8. Réponse de Mme Bettina LAVILLE, Conseiller pour l'aménagement du territoire et l'environnement au cabinet du Premier Ministre
Mme
Bettina LAVILLE
. - Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, bien
que vous représentiez ici une force économique et pas du tout
politique, je voudrais répondre à toutes les observations qui ont
été faites dans l'esprit de la concertation à laquelle je
n'ai pas directement participé, mais à laquelle le
ministère de l'Environnement participe depuis deux mois.
Pour cela, je mettrai de côté les arguments qui me paraissent
relever du procès d'intention et je répondrai aux autres.
Je citerai quand même quelques intervenants dont le procès
d'intention a été un peu voyant. J'ai été
touchée par le plaidoyer de M. Jacques VERNIER et de son rêve
président de l'ADEME de bénéficier d'une ressource
affectée, concernant la maîtrise de l'énergie. Il est vrai
que les 300 millions de francs inscrits lors de la création de l'ADEME
en 1990 se sont évaporés pendant qu'il assumait cette
présidence. Entre 1993 et 1997, ces subventions ont perdu à peu
près 25% par an de leur valeur en raison du retrait total du
ministère de l'Industrie. Mais c'est aussi vrai que le ministère
de l'Industrie ne voulait à aucun prix qu'une taxe soit affectée
à la maîtrise de l'énergie. Le Gouvernement de Lionel
Jospin, dans le budget 1999, a affecté 500 millions de francs pour la
maîtrise de l'énergie, dont deux-tiers sont inscrits sur le
ministère de l'Environnement et l'autre tiers sur le ministère de
l'Industrie. Je suis contente ici d'avoir pu réaliser le rêve de
M. Jacques VERNIER, en représentant le Gouvernement qui a
décidé cela.
Ma deuxième observation pour répondre à M. Ambroise
GUELLEC : vous ne pouvez pas sérieusement dire que lors du débat
de la loi sur l'eau en 1992, les gouvernements de Michel ROCARD et d'Edith
CRESSON ont reculé ; nous avons donc reculé ensemble avec les
parlementaires, et notamment le Sénat, et l'Assemblée nationale,
à cause "d'un sombre débat sur la constitutionnalité". Ce
sombre débat que Mme Corinne LEPAGE a bien voulu rappeler constitue un
vrai problème. Quand quelqu'un mettra bout à bout le
problème de la constitutionnalité plus le problème de la
directive plus la demande sociale sur une qualité de l'eau, qui parfois
n'est pas parfaite, vous serez face à une difficulté juridique
qu'il faudra régler d'une manière plus brutale que celle que le
Gouvernement offre en ce moment.
Le troisième problème concerne l'agriculture. J'ai bien entendu
vos observations, mais vous confondez deux choses. Bien entendu, il faut
travailler à l'assiette fiscale par rapport à une taxation
agricole, et ce groupe de réflexion s'y consacre. Mais, cela n'a rien
à voir avec la manière de prélever la fiscalisation. Ce
groupe de travail reste utile car il n'a rien à voir avec la TGAP, qui
d'ailleurs ne sera effective qu'au budget de l'an 2000. Nous avons un an pour
nous concerter.
D'autre part, je reprends un propos de M. Ambroise GUELLEC. Je veux bien qu'on
dise qu'il y a eu un communiqué sur l'eau qui a dressé un certain
nombre de principes, et qu'au cours de l'été, en juillet, les
choses se sont faites en catimini, à l'ottomane. Mais la
vérité, dans ce débat, mérite d'être
rappelée. Je citerai quelques passages de ce texte : "Réforme des
agences de l'eau : avec les comités de bassin et les associations
d'élus, la ministre de l'Aménagement du Territoire et de
l'Environnement propose une réforme des redevances instituées par
la loi sur l'eau de 1964". C'était clair. "En matière de
redevance de pollution domestique, la réforme aura deux objectifs
principaux : une meilleure équité entre les redevables et une
meilleure cohérence entre les redevances et les unités
hydrographiques". Le Gouvernement n'a pris personne par surprise. Voilà
pour le rétablissement de la vérité.
Maintenant sur le fond, qui est le plus important, je crois que certains
très bons problèmes ont été posés. Je ne
rentrerai pas dans le débat juridique qu'ont soulevé
M. Patrick THIEFFRY et Mme Corinne LEPAGE, mais je rappellerai trois
choses : Mme Corinne LEPAGE sait aussi bien que moi que l'autonomie
financière a une jurisprudence considérable et qu'elle ne
provient pas simplement de la manière dont les ressources sont
collectées, mais surtout de la façon dont elles sont
administrées et redistribuées.
D'autre part, ce que la loi a fait, seule la loi peut le défaire. Et
nous sommes devant une loi de finances. Le problème juridique ne se pose
pas aussi clairement que vous le dites. Et quand vous parlez de la satisfaction
à nos obligations internationales, je vous dirai que pour l'instant, par
rapport à la qualité de l'eau, nous ne satisfaisons pas à
nos obligations internationales tant sur le plan européen que sur le
plan des conventions de l'ONU issues de Rio. Et si la France devait être
condamnée dans une juridiction internationale, nous n'aurions plus
aucune arme pour défendre notre point de vue par rapport à la
directive-cadre et l'objectif de 2010.
Pour terminer, encore trois points.
- Il faut qu'on approfondisse ensemble cette affaire de
péréquation. Nous n'y échapperons pas ni les uns ni les
autres. Et Monsieur le Président FRANCOIS-PONCET, Monsieur le Ministre,
vous avez cité d'une manière habile le fait que les pauvres ne
doivent pas payer pour les riches, mais dans le système actuel les
riches ne payent pas pour les pauvres, et c'est de cela dont il est question.
- Nous n'échapperons pas à une réflexion globale sur
l'évolution de l'environnement. Je suis d'accord avec Mme Corinne LEPAGE
quand elle dit que le financement de l'environnement s'est fait par petits pas,
et les petits pas ont été incarnés par les taxes
affectées. J'ai le souvenir moi-même d'avoir négocié
pied à pied l'ensemble des taxes de l'ADEME, et puis les taxes sur
l'eau, mais je crois que cette époque est heureusement
dépassée, avec un Gouvernement très engagé dans
l'environnement.
- Vous avez cité un mouvement européen avec la
réflexion actuelle en Allemagne. Elle se fait depuis longtemps dans les
pays scandinaves, elle commence à se faire en Italie, et vous avez un
mouvement global de fiscalisation, mais parce qu'aujourd'hui les
problèmes de l'environnement sont planétaires, et quand vous
traitez le problème de l'eau dans votre agence, vous participez à
un mouvement environnemental global dans lequel il faut que nous mettions
à niveau les instruments économiques nationaux.
C'est cela qui guide l'action du Gouvernement, en particulier dans cette
théorie du double dividende, qui n'a pas été
inventée seulement par M. Alain LIPIETZ, mais qui est une thèse
d'économistes de plus en plus reconnue et qui est celle sur laquelle
travaillent un certain nombre d'organisations internationales, qui ont fait
évoluer le droit de l'environnement.
Enfin, un mot de conclusion.
Vous avez trois scenarii. Il y a un mouvement de critiques et
d'incompréhension peut-être sur un certain nombre de choses. Il y
a également les réflexions d'un certain nombre de personnes qui
savent bien au fond d'elles-mêmes qu'il faut faire évoluer les
agences. Mme Corinne LEPAGE l'a dit d'ailleurs. Et si ce mouvement visait
à geler l'ensemble du système des agences pour des
intérêts qui ne sont pas forcément ceux de
l'intérêt général, je me permets de mettre en garde
tout le monde, l'Etat y compris, en tant que spécialiste de
l'environnement, sur le retard que nous prendrions.
Le système des agences de l'eau présente un danger qui vient du
problème de constitutionnalité, des "trous" sur le plan de la
qualité de l'eau, avec le problème agricole. Et je prends acte
avec plaisir du fait qu'aujourd'hui il y a un consensus sur le fait qu'il faut
traiter le problème des pollutions agricoles par rapport à l'eau,
et je prends donc acte de la satisfaction des élus concernant la
circulaire Voynet - Le Pensec.
Je pense que Mme Dominique VOYNET réfléchit à des
garanties plus importantes pour apaiser ce conflit sur l'avenir des taxes sur
l'eau dans le dispositif TGAP, et qu'elle fera des propositions dans ce
domaine. En tant que militante de l'environnement depuis longtemps, je dirais
que la demande sociale aujourd'hui a considérablement
évolué, et ce qu'il fallait sauvegarder comme acquis
environnementaux il y a 10 ans, avec des lois, des règlements, ou des
contreparties, aujourd'hui est sauvegardé par la demande sociale et la
vigilance du public.
Je ne voudrais pas que mon propos soit interprété par un "cela
suffit", mais je crois que nous sommes dans un contexte tout à fait
différent qui est à mettre d'ailleurs au crédit du monde
associatif et au crédit du monde des collectivités locales, dont
la prise de conscience a été importante ces dernières
années, et à mettre au crédit de tous les ministres de
l'environnement successifs qui ont su se battre pour arriver à cela.
Nous ne sommes plus à la même époque qu'en 1964.
CONCLUSION DU COLLOQUE
PAR M. JACQUES OUDIN
M.
Jacques OUDIN
. - Merci madame. Je conclurai ces propos en vous remerciant
tous et en vous disant que je me réjouis que nous ayons pris
l'initiative d'organiser une large consultation de la communauté
nationale de l'eau sur la réforme de la fiscalité
écologique. C'est la première réunion de ce genre depuis
l'annonce du projet de loi gouvernemental.
Les débats particulièrement vifs et fructueux que nous avons
engagés tout au cours de cette matinée montrent que ce sujet
présente un intérêt essentiel.
Premièrement, ce colloque a mis en lumière les atouts qui font la
force du système actuel des agences de l'eau :
• une gestion décentralisée par bassin hydrographique,
• une gestion démocratique au sein des comités de
bassin,
• une gestion autonome, avec une affectation des ressources aux
dépenses.
Ce dispositif a confirmé toute son efficacité comme en attestent
les progrès considérables qui ont été
réalisés en faveur de la politique nationale de l'eau, et sa
légitimité reconnue tant au niveau national, européen
qu'international.
Deuxièmement, cette manifestation a également montré que
le projet d'instauration de la TGAP suscite une grande méfiance, pour ne
pas dire une franche hostilité, de la part des acteurs de l'eau à
différents égards :
• vis-à-vis d'un centralisme étatique :
L'affectation du produit de la TGAP au budget de l'Etat tendant à lui
donner tout pouvoir de décision et de cogestion, remettrait en cause
l'action et le rôle tant des agences de l'eau que des comités de
bassin.
• vis-à-vis des engagements de l'Etat :
En 1997, le montant des redevances des six agences de l'eau s'est
élevé à plus de 10 milliards de francs. Or, la
pérennité des dotations budgétaires n'est pas
assurée en raison d'un déficit budgétaire de plus de
236 milliards en 1999. Compte-tenu des besoins à satisfaire dans le
domaine de l'eau, il est indispensable que des garanties réelles soient
données pour préserver l'efficacité de toute politique de
l'environnement.
