N°
112
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès verbal de la séance du 10 décembre 1998.
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1)
sur
l'avenir des agences de l'eau,
Par M. Jean FRANÇOIS-PONCET,
Sénateur.
Rapport établi par le groupe d'études sur l'eau (2),
sous la présidence de M. Jacques OUDIN,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Jean François-Poncet,
président
; Philippe François, Jean Huchon,
Jean-François Le Grand, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Marc Pastor, Pierre
Lefebvre,
vice-présidents
; Georges Berchet, Jean-Paul Emorine,
Léon Fatous, Louis Moinard,
secrétaires
; Louis
Althapé, Pierre André, Philippe Arnaud, Mme Janine Bardou, MM.
Bernard Barraux, Michel Bécot, Jacques Bellanger, Jean Besson, Jean
Bizet, Marcel Bony, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Dominique Braye,
Gérard César, Marcel-Pierre Cleach, Gérard Cornu, Roland
Courtaud, Désiré Debavelaere, Gérard Delfau, Marcel
Deneux, Rodolphe Désiré, Michel Doublet, Xavier Dugoin, Bernard
Dussaut
,
Jean-Paul Emin, André Ferrand, Hilaire Flandre, Alain
Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Serge Godard,
Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Anne Heinis,
MM. Pierre Hérisson, Rémi Herment, Bernard Joly, Alain
Journet, Gérard Larcher, Patrick Lassourd, Edmond Lauret, Gérard
Le Cam, André Lejeune, Guy Lemaire, Kléber Malécot, Louis
Mercier, Bernard Murat, Paul Natali, Jean Pépin, Daniel Percheron,
Bernard Piras, Jean-Pierre Plancade, Ladislas Poniatowski, Paul Raoult,
Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Henri Revol, Roger Rinchet, Jean-Jacques
Robert, Josselin de Rohan, Raymond Soucaret, Michel Souplet, Mme Odette
Terrade, MM. Michel Teston, Pierre-Yvon Trémel, Henri Weber.
(2) Ce groupe d'études est composé de
: MM. Jacques Oudin,
président
; Jean-Paul Amoudry, Denis Badré, José
Balarello, Mme Janine Bardou, MM. Jean Bernard, James Bordas, Joël
Bourdin, Auguste Cazalet, Gérard César, Charles-Henri de
Cossé-Brissac, Désiré Debavelaere, Luc Dejoie, Michel
Doublet, Alain Dufaut, Ambroise Dupont, Hubert Durand-Chastel, Jean-Paul
Emorine, Paul Girod, Pierre Hérisson, Rémi Herment, Jean Huchon,
Pierre Jeambrun, André Jourdain, Jean-François Le Grand, Roland
du Luart, Paul Masson, Louis Mercier, Louis Moinard, Lucien Neuwirth, Jean
Puech, Mme Odette Terrade, MM. François Trucy, Jacques Valade.
Eau.
AVANT-PROPOS DE M. JACQUES OUDIN,
SÉNATEUR DE LA
VENDÉE,
PRESIDENT DU GROUPE SÉNATORIAL D'ÉTUDES SUR
L'EAU,
PRÉSIDENT DU CERCLE FRANÇAIS DE L'EAU
M.
Jacques OUDIN
. - Au nom du Président du Sénat et de M. Jean
FRANCOIS-PONCET, Président de la Commission des affaires
économiques et du plan de cette assemblée, et en tant que
Président du groupe d'études sur l'eau, je suis heureux de vous
accueillir pour débattre d'un sujet qui suscite autant
d'inquiétudes, pose de vrais problèmes et soulève de
multiples interrogations. Il s'agit de la taxe générale sur les
activités polluantes (TGAP) dont le principe semble acquis, mais dont
les modalités ne sont pas encore complètement
arrêtées, notamment concernant l'inclusion dans son domaine de
compétence du secteur de l'eau.
Bâtir une oeuvre est toujours un travail de longue haleine, mais si
pierre par pierre on construit une maison, un séisme peut
détruire l'édifice en très peu de temps.
L'affluence que nous constatons aujourd'hui dans cette salle, avec plus de 300
participants, montre que ce sujet est d'un intérêt capital et
qu'il vous préoccupe. C'est la première grande réunion de
concertation sur cette question, alors même que l'annonce en a
été faite par le Gouvernement de façon un peu hâtive
au tout début de la trêve estivale.
