N° 112

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès verbal de la séance du 10 décembre 1998.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1)

sur
l'avenir des agences de l'eau,

Par M. Jean FRANÇOIS-PONCET,

Sénateur.

Rapport établi par le groupe d'études sur l'eau (2),

sous la présidence de M. Jacques OUDIN,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean François-Poncet, président ; Philippe François, Jean Huchon, Jean-François Le Grand, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Marc Pastor, Pierre Lefebvre, vice-présidents ; Georges Berchet, Jean-Paul Emorine, Léon Fatous, Louis Moinard, secrétaires ; Louis Althapé, Pierre André, Philippe Arnaud, Mme Janine Bardou, MM. Bernard Barraux, Michel Bécot, Jacques Bellanger, Jean Besson, Jean Bizet, Marcel Bony, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Dominique Braye, Gérard César, Marcel-Pierre Cleach, Gérard Cornu, Roland Courtaud, Désiré Debavelaere, Gérard Delfau, Marcel Deneux, Rodolphe Désiré, Michel Doublet, Xavier Dugoin, Bernard Dussaut , Jean-Paul Emin, André Ferrand, Hilaire Flandre, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Serge Godard, Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Anne Heinis, MM. Pierre Hérisson, Rémi Herment, Bernard Joly, Alain Journet, Gérard Larcher, Patrick Lassourd, Edmond Lauret, Gérard Le Cam, André Lejeune, Guy Lemaire, Kléber Malécot, Louis Mercier, Bernard Murat, Paul Natali, Jean Pépin, Daniel Percheron, Bernard Piras, Jean-Pierre Plancade, Ladislas Poniatowski, Paul Raoult, Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Henri Revol, Roger Rinchet, Jean-Jacques Robert, Josselin de Rohan, Raymond Soucaret, Michel Souplet, Mme Odette Terrade, MM. Michel Teston, Pierre-Yvon Trémel, Henri Weber.

(2) Ce groupe d'études est composé de : MM. Jacques Oudin, président ; Jean-Paul Amoudry, Denis Badré, José Balarello, Mme Janine Bardou, MM. Jean Bernard, James Bordas, Joël Bourdin, Auguste Cazalet, Gérard César, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Désiré Debavelaere, Luc Dejoie, Michel Doublet, Alain Dufaut, Ambroise Dupont, Hubert Durand-Chastel, Jean-Paul Emorine, Paul Girod, Pierre Hérisson, Rémi Herment, Jean Huchon, Pierre Jeambrun, André Jourdain, Jean-François Le Grand, Roland du Luart, Paul Masson, Louis Mercier, Louis Moinard, Lucien Neuwirth, Jean Puech, Mme Odette Terrade, MM. François Trucy, Jacques Valade.

Eau.

AVANT-PROPOS DE M. JACQUES OUDIN,
SÉNATEUR DE LA VENDÉE,
PRESIDENT DU GROUPE SÉNATORIAL D'ÉTUDES SUR L'EAU,
PRÉSIDENT DU CERCLE FRANÇAIS DE L'EAU

M. Jacques OUDIN . - Au nom du Président du Sénat et de M. Jean FRANCOIS-PONCET, Président de la Commission des affaires économiques et du plan de cette assemblée, et en tant que Président du groupe d'études sur l'eau, je suis heureux de vous accueillir pour débattre d'un sujet qui suscite autant d'inquiétudes, pose de vrais problèmes et soulève de multiples interrogations. Il s'agit de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) dont le principe semble acquis, mais dont les modalités ne sont pas encore complètement arrêtées, notamment concernant l'inclusion dans son domaine de compétence du secteur de l'eau.

Bâtir une oeuvre est toujours un travail de longue haleine, mais si pierre par pierre on construit une maison, un séisme peut détruire l'édifice en très peu de temps.

L'affluence que nous constatons aujourd'hui dans cette salle, avec plus de 300 participants, montre que ce sujet est d'un intérêt capital et qu'il vous préoccupe. C'est la première grande réunion de concertation sur cette question, alors même que l'annonce en a été faite par le Gouvernement de façon un peu hâtive au tout début de la trêve estivale.

