IV - L'ACCÈS DES COUPLES À L'ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION
L'objet de l'assistance médicale à la procréation est, selon l'article L 152-2 alinéa 1 du Code de la santé publique, de répondre à la demande parentale d'un couple. Le législateur a subordonné sa mise en oeuvre à des conditions d'ordre médical, d'une part, d'ordre social, d'autre part.
1. Les conditions d'ordre médical
L'AMP a pour objet de remédier à l'infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué. Elle peut aussi avoir pour objet d'éviter la transmission d'une maladie d'une particulière gravité.
1.1. Le diagnostic de l'infertilité
Quelques problèmes d'interprétation et d'application ont pu être soulevés à propos de l'infertilité et, tout d'abord, en ce qui concerne son caractère pathologique. L'infertilité normale due à la ménopause ne peut rentrer dans ce champ. Pourtant, l'évolution actuelle qui tend à substituer à la condition d'intérêt thérapeutique celle de " bien-être " du patient ne pourrait-elle aboutir à faire accepter une assistance médicale dans ces hypothèses ? Afin d'éviter que des solutions différentes ne soient adoptées dans des cas identiques, la profession médicale devrait ici s'organiser pour réfléchir sur l'interprétation de " l'infertilité médicalement diagnostiquée " et élaborer des règles de bonne conduite .
D'autre part, l'établissement d'un diagnostic médical mettant en évidence le caractère pathologique de l'infertilité suppose que celle-ci soit établie au moment de la demande d'AMP et laisse donc de côté l'hypothèse d'un traitement médical susceptible de compromettre la fertilité à plus ou moins long terme (traitements anticancéreux, par exemple). Pour faire face à ce type d'éventualité, les patients ont recours de plus en plus fréquemment à l'autoconservation de sperme dont les demandes se sont accrues de plus de 11 % entre 1996 et 1997 selon les statistiques des CECOS. Le professeur JOUANNET a souligné la nécessité d'une réglementation de cette pratique, actuellement ignorée par la loi . Pour la femme soumise à une thérapie stérilisante, cette ressource n'existe pas en l'état actuel des techniques qui ne permettent pas de congeler les ovocytes. Elle n'aurait donc d'autre solution que de recourir à la FIV mais la loi ne l'y autorise pas dans cette hypothèse. Le ferait-elle qu'il conviendrait encore de régler le sort de l'embryon conservé dans le cas où le risque de stérilité ne se réalise pas .
1.2. La transmission d'une maladie d'une particulière gravité : le cas des couples séro-différents
La notion de " maladie d'une particulière gravité " soulève, outre son interprétation par les praticiens, le problème connexe de la sélection des embryons transférables qui sera examiné par ailleurs à propos de la mise en oeuvre du diagnostic préimplantatoire régi par l'article L 162-17 du Code de la santé publique. Mais elle peut aussi être envisagée sous un angle particulier que n'avait pas prévu le législateur de 1994 : celui de la mise en oeuvre de l'AMP dans le cas d'un couple séro-différent .
Une enquête du docteur HAMAMAH a fait apparaître que 3 à 13 % des praticiens acceptaient de prendre en AMP des couples dont l'un des partenaires est contaminé par le VIH. Certains médecins ont regretté à ce propos l'absence de directives législatives et réglementaires précises, d'autres, en revanche, estimant que ces choix relevaient de la responsabilité individuelle du praticien.
L'avis (n° 56) émis le 10 février 1998 par le Comité consultatif national d'éthique, conjointement avec le Conseil national du SIDA, se limite au seul cas des couples où l'homme est séropositif (et où il n'existe donc pas de risques directs pour l'enfant à naître). Evoquant les quatre possibilités aujourd'hui proposées aux couples en désir d'enfant (adoption, insémination artificielle avec donneur, rapports non protégés avec monitorage médical de l'ovulation, insémination intra-utérine de spermatozoïdes traités), le CCNE préconise, en premier lieu, l'assistance médicale avec tiers donneur mais juge acceptable, en second lieu, l'insémination intraconjugale de spermatozoïdes traités et contrôlés de l'homme séropositif (insémination effectuée dans les formes d'une recherche biomédicale sur l'homme en application de la loi du 20 décembre 1988 et après avis de la Commission nationale de médecine de la reproduction et du diagnostic prénatal).
