N° 415

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 5 mai 1998

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) sur la gestion des espaces périurbains ,

Par M. Gérard LARCHER,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean François-Poncet, président ; Philippe François, Henri Revol, Jean Huchon, Fernand Tardy, Gérard César, Louis Minetti, vice-présidents ; Georges Berchet, William Chervy, Jean-Paul Émin, Louis Moinard, secrétaires ; Louis Althapé, Alphonse Arzel, Mme Janine Bardou, MM. Michel Barnier, Bernard Barraux, Michel Bécot, Jean Besson, Jean Bizet, Marcel Bony, Jean Boyer, Jacques Braconnier, Gérard Braun, Dominique Braye, Michel Charzat, Marcel-Pierre Cleach, Roland Courteau, Désiré Debavelaere, Gérard Delfau, Fernand Demilly, Marcel Deneux, Rodolphe Désiré, Michel Doublet, Mme Josette Durrieu, MM. Bernard Dussaut , Jean-Paul Emorine, Léon Fatous, Hilaire Flandre, Aubert Garcia, François Gerbaud, Charles Ginésy, Jean Grandon, Francis Grignon, Georges Gruillot, Mme Anne Heinis, MM. Pierre Hérisson, Rémi Herment, Bernard Hugo, Bernard Joly, Gérard Larcher, Edmond Lauret, Pierre Lefebvre, Jean-François Le Grand, Kléber Malécot, Jacques de Menou, Louis Mercier, Jean-Baptiste Motroni, Jean-Marc Pastor, Jean Pépin, Daniel Percheron, Jean Peyrafitte, Bernard Piras, Alain Pluchet, Jean Pourchet, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Paul Raoult, Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Roger Rigaudière, Roger Rinchet, Jean-Jacques Robert, Jacques Rocca Serra, Josselin de Rohan, Raymond Soucaret, Michel Souplet, Mme Odette Terrade, M. Henri Weber.

 
Aménagement du territoire.

" [...] il n'existe pas seulement entre les Français et la terre de leur pays une relation purement économique, mais, en outre, une attache esthétique... parce que le pays est beau ".

Sully Prudhomme

RÉSUMÉ DU RAPPORT

I. LE CONSTAT

1. Longtemps, les espaces périurbains ont été mal identifiés . Leur spécificité est désormais reconnue depuis la définition par l'INSEE d'un zonage en aires urbaines . Ils sont caractérisés par la coexistence de nouveaux quartiers d'habitation, d'exploitations agricoles (10 % de la surface agricole utile nationale) et par une population diverse : 9 millions de Français , aux caractéristiques sociologiques très variées y vivent . Des populations relativement aisées (80 % des ménages y résident dans des maisons individuelles, 40 % des logements ont été construits après 1974) y côtoient des populations précarisées qui habitent dans des quartiers en difficulté (barres et tours de Mantes-la-Jolie ou quartiers marqués par un urbanisme " horizontal " à Valenciennes).

2. Trois types de tensions se font sentir dans les espaces périurbains :

LES TENSIONS HUMAINES

- Les rapports des néoruraux et des exploitants agricoles (dont la population se réduit progressivement) sont marqués par une méconnaissance mutuelle . Selon un sondage, seuls 28 % des Français associent le terme de " campagne " à une utilisation agricole du sol. Pour 69 % d'entre eux, la campagne n'est qu'un " paysage ".

- Les habitants des espaces ruraux voisins des villes craignent l'avancée du " front urbain ". Leur crainte est parfois justifiée : l'agriculture périurbaine est victime de déprédations . Dans le Val de Seine, les vols de fruits atteignent parfois ¼ de la récolte. Or, si des mesures spécifiques d'aide aux entreprises ont été adoptées dans le Pacte de relance pour la ville, elles n'ont pas d'équivalent pour les exploitations agricoles qui avoisinent les quartiers en difficulté.

LES TENSIONS PAYSAGÈRES

Dans le territoire situé à proximité des villes, l'espace est considéré comme un " espace jetable ".

La laideur de bien des entrées de ville et l'apparence de nombreux grands ensembles périurbains illustrent ce phénomène. Si une législation relativement ancienne permet de protéger le coeur des villes, la prise de conscience sur les problème des " entrées de ville " est récente.

LA PRÉCARITÉ FONCIÈRE ET LA FRAGILITÉ AGRICOLE

Les espaces périurbains subissent une urbanisation en apparence sans borne : entre 1982 et 1990 on y a construit près de 18 logements au kilomètre carré, contre 6 en moyenne sur l'ensemble du territoire.

L'instabilité chronique du droit de l'urbanisme (révision et modification des POS en particulier) entretient les anticipations à la vente des propriétaires fonciers, qui font parfois pression sur les autorités municipales en laissant en friches les terrains pour lesquels ils souhaitent obtenir un droit à construire.

En conséquence, l'agriculture est progressivement marginalisée , même si elle occupe encore plus de 52 % des espaces périurbains . Le coût du foncier s'envole. Dès lors, compte tenu de sa rentabilité, l'agriculture cède le pas à l'urbanisation.

