N°
440
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 20 mai 1998
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) sur les organismes génétiquement modifiés ,
Par M.
Jean BIZET,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Jean François-Poncet,
président
; Philippe François, Henri Revol, Jean Huchon,
Fernand Tardy, Gérard César, Louis Minetti,
vice-présidents
; Georges Berchet, William Chervy, Jean-Paul
Émin, Louis Moinard,
secrétaires
; Louis Althapé,
Alphonse Arzel, Mme Janine Bardou, MM. Michel Barnier, Bernard Barraux, Michel
Bécot, Jean Besson, Jean Bizet, Marcel Bony, Jean Boyer, Jacques
Braconnier, Gérard Braun, Dominique Braye, Michel Charzat, Marcel-Pierre
Cleach, Roland Courteau, Désiré Debavelaere, Gérard
Delfau, Fernand Demilly, Marcel Deneux, Rodolphe Désiré, Michel
Doublet, Mme Josette Durrieu, MM. Bernard Dussaut
,
Jean-Paul
Emorine, Léon Fatous, Hilaire Flandre, Aubert Garcia, François
Gerbaud, Charles Ginésy, Jean Grandon, Francis Grignon, Georges
Gruillot, Mme Anne Heinis, MM. Pierre Hérisson, Rémi
Herment, Bernard Hugo, Bernard Joly, Gérard Larcher, Edmond Lauret,
Pierre Lefebvre, Jean-François Le Grand, Kléber
Malécot, Jacques de Menou, Louis Mercier, Jean-Baptiste Motroni,
Jean-Marc Pastor, Jean Pépin, Daniel Percheron, Jean Peyrafitte, Bernard
Piras, Alain Pluchet, Jean Pourchet, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Paul
Raoult, Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Roger Rigaudière, Roger
Rinchet, Jean-Jacques Robert, Jacques Rocca Serra, Josselin de Rohan,
Raymond Soucaret, Michel Souplet, Mme Odette Terrade, M. Henri Weber.
Recherche
. Agriculture - Biotechnologie.
RÉSUMÉ DU RAPPORT
I -
LE CONSTAT
Les découvertes scientifiques de ces 25 dernières
années ont rendu possible
l'utilisation du matériel
génétique
. Les gènes sont des unités
d'information, contenues dans le noyau des cellules. Or, le langage
génétique est " universel " : il est le même
pour tous les êtres vivants. En conséquence, il est devenu
possible de transférer un gène -et donc un caractère- d'un
être vivant à un autre.
Cette technologie, ou " génie génétique ",
s'inscrit dans la continuité de la sélection des
variétés agricoles, permettant l'amélioration des
qualités génétiques d'une plante ou d'un animal par
croisements, depuis des siècles. Toutefois,
deux
spécificités apparaissent
: la
" transgénèse " est plus précise que les
croisements classiques puisque seul le caractère génétique
désiré est transmis ; elle permet aussi le transfert,
jusqu'alors impossible, de gènes entre des espèces
différentes.
Les applications potentielles de cette technique sont très
nombreuses :
Pour l'agriculture
, des plantes au génome modifié
ont été mises au point, qui présentent des qualités
agronomiques inédites (résistance aux insectes ravageurs,
tolérance aux herbicides facilitant la culture, résistance aux
maladies, aux conditions climatiques extrêmes, ...).
Pour l'agro-alimentaire
, des aliments issus d'organismes
génétiquement modifiés peuvent présenter de
nouvelles propriétés en matière de composition
nutritionnelle, de conservation (fruits et légumes à maturation
retardée...), ou de saveur (teneur en sucre et en arômes) ;
Pour la santé,
il devient possible de faire produire
à moindre coût des molécules pharmaceutiques par des
plantes génétiquement modifiées qui deviennent de
véritables " usines cellulaires ". Les thérapies
géniques offrent quant à elles de nombreux espoirs pour
l'avenir ;
Pour l'industrie
, il est possible d'adapter les matières
premières végétales aux besoins de l'industrie et
d'alléger certains traitements industriels, physiques ou chimiques
(exemple : l'industrie papetière, l'amidonnerie, l'industrie des
corps gras, des cosmétiques...) ;
Dans l'immédiat, sont commercialisées
des plantes
génétiquement modifiées
, dont la culture se
développe rapidement dans certains pays. Près de 13 millions
d'hectares ont ainsi été cultivés en 1997, pour
près des deux-tiers aux Etats-Unis, mais aussi en Chine, en
Amérique du Sud et au Canada. Le soja est la première culture
transgénique en surface, suivie du maïs, même si
48 plantes transgéniques sont autorisées dans au moins un
pays du monde. La tolérance aux herbicides est le caractère
principalement conféré, suivi de la résistance aux
insectes. En France, si la consommation est autorisée depuis
février 1997, la première autorisation de culture de plante
transgénique a été délivrée en
février 1998.
Avec toute nouvelle technique, la prudence s'impose.
