AUDITION DE M. CLAUDE ALLÈGRE,
MINISTRE DE L'ÉDUCATION
NATIONALE,
DE LA RECHERCHE ET DE LA TECHNOLOGIE
(24 MARS
1999)
Le
président lit la note sur le protocole de publicité des travaux
de la commission d'enquête.
M. Adrien Gouteyron, président -
Monsieur le ministre ! vous
n'avez pas demandé le huis clos. Je vais également vous demander
de prêter serment.
M. Claude Allègre, ministre -
Non, pas les
ministres. Il y a séparation des pouvoirs : les ministres n'ont pas
à prêter serment devant une assemblée. Je me suis
renseigné avant de venir. Je suis automatiquement soumis au devoir de
vérité, mais par mon appartenance à l'exécutif.
M. le Président -
On n'a pas toujours eu l'impression que les
ministres étaient soumis au devoir de vérité, quels qu'ils
soient.
(hilarité)
Vous ne voulez pas prêter serment. Nous
allons quand même vous entendre. Ce ne sera pas sous serment. Une seule
personne n'a pas été entendue sous serment par notre commission
d'enquête : c'est le Premier président de la Cour des comptes
qui est assermenté ; les ministres ne le sont pas, que je sache.
M. Claude Allègre, ministre -
Je ne peux pas
prêter serment devant le législatif, de la même façon
que le Président de la République ne peut pas venir dans votre
enceinte. Cela fait partie de la même règle.
M. Jean-Léonce Dupont, vice-président
- Il
faudra alors former les ministres, car d'autres ministres ont
prêté serment.
M. le Président -
Souhaitez-vous faire un discours introductif ou
passons-nous aux questions ?
M. Claude Allègre, ministre -
Vous connaissez
le sujet. Vous enquêtez, vous posez des questions.
M. le Président -
Je vais donc demander à chaque
commissaire de poser ses questions.
M. Francis Grignon, rapporteur -
Monsieur le
ministre, on a pu mesurer, au cours de cette commission d'enquête, la
différence d'approche entre les documents dont nous disposons pour
examiner le budget de l'éducation nationale et les renseignements que
nous avons pu recueillir.
A l'avenir, seriez-vous d'accord pour donner beaucoup plus de transparence et
de lisibilité aux documents budgétaires relatifs à
l'éducation nationale, notamment avec des annexes qui nous fourniraient
des renseignements précis sur l'évolution des personnels en
fonction des objectifs ?
M. Claude Allègre, ministre -
Je suis
partisan de la transparence. Tous les documents qui vous seront utiles pour
discuter le budget de l'éducation nationale vous seront
communiqués.
Vous avez pu vous rendre compte, au cours de votre commission d'enquête,
qui arrive à mi-parcours, de l'effort considérable de remise en
ordre de la gestion. Celle-ci ne pourra, en tout état de cause, produire
totalement ses effets que lorsque la déconcentration du mouvement du
second degré sera faite.
On s'en aperçoit néanmoins dès maintenant : pour la
première fois, au mois de mai, nous aurons la totalité des
affectations dans les académies à une unité près.
On sera d'ailleurs confrontés à des difficultés.
Dès aujourd'hui, je commence à regarder ce qui remonte. On va
avoir des excédents d'enseignants dans certaines disciplines et des
manques dans d'autres. Cela dit, on ne sera plus dans la situation dans
laquelle il fallait créer des maîtres auxiliaires cinq jours avant
la rentrée dans tous les coins sans savoir ce qu'il en est.
Vous me demandez plus de transparence pour préparer le budget ; par
définition, vous avez mon accord, de la même manière que
tous les fonctionnaires du ministère ont eu comme instruction de vous
montrer tous les documents. Je n'ai rien à cacher ; il n'y a rien
à cacher. Simplement, il faudrait se mettre d'accord pour dresser la
liste des documents que vous souhaitez.
M. le Président -
A la suite de la question de
M. Grignon, seriez-vous d'accord, monsieur le ministre, si c'est
techniquement possible, pour faire apparaître dans un document
budgétaire annexe le nombre de postes qui ne sont pas affectés
à un service d'enseignement : les décharges de telle ou
telle catégorie, pour raison de service, syndicales, les mises à
disposition diverses ? Seriez-vous d'accord pour le faire si cela est
techniquement possible, ce que j'ignore ?
M. Claude Allègre, ministre -
Le si est
important. Nous avons 1.200 mises à disposition pour des raisons
syndicales -selon la loi- pour un total de 1.200.000 fonctionnaires
environ. Nous avons aussi hérité de l'histoire. J'ai
plafonné à 950 les mises à disposition traditionnelles.
J'ai essayé de rogner un peu, ce qui est très difficile, car il y
a des fondations, des centres d'études, etc.
Nous nous sommes attaqués à un problème difficile. On ne
fait pas la guerre, mais on essaie d'être informé sur les mises
à disposition clandestines, plus difficiles à repérer, car
elles se font traditionnellement par des accords de gré à
gré, y compris à l'échelle d'un établissement.
Lorsque vous voyez des gens mécontents, y compris certains qui portent
des pancartes, vous pouvez parfois reconnaître un porteur de pancarte qui
a été pris "la main dans le sac". Il faut appeler les choses par
leur nom.
Mme Hélène Luc -
Comment se fait une mise à
disposition clandestine ?
M. Claude Allègre, ministre -
Voulez-vous que
je vous explique ? Cela voudrait dire que le ministre est capable de
tricher, mais aussi qu'il a compris comment on fait. Quand vous avez un volant
d'heures supplémentaires dans un établissement, et qu'une
personne vous met un peu de perturbation dans l'établissement, vous le
remplacez par des heures supplémentaires et vous le déchargez de
son travail. Personne n'y voit rien, y compris moi-même !
Mme Hélène Luc -
Que fait-il ?
M. Claude Allègre, ministre -
Je vous ai
déjà dit en commission que la déconcentration du mouvement
était la première étape. Le second mouvement de
déconcentration qui sera fondamental sera l'organisation des rectorats
en bassin d'éducation. On l'a expérimenté actuellement
dans quatre académies.
Comment cela se passe-t-il actuellement ? D'abord, les inspecteurs
d'académies ne s'occupaient pas des lycées. C'était
déjà une erreur. Aujourd'hui, ils s'occupent des lycées.
Certains inspecteurs adjoints d'académie s'organisent en
"millefeuille" : le premier s'occupe du primaire, le deuxième du
collège et le troisième du lycée, sans aucune
cohérence à l'intérieur de ce système.
