III. UNE AMBITION SANS STRATÉGIE
La
procédure fondée sur une négociation permanente aux
différents niveaux animant la Conférence intergouvernementale n'a
pas vraiment permis l'émergence d'une force d'initiative. Ce qui a
manqué en effet au processus ouvert à Turin c'est un
véritable moteur de propositions. Ni les Etats, ni même d'ailleurs
les institutions, et au premier chef, la Commission, n'ont vraiment
cherché à jouer ce rôle.
Le couple franco-allemand n'a pas joué son rôle traditionnel de
moteur d'initiatives
. Pourtant, les prémices de la
négociation se présentaient plutôt sous des auspices
favorables. Le 6 décembre 1995 une première lettre commune du
Président de la République et du Chancelier Kohl, adressée
au Président du Conseil européen, M. Felipe Gonzales, assignait
quatre objectifs prioritaires à la CIG : la mise en oeuvre d'une
"politique étrangère et de sécurité commune plus
visible et plus déterminée", la constitution d'un "espace
homogène" où la liberté de mouvement, comme la
sécurité du citoyen, serait assurée, la mise en place
d'institutions plus efficaces pour l'Union et enfin, le renforcement de
l'ancrage démocratique.
Soucieux de faire progresser la négociation, les cosignataires
adressèrent le 9 décembre 1996 une deuxième lettre au
Président du Conseil européen afin d'exposer de manière
plus détaillée les propositions franco-allemandes dans la
perspective d'un compromis final.
Cependant, il semble que dans les mois, pourtant cruciaux, qui
précédèrent la conclusion de la Conférence, le
moteur franco-allemand se soit enrayé. Si les positions
franco-allemandes déguisaient des désaccords de fond sur certains
points, l'attitude de l'Allemagne a également évolué
progressivement dans un sens moins favorable aux réformes.
•
Incertitudes allemandes
Quatre facteurs ont sans doute contribué à placer l'Allemagne en
position de retrait. En premier lieu, le gouvernement allemand n'a pas toujours
fait preuve d'une parfaite cohésion lors de la négociation ; la
réaction des autorités aux propositions françaises
apparaît à cet égard significative. L'écho
plutôt favorable donné par la Chancellerie à la
réforme de la Commission et à la création d'un haut
représentant pour la politique étrangère et de
sécurité commune s'est trouvé contrarié par les
réticences du ministre des affaires étrangères, M. Klaus
Kinkel, soucieux sans doute, de conserver un commissaire libéral au sein
de l'institution communautaire et de conjurer par ailleurs le risque
éventuel de concurrence soulevé par la création d'un
"ministre des affaires étrangères européen".
Au-delà de ces discordances, la position allemande s'est
également trouvé neutralisée par les revendications des
länder. Jaloux de leurs compétences, ces derniers ont notamment
joué un rôle décisif dans le revirement allemand sur
l'extension du vote à la majorité qualifiée,
appuyée puis rejetée par notre partenaire d'outre-Rhin.
Par ailleurs, l'Allemagne, en fait, ne s'est pas
désintéressée des réformes. Elle a plaidé
pour le renforcement du pouvoir du Parlement européen, seule institution
à vraiment sortir gagnante de la négociation. Or, la
répartition des sièges au sein de cette institution, souvent
négligée par la France, permet -bien mieux que le Conseil- une
prise en compte de l'importance démographique de chaque Etat.
La promotion du Parlement européen permettait ainsi à l'Allemagne
de rappeler son attachement à la légitimité
démocratique de la construction communautaire tout en lui assurant en
même temps le maintien de son influence. Une fois acquis le renforcement
du rôle du Parlement européen, notamment à travers
l'extension de la procédure de codécision, l'Allemagne pouvait
accorder moins de prix à l'aboutissement des autres réformes
institutionnelles.
Enfin, il est clair que le Chancelier a donné la priorité
à la mise en oeuvre de l'Union économique et monétaire
ainsi qu'à l'élargissement.
•
Ambiguïtés françaises
La France pour sa part, s'est distinguée par une vision plus ambitieuse
de la réforme institutionnelle. Elle n'est toutefois pas allée au
terme de la logique de ses propositions.
La France a défendu l'extension du vote à la majorité
qualifiée... mais elle en a refusé l'application à des
pans pourtant essentiels du premier pilier comme la fiscalité. Notre
pays a par ailleurs consenti au renforcement des pouvoirs du Parlement
européen sans se départir d'un discours plutôt hostile et
après avoir défendu des positions de négociation rigides
-telles que le maintien de la procédure de coopération.
Ces contradictions n'ont pas permis à la France de tirer tout le parti
que lui procurait son positionnement audacieux pour relancer la dynamique de la
négociation.
