III - LES TECHNIQUES D'ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION : LA LOI ET LES PRATIQUES

1. Une définition très large au plan législatif mais incomplète au plan réglementaire

Selon l'article L 152-1 du Code de la santé publique, l'assistance médicale à la procréation " s'entend des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, le transfert d'embryons et l'insémination artificielle, ainsi que de toute technique d'effet équivalent permettant la procréation en dehors du processus naturel " .

On a déjà souligné le caractère volontairement très large de cette définition qui a permis d'inclure dans le champ d'application de la loi les techniques développées depuis sa promulgation et, notamment, la fécondation in vitro par micro-injection (ICSI).

Pour beaucoup de praticiens cependant, le contenu purement technique de l'AMP ainsi définie ne rend pas pleinement compte d'une réalité où l'aspect relationnel tient une large place .

Quoi qu'il en soit, la liste des activités correspondant à la définition de l'article L 152-1 a été fixée comme suit par le décret du 6 mai 1995 (article R 152-9-1 du Code de la santé publique) :

1) activités cliniques :

o recueil par ponction d'ovocytes,

o recueil par ponction de spermatozoïdes,

o transfert des embryons en vue de leur implantation ;

2) activités biologiques :

o recueil et traitement du sperme en vue d'une assistance médicale à la procréation,

o traitement des ovocytes,

o fécondation in vitro sans micromanipulation,

o fécondation in vitro par micromanipulation,

o conservation des gamètes,

o conservation des embryons en vue de transfert.

Cette énumération appelle deux observations :

- Alors que l'insémination artificielle est expressément visée dans l'article L 152-1, elle ne figure pas dans la liste réglementaire et ne se trouve donc pas soumise aux conditions spécifiques édictées par la loi de 1994. Pour 64 % des praticiens interrogés par le CRJO, cette situation n'est pas satisfaisante : " même s'il s'agit d'un acte simple, certains soulignent qu'il peut nuire à la santé de la patiente s'il n'est pas réalisé dans des conditions sanitaires convenables et même se montrer préjudiciable à l'équilibre psychologique et affectif de l'enfant qui naîtra " .

- La stimulation ovarienne, qui peut être utilisée dans le cadre de la fécondation in vitro mais peut aussi constituer une méthode d'AMP dans le cadre de la procréation naturelle, n'est pas non plus visée par le décret. On lui consacrera un développement particulier avant d'examiner successivement les problèmes posés par le développement des micro-injections et la mise en oeuvre des techniques post-fécondation (transfert et cryoconservation des embryons).

2. Une technique pré-fécondatoire qui appelle un véritable encadrement : la stimulation ovarienne

2.1. Définition et finalité

La stimulation ovarienne a pour objet d'agir sur l'ovaire en vue d'obtenir, au cours d'un seul cycle d'ovulation, la maturation de plusieurs ovocytes. Elle suppose l'emploi de médicaments inducteurs d'ovulation (citrate de clomiphène, agonistes LHRH, HMG), l'ovulation étant elle-même artificiellement déclenchée par l'hormone " gonadotrophine chorionique " (HCG) .

Elle peut être employée soit pour favoriser la procréation naturelle, soit dans le cadre d'une fécondation in vitro. Dans cette seconde hypothèse, elle permet en effet :

o d'accroître les chances de grossesse en procédant au transfert de plusieurs embryons ;

o de réduire les prélèvements ovocytaires en conservant, par congélation, les embryons conçus en surnombre dans la perspective d'un transfert ultérieur.

2.2. Les inconvénients de la stimulation ovarienne

- Pour les femmes, le " forçage " médical de l'ovulation aggrave les risques d'affections iatrogènes : kystes ovariens avec parfois un syndrome grave d'hypovolémie. Des risques d'endométriose, de ménopause précoce, voire de cancer de l'ovaire chez la femme jeune ont pu également être suggérés.

- La stimulation ovarienne favorise les grossesses multiples, qui sont elles-mêmes un des facteurs importants de grande prématurité. Dans son rapport pour 1996, la CNMBRDP souligne que, " dans les vingt dernières années en France, l'augmentation des grossesses gémellaires a été de 25 % et celle des grossesses triples de 400 %. Le parallélisme du taux de grossesses multiples et de ventes de gonadostimulines est en outre parfaitement établi. Plus de 75 % des grossesses triples sont dues à ces traitements. "

De son côté, le rapport de l'INSERM " Grande prématurité, dépistage et prévention du risque " (1997) indique qu'un des facteurs importants de grande prématurité est constitué par les grossesses gémellaires et triples, qui entraînent un risque dix et cinquante fois plus élevé que les grossesses uniques. Parmi les grands prématurés qui naissent annuellement en France (environ 9 000), 1 450 environ proviennent de grossesses gémellaires et 240 de grossesses triples ou plus. La stimulation de l'ovulation est responsable respectivement de 460 (32 %) et de 180 (75 %) de ces prématurés. Au total, c'est donc un peu plus de 15 % des grands prématurés qui proviennent de grossesses multiples, dont presque 40 % (640) par l'intermédiaire des stimulations de l'ovulation .

Si la mise en oeuvre de ces thérapeutiques de la stérilité va en s'améliorant dans les centres de FIV agréés, grâce à l'encadrement des pratiques et à la compétence des médecins , il n'en va pas de même pour les prescriptions d'inducteurs d'ovulation hors FIV qui sont précisément en augmentation croissante et commencent à poser un véritable problème de santé publique. Bien que l'on ne dispose pas de données précises, on peut, par déduction du nombre d'inducteurs vendus, évaluer à 200 000 le nombre de cycles stimulés en France, hors FIV, ce qui correspond à 50 000 patientes. Ce chiffre doit être doublé si l'on prend en compte les prescriptions de citrate de clomiphène (dont 30 000 sont le fait de généralistes) .

