b) La prohibition des abus de position dominante
L'application des dispositions de l'article 8 de
l'ordonnance
du 1
er
décembre 1986 implique que soit
établie au préalable l'existence d'une position dominante sur un
marché économiquement pertinent.
S'il n'appartient pas au Conseil, dans le cadre du présent avis, de se
prononcer sur la délimitation des divers marchés de l'assurance
- question qui exige un examen au cas par cas dans le cadre de
procédures contradictoires -, il peut toutefois être
observé qu'il n'y a pas nécessairement correspondance entre la
délimitation des marchés et la classification des
opérations d'assurance en branches et sous-branches
(article R.321-1 du code des assurances) ou en catégories
comptables (article A.344-2 du code des assurances), que dans certains cas
une même offre de garantie regroupe plusieurs risques,
considérés comme liés (exemple des contrats multirisques
habitation) et que dans d'autres, une même branche peut recouvrir
plusieurs marchés, délimités en fonction du type de
clientèle visée ou de caractéristiques structurelles
propres aux offreurs.
Ainsi, on pourrait se demander si l'existence de fortes
spécificités sectorielles dans l'assurance maladie
complémentaire ne devrait pas conduire à définir plusieurs
marchés distincts au sein de ce domaine d'activité. Dans le cadre
d'une telle analyse, un marché de l'assurance des fonctionnaires et un
marché de l'assurance des étudiants pourraient par exemple
être identifiés en raison de l'existence de clientèles
homogènes et du fait que seules des mutuelles du code de la
mutualité peuvent être habilitées à gérer le
régime obligatoire d'assurance maladie de ces catégories de
population. On pourrait se demander également si les opérations
de prévoyance collective ne se situent pas sur un autre marché
que celles qui donnent lieu à des souscriptions individuelles de
contrats.
Si, dans le cadre d'une saisine contentieuse, il était établi
qu'un opérateur du secteur de l'assurance, exerçant ou non par
ailleurs une mission d'intérêt général,
détenait une position dominante sur un marché
économiquement pertinent, il conviendrait alors d'examiner s'il en fait
une utilisation abusive, en tirant parti des avantages que lui confère
cette position pour tenter d'affaiblir un concurrent, de l'éliminer du
marché ou de l'empêcher d'y accéder. Les pratiques
abusives, prohibées par le 1 de l'article 8 de l'ordonnance du
1
er
décembre 1986, peuvent consister en conditions
de vente discriminatoires, en refus de vente, en ventes liées
(souscription obligatoire de plusieurs garanties) ou encore en la fourniture de
prestations non demandées par les bénéficiaires. Il peut
s'agir aussi de pratiques de prix prédateurs, c'est-à-dire de
ventes soit à des prix inférieurs aux coûts moyens
variables, soit à des prix supérieurs aux coûts variables
mais inférieurs aux coûts moyens totaux, lorsqu'il est
établi qu'une telle stratégie est fixée dans le cadre d'un
plan ayant pour but d'éliminer un concurrent. Il pourrait s'agir encore,
pour un opérateur exerçant par ailleurs une mission
d'intérêt général comme la gestion d'un
régime obligatoire de sécurité sociale, du fait de ne pas
dissocier suffisamment dans son offre les services en concurrence de ceux qui
ne le sont pas.
Lorsqu'une entreprise détenant une position dominante sur un
marché exerce à la fois des activités
d'intérêt général et des activités ouvertes
à la concurrence, le contrôle du respect des règles de la
concurrence nécessite que soit opérée une
séparation claire entre ces deux types d'activités, de
manière à empêcher que les activités en concurrence
ne puissent bénéficier pour leur développement, au
détriment des entreprises opérant sur les mêmes
marchés, des conditions propres à l'exercice des missions
d'intérêt général.
Dans ce cas, la mise en place de comptes distincts par type d'activité,
s'appuyant sur une comptabilité analytique aussi fiable et transparente
que possible, constitue une condition nécessaire à l'exercice du
contrôle du respect des règles de la concurrence. En raison des
difficultés qu'implique l'établissement d'une comptabilité
analytique de qualité, cette condition n'est pas toujours suffisante
pour permettre un contrôle effectif des comportements au regard des
règles de la concurrence et il peut être nécessaire
d'opérer une séparation juridique entre les activités
d'intérêt général et les activités
concurrentielles. Cette séparation juridique peut éventuellement
être effectuée par voie de filialisation, en isolant chaque type
d'activité exercée dans une structure autonome fonctionnant de
préférence avec un personnel et des moyens matériels
propres. Il convient cependant de souligner que les coûts des
opérations d'assurance ainsi identifiés ne pourraient être
comparés qu'à ceux d'entreprises opérant sur les
mêmes marchés de produits et disposant du même type de
clientèle.