• vis-à-vis du retour à l'eau des taxes
prélevées :
Le compte spécial du Trésor n'offre aucune garantie dans ce
domaine. Il n'est pas du tout certain que la TGAP serve exclusivement à
la protection de l'environnement.
Les expériences passées tant pour le Fonds national de
développement d'adduction d'eau que pour le Fonds d'investissement pour
les transports terrestres et les voies navigables illustrent quelles
utilisations de telles ressources peuvent être faites pour d'autres fins
que celles prévues initialement.
Ne faisons pas de l'environnement un sujet de discorde. Bien entendu, le
dispositif des agences est perfectible. Notre objectif est, tout en restant
mobilisés, de poursuivre nos réflexions pour proposer des pistes
d'amélioration qui viendront conforter le système existant.
Mais ne sacrifions pas un système dont les moyens de financement
permettent aux collectivités de réaliser efficacement leurs
investissements dans le domaine de l'eau, afin de répondre aux besoins
de nos concitoyens en matière de qualité de l'eau potable et
d'assainissement, et de satisfaire les exigences européennes toujours
plus contraignantes.
En aucun cas, nous ne souhaitons bouleverser un système mis en place
pendant des décennies par les lois de 1964 et 1992 au détour d'un
simple article de loi de Finances.
Vous trouverez le texte de la résolution qui vous présentera
notre position qui a par ailleurs été adoptée par la quasi
majorité des participants.
ANNEXE 1 :
SYNTHESE DES POSITIONS ADOPTEES PAR LA
MAJORITE DES PARTICIPANTS AU COLLOQUE
La
France s'est dotée, par deux lois fondamentales adoptées en 1964
et 1992, d'une politique de l'eau cohérente et efficace.
Les finalités de cette politique sont la préservation durable des
ressources, la protection des milieux naturels, la mise en valeur hydraulique
au bénéfice de tous les usages et la résorption des
pollutions que ceux-ci occasionnent.
Pour conforter la mise en oeuvre de l'appareil réglementaire ainsi que
l'exercice de la police des eaux, il est fait application de plusieurs
principes économiques :
- il s'agit essentiellement
du principe de responsabilité
(les principes pollueur-payeur et utilisateur-payeur), qui fait supporter
à l'auteur d'une pollution ou d'un prélèvement une charge
financière l'incitant à corriger son comportement tout en le
rapprochant des exigences réglementaires ;
- il s'agit également du
principe de solidarité
et
d'autonomie
(l'eau paye l'eau), qui affecte, sous le contrôle de
l'Etat, les sommes rassemblées au moyen de la taxation
précédente au financement d'ouvrages
hydrauliques : assainissement et épuration des eaux
usées, traitement et distribution de l'eau potable, entretien et
protection des cours d'eau, protection et captage des eaux souterraines ;
- il s'agit enfin du
principe d'unité d'action territoriale
décentralisée
(le bassin hydrographique comme unité de
gestion) et d'unité d'action temporelle (un programme d'intervention
financière défini sur cinq ans) que des assemblées
particulières, les Comités de bassin, mettent en oeuvre de
manière concertée.
Des administrations particulières, les Agences de l'eau, dotées
de l'autonomie financière, constituent le coeur de ce dispositif en
élaborant la politique de l'eau au niveau de chaque bassin, en incitant
les maîtres d'ouvrages publics et privés à rapprocher leurs
intérêts dans le domaine de l'eau, en assurant le suivi et le
contrôle des décisions mises en oeuvre. Le caractère
exemplaire de leur action durant les trente dernières années,
font que de nombreux pays s'inspirent désormais de ce modèle pour
organiser leur politique de l'eau.
Durant les douze derniers mois toutefois, le système français de
gestion des eaux subit des critiques répétées de la part
de certains centres de décisions publics.
En conséquence
, les participants à la réunion
organisée le 20 octobre 1998 au Sénat, sous la
présidence de la Commission des Affaires économiques et à
l'initiative du Président du groupe d'étude de l'Eau et du Cercle
français de l'Eau, et des Présidents des six comités de
bassin français (Adour-Garonne, Artois-Picardie, Loire-Bretagne,
Rhin-Meuse, Rhône-Méditerranée-Corse,
Seine-Normandie) :
Alertés par le projet d'adoption pour l'année 1999 d'une
Taxe Générale sur les Activités Polluantes (TGAP)
concernant l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie
(ADEME), qui a vocation à être élargie aux agences de l'eau
en 2000 ;
Faisant valoir que la budgétisation des ressources des Agences de
l'Eau à travers la mise en oeuvre de la fiscalité
écologique s'oppose par principe à toute affectation des
ressources et remet en cause fondamentalement le fonctionnement des agences de
l'eau. Le principe de cette fiscalité écologique permettra au
Ministère des Finances de percevoir les redevances pour pollution
rejetée, versées jusqu'alors aux agences de l'eau, sans en
affecter l'intégralité du produit à des actions concernant
la protection des eaux.
S'opposent à l'adoption d'un tel projet effectué de plus,
sans concertation, dans la hâte et l'improvisation.
Rappellent les progrès considérables que les organismes de
bassin ont permis d'accomplir depuis trente ans en matière de
démocratie locale de l'eau, en permettant la concertation entre
élus et usagers en présence de représentants de
l'Etat ;
Insistent sur le fait que ce modèle de bonne gouvernance est
cité comme référence d'organisation citoyenne dans le
monde entier, et qu'il est proposé comme modèle de gestion de
l'eau au niveau communautaire ;
Soulignent les résultats mesurables obtenus en matière de
forte réduction des pollutions industrielles, de gain de rendement des
ouvrages d'épuration, de montée en puissance des financements
consacrés à l'eau, d'innovations en matière d'organisation
et de participation (Schéma Directeur d'Aménagement et de Gestion
de l'Eau et Commissions Locales de l'Eau) ;
Soulignent l'incohérence qu'il y a entre les réformes
visant à une amélioration de ce dispositif, telles que
présentées par Mme la Ministre de l'Environnement et de
l'Aménagement du Territoire le 20 mai 1998, qui faisait suite
à une concertation avec les Comités de bassin qui les avaient
acceptées et le projet centralisateur, autocrate et régressif de
fiscalité écologique dont le but consiste à
détourner de leur objet les moyens financiers consacrés à
la protection de la nature et à sa mise en valeur ;
Demandent au Parlement :
de soutenir le dispositif actuel des Agences de l'eau,
financièrement autonomes, sous le contrôle de l'Etat, du Parlement
et des Comités de bassin, en mettant à l'étude les
éléments législatifs qui le conforteront,
de refuser en conséquence tout projet d'extension au domaine de
l'eau de la Taxe Générale sur les Activités Polluantes qui
ruinerait ce dispositif,
de favoriser la mise en oeuvre des réformes
préconisées par le Ministre de l'Environnement en mai dernier,
notamment en matière de simplification de la facture d'eau,
d'encourager le rétablissement d'un climat de confiance entre les
usagers de l'eau et les pouvoirs publics, nécessaire à la
crédibilité de l'Ecole Française de l'Eau à
l'échelle mondiale.
* *
*
Le
Parlement s'est prononcé avec toute la rigueur de ses débats par
deux fois en 1964 et 1992 en élaborant une loi sur l'eau avec des
principes directeurs.
Il serait anormal au détour d'une procédure fiscale, de mettre
ainsi fin à un système qui a été patiemment
élaboré et voté à l'unanimité par le
Parlement.
ANNEXE
2 :
EXTRAIT DU RAPPORT GENERAL
8(
*
)
SUR LE PROJET DE LOI DE FINANCES POUR
1999
ARTICLE 30
Taxe générale sur les
activités polluantes (TGAP)
Commentaire : le présent article prévoit
d'instituer,
à compter du 1
er
janvier 1999, au profit du budget de l'Etat,
une taxe générale sur les activités polluantes qui se
substituerait aux taxes affectées à l'ADEME et qui
préfigurerait la future écotaxe communautaire.
I - LA SITUATION ACTUELLE
A - LA FISCALITÉ DE L'ENVIRONNEMENT
1. Contexte général
De nombreuses études récentes
9(
*
)
montrent que l'introduction des
mécanismes de marché dans la politique de l'environnement,
notamment par l'institution de
taxes environnementales, ou
écotaxes
, constitue un levier plus efficace que des
réglementations contraignantes.
Les écotaxes, en modifiant les prix relatifs, obligent les producteurs
et les consommateurs à prendre en compte (à
" internaliser ") le coût de la pollution ou de certaines
autres externalités dans leurs décisions économiques.
Selon un rapport de l'OCDE
10(
*
)
,
il existe deux grandes approches des écotaxes selon les pays :
- la première consiste en l'introduction de nouvelles taxes au coup
par coup pour faire face aux problèmes d'environnement nouvellement
identifiés ou pour remplacer ou compléter les
réglementations existantes ;
- la seconde repose sur une restructuration globale du système
fiscal dans ce domaine.
2. La fiscalité de l'environnement en France
La France relève aujourd'hui de la première catégorie.
Cependant le présent article amorce une refonte de son système
fiscal environnemental.
Pendant longtemps, la France a privilégié la
réglementation sur la taxation. Toutefois, la fiscalité de
l'environnement y a connu un essor particulier depuis une dizaine
d'années, avec la création des nombreuses taxes visant à
limiter certaines émissions polluantes ou à financer des
politiques de dépollution.
Le dispositif comporte actuellement
environ 75 taxes
relativement
hétérogènes. Mme Nicole Bricq, dans l'introduction de son
rapport sur la fiscalité de l'environnement souligne que " les
réformes qui sont intervenues récemment se sont trop souvent
traduites par des mesures ponctuelles, sans cohérence
d'ensemble "
11(
*
)
.
B - LES TAXES AFFECTÉES À L'ADEME
Les taxes fiscales et parafiscales affectées à l'ADEME
constituent une partie de la fiscalité environnementale en France.
Il existe en effet aujourd'hui
cinq taxes affectées à l'Agence
de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)
et
dont l'objet est de taxer les émissions polluantes :
1- la taxe sur le stockage des déchets ménagers et
assimilés, instituée par l'article 7 de la loi du 13
février 1992 relative à l'élimination des déchets,
possède un caractère fiscal. Elle est acquittée par les
exploitants de décharges de déchets ménagers et
assimilés et son produit est destiné à soutenir le
développement de techniques de traitement innovantes, à financer
des investissements et à aider les communes d'accueil des nouvelles
installations ;
- la taxe sur les déchets industriels spéciaux,
instituée par la loi du 2 février 1995 relative au
renforcement de la protection de l'environnement, a également un
caractère fiscal. Elle est acquittée par les exploitants des
installations de traitement ou de stockage de déchets industriels
spéciaux et son produit est destiné à financer le
traitement et la réhabilitation des sites pollués
" orphelins "
12(
*
)
;
- la taxe parafiscale sur la pollution atmosphérique,
instituée par le
décret
n° 85-582 du 7 juin 1985, est
acquittée par les exploitants d'installations émettant certains
rejets dans l'atmosphère ; le produit de la taxe est affecté
à la surveillance de la qualité de l'air et au financement de
projets de lutte contre la pollution atmosphérique ;
- la taxe sur les nuisances sonores aéroportuaires,
instituée par la loi du 31 décembre 1992 relative à la
lutte contre le bruit, a un caractère fiscal. Elle est acquittée
par les compagnies aériennes utilisant les grands aérodromes et
son produit est destiné à aider les riverains de ces
aéroports à réaliser des travaux d'isolation
acoustique ;
- la taxe parafiscale sur les huiles de base,
instituée en
1986 et réformée par le décret du 31 août 1989 puis
par celui du 31 août 1994, est acquittée par les personnes mettant
sur le marché des huiles neuves ou
régénérées. Son produit est affecté au
financement de l'élimination ou de la régénération
des huiles usagées, à des actions de communication et à
des investissements pour la mise en place de points de collecte.