Sans introduire des discriminations liées à l'état de santé des demandeurs, la loi devra-t-elle apporter des précisions sur ce point ? On peut penser, à tout le moins, qu'une concertation des praticiens conduisant à une harmonisation de leurs comportements devrait être organisée.
2. Les conditions d'ordre social
2.1. L'exigence d'une durée minimale de vie commune pour les couples non mariés : mise en oeuvre et pertinence
Cette condition est le fruit d'une transaction entre les deux assemblées, le Sénat souhaitant à l'origine l'imposer à l'ensemble des couples mariés ou non. En la restreignant aux concubins, on a voulu éviter qu'une personne mariée et stérile ne soit contrainte d'attendre deux ans pour tenter d'avoir un enfant. Les critiques qui sont aujourd'hui adressées à cette disposition portent, d'une part sur ses modalités de mise en oeuvre, d'autre part sur sa pertinence même :
- Sur le premier point, on a fait observer que les couples ne sont soumis à aucune exigence de preuve, mais doivent être simplement en mesure de l'apporter. Il est difficile d'imaginer les médecins appréciant les différentes preuves fournies par les concubins . L'enquête menée auprès des établissements d'AMP par le CRJO révèle d'ailleurs une grande diversité de pratiques (déclaration écrite, attestation de concubinage, simple déclaration orale). La loi ne précise pas, d'autre part, si le concubinage doit avoir été continu au cours de cette période. C'est donc au praticien qu'il appartient d'apprécier les conditions de vie et la stabilité de l'union dans le cadre de l'entretien préalable. Ni sa formation ni sa pratique ne le rendent apte à assumer une telle fonction.
- S'agissant de l'opportunité de cette condition, le professeur FRYDMAN a souligné qu'elle était inadaptée, en pratique, au cas de plus en plus fréquent des candidates à l'AMP âgées de 38 ans et plus qui voient s'affaiblir ainsi les chances d'une fécondation réussie . Sans supprimer ce délai, peut-être conviendrait-il d'en réduire la durée à un an.
2.2. Un couple en âge de procréer : critère physique ou exigence sociale ?
Alors que certaines législations étrangères (notamment la Hollande) fixent un âge déterminé, le législateur de 1994 a laissé cette notion à l'appréciation du médecin, l'application d'un critère physique (la survenance de la ménopause) apparaissant plus aisée dans le cas de la femme que dans celui de l'homme. Alors que l'âge des candidates à l'AMP tend à s'élever -la proportion des patientes de 40 ans et plus est passée de 12,1 % en 1993 à 13,7 % en 1996-, certains centres semblent imposer une limite d'âge entre 38 et 42 ans. Par ailleurs, la Sécurité sociale envisagerait de fixer à 42 ans l'âge limite au-delà duquel la femme bénéficiant d'une AMP ne sera pas remboursée, compte tenu du coût plus élevé, pour une chance de succès plus faible, du traitement d'hyperstimulation ovarienne applicable à la femme âgée. Cette solution " couperet " est contestée par les praticiens eu égard à la capacité biologique de procréation de certaines femmes au-delà de 42 ans.
Comme le note Mme LE MINTIER, " le caractère de cette condition (d'ordre physique ou d'ordre social) mériterait d'être précisée, du moins dans les débats parlementaires, à l'occasion de la révision de la loi du 29 juillet 1994, afin de dicter au médecin l'interprétation à retenir de cette exigence légale " .
