III. LES MOYENS D'UN RENOUVEAU DE LA PESC
A. LA REPONSE D'AMSTERDAM AUX INSUFFISANCES PASSEES
L'Union
dispose désormais de nouveaux outils et de moyens d'intervention qui
peuvent lui permettre d'accroître son influence politique, internationale
et d'améliorer la prévention des crises, si elle en a la
volonté.
Le diagnostic des lacunes passées a été établi avec
lucidité : le traité d'Amsterdam contient des
réponses et des outils qui, cette fois, paraissent adaptés et
susceptibles de permettre l'émergence d'une véritable PESC, si
les Gouvernements en ont la volonté.
1. Pour améliorer la lisibilité de la PESC
a) L'absence de personnalisation de la politique étrangère de l'Union et " Monsieur PESC "
Le manque de personnalisation de la PESC
Le reproche le plus souvent formulé à l'encontre de la PESC est
celui d'un manque de lisibilité et de personnalisation. A
l'évidence, jusqu'à présent, l'Union ne dispose pas d'une
autorité à même d'exposer par une voix unique la position
de quinze Etats membres et de fédérer les points de vue.
Suivant le cas, interviennent alors dans le débat, ensemble ou
séparément, soit les autorités nationales, en ordre
dispersé, soit la présidence du Conseil, soit encore le
président de la Commission
ou l'un des cinq commissaires en charge
des relations extérieures
. Il résulte de cette
pluralité de partenaires, au mieux un sentiment d'improvisation
bruyante, au pire une réelle confusion lorsque les voix sont
discordantes ou concurrentes.
Cette constatation s'est trouvée au centre des discussions de la
Conférence intergouvernementale. Sous l'impulsion française en
particulier, elle a débouché sur la création d'une
autorité nouvelle : le Haut représentant pour la PESC.
L'instauration d'un Haut représentant
L'article J8 du traité organise ainsi l'articulation des
institutions intervenant désormais dans la délimitation et la
mise en oeuvre de la PESC :
"
La présidence représente l'Union pour les
matières relevant de la politique étrangère et de
sécurité commune.
[
... Elle...
]
est assistée
par le secrétaire général du Conseil, qui exerce les
fonctions de haut représentant pour la politique étrangère
et de sécurité commune
".
Bien que la rédaction définitive de ce texte ne le laisse pas
apparaître clairement, il s'agit bien ici de l'instauration d'une
nouvelle autorité, et non de l'extension des pouvoirs du
secrétaire général du Conseil, dans son acception
traditionnelle, à d'autres fonctions. Seul " Monsieur ou Madame
PESC " portera le titre de secrétaire général du
Conseil, les fonctions actuellement attribuées à celui-ci
étant désormais dévolues à un secrétaire
général adjoint.
Les fonctions du Haut représentant
Conformément à l'article J16 du traité, "
le
secrétaire général du Conseil, haut représentant
pour la politique étrangère et de sécurité commune,
assiste le Conseil pour les questions relevant de la politique
étrangère et de sécurité commune, en contribuant
notamment à la formulation, à l'élaboration et à la
mise en oeuvre des décisions de politique et, le cas
échéant, en agissant au nom du Conseil et à la demande de
la présidence, en conduisant le dialogue politique avec des
tiers
".
L'objectif est donc bien de donner un visage à l'action
extérieure de l'Union, en conférant au nouveau Secrétaire
général un rôle central dans l'élaboration de
celle-ci, dans la conduite de négociations et dans la prise de
décision. Cette initiative s'est appuyée sur l'expérience
menée en ex-Yougoslavie qui, en dépit de son bilan mitigé
en termes d'efficacité, a fait ressortir l'intérêt pour
l'Union de disposer d'un porte-parole unique.
Le problème du choix
L'aboutissement des discussions intergouvernementales dans le sens
suggéré par la délégation française
n'était certes pas garanti pendant les négociations
(4(
*
))
. Les autres Etats membres se montraient
plus que réservés sur la proposition déposée le 6
juin 1996 pour qu'une autorité devienne
" la voix et le visage
de l'Union "
; ce n'est qu'après la déclaration
franco-allemande de Fribourg, du 27 février 1996, que le
débat a réellement pu s'ouvrir.