On peut donc distinguer :
1-
trois taxes de nature fiscale
: taxes sur l'élimination
et le stockage des déchets et taxe d'atténuation des nuisances
sonores aéroportuaires,
2-
et deux taxes parafiscales
: taxe sur la pollution de l'air et
taxe sur les huiles de base.
Produit des taxes affectées à l'ADEME : (en millions de francs)
Taxe |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
Taxe sur le traitement et le stockage des déchets ménagers |
395 |
420 |
690 |
770 |
875 |
1 337 |
Taxe sur le traitement et le stockage des déchets industriels spéciaux |
-- |
-- |
85 |
93 |
101 |
165 |
Taxe sur la pollution atmosphérique |
187 |
160 |
134 |
187 |
194 |
222 |
Taxe sur les nuisances sonores |
30 |
30 |
32 |
38 |
40 |
89 |
Taxe sur les huiles de base |
21 |
107 |
114 |
114 |
111 |
121 |
TOTAL |
633 |
717 |
1 055 |
1 202 |
1 322 |
1 935 |
C
- LE PRODUIT DE CES TAXES FINANCE l'ACTION DE l'ADEME
1. Présentation de l'ADEME
L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)
est un établissement public à caractère industriel et
commercial, placé sous la triple tutelle des ministères de
l'Environnement, de l'Industrie et de la Recherche. Elle a été
créée en 1990 par la fusion de trois organismes existant.
L'activité de l'ADEME vise à la maîtrise conjointe des
consommations d'énergie, de matières premières et des
pollutions.
2. Financement de l'ADEME
Le financement de l'ADEME est assuré :
- à plus de
70 % par les taxes fiscales et parafiscales
dont
l'Agence assure le recouvrement ainsi que la gestion ;
- et à moins de
30 % par des crédits d'origine
budgétaire
.
Depuis plusieurs années, une tendance à la
débudgétisation de l'ADEME était apparue, la part des
crédits budgétaires dans le financement de l'Agence se
réduisant au profit de celle des taxes affectées.
1- Budget d'intervention
: Les taxes affectées à
l'ADEME entrent pour une part croissante dans le budget d'intervention de
l'Agence, comme le montre le tableau ci-après :
Taxes et crédits budgétaires dans le budget d'intervention de l'ADEME : (en millions de francs)
|
Taxes (1) |
Crédits budgétaires (2) |
(1) + (2) |
Part des taxes dans (1) + (2) |
1993 |
286 |
826 |
1112 |
26 % |
1994 |
594 |
386 |
980 |
61 % |
1995 |
676 |
379 |
1055 |
64 % |
1996 |
984 |
356 |
1340 |
73 % |
1997 |
1116 |
411 |
1527 |
73 % |
2. Budget de fonctionnement : Le coût global de fonctionnement de l'ADEME s'élève à environ 300 millions de francs, couverts à 62 % par des crédits budgétaires versés par chaque ministère de tutelle, à 30 % par une part du produit des taxes affectées et à 8 % par des ressources propres.
Taxes et crédits budgétaires dans le budget de fonctionnement de l'ADEME : (en millions de francs)
|
Taxes (1) |
Crédits budgétaires (2) |
(1) + (2) |
Part des taxes dans (1) + (2) |
1993 |
31.5 |
230.6 |
262.1 |
12 % |
1994 |
39.2 |
224.7 |
263.9 |
15 % |
1995 |
41.2 |
227.4 |
268.5 |
15 % |
1996 |
71.2 |
210.5 |
281.7 |
25 % |
1997 |
85.7 |
201.2 |
287.0 |
30 % |
II -
LE PROJET DU GOUVERNEMENT
Le présent article prévoit d'instituer, à compter du
1
er
janvier 1999, au profit du budget de l'Etat, une
taxe
générale sur les activités polluantes (TGAP)
qui se
substituerait aux cinq taxes actuellement affectées à l'ADEME. La
création de la TGAP constitue la mesure phare de la politique fiscale de
l'environnement que souhaite engager le Gouvernement.
A - INSTAURATION D'UNE TAXE UNIQUE : LA TGAP
1. Les objectifs poursuivis
Deux raisons principales ont conduit le Gouvernement à proposer la
création de la TGAP :
1- d'une part,
moderniser, unifier et simplifier la fiscalité
pesant sur les activités polluantes
, considérant notamment
que l'existence des taxes multiples dans le domaine de la protection de
l'environnement ne favorise pas la lisibilité de la politique fiscale de
lutte contre les pollutions et occasionne souvent des difficultés de
gestion,
2- et d'autre part,
mettre en oeuvre de façon plus efficace le
principe " pollueur-payeur ".
En effet, jusqu'à
présent, le rendement des taxes était largement
déterminé par le coût des réparations des
pollutions ; désormais, la TGAP devrait permettre de dissuader les
pratiques polluantes et d'inciter à des comportements plus respectueux
de l'environnement
13(
*
)
.
2. La création de la TGAP
En conséquence, le présent article prévoit de
substituer une taxe unique, la TGAP, à l'ensemble des cinq taxes
existantes
présentées ci-dessus.
La TGAP ne serait donc pas un impôt supplémentaire
et cette
substitution se ferait à prélèvements globaux constants.
Contrairement à ces cinq taxes dont le produit est affecté
à l'ADEME, la TGAP serait un impôt d'Etat dont le produit
alimenterait le budget de l'Etat et qui relèverait donc de la
compétence législative.
•
Le paragraphe I
du présent article propose l'insertion de
six nouveaux articles dans le code des douanes (articles 266 sexies à
undecies du code général des douanes) :
1- l'article 266 sexies (nouveau) institue la TGAP et établit la liste
des redevables ;
2- l'article 266 septies (nouveau) précise le fait
générateur de la taxe ;
3- l'article 266 octies (nouveau) précise les éléments
sur lesquels la taxe est assise ;
4- l'article 266 nonies (nouveau) fixe le montant de la taxe ;
5- l'article 266 decies (nouveau) prévoit que certains assujettis
à la taxe sur les huiles de base ou à celle sur la pollution
atmosphérique peuvent obtenir le remboursement des sommes versées
ou une diminution des montants exigibles ;
6- l'article 266 undecies (nouveau) précise que la taxe est
" déclarée, contrôlée et recouvrée selon
les règles, garanties et sanctions prévues en matière de
douanes ".
Le tableau ci-après présente les principales
caractéristiques de la TGAP prévues dans ces nouveaux articles.
TGAP |
Redevables
|
Fait
générateur
|
Eléments sur lesquels la
taxe est assise
|
Montant (F/Tonne)
|
Déchets ménagers ou assimilés |
Tout exploitant d'une installation de stockage de déchets ménagers et assimilés. |
Réception de déchets par les exploitants mentionnés. |
Poids des déchets reçus par les exploitants mentionnés. |
1- déchets
réceptionnés dans une
installation de stockage de déchets ménagers et assimilés
: 60 F/tonne,
|
Déchets industriels spéciaux |
Tout exploitant d'une installation d'élimination de déchets industriels spéciaux par incinération co-incinération, stockage, traitement physico-chimique ou biologique non exclusivement utilisée pour les déchets que l'entreprise produit, à l'exception des installations d'élimination de déchets industriels spéciaux exclusivement affectées à la valorisation comme matière. |
Réception de déchets par les exploitants mentionnés. |
Poids des déchets reçus par les exploitants mentionnés. |
1- déchets
réceptionnés dans une
installation d'élimination de déchets industriels
spéciaux : 60 F/tonne,
|
Pollution atmosphérique |
Tout exploitant d'une installation soumise à autorisation au titre de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement dont la puissance thermique maximale lorsqu'il s'agit d'installations de combustion, la capacité lorsqu'il s'agit d'installations d'incinération d'ordures ménagères, ou le poids des substances mentionnées au 2 de l'article 266 septies émises en une année lorsque l'installation n'entre pas dans les catégories précédentes, dépassent certains seuils. |
Emission
dans l'atmosphère par les installations mentionnées :
|
Poids des substances émises dans l'atmosphère par les installations mentionnées. |
- oxydes de soufre et autres
composés soufrés :
180 F/tonne,
|
Nuisances sonores aéroportuaires |
Tout exploitant d'aéronefs ou, à défaut, leur propriétaire, à l'exception des aéronefs de masse maximale au décollage inférieure à deux tonnes et des aéronefs appartenant à l'Etat ou participant à des missions de protection civile ou de lutte contre l'incendie. |
Décollage d'aéronefs sur les aérodromes recevant du trafic public pour lesquels le nombre annuel des mouvements d'aéronefs de masse maximale au décollage supérieure ou égale à 20 tonnes est supérieur à 20.000. |
Logarithme décimal de la masse maximale au décollage des aéronefs mentionnés. Des coefficients de modulation prennent en compte dans un rapport de un à cinquante, l'heure du décollage et les caractéristiques acoustiques de l'appareil. |
- aérodromes du
groupe 1: 68 F/tonne
|
Huiles de base |
Toute personne qui effectue une première livraison après fabrication nationale ou qui livre sur le marché intérieur en cas d'acquisition intra-communautaire ou qui met à la consommation des lubrifiants susceptibles de produire des huiles usagées, ainsi que tout utilisateur d'huiles et préparations lubrifiantes, autres que celles visées ci-dessus produisant des huiles usagées dont le rejet dans le milieu naturel est interdit. |
Première livraison après fabrication nationale, livraison sur le marché intérieur en cas d'acquisition intra-communautaire ou mise à la consommation des lubrifiants mentionnés, utilisation des huiles et préparations lubrifiantes mentionnées. |
Poids net des lubrifiants, huiles et préparations lubrifiantes mentionnés. |
- lubrifiants huiles et préparations lubrifiantes : 200 F/tonne. |
La
substitution de la TGAP aux taxes affectées à l'ADEME est
l'occasion pour le Gouvernement de proposer
plusieurs modifications de
l'état du droit.