2.3. " Un couple vivant " : la relance du débat sur le transfert post mortem d'embryon
Mettant fin aux hésitations de la jurisprudence dans des affaires touchant la restitution à une veuve du sperme congelé de son mari, le législateur de 1994, par la rédaction qu'il a donnée à l'article L 152-2 du Code de la santé publique, a englobé dans une prohibition générale l'insémination artificielle de la femme après le décès de son conjoint et le transfert post mortem d'embryons conçus in vitro du vivant du mari ou du concubin. La Cour de cassation en a fait une application rétroactive dans un arrêt du 9 janvier 1996 confirmant un arrêt du 18 avril 1994 de la Cour d'appel de Toulouse. On notera toutefois qu'elle a partiellement annulé la décision de cette juridiction en ce qu'elle avait ordonné la destruction des embryons congelés. Cette possibilité n'est en effet pas admise dans une telle hypothèse par la loi de 1994, qui n'offre comme seule issue aux embryons conservés que d'être accueillis par un autre couple (article L 152-4 alinéa 2).
Même si la loi de 1994 ne semble pas avoir connu d'autres applications que le cas d'espèce précité, le Parlement sera sans doute amené à réexaminer cette question et c'est la raison pour laquelle on l'aborde à nouveau dans le cadre de ce rapport qui n'a pas vocation à y apporter une réponse.
Un premier point mérite d'être souligné. Une nette divergence semble s'établir sur ce sujet entre le corps médical et les couples : l'enquête effectuée par la Revue du Praticien en mai 1998 fait apparaître que si les praticiens restent à 74 % favorables à la règle exprimée dans le rapport du Conseil d'Etat " De l'éthique au droit " ( " Deux parents, pas un de plus, pas un de moins. " ) , les couples sont, pour 69 % d'entre eux, favorables au transfert des embryons après le décès du mari.
Réaffirmant une position déjà exprimée en 1993, le Comité consultatif national d'éthique a, dans son avis du 25 juin 1998, établi une distinction entre insémination artificielle et transfert d'embryon post mortem. " Une femme " , écrit le CCNE, " devrait avoir le droit de réclamer les embryons congelés si elle désire poursuivre le projet parental " . Il conviendrait cependant d'imposer un délai de réflexion de trois mois à un an pour éviter les pressions conduisant à une décision trop précipitée.
Une opinion similaire a été émise par l'Académie de médecine, qui conteste la confusion opérée entre insémination et transfert d'embryons et considère comme anormal, aussi bien à l'égard de la mère que des embryons, de ne pas permettre l'achèvement du projet parental.
Le professeur FRYDMAN estime pour sa part qu'après un délai de six mois permettant l'accomplissement du travail de deuil, une commission pourrait statuer au cas par cas sur l'opportunité du transfert . Mme DELAISI de PARSEVAL, tout en soulignant le caractère inconcevable de la " ressource " offerte à la mère veuve (don de l'embryon à un autre couple), observe qu'il est paradoxal d'interdire le transfert post mortem et d'admettre par ailleurs l'insémination intraconjugale dans le cas d'un homme séropositif dont l'espérance de vie est incertaine en l'état actuel de la thérapeutique .
A l'inverse, le docteur HANUS, président de l'Association " Vivre son deuil ", conteste la position du CCNE et met en garde contre une solution qui ne prend pas en compte le deuil de la femme et l'avenir de son éventuel enfant. " Il y a toutes les raisons éthiques que la femme survivante soit protégée contre elle-même, au moins pendant le temps de son deuil, et il y a lieu aussi de faire valoir les droits de l'embryon-futur enfant de ne pas devenir à la fois un enfant sans père et un enfant de deuil. " Si le législateur jugeait préférable d'accorder à la veuve ce droit au transfert d'embryon, la sagesse commanderait l'imposition d'un délai d'un an et la mise en place des mêmes garanties psychologiques et sociales que dans le cas d'une adoption comportant, en particulier, un entretien avec le psychiatre permettant de mieux analyser les motivations de la future mère.
