2. ... qui pourrait être compensé par une amélioration de la procédure de traitement des affaires

Votre rapporteur, ainsi que ses prédécesseurs soulignent depuis des années l'insuffisance des moyens accordés à la justice et la nécessité d'adapter ses crédits à ses besoins pour lui permettre d'assurer correctement ses missions. A cet égard, il s'inquiète du découragement observé chez certains magistrats. En outre, il ne peut que s'opposer à l'attitude, observée au ministère de la Justice, qui vise à regretter le classement pour opportunité quantitative tout en le jugeant inévitable dans la mesure où les tribunaux correctionnels sont déjà surchargés. Ces derniers seraient donc incapables de juger le flux d'affaires nouveau qui découlerait de la poursuite systématique de toutes les infractions.

Ces classements sont donc doublement critiquables . D'une part, ils ne sont pas justifiés par l'opportunité, mais par la nécessité de tenir compte de la gestion des flux et de la capacité de jugement des juridictions. On assiste alors à un véritable détournement du rôle du Ministère public . D'autre part, la détermination du seuil de déclenchement des poursuites en fonction de l'encombrement du tribunal conduit à d'importantes disparités dans le traitement pénal contraires au principe d'égalité devant la loi . Selon les lieux où ils commettent leurs méfaits, les délinquants bénéficieront d'une impunité plus ou moins grande. Une menace réelle semble peser sur la réalité de l'Etat de droit dont on essaie de tempérer la gravité par la transformation des notions. Ainsi, certains comportements sont appelés des " incivilités " ou des " indélicatesses ", officiellement parce qu'ils sont infrapénaux. Pourtant, lorsque les " incivilités " ou les " indélicatesses " sont en réalité des vols, il y a abus de langage. De même, les quartiers dans lesquels les pompiers ne se rendent plus et la police ne fait plus que des apparitions limitées sont qualifiés de quartiers de moindre droit, alors que la situation est beaucoup plus grave : l'Etat n'est plus capable d'y faire régner la loi !

Face à la réalité, la justice a le devoir de s'adapter afin de mieux répondre aux attentes des citoyens.

En outre, la nécessité supposée du classement sans suite est contredite par la pratique de quelques Parquets qui démontrent qu'à droit et à moyens constants, par une politique volontariste, il est possible de réduire le taux de classement sans suite de manière notable, même si ces pratiques ont leurs limites. Deux procédures sont utilisées conjointement : le traitement en temps réel et les modes alternatifs de résolution des conflits.

Alors que les pratiques de certains Parquets ont peu évolué, la délinquance a connu des mutations profondes. D'une part, les statistiques révèlent un accroissement très fort de cette dernière et, d'autre part, sa structure a considérablement changé avec le développement de la toxicomanie, de la délinquance urbaine et de la corruption. Le décalage entre cette réalité et son appréhension judiciaire s'est donc accru : les citoyens attendent une réponse rapide et claire de la justice que celle-ci n'est pas capable d'apporter à cause de délais excessifs dans le traitement des dossiers et de l'engorgement des tribunaux correctionnels.

La mise en place du traitement en temps réel a pour objet de permettre une réponse pénale rapide, diversifiée et mieux adaptée à effectifs et moyens constants.

Le traitement en temps réel permet tout d'abord d'accélérer le processus de traitement des affaires . En effet, toute affaire élucidée, crime, délit ou contravention de 5 ème classe, doit faire l'objet d'un compte rendu téléphonique immédiat au Parquet par le service enquêteur. Dès le constat dressé par la police judiciaire ou la gendarmerie, le magistrat prend une décision : poursuites, mesure alternative aux poursuites, présentation de la personne, convocation de la personne par officier de police judiciaire...

Le traitement en temps réel permet par ailleurs d'apporter une réponse judiciaire mieux adaptée . Le chef du Parquet doit guider son action selon le principe de réalité. Si le choix de la voie procédurale doit tenir compte de la gravité des faits et de la personnalité de l'auteur, elle est aussi fonction de la capacité quantitative de jugement de la juridiction. En outre, certaines affaires n'ont pas besoin d'être renvoyées devant le tribunal correctionnel ou le tribunal de police. Pour éviter que la systématisation des signalements conduise à une multiplication des classements sans suite, les modes alternatifs de résolution des conflits doivent être privilégiés. Ainsi, au Tribunal de grande instance de Bobigny, 15.000 affaires sont jugées chaque année et 10.000 font l'objet de solutions alternatives, dont 7.200 concernant les majeurs.

La technique du traitement en temps réel présente donc de nombreux avantages :


• elle renforce les liens de coopération entre le Parquet et la police judiciaire, qui se place immédiatement sous son contrôle ;


• elle motive les services de police et de gendarmerie qui connaissent immédiatement les suites données à leurs interventions 12( * ) ;


• elle favorise un meilleur traitement de certaines enquêtes contre les auteurs non identifiés grâce à un suivi plus efficace des enquêtes par le Parquet ;


• elle améliore la qualité technique des procédures par le jeu des questions-réponses entre les services d'enquête et les magistrats du Parquet ;


• elle apporte aux citoyens une visibilité accrue de l'action de la justice à travers une réponse pénale plus rapide et mieux adaptée ;


• elle autorise un signalement systématique de toutes les affaires résolues ;


• elle incite à l'élaboration d'une politique pénale lisible à travers la définition des contentieux prioritaires et la détermination infraction par infraction de la conduite à tenir ;


• elle fait gagner beaucoup de temps aux audiences en réduisant massivement le nombre de défauts de présentation ;


• elle améliore le fonctionnement de la justice en obligeant tous les maillons de la chaîne pénale (services de police et de gendarmerie, Parquet, magistrats du Siège, juge d'application des peines) à travailler en concertation.