Notamment,
1- la taxe sur les déchets, qui était provisoire, serait
désormais pérenne ;
2- le taux des taxes sur le stockage des déchets augmenterait de
50 % : celle sur les déchets ménagers passerait de 40
à 60 francs par tonne et celle relative aux déchets
industriels spéciaux de 80 à 120 francs par tonne. Cette
augmentation devrait permettre de dégager des financements
supplémentaires (613,1 millions de francs) dont 500 millions de francs
seraient affectés à l'ADEME en vue de financer des actions de
maîtrise de l'énergie ;
3- les seuils à partir desquels les exploitants d'installations
classées soumises à autorisation sont assujettis à la taxe
sur la pollution atmosphérique ne seraient plus inscrits dans la
loi ; en outre, il ne serait plus fait référence aux
" poussières " dont le taux est toujours resté
fixé à zéro ;
4- l'assiette de la taxe sur les huiles de base, qui était
contestée, serait redéfinie : seraient désormais
concernées les personnes qui livrent ou mettent à la consommation
" des lubrifiants susceptibles de produire des huiles
usagées " ainsi que les personnes qui utilisent des huiles et des
préparations lubrifiantes " produisant des huiles usagées
dont le rejet dans le milieu naturel est interdit ".
• Le
paragraphe II
du présent article prévoit qu'un
décret en Conseil d'Etat fixera les modalités d'application de
ces articles 266 sexies à 266 undecies du code général des
douanes.
B
- CONSÉQUENCES POUR L'ADEME
1. Conséquences budgétaires
a) La compensation budgétaire
•
Le paragraphe IV
prévoit de mettre fin aux taxes sur les
déchets et à celle sur les nuisances sonores, qui, en tant que
taxes de nature fiscale, avaient une base législative
14(
*
)
. Les deux autres taxes sur la
pollution atmosphérique et les huiles de base, étant de nature
parafiscale, seront supprimées par décret.
La suppression de ces taxes affectées est synonyme pour l'ADEME de
perte d'autonomie financière.
En compensation de la suppression des cinq taxes parafiscales qui lui
étaient affectées, l'ADEME bénéficierait d'une
subvention annuelle
d'un montant égal au produit attendu de la
TGAP. Cette subvention serait inscrite au budget du ministère de
l'Environnement (et accessoirement, au budget de l'Industrie).
En particulier, pour 1999, l'ADEME recevrait au titre de cette compensation
1 935 millions de francs
, correspondant au produit des cinq taxes en
1999, inscrits :
1- pour 1 768 millions de francs, au budget de l'Environnement,
2- et pour 167 millions de francs, au budget de l'Industrie (au titre de sa
participation à la politique de relance de la maîtrise de
l'énergie).
3- L'augmentation de 46 % du produit par rapport aux taxes existantes,
principalement dû à la hausse du taux de la taxe sur les
déchets, devrait permettre de dégager des ressources
supplémentaires de l'ordre de 615 millions de francs. Sur cette
augmentation, 500 millions de francs seraient affectés à l'ADEME
afin de relancer ses actions dans le domaine de la maîtrise de
l'énergie et du développement des énergies
renouvelables
15(
*
)
.
b) Une contractualisation pluriannuelle
Afin de donner à l'ADEME une garantie pluriannuelle sur la
pérennité et le niveau de ses ressources, la définition de
la subvention annuelle se ferait dans le cadre de
contrats pluriannuels
conclus avec l'Etat
. Le premier d'entre eux devrait couvrir la
période 1999-2002.
2. Mesures transitoires
• Le
paragraphe III
du présent article prévoit de
confier à l'ADEME
le contrôle et le recouvrement de la
part de la TGAP assise,
- sur les déchets,
- sur la pollution atmosphérique,
- et sur les nuisances sonores aéroportuaires.
Il s'agit en fait des parts de la TGAP qui correspondent aux quatre taxes que
l'ADEME contrôle et recouvre actuellement
16(
*
)
.
Or, à partir du 1
er
janvier 1999, il ne s'agira plus de taxes
affectées à un établissement public, mais des composantes
d'un
impôt d'Etat
. Cette situation, où un EPIC
contrôlerait et recouvrirait un impôt d'Etat pour le compte de ce
dernier, est apparemment inédite et semble peu orthodoxe. Cette
dévolution de compétence
17(
*
)
à l'ADEME trouverait sa
justification, selon le Gouvernement, dans la continuité des pratiques
et sa garantie dans la tutelle étatique à laquelle est soumise
l'ADEME.
Les modalités pratiques de ces missions de contrôle et de
recouvrement devraient être précisées par le décret
en Conseil d'Etat prévu au paragraphe II sus-mentionné.
On peut se demander si ce dispositif est bien conforme à l'article 34 de
la Constitution qui prévoit que "
La loi fixe les règles
concernant (...) les modalités de recouvrement des impositions de toutes
natures
".
Il est toutefois prévu que la
direction générale des
douanes
se substitue progressivement à l'ADEME pour les fonctions de
gestion (assiette, réception des déclarations), de recouvrement
et de contrôle des différentes parts de la TGAP.
L'ADEME ne devrait contrôler et recouvrer ces taxes que pendant une
période transitoire. D'après les renseignements fournis à
votre rapporteur le passage de relais entre l'ADEME et la direction
générale des douanes devrait s'opérer avant le
1
er
janvier 2000.
•
Le paragraphe V
prévoit, afin d'éviter tout
contentieux, que l'ADEME pourra continuer de gérer les réserves
liées aux anciennes taxes de nature fiscale. En ce qui concerne les
taxes parafiscales, les dispositions nécessaires interviendront par
décret.
•
Le paragraphe VI
prévoit que l'ADEME reversera au
Trésor le produit des taxes de nature fiscale se rapportant à
l'exercice 1998, exigibles en 1999 et reçues à partir du
1
er
janvier 1999. En effet, dans le cas contraire, elle aurait
bénéficié en 1999 à la fois du produit des taxes et
des subventions budgétaires compensatrices. En ce qui concerne les taxes
parafiscales, les dispositions nécessaires interviendront par
décret.
C - CONSÉQUENCES POUR LE MINISTÈRE DE
L'ENVIRONNEMENT : UNE MONTÉE EN PUISSANCE
Cette opération de budgétisation du financement de l'ADEME
devrait renforcer le rôle du ministère de l'environnement.
- Au
plan budgétaire
, pour 1999, ses crédits
augmentent de plus de 100 % par rapport à 1998, en raison principalement
de la subvention nouvelle de 1.935 millions de francs versée à
l'ADEME au titre de la TGAP et à comparer avec un budget pour 1998 qui
s'établissait à moins de 1.900 millions de francs.
Impact de la TGAP sur le budget du ministère de l'environnement (crédits de paiement) (en millions de francs)
|
1998 |
1999 |
1999/1998 |
Hors TGAP |
1.899,5 |
2.179,8 |
280,3 (+ 15 %) |
Y compris TGAP |
1.899,5 |
3.947,8 |
2.048,3 (+ 108 %) |
- En ce qui concerne
l'orientation des actions de
l'ADEME
, le ministère aura également un rôle
renforcé.
Jusqu'à présent, l'Etat a inscrit ses perspectives et ses
programmes d'action dans le cadre du contrat d'objectifs 1995-1998 conclu avec
l'ADEME. Celui-ci fixe de manière précise les objectifs
assignés à l'agence par les pouvoirs publics et définit
treize " grands programmes " autour desquels celle-ci doit concentrer
ses moyens d'action.
Avec la création de la TGAP qui marquera la perte d'autonomie
financière de l'ADEME, le pouvoir d'orientation du ministère sur
cet établissement public s'accroîtra. L'ADEME apparaîtra
désormais comme un instrument du ministère de l'Environnement.
D - LE PROJET GOUVERNEMENTAL DE TGAP, UNE TAXE ÉVOLUTIVE
À VOCATION UNIVERSELLE
1. La TGAP et les taxes environnementales existantes
La TGAP a vocation à se substituer progressivement à l'ensemble
des prélèvements fiscaux et parafiscaux actuellement en vigueur
dans le domaine de l'environnement
et dont l'assiette est constituée
par des activités polluantes, l'émission, la production ou le
rejet de produits polluants.
Elle regrouperait, au sein d'un même instrument, les
prélèvements liés à la production de
déchets, à la pollution de l'air, de l'eau et aux nuisances
sonores. En particulier, elle aurait vocation à intégrer les
redevances relatives à la pollution de l'eau
en l'an 2000 en tant
que prélèvements assis sur des activités perturbatrices
des milieux aquatiques. Cette perspective soulève une tout autre
problématique :
elle porte en effet directement
atteinte
à l'organisation décentralisée du financement de la
politique de l'eau en France
. A cet égard, il convient de
présenter les arguments avancés par le Gouvernement sur ce sujet
(voir extrait ci-après).
Extrait d'un document du Ministère de l'environnement concernant
l'extension de la TGAP au domaine de l'eau :
La TGAP a une vocation universelle. Elle a donc vocation à s'appliquer
au domaine de l'eau. Les raisons en sont nombreuses :
• tout d'abord, les usages et activités polluantes, perturbatrices
de la ressources aquatique, rentrent incontestablement dans le champ de la
TGAP ;
• ensuite, malgré le travail considérable accompli par les
agences de l'eau depuis trente ans et reconnu comme tel au plan international,
le principe " pollueur-payeur " n'est pas encore d'application
parfaite ;
• enfin, la TGAP donnera une base légale aux accises.
La TGAP intégrera donc l'eau dès l'an 2000
. L'année
précédant cette évolution est mise à profit pour
organiser
les plus larges consultations sur les modalités de mise en
oeuvre.
Cette extension de la TGAP au domaine de l'eau
ne modifiera pas les missions
des agences
de l'eau et celles de leurs collaborateurs, ni les principes
originaux qui les régissent.
Ainsi, la gestion par bassin versant et la pérennité du
financement public de la politique de l'eau seront garanties tout en permettant
une meilleure péréquation entre bassins pour les missions
d'intérêt national et de solidarité.
De même, le caractère pluriannuel des programmes d'intervention
des agences de l'eau est confirmé. Il sera validé par le
Parlement dans une loi de programmation à partir du VIIIème
programme.
(...) En ce qui concerne les agences de l'eau,
leurs ressources vont
bénéficier d'une triple garantie :
• vote, par le Parlement, d'une loi de programmation définissant
les programmes d'intervention quinquennaux des agences, en recettes comme en
dépenses, conformément aux termes de la communication du 20 mai
1998 ;
• mise en place d'un compte spécial du Trésor (un compte
d'affectation spéciale) encaissant les produits de la TGAP
18(
*
)
;
• conclusion d'un contrat pluriannuel d'objectif avec chacune des
agences, garantissant la pérennité du financement et le niveau de
ce financement.
2. La TGAP et les futures taxes environnementales
Si de nouvelles taxes environnementales devaient être
créées, elles auraient également vocation à
être regroupées au sein de la TGAP
. En particulier,
- la future taxe sur les gaz à effet de serre,
- la future redevance de modification du régime des eaux (MRE),
- une taxe sur l'utilisation des engrais et produits phytosanitaires en
agriculture.
Un rapport du Conseil d'analyse économique
19(
*
)
estime qu'il existe un " gisement
d'écotaxes " en France dont le montant pourrait être compris
à terme entre 50 et 125 milliards de francs.
En outre, cette évolution
prépare la future
" écotaxe " européenne sur le carbone et
l'énergie
, actuellement en négociation sur le plan
communautaire.