Le rapport d'activité 1996 de la CNMBRDP fournit les raisons de cette situation :

o tous les médecins peuvent prescrire des inducteurs de l'ovulation ;

o la demande des couples pousse à la prescription dès que la moindre inquiétude sur la fécondité se fait jour ;

o il y a une convergence d'intérêts entre le médecin (qui vient en aide) et la patiente (qui se sent prise en charge) alors même qu'il n'y a ni maladie, ni nécessité de traitement.

2.3. Les solutions envisagées par diverses instances

Dès avril 1994, l'Ordre national des médecins recommandait un encadrement strict de ces pratiques. " Il ne faudrait pas " , soulignait-il, " que dans quelques années, on puisse être en présence d'un scandale semblable à celui de l'utilisation inconsidérée du distilbène et des conséquences désastreuses qui en ont résulté. "

La CNMBRDP, dans son rapport déjà cité, estime qu'une régulation s'impose pour éviter que des thérapeutiques onéreuses et inutiles provoquent des pathologies graves, voire définitives, et entraînent des réductions embryonnaires. Elle préconise un effort accru d'information des praticiens et des patientes et un contrôle de l'usage des inducteurs prescrits par un système déclaratif annuel adressé par les médecins à la CNMBRDP. Elle souhaite d'autre part étendre le contrôle de qualité qu'elle exerce dans le domaine de l'AMP à la prévention des grossesses multiples iatrogènes, provoquées par les inductions de l'ovulation hors protocoles d'AMP.

Le 13 février 1996, l'Académie nationale de médecine a également mis l'accent sur les risques très sérieux liés aux hyperstimulations ovariennes : syndromes divers dont les formes les plus graves peuvent nécessiter une hospitalisation, parfois en soins intensifs pour éviter une issue fatale ; embolies artérielles ou cérébrales, grossesses multiples. Elle recommande notamment une formation approfondie des médecins qui emploient des méthodes de stimulation ovarienne et des recherches à long terme sur l'avenir des femmes qui en ont été l'objet en raison des incertitudes sur les risques suggérés de cancer de l'ovaire ou du sein.

Quant au CCNE, il suggère, par une modification de l'article L 152-1, d'inclure explicitement la stimulation ovarienne dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation, ce qui aurait, entre autres, pour effets d'imposer l'obligation d'un consentement écrit de la part du couple et de subordonner ces actes à des règles de sécurité sanitaire (avis du 25 juin 1998).

Qu'on y procède par la voie législative ou réglementaire, la soumission de ces actes médicaux pratiqués hors FIV à un encadrement plus rigoureux s'impose de toute évidence, même si la mise en oeuvre d'un contrôle s'avère difficile compte tenu du nombre de praticiens impliqués (8 000 gynécologues exerçant actuellement en France).

3. Les techniques de fécondation in vitro : le recours croissant aux micro-injections

Mieux qu'un long descriptif, quelques jalons chronologiques permettent de mesurer l'évolution spectaculaire qu'a connue en quelques années la fécondation in vitro :

o 1978 : naissance de Louise BROWN, premier enfant issu d'une FIV (Dr EDWARDS - Dr STEPTOE, Grande-Bretagne) ;

o 1982 : naissance d'Amandine, premier " bébé éprouvette " français (Dr TESTART - Dr FRYDMAN - Dr PAPIERNIK, Hôpital Antoine-Béclère de Clamart) ;

o 1992 : première naissance dans le monde d'un enfant après injection intracytoplasmique d'un spermatozoïde (ICSI) (Dr VAN STEITERGHEM - Dr PALERMO, Bruxelles) ;

o 1994 : première naissance en France d'un enfant conçu par ICSI (Dr THEBAULT - Dr TESARIK - Dr TESTART, Hôpital américain de Neuilly) ;

• 1997 : l'ICSI représente 38 % des FIV réalisées annuellement en France et l'on estime à plus de 3 000 le nombre d'enfants issus de ce type de fécondation.

En refusant d'enfermer les techniques de la procréation assistée dans une énumération limitative, le législateur de 1994 ouvrait la voie aux évolutions potentielles qui se dessinaient en ce domaine mais il ne pouvait prévoir qu'elles seraient aussi rapides ni discerner les conditions dans lesquelles allaient se développer ces innovations, hors de tout protocole de recherche et d'expérimentation préalable. C'est sur ce point surtout que l'émergence de l'ICSI est intéressante à analyser car elle fournit des enseignements valables pour l'assistance médicale à la procréation dans son ensemble, l'ICSI constituant, selon l'expression de Jacques TESTART, " le comble de l'AMP " .

3.1. De la FIV " classique " à l'ICSI : chronique d'un succès inattendu

Les circonstances " historiques " dans lesquelles s'est développée cette nouvelle technique, loin d'être purement anecdotiques, méritent d'être retracées car elles sont révélatrices des conditions dans lesquelles progressent les pratiques dans le domaine de l'AMP.

La fécondation in vitro traditionnelle -si l'on peut appliquer ce qualificatif à une pratique médicale vieille de vingt ans à peine- consiste dans la mise en contact, dans un milieu de culture approprié, des gamètes de l'homme et de la femme préalablement recueillis et préparés, pendant quarante-huit heures environ. Ce qui se produit dans l'éprouvette dépend en partie du hasard. Aussi utilise-t-on plusieurs ovocytes pour augmenter le rendement de la méthode. La fécondation est suivie d'un transfert de l'embryon in utero, au stade de quatre à huit cellules.