Il résultait de ce texte commun la nécessité de
créer "
une nouvelle fonction qui contribue à une
meilleure lisibilité et à une meilleure cohérence de la
PESC
". C'est seulement lorsque les différents partenaires ont
admis que la création d'un " Monsieur PESC " n'avait pas
pour but l'institution d'une structure de plus, s'ajoutant à la
Commission et au Conseil, qu'un accord a pu être trouvé.
Mais une autre étape, primordiale, doit encore être
franchie : celle de la désignation effective du Haut
représentant. Envisagée dans un premier temps pour la fin 1998,
cette nomination a finalement été reportée suivant les
conclusions du Conseil européen de Vienne des 11 et 12
décembre 1998 :
" Le Haut représentant pour la PESC
devra être nommé dès que possible et être une
personnalité ayant une stature politique de premier plan ".
Cette décision lève l'ambiguïté qui pesait
jusqu'alors sur le choix de la personnalité, qui constitue un
élément décisif de son efficacité. Pour qu'il
bénéficie d'une réelle autorité, qui lui permette
d'initier et d'animer la politique étrangère de l'Union, il est
essentiel que l'accord
porte sur une personnalité politique
afin
de bénéficier d'une écoute et d'une
crédibilité incontestables auprès du Conseil.
Tant qu'il était envisagé que la désignation concerne une
personnalité du monde diplomatique et administratif, le risque
était grand que le Haut représentant ne soit qu'une instance
supplémentaire, ne faisant pas progresser la situation d'aujourd'hui.
L'avancée de Vienne constitue un élément très
positif pour l'évolution de la PESC.
b) L'absence de planification et l'unité de planification de la politique et d'alerte rapide
L'absence de politique étrangère claire et les
défaillances de l'Union dans la gestion des crises sont imputables, pour
partie, à la faiblesse des structures chargées d'anticiper les
évolutions internationales, d'analyser de manière commune les
événements et de programmer la conduite à tenir.
La création d'une unité de planification
Le traité d'Amsterdam a souhaité renforcer le dispositif
opérationnel de l'Union en la matière : dans une courte
déclaration annexée, il a prévu la création d'une
unité de planification de la politique et d'alerte rapide
(5(
*
))
.
Celle-ci, constituée auprès du Conseil et placée sous la
responsabilité directe du Haut représentant pour la PESC, doit
oeuvrer à l'instauration d'une coopération efficace avec la
Commission afin d'assurer la cohérence de la politique
étrangère avec la politique économique extérieure
de l'Union.
L'unité a en charge d'élaborer la politique
étrangère de l'Union, qui sera ensuite définie par le
Conseil, d'évaluer les intérêts européens en
matière de PESC et de donner rapidement l'alerte lorsque des
évolutions laissent à prévoir des répercussions
importantes sur le plan international.
Le bon fonctionnement de cette structure suppose
que collaboreront
sincèrement avec elle les Etats membres et la Commission
, afin
qu'ils lui transmettent toutes informations, même confidentielles, pour
permettre ce travail de planification, d'information, d'évaluation et de
conception.
Un mauvais départ ?
Les discussions, hésitations et atermoiements qui ont
présidé au démarrage de l'unité constituent
malheureusement des indices inquiétants pour l'avenir de cette nouvelle
structure.
Les premiers débats, lancés durant la présidence
luxembourgeoise avec une certaine précipitation, ont en effet
débouché sur un accord pour que
tous les Etats membres soient
représentés au sein de l'unité
(6(
*
))
.
Dès lors que cette cellule est, une fois encore, fondée sur un
schéma intergouvernemental, on peut craindre que son apport ne reste au
niveau diplomatique classique. Cette option risque de renforcer l'antagonisme
artificiel, posé par le traité d'Amsterdam, entre
" petits " et " grands " Etats membres et le
problème sera plus aigu encore après l'élargissement de
l'Union.
Si cette structure, lorsqu'elle fonctionnera, devait confirmer son
positionnement sur le seul domaine diplomatique et devenir un nouveau
comité politique, elle aura certes un intérêt documentaire,
mais elle ne répondra pas aux objectifs qui lui étaient
assignés dans l'esprit des négociateurs à la CIG ; a
fortiori si elle se structure en zones géographiques.
Pour l'heure, l'évolution de ce dossier est subordonnée à
la nomination de " Monsieur ou Madame PESC ", et au fait qu'il
constituera alors la cellule de réflexion et de conception directement
placée à ses côtés. Ce point est plutôt
positif quand on songe que, dans son souhait d'aboutir rapidement, la
présidence luxembourgeoise était favorable à sa
constitution, à la nomination des personnels et même au choix de
son équipement de communication avant toute réflexion politique
d'ensemble.