Nous voulons une organisation qui se fasse en bassin, avec un inspecteur
d'académie adjoint qui coordonne tout l'enseignement du bassin pour voir
les flux et être le correspondant du sous-préfet pour avoir un
lien avec le tissu économique. Il connaîtra alors exactement les
postes à l'intérieur du bassin ; les postes ne pourront pas
disparaître mystérieusement. Actuellement, ce n'est pas possible.
Quand les chefs d'établissement nous disent qu'ils ne veulent personne
entre eux et le recteur, je leur réponds qu'ils se moquent de moi. C'est
comme le policier qui ne voudrait personne entre la police et le ministre de
l'intérieur. Quand le recteur a 500 établissements, il n'a
pas la possibilité d'avoir un vrai contrôle. 80 % des
dysfonctionnements de cette maison sont dus à la centralisation qui y
règne et qui rend le contrôle impossible. Quand cela sera
déconcentré, on y verra plus clair.
Cela étant dit, je suis le gestionnaire et non le propriétaire de
l'éducation nationale -d'un service public donc- au nom de l'Etat. Je ne
vois pas en quoi la représentation nationale n'aurait pas à voir
l'ensemble des documents sur ce système. Ma réponse à la
question est donc : la transparence, oui.
M. le Président -
Lors de notre passage hier dans votre maison,
rue de Grenelle, nous avons demandé des documents concernant les
services, le cabinet, les mises à disposition. Nous savons que ces
documents nous serons transmis et que vous y veillerez.
M. Francis Grignon, rapporteur -
Nous allons avoir
bientôt une gestion très souple des personnels, très
précise, "colorée" sur le terrain. Comment allez-vous concilier
cela avec un recrutement national ? Arriverez-vous aussi à joindre
les deux bouts et comment ?
M. Claude Allègre, ministre -
On fait d'abord
les sommes. On a introduit un élément supplémentaire cette
année. Une règle voulait que l'on soit affecté la
première année dans l'académie où l'on avait
préparé le concours. Tout cela est fini. On est affecté
là où il y a des besoins, d'autant que les gens seront suivis. La
contrepartie est que pour la première affectation, un tuteur suivra les
nouveaux enseignants pendant trois ans ; ces derniers ne seront pas
notés pendant trois ans. Ils reviendront tous les 15 jours à
l'IUFM pour une discussion avec le tuteur pour leur faire part de
difficultés éventuelles etc. Mais ils ne seront pas
affectés là où ils ont préparé leur concours.
Cela étant dit, je ferai une remarque, mais n'y voyez aucune malice. Il
faut être conscient de la signification de
« concours
national »
et ne pas faire comme certains, se gargariser avec ce
mot. Le concours national, pour être professeur d'anglais ou de
français, c'est trente ou trente-cinq jurys séparés ayant
comme point commun de siéger à Paris ou, lors du passage des
concours, à Lyon. Ce qui est commun, c'est la cantine, et encore. En
fait, je ne sais même pas si ces concours sont vraiment légaux, au
sens du Conseil d'Etat, puisqu'ils n'ont pas le même jury.
Mais vous ne pouvez pas faire autrement. Quand vous avez 10.000 ou
15.000 candidats, vous êtes bien obligés de faire des jurys.
On n'est plus dans la situation d'autrefois où cinquante personnes
étaient reçues à l'agrégation. Les
présidents des trente jurys sont là pour coordonner les choses.
Ces trente jurys pourraient siéger dans des lieux différents, ce
qui minimiserait les frais de déplacements qui représentent de
grosses sommes.
Vous savez que l'éducation nationale, pour les examens et concours,
dépense à peu près 1,5 milliard de francs en
coûts directs. C'est la cotisation que l'on paie à la tradition
républicaine française ! D'autres ne le font pas, mais nous
le faisons. Je n'ai pas l'intention de changer cela fondamentalement, mais il
faut garder cela à l'esprit.
Le fait que l'on ait une donnée complète nous permettra d'ajuster
les choses.
M. André Vallet, rapporteur adjoint
-
Monsieur le ministre, après quelques mois de travail dans
cette commission d'enquête, nous nous sommes aperçus que ce n'est
certainement pas dans l'enseignement primaire que se trouvent les plus gros
problèmes concernant la gestion du personnel, mais plutôt,
à l'évidence, dans l'enseignement secondaire.
Je ne vous poserai pas toutes les questions qui me viennent à
l'esprit ; les problèmes de monovalence, d'heures
supplémentaires, de maîtres auxiliaires, la multiplication des
options dans le second degré ont été agités au
cours de cette commission.
Mais je voudrais revenir sur le point concernant les horaires divers en
fonction de la qualification des professeurs, car cela nous a
choqués : un professeur certifié fait 18 heures, un
professeur agrégé fait 15 heures. Si on comprend qu'un
salaire n'est pas le même du fait de la différence de
diplôme, on comprend difficilement que, dans un même
établissement, devant les mêmes élèves, il y ait des
horaires différents. Une très célèbre porteuse de
pancarte -Mme Vuaillat- nous a indiqué...
M. Claude Allègre, ministre -
Elle ne porte
pas les pancartes : elle les fait porter.
M. André Vallet, rapporteur adjoint
-
...qu'elle était d'accord avec nous, mais que sa
revendication était que tous les enseignants aient les mêmes
horaires que les agrégés. Partagez-vous ce point de vue ?
Trouvez-vous une justification à une situation qui nous paraît
anormale ?
M. Claude Allègre, ministre -
Je pense
être connu pour n'être pas partisan de la civilisation de
l'ascenseur social, mais plutôt de l'escalier social. La
différence entre les deux est que pour l'ascenseur social, suivant
l'école dont vous sortez et les galons que vous avez, vous montez
directement au 24
ème
étage de la Tour
Montparnasse ou vous montez seulement au 10
ème
, et il n'y a
pas de communication entre les étages.
Je pense qu'il faut instaurer l'escalier social : on vous met sur une
marche plus haute que l'autre selon votre diplôme, mais si ensuite vous
ne marchez pas, vous restez sur la marche et celui qui était au-dessous
vous passe devant. C'est la justice sociale. Telle est ma philosophie.
Je n'en ai pas l'air, mais j'améliore les choses !
(hilarité)
Quand je dis que le professeur fera 15 heures de cours magistraux et
3 heures d'aide à l'élève, je ramène le
certifié à 15 heures de cours magistraux comme
l'agrégé. Or, les agrégés ne représentent
que 6 % des professeurs.
La différence par rapport à l'époque où
j'étais élève, c'est que les agrégés
représentaient 50 ou 60 %. Le Premier ministre disait en conseil
des ministres que lorsqu'il était élève, il y avait un
nombre d'élèves dans les lycées correspondant au nombre
d'enseignants aujourd'hui. Cela montre l'extraordinaire croissance de
l'éducation nationale ! Le nombre d'enseignants à cette
époque était d'environ 15 ou 20.000. Aujourd'hui, c'est 300.000.
