2. L'octroi d'avantages sans contrepartie ou sans contrôle de ces contreparties
L'Union s'est fréquemment attiré le reproche d'accorder à ses partenaires extérieurs des facilités commerciales qu'elle n'obtenait pas d'eux, qu'il s'agisse du niveau de tarification douanière ou de mesures favorisant l'ouverture des marchés
a) L'évolution des tarifs douaniers
Le tableau suivant présente les moyennes tarifaires appliquées avant et après le cycle d'Uruguay (en pourcentage) :
Pays |
Avant |
Après (1) |
Taux de baisse |
Corée |
18 |
8,3 |
- 53,9 % |
Brésil |
40,6 |
27 |
- 33,5 % |
Thaïlande |
37,3 |
28 |
- 24,9 % |
Vénézuela |
50 |
30,9 |
- 38,2 % |
Inde |
71,4 |
32,4 |
- 54,6 % |
Mexique |
46,1 |
33,7 |
- 26,9 % |
Union européenne |
5,7 |
3,6 |
- 34,8 % |
Etats-Unis |
5,4 |
3,5 |
- 38,6 % |
Canada |
9 |
4,8 |
- 46,7 % |
Australie |
20,1 |
12,2 |
- 63,1 % |
Japon |
3,9 |
1,7 |
- 56,4 % |
Source :
" Résultats des négociations commerciales
multilatérales du cycle d'Uruguay (OMC - Genève - novembre 1994).
(1) Réduction par étapes programmées entre le
1
er
janvier 1995 et le 1
er
janvier 1999.
Incontestablement, le cycle d'Uruguay a constitué une avancée
importante, permettant des réductions substantielles de taux douanier
notamment pour les pays émergents d'Asie et d'Amérique latine.
Mais le rapprochement des taux pratiqués montre l'importance de
l'écart qui reste à combler pour que ces derniers parviennent au
niveau des pays occidentaux et surtout européens. Il s'agit, en outre,
de taux moyens, qui peuvent masquer de profondes disparités selon les
produits concernés.
b) Les mesures non tarifaires
A
côté des barrières commerciales classiques -droits de
douane et restrictions quantitatives- qui ont été massivement
réduites à l'issue du cycle d'Uruguay, des " coûts
invisibles " se sont maintenus ou développés, créant
un environnement commercial négatif.
Plusieurs secteurs industriels européens en font particulièrement
les frais : ouverts à la concurrence mondiale, ils ne
bénéficient pas d'une réciproque aussi favorable. On peut
notamment évoquer, parmi les illustrations les plus patentes :
•
Le secteur textile
Dans le secteur textile, la programmation du démantèlement, en
dix ans, des accords multifibres (AMF) s'accompagnait d'une ouverture
réciproque des marchés des pays tiers. Or, cet assouplissement
des conditions d'échanges reste encore très insuffisant de la
part de certains partenaires comme l'Inde et le Pakistan.
Pourtant, depuis
lors, plusieurs actes communautaires ont régulièrement assoupli
les conditions applicables aux importations provenant de ces pays, sans se
soucier de vérifier la réalité des contreparties,
difficulté maintes fois soulignée par votre
Délégation
(44(
*
))
: "
Il s'avère que
les entreprises françaises du textile et de l'habillement...
émettent de sérieuses réserves à l'égard des
nouvelles concessions ... consenties sans contrepartie véritable. Elles
considèrent que les engagements pris par l'Inde et le Pakistan sont
insuffisants, remarquant que les produits textiles communautaires les plus
courants continueront à supporter des droits de douane supérieurs
à 35 % et que la suppression par les deux pays en cause des quotas
d'importation jusque là opposables à la Communauté sera
sans conséquence pratique, les exportations communautaires vers ces pays
étant actuellement presque inexistantes "
.
Observant le même phénomène, le Comité
économique et social des Communautés européennes a
également souligné la nécessité d'une meilleure
ouverture des marchés tiers aux productions européennes du
secteur textile-habillement
(45(
*
)),
"
ce qui amène à se poser la question de la
cohérence de la politique extérieure de l'Union européenne
par rapport à sa stratégie de compétitivité
industrielle ".
Il a ainsi estimé légitime de
"
placer l'ouverture de marchés des pays tiers avant l'ouverture
de nos propres marchés comme priorité dans les
négociations commerciales futures
" et demandé
"
l'application effective du dispositif de surveillance
des
accords commerciaux, un meilleur accès pour les petites et moyennes
entreprises de l'Union aux mécanismes de défense commerciale avec
la possibilité de sanctions plus automatiques des
contrevenants ".
•
Le secteur automobile
Le déséquilibre actuel des flux automobiles entre les
marchés européen, américain et japonais résulte
des obstacles réglementaires et commerciaux qui ont gêné
les échanges et les implantations à l'étranger des
entreprises de l'Union.
Ainsi, alors que les groupes américains détiennent 25 % du
marché européen grâce à leurs filiales
installées en Europe (Ford, Opel...), les automobiles européennes
représentent à peine 2 % du parc américain.
De même, les Japonais occupent 11 % du marché de l'Union,
bien que leurs importations soient encore limitées par des quotas,
soit deux fois
plus que la pénétration
européenne au Japon
(46(
*
))
. En 1997, ce pays a exporté 1,03
million de véhicules dans l'Union, équivalant à une
augmentation de 28 % par rapport à l'année
précédente.
