer les
personnels médico-sociaux et les personnels ATOS. En
réalité, nous sommes à nouveau dans un système
où la réponse est toujours plus quantitativement.
Mme Ségolène Royal, ministre délé
;guée -
Monsieur le sénateur, pour répondre à
votre question, on ne peut pas disjoindre la question des moyens et celle des
objectifs. Vous me décevez aussi, car vous n'êtes que dans
l'inventaire des moyens par rapport aux effectifs.
La bonne problématique est de savoir quels sont les objectifs
pédagogiques par rapport à ces moyens, et pas seulement le nombre
d'élèves. Le nombre d'élèves compte. Aujourd'hui,
lorsque j'essaie de pousser aux restructurations de la carte scolaire et que je
dis que sept élèves par classe, ce n'est pas bon. On me
répond enfin oui. Vingt-cinq élèves par classe est un bon
groupe. En tête-à-tête les syndicats me le disent. Quand je
vois les enseignants ou les parents qui manifestent parce que l'on passe les
classes de 20 à 22 élèves, je leur dis car je suis
souvent sur le terrain que ce n'est pas raisonnable. C'est la première
fois qu'on le leur dit.
Le fait de passer de 20 à 22 élèves ne change pas la
qualité pédagogique. C'est une partie de la réponse. Le
toujours moins d'élèves par classe n'est pas un progrès
pour le système scolaire. Il faut un groupe classe
hétérogène, diversifié avec une émulation
pour que les choses avancent.
Je pense par conséquent que 25 élèves par classe,
c'est bien, c'est un bon groupe classe. Il peut y avoir plus
d'élèves et avoir une très bonne classe. Certains
enseignants peuvent "manager" des classes avec 40 élèves.
Mais le profil moyen, ordinaire, compte tenu de la montée de la
difficulté des élèves, est de 25 à
30 élèves par classe pour avoir un bon module classe.
J'insiste ensuite sur le fait que l'on ne peut pas baisser les moyens. Cela
dit, je ne suis pas dans une logique où l'on n'aurait pas le courage de
baisser. On ne répond pas à certains besoins pédagogiques.
Je n'ai pas évoqué un besoin, qui pourtant me tient
particulièrement à coeur : l'accueil des enfants
handicapés à l'école. La France est très en retard.
Si demain on me dit de redéployer un certain pourcentage des moyens
pédagogiques pour l'accueil des enfants handicapés, on pourrait
faire trois fois plus que ce qui est fait aujourd'hui. Des milliers d'enfants
sont en structure spécialisée alors qu'ils ont leur place dans le
système scolaire ordinaire. Pas un seul collège ou lycée
sur Paris n'accueille les enfants malentendants alors que certains
collèges le font. On est dans une vraie pauvreté par rapport
à l'accueil des enfants différents. C'est l'un des objectifs
pédagogiques qui, aujourd'hui, n'est pas rempli.
M. Jean-Léonce Dupont, vice-président
-
Avez-vous identifié des gaspillages ? Lorsque je vous
entends, je vois toujours des besoins, ce qui est évident. Je partage
d'ailleurs en très large partie votre analyse. Y a-t-il une mauvaise
utilisation des moyens, ici ou là ?
Mme Ségolène Royal, ministre délé
;guée -
Dès lors que l'on admet que l'on peut
répondre à des besoins nouveaux sans créer de postes
supplémentaires, mais en les utilisant mieux, on répond
déjà à votre question. Il y a sans doute des utilisation
optimales à rechercher par rapport aux moyens mis sur le territoire.
Je ne veux pas utiliser le mot "gaspillage" ; un enseignant travaille
là où il est, là où on l'affecte. En revanche, le
fait de dire qu'il y a des besoins pédagogiques nouveaux, qu'il y a
beaucoup d'échecs scolaires et qu'il faut répondre à ces
besoins nouveaux ou anciens en utilisant mieux les moyens, c'est
déjà une réponse à votre question. Oui, on peut
utiliser les moyens mieux qu'ils ne le sont aujourd'hui, non pas uniquement sur
un critère arithmétique et démographique, mais par rapport
à l'identification des besoins pédagogiques et à la
mobilisation d'une équipe qui peut se faire sur le repérage de
ces besoins pédagogiques et sur l'organisation, non seulement des moyens
mais de l'utilisation du temps de chaque enseignant. Il y a là aussi
beaucoup à faire sur l'organisation de la masse du temps de travail dans
chaque école et établissement scolaire.
M. Gérard Braun -
Je voudrais vous faire part de
l'inquiétude d'un principal de collège qui voit le corps
enseignant se diviser en deux catégories. Il y a les modernes et les
anciens. Les élèves constatent que des professeurs s'impliquent
dans les nouvelles technologies et que d'autres, parce qu'ils sont près
de la retraite ou qui n'ont pas eu l'habitude de manoeuvrer ces nouvelles
technologies, se refusent d'y entrer.
Ce principal me disait que c'était très inquiétant, qu'il
y voyait une scission, et que celle-ci était constatée par les
élèves. Il voit des élèves refuser d'aller avec
certains professeurs. Envisagez-vous d'aider ces professeurs à
acquérir par une formation nécessaire la maîtrise de ces
nouvelles technologies ?