L'eau est la vie comme le disait le Président de la République lors de l'ouverture de la conférence internationale sur l'eau en mars dernier à l'UNESCO, l'eau dont les Français ont fait une de leurs priorités s'agissant de sa qualité et de l'efficacité des mesures de lutte contre les pollutions. C'est un véritable sujet de société car chacun consomme de l'eau, mais ce faisant, chacun la pollue à sa manière. C'est un domaine dans lequel le Parlement s'est beaucoup investi. La loi de 1964 et la loi de 1992 ont été votées à l'unanimité après de très longs débats dans les deux chambres. Il est donc normal que cette réunion ait lieu au Sénat, qui est à la fois la Haute Assemblée, la maison des collectivités territoriales, mais aussi un lieu de réflexion sur les grands programmes d'aménagement public. C'est dans ce cadre que travaille le Groupe d'études sur l'eau en liaison avec le Cercle français de l'eau.

Rapidement je formulerai quatre constats, je dénoncerai une menace et je préciserai six orientations pour préserver le dispositif actuel des Agences de l'eau qui n'a pas vocation à demeurer statique et qui doit toujours évoluer pour être plus performant.

Premier constat : notre droit de l'eau est fondé sur trois principes , les trois piliers de l'efficacité qui ont fait du système français un modèle, dont s'inspirent nombre de pays étrangers.

•  Tout d'abord, la gestion par bassin qui est forcément déconcentrée. Ce sont six bassins qui constituent ce premier pilier.

•  Deuxièmement, la gestion démocratique avec l'ensemble des élus, des usagers, des représentants de l'administration et de l'Etat au sein d'un comité de bassin qui a une vue globale, opérationnelle, territoriale, de ses ambitions, de ses moyens et de ses devoirs.

•  Troisièmement, l'affectation des ressources prélevées sur les usagers aux dépenses dans le domaine de l'eau pour remédier et faire face aux problèmes qui existent dans chacun des bassins.

Ce sont les trois grands principes qui fondent notre droit de l'eau, sur lesquels en 20 ans nous avons forgé une doctrine efficace que beaucoup d'ailleurs nous envient.

Deuxième constat : un effort volontariste d'investissement qui a été tout à fait considérable au cours des dernières années. Il y a 10 ans, au cours du V ème programme, 40 milliards de francs d'investissement étaient prévus sur cinq ans dans le domaine de l'eau : un effort rendu nécessaire après le bilan pessimiste réalisé lors des premières journées nationales de l'eau de mai 1990, les assises de l'eau, et la forte émotion ressentie dans les campagnes après les périodes de sécheresse.

Puis, vient le VI ème programme : 80 milliards de francs d'investissement prévus, en fait réalisé à 90 milliards de francs. Et là, nous passons au VII ème programme avec une ambition qui finalement est fixée à un niveau moyen de 105 milliards de francs, c'est-à-dire 21 milliards par an. La ligne de conduite adoptée fut de stabiliser le niveau des redevances atteint au cours de la dernière année du programme passé.

Avec un montant d'investissement passant en 10 ans, de 8 à 21 milliards de francs par an, nous en arrivons au troisième constat.

Troisième constat : la bataille de l'eau peut être gagnée en 10 ans . Cette bataille de l'eau sera gagnée tant dans le domaine de l'assainissement que de l'eau potable, mais à deux conditions essentielles : que les redevances restent au même niveau, et que l'argent de l'eau aille bien à l'eau et pas ailleurs.

Quatrième constat : le modèle français est reconnu pour sa qualité et il est transposable. Il suffit de lire la directive-cadre de l'Union européenne et ce qui a été dit à la conférence internationale de l'eau, en mars dernier à Paris, pour voir que tous les analystes admettent que c'est sur ces principes que la politique de l'eau, quels que soient les pays et les contextes, devrait se fédérer et s'organiser.

Mais à partir d'un constat qu'on peut estimer satisfaisant, plane ce que certains estiment être une menace. En effet, c'est au moment où nous semblons rencontrer le succès et presque la consécration que la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) voit le jour. Est-ce une bonne idée ? Est-ce un danger ? Est-ce une menace ? Chacun s'expliquera ce matin. La parole sera offerte à tous.

J'y vois personnellement, peut-être, trois dangers.