L'eau est la vie comme le disait le Président de la République
lors de l'ouverture de la conférence internationale sur l'eau en mars
dernier à l'UNESCO, l'eau dont les Français ont fait une de leurs
priorités s'agissant de sa qualité et de l'efficacité des
mesures de lutte contre les pollutions. C'est un véritable sujet de
société car chacun consomme de l'eau, mais ce faisant, chacun la
pollue à sa manière. C'est un domaine dans lequel le Parlement
s'est beaucoup investi. La loi de 1964 et la loi de 1992 ont été
votées à l'unanimité après de très longs
débats dans les deux chambres. Il est donc normal que cette
réunion ait lieu au Sénat, qui est à la fois la Haute
Assemblée, la maison des collectivités territoriales, mais aussi
un lieu de réflexion sur les grands programmes d'aménagement
public. C'est dans ce cadre que travaille le Groupe d'études sur l'eau
en liaison avec le Cercle français de l'eau.
Rapidement je formulerai quatre constats, je dénoncerai une menace et je
préciserai six orientations pour préserver le dispositif actuel
des Agences de l'eau qui n'a pas vocation à demeurer statique et qui
doit toujours évoluer pour être plus performant.
Premier constat :
notre droit de l'eau est fondé sur trois
principes
, les trois piliers de l'efficacité qui ont fait du
système français un modèle, dont s'inspirent nombre de
pays étrangers.
• Tout d'abord, la gestion par bassin qui est forcément
déconcentrée. Ce sont six bassins qui constituent ce premier
pilier.
• Deuxièmement, la gestion démocratique avec
l'ensemble des élus, des usagers, des représentants de
l'administration et de l'Etat au sein d'un comité de bassin qui a une
vue globale, opérationnelle, territoriale, de ses ambitions, de ses
moyens et de ses devoirs.
• Troisièmement, l'affectation des ressources
prélevées sur les usagers aux dépenses dans le domaine de
l'eau pour remédier et faire face aux problèmes qui existent dans
chacun des bassins.
Ce sont les trois grands principes qui fondent notre droit de l'eau, sur
lesquels en 20 ans nous avons forgé une doctrine efficace que beaucoup
d'ailleurs nous envient.
Deuxième constat :
un effort volontariste d'investissement
qui a été tout à fait considérable au cours des
dernières années. Il y a 10 ans, au cours du
V
ème
programme, 40 milliards de francs d'investissement
étaient prévus sur cinq ans dans le domaine de l'eau : un
effort rendu nécessaire après le bilan pessimiste
réalisé lors des premières journées nationales de
l'eau de mai 1990, les assises de l'eau, et la forte émotion ressentie
dans les campagnes après les périodes de sécheresse.
Puis, vient le VI
ème
programme : 80 milliards de francs
d'investissement prévus, en fait réalisé à 90
milliards de francs. Et là, nous passons au VII
ème
programme avec une ambition qui finalement est fixée à un niveau
moyen de 105 milliards de francs, c'est-à-dire 21 milliards par an. La
ligne de conduite adoptée fut de stabiliser le niveau des redevances
atteint au cours de la dernière année du programme passé.
Avec un montant d'investissement passant en 10 ans, de 8 à 21 milliards
de francs par an, nous en arrivons au troisième constat.
Troisième constat
:
la bataille de l'eau peut
être gagnée en 10 ans
. Cette bataille de l'eau sera
gagnée tant dans le domaine de l'assainissement que de l'eau potable,
mais à deux conditions essentielles : que les redevances restent au
même niveau, et que l'argent de l'eau aille bien à l'eau et pas
ailleurs.
Quatrième constat
: le modèle français est
reconnu pour sa qualité et il est transposable.
Il suffit de lire la
directive-cadre de l'Union européenne et ce qui a été dit
à la conférence internationale de l'eau, en mars dernier à
Paris, pour voir que tous les analystes admettent que c'est sur ces principes
que la politique de l'eau, quels que soient les pays et les contextes, devrait
se fédérer et s'organiser.
Mais à partir d'un constat qu'on peut estimer satisfaisant, plane ce que
certains estiment être une menace. En effet, c'est au moment où
nous semblons rencontrer le succès et presque la consécration que
la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) voit
le jour. Est-ce une bonne idée ? Est-ce un danger ? Est-ce une menace ?
Chacun s'expliquera ce matin. La parole sera offerte à tous.
J'y vois personnellement, peut-être, trois dangers.