Cette méthode, aujourd'hui techniquement éprouvée, a été assortie de quelques variantes (ZIFT et transfert intratubaire d'embryons) qui s'en différencient essentiellement par le lieu où s'effectue le transfert (trompe et non pas utérus) et n'ont jamais connu en France un développement significatif. Très opérante pour pallier les stérilités féminines, la FIV est en revanche inadaptée aux cas de stérilité masculine sévère (oligozoospermies et asthénospermies)  dont la fréquence pourrait s'accroître selon des études récentes .

Pour parer à ce type d'infertilité, a été mise en oeuvre, dans un premier temps, la technique dénommée SUZI (subzonal insemination) consistant à injecter directement quelques spermatozoïdes sous la zone pellucide, au contact de la membrane de l'ovocyte. On peut ainsi effectuer une fécondation in vitro avec du sperme peu fécondant et éviter, en cas de succès, le recours à un tiers donneur. Mais le risque majeur que comporte cette méthode de fécondation assistée est celui de la polyspermie, c'est-à-dire la fécondation de l'ovule par plusieurs spermatozoïdes qui conduit à la conception d'un embryon non viable.

C'est à l'occasion d'une SUZI pratiquée au Centre de médecine de la reproduction de l'Université libre de Bruxelles qu'a été réalisée, accidentellement, la première ICSI : en tentant d'injecter des spermatozoïdes entre les deux membranes de l'ovule, le praticien a fait pénétrer un unique spermatozoïde dans le cytoplasme. Cette manipulation involontaire a conduit à une fécondation, puis à la naissance d'un enfant en 1992.

Compte tenu des taux de succès qu'elle a rapidement affichés, cette technique s'est répandue dans le monde entier comme une traînée de poudre. En France, après sa première réussite en 1994, l'ICSI a connu, comme on l'a déjà indiqué, une croissance quasi exponentielle en trois ans et tout donne à penser qu'elle est en passe de représenter prochainement plus de 50 % des fécondations in vitro.

Les pionniers de l'AMP ne s'en sont pas tenus là dans leur recherche des méthodes visant à combattre la stérilité masculine. En 1995, Jan TESARIK et Jacques TESTART annonçaient la naissance de deux enfants issus d'une technique de fécondation sans spermatozoïde baptisée ROSI (round spermatic injection) qui consiste à injecter dans l'ovule, non plus un spermatozoïde, mais une spermatide prélevée directement dans le testicule . Plus récemment (décembre 1997), Nikolaou SOFITIS, praticien de la FIV à l'Université de Yonago (Japon), faisait état de deux grossesses obtenues par SESI (secondary spermatocyte injection) où la fécondation se réaliserait à partir de spermatocytes de stade 2, prélevés dans la phase la plus précoce de la gamétogenèse.

Pour s'en tenir à l'ICSI, dont on peut considérer qu'elle est d'ores et déjà entrée dans une phase de routine, le débat reste ouvert sur ses conséquences touchant le développement des enfants conçus selon cette méthode. Ces incertitudes conduisent à s'interroger sur les conditions dans lesquelles se développe aujourd'hui la fécondation in vitro, la pratique du fait accompli ne pouvant être érigée en règle générale de conduite dans un domaine qui concerne très directement la protection de la personne.

3.2. Les risques des micro-injections pour les enfants à naître : un débat qui renvoie à celui, plus général, sur les méthodes de la procréation assistée

3.2.1. Les risques de la technique

La philosophie sous-jacente de tous les traitements d'infertilité par reproduction assistée " est fondée sur l'hypothèse de la qualité procréative d'un spermatozoïde (capacité à contribuer à la naissance d'une descendance normale) : elle n'est pas simplement corrélée aux caractéristiques du spermatozoïde fécondant sélectionné au cours de la fécondation naturelle. Il est donc supposé que le fait de court-circuiter une ou plusieurs étapes de processus de sélection naturelle ne met pas en danger la qualité du conceptus. "

L'élimination des étapes de sélection aboutit à une réduction du rapport numérique entre gamètes mâles et femelles dont le tableau ci-dessous, établi par Jacques TESTART , illustre le caractère spectaculaire :

Méthode de fécondation

Nombre d'ovocytes

Niveau d'insémination

Nombre de spermatozoïdes

Rapport sexuel

1

Vagin

200 000 000

Insémination artificielle

1 - 3

Col utérin

Cavité utérine

Trompe

10 000 000

5 000 000

1 000 000

Fécondation in vitro

5 - 20

Eprouvette ou boîte

Tube capillaire ou goutte

Sous la zone pellucide (SUZI)

Dans le cytoplasme (ICSI)

50 000

5 000

5

1

En permettant à des hommes dont les spermatozoïdes sont trop rares ou trop mal formés d'accéder néanmoins à la paternité, quels risques fait-on courir à leur descendance ?

Il a été constaté, chez les sujets présentant une oligoasthénotératospermie, un taux d'anomalies chromosomiques dix fois supérieur au reste de la population (6,5 % contre 0,6 %). Ces anomalies concernent le plus souvent les chromosomes sexuels. Le risque augmente avec le degré de l'atteinte spermatique, passant de 2,2 % pour un spermogramme normal à 5,1 % en cas d'oligospermie, 14,6 % en cas d'azoospermie et 20,3 % en cas d'azoospermie secrétoire. L'anomalie de la spermatogenèse existant chez ces pères infertiles semble être en rapport avec des délétions (amputations) des bras longs du chromosome Y ; on ne peut donc exclure un risque de transmission de cette infertilité à l'enfant. Mais, par delà ce premier risque non négligeable, rien ne permet d'affirmer avec certitude que ne puissent être transmises d'autres anomalies génétiques, encore non identifiables en l'état actuel des moyens de détection, et qui affecteraient des fonctions physiologiques générales.

