B. LE RENFORCEMENT DE LA FACULTÉ D'EMPÊCHER
1. Une vision partielle des moyens de remédier au déficit démocratique
Le
thème du déficit démocratique recouvre souvent en fait
deux préoccupations distinctes :
- l'insuffisance du contrôle parlementaire sur le couple
Conseil-Commission,
- les excès de la bureaucratie communautaire.
Ces deux préoccupations appellent des réponses de nature
différente. La seconde peut trouver une solution dans une meilleure
prise en compte de la subsidiarité. Il en sera question plus loin. La
première invite à explorer deux voies
complémentaires : un renforcement des pouvoirs du Parlement
européen, une plus grande implication des parlements nationaux dans la
construction européenne. Compte tenu du mode d'élection, en
France, du Parlement européen, et de la proximité entre les
parlementaires nationaux et leurs électeurs, notre pays a souvent
marqué sa préférence pour la deuxième formule. Or
le traité d'Amsterdam a clairement tranché en faveur de
l'Assemblée de Strasbourg.
a) Le Parlement européen : principal bénéficiaire des évolutions institutionnelles.
Le
Parlement européen apparaît comme le principal
bénéficiaire des modifications apportées par le
traité d'Amsterdam. En effet, sa place dans le système
institutionnel se trouve confortée et ses pouvoirs renforcés.
Une assise plus solide dans le système institutionnel
Trois mesures concourent à conférer au Parlement européen
une assise plus solide dans les structures institutionnelles, même si
leur portée reste en pratique assez limitée.
•
Le nombre des membres du Parlement européen ne pourra
dépasser sept cents
(art. 189).
Aujourd'hui, le Parlement européen compte 626 parlementaires ;
cependant, les prochains élargissements conduiront nécessairement
à une progression des effectifs certainement excessive au regard des
conditions nécessaires au bon déroulement du travail
parlementaire aussi bien en séance publique qu'en commissions. C'est
pourquoi les négociateurs ont repris le principe d'un
plafond
proposé par l'Assemblée de Strasbourg. La mise en oeuvre de
ce plafonnement
appellera une réévaluation du nombre de
sièges
pour chacun des Etats membres et en conséquence une
adaptation des lois nationales relatives à l'élection du
Parlement européen. Quels seront les critères utilisés
dans cette perspective ? Le traité se borne à mentionner
" une représentation appropriée des peuples des Etats
réunis dans la communauté ". En d'autres termes, en la
matière rien n'a été tranché.
•
L'élection du Parlement européen obéira
à des principes communs à tous les Etats membres
ou
à une procédure uniforme
dans tous les Etats-membres (art.
190 § 4). Cette dernière formule, seule, figurait dans l'ancien
dispositif mais elle s'avérait peu réaliste car elle
requérait une harmonisation totale. Or, les procédures
applicables dans presque tous les Etats-membres apparaissent aujourd'hui
extrêmement diverses. Enfin, l'adoption d'une procédure commune
exigeait un degré de consensus très élevé
-unanimité du Conseil après avis conforme du Parlement
européen, puis adoption par les Etats-membres conformément
à leurs règles constitutionnelles respectives. Aussi bien, le
principe de subsidiarité comme le simple pragmatisme rendaient
nécessaire un assouplissement de la rédaction de cet article .
La référence nouvelle aux " principes communs à tous
les Etats-membres " offre une nouvelle marge de souplesse au Parlement
européen, désigné par le traité pour
préparer un projet relatif à son mode d'élection. La
Commission institutionnelle de cette assemblée a déjà
préparé un document de travail relative à
" l'élaboration d'un projet de procédure électorale
uniforme ou comprenant des principes communs pour l'élection des membres
du Parlement européen ".
• Le Parlement européen se voit reconnaître le
droit de
fixer son statut
ainsi que les conditions générales
d'exercice des fonctions de ses membres (art. 190 § 5).
Cette disposition s'est avérée nécessaire car,
jusqu'à présent, aucun statut unique n'avait été
défini ; or, certaines règles ou pratiques méritaient
un éclaircissement, qu'il s'agisse du régime des
indemnités ou des cas de déchéance de mandat de
parlementaire européen. Toutefois, l'initiative du Parlement
européen demeure
encadrée
dans la mesure où non
seulement l'avis de la Commission mais aussi l'approbation unanime du Conseil
sont nécessaires.
