Mesdames, Messieurs,
A l'occasion de l'examen de la proposition d'acte communautaire E 925
concernant "
le développement et la consolidation de la
démocratie et de l'état de droit ainsi que le respect des droits
de l'homme et des libertés fondamentales
", la
délégation pour l'Union européenne avait été
amenée à évoquer un problème plus
général : celui de l'existence, dans le budget
communautaire, de crédits portant sur des montants souvent importants
qui sont inscrits sans base légale, c'est-à-dire sans
autorisation formelle du Conseil.
Or, pour qu'une dépense communautaire puisse être
engagée, il faut, d'une part, qu'un crédit soit inscrit à
cet effet dans le budget communautaire, et, d'autre part, qu'un acte de base,
relevant de l'autorité législative, autorise cette
dépense
; en d'autres termes, il faut à la fois une
décision budgétaire et une décision normative.
Cette double exigence a été reconnue par les institutions
communautaires dans une "
déclaration commune du Parlement
européen, du Conseil et de la Commission
" en date du 30 juin
1982 qui précise que "
l'exécution de crédits
inscrits au budget pour toute nouvelle action communautaire significative
nécessite l'arrêt préalable d'un règlement de
base
". Cette déclaration a ensuite été
confirmée par une nouvelle déclaration, annexée à
l'accord interinstitutionnel signé entre le Parlement européen,
le Conseil et la Commission le 29 octobre 1993, et qui indique que
"
les trois institutions confirment leur attachement aux principes
énoncés au chapitre IV, paragraphe 3 b) et c) de la
déclaration commune de 1982, concernant les montants maximaux et
l'exigence d'une base légale, et s'engagent à en améliorer
la mise en oeuvre
".
Mais, en dépit de ce nouvel engagement de 1993, la déclaration
de discipline budgétaire de 1982 n'a pas été
respectée.
C'est la raison pour laquelle la délégation
a adopté, le 4 décembre 1997, à l'occasion de l'examen de
la proposition d'acte communautaire E 925, des conclusions dans lesquelles elle
s'étonnait que, pendant plusieurs années, l'Union
européenne ait pu financer, sans base juridique, des actions importantes
comme celle en faveur des droits de l'homme.
Or, cette question connaît une nouvelle actualité avec
l'arrêt rendu par la Cour de Justice des Communautés
européennes le 12 mai 1998, ainsi qu'avec les nouvelles propositions
d'exceptions au principe des bases légales que la Commission a rendues
publiques le 29 avril dernier.
Après avoir rappelé l'origine du problème des bases
légales nécessaires à l'inscription des crédits
dans le budget communautaire, le présent rapport décrit les
conditions dans lesquelles ce principe a été appliqué par
la Commission européenne ; il fournit ainsi le bilan actuel de la
situation du budget communautaire au regard de la régularité des
crédits inscrits au budget ; il évoque enfin les nouvelles
propositions d'exceptions proposées par la Commission après sa
condamnation par la Cour de Justice.
I. L'ORIGINE DU PROBLÈME DES BASES LÉGALES
Jusqu'en
1979, année d'élection au suffrage universel direct du Parlement
européen, c'est-à-dire tant que le Conseil a exercé seul
le pouvoir budgétaire, le budget européen a été
établi sans conflit majeur entre les institutions européennes. En
revanche, dès 1980, le Parlement rejetait pour la première fois
le budget qui avait été arrêté avec six mois de
retard. C'est à l'occasion de ce premier conflit qu'est apparue la
question des bases légales des dépenses communautaires.
Ceci s'explique par le fait que la question des bases légales n'est que
la traduction juridique des rapports entre le pouvoir législatif et le
pouvoir budgétaire dans le système institutionnel de la
Communauté.
Le problème essentiel que recouvre cette expression étrange de
" base légale "
peut être ainsi
résumé : dès lors qu'un crédit est inscrit dans le
budget de la Communauté, la dépense peut-elle être
engagée, même s'il n'existe aucun texte normatif
définissant et autorisant l'action communautaire ainsi financée ?
Cette question n'est pas particulière à la Communauté et
on en retrouve peu ou prou la traduction dans les systèmes
institutionnels des Etats membres. Toutefois, elle se pose d'une manière
totalement spécifique dans la Communauté en raison des
particularités du système institutionnel communautaire. On sait
en effet que, dans le système institutionnel de la Communauté :
- le pouvoir normatif est partagé entre les trois institutions : la
Commission qui a un pouvoir d'initiative, le Conseil et le Parlement qui ont le
pouvoir de décision,
- le pouvoir exécutif est partagé entre deux institutions : la
Commission et le Conseil.