Pour l'heure, les études publiées sur le développement des enfants nés après ICSI, ne peuvent, faute de recul suffisant, être considérées comme concluantes d'autant qu'elles divergent parfois dans leurs appréciations. Ainsi en va-t-il de deux études, l'une australienne, l'autre belge, publiées le 23 mai 1998, dans le même numéro de " Lancet ". En France, une étude multicentrique réalisée par les BLEFCO (biologistes des laboratoires d'étude de la fécondation et de la conservation de l'oeuf) portant sur 2 919 grossesses obtenues par ICSI confirme les résultats du groupe de Bruxelles : l'ICSI ne semble pas créer d'anomalies mais est évidemment susceptible de transmettre une anomalie parentale, en inventant par exemple " la stérilité héréditaire " . Par ailleurs, une étude de FIVNAT relative à l'évolution des grossesses ICSI sur la période 1994-1996 a été menée dans seize départements et a mis en évidence l'augmentation des risques d'anomalies gonosomiques, autosomiques et cardiologiques chez les enfants conçus par ICSI .

La conclusion est... qu'on ne peut conclure et ce d'autant moins, comme le souligne le professeur Charles THIBAULT , que " l'absence d'anomalies chez l'enfant ou l'adulte nés par ICSI n'est pas un argument valable. L'anomalie portée par le spermatozoïde reste généralement cachée tant que la fécondation n'a pas lieu avec un ovocyte porteur d'une mutation ou d'une délétion du même ou des mêmes gènes. En clair, si l'anomalie n'est pas exprimée chez l'enfant, rien n'indique qu'elle ne se révélera pas dans les générations suivantes, quand cet enfant ou un de ses descendants sera le partenaire d'une femme elle aussi porteuse des mêmes anomalies géniques ."

3.2.2. Le débat sur la méthode

Dès 1994, le Comité consultatif national d'éthique, dans son avis n° 42 sur l'évolution des pratiques d'AMP, avait recommandé la plus grande vigilance à propos de l'ICSI dont il relevait les dangers potentiels. Des efforts devaient être faits pour trouver un modèle animal et respecter les règles applicables à la recherche médicale. Les couples devaient être informés du caractère expérimental de la méthode. Les protocoles expérimentaux devaient être de nature à permettre une évaluation rigoureuse de celle-ci. L'ICSI ne devait pas être associée à d'autres techniques susceptibles de faciliter la pénétration dans l'ovocyte d'éléments étrangers.

Il est rien moins que sûr que ces recommandations aient guidé les pratiques suivies depuis quatre ans. Un fait significatif est mis en évidence par l'enquête menée par trois chercheurs français auprès des 48 CCPPRB  et à laquelle 36 comités ont répondu : bien que l'ICSI soit développée dans plus de vingt centres de PMA, trois d'entre eux seulement ont jugé nécessaire d'en référer à un CCPPRB sans que la loi leur en fasse obligation. Les comités, qui déplorent cette situation, estiment qu'ils devraient superviser l'ensemble des procédures et que ces dernières devraient avoir été précisées avant que les centres ne décident de mettre en oeuvre la technique. L'AMP montre ici sa singularité : une technique innovante et non évaluée est souvent considérée par ses utilisateurs comme une simple amélioration de celles déjà existantes et validées .

Ainsi se trouve posé, à propos de l'ICSI, le problème général des conditions dans lesquelles sont mises en oeuvre les techniques d'AMP. Deux conceptions de la recherche sont ici en présence :

- Pour les uns, il faut prendre en compte les bouleversements apportés par l'AMP au processus habituel de l'évolution des traitements médicaux (recherche fondamentale, expérimentation animale, application clinique). Dans l'AMP intervient en premier lieu l'identification des obstacles à l'efficacité thérapeutique, ce qui fait référence à la notion de rendement, voire de performance. Lorsqu'une expérimentation animale est ensuite mise en oeuvre, elle vise exclusivement à une mise au point technique et à une démonstration de faisabilité mais n'a pas les moyens d'apporter une démonstration d'innocuité : elle repose, pour une part, sur un empirisme éclairé et débouche rapidement sur une application clinique comportant des risques potentiels, d'où l'absolue nécessité d'une évaluation clinique exhaustive sur une certaine durée. La principale retombée de cette application clinique est qu'elle ouvre de nouvelles questions qui vont alimenter la recherche fondamentale. Ainsi l'application clinique précède la recherche, comme le démontre l'ICSI. Bernard SELE, président des BLEFCO, à qui nous empruntons cette analyse, en conclut : " Il faudrait se garder d'invoquer une soi-disant défaillance du pré-requis scientifique qui pourrait conduire à une attitude d'abstention dans la prise en charge de l'infertilité, masculine en particulier, alors que les réactions réellement à l'oeuvre sont d'inspiration idéologique. "

Autre justification apportée à cette démarche pragmatique par Jacques TESTART : " On ne peut pas négliger que les souffrances de nos contemporains peuvent parfois légitimer l'action avant que la science ne soit capable d'y apporter sa garantie. "

- A l'opposé se situe la position défendue par Bernard JEGOU, directeur du groupe d'étude de la reproduction chez le mâle à l'INSERM , pour qui l'ICSI a constitué " un coup d'état biologique " inscrit dans un contexte de banalisation incessante du risque, au regard de laquelle le travail du biologiste fondamental s'apparente à un combat d'arrière-garde face à des digues déjà rompues. Plusieurs lacunes doivent être mises selon lui en évidence dans la pratique de l'AMP :

o l'absence d'avis préalable à l'expérimentation humaine ;

o la quasi-absence, voire l'absence, d'expérimentation animale ;

o l'absence de délai entre l'annonce d'une percée dans l'expérimentation animale et sa transposition chez l'homme, qui se fait donc sans validation des résultats ;

o l'absence de " bonnes pratiques de laboratoire ".