Un rôle accru dans la procédure de décision
Outre le droit d'investiture du président de la Commission dont il
dispose désormais, le Parlement européen bénéficie
également du renforcement de la procédure de codécision
-dans le cadre de laquelle une décision ne peut être prise sans
son accord- au terme d'une double évolution.
•
Une simplification des différentes procédures
au profit de la codécision
La procédure de
codécision
se substitue à la
procédure de coopération (dont l'application se limite
désormais aux dispositions relatives à l'Union économique
et monétaire). Elle concerne donc désormais les domaines
suivants : la non discrimination (art. 12),
le droit de circulation et
de séjour
sauf si le traité des Communautés
européennes en dispose autrement (art. 18), les règles
coordonnées relatives à la
sécurité sociale des
travailleurs migrants
de la Communauté (art. 42), la politique
des
transports
(art. 71 et 80), plusieurs aspects de la
politique
sociale
, les règles relatives au
Fonds social européen
(art. 148) à la
formation professionnelle
(art. 150), certaines
mesures concernant les
réseaux européens
(art. 156), les
décisions relatives aux
Fonds européen de développement
régional
(art. 162), la mise en oeuvre du programme-cadre
pluriannuel en matière de
recherche
et la définition des
programmes complémentaires (art. 172), certaines mesures relatives
à l'
environnement
(art. 175) et celles concernant la
coopération au développement
(art. 179).
La procédure d'
avis conforme
continue de s'appliquer à la
plupart des dispositions pour lesquelles le traité de Maastricht l'avait
prévue (à l'exception, désormais, du droit de circulation
et de séjour des citoyens de l'Union qui relèvera dans un
délai de 5 ans, si le Conseil en décide ainsi, de la
codécision) et prévaut également pour le
déclenchement d'une procédure de sanction contre un Etat membre
responsable de violations graves et persistantes des droits de l'homme (art.
7). Le Parlement européen n'a toutefois pas obtenu le pouvoir de donner
un avis conforme à toute nouvelle révision des traités.
Au total, les nouveaux domaines de la procédure de codécision
concernent essentiellement les matières du marché
intérieur (les Quinze articles concernés remplacent dans onze cas
la procédure de coopération, dans trois cas la procédure
de consultation, et dans un cas la procédure d'avis conforme). Si l'on
excepte la procédure de coopération -maintenue pour l'UEM- il
n'existe plus que trois procédures : avis conforme, consultation,
codécision.
• Une
meilleure maîtrise de la procédure
législative
dans le cadre de la codécision grâce
à la
suppression de la troisième lecture
qui permettait au
Conseil, en cas de désaccord avec le Parlement européen
après la réunion du comité de conciliation,
d'arrêter à la majorité qualifiée l'acte
concerné sauf si le Parlement européen décidait
d'intervenir une dernière fois pour rejeter le texte à la
majorité absolue de ses membres (art. 251 § 6)
Désormais, en cas d'échec de la conciliation ou de rejet, par
le Conseil ou le Parlement européen, de l'accord obtenu par le
Comité de conciliation, le texte est réputé non
adopté.
L'égalité entre le Parlement et le Conseil se trouve ainsi
rétablie.
Au terme des autres simplifications qui lui ont été
apportées, la
procédure de codécision
s'organise
désormais de la façon suivante :
- Le Conseil peut adopter l'acte législatif dès la
première lecture quand il accepte tous les amendements
présentés dans l'avis du Parlement ou lorsque celui-ci n'en a
déposé aucun (art. 251 § 2).
Dans les autres cas, il adopte une position commune.
Dans le régime actuel, même si l'avis du Parlement est positif, le
Conseil établit systématiquement une position commune qui est de
nouveau soumise au Parlement européen (art. 251 § 2). Le nouveau
système invitera peut-être le Parlement européen à
modérer les amendements présentés dans son avis pour
obtenir un accord du Conseil et éviter ainsi les délais
liés à la seconde lecture.
- Au stade de la seconde lecture, le Parlement peut rejeter directement,
à la majorité absolue, une position commune sans être tenu
d'abord, comme c'est le cas aujourd'hui, de laisser au Conseil la
possibilité de convoquer une réunion de conciliation (art. 251
§ 2).
Si le Conseil n'a pas accepté tous les amendements du Parlement sur la
position commune, il convoque un Comité de conciliation dans un
délai de
6 semaines
. Ce Comité se prononce, comme le
spécifie le traité, sur la base des amendements proposés
par le Parlement européen (251 § 4).
