2. Une prise de conscience récente sur l'importance de la question industrielle
On a en effet le sentiment que, depuis un peu plus de deux ans, les différentes instances communautaires portent davantage intérêt à l'avenir de l'industrie européenne.
a) L'analyse de la compétitivité européenne par la Commission
•
L'approche compétitive
En 1996, la Commission a publié une communication
(86(
*
))
portant sur
" le
benchmarking de la compétitivité de l'industrie
européenne "
, c'est-à-dire l'étalonnage des
performances compétitives,
considérant qu'une telle
démarche d'analyse de la compétitivité peut fournir un
instrument utile et performant pour l'améliorer en se
référant aux meilleures pratiques mondiales.
La Commission laisse à l'industrie le soin de procéder à
cette opération pour les entreprises individuelles :
" la
coopération industrielle et la constitution de réseaux,
inhérentes à l'étalonnage des performances, sont des
instruments efficaces pour la mise au point d'une " façon de
faire " européenne et pour le développement réel
d'une culture européenne de la qualité, qui renforceront
l'industrie européenne de l'intérieur et l'aideront à
affronter ses concurrents à l'extérieur ".
Par
conséquent, elle invite les parties concernées à
créer un système européen, en mettant en commun leur
expérience, par l'établissement d'indicateurs et de
critères communs.
L'étalonnage des performances peut aussi s'appliquer aux secteurs
industriels entiers, comme une extension naturelle de l'étalonnage des
performances des entreprises : les mêmes principes peuvent s'appliquer au
groupe d'entreprises qui composent une industrie et pour lesquelles les
modèles comparables des meilleures pratiques sont fondamentaux pour la
compétitivité.
Ainsi, la Commission a déjà souligné l'importance de
l'étalonnage des performances pour les secteurs, dans plusieurs
communications récentes, notamment sur les industries automobile et
chimique
(87(
*
)).
Cet
étalonnage permet à la Commission de contrôler sur une base
continue la capacité des industries européennes à
répondre à la concurrence internationale.
L'étalonnage porte sur les coûts (de la main-d'oeuvre, du
financement, de la fiscalité...), sur les principaux intrants de la
compétitivité industrielle
(prix, qualité et
accès aux services - télécommunications,
transports... - productivité du travail et du capital), sur les
compétences (qualification, éducation, formation), sur le
degré d'innovation (licences technologiques, rapidité à
pénétrer le marché...), et sur l'efficacité
industrielle dans le domaine de l'environnement (énergie, utilisation de
l'eau...).
A son tour, le Parlement européen a récemment confirmé
l'intérêt de ces études d'étalonnage des
performances permettant de détecter les raisons pour lesquelles
l'industrie européenne est moins compétitive que ses concurrentes
japonaise et américaine
(88(
*
))
.
• L'approche sectorielle
La Commission se livre également à l'analyse par secteur
industriel des atouts et faiblesses européennes face à la
concurrence mondiale, ce qui nous semble une excellente méthode
d'appréhension des problèmes dès lors qu'elle laisse aux
industriels le choix des stratégies à conduire. Elle a ainsi
établi ce type de diagnostic en matière de textile-habillement en
novembre 1997, et plus récemment pour le secteur aéronautique
(
89(
*
)
).
La réussite d'Airbus ne doit en effet pas masquer la
nécessité d'une recomposition rapide et radicale de l'industrie
aéronautique européenne, qui reste très fragmentée,
ainsi que l'a récemment souligné la Commission
(90(
*
))
à partir d'une comparaison
Europe-Etats-Unis. La restructuration de ce secteur, par les entreprises et les
Etats membres eux-mêmes, pourra s'inspirer des éléments de
la stratégie proposée par le " Memorandum Bangemann " :
- création de groupements européens, rassemblant de
manière trans-sectorielle, toutes les entreprises européennes du
secteur spatial (producteurs civils et militaires d'avions,
d'hélicoptères ou de missiles, fournisseurs d'électronique
militaires, maîtres-d'oeuvre dans le domaine des satellites,...) ;
- adoption d'un statut de la société européenne ;
- privatisations ;
- incitations à la recherche ;
- mise en place d'un régime européen des marchés publics ;
- institution d'une autorité pour la sécurité
aérienne.
Le point qui nous semble fondamental dans cette communication tient
à l'affirmation suivant laquelle le marché à prendre ici
en considération est le marché mondial : la situation de
concurrence d'une entreprise aéronautique ne devra pas être
évaluée par rapport à sa position sur le marché
européen, mais sur le marché mondial. Le commissaire à la
concurrence a formellement approuvé cette conception
(91(
*
)).
A la suite de ce constat, la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni ont pris la
décision de constituer, autour d'Airbus Industrie, une concentration des
moyens de production aéronautiques que doivent conduire les industriels
eux-mêmes, la transformation d'Airbus en une société
intégrée ayant été fixée au 1er janvier
1999.
b) L'analyse des faiblesses européennes par le Conseil
Sous
présidence néerlandaise, le Conseil " Industrie " des
31 janvier et 1
er
février 1997 tenu à
La Haye, s'est également préoccupé de l'industrie
européenne à partir d'une étude-pilote consacrée
aux performances compétitives de l'industrie européenne dans le
domaine de la technologie de l'information et des communications.
Il en ressort que celle-ci accuse un retard considérable par rapport aux
Etats-Unis ou au Japon dans tous les secteurs les plus importants. Les motifs
de ce recul appliqués au secteur de l'information peuvent être
extrapolés à la majeure partie des secteurs industriels.
• Cette faiblesse s'expliquerait d'abord par la perte de
marchés : d'une part, l'Europe perd les produits traditionnels des
marchés de la consommation de masse dans le domaine de
l'électronique et du matériel informatique ; d'autre part,
elle est trop peu présente sur les nouveaux marchés comme ceux
des logiciels.