Les arguments invoqués par les praticiens (durée limitée de la fertilité féminine, marge d'incertitude et coût de l'expérimentation animale, réussites antérieures et charge de la preuve incombant aux scientifiques en ce qui concerne le danger éventuel de leurs méthodes) ne sauraient faire oublier que " la technique doit être au service de la science " , que dans le domaine du médicament, ce sont des tragédies comme celle de la thalidomide qui ont imposé les modèles animaux et que l'industrie de la procréation assistée (cliniques, fabricants d'hormones) ne réinvestit aucun profit dans la recherche, à la différence de l'industrie pharmaceutique.

Bernard JEGOU observe en outre que le suivi des enfants ainsi conçus est éminemment subjectif puisque le monde de l'AMP est juge et partie et opère sur le mode déclaratoire, sans l'intervention de techniciens-inspecteurs spécialisés dans les essais cliniques. Même si elles doivent beaucoup à la conscience des praticiens de l'AMP, les évaluations actuelles sur les résultats de l'ICSI souffrent de diverses limites, dont un taux de perdus de vue important.

Ces constatations le conduisent à proposer la création dans ce domaine d'une instance de régulation à l'image de l'Agence du médicament afin de rompre le caractère trop autogéré de l'AMP, illustré notamment par la composition de la CNMBRDP . Il conviendrait aussi de développer la formation à la recherche, animale et humaine, des praticiens de l'AMP et de pratiquer une politique volontariste d'appel d'offres en faveur de la recherche biologique fondamentale et appliquée en reproduction.

Enfin, et cette suggestion rejoint les préoccupations exprimées par de nombreux praticiens, il conviendrait de mettre en place un suivi des enfants offrant toutes les garanties méthodologiques.

Dans l'avis qu'elle avait adopté le 13 février 1996, l'Académie de médecine estimait qu'une différenciation devait être faite entre les techniques d'AMP selon quelles sont éprouvées, en cours d'évaluation ou encore à l'état de recherche, afin de garantir la sécurité du patient et d'éviter un passage trop rapide de l'expérimentation à la pratique. Une information complète du couple sur les risques particuliers encourus et l'intervention d'un conseil génétique préconceptionnel lui paraissaient devoir s'imposer avant toute mise en oeuvre de l'ICSI. Plus de 73 % des praticiens interrogés par le Centre régional juridique de l'Ouest en 1997 adhèrent à ces recommandations, mais rien ne permet d'affirmer qu'elles ont été suivies d'effet. Quant au guide de bonnes pratiques, prévu par l'article R 184-1-11 du Code de la santé publique, qui doit préciser entre autres les indications particulières de la mise en oeuvre de l'ICSI, il n'a pas été à ce jour publié bien que son élaboration ait occupé un groupe de travail pluridisciplinaire de la CNMBRDP tout au long des années 1996 et 1997.

Il appartiendra au législateur de tirer les leçons de cet état de fait et de s'interroger sur les conditions dans lesquelles il convient de réguler les techniques d'AMP afin qu'elles respectent le principe général qui conditionne l'objectif visé aux moyens utilisés (efficacité, innocuité et qualité des procédures d'une part, conséquences éthiques d'autre part).

4. Les techniques post-fécondatoires : le transfert multiple d'embryons et la conservation des embryons surnuméraires

4.1. La non-limitation du nombre d'embryons transférés et ses conséquences

S'écartant des dispositions adoptées par d'autres pays européens , le législateur de 1994 n'a pas jugé opportun de limiter en nombre le transfert des embryons après la fécondation in vitro, laissant ainsi aux praticiens le soin de choisir, au cas par cas, la solution la plus adaptée compte tenu de la qualité des embryons, des connaissances acquises en matière de transfert, des risques de grossesses multiples, de la demande des couples et de l'âge de la femme.

On sait en effet que les chances d'implantation, qui ne sont que de 10 % pour un seul embryon transféré, passent à 15 % pour deux embryons et à 25 % pour quatre embryons et plus. Les risques afférents résident dans l'augmentation des grossesses multiples avec les conséquences qui en résultent (prématurité, élévation du taux de mortalité et de morbidité périnatale).