Premier danger
:
si les redevances de l'eau sont incluses
complètement dans la TGAP,
est-il intéressant, souhaitable,
raisonnable de faire transiter par le budget de l'Etat
, dont le
déficit s'élève à 236 milliards de francs,
quelques 10-12 milliards de francs de redevances ?
C'est la certitude
que les milliards qui arriveront ne retourneront pas de façon identique
à la politique de l'eau. Le système de dérivation et de
fuite financière que nous connaissons bien à travers le budget de
l'Etat fonctionnera à plein. L'argent de l'eau ne retournera plus
à l'eau. C'est une quasi-certitude.
Deuxième danger : l'ossature des agences
. Ce qui structure nos
agences et ce qui les rend autonomes, c'est bien entendu leur autofinancement.
Briser l'ossature, n'est-ce pas vider la structure de sa substance ?
Troisième menace : le travail parlementaire
que nous avons
effectué dans nos assemblées respectives, et moi-même ici
depuis 12 ans, nous amène, chaque fois que nous avons à
débattre à l'occasion de la loi de finances, par exemple de
l'ajustement à la marge de la redevance pour le FNDAE, à nous
heurter systématiquement au ministère des Finances
qui
refuse toute augmentation et estime qu'il y a déjà suffisamment
d'argent qui va à l'eau dans ce domaine. Je vous encourage à
relire les débats parlementaires, ils sont à cet égard
particulièrement instructifs et édifiants. Est-il souhaitable
d'aller dans cette direction en ce qui concerne l'ensemble des ressources des
agences ? Ma réponse personnelle est non !
Est-ce à dire pour autant que le fonctionnement des agences est exempt
de critiques ou d'améliorations ? Sûrement pas. Ne soyons ni
statiques ni conservateurs en la matière, mais nous pensons que ce n'est
pas en brisant un système qui a fait ses preuves que l'on obtiendra de
meilleurs résultats. C'est en proposant des améliorations que
nous rendrions ce dispositif plus performant et plus efficace.
Alors pour compléter ce propos, et pour aller au-delà de
certaines des propositions du Gouvernement actuel, j'ai retenu
six axes de
réflexion
que je vous énonce rapidement.
- Une meilleure
coordination
à l'évidence avec le
Parlement et avec le Haut Comité de l'eau.
- Une nécessaire
clarification
du mode de calcul des redevances,
et de la police de l'eau, à propos desquelles trop de zones d'ombre
demeurent.
- Une meilleure
contractualisation
avec les professions - l'agriculture
en particulier - ainsi qu'avec les collectivités territoriales.
- Une meilleure
information
sur la qualité de l'eau, quelle
qu'elle soit, et notamment sur son bon usage ; un meilleur usage des
réseaux de mesure dont je ne pense pas que l'efficacité soit
à la hauteur de nos ambitions.
- Une
incitation
financière mieux ciblée dans le cadre
des programmes élaborés au sein des schémas
d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE). J'ai coutume de dire que le
SAGE doit être à la loi sur l'eau ce que le plan d'occupation des
sols est à la loi sur l'urbanisme, c'est-à-dire l'outil
opérationnel de l'action sur le terrain.
- Une nécessaire
adaptation
des réponses à donner
pour des cas spécifiques de pollution, comme par exemple la pollution
des eaux pluviales.
Voilà quelques orientations sur des enjeux que nous devons tenter de
résoudre.
Depuis des années, nous avons bâti un système de l'eau qui
semble évoluer dans le bon sens. Les agences ont réussi
territorialement, elles sont acceptées, admises par leurs partenaires et
les collectivités, dont elles sont des partenaires efficaces. Si des
réformes doivent intervenir, parlons-en sérieusement, longuement,
positivement, mais surtout pas au détour d'un simple article d'une loi
de finances. Je crois que c'est le plus mauvais sort que l'on
réserverait à la démocratie et à la politique de
l'eau.
(Applaudissements).
INTRODUCTION PAR M. JEAN FRANÇOIS-PONCET, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES DU SÉNAT, PRÉSIDENT DU COMITÉ DE BASSIN ADOUR-GARONNE
M. Jean
FRANCOIS-PONCET
. - Je voudrais vous dire combien nous sommes heureux de
vous recevoir ici au Sénat pour débattre d'un très grand
sujet, puisqu'il s'agit de la politique française de l'eau et de son
avenir. Avec le sénateur Jacques OUDIN, nous avons pris l'initiative
d'inviter tous ceux qui, en France, sont les acteurs de la politique de l'eau,
qu'il s'agisse des administrations -en commençant par le cabinet du
ministre de l'environnement et le cabinet du Premier ministre, qui sera
représenté- ou des autres autorités qui, au plan national
et sur le terrain, suivent ces questions.