A l'époque, l'enseignement supérieur comptait
3.000 enseignants dont 1.000 professeurs ; aujourd'hui, il
compte 80.000 personnes. Les agrégés ont été
en majorité happés dans l'enseignement supérieur. Le
nombre d'agrégés restant dans l'enseignement secondaire est
relativement faible. C'est pourquoi cette anomalie ne provoque pas de
tensions ; elle en provoque quelque peu localement, le nombre
d'agrégés y étant limité. Si le nombre
d'agrégés représentait la moitié de la profession,
cela provoquerait des tensions terribles. On essaie d'améliorer cette
situation avec l'aménagement du temps de travail.
Je ne veux pas supprimer l'agrégation. Il y a l'agrégation, le
CAPES. Il faut leur donner une finalité différente. Les
agrégés devraient enseigner dans les classes de terminales et
dans le premier cycle universitaire et non pas au collège. C'est ce qui
est en train de se faire petit à petit. Cela pose le problème de
l'agrégation, dite de grammaire. Les agrégés de grammaire
étaient traditionnellement dans ce que l'on appelle aujourd'hui les
collèges. Hormis ce problème, c'est en cours de
décantation. Cela dit, vous avez parfaitement raison ; si vous le
mentionnez dans votre rapport, je ne pourrai pas réfuter.
Si vous me demandez ce que le Gouvernement va faire, je vous répondrai
que l'on fait doucement. La personne qui vous disait cela, est partisane
également de remplacer les heures supplémentaires par des
emplois, moyennant quoi, si on le fait, on voit ce que cela donne. Il faut donc
prendre ses déclarations avec prudence.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur adjoint -
Monsieur
le ministre, il y a un consensus pour reconnaître que la formation est un
investissement prioritaire, le meilleur que la nation puisse faire. Cela s'est
traduit dans les faits puisque le budget, depuis des années, a
considérablement augmenté.
Face à une baisse démographique, pouvons-nous, voulons-nous
gérer à budget constant en procédant à des
redéploiements ou en allant vers une gestion plus fine des ressources
humaines, quand on sait que les surnombres sont évalués à
10.000 emplois ?
Mme Hélène Luc -
Monsieur le ministre, en-dehors de
toute polémique, ce qui m'intéresse, ce sont les enfants et leur
réussite scolaire.
Plusieurs membres -
Nous aussi !
Mme Hélène Luc -
Bien sûr ! Je vous ai
beaucoup entendu parlé de justice sociale et j'approuve ce que vous
dites. Je vous ai entendu dire également que le fait d'enseigner
était plus difficile que jamais, ce qui est vrai. Je vous ai aussi
entendu dire que les enfants d'aujourd'hui allaient exercer plusieurs
métiers dans leur vie.
Il me paraît indispensable de donner les savoirs fondamentaux au plus
grand nombre. On en a scolarisé beaucoup dans l'enseignement secondaire,
dans l'enseignement supérieur, mais huit fois moins d'enfants de famille
modestes réussissent par rapport aux enfants des autres familles.
La question principale que je vous pose est la suivante : comment peut-on
aider dès cet âge si la baisse démographique commence
à l'école maternelle et primaire, et que l'on assiste à
des fermetures de classes lorsque celles-ci perdent deux
élèves ? Les parents, les enseignants ont l'impression que
rien n'a changé et qu'on s'est servi de la même calculette.
J'aimerais comprendre.
Autant pour certaines écoles on peut garder des classes de
28 élèves, on peut le faire avec les comités locaux
d'éducation, mais pour d'autres on ne peut en avoir plus de 25, par
exemple dans les REP.
M. le Président -
Pour résumer les questions
posées, compte tenu des élèves tels qu'ils sont, des
difficultés que rencontrent les enseignants, de votre volonté
réformatrice -dont nous prenons acte puisque vous l'affirmez-
pensez-vous que vous pouvez agir à moyens constants ?
M. Claude Allègre, ministre -
J'ai compris
vos questions. J'espère que Mme Luc a posé la question
à Mme Royal qui gère la carte scolaire. Elle a dû vous
parler des fermetures.
Ma vision est simple. Je ne considère pas que la gestion de
l'éducation nationale soit optimale actuellement. Je me suis
attaqué à ce problème. Il ne faut pas oublier que les
régions et les départements mettent 150 milliards dans cette
opération. La première chose que je voudrais pouvoir dire est que
c'est bien géré. Je ne peux pas le dire actuellement, car la
gestion ultra centralisée des choses a fait qu'une partie de cette
gestion est toujours opaque. La technique consistant à demander toujours
plus, sans avoir un projet pédagogique, je ne pense pas que cela soit la
bonne technique.
Je pourrais le faire, ce serait très pratique et plus facile que ce que
je suis en train de faire. Je pourrais dire qu'il faut plus, mais j'ai
décidé de ne pas le faire et de regarder les problèmes. La
première des choses était la déconcentration. On m'avait
dit que je n'arriverais pas à la faire. On l'a faite. C'est
déjà un premier point.
Je voudrais, monsieur Gouteyron, vous reprendre sur un point ; vous
dites que je suis réformateur. Non. Ce n'est pas parce que je le dis,
mais parce que je le fais. Quand j'annonce des emplois-jeunes, je les fais et
quand j'annonce que je déconcentre, je déconcentre. Il fallait
donc faire cela. Au mois d'octobre prochain, au moment où l'on discutera
le budget, j'aurai une vue beaucoup plus claire des moyens .
Pour autant, les moyens donnés à l'éducation nationale
sont-ils suffisants ? Telle est la véritable question. On a pris
l'habitude de toujours considérer les créations de postes
d'enseignants, car les syndicats d'enseignants sont puissants et qu'ils ne
réclament que cela.
Avec ma vision du secondaire, je ne suis pas sûr qu'il y ait besoin de
créations massives de postes. En revanche, si vous me demandez s'il y
a-t-il assez d'ATOS, d'infirmières ? Je vous dis tout de
suite : non. Y a-t-il assez de MI-SE ? Non. Il n'y a pas assez
de " chair des établissements ".
Vous me verrez défendre au budget, je le fais déjà face
à mon collègue des finances, ce qui pour moi est la chair de
l'établissement.
Madame Luc, vous me parlez des difficultés des enfants. Cela me
soucie beaucoup. Les réformes consistent à changer.
J'étais très content de lire dans un journal du soir que certains
manifestants disaient qu'on voulait transformer leurs tâches, qu'on
voulait qu'ils aident les enfants. Oui, oui, je veux que l'on aide les enfants,
c'est vrai, et pas simplement que l'on enseigne, puis que l'on s'en aille.
