CONCLUSIONS
Au terme
de cette analyse détaillée des dispositions du traité,
votre rapporteur présentera plusieurs observations et propositions qui
constituent une contribution au débat qu'il reviendra à la
commission des Affaires étrangères et de la Défense, puis
au Sénat dans son ensemble, de conduire après le
dépôt par le gouvernement du projet de loi autorisant la
ratification du traité d'Amsterdam.
Votre rapporteur dressera d'abord un bilan des avancées et des
insuffisances des résultats de la Conférence
intergouvernementale. Il s'interrogera ensuite sur l'opportunité de
ratifier l'accord et le cas échéant, sur les conditions de
ratification. Enfin, il présentera plusieurs initiatives susceptibles de
relancer la réforme institutionnelle.
I. NI EXCÈS D'HONNEUR, NI INDIGNITÉ ...
Même s'il n'apporte pas de développement majeur
à la construction européenne, le traité d'Amsterdam
apporte des inflexions importantes au dispositif existant. Il est possible d'en
évaluer la portée dans quatre domaines présentés
ici dans l'ordre décroissant de leurs mérites au regard de la
construction européenne.
•
La mise en place d'un espace de liberté, de
sécurité et de justice
Il faut souligner dans ce domaine, selon votre rapporteur, trois
avancées
réelles
.
-
La "communautarisation" progressive des questions relatives à la
libre circulation des personnes
,
à l'asile et à
l'immigration
. Ces matières, jusqu'à présent
régies par les règles de la négociation
intergouvernementale, obéiront, au terme d'une période de
transition de 5 ans, aux procédures communautaires : initiative de la
Commission et, à condition que le Conseil le décide à
l'unanimité, majorité qualifiée et codécision du
Parlement européen. Dans ces domaines où la coopération
est devenue indispensable, l'efficacité passe en effet par une plus
grande souplesse de décision.
-
L'intégration de l'"acquis de Schengen" dans le cadre de l'Union
européenne
; elle n'aura pas seulement pour effet de restaurer la
cohérence d'un dispositif passablement complexe, mais aussi de donner
pour principe à la coopération à quinze
le lien
reconnu par les accords de Schengen
entre libre circulation et
sécurité
.
-
L'assouplissement des mécanismes de la coopération
intergouvernementale
le cadre du troisième pilier maintenu -mais
désormais cantonné à la coopération
policière et judiciaire en matière pénale.
Votre rapporteur fera toutefois état d'un regret et d'une
inquiétude :
- un regret, d'abord : le vote à la majorité qualifiée n'a
aucunement progressé dans le cadre du troisième pilier refondu,
alors qu'il eut été très utile pour avancer sur la voie
d'un espace judiciaire européen ;
- une inquiétude : la multiplication des statuts dérogatoires
pour le Royaume-Uni, l'Irlande et le Danemark.
•
La politique étrangère et de sécurité
commune
Dans ce domaine, le bilan d'Amsterdam apparaît plus contrasté.
Il importe de relever la mise en place
d'une unité de planification
et d'alerte rapide,
qui plus qu'un "M. PESC" au profil administratif,
constitue une innovation prometteuse permettant d'amorcer très en amont
la concertation nécessaire.
Deux autres modifications inspirent un jugement plus nuancé :
- Les règles de vote ont été assouplies, notamment avec la
reconnaissance du principe de
l'abstention constructive
. Cependant, tout
Etat dispose d'un droit de veto quand il invoque des "raisons de politique
nationale importantes". En outre, les coopérations renforcées ne
peuvent s'appliquer à la PESC qui en constitue pourtant le champ
d'application privilégié.
- Dans le domaine de la sécurité européenne, les pays
neutres ont accepté que les
missions dites de Petersberg
,
principalement les missions humanitaires ou de maintien de la paix, soient
intégrées au traité et il y a là un
infléchissement intéressant au regard de la position
traditionnelle de ces pays. Cependant, hormis sur ce point, le statu quo
prévaut et on peut le regretter.
•
Les politiques communes
Les résultats apparaissent ici encore plus modestes. Toutefois, si les
avancées relèvent en effet plutôt de l'ordre de la
rhétorique, du moins ont-elles le mérite d'ouvrir la politique
communautaire sur des préoccupations plus proches des citoyens et cela
n'est pas indifférent au moment où l'Europe tend à
susciter plus de défiance que d'enthousiasme. Trois modifications
méritent donc d'être relevées :
-
l'intégration du protocole social au traité
communautaire
après la levée de l'opposition britannique ;
-
un nouveau titre sur l'emploi
et le renforcement de la coordination
dans ce domaine ;
- enfin,
en matière de santé
, la possibilité pour
le Conseil d'adopter à la majorité qualifiée, d'une part,
des normes élevées de qualité pour les substances
d'origine humaine et, d'autre part, des mesures dans le domaine
vétérinaire. Ces dispositions traduisent moins une extension des
compétences communautaires qu'une
réappropriation par
l'autorité politique
, incarnée par le conseil, de
responsabilités assumées jusqu'à présent à
l'échelle administrative.
•
La réforme institutionnelle
Sur ce point, le plus important, pourtant, aux yeux de votre rapporteur, le
traité d'Amsterdam a failli à ses objectifs.