3. Face aux tensions subies par les zones périurbaines, de nombreux élus s'interrogent et souhaitent disposer d'un outil d'aménagement pour préserver et souvent restaurer un développement harmonieux de leur territoire.

Compte tenu du succès incontestable des parcs naturels régionaux , ils souhaitent utiliser à leur tour ce concept original. Cet outil, initialement conçu pour le développement économique et la valorisation du patrimoine naturel, s'est vu progressivement reconnaître des missions de protection des espaces naturels.

Aujourd'hui, les 35 parcs existants couvrent plus de 10 % de la superficie du territoire, associant 3.024 communes, 59 départements et 21 régions pour une population de 2,6 millions d'habitants. Ils s'illustrent plus particulièrement dans quatre domaines : la valorisation du patrimoine culturel et du territoire, la protection du patrimoine naturel et de sa biodiversité, des missions d'éducation à l'environnement et des actions de développement économique dont les retombées se chiffrent désormais en termes d'emplois créés ou maintenus.

4. Mais à l'examen, l'utilisation de cet outil dans les zones périurbaines se révèle complexe, car il s'agit d'un dispositif conçu pour la protection et le développement de l'espace rural et qui comporte de fortes exigences s'agissant de la qualité des territoires proposés au classement.

Les espaces naturels périurbains sont bien souvent trop dégradés et les moyens juridiques des PNR sont inadaptés pour encadrer une expansion raisonnée de l'urbanisation : la charte d'un parc est un document contractuel, dont le contenu n'a pas de réelle portée normative. Même si ce contenu est devenu beaucoup plus élaboré, il conserve encore parfois le caractère d'une déclaration d'intention. Vis-à-vis des tiers, la loi du 8 janvier 1993 sur les paysages n'instaure qu'une obligation de compatibilité entre le contenu des chartes et les plans d'occupation des sols. Les conventions actives de " ville-porte " signées entre un parc et les villes avoisinantes sont rares et ne comportent aucune mesure contraignante en matière d'urbanisme.

La multiplication de nouveaux PNR en zone périurbaine pourrait être préjudiciable aux parcs existants et, en définitive, inopérante. Il est cependant souhaitable de reprendre des éléments essentiels à l'origine du succès des PNR : consensus local conforté par l'engagement de l'Etat (délivrance d'un label national) et adhésion des collectivités territoriales à un document contractuel.

5. Les instruments d'urbanisme et de protection sont mal, ou trop peu utilisés :

- En principe, le plan d'occupation des sols pourrait permettre de préserver le paysage. En réalité, il est trop souvent modifié et rarement intercommunal. De ce fait, le POS se transforme bien souvent, parfois malgré lui, en instrument de la concurrence foncière intercommunale.

- Les schémas directeurs permettent de fixer plus solidement les orientations fondamentales de l'aménagement des territoires intéressés, ainsi que l'équilibre entre extension urbaine, activités agricoles et économiques et préservation des sites. Malheureusement, ils sont très loin de couvrir tout le territoire national et ils souffrent également de transformations trop fréquentes (45 % d'entre eux étaient en révision au 1er janvier 1997).

- Les instruments et les opérations d'aménagement (droit de préemption urbain, zones d'aménagement différé, zones d'aménagement concerté), s'inspirent d'une " philosophie de l'urbanisation ". Les secteurs auxquels ils s'appliquent ont vocation à être urbanisés.

- Les opérateurs fonciers sont trop peu nombreux .

On ne compte, outre l'Agence foncière et technique de la région parisienne, que trois autres établissements publics fonciers d'Etat, dotés d'une ressource fiscale propre , et capables de mener une politique de requalification de secteurs urbains et suburbains dégradés.

Quant aux collectivités locales, celles qui en ont le plus besoin n'ont pas les moyens de créer les établissements publics fonciers locaux dont le statut résulte de la loi d'orientation pour la ville (seuls deux de ces établissements ont été constitués depuis 1991).

6. Les instruments de protection du patrimoine architectural et urbain sont adaptés aux coeurs des villes : les lois relatives à la protection des monuments historiques, des sites, ou à la création de zones de protection du patrimoine architectural et urbain permettent de protéger des éléments revêtant une richesse particulière : la législation sanctuarise le beau et se désintéresse de la réparation des blessures faites au tissu urbain et au paysage .

7. Enfin les moyens consacrés par l'Etat sont insuffisants . Les crédits consacrés par l'Etat aux interventions foncières, exprimés en francs 1995, sont passés de 1,4 milliard de francs en 1974 à 160 millions en 1995. En outre, le Fonds national d'aménagement foncier et d'urbanisme (FNAFU) a été supprimé.

Dès lors, il convient d'utiliser au mieux la " boîte à outils " dont disposent actuellement les pouvoirs publics et de définir un nouveau cadre d'utilisation adapté aux problèmes spécifiques de l'espace périurbain.