Ce débat s'inscrit dans un contexte créé par deux
séries d'annonces : l'annonce en Conseil des Ministres, le 20 mai
dernier, par Madame la ministre de l'Aménagement du Territoire et de
l'Environnement, d'une réforme des agences de l'eau et, d'autre part,
l'annonce, le 22 juillet dernier, par elle-même et par le ministre des
Finances, de la création par la loi de finances pour 1999 d'une taxe
générale sur les activités polluantes (TGAP),
affectée au budget de l'Etat, appelée à regrouper et
à intégrer l'ensemble des taxes et impôts perçus au
titre des déchets, des nuisances sonores ou des pollutions
atmosphériques, y compris -mais à partir du 1er janvier 2000
seulement- les redevances des agences de bassin.
La première réforme, proposée le 20 mai, a suscité
beaucoup d'intérêt et, je crois, un débat très
constructif. Après tout, chacun admet volontiers qu'après 34 ans
d'existence, une institution relève d'une évaluation, d'un examen
critique et, si nécessaire, de réformes.
Il en va autrement de la deuxième annonce, celle de la TGAP.
L'intégration des redevances des agences de l'eau dans un impôt
national perçu par l'Etat a en effet suscité une très vive
émotion, et c'est bien entendu cette deuxième annonce, la TGAP,
qui va retenir l'essentiel de notre débat. Il ne s'agit pas pour moi de
préjuger de ses conclusions ; mais pour l'introduire, je
rappellerai les principes sur lesquels le système actuel est
fondé, et ensuite j'évoquerai des questions, que nous nous
posons, d'une manière que certains jugeront peut-être provocante.
Pour présenter la politique française de l'eau, je voudrais
mettre en évidence sept principes.
Premièrement, le bassin
. La politique de l'eau est conduite dans
un cadre géographique bien déterminé qui est celui des six
grands bassins hydrographiques français, ce qui lui permet d'être
adaptée aux réalités spécifiques de chaque zone.
Deuxièmement, les redevances
. La politique de l'eau est
financée exclusivement par des redevances acquittées, dans le
cadre de chaque bassin, par toutes les activités qui polluent, selon le
principe " pollueur-payeur ", et par tous ceux qui utilisent l'eau.
Troisièmement, dépollution et ressource.
Les
disponibilités des agences servent à co-financer les actions de
dépollution conduites par les collectivités ou par le secteur
privé, à préserver et à réhabiliter les
milieux aquatiques - à commencer par les rivières -, et à
développer la ressource en eau là où elle est jugée
insuffisante.
Quatrièmement, la mutualisation
. Les agences ne perçoivent
pas de subventions de l'Etat, mais elles fonctionnent comme des mutuelles dont
les recettes et les dépenses s'équilibrent dans le cadre de
chaque bassin. La solidarité, et non pas le " juste retour ",
constitue la règle à l'intérieur de chaque bassin.
Cinquièmement, l'autonomie
. Les agences sont des
établissements publics gérés par des comités de
bassin et des conseils d'administration. Les comités de bassin, qu'on
appelle souvent " Petits Parlements de l'eau ", sont composés
de représentants de tous les utilisateurs, collectivités,
associations, notamment protectrices de l'environnement, agriculteurs,
industriels, EDF, pêcheurs, et j'en oublie. Ils fixent les redevances
à percevoir, élisent leur président, désignent les
membres du Conseil d'Administration et émettent des avis. Le Conseil
d'Administration, quant à lui, décide de l'utilisation des fonds.
Sixièmement, la tutelle
. Les agences de l'eau sont des
établissements publics, mais exercent leur activité sous le
contrôle de l'Etat, qui nomme les présidents des conseils
d'administration et le directeur de l'agence qui est à la tête de
l'administration. Les directeurs sont en liaison permanente avec la direction
de l'eau du ministère de l'Environnement.
Septièmement, l'application de la loi sur l'eau
. Les agences sont
le bras armé de la loi sur l'eau. Ce sont les agences qui arrêtent
les SDAGE
1(
*
)
et qui aident les
collectivités territoriales dans la mise en oeuvre des SAGE
2(
*
)
. Agences de bassin et loi sur l'eau
sont indissociables.