Au contraire, elles ont conduit certains de nos partenaires à voir dans
la démarche du gouvernement français une volonté de
rééquilibrer les pouvoirs de décision en faveur des
"grands pays", ce qui n'était certes pas étranger aux
préoccupations françaises. Dès lors,
les débats
ont tendu à donner pour enjeu à la réforme
institutionnelle le rapport des forces entre "petits" et "grands" Etats
plutôt que l'impératif d'efficacité lié aux
prochains élargissements
. La mise en place d'un
"front
commun"
entre certains Etats traditionnellement proeuropéens mais
inquiets de la formation éventuelle d'un "directoire des Grands" et des
eurosceptiques habituels explique, pour une large part, le demi-échec de
la Conférence intergouvernementale.
Les institutions n'ont pas pris vraiment le relais de la force d'initiative
défaillante du moteur franco-allemand. Présente tout au long de
la négociation, la Commission a pourtant présenté
certaines de ses propositions à un moment où les discussions
s'étaient déjà figées sur certaines positions et
n'a pas su retrouver l'influence qui était la sienne au moment des
discussions relatives à l'Acte unique.
Le Parlement européen a su mieux se faire entendre des
négociateurs. S'il n'a pas participé directement aux discussions
-comme il l'avait fait dans le cadre des travaux du groupe Westendorp- il a
obtenu la qualité d'observateur. Ses deux représentants (Mme
Guigou et M. Broek) ont rencontré au moins une fois par mois le groupe
des représentants tandis que le Président du Parlement a pu
s'exprimer devant les conseils européens et les réunions de la
conférence au niveau ministériel. Ces efforts ne sont pas
demeurés sans écho et le traité d'Amsterdam a
étendu de façon sensible les compétences au Parlement
européen.
*
* *
D'une
façon générale, les positions des Etats dans le cadre de
la CIG ont été marquées par deux traits :
- un souci plus marqué de la
défense des intérêts
nationaux
dont témoigne l'inflation des déclarations souvent
inspirées par des motivations étroitement circonscrites
(déclaration sur les établissements de crédit de droit
public demandée par l'Allemagne, déclaration "relative aux
régions insulaires" à l'initiative de la Grèce, protocole
sur "la protection et le bien-être des animaux" souhaité par le
Royaume-Uni...).
- une
difficulté à prendre des engagements concrets
en
faveur de la construction européenne ; cette réticence se traduit
à l'inverse par la
prolifération de dispositions purement
déclaratoires
et dépourvues de force juridique.
Influence d'une opinion publique sceptique vis-à-vis de l'Union
européenne ? Repli identitaire face à la mondialisation ?
Revendication d'un "droit d'inventaire" par rapport au contenu et aux
méthodes de la construction européenne ? Ces différents
éléments expliquent sans doute la généralisation
d'un "euro-réalisme" peu propice à des réformes
ambitieuses.
Si ces circonstances ont sans doute interdit au traité d'imprimer une
orientation marquante à la construction européenne, les
résultats obtenus par la Conférence intergouvernementale ne
peuvent cependant être tenus pour négligeables. Le dispositif
retenu apporte quelques aménagements notables à des volets
essentiels de l'activité européenne. Encore convient-il de
déceler ces infléchissements sous une présentation peu
lisible et hautement complexe.
En effet, outre les cinq articles consacrés aux modifications de fond
apportées au traité sur l'Union européenne et aux
traités instituant les Communautés européennes, les six
articles dévolus à des simplifications formelles et les quatre
articles relatifs aux dispositions générales, le traité
d'Amsterdam ne comprend pas moins de
treize protocoles.
Il faut ajouter
51 déclarations adoptées par la Conférence
et 8
déclarations dont la Conférence a pris acte. Aujourd'hui, le
recul du temps, comme les excellents travaux de notre Délégation
pour l'Union européenne, permettent de porter un regard plus complet sur
les résultats d'Amsterdam et d'en mieux apprécier la
portée.
Ainsi, le présent rapport analysera successivement les dispositions du
traité d'Amsterdam consacrées :
- aux
institutions européennes
,
- aux
principes fondamentaux et aux politiques communautaires
,
- aux questions de la
libre circulation des personnes
, de la
sécurité
et de la
justice
,
- à la
politique étrangère et de sécurité
commune
.
*
* *
Nota
bene
Dans les développements qui suivent :
-
Les passages précédés d'un (
.
)signalent
les modifications apportées par le traité d'Amterdam
- Les abréviations TUE et TCE renvoient respectivement au traité
sur l'Union européenne et au traité instituant la
Communauté européenne.