Face à ces risques, les praticiens peuvent être amenés à pratiquer des réductions embryonnaires sur la légalité desquelles le débat juridique reste ouvert : dans son avis n° 44, le Comité consultatif national d'éthique avait souligné que certaines de ces réductions embryonnaires se situaient " hors le champ de la loi " si l'on admettait qu'il s'agissait d'une forme d'interruption de grossesse. Si, au contraire, ajoutait-il, on considère que la grossesse n'est pas interrompue parce qu'elle continue pour des embryons préservés, " la réponse n'est actuellement contenue ni dans la loi, ni dans la jurisprudence " . Ce constat, formulé en 1991, demeure d'actualité. " La réduction embryonnaire a été oubliée par la loi du 29 juillet 1994. "

Cela étant, il convient de souligner que la pratique s'est orientée au fil des ans vers une réduction du nombre moyen d'embryons transférés. Selon les chiffres publiés par FIVNAT, les transferts de plus de quatre embryons sont passés de 16,8 à 8,2 % du total entre 1993 et 1997. Les transferts de deux embryons sont passés de 22,6 à 33,9 %, les transferts d'un et trois embryons demeurant stables dans une proportion respective de 16 et 40 %. Parallèlement, on constate, dans le cadre de la FIV, une diminution significative du taux des grossesses multiples (- 3,3 % pour les grossesses triples de 1989 à 1994, - 2,2 % pour les grossesses gémellaires de 1992 à 1996) et, corrélativement, du taux des réductions embryonnaires.

Les taux de réussite obtenus avec le transfert de deux embryons seront sans doute améliorés par la pratique de la coculture, qui permet de prolonger le développement in vitro des embryons pendant cinq jours jusqu'au stade de blastocyste, mais dont l'évaluation sanitaire reste encore à faire. Dans ces conditions, l'autorégulation liée au progrès des techniques conduit à penser qu'il n'est pas nécessaire sur ce point d'introduire dans la loi des dispositions contraignantes. Cependant, comme le souligne Jacques TESTART, " tant que le potentiel évolutif de chaque embryon restera inconnu, il sera nécessaire, pour maintenir les taux de succès, de transférer des embryons en excès. L'identification des embryons viables est donc un nouvel enjeu dont la mise en application recoupe l'identification des embryons " normaux ", même si les philosophies qui régissent l'une et l'autre sont différentes : en l'absence de marqueurs morphologiques ou biochimiques de la viabilité, celle-ci ne peut être partiellement appréciée que sur des critères génétiques et s'inscrit donc dans le cadre du diagnostic génétique préimplantatoire même si la loi de 1994 n'a pas encore accepté cet élargissement du DPI. " Comment ne pas souligner ici l'étroite imbrication des différentes problématiques dans laquelle s'inscrit la procréation médicalement assistée ?

4.2. La conservation des embryons : de l'embryon " en attente " à l'embryon " orphelin "

La loi de 1994 a autorisé la conservation des embryons. Comme l'a observé M. MATTEI, ce choix prenait en compte une situation de fait (l'existence, au moment de l'élaboration du texte, d'un grand nombre d'embryons congelés et abandonnés, évalué à plus de 2 000). D'autre part, le législateur y voyait une solution très provisoire dans la perspective, annoncée comme proche, d'une possible congélation des ovocytes . Sur ce point, les attentes ont été quelque peu déçues, la science n'ayant pas encore fourni une réponse satisfaisante à cette question . De ce fait, le problème des embryons surnuméraires reste entier en 1999. Deux types de situation doivent être ici distingués :

- S'agissant des embryons encore inscrits dans un projet parental, la question qui se pose est celle des effets de la cryoconservation en ce qui concerne, d'une part les chances d'implantation, d'autre part les effets sur l'enfant à naître. Sur le premier point, il est généralement admis que 30 % des embryons ne résistent pas à la congélation et que le taux d'implantation est dans cette hypothèse sensiblement inférieur à celui de l'embryon frais (5 à 10 % contre 15 %). Sur le second point, une étude suédoise récemment publiée (" Lancet " du 10 avril 1998) semble établir que les enfants nés après FIV et cryopréservation se développent normalement jusqu'à 18 mois et ne présentent aucune altération physique ou psychomotrice mais l'on ne dispose pas, actuellement, sur ce point d'un véritable suivi épidémiologique. Cela étant, il ne serait pas inutile, d'une part que les parents, maîtres de la décision selon la loi, bénéficient à ce sujet d'une information aussi complète que possible, d'autre part que les établissements assurant cette conservation fassent l'objet d'un agrément spécifique tenant compte des données sanitaires, éthiques et relationnelles propres à ce type d'activité .

- S'agissant des embryons " orphelins ", plusieurs interrogations restent en suspens :

o Quant à leur nombre, tout d'abord : aucune évaluation précise ne peut aujourd'hui être fournie, car il est malaisé d'établir une distinction entre les embryons définitivement abandonnés et ceux qui sont encore susceptibles d'être accueillis.

o D'autre part, quelle a été la pratique touchant les embryons conçus avant 1994 et dont la loi autorisait la destruction, sans préciser d'ailleurs à qui incombait la décision ? Autant d'incertitudes qui expliquent qu'un chiffre précis ne puisse être avancé dans l'attente d'un recensement dont le ministère de la Santé annonce les résultats pour 1999. Plusieurs des praticiens entendus  ont souligné le caractère préoccupant d'une situation où chaque centre est appelé à résoudre, au cas par cas, le problème posé par ces embryons abandonnés.

o On évoquera plus loin le débat que suscite, au regard de la recherche, l'existence de ces embryons surnuméraires. Bornons-nous à constater pour l'instant que l'une des alternatives offertes par la loi - l'accueil de l'embryon par un autre couple - n'a pu, faute de décret d'application, être utilisée. Plusieurs raisons ont pu être avancées pour expliquer cette carence du pouvoir réglementaire.

- La CNMBRDP, dans son rapport, souligne les difficultés tenant à la différence de régime établie entre les embryons fécondés avant et après l'entrée en vigueur de la loi, ainsi que les problèmes de sécurité sanitaire découlant de l'absence d'examen médical obligatoire pour l'insémination intraconjugale.

