INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Quatre ans après la publication de son rapport sur la prise en charge de
la douleur
(n°138, 1994-1995)
, et après la mise en oeuvre de
la plupart des propositions qu'il formulait, votre commission a choisi de
prolonger le combat humain qu'elle avait ainsi engagé en consacrant ses
travaux aux soins palliatifs et à l'accompagnement des malades.
De la même manière qu'elle avait souhaité contribuer
à la diffusion, dans l'ensemble de notre système de soins, d'une
" culture " de la prise en charge de la douleur, elle veut
aujourd'hui oeuvrer en faveur d'une réponse globale et adaptée
aux besoins des personnes dont la maladie laisse à craindre une issue
fatale.
La satisfaction de cet objectif peut passer, dans les hôpitaux, par la
constitution d'équipes spécialisées dans les soins
palliatifs, voire de " lits de soins palliatifs ". Pour qu'une
culture puisse se diffuser rapidement et dans les meilleures conditions, il
faut bien, en effet, qu'existent en des lieux bien identifiables des
pôles de référence : le développement de la
recherche et de la formation est à ce prix.
A cet égard, il ne faut jamais perdre de vue la comparaison avec
l'amélioration de la prise en charge de la douleur, qui a
été rendue possible à l'hôpital comme en ville par
l'existence dans des centres hospitaliers d'équipes
spécialisées de lutte contre la douleur.
Mais le développement des soins palliatifs ne saurait se mesurer en
nombre de lits : c'est toute une approche de la médecine qui doit
être repensée au profit des malades les plus gravement atteints.
Rien ne serait plus redoutable en effet que l'on annonce désormais
systématiquement aux malades, en toute fin de vie : " vous
allez être transféré dans une unité de soins
palliatifs ". Rien ne serait plus terrible que, brutalement, ils
perçoivent qu'un seul soutien psychologique et le traitement de leur
seule douleur se substitue à des thérapies parfois très
lourdes et invasives. L'effet psychologique sur les malades de ce qui
constituerait à leurs yeux un renoncement de la médecine se
situerait, à l'évidence, aux antipodes du but recherché.
Il faut au contraire que, demain, tous les malades puissent
bénéficier, dès l'annonce de leur maladie, d'une prise en
charge adaptée et continue qui s'intégrera dans les traitements
entrepris plutôt qu'elle signifiera leur arrêt.
Les soins palliatifs doivent en effet être délivrés
à tout malade dont le pronostic vital est en jeu, quelle que soit
l'issue de la maladie, qu'elle se solde par la mort, par une rémission
ou par la guérison.
Il ne doit pas y avoir, d'un côté, des soins curatifs et de
l'autre, des soins palliatifs. C'est une même médecine qui est
à l'oeuvre, pour la satisfaction de l'ensemble des besoins de la
personne humaine, à tous les stades de la maladie.
I. L'IMMENSE MAJORITÉ DES PERSONNES QUI EN AURAIENT BESOIN NE BÉNÉFICIENT PAS DE SOINS PALLIATIFS NI D'UN ACCOMPAGNEMENT ADAPTÉS
Le
constat pourrait être le même que celui qui avait été
formulé par votre Commission, il y a quatre ans, sur le traitement de la
douleur (
Prendre en charge la douleur, rapport n°138,
1994-1995
) : alors que notre système de soins est un des plus
performants au monde, que les Français dépensent plus de dix
mille francs par an pour se soigner, que des centaines de milliers de
professionnels de santé libéraux et un million d'agents
hospitaliers consacrent leurs compétences et leur dévouement
à traiter dans les meilleures conditions les patients qu'ils
accueillent, les malades souffrant d'une affection dont le pronostic peut
être létal ne bénéficient pas des soins palliatifs
et de l'accompagnement dont ils auraient besoin.
En ce qui concerne la prise en charge de la douleur, les choses ont bien
changé depuis la publication du rapport de votre commission : le
code de déontologie et la formation initiale des médecins ont
été réformés dans le bon sens, les règles de
prescription des morphiniques ont été assouplies et une loi,
d'initiative sénatoriale, fait désormais obligation aux
établissements de santé et aux établissements
médico-sociaux de prendre en charge la douleur des patients qu'ils
accueillent. Le projet d'établissement des hôpitaux publics doit,
à cet égard, recenser les moyens mis en oeuvre pour satisfaire
cette obligation.
En outre, parallèlement à l'évolution du paysage
législatif et réglementaire, la plupart des obstacles culturels
à une bonne prise en charge de la douleur ont été
levés : on ne rencontre plus de confusion entre les débats
sur la douleur et sur la toxicomanie, les médecins et les équipes
soignantes sont mieux sensibilisés, et les patients savent que les
outils thérapeutiques nécessaires pour combattre la plupart des
douleurs existent bel et bien : ils expriment ainsi plus volontiers une
demande de prise en charge.
L'amélioration du traitement de la douleur constituait un
préalable pour les personnes en fin de vie : il ne peut y avoir
d'accompagnement, de réponse à leurs besoins si la douleur n'est
pas correctement prise en charge.
Mais le traitement de la douleur ne suffit pas : les concepts de soins
palliatifs et d'accompagnement, désormais très bien
définis, sont l'expression d'une prise en charge globale qui n'est que
très insuffisamment développée en France.