Mme Ségolène Royal, ministre délé
;guée -
C'est une des préoccupations du ministère
d'équiper chaque enseignant avec les nouvelles technologies pour en
faire un outil de travail.
Le clivage entre les modernes et les anciens n'est pas celui-là. On peut
être passionné par une nouvelle technologie, quel que soit son
âge, ou avoir un blocage alors qu'on est très jeune. Il faut donc
aider tout le monde à comprendre qu'aujourd'hui, ce qui est au coeur du
métier, c'est la capacité de communiquer l'envie d'apprendre,
l'envie de réussir, l'identification du besoin des élèves,
l'aide individuelle, le déclic qui va aider l'élève
à surmonter un certain nombre de blocages.
C'est ce que je ressens dans la demande de formation des enseignants :
« On n'a pas appris au cours de notre formation, le CAPES ne nous
apprend pas cela, on n'a pas appris à aider un élève qui a
un blocage, qui a une difficulté. Comment repérer cette
difficulté ? Quelle est la technique de communication par rapport
à ces élèves pour continuer à leur donner envie
d'apprendre, de progresser ? »
. C'est vrai pour le
métier d'enseignant, mais aussi pour tous les métiers de la
société contemporaine.
L'un des grands chantiers qui est entre nos mains est cette capacité de
formation. On n'a pas les formateurs de formateurs. Comme le métier
évolue, les gens de terrain savent parce qu'ils ont
expérimenté, échoué et surmonté. Le travail
de formation se fait en interaction ; des gens se réunissent,
parlent entre eux, théorisent des méthodes. L'urgence est de
faire émerger des formateurs qui soient aptes à accompagner cette
mutation en profondeur du métier, formation à laquelle tous les
enseignants aspirent aujourd'hui.
M. le Président -
Une dernière question. Bien utiliser les
moyens, est-ce aussi mettre l'enseignant qui correspond le mieux aux besoins
des élèves ? Pensez-vous que les mesures de
déconcentration prises par le ministre vont le permettre et
pourquoi ?
Mme Ségolène Royal, ministre délé
;guée -
Nous avons commencé à le faire, en
particulier pour les chefs d'établissement, qui pour la première
fois cette année, notamment dans les ZEP, ont été choisis
sur profil. On a demandé aux recteurs, pour le recrutement des chefs
d'établissement dans les quartiers difficiles, de recevoir
individuellement les candidats pour une bonne adéquation entre le profil
et la mission à remplir.
En ce qui concerne l'enseignant en tant que tel, c'est plus délicat. Les
élèves sont les mêmes sur l'ensemble du territoire, sauf en
zone d'éducation prioritaire où il y a une certaine marge de
manoeuvre par rapport au choix des enseignants, même si la gestion
normale du corps fait que, bien souvent, de très jeunes enseignants se
trouvent en ZEP (zone d'éducation prioritaire) avec pas forcément
la formation pour cela.
Mais les choses évoluent, s'améliorent. Une des revendications
des chefs d'établissement est d'avoir la possibilité de choisir
les membres de leur équipe. On n'en est pas encore là dans le
système scolaire français. C'est l'une des questions qui est sur
la table ; au moins pouvoir choisir ses collaborateurs dans
l'équipe de direction pour avoir une certaine
homogénéité de l'équipe. C'est un thème
important sur lequel nous pourrions progresser.
M. le Président -
Ce que vous venez de dire est important. Cela
veut-il dire que le chef d'établissement pourrait choisir le conseiller
principal d'éducation, son principal adjoint, si on est en
collège ?
Mme Ségolène Royal, ministre délé
;guée -
Je suis favorable à ce qu'il puisse
émettre un avis.
M. le Président -
Est-ce actuellement en place ?
Mme Ségolène Royal, ministre délé
;guée -
Non, pas du tout. Or, je pense que
l'homogénéité d'une équipe de direction est
très importante.
M. le Président -
Avez-vous l'intention d'avancer dans cette
direction ?
Mme Ségolène Royal, ministre délé
;guée -
Tout à fait. C'est une des questions
abordées dans le cadre du débat sur les collèges.
M. Xavier Darcos -
C'est une excellente suggestion, mais
que fera-t-on de ceux dont personne ne veut ?
Mme Ségolène Royal, ministre délé
;guée -
On n'est pas dans le tout ou rien. Certains chefs
d'établissement ne s'intéressent pas forcément à
l'homogénéité de leurs équipes.
M. le Président -
Préconisez-vous des mesures ou
envisagez-vous des mesures pour le choix des chefs d'établissement et
pour faire en sorte qu'il y en ait davantage de meilleure qualité, qu'il
y ait plus de candidats ? Quelles sont vos intentions ?
Mme Ségolène Royal, ministre délé
;guée -
Lors de la table ronde organisée avec le recteur
Blanchet, toutes ces questions des directions d'établissements, celle-ci
en particulier, ont été évoquées. Nous avons
commencé à le faire pour le recrutement sur profil des chefs
d'établissement en ZEP, puisque les recteurs ont reçu les
candidats individuellement afin d'avoir des bons chefs d'établissement
dans les endroits les plus difficiles.