II. PRINCIPALES PROPOSITIONS

1. Créer un nouveau label : les " terroirs urbains et paysagers ", pour valoriser une volonté politique

- Reconnaître la qualité de " terroir urbain et paysager " aux espaces périurbains sur lesquels, les communes, les départements, les régions, et l'Etat souhaitent mener une action volontaire, concertée et contractuelle .

Ce label se concrétiserait par :

- la signature d'une charte applicable à un territoire ;

- la définition d'objectifs sociaux, urbanistiques et agricoles à respecter pour gérer l'espace et le requalifier lorsqu'il est dégradé ;

- la mobilisation d'un financement croisé Etat-collectivités territoriales.

2. Edicter des directives territoriales d'aménagement (DTA)

Assurer le primat de l'intérêt national , par-delà la diversité des approches locales, grâce à de nouvelles DTA , -outre les six actuellement en préparation- à réaliser sur les principales aires urbaines .

3. Relancer l'élaboration de schémas directeurs cantonaux ou d'agglomération

Les schémas directeurs constituent le seul moyen pour assurer une gestion intercommunale de l'extension urbaine.

Leur élaboration doit être encouragée en n'autorisant -sauf circonstances exceptionnelles- les modifications et les révisions de POS que dans les communes dont le territoire est inclus dans le périmètre d'un schéma directeur.

4. Renforcer la stabilité des plans d'occupation des sols (POS)


Les POS doivent traduire un choix clair et durable . Aussi, pourrait-on :

- instituer un délai minimum pendant lequel une révision du POS serait impossible, sauf circonstances exceptionnelles ;

- réduire l'ampleur des " zones d'urbanisation future " ou zones " NA " en définissant leur emprise maximale au niveau intercommunal, dans le schéma directeur et non plus seulement au niveau du POS.

5. Développer le rôle des SAFER dans la lutte contre les friches et maintenir l'agriculture de façon volontariste

Les SAFER disposent déjà de pouvoirs accrus pour lutter contre les friches en zones de montagne. Il est souhaitable de leur permettre d'intervenir plus aisément, de façon analogue, sur les terres incultes en zone périurbaine.

6. Lutter contre l'enrichissement sans cause issu de la vente de terres agricoles


- taxer les profits " tombés du ciel " lors de la vente d'un terrain agricole devenu urbanisable ;

- affecter les sommes recueillies à un fonds de gestion des espaces périurbains destiné à acquérir des terrains pour y maintenir une activité agricole, aider l'agriculture périurbaine, réhabiliter les espaces périurbains dégradés .

7. Développer les politiques foncières des collectivités locales

- Inclure un volet agricole et paysager dans les contrats de ville , afin de traiter l'espace périurbain comme une composante patrimoniale et dynamique de la ville ;

- réexaminer la question des évaluations foncières, notamment pour permettre aux communes d'acheter des terrains si elles le souhaitent et faciliter le maintien de l'agriculture ;

- revenir à une application stricte de l'article L.13-15 du code de l'expropriation relatif à la notion de terrain " urbanisable " dans l'évaluation des terrains acquis par voie d'expropriation ;

- créer de nouveaux établissements publics fonciers d'Etat afin de réhabiliter les espaces les plus dégradés.

8. Accroître la stabilité des exploitations agricoles pour conforter leur vocation économique

- En instituant un délai minimum - variable selon la durée du bail restant à courir- avant le terme duquel le bail ne peut prendre fin, même si le terrain est classé en zone urbanisable au POS ;

- en valorisant la production des exploitations agricoles (attribution de quotas spécifiques, augmentation des aides à la mise aux normes des bâtiments d'élevage en zone périurbaine, reconnaissance d'un label de proximité pour les produits agricoles) ;

- en accroissant les contacts entre agriculteurs et citadins (élargissement des actions du type " fermes pédagogiques " à des fermes appartenant à des exploitants privés et développement de " jumelages " entre quartiers urbains et zones rurales) ;

- en ouvrant le parcellaire par la création de chemins aux abords des agglomérations (l'attribution d'aides spécifiques serait conditionnée à l'existence d'un minimum de mètres de chemins ouverts au public à l'hectare, ainsi qu'à la plantation de haies permettant le cheminement le long des terres cultivées) ;

- généraliser l'élaboration de plans de développement durable.

9. Créer des établissements publics environnementaux régionaux


- Ces agences assureraient la protection d'espaces verts et agricoles périurbains dans des conditions analogues à l'Agence des Espaces verts de la région Ile-de-France ;

- leur affecter une part du produit de la taxe départementale des espaces naturels sensibles.

10. Renforcer l'intercommunalité d'agglomération


En attribuant à une autorité d'agglomération :

-
une compétence urbanistique et foncière ;

- une ressource fiscale unifiée ou péréquée à travers la taxe professionnelle ;

- en prenant en compte le coût des espaces naturels dans les dotations budgétaires versées par l'Etat aux agglomérations.

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Expérimenter le concept du terroir urbain et paysager, notamment dans le secteur des boucles de la Marne et de l'Ourcq .

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