B. ASSURANCE, ASSOCIATION ET MUTUALITÉ
L'assurance repose sur l'association des hommes et le principe
de
mutualité : il est dans l'intérêt individuel bien compris
de chacun de répartir contractuellement sur plusieurs le risque
individuellement imprévisible pour chacun, et ainsi de le diminuer a
priori.
C'est ce que comprennent bien au XIX
e
siècle les
frères séparés de la mutualité que sont Bastiat et
Proudhon, puis Walras et que rappelle Denis Kessler.
Bastiat évoque par une fable, la genèse de la convention
d'assurance mutuelle : " Des hommes ont chacun une maison. L'une vient
à brûler, et voilà le propriétaire ruiné.
Aussitôt, l'alarme se répand chez tous les autres. Chacun se
dit : " autant pourrait m'arriver ". Il n'y a donc rien de
surprenant à ce que tous les propriétaires se réunissent,
répartissent autant que possible les mauvaises chances en fondant une
assurance mutuelle contre l'incendie. Leur convention est très simple.
En voici la formule : " Si la maison de l'un de nous brûle, les
autres se cotiseront pour venir en aide à l'incendié ". Par
là chaque propriétaire acquiert une double certitude : d'abord
qu'il prendra une petite part à tous les sinistres de cette
espèce ; ensuite, qu'il n'aura jamais à essuyer le malheur tout
entier (...) Voilà l'association
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*
)
. "
Proudhon fait écho à cette définition, de manière
plus militante : " comment donc se fait-il que l'assurance
mutuelle n'ait pas, depuis longtemps remplacé toutes les autres ? Ah !
c'est qu'il est bien peu de particuliers qui veuillent s'occuper des choses qui
intéressent tout le monde, mais ne rapportent rien à personne ;
c'est que le gouvernement qui pourrait prendre cette initiative, s'y refuse...
" Ce qu'il y a lieu de craindre ici, comme toujours, c'est que le
gouvernement, sous prétexte d'utilité publique ne crée un
grand monopole (...) monopole qui servirait à doter plus d'un
fidèle serviteur que la pénurie du Trésor ne permet pas de
récompenser de ses longs services. Ainsi dans le régime
d'insolidarité mutuelle où nous vivons, nous allons de
l'exploitation des compagnies à l'exploitation par le gouvernement, le
tout parce que nous ne savons pas nous entendre ...
" L'assurance mutuelle, abandonnée par l'autorité publique
à qui il appartenait de la prendre en main, n'est encore qu'une
idée.
" Lorsque l'esprit d'initiative et le sentiment de collectivité qui
sommeillent en France auront pris leur essor, l'assurance deviendra un contrat
entre les citoyens, une association dont les bénéfices
profiteront à tous les assurés "
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)
.
Walras confirme le point de vue de Bastiat : " Toute espèce
d'assurance n'est au fond qu'un mode d'association. Association est le mot qui
explique tous les miracles de l'assurance. Ainsi, vous voulez éviter les
conséquences désastreuse de l'incendie de votre maison et de
votre maladie. Supposons qu'il brûle, en moyenne, 1 maison sur 1000
par an. Si vous pouviez vous assurer avec 999 propriétaires ayant
une maison semblable à la vôtre, vous conviendriez avec eux que
celle d'entre les 1000 maisons qui aura brûlé dans
l'année sera rebâtie et remeublée à frais communs.
L'association une fois conclue, celui dont la maison brûle gagne 999/1000
de la valeur de la maison et du mobilier, et les 999 autres perdent chacun
1/1000 de cette valeur. Le gain de l'un est exactement égal à la
perte de tous les autres. On répète souvent, d'après
Lapalice, que l'assurance est le contraire du jeu. Cela est très vrai
mais en ce sens que, par l'assurance, on substitue un moindre aléa
à un plus grand. L'homme qui ne s'assure pas contre l'incendie court
999 chances sur 1000 de ne rien gagner ni perdre contre 1 chance sur
1000 de perdre la valeur de sa maison et de son mobilier. Celui qui s'assure
court 999 chances de perdre 1/1000 de cette valeur et 1 chance de
gagner 999/1000. Le point essentiel est d'avoir supprimé la chance
unique de perdre la valeur totale "
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)
.