III - LA POSITION DE VOTRE COMMISSION
A - LES TAXES AFFECTÉES NE SONT PAS TOTALEMENT SATISFAISANTES
Le principe de la TGAP semble répondre, a priori, à certaines
critiques qui visent le système actuel de fiscalité
écologique, notamment concernant les taxes affectées à
l'ADEME.
1. Un contrôle réduit du Parlement
Les taxes parafiscales
n'entrent pas dans la catégorie des
" impositions de toutes natures " qui relèvent, aux termes de
l'article 34, de la compétence du législateur. Elles se
distinguent des impôts par trois caractéristiques :
1- le caractère spécialisé de leur finalité
(intérêt économique ou social) ;
2- la nature de leur bénéficiaire (une personne morale de
droit public ou privé autre que l'Etat, les collectivités
territoriales et leurs établissements publics administratifs) ;
3- leur nature juridique :
Elles peuvent être instituées
par décret
20(
*
)
.
Toutefois, le Parlement doit, tous les ans en loi de finances, autoriser leur
maintien
21(
*
)
. La
compétence réglementaire en matière de taxes parafiscales
constitue donc une
dérogation importante au principe de la
légalité fiscale
.
Depuis une vingtaine d'années, la tendance est à la diminution du
nombre de taxes parafiscales (77 en 1981 ; 47 en 1999).
Au contraire, le régime des impôts relève
entièrement du législateur
en vertu de l'article 34 :
l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement relèvent de
la compétence législative et l'autorisation de percevoir les
impôts existants est donnée chaque année en loi de
finances
22(
*
)
.
La création d'un impôt d'Etat en lieu et place des taxes
affectées existantes raffermirait le contrôle parlementaire.
2. Une application peu efficace du principe payeur-polleur ?
Le système actuel, caractérisé par l'affectation des taxes
et l'utilisation de leur produit à des subventions en faveur de la
dépollution, ne semble pas permettre une application efficace du
principe " pollueur-payeur " pour trois raisons principales :
1- Le système en vigueur conduirait à dégager les
ressources suffisantes pour réparer les dommages causés par
chaque activité polluante ; mais il n'aurait pas pour objectif
réel d'éviter l'apparition de ces dommages.
2- En outre, le niveau des dépenses engagées par l'ADEME
dépendrait, pour chaque action, du niveau des ressources de la taxe
concernée et non d'une analyse fine des besoins réels.
3- Enfin, dans un tel système, les pollueurs achèteraient un
" droit à polluer " en payant leur taxe et
récupérer in fine leur mise par le biais des subventions à
la dépollution.
Une taxe générale ne prévoyant pas d'affectation
rigide des produits aux emplois aurait donc comme objectif d'améliorer
l'application du principe " payeur-pollueur ".
3. Une gestion rigide des crédits
Votre commission des finances faisait remarquer l'an dernier que " le
produit des taxes est parfois loin d'être entièrement
engagé, notamment en ce qui concerne les déchets ménagers
et les déchets industriels spéciaux. L'agence place ainsi cet
" excédent ", ce qui engendre d'importants produits
financiers "
23(
*
)
.
Réserves de l'ADEME au titre des taxes :
CP, en MF |
DMA |
DIS |
TANS |
TPPA |
TPHB |
Total |
Disponibilités au 31/12/98 |
1 812 |
209 |
110 |
445 |
2 |
2 578 |
Crédits affectés non engagés |
1 186 |
182 |
30 |
396 |
2 |
1 797 |
Trésorerie nette (crédits réellement disponibles) |
626 |
27 |
80 |
48 |
1 |
780 |
AP, en millions de francs |
DMA |
DIS |
TANS |
TPPA |
TPHB |
Total |
Ressources totales, dont : |
1 522 |
219 |
147 |
257 |
123 |
2 269 |
- produits de la taxe |
835 |
96 |
46 |
185 |
118 |
1 280 |
- reports 1996 sur 1997 |
616 |
120 |
99 |
31 |
5 |
871 |
- autres |
71 |
4 |
2 |
40 |
0 |
117 |
Engagements |
559 |
75 |
47 |
125 |
110 |
916 |
Reports |
964 |
144 |
100 |
132 |
14 |
1 353 |
Source : Direction du Budget
DMA : taxe sur les déchets ménagers et
assimilés ; DIS : taxe sur les déchets industriels
spéciaux ; TANS : taxe d'atténuation des nuisances
sonores ; TPPA : taxe parafiscale sur la pollution
atmosphérique ; TPHB : taxe parafiscale sur les huiles de base.
Avec la
création d'une taxe générale permettant la globalisation
des ressources, le poids relatif des différentes actions, qui
dépend aujourd'hui du poids respectif des produits des taxes, pourrait
être modifié dans le sens d'une plus grande efficacité.
L'équilibre entre recettes et dépenses n'ayant plus à
être réalisé au niveau de chaque type de pollution comme
aujourd'hui, le dispositif proposé serait susceptible de remédier
à ces rigidités.
B - LA TGAP EST-ELLE LA BONNE SOLUTION ?
Quels que peuvent être les avantages reconnus à l'instauration
d'une taxe générale, votre commission s'inquiète cependant
des risques et des incertitudes qui entourent l'actuel projet de TGAP.
1. Un risque de perte de ressources globales pour
l'environnement
a) Une " absorption " des crédits de l'Environnement par le budget de l'Etat
L'affectation actuelle des taxes de l'ADEME permet de garantir
la
pérennité de l'action menée dans un domaine
considéré, en particulier l'environnement. Or, en vertu de
l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959, une recette fiscale du budget
de l'Etat ne peut être affectée, même partiellement,
à une politique particulière.
En 1999, les dotations prévues pour chaque type d'actions de l'ADEME ne
seront que peu modifiées par rapport à 1998, mais rien ne permet
d'assurer que les hausses futures du produit de la TGAP correspondront à
des engagements du Gouvernement en matière environnementale.
Le
risque d'une banalisation de la TGAP
comme recette fiscale
ordinaire ne doit pas être négligé :
il
n'existerait donc plus de garantie que les ressources de l'environnement
bénéficient à l'environnement
.
b) Les crédits de l'ADEME soumis à la régulation budgétaire
Il faut également souligner que la budgétisation du financement de l'ADEME suppose que ses crédits pourront faire l'objet de régulations budgétaires en cours d'année, en dépit des engagements pluriannuels que pourrait prendre l'Etat quant à la pérennité et le niveau des ressources de l'Agence.
c) La fin de l'approche contractuelle en matière environnementale
La
suppression des taxes affectées mettra fin aux activités
des
comités de gestion dans lesquels sont présents les industriels -
" payeurs "
, et qui affectent, décident et examinent les
projets.
L'ADEME devrait cependant mettre en place de nouvelles instances de
concertation afin d'associer, par secteur d'activité, les
représentants des secteurs concernés à la mise en oeuvre
de ses actions.
Il demeure que
l'implication des " payeurs " dans la gestion du
système sera moins forte
. Or, les industriels avaient
été incités à accentuer leur effort en faveur de la
dépollution par le corollaire du " pollueur-payeur "
qu'était le " dépollueur -
bénéfiaire d'aides ". Ce lien ne va pas
disparaître, mais la déconnection entre le produit de la TGAP et
les ressources de l'ADEME pour subventionner les investissements de
dépollution risque de
supprimer la notion de " juste
retour "
qui avait incité l'industrie à se conformer aux
règles environnementales et, bien souvent, à aller au-delà
du strict respect de la réglementation. Il faut rappeler que
l'attribution de l'aide produit un
effet de levier
: les
investissements réalisés grâce à elle sont d'un
montant en général 4 fois supérieur à l'aide
initiale et dépassent souvent les prescriptions réglementaires.
2. La TGAP : le risque d'une " machine à taxer "
L'instauration de la TGAP risque de faciliter la multiplication et
l'alourdissement des impôts sur les activités polluantes.
1- En effet, une décision de hausse de la TGAP, impôt
" écologique ", serait favorablement perçue par
l'opinion publique, alors que l'objectif de cette augmentation des taux ne
serait pas forcément l'amélioration de l'environnement mais
l'augmentation des recettes de l'Etat.
2- Le même risque pèse en matière d'élargissement
de l'assiette de cette taxe
générale
. En outre, la notion
d' " activités polluantes " semble pouvoir être
étendue à volonté.
Enfin, il ne faut pas oublier que la TGAP risque de se traduire par une
augmentation des charges
(hausse de la taxe, diminution des subvention
aux investissements) pour certains secteurs, et notamment les industries
lourdes très capitalistiques.
3. L'opposition de principe à l'intégration des redevances de
l'eau
Enfin, votre commission tient à rappeler
son opposition de principe
à toute intégration des redevances des agences de l'eau
dans
une taxe générale.
Tout d'abord il lui paraît indispensable de
préserver
l'originalité du système des agences et des comités de
bassin
, dont l'efficacité et la légitimité sont
reconnues au niveau européenne et international.
En outre, la perspective d'une intégration des redevances dans la
TGAP
porte directement
atteinte à l'organisation
décentralisée du financement de la politique de l'eau en France
et fait peser le risque d'une
recentralisation au détriment des
compétences des collectivités locales.
Enfin, il convient de rappeler que l'intégration des redevances de l'eau
portera sur un
montant d'environ 10 milliards de francs
24(
*
)
, alors que l'intégration
projetée des taxes affectées à l'ADEME ne
représente " que " 1,9 milliard de francs.
L'Assemblée nationale a adopté cet article modifié par
deux amendements rédactionnels et deux amendements de précision.
Décision de la commission : votre commission vous propose de
supprimer cet article.
ANNEXE 3
:
EXAMEN DE L'ARTICLE 30 PAR LE SÉNAT
(SÉANCE
PUBLIQUE DU 25 NOVEMBRE 1998)
Sur
l'article, la parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau
- Monsieur le président, monsieur le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, par cet article, il nous
est proposé de procéder à une modification sensible de la
législation en matière de fiscalité environnementale.
Il s'agit, en effet, de mettre en place une taxe générale sur les
activités polluantes, la TGAP, destinée à permettre de
financer le budget de l'Agence de l'environnement et pour la maîtrise de
l'énergie, l'ADEME, au travers d'une dotation budgétaire et non
plus au travers de la perception de taxes affectées, instituées
au fil des différentes lois " environnementales " dont nous avons
débattu ces dernières années.
Cet article tend donc notamment à mettre en place une fiscalité
proche de ce qu'elle devrait être dans quelques années, dans le
cadre de l'harmonisation des fiscalités de différents pays de
l'Union européenne.
Sur le fond, la TGAP présente cependant la particularité
d'être une stricte application du principe pollueur-payeur, qui a, entre
autres, pour conséquences celle de reporter sur le consommateur final le
poids réel de la taxe ; il s'agit là du mécanisme que nous
connaissons avec la TVA.
On peut concevoir que la lutte contre la pollution et pour la protection de
l'environnement et des sites naturels aient besoin de moyens financiers
adaptés, eu égard aux enjeux. Pour autant, les seules voies
à retenir doivent-elles être celles de la fiscalité
indirecte, qui tend à dédouaner de leurs responsabilités
les véritables pollueurs ?