2. Pour assurer la permanence de la PESC
a) L'absence de suivi et la " nouvelle troïka "
Un
obstacle réel à l'élaboration d'une politique
étrangère commune résulte du fait que la présidence
du Conseil, tournante à chaque semestre, reste en place un laps de temps
trop court pour constituer un interlocuteur de référence
vis-à-vis de l'extérieur.
Le traité d'Amsterdam a donc proposé que soit constituée
une structure tripartite spécifique à la matière de la
PESC, associant non plus la
" troïka classique "
(présidences actuelle, précédente et suivante), mais un
ensemble à trois voix associant la présidence, la Commission qui
reste
" pleinement associée "
à la politique
étrangère et à sa mise en oeuvre, et le Haut
représentant pour la PESC.
Cette structure, abusivement appelée
" nouvelle
troïka "
alors qu'elle répond à une logique tout
autre (7(
*
)) est une réponse
très constructive. Son intérêt ne réside pas dans la
valeur de représentation extérieure de cette structure, comme on
a pu le dire : c'est là le rôle désormais dévolu
à " Monsieur PESC ". En revanche, c'est un réel
apport pour le suivi du travail effectué, deux des trois membres de
cette institution disposant désormais d'un avantage de durée dans
l'exécution de leur mission.
b) Le souhait d'une présidence plus longue
Il faut souhaiter, et cette demande n'est pas nouvelle, que la réforme institutionnelle à venir puisse imaginer de confier la présidence du Conseil pour une période plus longue que les six mois actuels. Outre le caractère déconcertant que peut produire, à l'étranger, une rotation semestrielle des responsables, celle-ci permet rarement d'assurer la gestion, dans le temps, des relations internationales.
3. Pour permettre l'expression de la PESC
a) Un nouveau concept : les stratégies communes
L'article J3 du traité d'Amsterdam institue le principe
d'élaboration et de mise en oeuvre de stratégies communes
"
dans des domaines où les Etats membres ont des
intérêts communs importants
". Ces stratégies,
définies par le Conseil européen, précisent
"
leurs objectifs, leur durée et les moyens que devront fournir
l'Union et les Etats membres
",
c'est-à-dire l'ensemble des
trois piliers de l'Union avec les Etats.
Le Conseil européen de Vienne des 11 et 12 décembre 1998 a
décidé que la
première stratégie commune
concernerait les relations de l'Union européenne avec la Russie
,
à la suite de l'accord franco-allemand obtenu sur ce point. La
présidence allemande organise actuellement un programme de travail pour
permettre l'élaboration de cette stratégie
" transpiliers " qui devra être présentée par le
Conseil au Conseil européen.
Les stratégies communes qui sont d'ores et déjà
envisagées pour l'avenir concernent l'Ukraine, la zone
méditerranéenne et la région des Balkans occidentaux.
Avec cette nouvelle disposition du traité, l'Union dispose donc
désormais d'un arsenal complet de mode d'intervention, du plus
conceptuel au plus opérationnel :
- elle définit les principes et orientations
générales de la PESC
- elle décide de stratégies communes
- elle adopte des actions communes
- elle adopte des positions communes
- elle renforce -et non plus elle instaure- la coopération
systématique entre les Etats membres pour la conduite de leur politique.
L'élaboration de la PESC
selon le traité
d'Amsterdam
1.
Le Conseil européen
définit les
principes et orientations générales
de la PESC, y compris
pour les matières ayant des implications en matière de
défense. Le Conseil prend les décisions nécessaires
à la définition et à la mise en oeuvre de la PESC, sur la
base de ces orientations. Le Haut représentant assiste le Conseil en
contribuant notamment à la formulation, l'élaboration et la mise
en oeuvre des décisions politiques. Il bénéficie des
travaux réalisés au sein de l'unité de planification.
2.
Le Conseil européen
décide des
stratégies communes
de l'Union dans les domaines où les
Etats membres ont des intérêts communs importants. Le Conseil
recommande ces stratégies et les met en oeuvre, notamment en
arrêtant des actions communes et des positions communes.
3.
Le Conseil
arrête des
actions communes
lorsqu'une
action opérationnelle de l'Union est jugée nécessaire.