Premier danger : si les redevances de l'eau sont incluses complètement dans la TGAP, est-il intéressant, souhaitable, raisonnable de faire transiter par le budget de l'Etat , dont le déficit s'élève à 236 milliards de francs, quelques 10-12 milliards de francs de redevances ? C'est la certitude que les milliards qui arriveront ne retourneront pas de façon identique à la politique de l'eau. Le système de dérivation et de fuite financière que nous connaissons bien à travers le budget de l'Etat fonctionnera à plein. L'argent de l'eau ne retournera plus à l'eau. C'est une quasi-certitude.

Deuxième danger : l'ossature des agences . Ce qui structure nos agences et ce qui les rend autonomes, c'est bien entendu leur autofinancement. Briser l'ossature, n'est-ce pas vider la structure de sa substance ?

Troisième menace : le travail parlementaire que nous avons effectué dans nos assemblées respectives, et moi-même ici depuis 12 ans, nous amène, chaque fois que nous avons à débattre à l'occasion de la loi de finances, par exemple de l'ajustement à la marge de la redevance pour le FNDAE, à nous heurter systématiquement au ministère des Finances qui refuse toute augmentation et estime qu'il y a déjà suffisamment d'argent qui va à l'eau dans ce domaine. Je vous encourage à relire les débats parlementaires, ils sont à cet égard particulièrement instructifs et édifiants. Est-il souhaitable d'aller dans cette direction en ce qui concerne l'ensemble des ressources des agences ? Ma réponse personnelle est non !

Est-ce à dire pour autant que le fonctionnement des agences est exempt de critiques ou d'améliorations ? Sûrement pas. Ne soyons ni statiques ni conservateurs en la matière, mais nous pensons que ce n'est pas en brisant un système qui a fait ses preuves que l'on obtiendra de meilleurs résultats. C'est en proposant des améliorations que nous rendrions ce dispositif plus performant et plus efficace.

Alors pour compléter ce propos, et pour aller au-delà de certaines des propositions du Gouvernement actuel, j'ai retenu six axes de réflexion que je vous énonce rapidement.

- Une meilleure coordination à l'évidence avec le Parlement et avec le Haut Comité de l'eau.

- Une nécessaire clarification du mode de calcul des redevances, et de la police de l'eau, à propos desquelles trop de zones d'ombre demeurent.

- Une meilleure contractualisation avec les professions - l'agriculture en particulier - ainsi qu'avec les collectivités territoriales.

- Une meilleure information sur la qualité de l'eau, quelle qu'elle soit, et notamment sur son bon usage ; un meilleur usage des réseaux de mesure dont je ne pense pas que l'efficacité soit à la hauteur de nos ambitions.

- Une incitation financière mieux ciblée dans le cadre des programmes élaborés au sein des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE). J'ai coutume de dire que le SAGE doit être à la loi sur l'eau ce que le plan d'occupation des sols est à la loi sur l'urbanisme, c'est-à-dire l'outil opérationnel de l'action sur le terrain.

- Une nécessaire adaptation des réponses à donner pour des cas spécifiques de pollution, comme par exemple la pollution des eaux pluviales.

Voilà quelques orientations sur des enjeux que nous devons tenter de résoudre.

Depuis des années, nous avons bâti un système de l'eau qui semble évoluer dans le bon sens. Les agences ont réussi territorialement, elles sont acceptées, admises par leurs partenaires et les collectivités, dont elles sont des partenaires efficaces. Si des réformes doivent intervenir, parlons-en sérieusement, longuement, positivement, mais surtout pas au détour d'un simple article d'une loi de finances. Je crois que c'est le plus mauvais sort que l'on réserverait à la démocratie et à la politique de l'eau.

(Applaudissements).

INTRODUCTION PAR M. JEAN FRANÇOIS-PONCET, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES DU SÉNAT, PRÉSIDENT DU COMITÉ DE BASSIN ADOUR-GARONNE

M. Jean FRANCOIS-PONCET . - Je voudrais vous dire combien nous sommes heureux de vous recevoir ici au Sénat pour débattre d'un très grand sujet, puisqu'il s'agit de la politique française de l'eau et de son avenir. Avec le sénateur Jacques OUDIN, nous avons pris l'initiative d'inviter tous ceux qui, en France, sont les acteurs de la politique de l'eau, qu'il s'agisse des administrations -en commençant par le cabinet du ministre de l'environnement et le cabinet du Premier ministre, qui sera représenté- ou des autres autorités qui, au plan national et sur le terrain, suivent ces questions.