Il est d'ailleurs préoccupant, de notre point de vue, que la mise en
place de la TGAP ouvre la voie à une rebudgétisation massive d'un
certain nombre de recettes destinées à la protection de
l'environnement, et singulièrement celles qui permettent le
fonctionnement des agences de l'eau.
Les documents budgétaires font apparaître que le produit attendu
de la taxe générale se révèle supérieur au
montant de la dotation versée à l'ADEME, ce qui n'est pas tout
à fait rassurant au regard des perspectives réelles de
financement des actions à venir en faveur de la protection de
l'environnement.
Le développement de l'action publique pour la protection de
l'environnement impose manifestement d'autres mesures que celle qui consiste
à unifier le régime fiscal des ressources de l'ADEME.
Les débats sur le taux de TVA affectant la collecte et le traitement des
déchets ou encore les réseaux de chaleur ont été
très révélateurs à cet égard.
Nous ne voterons donc pas cet article du projet de loi, mais nous nous
abstiendrons, pour des raisons que chacun comprendra, sur les amendements de
suppression.
M. le président -
La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin -
J'ai l'impression que nous serons nombreux à
être du même avis sur cet article, car la création de cette
TGAP n'est pas une bonne chose.
Quatre grands principes se trouvent véritablement bafoués, et
d'abord un principe de droit.
Pour lutter contre les pollutions, le Parlement a voté un certain nombre
de lois : concernant l'ADEME, trois lois, auxquelles s'ajoutent deux
décrets ; s'agissant de la politique de l'eau, deux lois, qui ont
été votées à la quasi-unanimité, en 1964 et
en 1992.
Et voilà que, par ce simple article d'une loi de finances, la
totalité de la structure du dispositif que le Parlement a mis des mois
à élaborer va disparaître ! Je tenais à le souligner.
Deuxième principe également foulé au pied : le
principe pollueur-payeur. Le système des taxes est tel que le pollueur
paie à concurrence des quantités qu'il pollue. Quoi qu'on en
dise, la taxe générale des activités polluantes
entraîne une rupture de ce lien.
Troisième principe mis à mal : le principe d'efficacité.
En effet, notre droit actuel permet d'affecter des recettes à un
organisme de désigner un organe de décision chargé de
l'affectation de ces recettes en vue d'actions déterminées. C'est
cela qu'a voulu le Parlement.
Enfin, quatrième principe mis en cause : celui de l'affectation des
ressources collectées à un objectif précis.
Quels objectifs vise, en l'occurrence, le Gouvernement ?
Il s'agit d'abord, comme l'a dit fort justement Mme Beaudeau, d'une
budgétisation de l'ensemble des ressources. Celle-ci se traduira par une
centralisation, alors que, depuis trente ans, nous affirmons la plus grande
efficacité de la décentralisation.
Mais le Gouvernement a un deuxième objectif encore plus dangereux :
la dilution des ressources.
Auparavant, on collectait 100 pour affecter 100 à la lutte contre les
pollutions. Désormais, on va collecter 150, mais on n'affectera pas 150
à la lutte contre les pollutions. Il s'agit de la mise en oeuvre de la
théorie, totalement absurde à mes yeux, du deuxième
dividende. On prend sur ceux qui polluent pour affecter à des actions
qui n'ont plus rien à voir ou qui n'ont qu'un lointain rapport avec la
pollution. On dilue les ressources dans la dilution des actions.
Le troisième objectif est de surtaxer. D'ailleurs, Mme Beaudeau l'a bien
dit : l'ADEME aura plus de ressources. Mais ce n'est pas tout ! Avec une taxe
générale sur les activités polluantes - lisez l'excellent
rapport établi par M. le rapporteur général, au nom de la
commission des finances - il y a là, comme on dit, un gisement potentiel
de taxation considérable. Je me demande comment nous allons pouvoir
respecter les critères de Maastricht.
Le Gouvernement nous dit que nous aurons des garanties en contrepartie. Aucune
des garanties qu'il nous propose n'est sérieuse. Elles sont toutes
illusoires !
On nous dit qu'une loi de programmation sera votée par le Parlement.
Nous connaissons le sort qui est réservé aux lois de
programmation, n'est-ce pas, monsieur le spécialiste des lois de
programmation militaire ! (M. Jacques Oudin s'adresse à M. Serge
Pinçon).
On nous dit qu'il y aura un compte spécial du Trésor. Bien
entendu, aucun des organismes spécialisés dans la lutte contre la
pollution n'aura un droit de regard sur la gestion de ce compte spécial
du Trésor, pas plus d'ailleurs que le Parlement, alors que nous
pouvions, au contraire, contrôler l'efficacité et la
réalité de l'action des organismes.
Enfin, on nous dit que nous aurons des contrats pluriannuels. Au moment
où nous négocions des contrats entre l'Etat et la région,
cette référence ne peut que nous faire sourire.
Bref, au-delà de la mise à mal du système de l'ADEME,
c'est toute la politique de l'eau qui sera remise en cause, ce qui est encore
plus grave.
Cette politique de l'eau est fondée sur trois principes essentiels : une
gestion par bassin, une gestion autonome et l'affectation des ressources
à des dépenses.
Il n'y aura plus ni autonomie ni affectation. Il n'y aura bientôt plus
que des services extérieurs du ministère de l'environnement qui
seront les agences de bassin vidées de leur structure et de leurs
possibilités d'actions.
Bref, nous nous dirigeons vers une boulimie financière de l'Etat face
à tous les secteurs qui peuvent encore fonctionner parce qu'ils
s'autofinancent.
En France, deux secteurs investissent efficacement des milliards de francs : il
s'agit du secteur des autoroutes et de celui de l'eau. Pour mettre la main sur
ce que j'appelle ces deux grands " magots ", l'année dernière,
l'Etat avait inventé " Routes de France ". Cet organisme était
chargé de collecter l'ensemble des recettes des péages des
autoroutes pour les affecter à un compte plus important, où les
recettes budgétaires - au demeurant en diminution - auraient
été regroupées pour mener une vaste politique
routière, laquelle aurait tué la politique autoroutière.
Nous assistons là au même phénomène. On met la main
sur les 12 milliards de francs des redevances des agences de bassin, non pas
pour conduire la politique de l'eau mise en place par le Parlement au travers
des lois de 1964 et 1992, mais pour mener une politique de l'environnement dite
durable qui, en fait, n'aura pour effet que de mettre à mal l'ensemble
de l'action que nous avons voulu engager depuis trente ans pour lutter contre
les pollutions et pour mener une bonne politique de l'eau. (Très bien !
et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président -
La parole est à M. Bizet.
M. Jean Bizet -
Monsieur le président, monsieur le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mon analyse est identique
à celle des deux précédents intervenants.
Conformément au souhait de la commission des affaires économiques
et du Plan, émis le 12 novembre dernier, j'interviens aujourd'hui pour
faire état de son avis défavorable sur la création de la
taxe générale sur les activités polluantes.
En effet, trop d'incertitudes et d'inquiétudes sont liées
à la mise en oeuvre de cette taxe.
Tout d'abord, à l'inverse de la plupart des taxes environnementales
existantes, le calcul de cette taxe est totalement déconnecté du
coût de la prévention ou des réparations des atteintes
à l'environnement. Cette déconnexion voulue par le Gouvernement
remet en cause la pérennité des crédits affectés
à la lutte contre la pollution.
Ensuite, cette taxe remet en question le processus de gestion
décentralisée de l'environnement. S'agissant de l'eau en
particulier, cette taxe met fin à un dispositif partenarial et autonome
qui associe les élus, les usagers et les acteurs économiques
responsables des pollutions émises et qui sert, en fait, de
modèle pour le projet de directive cadre de l'eau.
Enfin, la théorie du " double dividende " de cette taxe est peu
pertinente, puisque l'obtention du premier dividende, à savoir dissuader
les pollueurs au travers d'un " signal prix fort " pour reprendre les termes
mêmes de Mme la ministre, empêche l'obtention du second, à
savoir l'allégement du volet fiscal qui pèse sur le travail
grâce aux recettes engendrées par les écotaxes.
En effet, notamment dans le domaine de l'eau, cette taxe, pour remplir son
rôle dissuasif, va se traduire par une hausse du prix à la
consommation, en particulier sur les produits de base. De surcroît, si
des hausses salariales viennent compenser cette perte de pouvoir d'achat, cela
annulera alors les effets espérés du second dividende, à
savoir la baisse des charges fiscales et sociales sur le travail.
M. Jacques Oudin -
Et cela n'a rien à voir avec la pollution !
M. Jean Bizet -
Tout à fait !
Pour toutes ces raisons et parce que trop de taxes écologiques tuent la
protection de l'environnement, je soutiens, au nom de la commission des
affaires économiques et du Plan, l'amendement de suppression de la
commission des finances. (Très bien ! et applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président -
La parole est à M. Calméjane.
M. Robert Calméjane -
Monsieur le président, monsieur le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la France s'est
dotée, par deux lois fondamentales votées en 1964 et en 1992,
d'une politique de l'eau cohérente et efficace. Les finalités de
cette politique sont la préservation durable des ressources, la
protection des milieux naturels, la mise en valeur hydraulique au
bénéfice de tous les usagers et la résorption des
pollutions que ceux-ci occasionnent.
Il est fait application de plusieurs principes.
Tout d'abord, le principe de responsabilité fait supporter à
l'auteur d'une pollution ou d'un prélèvement une charge
financière l'incitant à corriger son comportement, tout en le
rapprochant des exigences réglementaires.
Ensuite, le principe de solidarité et d'autonomie affecte, sous le
contrôle de l'Etat, les sommes perçues au titre de la taxe au
financement d'ouvrages hydrauliques : assainissement et épuration des
eaux usées, traitement et distribution d'eau potable, entretien et
protection des cours d'eau, protection et captage des eaux souterraines.
Enfin, le principe d'unité d'action territoriale
décentralisée et d'unité d'action temporelle est mis en
oeuvre par les comités de bassins de manière concertée.
L'article 30 marque un changement de politique fondamental : le produit des
taxes et redevances actuelles n'est plus affecté.
A terme, non seulement les taxes actuellement perçues par l'ADEME, mais
aussi, dès l'an 2000, l'ensemble des redevances pollution des six
agences de l'eau seraient intégrées à la TGAP.
Cette façon de procéder, mise au point, encore une fois, sans
concertation, sous couvert de l'instauration d'une future taxe
européenne, dont on ne sait rien aujourd'hui, tend à supprimer
l'effort de décentralisation réalisé par les gouvernements
précédents. Le fait même d'utiliser la loi de finances pour
engager cette réforme fondamentale permet d'éviter un
débat sur le fond avec les élus de la nation.
L'adoption de cet article 30 aurait pour résultat d'annuler non
seulement le travail patient ainsi mené depuis trente ans, mais aussi de
placer les collectivités locales dans l'incertitude quant au financement
des mises en conformité de leurs équipements selon les normes
européennes d'ici à 2005.
La logique unificatrice, et donc centralisatrice, qui est à l'origine de
la création de la TGAP, c'est que l'eau serait traitée de la
même façon d'ici à l'an 2000. Or, ce qui fait la force du
système actuel, c'est justement son action permanente en faveur de
l'environnement, en impliquant, par la concertation, tous les acteurs
concernés, et en permettant à la fois une grande
efficacité financière et une meilleure rentabilité sociale.