Quelles questions la TGAP pose-t-elle ?
1/ Le système des agences a-t-il ou non, en trois décennies,
donné satisfaction ? A-t-il atteint ses objectifs ? La pollution
a-t-elle cessé de progresser ? A-t-elle régressé ?
2/ En budgétisant les redevances, la TGAP met-elle ou non
fondamentalement en cause le système établi en substituant
à son assise régionale actuelle, qui est le bassin, le cadre
national, en supprimant sa philosophie mutualiste et en mettant en cause son
autonomie de gestion ?
3/ En modifiant le financement de la politique de l'eau mis en place 15 ans
avant les lois de décentralisation de 1981-82, la TGAP constitue-t-elle
ou non un retour en arrière vers plus de centralisation ?
4/ Quatrième question, centrale et qui comporte des
sous-questions : l'association du principe pollueur-payeur et du principe
de solidarité mutualiste est-elle par essence perverse ?
Si je pose cette question, c'est parce que certains théoriciens
affirment que oui. Peut-on, comme ils le suggèrent, en dissociant ces
deux principes, bénéficier d'un double dividende que je vois
miroiter à l'horizon et dont la question est de savoir si c'est un
mirage ou non ? Selon ce que j'ai cru comprendre, le premier dividende suppose
que le prélèvement acquitté par le pollueur, s'il est
assez élevé, suffit à lui seul à l'inciter à
corriger son comportement polluant. D'où un deuxième dividende,
puisque les recettes ainsi collectées permettront de créer des
emplois, soit directement, soit indirectement, en supprimant ou en
allégeant d'autres prélèvements assis sur les salaires.
Il s'agit d'un problème-clé, situé au coeur du
débat, et qui met en cause l'équilibre recettes et
dépenses sur lequel est construit le système des agences.
Cette interrogation en soulève d'autres.
Comme les redevances sont, pour le principal, acquittées par les
particuliers en annexe de leur facture d'eau, jusqu'à quel niveau
faudra-t-il augmenter le prix de l'eau pour obtenir le résultat vertueux
qui est recherché ? Le prix de l'eau qui est en moyenne de 16 à
17 francs du m
3
en France actuellement, devra-t-il s'élever
jusqu'à 30 francs et est-ce politiquement envisageable ?
Comment des prélèvements acquittés par les particuliers
consommateurs d'eau auraient-ils une influence sur des opérations de
dépollution qui ne dépendent pas d'eux ?
Qu'arrivera-t-il si le pollueur n'a pas les moyens de financer les
investissements exigés de lui -je pense par exemple aux éleveurs-
ou si le pollueur arrive à la conclusion que l'investissement
nécessaire n'est rentable que s'il est subventionné et qu'en
l'absence d'une telle aide, mieux vaut continuer à polluer ?
Ces questions sont essentielles. L'idée du double dividende est-elle la
découverte géniale du XX
ème
siècle
finissant ou est-ce un mythe ?
5/ Peut-on et doit-on prélever sur l'argent de l'eau des sommes
destinées à d'autres usages écologiques ? La France
est-elle en avance dans la mise en oeuvre des directives européennes ?
Si la réponse est oui, alors on peut prélever de l'argent de
l'eau à d'autres fins ; mais en cas de réponse négative,
ce serait très imprudent.
6/ Peut-on taxer davantage l'agriculture ? Il y a deux façons d'examiner
le problème : serait-il normal ou souhaitable que l'agriculture paye
davantage ? Dans la plupart des agences de l'eau, l'agriculture est très
largement bénéficiaire. Mais y a-t-il des raisons de penser
qu'elle a les moyens d'acquitter des redevances plus élevées ? Et
a-t-on des raisons de penser que l'Etat arrivera à ce résultat
plus facilement que les agences ?
7/ Faut-il établir une péréquation financière entre
les six bassins ? Celle-ci peut-elle, si elle est jugée
nécessaire, se réaliser dans le système actuel ou faut-il
fondamentalement modifier ce système pour y parvenir ?