- Le professeur FRYDMAN a mis en évidence une discordance entre l'autorisation très strictement encadrée des établissements pratiquant le don de gamètes (article L 673-5 du Code de la Santé publique) et le libéralisme qui prévaut en matière de don d'embryons, celui-ci pouvant être pratiqué dans tous les centres de PMA détenant un stock d'embryons congelés (article L 152-5) . Ne conviendrait-il pas, dans ces conditions, de procéder à une harmonisation législative ?

Par delà ces problèmes techniques, le professeur MATTEI a mis en avant ce qu'il considère comme une difficulté de fond . Elle tient au mélange des genres opéré par la loi (d'un côté, la notion de don qui ne peut s'appliquer qu'à un objet, de l'autre, la procédure d'accueil qui se calque sur l'adoption). Comment assimiler à l'adoption une mise au monde qui a toute l'apparence d'une création naturelle et rend quasi impossible la révélation de la vérité à l'enfant ?

Ces dispositions seront-elles caduques avant même d'avoir été appliquées ? C'est là une des questions importantes qui se poseront au moment de la révision.

5. La loi face au développement des techniques de clonage

5.1. Les récentes avancées scientifiques

On rappellera ici brièvement les progrès accomplis depuis deux ans dans le domaine du clonage animal, que ce soit à partir de cellules adultes ou d'origine foetale, progrès qui ont suscité l'intérêt des chercheurs mais aussi l'inquiétude de la communauté internationale.

Le premier événement majeur a été constitué par la naissance le 23 février 1997 à l'Institut Roslin d'Edimbourg du clone d'une brebis adulte obtenu après 277 tentatives par transfert d'un noyau prélevé sur une glande mammaire. Cette réussite faisait suite aux premiers succès obtenus au début des années 1980, notamment par des chercheurs de l'INRA, dans le clonage d'ovins et de bovins à partir de la section d'embryons au premier stade de leur développement, puis par transfert d'un noyau prélevé sur une cellule foetale. Copie conforme de sa mère génétique, Dolly constitue le premier clone d'un mammifère adulte.

Soulignant l'importance de cette technique pour la duplication d'animaux transgéniques " humanisés ", les chercheurs écossais annonçaient ensuite, en juillet 1997, la création de Polly, première brebis clonée porteuse, au sein de son génome, d'un gène humain et susceptible de produire dans son lait une protéine thérapeutique. Deux veaux transgéniques clonés à partir d'une cellule foetale ont ensuite été produits en janvier 1998 dans un laboratoire du Massachusetts.

En mars 1998, Marguerite, première génisse obtenue en France à partir du clonage d'une cellule musculaire prélevée sur un foetus de 60 jours, était présentée par l'INRA au Salon de l'agriculture.

Tout récemment (décembre 1998), un groupe de chercheurs japonais reprenant la technique mise au point par l'Institut Roslin a réussi le clonage de huit veaux à partir de cellules provenant, soit du tissu ovarien, soit de l'oviducte d'un seul animal adulte. Les cellules ainsi clonées avaient été cultivées in vitro jusqu'au stade blastocyste et dix embryons avaient pu être implantés dans l'utérus de cinq vaches porteuses. Comme le remarque le professeur Axel KAHN, " si la mortalité observée dans cette expérience était maîtrisée -et même si elle devait rester à 50 %- l'extrême facilité du clonage animal et son taux de succès en feraient une grande méthode alternative à la procréation pour la sélection et la production d'embryons bovins " .

Le Groupe des conseillers pour l'éthique de la biotechnologie auprès de la Commission européenne souligne d'autre part, dans son avis du 28 mai 1997, que le clonage animal est porteur d'utilisations potentielles extrêmement positives dans le domaine de la médecine et de la recherche médicale : amélioration des connaissances génétiques et physiologiques, réalisation de modèles de maladies humaines, production à un moindre coût de protéines (telles les protéines de lait utilisables à des fins thérapeutiques), constitution de banques d'organes ou de tissus servant à des xénogreffes.

Envisagées sous cet angle, les recherches et expérimentations en cours ne soulèvent bien évidemment aucune objection sous réserve que soient respectées un certain nombre de conditions éthiques touchant l'expérimentation animale . Plus inquiétante en revanche est la perspective que le perfectionnement sur le modèle animal des techniques de clonage reproductif ne conduise à l'expérimentation sur l'homme.

Un certain nombre d'instances internationales ont pris récemment position avec force contre cette éventualité. Mais ces proclamations ont, le plus souvent, un caractère symbolique et masquent les divergences d'approche qui se manifestent d'un bord à l'autre de l'Atlantique.

5.2. Réactions internationales et positions anglo-saxonnes

Après la naissance de Dolly, un certain nombre d'instances européennes et internationales ont condamné par anticipation le clonage humain à visée reproductive.

- Au plan européen tout d'abord , après la résolution adoptée le 12 mars 1997 par le Parlement européen et l'avis émis le 28 mai 1997 par le groupe des conseillers pour l'éthique de la biotechnologie auprès de la Commission européenne, un protocole additionnel à la Convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, portant interdiction du clonage d'êtres humains , a été adopté en novembre 1997 par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe et signé le 12 janvier 1998 par 17 des 40 pays membres. Son article 1 er interdit " toute intervention ayant pour but de créer un être humain génétiquement identique à un autre être humain, vivant ou mort " . Il est intéressant de souligner la distinction qu'établit à cette occasion le rapport explicatif entre " le clonage de cellules en tant que technique, l'utilisation des cellules embryonnaires dans les techniques de clonage et le clonage d'êtres humains au moyen, par exemple, des techniques de division embryonnaire ou de transfert de noyau " . Ce dernier -le clonage reproductif- est seul visé par le Protocole additionnel. S'agissant du clonage à visée thérapeutique faisant appel à des cellules embryonnaires, il devra être examiné dans le Protocole sur la protection de l'embryon. On voit ainsi que la séparation entre clonage reproductif condamné et clonage thérapeutique autorisé mérite d'être nuancée puisque ce dernier met en cause les finalités qui peuvent être assignées à l'utilisation des embryons.