Mais le travail n'est plus le sanctuaire où l'on écoute le
prêtre prêcher et l'on s'en va. Un établissement est un
travail d'équipe ; il y a une équipe éducative dans
laquelle tout le monde participe : les techniciens, les
infirmières, les surveillants...
Mme Hélène Luc -
Les assistantes sociales.
M. Claude Allègre, ministre -
Pour les
assistantes sociales, le problème est légèrement
différent. Je vous dirai pourquoi.
Dans les quartiers difficiles, il faudra mettre des médiateurs.
Pourquoi ? Quand un élève commence à être
très difficile ou très dissipé, on le tolère
jusqu'au conseil de discipline où on le rejette complètement.
Alors que l'on sait fort bien, par expérience, qu'il faut commencer par
une médiation. Mais les enseignants ne sont pas faits pour cela. Il faut
donc des gens qui soient là pour cela. On a besoin d'un vrai tissu. Je
ne suis pas sûr qu'on ait mis assez de moyens. Quand on fait des
comparaisons internationales, par rapport aux Etats-Unis par exemple,
même si une bonne partie de l'enseignement est privé, je
m'aperçois qu'il y a moins de monde dans les établissements. Je
m'aperçois aussi qu'on a un déficit d'ATOS, d'ouvriers de
service, de techniciens, de tuteurs.
Je ne pense pas que le budget de l'éducation nationale ait fait le
plein, mais ce n'est probablement pas sur ceux qui font le plus de bruit qu'il
y a le plus de besoins. Voilà ce que je veux dire.
Le problème des chefs d'établissement est un vrai
problème. On laisse ces chefs d'établissement isolés, avec
peu de moyens, avec une responsabilité pénale très lourde.
On dit que l'on veut qu'ils soient agrégés, certifiés,
professeurs, puis ensuite on ne leur donne aucune responsabilité
pédagogique. Si on veut qu'ils n'en aient aucune, autant nommer des
administrateurs. Si on nomme des professeurs, c'est parce qu'ils sont des
animateurs.
Au lycée de Goussainville qui a connu les difficultés que l'on
sait, une femme a été nommée proviseur. On n'entend plus
parler de rien parce qu'elle a repris formidablement l'établissement en
main. Les chefs d'établissement sont extrêmement importants, il
faut les aider ; ils ne doivent plus être trop isolés, il
faut une équipe autour d'eux.
C'est pourquoi, monsieur Carle, je vous répondrai très
franchement au moment du budget quand j'aurai tous les éléments.
On a fait un travail de fond considérable pour la
déconcentration, les changements d'académie.
Dans certaines disciplines, je vais me retrouver avec des surnombres. Que
va-t-on en faire ? Le fait de rester chez soi et d'attendre les
remplacements, c'est fini. Que va-t-on en faire ? Comment va-t-on les
gérer ?
Votre commission d'enquête vient, je ne dirai pas trop tôt, mais au
moment où l'on n'a pas encore tous les éléments. En tout
cas, mon but est que l'on ne puisse plus dire -c'est vraiment ma
volonté- que l'éducation nationale est un gouffre sans fond et
que l'on ne sait pas où va l'argent.
Je vous donnerai un état de la situation. La représentation
nationale discutera pour savoir si on met l'argent là, ou dans d'autres
endroits, en fonction des priorités.
Je ne crois pas que le budget de l'éducation nationale ait fait le
plein, mais je le répète : gérons mieux cette
situation. Sans parler du problème des inspecteurs qui passent les deux
tiers de leur temps à faire de l'administration au lieu d'inspecter,
alors qu'ils ne sont pas faits pour cela etc. Beaucoup de choses sont à
discuter.
M. Francis Grignon, rapporteur -
Vous avez
parlé des emplois-jeunes dont vous avez assumé la
responsabilité, 60.000 environ, qui s'ajoutent à 45.000 CES.
Cela fait plus de 100.000 personnes à statut précaire.
Comment les intégrer à l'avenir ?
M. Claude Allègre, ministre -
Sur les
emplois-jeunes, comme je considère que nous ne sommes pas actuellement
dans une situation qui nous permet de garantir l'emploi des emplois-jeunes dans
le futur, j'ai décidé de ne pas demander d'emplois-jeunes
supplémentaires l'an prochain. Nous faisons une table ronde sur les
emplois-jeunes dans quinze jours. Nous sommes en train de prendre à
bras-le-corps le problème du débouché des emplois-jeunes.
Nous avons actuellement 55.000 effectifs, 60.000 emplois-jeunes,
75.000 en poste. En régime permanent, environ 16.000 sortent par
an. Ils ont passé les concours de la fonction publique, enseignants ou
non-enseignants. La fonction publique ne pourra en absorber plus de 4.000. Par
conséquent, il faut trouver des débouchés hors de la
fonction publique pour 12.000 d'entre eux.
Ces débouchés existent hors du champ offert par la formation
éducation nationale. Or; actuellement, ils sont beaucoup mieux
formés : 60 % suivent une formation, soit en enseignement
à distance, soit dans les IUFM, soit en faculté. Tout cela est
dans le péri-enseignement. Si l'on veut qu'ils sortent de là, il
faut qu'ils aient des formations professionnelles dans les organismes de
formation professionnelle.
On a des offres. Pour vous donner un exemple, l'UIMM est prête à
en prendre 30.000, en payant leur formation. Mais cela demande une discussion.
Il y a d'autres secteurs. Hier, j'ai signé un accord de
coopération avec le groupe Accor. Je ne veux pas me fabriquer une
chaudière qui explose ; on a donc décidé
d'arrêter cette année pour remettre les choses bien à plat,
et on repartira si on trouve cette solution.
Ensuite, on s'est attaqué au problème des CES pour lesquels on
essaie de trouver avec Mme Aubry certaines solutions. On les a fait
diminuer énormément alors qu'ils étaient 70.000 quand je
suis arrivé ! On en est à 45.000.
Je veux faire disparaître l'emploi précaire.
Sur les maîtres auxiliaires que j'ai repris, parce que je tiens à
ce qu'ils soient intégrés normalement après des concours,
etc., il faut bien reconnaître qu'un certain nombre ont beaucoup de mal
à passer les concours. On envisage la possibilité de les
reprendre en IUFM, de leur donner un an de formation, et de voir ce que l'on
peut faire pour eux. Je ne masque pas les difficultés
considérables à résoudre, mais je ne peux pas non plus
décider par un simple claquement des doigts. Ce n'est pas facile.
Pour les maîtres auxiliaires, si on n'avait pas fait la
déconcentration, on continuait. Quand vous avez cinq jours pour
résoudre les problèmes de rentrée, vous embauchez les
maîtres auxiliaires. L'an passé, j'ai cédé, car on
ne pouvait pas satisfaire les rentrées ici ou là.
