VII - L'ENCADREMENT DES ACTIVITÉS D'ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION
La loi de 1994 distingue :
o l'agrément des praticiens responsables des activités cliniques et biologiques d'AMP (article L 152-9 du Code de la santé publique) ;
o l'autorisation des établissements ou laboratoires dans lesquels peuvent être exercées les activités d'AMP (articles L 184-1, L 184-2 et L 673-5).
Elle confère un rôle déterminant à la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal qui, outre l'avis qu'elle doit donner sur ces demandes d'agrément et d'autorisation, participe au suivi et à l'évaluation du fonctionnement des établissements et laboratoires autorisés (article L 184-3).
1. L'agrément des praticiens : spécialité, responsabilité et multidisciplinarité
Cet agrément, donné par le ministre chargé de la Santé après avis de la CNMBRDP, correspond à une ou plusieurs des activités définies par le décret du 6 mai 1995, pris pour l'application de l'article L 152-9.
On rappellera ici au préalable que les actes d'insémination artificielle accomplis par des gynécologues de ville n'entrent pas dans cette définition des actes d'AMP et se trouvent, de ce fait, soustraits à tout contrôle. Cette situation mériterait sans doute un examen attentif et la prise, si besoin est, de mesures appropriées.
L'agrément est subordonné à des conditions de qualification propres à la nature de l'activité exercée qui peut être clinique (recueil de gamètes par ponction, transfert des embryons) ou biologique (recueil et traitement du sperme, traitement des ovocytes, FIV avec ou sans manipulation, conservation des gamètes, conservation des embryons).
L'article L 152-9 confère au praticien ainsi agréé la responsabilité des actes d'AMP effectués dans chaque établissement ou laboratoire autorisé à les pratiquer.
Ces dispositions ont soulevé un certain nombre de difficultés que la CNMBRDP a mises en évidence dans son premier rapport et que certains de nos interlocuteurs ont également soulignées.
- Les premières tiennent, non à la loi elle-même, mais à la séparation , introduite par son décret d'application, entre activités biologiques et cliniques , séparation qui témoigne, selon la CNMBRDP, d'une représentation dépassée de la biologie et de la clinique " en tout cas en ce qui concerne la médecine de la reproduction " . Allant dans le même sens, le docteur de MOUZON a souligné que cette séparation ne répond pas aux exigences de l'AMP qui impliquent une association étroite et permanente de ces deux activités et devraient conduire à la création de centres pluridisciplinaires . Cette exigence est d'ailleurs prise en compte par la loi elle-même qui prévoit, dans l'article L 152-10, que la mise en oeuvre de l'AMP doit être précédée d'entretiens particuliers des demandeurs avec " les membres de l'équipe médicale pluridisciplinaire du centre " .
Cette pluridisciplinarité, si nécessaire soit-elle, ne doit pas conduire, observe le professeur JOUANNET, à une dilution des responsabilités dans ces milieux où sont associés biologistes, médecins, généticiens, psychologues et personnels paramédicaux . Se pose, plus précisément, la question de la répartition des pouvoirs entre cliniciens et biologistes. La biologie de la reproduction -interventionnelle et thérapeutique- joue ici un rôle très différent de sa fonction habituelle d'analyse.
Dès lors, s'interroge le professeur SELE, n'y a-t-il pas un problème de cohérence entre la loi de 1994 et celle du 11 juillet 1975 qui n'envisage l'activité des biologistes que sous son aspect diagnostique ? En cas de contrariété de point de vue entre le clinicien et le biologiste, il n'y a pas actuellement d'arbitrage possible, le biologiste, considéré comme un exécutant, ne pouvant que s'incliner devant la position du clinicien qui est, légalement, le seul prescripteur.
Pour le professeur SELE, la coresponsabilité devrait entraîner la codécision et, par conséquent, l'attribution aux uns et aux autres d'un pouvoir propre de prescription permettant au biologiste d'intervenir sur le choix de la technique de fécondation. Le problème se posera d'ailleurs dans les mêmes termes en matière de thérapie génique et cellulaire. Il pourrait être résolu en s'inspirant des mesures édictées dans le domaine de la transfusion sanguine .
- La notion de " praticien agréé responsable " , introduite par l'article L 152-9, soulève des difficultés d'interprétation qui ont retenti sur la mise en application de ce texte.