Une déclaration (n° 34) à l'Acte final souligne par ailleurs
que le délai réel entre la deuxième lecture du Parlement
européen et l'issue des travaux du Comité de conciliation ne doit
en aucun cas dépasser 9 mois.
Le
droit d'information
du Parlement européen connaît une
extension dans le nouveau titre VI du TUE (coopération policière
et judiciaire pénale) : outre l'information régulière
-dont le principe est maintenu- de l'Assemblée de Strasbourg, celle-ci
est consultée avant l'adoption par le Conseil des
décisions-cadre, des décisions et des conventions.
Confirmation de Strasbourg comme siège du Parlement
européen
Un protocole (n° 12) annexé aux traités confirme Strasbourg
comme siège du Parlement européen. Les douze périodes de
sessions plénières mensuelles -y compris la session
budgétaire- se tiennent dans cette ville. Ces précisions
satisfont les préoccupations de la France et permettent de mettre un
terme -espérons-le définitif- au débat récurrent
sur l'opportunité de regrouper à Bruxelles -où se
réunissent déjà les commissions du Parlement et les
parlementaires en période de sessions plénières annuelles-
l'ensemble des activités du Parlement (aujourd'hui dispersées sur
trois lieux puisque le Luxembourg abrite le secrétariat
général du Parlement et les services).
Des instances de consultation renforcées
Deux autres institutions paraissent bénéficier de la dynamique
favorable au Parlement européen : le Comité
économique et social et le Comité des régions.
•
L'extension du rôle consultatif du Comité
économique et social
Celui-ci pourra en effet désormais être consulté par le
Parlement européen et non plus seulement par le Conseil et la Commission
(art. 262). En outre son champ de consultation sera étendu à de
nouvelles matières introduites dans le traité d'Amsterdam
(emploi, questions sociales, santé publique).
•
Une place mieux affirmée pour le Comité des
régions
Il bénéficiera d'abord d'une plus grande autonomie à
travers trois séries de mesures : il disposera de ses propres services,
qu'il devait auparavant partager avec le Comité économique et
social (protocole n° 16) ; il pourra élaborer son règlement
intérieur sans le soumettre à l'approbation du Conseil (art.
264) ; enfin la qualité de membre du comité des
régions devient incompatible avec celle de parlementaire européen
(art. 198). Par ailleurs, le Comité peut être consulté par
le Parlement européen (art. 263) tandis que le champ de sa
compétence consultative s'étend à de nouveaux domaines
(emploi, questions sociales, santé publique, environnement,
coopération transfrontalière ...).
b) Le rôle des parlements nationaux : une reconnaissance de l'acquis plutôt que de réelles avancées
Le
Parlement français a plaidé, à maintes reprises, pour une
meilleure association des parlements nationaux à l'activité des
institutions européennes. Notre Gouvernement a tenu compte de ces
préoccupations et les résultats, certes modestes, obtenus au
cours de la Conférence intergouvernementale sont à porter
à son crédit.
Le
protocole n° 13
sur le rôle des parlements nationaux dans
l'Union européenne, annexé au traité, indique le souhait
des parties " d'encourager une participation accrue des parlements
nationaux aux activités de l'Union européenne et de renforcer
leur capacité à exprimer leur point de vue sur les questions qui
peuvent présenter pour eux un intérêt particulier ".
Le protocole se limite plutôt, en fait, à reconnaître des
acquis mais il leur confère une assise institutionnelle qui confortera
à l'avenir le rôle des parlements nationaux. Le protocole comprend
deux volets : les informations destinées aux parlements nationaux,
la consécration de la Conférence des organes
spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC).
•
Une meilleure information
L'obligation d'une transmission rapide des documents de consultation de la
Commission
(livres verts, livres blancs et communications) aux parlements
nationaux. Ces documents n'entrent pas actuellement dans le champ d'application
de l'article 88.4 de notre Constitution, qui permet au Parlement de voter des
résolutions sur les propositions d'actes communautaires. Or, comme le
rappelait notre collègue M. Pierre Fauchon, " si cette disposition
a été inscrite dans le traité, c'est à
l'évidence pour que les parlements nationaux puissent, en fonction des
pratiques constitutionnelles nationales, exprimer leurs
préoccupations " à ce stade de l'élaboration des
politiques communautaires
3(
*
)
.
Elle pourrait justifier en conséquence une révision de
l'article 88.4 à la faveur de la révision constitutionnelle de
toute façon indispensable à la ratification du traité
d'Amsterdam
.