On s'attaque donc aussi aux emplois précaires. Je suis
raisonnable : j'aurais pu avoir 20.000 emplois-jeunes de plus cette
année, j'ai dit non.
M. Serge Lagauche -
Monsieur le ministre, mes collègues de
la majorité ont posé une question à M. Sautter sur
les heures supplémentaires. Monsieur Sautter nous a dit qu'il
s'était concerté avec vous pour voir comment régler ce
problème, sachant que, à juste titre, les recettes
escomptées de la réduction de la rémunération des
heures supplémentaires ayant été apparemment
engagées, cela va entraîner forcément une dépense
supplémentaire. Mes collègues étaient perplexes et
voulaient savoir comment vous alliez vous y prendre, compte tenu de l'effet
d'annonce que vous aviez fait, en disant que c'était un problème
économique. Comme ils ne posent pas la question, je vous la pose.
M. Claude Allègre, ministre -
Je vais vous
décevoir. Je ne vais pas vous donner la primeur de la solution que je
compte apporter à ce problème, pas plus que je ne l'ai fait
à l'Assemblée nationale tout à l'heure.
D'une part, ce n'est pas terminé. D'autre part, je ne fonctionne pas
avec la pression de la rue -c'est clair et net- surtout quand une manifestation
fait cinq fois moins de personnes que ce qui a été
annoncé. Ce n'est pas ainsi que je fonctionne ; je fonctionne dans
l'intérêt des gens.
Je voudrais insister sur ce point et demander la plus grande attention, tant de
la majorité que de l'opposition. Je continue à penser que ce que
j'ai fait dans cette opération était une bonne opération
d'un point de vue de la solidarité nationale, de l'éthique et de
la logique de la lutte contre le chômage.
Des heures supplémentaires payées 42 semaines alors que 36
étaient faites, comme l'a montré le rapport de la Cour des
comptes, c'était anormal. Les heures supplémentaires annuelles
sont une méthode que je ne trouve pas très saine dans la fonction
publique. Autant je pense que les heures supplémentaires effectives,
c'est bien ; autant les heures supplémentaires annuelles, on ne
sait pas où l'on va. Il vaut mieux donner des primes que de les masquer
par des heures supplémentaires annuelles.
J'ai fait cette régulation qui devait permettre de donner du travail
à 20.000 jeunes.
Je pense que c'était une bonne action. Je continue à penser,
-vous me prendrez pour un grand naïf, ce qui est sans doute vrai pour ce
cas précis- que l'éducation nationale pouvait donner un exemple
en réduisant quelque peu son train de vie pour donner du travail aux
gens qu'elle avait formés à bac et bac + 2, et qui
étaient sans travail.
Cette mesure m'a valu une impopularité terrible parmi les enseignants.
Tout le reste ne porte pas sur les vraies raisons ; les vraies raisons
sont là : depuis des années cette profession a
été habituée à discuter quantitatif au lieu de
discuter qualitatif. Je suis réaliste. Cela a été
très mal pris. Par conséquent, il faut trouver une solution.
Vais-je à nouveau repayer 42 semaines ? Non. Je ne vais pas
faire quelque chose d'illégal.
Par conséquent, il faut trouver un moyen pour retrouver le même
volant financier. J'engage une réforme sur les lycées pour des
choses qui inciteront par exemple à l'aide à
l'élève. On voit bien qu'il y a réticence sur cette aide
à l'élève. Peut-être faut-il aider l'aide à
l'élève, arranger un certain nombre de primes ici ou
là ?
Je l'annoncerai le moment venu, lorsque cela me paraîtra
nécessaire pour mettre sur pied correctement la réforme du
lycée. Voilà ce que je tiens à dire.
Cela étant dit, il faut arrêter de raconter, comme je le lis ici
ou là dans des interventions parfois de la gauche, parfois de la droite,
parfois des syndicats, qu'en supprimant des heures supplémentaires, on
va créer des emplois. Je l'ai fait, je sais ce que cela veut dire :
ce n'est que pure illusion. Personne ne créera des emplois.
Je rencontre souvent des chefs d'entreprises dans des fonctions de recherche et
de technologie, ils ont lu le message et ont compris ; aucun ne se lancera
dans cette opération. Il faut en tirer une leçon
générale.
C'est une fausse piste. Le fait de dire :
« L'éducation nationale a 8 milliards d'heures
supplémentaires, on pourrait donc créer
45.000 emplois. ».
45.000 emplois pour quoi
faire ? Faire des professeurs qui n'auraient plus
d'élèves ?! Je ne crois pas que cela soit une solution.
Pour terminer, cette éducation nationale, complètement
cloisonnée, a un secteur -peut-être le meilleur secteur- qui est
loin d'être saturé, qui a des taux d'encadrement extraordinaire,
qui est le secteur professionnel que nous sommes en train de rénover. Ce
secteur professionnel donne de l'emploi à 83 % des
élèves, alors que l'on y envoie les élèves dont on
ne veut pas dans l'enseignement général. L'effort que l'on a
à faire doit être beaucoup plus grand sur l'enseignement
professionnel pour inciter davantage de jeunes à y aller. C'est pour moi
la grande priorité, pour l'emploi et également parce qu'on a les
moyens .
Hier, je signais donc un accord avec le groupe Accor. Pensez que sur nos
formations professionnelles d'hôtellerie et de tourisme, notre
capacité représente la moitié des offres d'emploi. On
pourrait doubler le nombre d'élèves dans nos lycées
professionnels et ils trouveraient un emploi. Il faut donc encourager cette
filière.
On a fait de gros efforts sur le rapprochement école-entreprise. Mais il
y en a un que nous n'avons pas fait : ouvrir l'école aux personnes
des entreprises pour venir parler de leurs métiers, non pas pour
recruter, mais pour venir expliquer leurs métiers. Les gens qui
orientent les élèves, les enseignants, ne connaissent pas
l'entreprise. Les conseillers d'orientation, c'est mieux, mais ils ne parlent
pas de leur métier. Il faut donc faire venir des gens des entreprises
pour les faire parler devant les élèves afin de leur expliquer.
Ils verront que tous les métiers sont passionnants. Prenons l'exemple de
la mécanique. Ce sont les machines outils, ce sont des choses
formidables, c'est merveilleux. Ils s'orienteront alors de ce
côté-là. Tout le monde doit faire un effort dans ce domaine.
M. le Président -
Monsieur le ministre, vous avez beaucoup
parlé de déconcentration avec conviction, en faisant remarquer
que vous l'aviez faite. Dont acte.