Elles fixent leurs objectifs, leur portée, les moyens à mettre
à la disposition de l'Union, les conditions relatives à leur mise
en oeuvre et, si nécessaire, leur durée. Le Conseil
procède à leur révision en cas de changement de
circonstances. Ces actions engagent les Etats membres dans leurs
déclarations et leurs actions, dont ils doivent tenir informé le
Conseil au préalable. Le Conseil peut demander à la Commission de
lui proposer les mesures à mettre en oeuvre dans le cadre d'une action
commune.
4.
Le Conseil
arrête des
positions communes
de l'Union
sur une question particulière de nature géographique ou
thématique. Tous les Etats membres veillent à la
conformité de leurs politiques nationales avec les positions
communes.
b) De nouvelles modalités d'adoption
•
l'abstention constructive
De manière réaliste et pragmatique, les Etats membres ont retenu
la possibilité, pour l'un des partenaires, d'adopter une attitude
d'abstention constructive qui lui permet de ne pas s'associer à une
décision commune
sans pour autant empêcher toute action de
l'Union par son opposition
. Dans cette hypothèse, et par souci de
solidarité, il s'abstient de toute action susceptible d'entrer en
conflit avec l'action de l'Union fondée sur cette décision.
On peut attendre de ce dispositif une plus grande souplesse et une meilleure
liberté de manoeuvre pour l'Union européenne dans son
intervention sur la scène internationale. Toutefois, les
décisions du Conseil ne peuvent être valablement prises que si les
abstentions assorties de déclarations ne dépassent pas le tiers
des voix des Etats membres (calcul effectué avec pondération).
• L'introduction de la majorité qualifiée
Le traité d'Amsterdam propose un recours accru à la
majorité qualifiée pour adopter les décisions à
prendre
en application des stratégies communes ou pour la mise en
oeuvre d'actions ou de positions communes
, à l'exception de celles
ayant une implication militaire ou dans le domaine de la défense.
Ce mode de votation devrait permettre, d'abord, une prise de décision
plus rapide et, surtout, d'éviter les blocages systématiques de
certains Etats membres. Il faut toutefois indiquer que l'opposition d'un
participant se fondant sur "
des raisons de politique nationale
importantes
qu'il expose
" suffit à empêcher le
vote à la majorité qualifiée, conduisant en
réalité à l'existence d'un veto de fait. Dans cette
hypothèse, le Conseil statuant à la majorité
qualifiée peut demander que le Conseil européen soit saisi de la
question en vue d'une décision à l'unanimité.
En tout état de cause, la mise en oeuvre du nouveau dispositif de
majorité qualifiée pose, avec plus d'acuité encore, pour
les grands Etats membres,
la question de la repondération des voix au
Conseil
. Comment admettre que, dans une Europe comptant vingt-six membres,
les trois Etats baltes et Chypre - soit huit millions d'habitants -
pèsent un poids équivalent à celui de la France en
matière de politique étrangère ? C'est pourtant ce
qu'il adviendrait si les pondérations actuelles étaient
maintenues. Dans la même configuration, les dix plus petits nouveaux
adhérents disposeraient de beaucoup plus de voix que l'ensemble
constitué par la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne, pour un
rapport démographique de 65 millions d'habitants contre 200 millions. On
mesure ici le caractère illégitime et inacceptable de cette
situation
L'adoption des décisions sur la PESC
selon le
traité d'Amsterdam
1. Toutes les décisions relevant du titre V
"
dispositions concernant une politique étrangère et de
sécurité commune
", sont prises par le Conseil statuant
à
l'unanimité
.
2. L'abstention d'un ou plusieurs Etats membres n'empêche pas
l'adoption de ces décisions. Tout membre du Conseil qui s'abstient lors
d'un vote peut assortir sa décision d'une déclaration formelle.
Dans ce cas, il n'est pas tenu d'appliquer la décision mais il accepte
que celle-ci engage l'Union : en conséquence, il s'abstiendra de toute
action susceptible d'entrer en conflit ou de contrecarrer l'action de l'Union.
Toutefois, l'abstention supérieure au tiers (avec pondération des
voix) empêche l'adoption de la décision.
3. Par exception au principe de l'unanimité, et sauf opposition
d'un Etat membre, le Conseil statue à la
majorité
qualifiée
(avec pondération des voix) :
- pour les actions et positions communes prises sur la base d'une
stratégie commune
- pour les décisions mettant en oeuvre une action ou une position
commune