Dès l'examen des premiers dossiers d'agrément, la CNMBRDP a, en effet, constaté que le terme de " responsabilité " avait été compris dans divers sens, certains centres, malgré une activité importante, ne désignant qu'un praticien alors que d'autres, notamment dans le secteur privé, en proposaient jusqu'à 25. L'agrément s'apparente dans ce cas à une habilitation individuelle et l'on est alors conduit à s'interroger sur le contenu de la responsabilité partagée entre un trop grand nombre de titulaires.
Dans l'interprétation adoptée par la Direction générale de la santé, le praticien agréé est un coordonnateur assumant la responsabilité collective d'une équipe dont chaque membre n'a pas nécessairement une compétence et une expérience justifiant un agrément. Mais la Caisse nationale d'assurance maladie refuse, quant à elle, de prendre en charge des actes accomplis par des praticiens non agréés en s'appuyant sur le Code de déontologie médicale qui impose un exercice personnel de la médecine et une responsabilité individuelle du praticien. Cette contrariété de textes ou, tout au moins, d'interprétations nécessiterait peut-être que figurent dans la loi elle-même des dispositions plus explicites sur les modalités et la portée de l'agrément.
Les praticiens des CECOS interrogés par le Centre régional juridique de l'Ouest souhaitent par ailleurs, dans leur très grande majorité, qu'un régime d'agrément spécifique soit institué pour la gestion du don de gamètes et, singulièrement, du don d'ovocytes qui s'accommode mal de la séparation appliquée de façon générale à l'AMP entre biologistes et cliniciens.
2. L'autorisation des établissements et laboratoires : des moyens d'évaluation et de contrôle encore insuffisants
L'autorisation d'exercice des activités cliniques et biologiques d'AMP est accordée aux établissements de santé et aux laboratoires d'analyses de biologie médicale par le ministre chargé de la Santé dans les conditions du droit commun de la législation hospitalière, après avis de la CNMBRDP et du Comité national de l'organisation sanitaire et sociale institué par la loi du 31 juillet 1991. Les conditions de fonctionnement nécessaires à l'obtention de l'autorisation ont été précisées par le décret du 6 mai 1995. Des obligations particulières sont imposées aux organismes et établissements de santé sans but lucratif pratiquant des activités de recueil, traitement, conservation et cession de gamètes issus d'un don.
Ces autorisations sont accordées pour une durée de cinq ans et peuvent être retirées, à titre temporaire ou définitif, après avis de la CNMBRDP en cas de violation des prescriptions législatives et réglementaires ou de celles prévues dans l'autorisation.
Les établissements autorisés avant l'entrée en vigueur de la loi ont disposé d'un délai de six mois pour déposer une nouvelle demande.
La CNMBRDP s'appuie, pour délivrer ses avis, sur les rapports établis par les médecins inspecteurs de la santé publique rattachés aux directions départementales de l'action sanitaire et sociale (DDASS).
Indépendamment des 403 dossiers relatifs au diagnostic prénatal, évoqués par ailleurs, 523 demandes d'autorisation ont été examinées par la CNMBRDP au cours de l'année 1996. 442 avis favorables ont été délivrés, qui ont conduit à l'octroi de 435 autorisations (soit 83 % des demandes présentées). Elles se décomposent comme suit :
1) pour les activités cliniques
o ponction d'ovocytes et transferts d'embryons101
o ponctions d'ovocytes en vue d'un don23
o ponctions de spermatozoïdes en vue d'un don59
2) pour les activités biologiques
o recueil et traitement de sperme en vue d'un don105
o FIV sans micromanipulation90
o FIV avec micromanipulation (ICSI)57
La mise en application de la loi s'est heurtée sur ce point à un certain nombre de difficultés que la CNMBRDP a mises elle-même en évidence dans son rapport pour 1996 :
o mauvaise qualité des dossiers, présentés de façon incomplète, et insuffisance des vérifications préalables qui incombaient aux DDASS ;
o insuffisance des informations complémentaires fournies par les médecins inspecteurs de santé publique.
Sur ce point, les observations de la CNMBRDP concordent avec les constats très critiques recueillis au cours de nos auditions :
o les médecins inspecteurs sont en nombre insuffisant et accaparés par une multitude de tâches techniques. La DDASS de Paris, par exemple, ne compte qu'un emploi de médecin à temps plein pour 45 sites à contrôler ;
o ils ne disposent pas d'une formation spécifique leur permettant d'effectuer une analyse critique des bilans d'activité des centres. En l'absence d'indicateurs fiables permettant d'éliminer les incidences de la " course aux résultats ", l'exactitude des résultats affichés ne peut donc être vérifiée alors que le public ne dispose en ce domaine, comme l'a souligné Jacques TESTART, d'aucune information sérieuse . La complexité du contrôle nécessiterait l'établissement d'un guide d'inspection. Un projet élaboré par la DDASS de Paris n'a pas été validé par la Direction générale de la santé. Le ministère de la Santé préconise une spécialisation et une mutualisation des moyens à l'échelon régional mais les ressources budgétaires font actuellement défaut pour y parvenir .