La présidence néerlandaise a alors suggéré que
le Conseil organise chaque année un débat sur la
compétitivité de l'Union, sur la base du rapport annuel de la
Commission relatif à la compétitivité de l'industrie
européenne, ainsi qu'à partir d'un exercice de
"
benchmarking
", mesurant les performances
compétitives européennes par rapport aux meilleures performances
réalisées dans le monde. Ces études se prolongeraient par
des actions concrètes menées avec l'industrie pour identifier les
causes de leur manque de compétitivité, notamment dans les
secteurs du textile-habillement et de l'industrie pharmaceutique, chimique et
automobile.
Outre cette analyse sectorielle, il a également été
envisagé une
réorganisation des travaux du Conseil
" Industrie ",
dont l'essentiel des débats porte, pour
l'heure, sur les secteurs les plus traditionnels (sidérurgie,
construction navale...) et non sur les atouts de l'Europe pour
l'établissement et le développement de ses entreprises
industrielles.
Cette suggestion de porter, désormais, un intérêt
particulier aux technologies plus récentes et plus
opérationnelles et d'aborder la question industrielle sous l'angle de la
compétitivité des entreprises semble le signe tangible d'une
volonté politique longtemps attendue.
Elle a été
confirmée par les ministres européens responsables de l'industrie
au cours de leur session du 24 avril 1997, puis du 13 novembre 1997 où
le thème de la compétitivité de l'industrie
européenne a été lié, de façon très
pertinente, à celui de la recherche-développement.
La deuxième cause de la perte de compétitivité des
industries européennes tiendrait au fonctionnement même du
marché intérieur.
Il a été observé que le potentiel du marché
intérieur n'était pas encore totalement utilisé, notamment
en raison de la complexité et de la lourdeur des réglementations.
L'objectif annoncé est de poursuivre le processus de simplification de
la législation communautaire et des réglementations nationales.
Enfin, la présidence néerlandaise a considéré que
"
le processus d'intégration est trop axé sur le
marché intérieur et
[qu']
il a tendance à
négliger la position compétitive de l'industrie européenne
sur les marchés mondiaux
". A l'avenir, il sera donc
nécessaire de tenir davantage compte des exigences des secteurs
industriels européens qui sont exposés à la concurrence
sur les marchés extérieurs à l'Europe.
Cette approche était encourageante pour l'élaboration d'une
politique industrielle européenne globale, à condition qu'elle
aille au-delà des déclarations d'intention et qu'elle fasse
l'objet d'une véritable stratégie opérationnelle. Dans son
programme et calendrier publiés en janvier 1998 pour le trimestre en
cours, la présidence britannique a confirmé
l'intérêt qu'il convenait de porter à la
compétitivité de l'Europe et pour laquelle elle souhaite
développer un dialogue entre les ministres de l'industrie et les milieux
industriels et organiser un vaste débat sur la
compétitivité dans le cadre du Conseil
" Industrie ".
c) Les recommandations des industriels européens
•
Si la prise en compte de la dimension industrielle semble évoluer dans
le bon sens, ces avancées sont encore insuffisantes pour les
professionnels du secteur. Ainsi, l'Unice -Union des
confédérations de l'industrie et des employeurs d'Europe- s'est
montrée très critique dans son récent rapport sur la
compétitivité de l'industrie européenne
(92(
*
))
, où elle dénonce une
action de l'Union et des gouvernements nationaux "
lente, insuffisante
et décevante surtout dans le domaine, politiquement sensible mais vital,
de la réforme structurelle et réglementaire
". Son
étude est construite autour de quatre recommandations principales :
-- améliorer l'environnement des entreprises en Europe : l'un des
handicaps qui affectent la compétitivité des entreprises
européennes tient
au coût élevé des facteurs de
production.
Ainsi, le prix de l'énergie est en moyenne 47 % plus
élevé dans l'Union qu'aux Etats-Unis -qui servent de
référence mondiale à cet égard- et le transport
routier y est plus cher de 40 % ;
--
limiter la part des dépenses publiques :
la moyenne
communautaire des dépenses publiques rapportées au PIB est d'un
peu moins de 50 %, contre 33 % aux Etats-Unis, d'où une charge fiscale
en augmentation constante, néfaste pour les activités de
production et pour la promotion de l'esprit d'entreprise ;
--
alléger les charges des entreprises
, notamment le coût
du travail ;
--
réformer les marchés du travail,
par une meilleure
formation et par l'instauration d'une
réelle flexibilité de
l'emploi.
• En réponse à ces critiques, M. Jacques Santer,
Président de la Commission européenne, a rappelé les
mesures prises et les évolutions comportant, dit-il, un impact positif
très direct sur la compétitivité européenne, parmi
lesquelles:
- la libéralisation des télécommunications depuis le
1
er
janvier 1998 ;
- l'ouverture, décidée, des marchés de
l'électricité et, prévue, du gaz naturel ;
- l'encouragement à la création d'entreprises
" profondément ancrée dans la pensée et dans
toutes les actions de la Communauté
européenne "
(93(
*
))
;
- l'amélioration de 20 %, au cours du dernier trimestre 1997, de la
transposition, en droit national, de la législation européenne
relative au marché intérieur ;
- la mise sous contrôle progressive des finances publiques dans la
" perspective euro " ;
- la tenue du sommet européen extraordinaire sur l'emploi en novembre
1997 à Luxembourg.
Il nous semble légitime de considérer qu'il s'agit là
d'un bilan non négligeable, mais qui reste encore, pour l'essentiel, au
stade de la bonne intention.