8/ S'agissant du problème de la péréquation limitée
à un seul secteur, je prendrai l'exemple suivant : s'il apparaissait que
l'Ile-de-France soit confrontée à des problèmes de
pollution particulièrement graves en raison de sa densité
démographique, serait-il juste de prélever des ressources, par
exemple, sur le bassin Adour-Garonne, alors que la région parisienne est
de loin la région la plus riche de France et que le sud-ouest fait
partie des régions qui sont très en retard ? En d'autres termes,
est-ce qu'une péréquation limitée à un seul secteur
ne conduirait pas à construire une solidarité à rebours,
c'est-à-dire à faire payer les pauvres pour les riches ? La
péréquation peut-elle être autrement que globale ?
9/ La France gagnera-t-elle en prestige, au niveau international, en
bouleversant le système qu'elle a mis en place, qualifié souvent
d'" école française de l'eau ", et qui, si je ne me
trompe, est cité en exemple à l'étranger ?
10/ Par quel système garantira-t-on aux agences, dans le cadre de la
TGAP, le maintien de leurs ressources actuelles pour mettre en oeuvre la
politique de l'eau ?
Chacun sait par expérience que les comptes d'affectation spéciale
du Trésor sont un leurre. Je citerai l'exemple du FNDAE
3(
*
)
, sur les ressources duquel on a
prélevé, alors qu'il est censé aider le milieu rural pour
l'adduction d'eau potable, pour l'assainissement, pour la mise aux normes des
bâtiments d'élevage. Il en est de même du FITTVN
4(
*
)
qui devait rassembler des redevances
perçues sur EDF et sur le système autoroutier pour
accroître l'effort d'investissement en matière d'infrastructures,
et qui a conduit le ministère des Finances à
débudgétiser des sommes équivalentes, de sorte que ces
redevances se sont perdues dans l'ensemble du budget. Les choix
d'investissements se sont faits sans tenir beaucoup compte du Comité de
gestion du fonds, dont on nous avait pourtant garanti qu'il nous mettrait
à l'abri du péril que je viens de citer.
Alors, par quel autre système que le compte spécial du
Trésor compte-t-on garantir les ressources propres des agences ?
11/ Les comités de bassin, dont la principale fonction est de voter les
redevances, conservent-ils encore une raison d'être dans un
système qui, en réalité, les transforme en services
extérieurs du ministère de l'Environnement ?
12/ A l'heure actuelle, les aides qui sont versées par l'agence à
ceux qui engagent des opérations de dépollution ou des actions
pour mobiliser des ressources supplémentaires en eau ne sont pas
contrôlées par Bruxelles, parce que le système est
mutualiste. Or, à partir du moment où ces aides transiteront par
le budget de l'Etat, elles seront, à ma connaissance, soumises au
plafonnement européen.
Puissent ces questions, qui sont toutes relativement provocantes, alimenter le
débat dont rend compte le présent rapport afin que de bonnes
réponses puissent y être apportées !
J'hésite à ajouter une dernière question. Elle concerne la
concertation, qui a commencé le 6 octobre et qui se terminera le 11
décembre. S'agissant d'un sujet aussi fondamental que la politique
française de l'eau et d'institutions qui existent depuis 34 ans, peut-on
penser qu'une concertation inscrite dans un si court laps de temps
mérite vraiment le nom de concertation ?
(Applaudissements).
I. LE DISPOSITIF DE FINANCEMENT DE LA POLITIQUE DE L'EAU ET L'IMPACT DE LA TGAP
A. LE FINANCEMENT DE LA POLITIQUE DE L'EAU À TRAVERS LES AGENCES DE L'EAU
M.
Jacques OUDIN
. - Merci Monsieur le Président pour cet exposé
en forme de constats et de questions, qui plante le décor et met en
avant les interrogations qui peuvent se poser. Nous allons maintenant demander
aux uns et aux autres d'intervenir.
Je demanderai à M. Jacques PELISSARD, Président de la Commission
environnement de l'AMF, député du Jura, de nous faire part du
point de vue de l'AMF, s'il a pu être étudié à ce
jour.
1. Intervention de M. Jacques PELISSARD, président de la Commission Environnement de l'Association des maires de France (AMF)
M.
Jacques PELISSARD
. - Je n'évoquerai pas 7 piliers ou 12
commandements, mais quelques points cardinaux qui structurent le dispositif
actuel de l'ensemble du financement de la politique nationale de l'eau.