M. Claude Allègre, ministre -
J'ai fait la
première partie. La seconde partie sur les bassins d'éducation
n'est pas faite.
M. le Président -
Pour s'en tenir à ce qui a
été fait, pensez-vous que telle qu'elle est faite, la
déconcentration permettra aux recteurs d'affecter plus facilement les
enseignants là où ils seront les plus utiles, en tenant compte de
leurs voeux ?
M. Claude Allègre, ministre -
Ma
réponse est oui. L'important n'est pas ce que je pense, mais ce que
pensent les recteurs ; pas un seul ne vous dira le contraire.
M. le Président -
Cela suppose qu'ils aient une certaine marge de
manoeuvre, car s'ils ne font qu'appliquer un barème, je ne vois pas bien
ce que cela changera.
M. Claude Allègre, ministre -
Si vous me
permettez, je ne ferai aucun commentaire sur cette phrase, car les
barèmes établis sont différents. Le barème est
négocié par académie.
Pour vous donner un exemple, dans l'académie de Toulouse, l'une des plus
étendues, l'idée d'inclure dans le barème le rapprochement
des conjoints, avec un coefficient important, est une idée
intéressante. Quand vous êtes dans l'académie de Paris, le
rapprochement des conjoints ne doit pas intervenir dans le barème, cela
n'a rien à voir. Si un conjoint est à Auteuil et l'autre à
Vincennes, ce n'est pas dramatique.
Une négociation se fait par académie, sachant que l'on traverse
une période de transition pour ces barèmes ; ils seront
modulés en fonction des académies. Ces barèmes ne sont pas
n'importe quoi ; ils ne se font pas à la tête du client. Je
crois que cela se passe très bien.
Tous les recteurs me disent que la déconcentration est rentrée
complètement dans la tête des syndicats localement ; ils en
discutent et l'ont bien intégrée. Cela se passe très bien.
Evidemment au sein des syndicats, il y a un transfert des pouvoirs depuis le
sommet vers les académies. Je ne suis pas sûr que cela soit
toujours bien pris par le sommet.
Dans l'administration de la rue de Grenelle, les gens qui faisaient des
affectations nationales, ne sautent pas de joie de ne plus avoir ce pouvoir qui
part dans les périphéries. C'est la vie.
M. André Vallet, rapporteur adjoint -
Sur l'enseignement
professionnel, monsieur le ministre, je rappellerai la déclaration du
professeur Gilles De Gennes à la commission des finances selon
laquelle vous seriez bien inspiré en arrêtant l'éducation
nationale pendant six mois et en envoyant l'ensemble des professeurs dans les
entreprises afin qu'ils connaissent mieux le fonctionnement de
l'économie. Il a repris cette idée dans un article du journal
« Le Monde »
. Qu'en pensez-vous ?
M. Claude Allègre, ministre -
Il a raison.
M. le Président -
Il a théoriquement raison.
M. Claude Allègre, ministre -
J'ai
été dans la même position que lui ; cela me permettait
de dire beaucoup de choses. Mais pour un ministre, c'est différent.
Un exemple : l'Ecole nationale d'administration fait, à mon avis,
quelque chose de très intelligent. Quand vous avez passé deux
années à Sciences Po, ou trois années à
préparer l'Ecole nationale d'administration, au lieu de continuer
à vous abrutir avec des cours, on vous met dans une préfecture,
dans une ambassade ou dans une entreprise ; puis, pendant un an, vous
êtes aux prises avec les réalités.
On a discuté de cette idée avec les directeurs des grandes
écoles. Ces élèves sortent de deux ou trois années
de classe préparatoire. Ils ont énormément
travaillé. Pourquoi ne pas les mettre en entreprise directement ?
Tout le monde trouve que l'idée est bonne. Le problème, terrible,
qui se pose est de savoir ce que l'on fait des professeurs la première
année où l'on met ce système en marche. Tout le monde bute
sur ce système : on ne sait pas quoi faire des professeurs. Je leur
ai dit de les mettre en entreprise, mais aussi faut-il qu'ils le veuillent. On
va essayer d'instaurer ce système dans certaines grandes écoles,
mais le régime transitoire est difficile.
Pour ma part, je souhaiterais que l'on puisse arriver à avoir plus
d'années sabbatiques pour les enseignants afin qu'ils puissent aller en
entreprise, encore faudrait-il qu'ils le veuillent. Dans la loi sur
l'innovation, que vous avez votée, il est prévu que les
enseignants peuvent aller en entreprise sans perdre leur poste d'enseignant. Il
faut arriver à cela. C'est tout l'état d'esprit qui m'anime.
Je ne considère pas que l'école est un sanctuaire isolé
dans la cité. Je pense au contraire que l'école est un coeur pour
la cité. L'enseignant n'est pas isolé, il doit être au
coeur de la cité. L'avenir est qu'il aille passer du temps en
entreprise, dans une administration, qu'il revienne enseignant, qu'il apporte
toute la vie de la cité dans son enseignement. C'est pour cela qu'il y a
une grande difficulté, car c'est un changement important. L'école
devient un coeur. Ce qui marche encore dans les quartiers difficiles, c'est
l'école. On attend beaucoup de l'école.
Cette nécessité d'un changement de l'attitude de l'école
fait que le métier d'enseignant est très difficile. En même
temps, le sociologue François Dubet fait la remarque suivante sur
l'attitude de la population envers l'école ou l'Etat : quand on
disait :
« Je n'ai pas eu l'occasion d'aller à
l'école. On ne m'a pas laissé y aller »,
il y avait
une revendication contre la société. Aujourd'hui, on dit :
« L'école m'a orienté »
. Autrement
dit, la revendication de l'injustice se fait contre l'école, au sein de
l'école. On demande énormément de choses à
l'école. Si la réussite sociale ne se fait pas, on n'accuse plus
la société, on accuse l'école.
C'est pourquoi je dis que le métier est beaucoup plus difficile
aujourd'hui. Raison de plus -c'est ce que je souhaite- pour que les
enseignants, au lieu de s'opposer à des réformes, comme certains
le font par habitude depuis un certain nombre d'années, reprennent ce
qu'il ont été entre 1945 et 1970, c'est-à-dire les moteurs
de la réforme.
Toutes les réformes entre 1945 et 1970 étaient proposées
par des enseignants : le plan Langevin-Vallon, le colloque de Caen, les
propositions de 1968. Les enseignants étaient les moteurs du mouvement.
Depuis plusieurs années, ils défilent pour s'opposer aux
réformes. Dans tous les sondages, ils se plaignent que la
société ne les reconnaît plus assez. Je crois que l'un est
lié à l'autre. Le jour où les enseignants seront les
moteurs des réformes, ils redeviendront le coeur de la
société. Dans cette société moderne où le
savoir prend de plus en plus d'importance, où l'on parle
d'économie de la matière grise, ils doivent occuper une position
centrale. Il faut qu'ils l'occupent ; on n'ira pas les prendre par la main
pour les y mettre. Il faut qu'ils soient des moteurs.
