32. DOCTEURS ROLAND BERGER, PRÉSIDENT, ET JOSUÉ FEINGOLD, VICE-PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE GÉNÉTIQUE HUMAINE
La loi de 1988 a constitué un progrès important pour l'encadrement des essais thérapeutiques et un consensus général s'est fait sur l'exigence du consentement éclairé.
Les recherches génétiques sont sans bénéfice pour le sujet. L'application de la loi leur pose problème sur plusieurs points :
o les conditions relatives au lieu de prélèvement sont trop contraignantes lorsqu'il s'agit d'une simple prise de sang et leur application stricte vouerait beaucoup d'études à l'échec ;
o la durée de stockage des prélèvements dans des banques n'est pas précisée ;
o la possibilité pour un matériau de servir de témoin pour une autre étude n'est pas prévue par la loi ;
o les banques ont une finalité mixte (diagnostic et recherche). La formulation du consentement n'est pas assez précise pour tenir compte de cette dualité et ouvre la voie à des interprétations variables des CCPPRB ;
o l'application du secret médical soulève des difficultés lorsque la maladie génétique ne touche pas un seul individu mais une famille entière ;
o la multiplication des commissions compétentes impose un délai de 18 mois entre le dépôt d'un projet de recherche et son aboutissement. Il serait préférable de mettre en place une instance unique avec possibilité d'appel ;
o la loi ne favorise pas la génétique des populations qui est, par ailleurs, peu soutenue financièrement en raison de l'absence de toute retombée économique ;
o des comités d'éthique locaux se reconstituent pour régler des problèmes qui ne peuvent être traités par les CCPPRB (cas, par exemple, de l'identification incidente d'une maladie à l'occasion d'une recherche). Tout ne peut être réglé par ces comités et il conviendrait que soient édictés des guides de bonne conduite en matière génétique.
Auditions du 10 décembre 1998
33. MM. JACQUES SAMARUT, DIRECTEUR DU DÉPARTEMENT DES SCIENCES DE LA VIE AU CNRS, ROBERT NAQUET, PRÉSIDENT DU COMITÉ OPÉRATIONNEL POUR L'ÉTHIQUE DANS LES SCIENCES DE LA VIE DU CNRS, ET MME ODILE FICHOT, CHARGÉE DE MISSION ETHIQUE AU DÉPARTEMENT DES SCIENCES DE LA VIE, MEMBRE DU COMITÉ CONSULTATIF NATIONAL D'ÉTHIQUE
Le département des sciences de la vie regroupe 6 000 chercheurs dans 280 laboratoires associés aux universités et étudie la vie sous tous ses aspects depuis le génome jusqu'au comportement. Recherche fondamentale et recherche appliquée y sont étroitement associées.
M. SAMARUT estime souhaitable que les dispositions de la loi de 1994 relatives à l'embryon tiennent compte des avancées constatées ou prévisibles de la recherche en ce domaine.
Deux étapes doivent être distinguées dans l'évolution de l'embryon :
o une première phase où il ne constitue qu'une grappe de cellules ;
o une seconde phase où s'organise le développement vers le stade foetal.
C'est au premier stade de développement, précédant la gastrulation, que l'embryon intéresse les chercheurs. En effet, le modèle animal n'est pas ici transposable dans la mesure où le passage de la phase où l'embryon vit sur les réserves de l'ovocyte à celle où il se développe sur ses ressources propres ne se fait pas au même moment chez la souris et chez l'homme. Ce franchissement pourrait constituer le critère de partage entre recherche autorisée et recherche interdite. Les cellules totipotentes isolables dans ce premier état sont porteuses de deux types d'avancées thérapeutiques également décisives :
o isolées et cultivées, elles permettraient de produire des tissus de substitution offrant des garanties de tolérance très supérieures aux greffes classiques (neurones, cellules hépatiques, sang) ;
o elles offrent à la cancérologie un terrain d'étude particulièrement intéressant puisqu'elles constituent des cellules cancéreuses en sursis, à la frontière des cellules normales.
Elles pourraient être prélevées sur des embryons congelés privés de projet parental. Le recours au clonage ne garantirait pas un matériel biologique sûr, compte tenu de l'importance de l'empreinte parentale sur la fonctionnalité des gènes issus d'un double patrimoine.
Le maintien d'une interdiction touchant ce type de recherche conduirait à une situation embarrassante dès lors que de telles cellules seront produites à l'étranger, hypothèse dont la réalisation est proche compte tenu des progrès récemment accomplis en ce domaine aux Etats-Unis.
En ce qui concerne les biopsies post mortem, la loi a abouti à un blocage, les médecins ne voulant plus solliciter l'accord des familles pour des prélèvements à fins scientifiques et privant de ce fait les chercheurs de matériaux auxquels ils avaient précédemment accès sans la moindre difficulté.
S'agissant de la loi du 20 décembre 1988, son application pose plusieurs problèmes :
o la définition du champ d'application pour ce qui concerne les conditions de prélèvement de l'échantillon biologique à partir duquel la recherche est effectuée (" tube en plus " lors d'un acte thérapeutique, par exemple) ;
o l'obligation d'un investigateur médecin : il conviendrait de dissocier la direction scientifique et la surveillance médicale d'une recherche.
Il convient de remarquer, sur un plan général, qu'alors même que l'activité de recherche est reconnue par la loi, la rédaction des décrets issus de l'administration de la santé ne prend pas en compte ses besoins spécifiques et que l'édiction d'un Code de la recherche à côté de celui de la santé publique permettrait d'apporter les clarifications nécessaires.