Et Denis Kessler, rappelle (lui aussi) ce fondement
" mutualiste " de l'assurance dans son " Très petit
dictionnaire d'économie de l'assurance " que la devise fondatrice
du Lloyd's : " la contribution de beaucoup à la mauvaise fortune de
quelques-uns "
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)
immortalise. " L'assurance est le moyen de limiter les conséquences
adverses de l'incertitude. Certains états du monde possibles sont
défavorables à l'agent, alors que d'autres sont évidemment
favorables. L'assurance permet, par des transferts monétaires, de
limiter l'écart entre les divers états du monde. Ainsi, au
travers d'une société d'assurance, les individus ou les
entreprises échangent des risques entre eux , les mutualisent, de
façon non pas à supprimer l'incertitude, mais à minorer
ses effets négatifs. Il faut insister d'emblée sur le
caractère ambivalent de l'assurance. Le concept même de
l'assurance est à la fois profondément individuel - je
cherche à me protéger moi-même contre les
conséquences négatives de la survenance de tel ou tel état
du monde défavorable - et profondément collectif - en
me protégeant moi-même, je protège aussi les autres -.
En réduisant les conséquences négatives de l'occurrence
des risques sur le patrimoine physique (assurance dommages) et sur le
patrimoine humain (assurance vie) l'assurance parvient à être un
puissant " générateur de sécurité "
propice à la poursuite et à l'essor des activités
économiques et sociales, au bon dénouement des contrats de toute
nature, à la réduction des disparités issues
nécessairement du règne généralisé de
l'aléa "
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)
.
Cependant, l'assurance va au-delà de la simple mutualisation du
risque : elle anticipe la valeur moyenne annuelle des sinistres. Elle
transforme une quote part indéterminée au financement de pertes
aléatoires (la cotisation variable " mutualiste ") en une
prime annuelle fixe connue d'avance. Le risque de dépassement
éventuel de la charge des sinistres et des frais généraux
par le montant des primes est garanti par l'appel aux réassureurs et par
les fonds propres de l'assureur.
Le passage de l'assurance mutuelle à l'assurance commerciale est ainsi
décrit par Bastiat : " L'assurance mutuelle a
développé au sein de la société une connaissance
expérimentale, à savoir : la proportion, en moyenne
annuelle, entre les valeurs perdues par sinistres et les valeurs
assurées.
Sur quoi un entrepreneur ou une société (un intermédiaire
parasite selon les socialistes utopiques) ayant fait tous ses calculs, se
présente aux propriétaires et leur dit :
" En vous assurant muutellement, vous avez voulu acheter votre
tranquillité ; et la quote-part indéterminée que vous
réservez annuellement pour couvrir les sinistres est le prix que
coûte un bien si précieux. Mais ce prix ne vous est jamais connu
d'avance ; d'un autre côté, votre tranquillité n'est
point parfaite. Eh bien ! je viens vous proposer un autre
procédé.
Moyennant une prime annuelle fixe que vous payerez, j'assume toutes vos chances
de sinistres ; je vous assure tous, et voici le capital qui vous garantit
l'exécution de mes engagements.
Les propriétaires se hâtent d'accepter, même alors que cette
prime fixe coûterait un peu plus que la quantum moyen de l'assurance
mutuelle ; car ce qui importe le plus, ce n'est pas d'économiser
quelques francs, c'est d'acquérir le repos, la tranquilité
complète "
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)
.
Les sociétés d'assurance, quelle que soit leur forme juridique,
rassemblent des contributions individuelles pour faire face aux sinistres de
chacun. Dans l'assurance, la mutualisation est principielle, volontaire dans
son origine et incertaine dans son effet (qui gagnera le plus est
indéterminé, sauf pour les fraudeurs). Elle aboutit à une
redistribution involontaire, mais inévitable et même souhaitable
des revenus, des assurés qui ont plus de chances (en l'absence
d'aléa moral) vers ceux qui en ont moins. L'assurance est un outil de
redistribution directe, volontaire et cependant limitée.
Les développements qui précèdent ne doivent pas conduire
à surestimer les effets de la loi des grands nombres. Certes la loi des
grands nombres joue un rôle central en assurance, mais néanmoins,
tout ne repose pas entièrement sur elle.
En effet, dans le cas où le risque connaît une volatilité
importante d'une année à une autre, la tarification ne peut pas
se faire de manière proportionnelle à la prime pure (coût
moyen du risque par contrat) mais également en prenant en compte une
mesure de la dispersion (l'écart type par exemple).
On peut, en effet, montrer que la tarification à la prime pure sans
intégration d'un coefficient de sécurité lié
à la dispersion conduirait à la ruine de la société.
La mutualisation des risques se fait non seulement en vertu de la loi des
grands nombres sur l'ensemble du portefeuille, mais aussi dans la durée,
c'est-à-dire au cours du temps.
La tarification en assurance ne peut pas reposer seulement sur l'accumulation
des statistiques à caractère rétrospectif que l'on
extrapole dans l'avenir, mais aussi grâce à une anticipation de ce
que sera le risque à l'avenir. C'est notamment le cas des risques
nouveaux pour lesquels on ne connaît pas le passé. Un bon exemple
en est l'assurance des satellites (Ariane) pour lesquels au début on ne
disposait pas de statistique. La tarification résulte alors d'un
processus d'apprentissage.