Demain, si l'article 30 est voté, les produits des taxes seront
reversés à l'Etat, qui en disposera selon ses besoins du moment.
Ne remettons pas en cause, mes chers collègues, ce modèle de
bonne gestion qui est cité dans le monde entier comme la
référence d'organisation citoyenne et qui est proposé
comme modèle de gestion de l'eau à l'échelon communautaire.
Refusons donc, comme le propose M. le rapporteur général, dont je
salue l'excellent travail, de nous engager dans cette voie aventureuse.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que
sur certaines travées du RDSE).
M. le président -
La parole est à M. Miquel.
M. Gérard Miquel -
Monsieur le président, monsieur le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la taxe
générale sur les activités polluantes constitue l'une des
innovations majeures de cette loi de finances. La TGAP rompt avec la logique
qui prévalait jusqu'alors en matière de fiscalité
environnementale. En effet, la fiscalité actuellement en vigueur est
fondée sur des taxes fiscales ou parafiscales affectées. Selon le
principe pollueur-payeur, les pollueurs doivent participer au financement de la
réparation des dommages occasionnés par les pollutions qu'ils ont
émises.
Ce système de l'affectation de la taxe est, en apparence, un bon
système. Néanmoins, il comporte des effets pervers : il
dénature quelque peu le principe de pollueur-payeur, en permettant au
pollueur d'assimiler le paiement de cette taxe à un "droit à
polluer ". En un mot, il n'encourage pas les comportements " vertueux ".
La taxe générale sur les activités polluantes vise
à éviter cette dérive et à redonner toute sa force
au principe de pollueur-payeur, en déconnectant le niveau de la taxe des
montants nécessaires à la réparation des dommages. Bref,
il s'agit d'en faire une taxe incitative.
Le premier dividende de cette taxe est donc écologique : la taxe doit
agir comme un signal-prix renchérissant les comportements jugés
à risque pour l'environnement.
Cette taxe est amenée à évoluer. Elle est universelle.
Elle s'appliquera, à terme, à l'ensemble des activités
polluantes. J'ai, à ce propos, un regret à formuler.
L'instauration de la TGAP est l'occasion de revoir la taxe sur les
déchets. Compte tenu des nouvelles orientations du Gouvernement en ce
domaine, il m'aurait semblé utile de taxer le stockage interne des
déchets industriels et, en revanche, de ne pas augmenter le taux du
stockage des déchets ultimes. Cette mesure aurait été
moins pénalisante pour les collectivités locales qui
accomplissent des efforts en ce domaine. J'aimerais, sur ce point, avoir l'avis
du Gouvernement.
En dépit de nombreux avantages, la création de cette taxe est
contestée par la commission des finances. La commission craint une
mainmise de l'Etat sur le produit de la TGAP, une banalisation de cette taxe
qui, traitée comme une recette ordinaire, servirait à financer
non plus les actions en faveur de l'environnement, mais simplement à
abonder le budget de l'Etat.
Cette crainte n'est pas infondée. Néanmoins, le Gouvernement
s'est engagé à mettre en place des garde-fous : d'une part, les
produits de la TGAP seront encaissés sur un compte d'affectation
spéciale ; d'autre part, l'Etat s'engage à pérenniser le
financement des agences qui interviennent dans les domaines de l'environnement
- agences de l'eau, ADEME - par la signature d'un contrat d'objectifs
pluriannuel.
Enfin, je dirai que, le meilleur garde-fou, c'est la volonté du
Gouvernement de prendre à bras le corps les questions environnementales,
pour promouvoir un développement durable, créateur d'emplois.
Sur ce point, le projet de loi de finances est exemplaire : en 1999, les
crédits en faveur de l'environnement augmenteront de 110 % grâce
à la TGAP et de 16 % hors TGAP ; 140 emplois et 8 000 emplois-jeunes
seront créés au service de l'environnement.
Dès lors, j'avoue ne pas comprendre la position de la commission qui,
d'un côté, craint, à terme, une perte de ressources
globales pour l'environnement et, de l'autre, propose de supprimer non
seulement la TGAP, mais également les crédits destinés
à financer de nouveaux emplois dans le domaine de l'environnement.
L'autre critique porte sur l'intégration des redevances de l'eau en 2000
dans la TGAP. La majorité sénatoriale en fait une opposition de
principe, subodorant là une atteinte à la décentralisation.
Là encore, le Gouvernement a été clair. Il ne s'agit
nullement de remettre en cause les fondements du système français
de l'eau : gestion décentralisée par bassin versant et autonomie
des acteurs de bassin. La ministre de l'environnement l'a
réaffirmé : " Je ne souhaite pas la recentralisation des agences
de l'eau. Je souhaite que, gérant des sommes très importantes -
12 milliards de francs -, les agences de l'eau soient le plus efficace
possible. "
Il lui paraît, en revanche, essentiel d'associer le Parlement à la
définition de la politique de l'eau, qu'il fixe le cadre dans lequel
seront définies des redevances, et qu'il valide les programmes
pluriannuels d'action des agences.
Quoi de plus normal, mes chers collègues ! N'est-ce pas au Parlement de
voter l'impôt et de contrôler l'usage qu'on en fait ?
Or le système n'est pas exempt de critiques : complexité,
opacité des modes de calcul des redevances, manque de qualité,
pollutions persistantes, prix trop élevé... Le Commissariat
général du plan et la Cour des comptes ont mis en lumière
ces dysfonctionnements.
L'eau est une ressource rare ; elle appartient à notre patrimoine
national. Justice et démocratie sont les maîtres mots qui guident
l'action du Gouvernement en ce domaine.
Le groupe socialiste ne votera pas l'amendement de suppression de la taxe
générale sur les activités polluantes.
M. le président -
Je suis saisi de quatre amendements qui peuvent
faire l'objet d'une discussion commune.
Les trois premiers sont identiques.
L'amendement n° I-38 est présenté par M. Marini, au nom de
la commission des finances.
L'amendement n° I-68 est déposé par MM. Richert,
Hérisson, Lorrain et les membres du groupe de l'Union centriste.
L'amendement n° I-205 est présenté par M. Bizet et les
membres du groupe du Rassemblement pour la République.
Tous trois tendent à supprimer cet article.
Par amendement n° I-251, MM. Mauroy, Allouche, Mme Derycke et les membres
du groupe socialiste et apparentés proposent de compléter le
texte présenté par le I de l'article 30 pour l'article 266 nonies
du code des douanes, par un alinéa ainsi rédigé :
" La majoration prévue pour la taxe sur les déchets
ménagers ne s'applique pas pour les collectivités locales qui
ayant fermé leur usine d'incinération pour les mettre aux normes
sont obligées temporairement de déposer leurs déchets en
décharge. "
La parole est à M. le rapporteur général, pour
défendre l'amendement n° I-38.
M. Philippe Marini
, rapporteur général - Après ces
excellents exposés, ma tâche sera facile. Je voudrais rappeler, en
quelques mots, les différents risques que recèle le dispositif
qui nous est présenté.
Il s'agit, d'abord, du risque de pertes de ressources globales pour
l'environnement ; ensuite du risque de créer une nouvelle machine
à taxer ; enfin du risque de dilution du système des redevances
de l'eau, auquel nous sommes pourtant attachés.
Voyons d'abord le risque de pertes de ressources globales pour l'environnement.
En premier lieu, des crédits spécifiques consacrés
à l'environnement et financés par les différentes taxes,
risquent d'être absorbés par le budget de l'Etat. Actuellement,
les taxes sont affectées à l'ADEME, ce qui permet de garantir le
pérennité de son action.
Il est clair que nous allons assister à une banalisation, la TGAP
devenant une recette fiscale ordinaire. Certes, un mécanisme
d'affectation au sein d'un compte spécial du Trésor sera
prévu - M. Loridant aura le plaisir d'en rapporter un de plus ; il doit
y en avoir déjà quarante-trois - mais il est possible que les
ressources tirées de taxes relatives à l'environnement servent
une autre cause. C'est le fameux " second dividende " qui a été
évoqué, non pas seulement par notre collègue M. Jacques
Oudin, mais aussi par un certain nombre de responsables proches du Gouvernement
qui nous ont beaucoup inquiétés.
En deuxième lieu, compte tenu de la budgétisation du financement
de l'ADEME, ses crédits pourront subir, le cas échéant,
les régulations budgétaires qui ne s'appliquaient pas jusqu'ici
aux ressources issues des différentes taxes.
En troisième lieu, il était un principe tout à fait
responsabilisant et mobilisateur, celui de l'implication des payeurs dans la
gestion du système. Or il semble bien que l'on veuille atténuer
les effets de cette approche judicieusement contractuelle.
Mais j'en viens au deuxième risque : la taxe générale sur
les activités polluantes pourrait devenir une véritable machine
à taxer. Large assiette, faible taux, c'est la porte ouverte à
toutes les tentations des ministres du budget. Pourront-ils y résister ?
Au surplus, une hausse de la TGAP, impôt qualifié
d'écologique, sera favorablement perçue par l'opinion publique,
alors que l'objet de cette augmentation des taux ne sera pas forcément
l'amélioration de l'environnement mais peut-être plutôt
l'amélioration des ressources budgétaires de l'Etat !
Le même risque est encouru en matière d'élargissement de
l'assiette de la taxe générale sur les activités
polluantes, la notion d'activités polluantes pouvant, à la
limite, être étendue à volonté. Dans ces conditions,
la création de la TGAP peut se traduire par une augmentation des
dépenses que viendrait financer la ressource ainsi facilement
perçue et facilement majorée.
J'en viens, en troisième lieu, au risque de dilution. Nous sommes
très inquiets, monsieur le secrétaire d'Etat, quant au devenir du
système de financement des agences de l'eau. Un grand nombre de
sénateurs, dont nous sommes, sont opposés au principe d'une
intégration des redevances de l'eau dans une taxe
générale, estimant qu'il s'agirait là d'une
recentralisation. Or il faut préserver l'originalité du
système des agences de l'eau et des comités de bassin. En
conséquence, la création de la taxe générale sur
les activités polluantes donne un signal dans le mauvais sens et fait
peser un risque grave pour l'avenir.
Voilà pourquoi la commission, à partir de l'analyse qu'elle en a
faite et après avoir écouté un certain nombre de
spécialistes, estime devoir proposer la suppression de l'article 30.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président -
La parole est à M. Badré, pour
défendre l'amendement n° I-68.
M. Denis Badré -
Je considère qu'il a été
défendu.
M. le président -
La parole est à M. Bizet, pour
défendre l'amendement n° I-205.
M. Jean Bizet -
Je considère également que cet amendement
a été défendu.
M. le président -
La parole est à M. Miquel, pour
défendre l'amendement n° I-251.