De son côté, le professeur MATTEI juge inopportune une modification de la loi compte tenu des problèmes posés par les délais et conditions de mise en oeuvre, le cas éventuel du remariage de la mère et l'impossibilité d'établir une solution symétrique pour le père survivant. M. MICHAUD met en évidence la difficulté juridique tenant à la règle des 300 jours au-delà desquels la présomption de paternité du père décédé instituée par le Code civil ne s'applique plus.
En tout état de cause, si le législateur opte pour le maintien de la règle en vigueur, il devra régler le sort de l'embryon qui n'aura pu bénéficier d'une procédure d'accueil et s'interroger sur la pertinence de cette dernière qui suscite, avant même qu'elle n'ait reçu un commencement d'application, de nombreuses réactions négatives.
3. Le pouvoir de contrôle dévolu aux praticiens
La loi de 1994 a conféré aux médecins le pouvoir de contrôler, d'une part l'existence et le maintien d'une communauté de vie au sein du couple demandeur, d'autre part l'opportunité d'une procréation au regard de l'intérêt de l'enfant à naître, qui constituent les conditions légales de mise en oeuvre de l'AMP. Ce pouvoir est partagé entre les membres de l'équipe pluridisciplinaire du centre et le praticien agréé responsable des actes cliniques et biologiques d'AMP (articles L 152-9 et L 152-10 du Code de la santé publique).
S'agissant de la réalité de la communauté de vie, on a pu juger concevable d'exiger de l'autorité médicale l'appréciation juridique de chaque élément de preuve apporté par les demandeurs. En l'absence de moyens objectivement probants dispensant d'une telle appréciation, le contrôle exercé ne peut être que superficiel .
Pour ce qui concerne, d'autre part, l'opportunité de l'AMP au regard de l'enfant à naître, l'appréciation des aspects psychologiques, familiaux et éducatifs n'est expressément prévue, par l'article L 152-5, que dans le cas d'accueil d'un embryon par un autre couple. En cas de procréation endogène, le médecin peut-il, en considération de ces motifs, imposer un délai de réflexion supplémentaire , voire opposer un refus au couple demandeur ? Les commentateurs sont partagés sur ce point, les uns estimant qu'une telle décision constituerait un abus de pouvoir, les autres l'admettant sur la base d'une clause de conscience implicite résultant de l'organisation générale de la profession médicale et de la déontologie. Ces divergences d'interprétation démontrent la nécessité d'une clarification sur la portée des dispositions législatives et, peut-être, l'opportunité d'un recours devant le juge judiciaire en cas de contestation de l'interprétation des conditions fixées par la loi.
On notera, pour conclure sur ce point, la réticence manifestée par une proportion non négligeable du corps médical à l'égard du rôle qui lui a été ainsi confié. Plus de la moitié des centres interrogés par le CRJO estime que cette mission de surveillance relève d'un contrôle administratif et qu'il appartient au médecin de soigner, non de vérifier l'existence du " permis de procréer ". Le professeur CZYBA affirme de son côté que la procédure préalable à la mise en oeuvre de l'AMP est peu respectée par les médecins, soit parce qu'ils la jugent trop lourde et hors de leur compétence, soit parce qu'ils ne la connaissent pas, cette ignorance étant également manifeste dans certaines DDASS . On conviendra qu'il y a là matière, sinon à modification de la loi, du moins à amélioration de ses conditions d'application.
4. L'assistance médicale à la procréation avec tiers donneur
La mise en oeuvre de l'AMP exogénique avec " apport par un tiers de spermatozoïdes ou d'ovocytes " (article L 673-1 du Code de la santé publique) est soumise à un encadrement très strict qui s'inspire directement des règles dont s'étaient dotés les CECOS avant l'intervention de la loi. Face à la pénurie qui affecte le don de gamètes, ceux-ci souhaitent qu'une promotion plus vigoureuse s'accompagne d'un assouplissement du régime ainsi établi, auquel il est reproché de ne pas tenir suffisamment compte des différences qui séparent le don de sperme et le don d'ovocytes.