Je vais beaucoup dans les lycées professionnels. Je vois que cet
état d'esprit est celui des enseignants des lycées
professionnels. Les hussards de la République sont les enseignants des
lycées professionnels. On leur donne des enfants qui ne sont pas les
plus doués, ils en font des gens capables. C'est formidable. Je souhaite
de tout coeur que l'on revalorise ce secteur.
M. Jean-Léonce Dupont, vice-président -
Etes-vous
prêt à modifier la multiplicité de l'approche disciplinaire
et à mettre fin à des concours de recrutement dans des
disciplines où il y a des surnombres ?
Estimez-vous normal par ailleurs qu'une organisation syndicale puisse informer
l'enseignant de ses droits avant l'autorité hiérarchique ?
M. Claude Allègre, ministre -
C'est fini.
Avec le mouvement déconcentré, chaque enseignant peut suivre la
progression de son dossier au jour le jour sur Internet dans son
établissement.
M. Jean-Léonce Dupont, vice-président -
Autrement
dit, que pensez-vous du poids de certains syndicats dans certaines
évolutions.
M. Claude Allègre, ministre -
Quand le poids
des syndicats est excessif... Je ne m'amuse pas à faire de la politique
politicienne, mais il faut bien en faire de temps en temps. Je suis un ministre
de gauche ; je suis de gauche depuis mes chaussettes jusqu'au bout des
cheveux. Néanmoins, j'ai dit aux syndicats qu'ils avaient un rôle,
que je respecte, qui est essentiel, mais qu'ils n'avaient pas le rôle de
gérer à ma place l'éducation nationale ; ce que
n'avait pas fait mon prédécesseur, pourtant classé
à droite, en tout cas qui se place à droite.
Je ne suis pas suspect, mais les syndicats représentent une force
importante qui, s'ils sont à leur place, ne doit pas interférer
avec la gestion de l'éducation nationale. Il ne faut pas confondre les
deux choses. Les syndicats ont leur rôle. Ils doivent être
respectés et traités en tant que tels.
Par ailleurs, lorsqu'ils fonctionnent bien et qu'ils sont bien
organisés, cela permet un dialogue social fructueux. J'ai un excellent
dialogue social avec l'ensemble des syndicats du primaire. On vient de discuter
la carte scolaire ; cela tiraille ici ou là. Ils défendent
leur point de vue, c'est normal.
L'éducation nationale est gérable. Lorsque vous posez la question
à un grand industriel qui fait des fusions :
« Pourquoi faites-vous ces fusions ? »
.
« Chaque fois qu'on fait une fusion, on coupe en petites
unités. »
. Il y a un grand groupe, mais on coupe en
unités.
L'éducation nationale doit être un grand groupe coupé en
petites unités, reliées ensemble. Je crois qu'elle est
gérable, tout à fait. Je crois beaucoup, beaucoup à
l'éducation nationale.
M. Jean-Léonce Dupont, vice-président -
Sur la
multiplicité des disciplines et sur le recrutement dans certaines
disciplines qui ont déjà des surnombres ?
M. Claude Allègre, ministre -
Ce
problème est délicat. Nous faisons une gestion pluriannuelle, ce
qui m'évite d'avoir des marches d'escalier terrifiantes pour les pauvres
étudiants qui préparent un concours. J'ai dit qu'il n'y aurait
pas de marches d'escalier de plus de 25 % ; sur certaines
disciplines, il y en avait de 150 %. Quand ils arrivent, on leur annonce
qu'il y a une fois et demi moins de places aux concours. Humainement, il est
impossible de dire cela. C'est terrible. Cette gestion pluriannuelle est donc
une nécessité absolue.
Cela dit, vous avez raison : on a multiplié un certain nombre de
disciplines de manière exagérée. On n'a pas encore atteint
le niveau de l'Uruguay où les professeurs de géométrie
sont différents de ceux d'algèbre. Le ministre de
l'éducation d'Uruguay a essayé de faire des professeurs de
mathématiques et il a essuyé une grève.
Nous avons un nombre considérables d'enseignements de langues
étrangères. On enseigne le suédois, le yougoslave, le
turc, mais le nombre d'élèves est relativement restreint. Mais
une fois que c'est signé, si on enlève le néerlandais ou
le suédois, Hubert Védrine viendra me voir en me disant que
c'est un incident diplomatique majeur et que je ne peux pas faire cela. Je suis
ahuri.
Ce que l'on essaie de faire maintenant, c'est d'arrêter de faire ce qui
se faisait. Par exemple, dans les lycées Montaigne, Lavoisier et
Henri IV, on créait une option pour
quatre élèves. Le proviseur voisin en faisait une autre et
Henri IV une autre encore. Si on voit de la mauvaise humeur dans les
lycées parisiens, c'est que le recteur a remis de l'ordre en disant que
les élèves pouvaient faire 200 mètres pour suivre les
options. C'est un vrai problème.
Vous auriez dû poser votre question à Mme Royal qui s'occupe
des collèges sur la bi-appartenance pour le collège. On est le
seul pays au monde à faire une spécialisation aussi
étroite au collège. Vous savez comme moi ce qu'il y a
derrière, qui ne relève pas d'une grande pédagogie. Il
faudra bien un jour que le problème soit posé.
M. le Président -
Madame Royal a été moins
catégorique. Elle a parlé d'interdisciplinarité, de
formules...
M. Claude Allègre, ministre -
Je n'ai pas dit
qu'on y allait tout de suite ; j'ai dit qu'il faudrait bien qu'un jour le
problème soit posé. Cela ne doit pas être différent
de ce qu'elle vous a dit, car on parle très souvent ensemble.
M. le Président -
Avez-vous évalué le coût
des mesures dont vous nous avez parlé tout à l'heure, tendant
à rétablir le "pouvoir d'achat" après le mouvement des
enseignants ? Vous nous avez expliqué qu'il n'était pas
question de rétablir les heures supplémentaires année.
M. Claude Allègre, ministre -
Pas de la
même manière. Je me suis exprimé sur le sujet.
M. le Président -
Je vous ai demandé si vous l'aviez
évalué.
M. Claude Allègre, ministre -
J'ai dit que
j'allais rétablir le pouvoir d'achat, c'est-à-dire des mesures
qui, globalement, seront équivalentes.
M. le Président -
Combien cela fait-il ? Autour de
500 millions de francs ?
M. Claude Allègre, ministre -
Vous avez
voté le budget.
