2. Une harmonisation inachevée
En raison de ses silences ou des divergences d'interprétation de son contenu, le droit communautaire des assurances n'offre pas de solution systématique aux problèmes rencontrés par un opérateur transfrontalier. Par ailleurs, le principe de l'adoption de règles communes minimales laisse nécessairement aux Etats membres, sous réserve de l'appréciation souveraine de la Cour de justice, la latitude de déterminer des règles complémentaires plus strictes applicables sur leur territoire à tous les opérateurs. Il en va en particulier ainsi dès lors qu'est en cause " l'intérêt général ", notion dont les contours restent à mieux préciser dans le secteur des assurances.
a) Les incertitudes subsistant
Les
difficultés subsistant quant à l'interprétation des
dispositions communautaires sont considérées par la Commission
elle-même comme " portant un préjudice sérieux aux
mécanismes mis en place par les troisièmes directives de
coordination sur les assurances " dans la mesure où elles
" sont de nature à dissuader certaines entreprises de faire usage
des libertés créées par le
traité ... "
259(
*
)
.
Tel est par exemple le cas de la démarcation entre droit
d'établissement et L.P.S. Bien que les " troisièmes
directives " aient eu pour effet de rapprocher les règles de
contrôle et les conditions d'exercice des activités d'assurance en
libre établissement et en L.P.S., des différences subsistent
(procédure de notification, désignation d'un mandataire ou d'un
représentant-sinistre, fiscalité des cotisations, moyens de
contrôle et de sanction du pays d'accueil...) qui expliquent le maintien
d'une distinction entre les deux régimes.
Une différence essentielle réside dans le caractère
temporaire de l'activité de L.P.S. qui est autorisée en vertu de
l'article 60 du traité du 25 mars 1957 dont le
troisième alinéa dispose que le prestataire peut, pour
l'exécution de sa prestation, exercer à " titre
temporaire " son activité dans le pays où la prestation est
fournie. Selon la jurisprudence de la Cour de justice, le caractère
temporaire de la prestation doit s'apprécier par sa durée, sa
fréquence, sa périodicité et sa
continuité
260(
*
)
.
Or ces éléments sont parfois insuffisants à séparer
de façon nette L.P.S. et établissement car, comme l'admet la
Commission dans un projet de communication interprétative du
10 octobre 1997 :
" La frontière entre les deux
notions de prestation de services et de liberté d'établissement
n'est pas toujours facile à tracer. Certaines situations
s'avèrent en effet difficiles à classer, en particulier lorsque
l'entreprise d'assurance se sert, pour l'exercice de ses activités
d'assurance, d'une infrastructure permanente dans l'Etat membre de la
prestation. Il s'agit notamment des cas suivants : a) Recours
à des intermédiaires indépendants ;
b) Présence permanente du propre personnel de
l'établissement ".
Certains opérateurs estiment que l'incertitude pesant sur la distinction
entre les deux régimes est un frein à leurs activités
transfrontalières dans la mesure où elle pourrait les conduire
à un exercice illégal involontaire de leur activité.
Dans un registre voisin, se pose la question des divergences de qualification
du démarchage publicitaire transfrontalier, certains Etats membres
assimilant en effet ce type de publicité à une activité de
L.P.S. et ce à l'opposé de la position de la Commission qui
estime que " toute forme de publicité par quelque moyen que ce soit
n'est pas soumise à la procédure de notification visée aux
articles 34 et suivants des " troisièmes directives" ".
L'interprétation de la notion d'intérêt
général est une autre source d'incertitude.
Dans ses arrêts précités du
4 décembre 1986, la Cour de justice, après avoir
souligné que la liberté de prestation de services est " un
principe fondamental du traité ", a précisé que
l'exercice de ce principe pouvait néanmoins, en raison de la
spécificité de certaines prestations, être soumis à
des contraintes non discriminatoires et proportionnées
" justifiées par l'intérêt
général ". La Cour a considéré qu'il y avait
dans la couverture des risques de masse, des intérêts
légitimes dignes de protection et susceptibles de justifier des
sujétions à l'encontre des prestataires.
La notion d'intérêt général apparaît à
plusieurs reprises dans les " troisièmes directives ", par
exemple en matière d'agrément d'une succursale, de contenu des
contrats d'assurance (qui doivent respecter les dispositions
d'intérêt général dans l'Etat du risque ou de
l'engagement) et dans le cadre de certaines assurances maladie, etc.
Au motif de la protection de l'intérêt général, les
Etats membres ont adopté des réglementations diverses dont
certaines sont considérées par la Commission, sous réserve
de l'interprétation souveraine de la Cour de justice, comme
n'étant pas compatibles avec les règles du Traité du
25 mars 1957. Il en est ainsi de l'instauration de modalités
de contrôle préalable ou systématique des conditions
d'assurance, du système de " bonus-malus " dans la mesure
où il constituerait une disposition tarifaire, de codes de bonne
conduite édictés par les Etats membres, de l'imposition aux
opérateurs étrangers de taux d'intérêt techniques
maximaux ou de franchises obligatoires.