M. Gérard Miquel -
Cet amendement vise à ne pas appliquer
l'augmentation de la taxe sur les déchets ménagers aux
collectivités locales qui ont été amenées à
fermer leur usine d'incinération pour les mettre aux normes et qui sont
provisoirement obligées de déposer leurs déchets en
décharge. Afin de ne pas pénaliser ces collectivités qui
subissent des surcoûts de traitement liés à ce dispositif,
il est proposé de maintenir la taxe à 40 francs, au lieu de la
passer à 60 francs.
M. Gérard Braun -
C'est moins cher en décharge !
M. le président -
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini
, rapporteur général - La commission,
qui a bien pris en compte la suggestion du groupe socialiste,
préfère toutefois son amendement de suppression. Mais elle sera
intéressée par l'avis du Gouvernement.
M. le président -
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter
, secrétaire d'Etat - Mesdames, messieurs les
sénateurs, dans la plupart de vos interventions, vous avez
formulé des craintes sur l'avenir des agences de l'eau. Mais elles ne
sont pas concernées par ce projet de loi de finances !
Notre responsabilité est de débattre de ce qui est dans la loi de
finances et non de ce qui pourrait y être.
Il n'est pas question, dans le projet de loi de finances qui vous est soumis,
de toucher en quoi que ce soit aux agences de l'eau.
M. Jacques Oudin -
Ne dites pas cela ! Ce n'est pas vrai !
M. Christian Sautter
, secrétaire d'Etat - Ce n'est pas dans le
texte.
M. Jacques Oudin -
Mme Voynet a dit le contraire !
M. Christian Sautter
, secrétaire d'Etat - Mme Voynet, mon
estimable collègue, ministre de l'aménagement du territoire et de
l'environnement, a engagé une concertation.
M. Jacques Oudin -
Justement !
M. Christian Sautter
, secrétaire d'Etat - Et parce que cette
concertation commence, son résultat ne peut pas figurer dans le projet
de loi que vous êtes en train de discuter.
M. Jacques Oudin -
On verra !
M. Christian Sautter
, secrétaire d'Etat - Pour imiter M. le
rapporteur général des finances, je dirai que, après le
riche exposé de M. Miquel, ma tâche sera facile ! Il est vrai que
Mme Voynet entend réfléchir à l'avenir des agences de
bassin, non pour les remettre en cause en leur principe mais pour instituer en
la matière plus de transparence - en matière d'eau, c'est la
moindre des choses - (Sourires) et aussi associer le Parlement à la
définition des grandes orientations des politiques de l'eau. Qu'y a-t-il
à redire à cela ? Nous aurons peut-être l'occasion d'en
reparler d'ici un an. Mais, pour l'instant, le Gouvernement est dans une phase
de dialogue, d'écoute et pas du tout de décision. Vous pouvez
nourrir des craintes pour l'avenir, c'est votre droit, c'est peut-être
aussi votre tempérament, mais ce n'est pas l'objet du débat
d'aujourd'hui.
Monsieur le rapporteur général, il y avait des taxes
affectées. Il y a maintenant une seule taxe. Certes, le Gouvernement a
supprimé cinq taxes, mais cette simplification devrait vous
réjouir, car ces taxes ne vont pas se dissiper dans je ne sais quels
sables administratifs. Elles vont être entièrement
affectées à l'ADEME dont le budget, ainsi que M. Miquel l'a dit,
passera de 1,3 milliard de francs à 1,9 milliard de francs, sans compter
la taxe générale sur les activités polluantes. Il est donc
clair que le Gouvernement entend consacrer à la dissuasion de la
pollution et à la réparation des dégâts qu'elle
occasionne des moyens financiers accrus.
Quel est l'intérêt de la confluence de ces taxes ? Auparavant, une
taxe sur le bruit ne pouvait financer que des actions sur le bruit. De
même, une taxe sur l'eau polluée ne pouvait financer que des
travaux de propreté dans le domaine de l'eau.
Désormais, dans le cadre d'un contrat pluriannuel passé entre
l'Etat et l'ADEME, contrat dont le Parlement sera évidemment
informé, il y aura, à partir d'une ressource globale, une
stratégie d'ensemble de lutte contre la pollution.
Monsieur le rapporteur général, vous dites : " large assiette,
faible taux ". Je vous ai entendu, antérieurement, énoncer ce
principe presque avec des sanglots dans la voix. Je pensais donc que vous
auriez félicité le Gouvernement mais, évidemment, avec
votre tempérament pessimiste, vous y avez vu l'amorce de je ne sais
quelle machine à taxer. Il n'y a pas de " machination " dans le projet
gouvernemental !
En somme, pour faire simple, le projet du Gouvernement est un bon projet.
M. Alain Lambert
, président de la commission des finances - Cela
n'apparaît pas !
M. Christian Sautter
, secrétaire d'Etat - Chacun y voit ce qu'il
veut. Il est le début d'un processus dans lequel la nation et le
Parlement, évidemment, engageront une action résolue contre la
pollution pour que notre société évolue dans un
environnement plus propre.
Je ne parlerai pas de la pollution dans les grandes villes. En la
matière, des initiatives ont été prises avant ce
gouvernement et d'autres le seront après. Ce qui est proposé va
tout à fait dans le bon sens.
L'amendement n° I-251 de M. Miquel revient à opérer une
distinction entre les centres d'incinération et les décharges.
Je comprends la motivation de cet amendement, mais son adoption serait source
de difficultés pratiques de contrôle et de recouvrement et
constituerait, malgré tout, une entorse au principe
d'égalité.
Donc, tout en comprenant le message que vous voulez adresser, et que je
transmettrai à l'ensemble du Gouvernement, Monsieur Miquel, je ne crois
pas que l'amendement tel qu'il est rédigé, soit le plus
approprié, raison pour laquelle je vous demande de le retirer.
M. le président -
Je vais mettre aux voix les amendements
identiques n°s I-38, I-68 et I-205.
M. Jacques Oudin -
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président -
La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin
- Le Parlement a adopté trois lois : la loi du
13 février 1992 sur le stockage des déchets ménagers et
assimilés ; la loi du 2 février 1995 sur les déchets
industriels spéciaux ; la loi du 31 décembre 1992 relative
à la lutte contre le bruit, textes adoptés quelles que soient les
majorités, vous l'aurez remarqué. Et, chaque fois, le Parlement -
il l'a fait dans d'autres domaines - a retenu la solution de l'affectation des
ressources à un organisme spécialisé dans la lutte contre
la nuisance ou la pollution considérée comme gage de la plus
grande efficacité.
C'est un principe qui a régi notre droit de l'environnement pendant
trente ans. De même que, pendant trente ans, nous avons construit des
autoroutes.
M. Alain Lambert
, président de la commission des finances - Pas
assez !
M. Jacques Oudin
- Maintenant, vous changez les principes et, de
surcroît, vous voulez stopper la construction des autoroutes. C'est votre
droit, forcément. Comme l'a dit un jour Mme la ministre de
l'aménagement du territoire et de l'environnement, la nation a
changé de majorité, c'est bien pour changer de politique. Dont
acte ! Mais vous ne nous en voudrez pas de penser qu'une politique qui avait eu
une certaine efficacité pouvait bien continuer.
M. Marc Massion -
Ce sont les Français qui n'en veulent plus !
M. Jacques Oudin -
Quant à dire qu'il n'est pas question
d'étendre cette taxe à l'eau, monsieur le secrétaire
d'Etat, vous pourriez témoigner plus de considération pour le
Parlement. Enfin, ce n'est pas possible ! Mme la ministre a elle-même
annoncé que cette taxe - " taxe générale " sur les
activités polluantes - allait s'appliquer à l'eau. Elle a
commencé les consultations. Elle a d'ailleurs dû reculer
voilà deux jours.
J'ai moi-même réuni dans cette maison les représentants de
la communauté nationale de l'eau ; les représentants de toutes
les agences et de tous les organismes qui s'occupent de l'eau étaient
présents. Eh bien ! à part les quelques auteurs du projet, tout
le monde était contre. En effet, les mesures que vous nous proposez vont
à l'encontre de tous les principes que nous avons mis des années
à mettre en oeuvre.
Quand je pense que vous souhaitez affecter à un budget de l'Etat qui
supporte 236 milliards de francs de déficit des recettes à
hauteur de quelques dizaines de milliards de francs en espérant qu'elles
repartiront toutes vers la même destination, alors que le fondement
même de la théorie du deuxième dividende est qu'une partie
des recettes doit être dissociée de l'objectif de lutte contre les
pollutions, je considère que vous prenez vraiment les parlementaires
pour des naïfs !
Dans ces conditions, je pense que notre devoir, en la matière, est de
refuser une orientation de cette nature, car elle va contre l'environnement,
contre la politique que nous avons menée depuis trente ans, et elle ne
vous permettra certainement pas d'atteindre les objectifs que vous dites
vouloir atteindre. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union
centriste et des Républicains et Indépendants. - M. le
président de la commission des finances et M. le rapporteur
général applaudissent également.)
M. Jean-Philippe Lachenaud -
Je demande la parole pour explication de
vote.
M. le président -
La parole est à M. Lachenaud.
M. Jean-Philippe Lachenaud
- Il y a effectivement un mystère,
monsieur le secrétaire d'Etat ! La semaine dernière, nous avons
lu - et nous croyions que le Gouvernement était unanime et solidaire -
que Mme Voynet commençait à comprendre qu'une TGAP
intégrant des redevances sur l'eau constituait une erreur.
C'est effectivement une erreur, une erreur qui a entraîné la
protestation de toutes les agences de bassin. Dois-je vous rappeler que le
directeur de l'agence de bassin Normandie - Région parisienne, l'une des
plus importantes agences, a démissionné ?
M. Jacques Oudin -
Il a été renvoyé !
M. Jean-Philippe Lachenaud -
En effet, mon cher collègue !
Alors que le système des agences de bassin est un système
décentralisé, on a l'impression qu'à la différence
d'Alexis de Tocqueville, qui disait qu'une démocratie est riche de ses
corps intermédiaires, vous êtes gêné, monsieur le
secrétaire d'Etat, par tous les corps intermédiaires
décentralisés et dotés de ressources autonomes. Il vous
faut centraliser, il vous faut étatiser !
Lorsque nous l'avons auditionnée, Mme Voynet ne s'en est pas
cachée, au demeurant, en réclamant plus de fonctionnaires, plus
de centralisation pour la politique de l'eau et la politique de
l'environnement. Ce n'est pas ainsi que nous mènerons une politique de
l'environnement efficace !
Nous sommes très déçus par la manière dont s'engage
la réforme de la fiscalité écologique. Franchement, je
crois qu'il aurait mieux valu constituer un groupe de travail, y faire
participer des élus, des industriels, des membres du Sénat et de
l'Assemblée nationale, pour essayer de dégager les vraies pistes
d'une fiscalité écologique.
Vous ne nous avez en tout cas absolument pas convaincus en disant que les
redevances sur l'eau n'étaient pas intégrées.
C'est la raison pour laquelle nous voterons l'amendement de suppression
présenté par M. le rapporteur général.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste. - M. le président
de la commission des finances et M. le rapporteur général
applaudissent également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s I-38, I-68 et I-205,
repoussés par le Gouvernement.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président
- En conséquence, l'article 30 est
supprimé et l'amendement n° I-251 n'a plus d'objet.