M. Claude Domeizel -
Cette commission nous a permis de
visiter des établissements, des rectorats. Nous avons surtout
constaté qu'il s'y faisait du bon travail.
L'école dans les quartiers difficiles est peut-être le seul
service qui se soit maintenu. Il n'est qu'à voir la présence des
familles autour de l'école dans les quartiers difficiles de Marseille
pour constater l'attente des familles.
Je voudrais vous poser une question que je me suis souvent posée. C'est
un métier qui évolue ; il y a un besoin de formations.
Puisque notre commission est chargée de la situation et de la gestion
des personnels, je parlerai du gros de la troupe éducative -les
enseignants-, pensez-vous que l'on peut rester enseignant 37 ans et demi
sans formation ou 37 ans et demi d'affilée ?
M. Claude Allègre, ministre -
Je ne peux pas
vous laisser dire sans formation. Ma mère l'a été pendant
40 ans et mon père également. Je réponds donc
à l'évidence, oui, expérimentalement.
Je vous répondrai de manière un peu plus détaillée.
Vous avez noté, je suis très heureux de cela, que l'école
tenait, même dans des conditions difficiles. C'est l'école de la
République. S'il n'y avait pas une école publique, si l'Etat
n'établissait pas cette égalité républicaine
partout, cette école ne tiendrait pas, car si elle était
livrée au marché, l'école serait fermée dans
certains quartiers.
Vous avez également constaté qu'enseigner le français
à Bobigny n'est pas pareil qu'enseigner l'histoire à Neuilly. Par
conséquent, il faut donner plus à ceux qui ont moins.
Ce n'est pas facile. Dans une école où circulent un certain
nombre d'habitudes, de traditions, de philosophies, il faut donner pareil
à tout le monde, et la règle de trois doit s'imposer, les gens
ayant confondu égalité républicaine et
égalitarisme. Or, l'égalité, c'est le contraire :
c'est donner plus à ceux qui ont moins. C'est donc très
difficile. C'est le ministre qui impulse cela en n'étant pas toujours
bien compris.
C'est le véritable défi de demain, pas seulement des ZEP, mais
d'une manière générale, de donner un peu plus à
ceux en difficulté, aussi bien à l'échelle des
régions riches ou pauvres, des départements, des villes, des
villages, et même à l'intérieur de la classe, à
celui qui est d'une famille ne pouvant pas payer des leçons
particulières. C'est ce que nous faisons dans la réforme ;
les leçons particulières seront payées par l'Etat, pour la
première fois. Vous avez donc complètement raison.
Pour les enseignants, il faut mieux les former, certes. La formation continue
est le chantier sur lequel nous allons travailler cette année. Elle doit
être à mon avis revue. Quant au fait de savoir si l'on peut
être enseignant pendant 37 ans et demi, ce n'est pas le
métier le plus dur aujourd'hui. La preuve en est que dans le sondage
fait par le SNES, à la question :
« Voulez-vous
changer de métier ? »
98 % répondent
non .
M. Claude Domeizel -
Il n'y a pas que la
difficulté du métier, il y a l'adaptabilité.
M. Claude Allègre, ministre -
Je veux trouver
un juste milieu. Le métier d'enseignant est un métier dur,
difficile, contraignant. Néanmoins, d'autres métiers, comme
certains métiers ouvriers, sont beaucoup plus difficiles et plus durs
que le métier d'enseignant.
En revanche, je voudrais vous inviter à emprunter cette voie : ce
qui n'est pas normal, c'est de rester 15 ans dans un quartier très
difficile pendant que d'autres restent 30 ans dans un quartier très
facile, avec des classes moins nombreuses. Tel est le vrai problème. La
véritable question dans ce service public est qu'il entraîne des
inégalités considérables de revenus et de situation entre
les gens.
C'est le véritable défi. Je n'ai pas les moyens aujourd'hui, en
raison d'un blocage syndical au niveau du secondaire, pas au niveau du
primaire, de proposer que deux années d'ancienneté dans les
quartiers difficiles vaudront trois ans.
M. le Président -
Les syndicats ne l'acceptent pas ?
M. Claude Allègre, ministre -
Non, ils ne
sont pas d'accord. Cela veut dire qu'ils ne feraient pas 37 années et
demi. Ils seraient dans un quartier difficile, mais prendraient leur retraite
plus tôt, comme pour les chauffeurs de locomotives à charbon
à une certaine époque. Cela serait juste, mais actuellement je ne
peux pas faire passer cela.
M. le Président -
Vous avez parlé de bassins. Cette notion
de bassins permettrait-elle de répondre à la préoccupation
de M. Domeizel ?
M. Claude Allègre, ministre -
Je le crois. On a
quatre académies expérimentales sur les bassins. Je voudrais
d'abord casser le "millefeuille". Cela paraît invraisemblable, mais c'est
ainsi. Je voudrais que dans une même réunion se réunissent
les directeurs d'écoles, les principaux des collèges, les
proviseurs des lycées afin qu'ils discutent ensemble. Ils appartiennent
au même métier, au même monde. Il faudrait qu'ils discutent
ensemble sur le devenir des enfants, sur leur orientation. Cela ne se fait pas
pour le moment. Chacun est dans sa strate. Cela me paraît très
important.
Quant au lycée professionnel, avant toute chose, il doit retrouver toute
sa dignité. Demain, je vais dans un lycée professionnel. J'y
rencontre des enseignants formidables, mais ils se sentent meurtris pour avoir
été déconsidérés au cours du temps. Il faut
donc redonner une égale dignité à tout le monde. Il n'y a
pas ceux d'en haut, les autres, etc. C'est le véritable problème.
Pour redonner une égale dignité, il faut casser
l'égalitarisme, c'est-à-dire donner plus à ceux qui ont
moins. Il faudra par exemple accorder une année d'ancienneté
supplémentaire à ceux qui auront enseigné deux ans dans
les quartiers difficiles
Il faudra travailler collectivement pour convaincre. La culture, c'est la
règle de trois. Vous avez vu le débat des deux syndicats qui se
sont opposés concernant l'aide aux élèves. J'ai
tranché en disant qu'il y aura un minimum pour tous et plus à
ceux qui ont moins. Mais c'est un vrai problème.
M. le Président -
Merci monsieur le ministre. Je pense que nous
allons arrêter ici cette audition en vous remerciant de votre
collaboration.
Pour lever vos scrupules, j'ai fait vérifier et il est parfaitement
constitutionnel de faire prêter serment aux ministres. Mais j'ajoute
à votre décharge que vous n'aviez pas besoin de prêter
serment pour dire ce que vous avez à dire.
M. Claude Allègre, ministre -
Merci, monsieur
le président. Excusez-moi alors.