La prohibition a une portée absolue, l'article 2 du Protocole précisant qu'aucune dérogation n'est autorisée au titre de l'article 26 de la Convention. Il s'agit, pour l'heure, du seul instrument juridique international contraignant interdisant le clonage d'êtres humains .

- Au plan international , l'Organisation mondiale de la santé a publié le 11 mars 1997 une déclaration condamnant le clonage au nom des principes fondamentaux régissant la procréation médicalement assistée, notamment le respect de la dignité de la personne humaine et la protection de la sécurité du matériel génétique humain.

D'autre part, la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l'homme de l'UNESCO , en date du 11 novembre 1997, énonce dans son article 11 que " des pratiques qui sont contraires à la dignité humaine, telles que le clonage à des fins de reproduction d'êtres humains, ne doivent pas être permises " . Cette déclaration a été adoptée par la 53 ème assemblée générale des Nations-Unies, le 9 décembre 1998.

Par delà l'unanimité qui se manifeste dans ces proclamations (auxquelles on peut ajouter les positions prises par les membres du G8, à Denver, en juin 1997), il convient de mettre en évidence les positions moins catégoriques qui se sont exprimées sur ce problème aux Etats-Unis comme en Grande-Bretagne.

- Les positions anglo-saxonnes

Si le président CLINTON, réagissant aux déclarations extravagantes du physicien Richard SEED, a décidé, en mars 1997, d'interdire que des fonds fédéraux puissent être consacrés à des expériences sur le clonage humain, cette mesure, on le sait, n'interdit pas la poursuite de la recherche sur fonds privés, puissamment soutenue outre-Atlantique. Il est d'ailleurs significatif que le Sénat américain ait rejeté en février 1998 un projet de loi d'origine républicaine interdisant définitivement tout clonage humain. Seule la Californie a prohibé le clonage humain ainsi que la manipulation et le commerce d'embryons.

En Grande-Bretagne, où la Human Genetics Advisory Commission et la Human Fertilization and Embryology Authority avaient lancé l'an dernier une consultation sur le sujet, le rapport remis au Premier ministre en décembre 1998 propose de maintenir l'interdiction du clonage à visée reproductive et d'autoriser le clonage de tissus humains à des fins thérapeutiques , ce qui implique la création, pour cet usage spécifique, d'embryons qui n'auraient pas une vocation procréative. On voit se reposer ici la question de l'instrumentalisation de l'embryon qui divise, depuis de nombreuses années, la communauté scientifique européenne.

5.3. Les barrières juridiques édifiées en 1994 sont-elles suffisantes ?

Les lois bioéthiques n'interdisent pas explicitement le clonage pour la raison que cette technique ne semblait pas, à l'époque, applicable à l'homme.

Cela étant, prévoir cette interdiction n'est pas indispensable sur un plan strictement juridique. Comme le note le Conseil d'Etat dans son rapport public de 1998, " il ne fait guère de doute que l'article 16-4 du Code civil  contient déjà, dans sa rédaction actuelle, une interdiction de jure du clonage reproductif car celui-ci porte évidemment atteinte à l'intégrité de l'espèce humaine et constitue une transformation des gènes dans le but de modifier la descendance de la personne, toutes choses formellement prohibées " .

Dans l'avis qu'il a rendu à la demande du Président de la République (n° 54 du 22 avril 1997), le Comité consultatif national d'éthique fait une analyse similaire. Il estime en outre que les dispositions du Code de la santé publique relatives à l'assistance médicale à la procréation sont incompatibles avec des techniques de clonage qui, d'ailleurs, ne sauraient constituer une méthode " procréative " ; il en est de même des règles encadrant les études sur l'embryon et prohibant toute recherche et expérimentation.

Toutefois, à des fins pédagogiques, et compte tenu de l'absence, dans la loi, d'une disposition expresse sur ce point, le CCNE s'est montré favorable à une clarification des textes, certains de ses membres s'interrogeant néanmoins sur l'opportunité d'ajouter à la loi une nouvelle interdiction chaque fois qu'apparaîtrait une grave dérive de cet ordre.

Le débat est donc ouvert. Quelle que soit la solution que retiendra le législateur, il devra garder présente à l'esprit la portée limitée de la norme juridique interne face à un environnement international instable où les pressions économiques, sociales et culturelles ne se heurtent, pour l'heure, qu'à des barrières morales dépourvues de force contraignante.

Au surplus, la distinction commode et un peu rapide qui tend à s'établir entre le clonage reproductif -prohibé- et le clonage thérapeutique -admis- fait bon marché des problèmes éthiques que peut soulever ce dernier s'il conduit à une instrumentalisation de l'embryon, utilisé comme banque de cellules, hors de tout projet parental. La Grande-Bretagne, fidèle à son orientation pragmatique, pourrait s'ouvrir, on l'a vu, à cette possibilité. Sera-t-il possible, ici encore, dans le respect des principes posés par la Convention d'Oviedo, de parvenir à une attitude commune des différents pays européens ?

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