4.1. Le don de gamètes : pratique et contraintes
4.1.1. La situation du don : insuffisance de l'offre et timidité de la promotion
La fédération des CECOS fait état, dans ses plus récents bilans, d'une chute générale des dons de gamètes. Cela étant, les incidences de cette situation doivent être nuancées selon qu'il s'agit de don de sperme ou de don d'ovocytes.
- Pour ce qui concerne les donneurs de sperme, leur nombre, évalué à 707 en 1981, est passé à 569 en 1994 et à 389 en 1996 mais les demandes ont parallèlement baissé, évoluant, pour un premier don, de 2 337 en 1994 à 1 615 en 1997, soit une réduction de 30,9 % . Sans doute faut-il voir là l'un des effets du recours croissant à l'ICSI, nouvelle réponse à l'infertilité masculine.
- Le don d'ovocytes connaît, en revanche, une situation beaucoup plus difficile. Les chiffres publiés par le Groupe d'étude pour le don d'ovocytes (GEDO) mettent en évidence une progression régulière de la demande (191 en 1994, 503 en 1997, soit + 163 %) alors que le nombre de donneurs au cours de cette même période a été de 822, chiffre largement insuffisant au regard des 1 360 demandes nouvelles comptabilisées. Il est par ailleurs intéressant de noter que, d'après l'enquête du GEDO, 93 % des donneurs font partie du cercle d'intimes des couples en attente d'un don, les autres étant, pour la plupart, des femmes déjà mères engagées dans un cycle de fécondation in vitro qui acceptent de donner des ovocytes surnuméraires. Les dons d'ovocytes spontanés restent donc exceptionnels .
L'information en faveur du don incombe au ministre chargé de la Santé en vertu de l'article L 665-12 du Code de la santé publique qui interdit par ailleurs toute publicité. Une première action lancée à l'automne 1998 a consisté dans l'édition de plaquettes d'information ( " Vous aimez la vie... Aidez à la donner. " ) et l'organisation, les 23 et 24 octobre, de journées portes ouvertes dans les 22 CECOS de France. S'exprimant au nom de ces derniers, le professeur JOUANNET a souligné les difficultés d'interprétation que soulève la distinction entre promotion et publicité, le caractère tardif et limité de la campagne ainsi engagée et l'opportunité d'une délégation de ces actions à des organismes représentatifs pratiquant le don sous le contrôle du ministère de la Santé .
Quelle que soit l'efficacité -aujourd'hui difficilement mesurable- de ce type d'opération, elle ne dispensera pas le législateur d'une réflexion sur l'incidence des contraintes dont il a entouré un mode d'assistance à la procréation auquel il avait souhaité, il est vrai, conférer un caractère subsidiaire.
4.1.2. La détermination légale de la qualité de donneur : faire partie d'un couple ayant procréé
Cette exigence posée par l'article L 673-2 a pour but de garantir la qualité de la motivation qui est à l'origine du don et d'éviter que celui-ci ne soit compris comme une manière d'engager une paternité ou une maternité par procuration .
Si les praticiens interrogés par le CRJO souscrivent globalement à cet objectif, ils portent une appréciation plus réservée sur la condition relative à la vie de couple qui introduit un système d'exclusion contestable à l'égard des personnes veuves, célibataires ou divorcées ayant déjà procréé. Au surplus, les moyens de vérification dont disposent les praticiens pour contrôler l'effectivité de cette condition sont loin de constituer des moyens de preuve irréfragables . Quant aux CECOS qui furent les premiers à instaurer la règle, ils estiment aujourd'hui que la notion de couple donneur se heurte à l'évolution de la société. La fréquence de plus en plus élevée de familles monoparentales diminue considérablement le nombre de donneurs potentiels. Aussi est-il proposé, comme l'a indiqué le professeur JOUANNET, de recourir à la notion de parentalité, plus large, plus adaptée à l'esprit de la loi et qui serait, de fait, déjà appliquée par les CECOS .