Mais, et c'est là que le système montre toute sa
complexité, la répartition des pouvoirs de décision entre
le Conseil et le Parlement n'est pas la même dans le domaine normatif et
dans le domaine budgétaire. En effet, dans le domaine budgétaire,
le Parlement peut, dans le cas des dépenses non obligatoires, faire
prévaloir ses demandes même si le Conseil n'est pas d'accord ; il
peut donc obtenir l'inscription de certains crédits en dépit de
l'opposition du Conseil. En revanche, dans le domaine normatif, le Parlement ne
peut jamais faire adopter une action si le Conseil y est totalement
opposé et si un accord ne se dégage pas entre Conseil et
Parlement.
Pour illustrer ce mécanisme par un cas concret, on peut citer l'exemple
qui a donné lieu au dernier arrêt de la Cour de Justice en
matière de base légale, il y a moins d'un mois. En septembre
1993, la Commission a présenté une proposition de décision
du Conseil portant adoption d'un programme d'action à moyen terme de
lutte contre l'exclusion et de promotion de la solidarité portant sur la
période 1994-1999, intitulé
" Pauvreté
4 ".
Dès la fin du mois de juin 1995, il est apparu que la
proposition
" Pauvreté 4 "
ne serait pas adoptée
par le Conseil. Le budget européen pour l'exercice 1995 prévoyait
néanmoins 20 millions d'écus en faveur de la lutte contre la
pauvreté et l'exclusion sociale. Or, dans un communiqué de presse
du 23 janvier 1996, la Commission a annoncé l'octroi de subventions
à 86 projets de lutte contre l'exclusion sociale pour un montant total
de 6 millions d'écus. C'est bien là un exemple précis de
crédit budgétaire engagé par la Commission alors qu'il
n'existait pas d'acte de droit dérivé autorisant l'action que ce
crédit doit financer.
Et l'on comprend toute l'importance de cette question sous l'angle
institutionnel : il s'agit en fait de savoir si, lorsque le Conseil a
refusé une action proposée par la Commission, celle-ci a quand
même le droit d'engager cette action du seul fait qu'il existe des
crédits dans le budget à cette fin.
*
A. LA CRISE BUDGÉTAIRE DE 1982 ET LE PREMIER ACCORD INTERINSTITUTIONNEL
Cette question n'est pas nouvelle. Elle est apparue dans le débat entre les institutions dès le début des années 1980. Elle figurait d'ailleurs au milieu de nombreuses autres questions à propos desquelles les institutions se sont alors affrontées. Le point culminant de la crise est apparu à la fin de 1981. Le budget pour 1982 fut même arrêté par le Président du Parlement sans l'accord du Conseil sur la classification des dépenses en dépenses obligatoires et dépenses non obligatoires. Pour sauvegarder ses compétences, le Conseil a alors engagé une action devant la Cour de Justice. Mais, parallèlement, un dialogue s'est mis en place entre les trois institutions. Et ce dialogue a abouti, en 1982, à un accord qui a été signé sous la forme d'une déclaration commune du Parlement européen, du Conseil et de la Commission.
Déclaration commune du Parlement européen,
du Conseil et de la Commission du 30 juin 1982
L'exécution de crédits inscrits au budget pour
toute
nouvelle action communautaire significative nécessite l'arrêt
préalable d'un règlement de base. Dans le cas où de tels
crédits seraient inscrits au budget avant qu'une proposition de
règlement ait été soumise, la Commission est
invitée à présenter une proposition pour la fin de janvier
au plus tard.
Le Conseil et le Parlement prennent l'engagement de tout mettre en oeuvre afin
que le règlement en question soit arrêté au plus tard
à la fin mai.
Dans le cas cependant où le règlement ne pourrait être
arrêté dans ce délai, la Commission soumet des propositions
de rechange (virements) permettant d'assurer l'utilisation pendant
l'année budgétaire des crédits dont il s'agit.
Que contenait cette déclaration commune ?
1° - Elle affirmait d'abord avec netteté l'exigence d'un
règlement de base, c'est-à-dire d'un acte de droit
dérivé, pour l'exécution des crédits inscrits au
budget pour une "
nouvelle action communautaire
significative
". Pour exécuter de tels crédits, il faut
donc, d'une part, qu'ils soient inscrits au budget et, d'autre part, qu'ils
correspondent à une action définie par un acte communautaire. Et
la déclaration commune ajoutait que ce règlement de base devait
être "
préalable
".
2° - Pour le cas où des crédits seraient inscrits au budget
sans qu'il y ait un règlement de base préalable, elle invitait la
Commission à présenter une proposition et elle prenait acte de
l'engagement du Conseil et du Parlement à tout mettre en oeuvre pour que
le règlement soit adopté rapidement.
On comprend bien la logique qui sous-tend cette déclaration commune.
Elle pose d'abord clairement le principe qu'une action communautaire nouvelle
et significative exige à la fois des crédits et un acte
communautaire. Elle précise que l'acte communautaire doit être
préalable à l'inscription des crédits. Pour le cas
où l'inscription des crédits se ferait avant l'adoption d'un acte
communautaire, elle demande que cet acte communautaire soit adopté
rapidement. Mais, tant que l'acte communautaire n'est pas adopté, il est
clair que les crédits ne peuvent être exécutés.