En outre, l'organisation de la procédure législative doit
permettre une information satisfaisante des parlements nationaux : un
délai de 6 semaines
, en particulier, s'écoule entre la
présentation officielle d'une proposition législative ou d'une
proposition de décision prise en application du titre VI du
traité sur l'Union européenne est mise par la Commission à
la disposition du Conseil et la date à laquelle elle est inscrite
à l'ordre du jour du Conseil en vue d'une décision.
•
La reconnaissance de la Conférence des organes
spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC)
Le protocole consacre la COSAC et dote d'une base conventionnelle cet organe
informel, institué à Paris en novembre 1989. La COSAC comporte
des représentants des organes spécialisés des parlements
nationaux dans les affaires européennes. Elle se réunit en
principe deux fois par an.
La COSAC constitue une
instance consultative
dont le rôle s'exerce
de façon privilégiée dans les questions liées
à la mise en place d'un espace de liberté, de
sécurité et de justice.
Dans ce domaine, elle peut
examiner
toute proposition d'acte
législatif qui pourrait avoir des incidences sur les droits et
libertés.
En outre, elle peut adresser toute
contribution
sur les activités
législatives de l'Union, notamment pour l'application du principe de
subsidiarité et pour les questions relatives aux droits fondamentaux.
Toutefois, ces contributions ne lient pas les parlements nationaux.
2. Un contrôle juridictionnel et comptable mieux assuré
a) Une progression mesurée des compétences de la Cour de justice
Votre
rapporteur reviendra en détail sur les nouvelles attributions de la Cour
de justice, à l'occasion de l'examen des modifications apportées
par le traité d'Amsterdam au pilier communautaire et au troisième
pilier.
Il présentera ici de façon synthétique les trois
principales évolutions constatées dans ce domaine.
•
Une compétence de la Cour pour les dispositions du titre IV
du TCE
(visas, asile, immigration et autres politiques liées
à la libre circulation des personnes) dans des conditions
différentes, toutefois, du droit commun -recours préjudiciel
réservé aux juridictions internes dont les décisions ne
sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel, recours en constatation des
manquements étatiques limité (exclusion des mesures nationales
prises pour le maintien de l'ordre public ou de la sécurité
intérieure), mise en place d'un recours spécifique en
interprétation des dispositions et des actes pris pour l'application du
titre IV ouvert au Conseil, à la Commission ou à un Etat membre.
•
Une extension de la juridiction de la Cour au volet non
communautaire du troisième pilier
(coopération
policière et judiciaire en matière pénale) avec certaines
spécificités ici encore relatives au mécanisme des
questions préjudicielles, à la réserve
d'incompétence de la Cour pour les mesures d'ordre public, à la
mise en place d'un recours en annulation de certains actes sur la seule saisine
des Etats ou de la Commission et, enfin, à l'organisation d'un recours
pour régler les différends de nature interétatique.
•
Un contrôle de l'action des institutions dans le domaine du
respect des droits fondamentaux
(art. 6 § 2 TUE) dans la mesure
où la Cour est compétente en vertu du TUE et du TCE.
b) L'affirmation du rôle de la Cour des comptes
La Cour
des comptes prend désormais sa place aux côtés du Parlement
européen, du Conseil de la Commission et de la Cour de justice parmi les
institutions " généralistes " de l'Union (art 5 TUE).
Il y a là réparation d'un oubli fâcheux.
• La Cour peut intenter des
recours en annulation
tendant
à la sauvegarde de ses prérogatives sur la base de l'article 230
du traité CE.
• Par ailleurs, la
déclaration d'assurance
relative
à la fiabilité des comptes fournis au Parlement européen
et au Conseil bénéficie désormais d'une
publication
au journal officiel de la Communauté (art. 248 § 1), cette
déclaration figure parmi les documents examinés par le Parlement
européen pour donner décharge à la Commission de
l'exécution du budget.
• Le
contrôle
de la Cour peut s'effectuer dans les
locaux de tout organisme gérant des recettes ou des dépenses
au nom de la Communauté
, y compris dans les locaux de toute personne
physique ou morale bénéficiaire de versements provenant du budget
communautaire. Dans le même esprit, tout document nécessaire
à l'accomplissement de la mission de la Cour des comptes lui est
communiqué, sur sa demande, par les organismes gérant des
recettes ou des dépenses au nom de la Communauté et par les
personnes physiques et morales précitées (art. 248 § 3).