Ce débat s'inscrit dans un contexte créé par deux séries d'annonces : l'annonce en Conseil des Ministres, le 20 mai dernier, par Madame la ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement, d'une réforme des agences de l'eau et, d'autre part, l'annonce, le 22 juillet dernier, par elle-même et par le ministre des Finances, de la création par la loi de finances pour 1999 d'une taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), affectée au budget de l'Etat, appelée à regrouper et à intégrer l'ensemble des taxes et impôts perçus au titre des déchets, des nuisances sonores ou des pollutions atmosphériques, y compris -mais à partir du 1er janvier 2000 seulement- les redevances des agences de bassin.

La première réforme, proposée le 20 mai, a suscité beaucoup d'intérêt et, je crois, un débat très constructif. Après tout, chacun admet volontiers qu'après 34 ans d'existence, une institution relève d'une évaluation, d'un examen critique et, si nécessaire, de réformes.

Il en va autrement de la deuxième annonce, celle de la TGAP. L'intégration des redevances des agences de l'eau dans un impôt national perçu par l'Etat a en effet suscité une très vive émotion, et c'est bien entendu cette deuxième annonce, la TGAP, qui va retenir l'essentiel de notre débat. Il ne s'agit pas pour moi de préjuger de ses conclusions ; mais pour l'introduire, je rappellerai les principes sur lesquels le système actuel est fondé, et ensuite j'évoquerai des questions, que nous nous posons, d'une manière que certains jugeront peut-être provocante.

Pour présenter la politique française de l'eau, je voudrais mettre en évidence sept principes.

Premièrement, le bassin . La politique de l'eau est conduite dans un cadre géographique bien déterminé qui est celui des six grands bassins hydrographiques français, ce qui lui permet d'être adaptée aux réalités spécifiques de chaque zone.

Deuxièmement, les redevances . La politique de l'eau est financée exclusivement par des redevances acquittées, dans le cadre de chaque bassin, par toutes les activités qui polluent, selon le principe " pollueur-payeur ", et par tous ceux qui utilisent l'eau.

Troisièmement, dépollution et ressource. Les disponibilités des agences servent à co-financer les actions de dépollution conduites par les collectivités ou par le secteur privé, à préserver et à réhabiliter les milieux aquatiques - à commencer par les rivières -, et à développer la ressource en eau là où elle est jugée insuffisante.

Quatrièmement, la mutualisation . Les agences ne perçoivent pas de subventions de l'Etat, mais elles fonctionnent comme des mutuelles dont les recettes et les dépenses s'équilibrent dans le cadre de chaque bassin. La solidarité, et non pas le " juste retour ", constitue la règle à l'intérieur de chaque bassin.

Cinquièmement, l'autonomie . Les agences sont des établissements publics gérés par des comités de bassin et des conseils d'administration. Les comités de bassin, qu'on appelle souvent " Petits Parlements de l'eau ", sont composés de représentants de tous les utilisateurs, collectivités, associations, notamment protectrices de l'environnement, agriculteurs, industriels, EDF, pêcheurs, et j'en oublie. Ils fixent les redevances à percevoir, élisent leur président, désignent les membres du Conseil d'Administration et émettent des avis. Le Conseil d'Administration, quant à lui, décide de l'utilisation des fonds.

Sixièmement, la tutelle . Les agences de l'eau sont des établissements publics, mais exercent leur activité sous le contrôle de l'Etat, qui nomme les présidents des conseils d'administration et le directeur de l'agence qui est à la tête de l'administration. Les directeurs sont en liaison permanente avec la direction de l'eau du ministère de l'Environnement.

Septièmement, l'application de la loi sur l'eau . Les agences sont le bras armé de la loi sur l'eau. Ce sont les agences qui arrêtent les SDAGE 1( * ) et qui aident les collectivités territoriales dans la mise en oeuvre des SAGE 2( * ) . Agences de bassin et loi sur l'eau sont indissociables.