L'éventail
des risques
potentiellement liés
au développement de
la transgénèse, que présente le rapport, amène
à les classer en deux catégories :
Le risque pour l'environnement
: il tient à
l'éventualité d'une transmission, non désirée, du
" transgène " à d'autres espèces, en cas de
culture à grande échelle, ainsi qu'à l'apparition
d'éventuelles conséquences non souhaitées sur les insectes
ou la rhizosphère, partie du sol située dans l'environnement
immédiat des racines. Ce risque tient aussi à la
possibilité d'une accélération de l'appauvrissement actuel
de la biodiversité génétique,
Le risque alimentaire
: il est indispensable de s'assurer que
la consommation d'organismes génétiquement modifiés, ou
d'aliments qui en sont issus ne présente pas de risque toxicologique (en
cas de production de substances toxiques) ou allergène (en cas notamment
de transmission d'un gène provenant d'un aliment lui-même
allergène). Le rapport aborde également la question de la
présence de gènes " marqueurs " de résistance
aux antibiotiques dans les variétés commercialisées.
Pour évaluer ces risques, des
commissions scientifiques
ont
été mises en place, en France dès les
années 1980, chargées de formuler des avis au cours des
procédures d'instruction des demandes d'autorisations préalables,
requises tant par la loi française que par les directives
européennes, qu'il s'agisse d'activités de recherche ou de
commercialisation. Les instances qui sont chargées de cette
évaluation sont, en France, la commission du génie
biomoléculaire (CGB) et la commission du génie
génétique (CGG). Le Conseil supérieur d'hygiène
publique de France (CSHPF) et le comité technique permanent de la
sélection végétale (CTPS) peuvent également
intervenir. Les demandes d'autorisations font l'objet d'un deuxième
examen au niveau communautaire, par des comités d'évaluation
scientifique spécialisés.
L'avènement de cette technique
est lourde de remises en
cause, de mutations et d'enjeux
:
Pour l'économie
: il s'agit des distorsions de concurrence
en matière agricole entre producteurs autorisés ou non à
adopter ces techniques, mais aussi des changements, importants, en termes de
statut et de fonction de l'agriculture dans la société. Les
techniques génétiques
sont à l'origine, dans les
pays qui les ont adoptées, de la naissance d'un
nouveau secteur
industriel
, en croissance rapide ;
Pour l'avenir de l'alimentation à l'échelle
mondiale :
les projections démographiques pour le
demi-siècle à venir montrent le besoin d'une nouvelle
"
révolution verte
" pour nourrir la planète
d'ici 50 ans, à laquelle cette technologie pourrait contribuer,
même si la question de son transfert aux pays du Sud doit être
résolue ;
Pour la conception européenne de l'éthique
:
les techniques génétiques
modifient la relation au vivant
.
Elles posent donc de nombreuses questions éthiques. Toute dérive
contraire à la dignité humaine doit être absolument
écartée : l'Europe doit affirmer sa fermeté contre
tout " meilleur des mondes ". Les démarches de l'UNESCO ou du
Conseil de l'Europe contre le clonage humain vont dans ce sens. Pour les autres
applications génétiques, concernant les végétaux ou
les animaux,
le primat d'une éthique de la responsabilité doit
permettre à l'activité humaine de s'inscrire en faux contre la
" science sans conscience ".
L'analyse comparative des attitudes des différents pays du
monde
met en évidence une géopolitique
contrastée :
-
l'Amérique du Nord
dispose d'une
avance importante
,
puisqu'aux Etats-Unis et au Canada sont cultivés près des 3/4 des
surfaces transgéniques actuelles. Ce secteur y est perçu comme un
enjeu économique aussi important que les technologies de
l'information . Il fait l'objet d'une mobilisation des pouvoirs publics et
d'une bonne acceptation de la part de l'opinion ;
- la sphère pacifique s'engage dans cette voie : après
la Chine, c'est au tour du Japon et de l'Australie ;
- les pays émergents d'Amérique du Sud s'investissent
également dans ce secteur ;
-
l'attitude européenne
, plus réservée,
contraste avec la donne mondiale, même si des différences
d'appréciation s'y font jour, des refus autrichien et luxembourgeois
à la mobilisation, dans un sens plus volontariste, des pouvoirs publics
allemands.
En France, comme ailleurs en Europe, l'opinion publique est
inquiète
et partagée. Pour des raisons culturelles et
conjoncturelles, cette technologie ne suscite pas beaucoup de sympathie. Des
décisions contradictoires intervenues ces dernières
années, la maladresse des premières applications concrètes
et une certaine impuissance réglementaire, en matière
d'étiquetage des aliments issus d'OGM, n'ont pas contribué
à apaiser un débat parfois vif. Cette situation n'est pas
satisfaisante : alors que la commercialisation et la culture sont
déjà autorisées, pour certaines espèces,
le
citoyen n'a pas
, à juste titre,
le sentiment de pouvoir exercer
librement son choix
.