A. LES SOINS PALLIATIFS ET L'ACCOMPAGNEMENT : DES CONCEPTS DÉSORMAIS TRÈS BIEN DÉFINIS
Les soins palliatifs et l'accompagnement, qui s'inscrivent dans une démarche entreprise par Cicely Saunders des années 40 à 1967 à Londres, où elle fonda l'hospice Saint Christopher, renvoient à une définition, des méthodes et des acteurs bien identifiés.
1. Le contenu
" Tout ce qu'il reste à faire quand il n'y a
plus
rien à faire "
: si les soins palliatifs et
l'accompagnement ne sauraient se contenter d'une définition en termes de
boutade, elle donne bien une idée des circonstances et du contenu d'une
activité de soins à part entière.
Elle montre bien qu'en des circonstances précises, dont la durée
peut être plus ou moins longue, des besoins nouveaux et immenses
apparaissent, et qu'ils nécessitent, pour le patient et son entourage,
une prise en charge adaptée.
Certes, les termes
" soins palliatifs "
ne sont pas
très heureux. Non seulement ils renvoient à des moments tristes,
ceux qui précèdent et suivent la séparation, mais ils sont
chargés de tout le sentiment d'échec de la médecine quand
vient la mort.
Ainsi, si le Littré indique, de manière positive, qu'un
traitement palliatif
" a la vertu de calmer, de soulager
momentanément "
, la définition donnée par le
Robert est plus brutale : un traitement palliatif, dit ce dictionnaire,
" atténue les symptômes d'une maladie sans agir sur sa
cause "
.
Et l'adjectif palliatif renvoie à
" insuffisant "
,
à
" expédient ",
au renoncement et au fatalisme,
alors que l'ambition des médecins est toujours de soigner, et que
parfois même affleure celle de l'immortalité. Pour expliquer sa
vocation de médecin, le Professeur Willy Rosenbaum avoue ainsi:
" J'avais en tête un objectif immature et fantasmatique :
rendre les gens immortels "
.
L'ambition des soins palliatifs, comprise ainsi, peut donc apparaître
modeste, surtout lorsqu'elle est exprimée par des médecins qui
ont pour vocation d'exercer l'art de guérir.
Mais cette ambition est immense : en effet, parvenir effectivement
à calmer et à soulager une personne atteinte d'une maladie
incurable, l'accompagner pour l'aider à franchir l'ultime étape
de sa vie, n'est-il pas aussi noble que de guérir un patient souffrant
d'une maladie plus bénigne ?
Plusieurs définitions, différentes mais concordantes, peuvent
être retenues pour les soins palliatifs.
En droit, la circulaire du 26 août 1986 relative à
"
l'organisation des soins et l'accompagnement des malades en phase
terminale
", toujours en vigueur, dispose que :
" Les soins d'accompagnement visent à répondre aux
besoins spécifiques des personnes parvenues au terme de leur existence.
" Ils comprennent un ensemble de techniques de prévention et de
lutte contre la douleur, de prise en charge psychologique du malade et de sa
famille, de prise en considération de leurs problèmes
individuels, sociaux et spirituels.
" L'accompagnement des mourants suppose donc une attitude d'écoute,
de disponibilité, une mission menée en commun par toute
l'équipe intervenant auprès du malade. "
Le préambule des statuts de la Société Française
d'Accompagnement et de Soins Palliatifs (SFAP) affirme pour sa part que :
" Les soins palliatifs sont des soins actifs dans une approche globale
de la personne atteinte d'une maladie grave évolutive ou terminale. Leur
objectif est de soulager les douleurs physiques ainsi que les autres
symptômes et de prendre en compte la souffrance psychologique, sociale et
spirituelle.
" Les soins palliatifs et l'accompagnement sont interdisciplinaires. Ils
s'adressent au malade en tant que personne, à sa famille et à ses
proches, à domicile ou en institution. La formation des soignants et des
bénévoles fait partie de cette démarche.
" Les soins palliatifs et l'accompagnement considèrent le malade
comme un être vivant et la mort comme un processus naturel. Ceux qui les
dispensent cherchent à éviter les investigations et les
traitements déraisonnables. Ils se refusent à provoquer
intentionnellement la mort. Ils s'efforcent de préserver la meilleure
qualité de vie possible jusqu'au décès et proposent un
soutien aux proches en deuil. Ils s'emploient par leur pratique clinique, leur
enseignement et leurs travaux de recherche, à ce que ces principes
puissent être appliqués. "
Enfin, une définition intéressante a été retenue,
en Belgique, par l'arrêté royal du 19 août 1991. Il
établit la reconnaissance officielle des soins palliatifs comme
" l'aide et l'assistance pluridisciplinaire qui sont dispensées
à domicile, dans un hébergement collectif non hospitalier ou dans
un hôpital afin de rencontrer globalement les besoins physiques,
psychiques et spirituels des patients durant la phase terminale de leur
maladie, et qui contribuent à une préservation d'une
qualité de vie "
.
Les soins palliatifs et l'accompagnement reposent ainsi, on le voit, sur une
prise en charge satisfaisante de la douleur. Mais ils ne peuvent s'y
résumer : le combat en faveur d'une politique de soins palliatifs
et d'accompagnement vise à mettre en oeuvre une réponse globale
à l'ensemble des besoins de la personne, à l'hôpital comme
au domicile.