4.1.3. La gratuité du don
Si le principe général de non-patrimonialité du corps humain exclut, ici comme ailleurs, toute rémunération du donneur, l'article L 665-13 a cependant prévu un remboursement des frais engagés à l'occasion du don. Le décret qui devait en fixer les modalités n'est pas encore paru. Plus de 80 % des praticiens interrogés par le CRJO regrettent que le don ne soit plus remboursé par la Sécurité sociale et souhaiteraient notamment la mise en place d'un dispositif financier destiné à la prise en charge du coût élevé des dons d'ovocytes, eu égard à la nécessité d'encadrement médicalisé des donneuses. Il est fâcheux que le couple receveur ayant motivé une donneuse prenne lui-même ces frais en charge, comme cela semble être fréquemment le cas à l'heure actuelle .
4.1.4. L'interdiction du don " dirigé " et le problème de l'anonymat
Le principe général de l'anonymat du don inscrit dans le Code civil (article 16-8) et dans le Code de la santé publique (article L 165-14) s'applique au don de gamètes, assorti ici d'une disposition spécifique qui a pour objet d'interdire au couple receveur de désigner nominativement la personne dont il souhaite recevoir les gamètes (article L 673-7). Cette règle de l'anonymat, ou mise en oeuvre par le secret, ne peut être levée que pour permettre à un médecin d'accéder aux informations médicales non identifiantes en cas de nécessité thérapeutique (article L 673-6).
Cette exigence a été justifiée " tantôt dans une vision utilitariste par le risque de pénurie des donneurs, tantôt dans une vision humaniste par la complexité des relations qui s'instaureraient au sein du groupe enfant, couple, donneur " .
Le débat sur le bien-fondé de ces dispositions est loin d'être clos et resurgira probablement lors de la révision de la loi. Les partisans de la levée de l'anonymat -issus principalement des rangs des psychologues et des psychiatres- estiment non éthique de priver un enfant de ses racines et de la dimension existentielle de sa venue au monde. Mme DELAISI de PARSEVAL souligne à ce propos que le débat français est faussé par une confusion entre la levée éventuelle de l'anonymat et l'établissement d'un lien de filiation . Il est vrai que " les données de l'ascendance sont susceptibles d'être de trois ordres et de couvrir le mode de conception, les données médicales ou génétiques utiles à l'enfant et, enfin, les données identifiantes et nominales, seules attentatoires au secret des origines " .
L'argument tiré de la Convention internationale des droits de l'enfant de 1990 ratifiée par la France n'est pas absolument irréfutable puisqu'elle n'accorde à celui-ci le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux que " dans la mesure du possible " . On doit cependant relever que dans son rapport publié en 1998, la Commission d'enquête sur les droits de l'enfant créée à l'initiative du président FABIUS a considéré que le recueil d'informations relatives à la filiation " pourrait être mis en place pour l'accouchement sous X et l'abandon secret et serait ensuite, lorsque le législateur le jugera opportun, étendu aux naissances par PMA " .
S'agissant de l'aspect " utilitariste " de l'anonymat, la crainte exprimée était que sa levée n'entraîne un tarissement du nombre des donneurs comme cela s'est produit en Suède depuis qu'une loi du 20 décembre 1984 y a fait prévaloir le droit de l'enfant à connaître ses origines. Mme DELAISI de PARSEVAL note que " la suppression de l'anonymat obligatoire est, aujourd'hui, bien acceptée par les couples et a entraîné dans ce pays, après un temps de raréfaction, un regain de dons provenant d'une nouvelle population composée essentiellement de pères de famille plus âgés " .