II - PRINCIPALES PROPOSITIONS
Se donner les moyens de la confiance
Consolider les instances d'évaluation scientifique
:
malgré la qualité incontestée de leur travail, les moyens
de ces instances ne sont pas à la hauteur de l'ampleur de leur
tâche.
La commission du génie biomoléculaire doit
être reconstituée au plus vite afin de permettre le bon
fonctionnement de cette institution. Les moyens humains de son
secrétariat doivent être étoffés afin de lui
permettre de remplir de nouvelles missions (transparence, biovigilance...).
Satisfaire au devoir de transparence
:
l'information
n'est pas qu'un désir -légitime- des citoyens. C'est aussi un
devoir essentiel des responsables publics
. La loi de 1992 a prévu
une obligation d'information du citoyen, dont les modalités de mise en
oeuvre doivent aujourd'hui être renforcées.
Les réunions des
commissions d'évaluation scientifique
françaises
, où figurent des représentants des
consommateurs et des associations de protection de l'environnement, doivent
faire l'objet de
comptes-rendus systématiques mis à la
disposition du public
; les avis rendus doivent inclure les opinions
dissidentes ou les réserves éventuellement
exprimées ; l'ensemble de ces informations doit être
immédiatement mis à la disposition du public, notamment au moyen
des sites Internet des ministères de l'agriculture, de la santé,
de la recherche et de l'environnement, dans un premier temps, avant la mise en
place de serveurs propres à ces commissions, où des forums de
discussion seraient ouverts. L'organisation de débats,
déclinés au plan régional, est également
préconisée.
Mener à son terme la logique de la vigilance : une loi
doit intervenir
pour donner une base juridique à la mise en place
d'un suivi environnemental systématique des cultures
transgéniques
par les agents de l'administration. Ce texte
doit :
- accroître les
pouvoirs de police
des agents de la
protection des végétaux ;
- systématiser la
collecte et le suivi des
informations
;
- mettre en place un
système, préventif, de retrait du
marché
.
Cette responsabilité est du ressort de l'Etat, qui doit l'assumer en
termes de moyens humains et financiers.
Respecter le consommateur
Mettre en oeuvre rapidement l'étiquetage des aliments
issus de
cette technologie. Le rapport détaille les développements actuels
d'un débat français et européen pour le moins confus. Il
rappelle la position officielle des pouvoirs publics français sur ce
sujet et souhaite
la mise en oeuvre effective d'une signalisation
,
pourtant déjà obligatoire, souhaitée par le consommateur
mais
qui, faute d'instructions précises, n'a pu jusqu'à
présent entrer dans les faits que sur la base du volontariat
de la
part des marques concernées. Seul l'étiquetage permettra
l'indispensable exercice du libre arbitre en matière alimentaire.
Constituer des filières de production " sans génie
génétique ".
Afin de laisser au consommateur le choix de
ne pas consommer, notamment pour des raisons d'éthique, d'aliments issus
de la transgénèse, les pouvoirs publics doivent
inciter
à la constitution de filières spécifiques de production et
de distribution " sans génie génétique ",
avec des produits clairement identifiés, autour des principes de
traçabilité et de certification. Cette démarche ne remet
pas en cause la sécurité des aliments issus de
transgénèse autorisés, aux termes des procédures
d'évaluation scientifiques. Elle répond seulement à la
volonté de satisfaire toutes les sensibilités qui s'expriment
dans notre société, et qui doivent être respectées.
Mieux valoriser la recherche française et européenne en
biotechnologie
Seule la mise en place du cadre plus transparent et plus respectueux des
citoyens et de l'environnement préconisé ci-dessus, permettra
à notre pays de faire valoir,
en toute responsabilité
, et
dans le respect des choix de chacun, ses propres atouts en la matière.
Pour que la France puisse valoriser l'excellence de sa recherche en sciences du
vivant, il convient de :
Doter les entreprises européennes
des conditions d'une
concurrence loyale en matière de
brevetabilité des
découvertes en biotechnologies
;
Mettre en place un réseau national de recherche en
génomique végétale,
fédérant les
ressources françaises publiques et privées en matière de
génétique végétale, pour éviter une trop
forte dépendance scientifique -et économique- vis-à-vis
d'opérateurs étrangers ;
Stimuler l'innovation
: ce rapport s'inspire des exemples
allemands et canadiens pour préconiser une incitation des pouvoirs
publics à la constitution des
pôles d'excellence
régionaux en biotechnologie
, par le lancement d'un concours, ou
" appel à propositions " ;
Lever les freins à la création d'entreprises innovantes
en France :
sur un plan
plus général,
au-delà du seul secteur des biotechnologies, le rapport dresse le
constat des obstacles juridiques et financiers à la création
d'entreprises de haute technologie en France. Il formule des propositions
(statut du chercheur, fond d'amorçage...) pour contribuer au
déblocage de cette situation.