Depuis 1991, la présence japonaise est encadrée par des accords
d'auto-limitation en matière d'exportations vers le marché
européen. Le dernier, en date du 25 mars 1998, a prévu un
plafond global passant de 1,092 million de véhicules pour 1997 à
1,167 million d'unités en 1998. Cette augmentation répondrait,
selon les parties à l'accord, à celle de la demande dans l'Union.
Toutefois, les véhicules japonais issus des
" transplants ", c'est-à-dire ceux fabriqués ou
assemblés en Europe, ne font l'objet d'aucune limitation.
En outre,
les cinq " marchés restreints " de l'Union européenne
-Espagne, France, Italie, Portugal et Royaume-Uni- qui ont
bénéficié par le passé de restrictions nationales
spécifiques à l'égard des importations japonaises, devront
faire un effort particulier d'ouverture, proportionnellement plus important que
les autres Etats membres. Enfin, comme c'était initialement
prévu, l'accès des japonais au marché européen sera
totalement libre à fin 1999- la réciproque n'étant pas
accordée.
•
Le secteur de la construction navale
Le 21 décembre 1994, un accord a été conclu, dans le
cadre de l'OCDE, entre l'Union européenne et les Etats concernés
par la construction navale, instaurant des règles strictes pour l'octroi
d'aides publiques à ce secteur, afin de commencer d'harmoniser les
conditions de concurrence internationale.
Cet accord n'est toujours pas entré en vigueur : en effet,
l'unanimité requise pour ratification n'ayant pas été
atteinte en raison de l'opposition américaine (" amendement
Bateman " adopté en juin 1996), sa mise en oeuvre a
été à nouveau reportée.
Or, dans un premier temps, l'Union s'était engagée à
respecter ses engagements de limitation des aides publiques, même en
l'absence de contrepartie.
Revenant à plus de réalisme, elle
avait finalement décidé de prolonger, jusqu'à la mise en
oeuvre de l'accord OCDE, sa propre réglementation, autorisant un taux de
9 % de subvention publique pour la construction des bâtiments, et de
maintenir son régime d'aides au secteur de la construction navale
jusqu'au 31 décembre 1997.
Sur ce fondement, la Commission a ainsi proposé, en mars 1997,
d'octroyer des aides d'Etat supplémentaires en faveur de la
restructuration de chantiers navals en Allemagne, en Espagne et en
Grèce, estimant son intervention obligatoire pour éviter que
l'avenir des chantiers navals européens ne soit compromis alors que
d'autres pays (Corée ou Etats-Unis) continuent d'accorder des aides
au-delà de ce qui est prévu par l'accord OCDE.
Le secteur de la construction navale, auquel le Sénat s'était
montré, par le passé, très sensible
(47(
*
))
, est en effet fragilisé :
200.000 emplois ont été perdus en Europe depuis vingt ans,
dont 29.000 en France, et 14 % seulement des navires battent pavillon d'un
Etat membre de l'Union aujourd'hui contre 32 % en 1970. A l'inverse, les
effectifs des chantiers navals employés en Corée du Sud sont
passés de 36.000 personnes en 1992 à 45.000 en 1996
(48(
*
))
.
On peut donc considérer comme parfaitement légitime la
vigilance particulière de l'Union dans ce domaine, compte tenu des
risques réels d'application non réciproque de cet accord par ses
partenaires, notamment américains, coréens et japonais.
Or, alors même que c'est l'absence de ratification américaine qui
faisait obstacle à l'entrée en vigueur de l'accord OCDE, les
Etats-Unis ont officiellement contesté, à l'époque, la
proposition de la Commission : "
l'Union européenne et
toutes les parties signataires de l'accord OCDE sur la construction navale ont
des obligations claires qu'ils doivent respecter au titre de cet accord. Nous
demandons une explication immédiate, étant donné les
engagements que l'Union européenne a accepté par cet
accord
", a indiqué Mme Chalène Barshefsky,
représentant américain du commerce
(49(
*
))
. On s'était alors
félicité de la fermeté avec laquelle
M. Karel Van Miert, commissaire européen à la
concurrence, avait opposé une fin de non recevoir à cette
protestation
(50(
*
))
.
Toutefois, en octobre 1997, la Commission a défini, une fois de plus,
une nouvelle stratégie relative à la construction navale
(51(
*
))
proposant, dans un premier temps, de
proroger l'application des règles européennes actuelles sur les
aides jusqu'au 31 décembre 1998. A compter du 1er janvier 1999, au plus
tard, un dispositif d'aide transitoire plus sévère serait
appliqué, puis définitivement interdit à partir du 31
décembre 2000.
Bref, même si l'accord OCDE n'est pas
entré en vigueur en 1999, l'Europe renoncera progressivement à
soutenir les chantiers européens face à une réglementation
américaine très protectionniste dans le domaine des transports
maritimes.
Votre Délégation s'était alors opposée à ces
nouvelles règles par le dépôt d'une proposition de
résolution
(52(
*
))
considérant qu'il convenait de maintenir l'aide directe au
fonctionnement tant que les chantiers navals de l'Union resteraient en butte
à la concurrence déloyale coréenne et japonaise.
Ce dossier est actuellement en cours d'examen par les services du Conseil.
Il convient que la France fasse preuve de la plus grande vigilance en la
matière et s'oppose à l'abolition anticipée de ce type
d'aide que souhaitent les pays les plus libéraux de l'Union -pays
scandinaves, Allemagne, Pays-Bas et Royaume-Uni.