Quelles questions la TGAP pose-t-elle ?

1/ Le système des agences a-t-il ou non, en trois décennies, donné satisfaction ? A-t-il atteint ses objectifs ? La pollution a-t-elle cessé de progresser ? A-t-elle régressé ?

2/ En budgétisant les redevances, la TGAP met-elle ou non fondamentalement en cause le système établi en substituant à son assise régionale actuelle, qui est le bassin, le cadre national, en supprimant sa philosophie mutualiste et en mettant en cause son autonomie de gestion ?

3/ En modifiant le financement de la politique de l'eau mis en place 15 ans avant les lois de décentralisation de 1981-82, la TGAP constitue-t-elle ou non un retour en arrière vers plus de centralisation ?

4/ Quatrième question, centrale et qui comporte des sous-questions : l'association du principe pollueur-payeur et du principe de solidarité mutualiste est-elle par essence perverse ?

Si je pose cette question, c'est parce que certains théoriciens affirment que oui. Peut-on, comme ils le suggèrent, en dissociant ces deux principes, bénéficier d'un double dividende que je vois miroiter à l'horizon et dont la question est de savoir si c'est un mirage ou non ? Selon ce que j'ai cru comprendre, le premier dividende suppose que le prélèvement acquitté par le pollueur, s'il est assez élevé, suffit à lui seul à l'inciter à corriger son comportement polluant. D'où un deuxième dividende, puisque les recettes ainsi collectées permettront de créer des emplois, soit directement, soit indirectement, en supprimant ou en allégeant d'autres prélèvements assis sur les salaires.

Il s'agit d'un problème-clé, situé au coeur du débat, et qui met en cause l'équilibre recettes et dépenses sur lequel est construit le système des agences.

Cette interrogation en soulève d'autres.

Comme les redevances sont, pour le principal, acquittées par les particuliers en annexe de leur facture d'eau, jusqu'à quel niveau faudra-t-il augmenter le prix de l'eau pour obtenir le résultat vertueux qui est recherché ? Le prix de l'eau qui est en moyenne de 16 à 17 francs du m 3 en France actuellement, devra-t-il s'élever jusqu'à 30 francs et est-ce politiquement envisageable ?

Comment des prélèvements acquittés par les particuliers consommateurs d'eau auraient-ils une influence sur des opérations de dépollution qui ne dépendent pas d'eux ?

Qu'arrivera-t-il si le pollueur n'a pas les moyens de financer les investissements exigés de lui -je pense par exemple aux éleveurs- ou si le pollueur arrive à la conclusion que l'investissement nécessaire n'est rentable que s'il est subventionné et qu'en l'absence d'une telle aide, mieux vaut continuer à polluer ?

Ces questions sont essentielles. L'idée du double dividende est-elle la découverte géniale du XX ème siècle finissant ou est-ce un mythe ?

5/ Peut-on et doit-on prélever sur l'argent de l'eau des sommes destinées à d'autres usages écologiques ? La France est-elle en avance dans la mise en oeuvre des directives européennes ? Si la réponse est oui, alors on peut prélever de l'argent de l'eau à d'autres fins ; mais en cas de réponse négative, ce serait très imprudent.

6/ Peut-on taxer davantage l'agriculture ? Il y a deux façons d'examiner le problème : serait-il normal ou souhaitable que l'agriculture paye davantage ? Dans la plupart des agences de l'eau, l'agriculture est très largement bénéficiaire. Mais y a-t-il des raisons de penser qu'elle a les moyens d'acquitter des redevances plus élevées ? Et a-t-on des raisons de penser que l'Etat arrivera à ce résultat plus facilement que les agences ?

7/ Faut-il établir une péréquation financière entre les six bassins ? Celle-ci peut-elle, si elle est jugée nécessaire, se réaliser dans le système actuel ou faut-il fondamentalement modifier ce système pour y parvenir ?