En admettant même que l'anonymat favorise le don de spermatozoïdes, de nombreux observateurs et praticiens soulignent qu'il aboutit à un résultat opposé en ce qui concerne le don d'ovocytes, ce qui mettrait en question, sur ce point, l'application d'un régime indifférencié. Le professeur Bernard SÈLE note que la loi a confondu sperme et ovocytes dans le don de gamètes alors qu'il s'agit de démarches soumises à des contraintes très différentes : le recueil de sperme est un acte indolore tandis que le don d'ovocytes nécessite un traitement médical préliminaire et une intervention chirurgicale, donc une motivation particulière dont la manifestation est entravée par la règle de l'anonymat. Les raisons qui ont conduit à une telle obligation pour ce type de don devraient être réexaminées, faute de quoi la loi risque de ne jamais trouver sur ce point une réelle application .
Le docteur GOLFE, en revanche, a pour sa part constaté un très net désir d'anonymat de la part des donneuses. Toute remise en cause de ce principe risque de déclencher selon lui un réflexe de fuite, sauf dans le cas de parenté ou d'amitié très proche, mais ce type de don peut être psychologiquement ambigu, porteur de fantasmes d'inceste ou d'adultère et, à ce titre, préjudiciable à l'enfant à naître .
Les dispositions de l'article L 673-7 interdisant le don dirigé sont-elles, au demeurant, strictement appliquées ? Le professeur CZYBA a émis des doutes très nets à ce sujet . Mme RAMOGIDA souligne que dans de nombreux centres, les couples candidats sont incités à présenter une donneuse à défaut de laquelle le délai d'attente est beaucoup plus long . L'objectif d'égalité entre les couples receveurs, visé par le législateur, est ainsi remis en question. Dans d'autres cas, on sollicite les patientes engagées dans un programme de fécondation in vitro pour qu'elles fassent don d'un de leurs ovocytes mais les taux de réussite des transferts ne les incite pas à faire preuve d'altruisme.
Face à cette situation qui encourage le " tourisme procréatif " et contribue au développement d'une médecine de riches et d'une médecine de pauvres (Mme RAMOGIDA), certains plaident pour un assouplissement mesuré et encadré des dispositions en vigueur. Ainsi le professeur FRYDMAN, favorable au maintien du principe d'anonymat, estime-t-il que pour la minorité de couples (15 % environ) qui n'y sont pas favorables, on pourrait envisager, dans un ou deux centres, une pratique dérogeant à ce principe dans le cadre d'un protocole de recherche et d'évaluation. Jacques TESTART, plutôt partisan du don personnalisé, considère que les difficultés pour obtenir des ovocytes plutôt que des spermatozoïdes ne peuvent motiver des régimes différents pour le don de chacun des gamètes. " Obliger à l'anonymat seulement dans le cas du don de sperme reviendrait à cautionner le pilotage de l'éthique par le techniquement faisable. " Quant au Comité consultatif national d'éthique, il se demande si la loi ne protège pas davantage le couple donneur que l'enfant à naître et estime, tout en observant qu'aucun élément nouveau ne semble justifier la levée de l'anonymat, qu'un débat de société devrait pouvoir être engagé sur ce point .
4.2. La mise en oeuvre de l'AMP avec tiers donneur
4.2.1. Le caractère d'" ultime indication " de l'AMP avec tiers donneur (IAD)
Selon l'article L 152-6 du Code de la santé publique, l'AMP avec tiers donneur ne peut être pratiquée que comme " ultime indication " lorsque la procréation assistée à l'intérieur du couple ne peut aboutir. Cette restriction établissait clairement, dans l'esprit du législateur, le caractère subsidiaire de la procréation assistée avec donneur. Si certains estiment que la loi, tout en fournissant des consignes, laisse une marge d'appréciation au médecin qui doit pouvoir opter pour telle ou telle pratique au vu de la situation concrète rencontrée, beaucoup de praticiens considèrent en revanche que cette disposition emporte obligation de tenter l'AMP intraconjugale alors même qu'elle n'aurait aucune chance d'aboutir.