De ce fait, comme l'indique le docteur Marie-Claude DUMONT, les arguments réglementaires (formation des praticiens, organisation et fonctionnement des centres) sont rarement utilisés pour fonder un refus d'autorisation, qui s'appuie le plus souvent sur des considérations liées à la planification où à l'absence de personnels titulaires (dans les centres rattachés à des CHU) .
La CNMBRDP souligne elle-même l'insuffisance de ses moyens pour assurer le suivi et l'évaluation des centres autorisés, les rapports d'activité que les centres sont tenus d'établir annuellement (article L 184-2) devant être validés par des contrôles sur pièces et sur place. Son président, M. Jean MICHAUD, observe que cette faiblesse structurelle contraste avec l'importance des missions qui lui sont dévolues pour la mise en oeuvre des nouvelles techniques d'AMP, importance qui est appelée à s'accroître si les orientations tracées par l'avis n° 53 du CCNE en matière de recherche sur l'embryon sont consacrées par le droit positif .
Certains remettent en cause, malgré l'élargissement de son recrutement opéré par la loi, la structure trop cloisonnée et la composition trop corporatiste de la Commission .
S'exprimant au nom des CECOS, le professeur JOUANNET a appelé de ses voeux la création d'un organisme comparable à la HFEA britannique (Autorité de la fécondation et de l'embryologie humaine). Conçue comme un office spécifique ou un sous-ensemble de l'Etablissement français des greffes, cette structure devrait disposer de l'autonomie et des moyens qui font défaut à la CNMBRDP :
o elle exercerait les missions actuellement dévolues à cette dernière pour l'agrément des établissements et des praticiens avec des moyens renforcés d'inspection et d'expertise ;
o elle évaluerait l'activité d'AMP, non pas seulement d'un point de vue quantitatif, mais sous l'angle des conséquences des actes accomplis, de la qualité des pratiques et de leurs répercussions sociales ;
o elle favoriserait et démocratiserait la réflexion dans le domaine de l'AMP, prenant modèle ici encore sur les consultations nationales organisées en Grande-Bretagne par la HFEA ;
o elle mènerait, en direction des personnes touchées par le problème de la stérilité mais aussi du grand public, des actions d'information sur l'évolution des connaissances et des pratiques, les causes et les effets de la stérilité, les conséquences des traitements ;
o elle élaborerait les règles de bonne pratique, développerait l'assurance qualité et organiserait la formation des praticiens.
Interface entre les pouvoirs publics, les professionnels, les usagers et la société tout entière, elle exercerait une fonction régulatrice dans le cadre des principes généraux fixés par le législateur.
Sans prendre parti sur les solutions qui pourraient être retenues, il nous apparaît, compte tenu de la convergence des observations recueillies, que le Parlement ne saurait faire l'économie, sur ce point, d'une étude attentive.
Comment ne pas s'interroger, d'autre part, sur l'absence quasi totale de poursuites pour infraction aux dispositions de la loi depuis son entrée en vigueur ? Il serait exagérément optimiste d'en déduire que la sévérité des sanctions édictées a produit un effet totalement dissuasif, et certains de nos interlocuteurs sont d'un avis tout différent. Le professeur CZYBA a évoqué des " pratiques sauvages " consistant, par exemple, pour des fabricants à faire tester des milieux de fécondation et de culture par des biologistes contre rémunération . M. MICHAUD affirme également que des activités de recherche non autorisées se sont poursuivi et juge les sanctions pénales trop lourdes pour être effectivement infligées . Dans son rapport, la CNMBRDP estime que, faute même de plaintes, " des initiatives de poursuites pourraient émaner du Procureur de la République ; aussi serait-il opportun que, dans cette perspective, des contacts soient pris entre les autorités judiciaires et de la santé au niveau des administrations centrales et sur le plan local, en vue d'une application effective de la loi. Ce point est essentiel pour asseoir la crédibilité du système d'autorisation et des avis de la commission. "
Ce voeu, qui ne semble pas avoir jusqu'ici trouvé d'application concrète, traduit une situation préoccupante qui devra retenir l'attention du législateur au moment de la révision.