8/ S'agissant du problème de la péréquation limitée à un seul secteur, je prendrai l'exemple suivant : s'il apparaissait que l'Ile-de-France soit confrontée à des problèmes de pollution particulièrement graves en raison de sa densité démographique, serait-il juste de prélever des ressources, par exemple, sur le bassin Adour-Garonne, alors que la région parisienne est de loin la région la plus riche de France et que le sud-ouest fait partie des régions qui sont très en retard ? En d'autres termes, est-ce qu'une péréquation limitée à un seul secteur ne conduirait pas à construire une solidarité à rebours, c'est-à-dire à faire payer les pauvres pour les riches ? La péréquation peut-elle être autrement que globale ?

9/ La France gagnera-t-elle en prestige, au niveau international, en bouleversant le système qu'elle a mis en place, qualifié souvent d'" école française de l'eau ", et qui, si je ne me trompe, est cité en exemple à l'étranger ?

10/ Par quel système garantira-t-on aux agences, dans le cadre de la TGAP, le maintien de leurs ressources actuelles pour mettre en oeuvre la politique de l'eau ?

Chacun sait par expérience que les comptes d'affectation spéciale du Trésor sont un leurre. Je citerai l'exemple du FNDAE 3( * ) , sur les ressources duquel on a prélevé, alors qu'il est censé aider le milieu rural pour l'adduction d'eau potable, pour l'assainissement, pour la mise aux normes des bâtiments d'élevage. Il en est de même du FITTVN 4( * ) qui devait rassembler des redevances perçues sur EDF et sur le système autoroutier pour accroître l'effort d'investissement en matière d'infrastructures, et qui a conduit le ministère des Finances à débudgétiser des sommes équivalentes, de sorte que ces redevances se sont perdues dans l'ensemble du budget. Les choix d'investissements se sont faits sans tenir beaucoup compte du Comité de gestion du fonds, dont on nous avait pourtant garanti qu'il nous mettrait à l'abri du péril que je viens de citer.

Alors, par quel autre système que le compte spécial du Trésor compte-t-on garantir les ressources propres des agences ?

11/ Les comités de bassin, dont la principale fonction est de voter les redevances, conservent-ils encore une raison d'être dans un système qui, en réalité, les transforme en services extérieurs du ministère de l'Environnement ?

12/ A l'heure actuelle, les aides qui sont versées par l'agence à ceux qui engagent des opérations de dépollution ou des actions pour mobiliser des ressources supplémentaires en eau ne sont pas contrôlées par Bruxelles, parce que le système est mutualiste. Or, à partir du moment où ces aides transiteront par le budget de l'Etat, elles seront, à ma connaissance, soumises au plafonnement européen.

Puissent ces questions, qui sont toutes relativement provocantes, alimenter le débat dont rend compte le présent rapport afin que de bonnes réponses puissent y être apportées !

J'hésite à ajouter une dernière question. Elle concerne la concertation, qui a commencé le 6 octobre et qui se terminera le 11 décembre. S'agissant d'un sujet aussi fondamental que la politique française de l'eau et d'institutions qui existent depuis 34 ans, peut-on penser qu'une concertation inscrite dans un si court laps de temps mérite vraiment le nom de concertation ?

(Applaudissements).

I. LE DISPOSITIF DE FINANCEMENT DE LA POLITIQUE DE L'EAU ET L'IMPACT DE LA TGAP

A. LE FINANCEMENT DE LA POLITIQUE DE L'EAU À TRAVERS LES AGENCES DE L'EAU

M. Jacques OUDIN . - Merci Monsieur le Président pour cet exposé en forme de constats et de questions, qui plante le décor et met en avant les interrogations qui peuvent se poser. Nous allons maintenant demander aux uns et aux autres d'intervenir.

Je demanderai à M. Jacques PELISSARD, Président de la Commission environnement de l'AMF, député du Jura, de nous faire part du point de vue de l'AMF, s'il a pu être étudié à ce jour.

1. Intervention de M. Jacques PELISSARD, président de la Commission Environnement de l'Association des maires de France (AMF)

M. Jacques PELISSARD . - Je n'évoquerai pas 7 piliers ou 12 commandements, mais quelques points cardinaux qui structurent le dispositif actuel de l'ensemble du financement de la politique nationale de l'eau.

Le premier est le principe d'une programmation . Nous avons en France, en l'état actuel, une programmation qui a une double caractéristique : elle est décentralisée et pluriannuelle s'agissant des investissements nécessaires, à partir d'une planification tripartite émanant de différents acteurs qui, tous les cinq ans, dans le cadre des comités de bassin, organisent cette planification ; ce sont les responsables de l'Etat, les élus des départements et des régions, et puis les usagers.