Le bureau des enquêtes du Tribunal de grande instance de Bobigny 13( * )

Composé de trois magistrats et d'un secrétariat, ce bureau a vocation, sur saisine de la cellule permanente, à adapter les techniques du traitement en temps réel aux :


affaires de droit pénal général nécessitant un suivi dans la durée ;


contentieux techniques : droit du travail, urbanisme, droit de l'environnement, etc. 110 à 120 dossiers de ce type sont gérés chaque mois.

La gestion matérielle des dossiers

Cette gestion est informatisée grâce à un logiciel avec fonction agenda.

Pour chaque affaire dont est saisi le bureau des enquêtes, le secrétariat :

- procède à l'enregistrement,

- ouvre une cote où sont classés les éléments fournis au magistrat qui a reçu l'information et les instructions qu'il a données, et ultérieurement les éléments recueillis au fur et à mesure de la poursuite de l'enquête,

- fait parvenir au chef du service chargé de l'enquête une fiche sur laquelle figurent le numéro de l'affaire, la confirmation de la saisine du bureau des enquêtes ou l'indication du magistrat spécialement désigné pour suivre le dossier avec le numéro d'appel téléphonique de son secrétariat,

- assure le suivi des diligences demandées par le chef du bureau des enquêtes,

- procède systématiquement à la recherche des précédents concernant les personnes paraissant impliquées,

- doit être en mesure à chaque appel téléphonique concernant une affaire d'orienter le deandeur sur le magistrat compétent et de fournir à celui-ci la cote correspondante.

Le déroulement de l'enquête

Le magistrat chargé de suivre l'affaire, en principe le responsable du bureau des enquêtes se comporte en directeur d'enquête. Il peut notamment :

- ordonner le recours aux articles 62 et 78 du code de procédure pénale,

- faire procéder ou autoriser l'officier de police judiciaire à faire procéder à tous examens techniques ou scientifiques utiles à la manifestation de la vérité,

- faire vérifier la situation matérielle et sociale du mis en cause. Le cas échéant le faire examiner par un médecin expert,

- procéder ou faire procéder à tous actes nécessaires à la recherche et à la manifestation de la vérité,

- procéder lui-même à l'audition du mis en cause ou de personnes susceptibles de fournir des renseignements,

- requérir la force publique.

Il peut demander à l'officier de police judiciaire ou à l'agent de police judiciaire de lui transmettre par télécopie telle ou telle pièce du dossier ou de se transporter à son cabinet avec les procès-verbaux établis pour être mieux informé, convenir d'une stratégie ou, en fin d'enquête, arrêter la décision la plus appropriée et en fixer les modalités d'application.

L'atteinte de l'objectif visé suppose que le bureau des enquêtes ou le magistrat spécialement désigné pour suivre l'affaire soit informé le cas échéant du changement d'officier de police judiciaire ou agent de police judiciaire. Il peut arriver, en effet, que l'enquêteur initialement saisi se trouve soit empêché, soit affecté à d'autres tâches pour des raisons relevant de la seule autorité du chef de service.

La procédure ne doit pas être clôturée sans un contact préalable avec le magistrat du bureau des enquêtes.

Or, malgré les avantages indéniables de la procédure du traitement en temps réel, trop peu de juridictions l'ont mis en place.

L'argument souvent invoqué pour justifier l'absence de recours au traitement en temps réel est le manque de moyens. Or, la mise en place de cette procédure dans les Parquets qui la pratiquent s'est faite à effectif constant de magistrats et de fonctionnaires . Certes, la systématisation des signalements entraîne pour les Parquets un alourdissement très sensible de la permanence téléphonique. Mais la surcharge de travail qui en résulte ne doit être que provisoire si l'organisation du Parquet est revue en tenant compte de cette réalité. En effet, le traitement en temps réel déplace le moment de l'intervention du magistrat du Parquet, il ne la complique pas. Il peut même aboutir à une simplification du travail de ce magistrat. C'est ainsi que l'échange téléphonique entre substitut et enquêteur permet d'aboutir à l'expédition d'une procédure complète sur laquelle une décision d'action publique aura été prise avant son envoi au Parquet.

En outre, le recours à la troisième voie n'entraîne pas de frais supplémentaires, les délégués au procureur étant rémunérés sur frais de justice.

Comment donc expliquer le peu de succès du traitement en temps réel et des alternatives aux poursuites alors ces deux procédures permettent de diminuer de manière notable le taux de classement sans suite ?

En réalité, les réticences constatées par votre rapporteur chez certains Parquets à introduire le traitement en temps réel mettent en lumière les dysfonctionnements du système pénal.

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