Le professeur JOUANNET souligne à ce propos que le praticien peut se trouver ainsi incité à l'acharnement thérapeutique et à l'utilisation de techniques dont l'innocuité n'est pas démontrée. A l'extrême, le recours au clonage pourrait trouver là une justification. De la même façon, dans le cas d'un couple séro-différent, on pourrait être amené à privilégier le traitement du sperme de l'homme séropositif (y compris sans pouvoir garantir une diminution du risque de transmission virale) plutôt que de recourir à l'IAD qui peut être choisie par certains couples . Aussi la fédération des CECOS souhaite-t-elle la suppression de l'article L 152-6 au motif que le recours à un tiers donneur doit être un choix librement consenti, fait en collaboration avec l'équipe pluridisciplinaire et tenant compte des raisons pour lesquelles l'AMP est indiquée. Il doit s'appuyer sur une information claire, complète et objective qui permette au couple d'apprécier les avantages, les inconvénients, les risques et les conséquences de chaque activité de procréation .
4.2.2. La limitation du nombre des naissances à partir des gamètes d'un seul donneur
Cette limitation édictée par l'article L 673-4 vise à réduire les risques de consanguinité. Elle est aujourd'hui critiquée par les CECOS au motif qu'elle ne tient pas compte :
o du risque calculé par les spécialistes de génétique des populations qui ont montré qu'il n'était statistiquement accru que pour un nombre beaucoup plus élevé d'enfants conçus par un même donneur ;
o du fait que plusieurs enfants peuvent naître d'un même donneur dans un même couple sans accroître le risque de consanguinité.
Aussi proposent-ils d'énoncer cette limitation en termes de familles ou de fratries. Jean-Loup CLEMENT, psychologue au CECOS de Lyon, fait cependant observer qu'il n'est pas sans inconvénient de favoriser ainsi l'établissement d'un lien biologique entre les enfants d'une même famille à partir d'un donneur précis alors que la paternité doit s'établir, par hypothèse, en dehors même de ce type de lien.
4.2.3. L'application des règles de sécurité sanitaire
Le décret du 12 novembre 1996 a fixé les règles de sécurité sanitaire applicables au recueil et à l'utilisation des gamètes humains provenant de dons en vue de la réalisation d'une AMP. Le praticien agréé est tenu de pratiquer des analyses visant à s'assurer que les donneurs ont des tests négatifs en matière de VIH, d'hépatite B et C, de syphilis et de cytomégalovirus. Doivent également être écartés les donneurs à risque potentiel de transmission de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Pour prévenir le risque de séroconversion, ces tests doivent être renouvelés au terme d'un délai de six mois, ce qui conduit à congeler l'embryon fécondé à l'aide de l'ovocyte qui a fait l'objet d'un don durant cette période de six mois. Ces précautions indispensables ne suscitent pas de réserves de la part des praticiens, même si elles conduisent à allonger la durée d'attente des couples et à réduire le taux de succès en raison des effets produits par la congélation.
Le professeur FRYDMAN, prenant en considération le fait que la congélation réduit les chances de grossesse sans apporter une amélioration significative de la sécurité sanitaire, estime cependant qu'il faudrait en informer le couple et lui laisser le choix entre cette méthode et un simple contrôle sur les ovocytes au moment de la fécondation .
On a pu d'autre part s'interroger sur la légalité même de ce décret, la loi n'autorisant pas la conception in vitro d'embryons avant que toutes les règles de sécurité sanitaire n'aient été respectées et n'envisageant pas la destruction d'embryons conçus après sa promulgation. Or le décret crée une situation nouvelle pouvant conduire précisément à une telle destruction pour raison sanitaire, et contrevient ainsi au principe du respect de tout être humain dès le commencement de la vie auquel seule la loi peut formellement déroger .