Le premier est le principe d'une programmation
. Nous avons en France, en
l'état actuel, une programmation qui a une double caractéristique
: elle est décentralisée et pluriannuelle s'agissant des
investissements nécessaires, à partir d'une planification
tripartite émanant de différents acteurs qui, tous les cinq ans,
dans le cadre des comités de bassin, organisent cette planification ; ce
sont les responsables de l'Etat, les élus des départements et des
régions, et puis les usagers.
D'autre part, les taux qui définissent les recettes des organismes sont
fixés par chaque comité de bassin, sur proposition de l'agence,
de façon à équilibrer les financements en subventions et
prêts apportés dans le cadre d'un programme quinquennal.
Le programme conjugue donc plusieurs éléments. Tout d'abord, un
nécessaire état de connaissance des milieux aquatiques permettant
la définition d'objectifs d'amélioration. Le système
actuel permet d'établir des plans d'action en vue d'atteindre les
objectifs fixés, en conjuguant redevances et volume des travaux
aidés, dans le cadre de la recherche d'un intérêt
général au niveau de chaque bassin. En effet, c'est bien
l'intérêt général et non pas le seul retour au
profit de tel contributeur de telle redevance qui prévaut.
Premier point cardinal, c'est le principe de programmation.
Le deuxième point, ce sont les actuelles redevances pollution
,
celles qui risquent en l'an 2000 d'être directement perçues dans
le cadre du budget de l'Etat.
Jusqu'à présent, l'assiette physique des redevances a toujours
recherché la prise en compte de la réalité physique de la
perturbation sur le milieu aquatique. Les principaux paramètres sont :
matières en suspension, demande chimique en oxygène,
métaux, organo-halogènes absorbés, etc. C'est l'ensemble
de ces éléments de pollution qui permet de calculer la redevance.
La délimitation de zonage et l'élaboration de coefficients a
permis de mieux appréhender les spécificités des milieux
aquatiques. Enfin, la définition de taux différenciés
appliqués aux assiettes a permis d'établir des actions
prioritaires.
Troisième point, les aides varient suivant les agences
, parce que
les problématiques sont différentes, pour les ouvrages
d'assainissement collectifs ou les ouvrages d'épuration de l'industrie.
Les aides varient également en fonction de la nature des ouvrages
pour les grands collecteurs ou les réseaux de première
catégorie. Ces aides déclenchent un effet de levier très
important. Je citerai un exemple s'agissant de l'industrie chimique.
Considérons un compte administratif du VI
ème
programme
couvrant les années 1992 à 1996. Les aides pour l'industrie
chimique en matière d'eau ont été de 40 MF,
équivalentes pratiquement aux redevances. En revanche, les travaux
aidés ont eu une assiette de 93 MF, ce qui montre bien l'importance de
l'effet de levier. Les aides apportées déclenchent des travaux
supérieurs à deux fois le montant de l'aide elle-même.
L'effet de levier est donc co-substantiel au principe de l'aide.
Dernière modalité d'aide au profit des collectivités
locales
: quand le rendement de leur station d'épuration est
satisfaisant, elles bénéficient d'une aide relative à la
pollution effectivement retirée d'un rejet en milieu naturel par exemple.
Voilà les grands axes du système actuel qu'on peut résumer
en quatre points : une gestion par bassin, une gestion qui lie redevances et
travaux, une planification par objectif, et le respect d'un principe de base
selon lequel l'eau paye l'eau avec une véritable affectation.
Par rapport à ces quatre points cardinaux, il est vrai que l'ensemble
des élus de France et l'Association des maires de France sont
très préoccupés par le projet de réforme à
l'horizon 2000, qui s'inscrit dès 1999 pour l'ADEME, mais pour l'an 2000
s'agissant de la redevance pollution.
Le bureau de l'Association des maires de France ne s'est pas encore
prononcé. Son fonctionnement est très paritaire : il y a autant
de sensibilité de la majorité que de l'opposition
représentée au bureau et cette structure n'a pas encore pris
position. Mais j'ai, pour ma part, réuni, il y a quelques semaines, la
Commission environnement de l'AMF et celle-ci, de façon unanime, a
exprimé sa très forte préoccupation concernant le principe
de la TGAP appliqué à l'eau. L'AMF est donc extrêmement
préoccupée par un projet qui nous paraît mettre en
péril le modèle français, aujourd'hui reconnu au niveau
international, susceptible d'une directive européenne mettant en avant
les vertus de notre modèle français.
L'AMF sur ce point reste donc très vigilante pour que les atouts du
modèle français puissent être préservés pour
l'avenir.
(Applaudissements).