Il n'a en effet apporté que deux seules modifications :
une
extension de la procédure de codécision
qui associe à
parité le Parlement et le Conseil dans la procédure de
décision ;
la mise en place des coopérations
renforcées
. Or ces deux mesures, pourtant limitées,
soulèvent bien des incertitudes.
L'extension de la codécision n'appelle pas en soi d'objection de
principe. Toutefois, elle a pour effet de faire du Parlement européen la
seule institution qui sorte renforcée du traité d'Amsterdam,
compte tenu du statu quo observé vis-à-vis du Conseil et de la
Commission. Ainsi, il faut bien le reconnaître,
elle a plutôt
favorisé la faculté d'empêcher plutôt que la
capacité d'initiative
.
Les coopérations renforcées, quant à elles, permettent
à certains Etats désireux d'aller de l'avant dans des domaines
délimités de s'associer, tout en respectant le cadre
institutionnel de l'Union. A cet égard, cette formule
représentait une véritable alternative à l'extension du
vote à la majorité qualifiée qui avait été
refusée à Amsterdam. Cependant, les conditions excessivement
rigoureuses définies pour la mise en oeuvre d'une coopération
renforcée, ainsi que la possibilité pour tout Etat de s'y opposer
affaiblissent beaucoup ce nouvel instrument.
Incapables de s'entendre à Amsterdam sur un dispositif institutionnel
réformé, les négociateurs ont décidé dans le
cadre d'un
protocole
17(
*
)
de
reporter
la question
à deux échéances plus
lointaines :
- première échéance : le premier élargissement de
l'Union
; à cette date, la Commission se composera d'un national de
chaque Etat membre, à la condition que la pondération des voix au
sein du Conseil ait été modifiée soit par une nouvelle
pondération des voix soit par une double majorité "d'une
manière acceptable pour tous les Etats membres", compte tenu notamment
d'une compensation pour ceux qui renoncent à la possibilité de
désigner un deuxième membre de la Commission
18(
*
)
;
-
Deuxième échéance : un an au moins avant que l'Union
européenne ne compte plus de vingt membres
, une Conférence
sera convoquée pour procéder à un réexamen complet
des dispositions des traités relatives à la composition et au
fonctionnement des institutions.
Certes, ces deux positions se distinguent par leur portée : la
première concerne seulement la Commission et le Conseil, la seconde
ouvre la perspective d'une réforme d'ensemble des institutions.
Cependant, elles ont toutes deux en commun de reconnaître la
primauté à l'élargissement.
La première disposition ne pose pas, en effet, de
lien entre
réforme et élargissement mais entre deux réformes de
nature différente.
La seconde définit une méthode de
révision -une conférence intergouvernementale- sans fixer
aucune obligation de résultat
.
La France avait souhaité que l'aménagement institutionnel
constitue le préalable de l'élargissement. Or,
l
'élargissement dans la configuration dessinée par la
Conférence intergouvernementale risque fort d'anticiper la
réforme.
Mais la formulation du protocole présente bien d'autres limites sur
lesquelles il convient de revenir.
En premier lieu le lien posé, dans le cadre de la première
échéance, entre la modification de la composition de la
Commission et la repondération des voix au Conseil ne présente,
de quelque point de vue -logique, procédural, politique- que l'on se
place, aucune justification :
- sur le fond, le seul lien pertinent doit s'établir entre la
repondération des voix et l'extension du vote à la
majorité qualifiée ;
- sur le plan de la procédure, la réduction du nombre des
commissaires relève d'une simple décision du Conseil (art. 213
§ 1), une nouvelle pondération requiert au contraire une
révision des traités
19(
*
)
;
- d'un point de vue politique, le lien se présente comme une concession
des "petits" Etats (sur la repondération) contre une concession des
"grands" (sur la Commission) ; ainsi c'est le clivage même entre deux
groupes d'Etats, dont on sait combien il a été paralysant pour la
Conférence intergouvernementale, qui se trouve figé dans ce texte.
Enfin, la voie choisie pour la réforme de la Commission -qui constitue
en soi un problème distinct- apparaît problématique car,
comme l'a souligné avec raison M. Laurent Cohen-Tanugi devant notre
commission, elle ne réduit pas notablement les effectifs de la
Commission européenne mais elle consacre en revanche la
"renationalisation" d'une institution que les "pères fondateurs" avaient
justement souhaité indépendante pour servir
l'intérêt commun.
Le lien posé entre une réforme institutionnelle d'ensemble et
l'élargissement de l'Union au-delà de vingt membres
soulève une autre série de difficultés.
D'une part, il reprend une formule dont la Conférence
intergouvernementale vient précisément de souligner les
défauts. D'autre part, et surtout, il recule la date limite de la
réforme institutionnelle au moment où l'Union comprendra
déjà vingt membres. Or, comment parvenir à vingt à
un accord impossible à trouver à quinze ?
Rien n'interdit cependant d'attendre le moment où l'Union aura atteint
vingt membres pour ouvrir la négociation sur la réforme. Le
protocole fixe seulement une
date limite
(l'année qui
précède la vingt et unième adhésion). Dans ce
cadre, la réforme peut s'ouvrir à tout moment. C'est du reste
peut-être le seul élément réellement positif du
protocole dans la mesure où il peut servir
dès maintenant
de base à une initiative institutionnelle de grande ampleur.