D'autre part, les taux qui définissent les recettes des organismes sont fixés par chaque comité de bassin, sur proposition de l'agence, de façon à équilibrer les financements en subventions et prêts apportés dans le cadre d'un programme quinquennal.

Le programme conjugue donc plusieurs éléments. Tout d'abord, un nécessaire état de connaissance des milieux aquatiques permettant la définition d'objectifs d'amélioration. Le système actuel permet d'établir des plans d'action en vue d'atteindre les objectifs fixés, en conjuguant redevances et volume des travaux aidés, dans le cadre de la recherche d'un intérêt général au niveau de chaque bassin. En effet, c'est bien l'intérêt général et non pas le seul retour au profit de tel contributeur de telle redevance qui prévaut.

Premier point cardinal, c'est le principe de programmation.

Le deuxième point, ce sont les actuelles redevances pollution , celles qui risquent en l'an 2000 d'être directement perçues dans le cadre du budget de l'Etat.

Jusqu'à présent, l'assiette physique des redevances a toujours recherché la prise en compte de la réalité physique de la perturbation sur le milieu aquatique. Les principaux paramètres sont : matières en suspension, demande chimique en oxygène, métaux, organo-halogènes absorbés, etc. C'est l'ensemble de ces éléments de pollution qui permet de calculer la redevance.

La délimitation de zonage et l'élaboration de coefficients a permis de mieux appréhender les spécificités des milieux aquatiques. Enfin, la définition de taux différenciés appliqués aux assiettes a permis d'établir des actions prioritaires.

Troisième point, les aides varient suivant les agences , parce que les problématiques sont différentes, pour les ouvrages d'assainissement collectifs ou les ouvrages d'épuration de l'industrie.

Les aides varient également en fonction de la nature des ouvrages pour les grands collecteurs ou les réseaux de première catégorie. Ces aides déclenchent un effet de levier très important. Je citerai un exemple s'agissant de l'industrie chimique. Considérons un compte administratif du VI ème programme couvrant les années 1992 à 1996. Les aides pour l'industrie chimique en matière d'eau ont été de 40 MF, équivalentes pratiquement aux redevances. En revanche, les travaux aidés ont eu une assiette de 93 MF, ce qui montre bien l'importance de l'effet de levier. Les aides apportées déclenchent des travaux supérieurs à deux fois le montant de l'aide elle-même. L'effet de levier est donc co-substantiel au principe de l'aide.

Dernière modalité d'aide au profit des collectivités locales : quand le rendement de leur station d'épuration est satisfaisant, elles bénéficient d'une aide relative à la pollution effectivement retirée d'un rejet en milieu naturel par exemple.

Voilà les grands axes du système actuel qu'on peut résumer en quatre points : une gestion par bassin, une gestion qui lie redevances et travaux, une planification par objectif, et le respect d'un principe de base selon lequel l'eau paye l'eau avec une véritable affectation.

Par rapport à ces quatre points cardinaux, il est vrai que l'ensemble des élus de France et l'Association des maires de France sont très préoccupés par le projet de réforme à l'horizon 2000, qui s'inscrit dès 1999 pour l'ADEME, mais pour l'an 2000 s'agissant de la redevance pollution.

Le bureau de l'Association des maires de France ne s'est pas encore prononcé. Son fonctionnement est très paritaire : il y a autant de sensibilité de la majorité que de l'opposition représentée au bureau et cette structure n'a pas encore pris position. Mais j'ai, pour ma part, réuni, il y a quelques semaines, la Commission environnement de l'AMF et celle-ci, de façon unanime, a exprimé sa très forte préoccupation concernant le principe de la TGAP appliqué à l'eau. L'AMF est donc extrêmement préoccupée par un projet qui nous paraît mettre en péril le modèle français, aujourd'hui reconnu au niveau international, susceptible d'une directive européenne mettant en avant les vertus de notre modèle français.

L'AMF sur ce point reste donc très vigilante pour que les atouts du modèle français puissent être préservés pour l'avenir.

(Applaudissements).

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