Jean Christophe CARON
*
1)
Je ne partage pas l'avis général
concernant l'évolution de la fonction d'enseignant, du fait de
l'expansion de l'outil informatique. Je préfère d'ailleurs le
terme de professeur: je professe des contenus rationnelset non des savoirs
fixés. A ce compte là, n'importe quel enseignant, peut prendre
la place d'un autre (il suffirait de s'approprier des contenus de savoirs, ce
qui est loin d'être une possibilité). Le pédagogisme fait
des ravages, et nous allons bientôt mettre sur le dos des enseignants le
fait que les chères têtes blondes ne maîtrisent pas le C++...
L'outil informatique est, qu'on y réfléchisse bien, un
gigantesque moulin à numériser des contenus. Ces contenus sont
hiérarchisés: des simples lignes d'informations (mailings) qu'on
peut imprimer, aux bases de données interactives. Si on y regarde de
près, le problème de l'informatique à l'école (dans
mon cas lycée/enseignement supérieur) concerne
l'équipement et l'accès des acteurs à ces
équipements.
2)
Je pense qu'il faut avoir une vue globale de la chose:
numériser une école ou un lycée, c'est passer par
plusieurs niveaux d'équipements. la cantine et l'administration, mais
aussi la vie scolaire et l'accès de l'élève à
l'information. Il y a un grand oubli dans cette affaire: quand bien même
votre élève aura accès par sa machine à
TOUT
, il lui faudra
DISCRIMINER
. Cela s'appelle faire preuve de
jugement. Ceci n'est possible que si le
DESIR
d'apprendre (et non
l'épreuve du simple plaisir) est enraciné dans
l'élève (pour qu'il s'élève, justement, et de
lui-même). Il faut reconnaître que nous échouons souvent
pour toutes sortes de raisons...
3)
Les lycées sont sous-équipés en bonnes
bibliothèques, spacieuses, riches et conduites sous la férule de
personnels de haut niveau. Souvent, il s'agit de personnels
démotivés, qu'on a placé là parce qu'ils ne
" tenaient plus " devant les élèves. Quelques uns sont
formidables. La lecture (de l'information) et sa recherche passent par le livre
et par l'obligation de l'élève de comprendre ce qu'il cherche. je
ne vois pas, à part un approximatif gain de temps, ce que la confection
d'un dossier par Internet apporte de plus à l'élève qui a
du mal à se repérer dans l'information papier.
4)
Par contre, le fait d'indexer l'information, de la repérer
avec des moteurs de recherche et de la présenter sur des réseaux
à plusieurs niveaux de sécurité (et de grâce, sur
des systèmes ouverts type
UNIX
et non " offerts " par
Microsoft), me semble une priorité. C'est pourquoi il faut apporter
l'information à la base (chefs d'établissements, professeurs) et
simuler un établissement tout informatique. J'ai visité des
campus américains, et le fait de disposer de bibliothèques de la
taille de la BN sur le campus, de machines disponibles à la carte
(magnétique ou à puce),, me font croire que ce n'est pas
l'informatique qui révolutionne les études. Ce sont les
règlements, les lourdeurs administratives et les moeurs, qui les
étouffent.
En France, vous ne trouverez plus un endroit dans un collège ou un
lycée où l'on peut lire tranquillement. Vous ne verrez pas une
université où la bibliothèque est ouverte jusqu'à 2
h 00 du matin, vous ne trouverez pas un seul professeur dans un bureau qui
reçoit les parents ou les étudiants, sans être
dérangé par X collègues qui partagent son bureau avec lui.
Nous en sommes à punir le bizutage, non à encourager les
fêtes de fin d'années, les remises de diplômes et autres
joyeusetés qui font naître la fierté d'appartenir à
une école.
Connectons ce beau monde sur Internet et qu'en ferons-nous?
5)
J'enseigne la philosophie en lycée. Je me suis formé
sur le tas à l'informatique. Pour l'instant, j'essaie de comprendre ce
qu'est un réseau partagé, multitâches, multi-utilisateurs.
Grâce à Internet, j'ai pu entrer en communication avec des
professeurs américains qui travaillent en science politique et en
théologie (sur des questions sur lesquelles je travaille
moi-même). J'achète mes livres dans une librairie
coopérative de Chicago (c'est moins cher que chez Vrin, place de la
Sorbonne), et je laisse des messages plus brefs que celui-ci :-) à ceux
qui ont la possibilité d'avoir une machine. Je pense que j'ai pu
accélérer grandement et faciliter l'accès à des
informations, dont j'ignorais certaines au départ. Mais je fais tout
cela de chez moi: le ministère de l'éducation nationale n'est
pour rien dans ma formation (sauf qu'il me verse un salaire, ce qui m'a permis
d'acheter deux machines).
Désolé pour ce long courrier,
Cordialement et bon courage pour votre mission.
Jean-Pierre DELANGE
*
Merci de m'avoir reçu aussi cordialement et de m'avoir
exposé vos idées, vos espoirs pour l'avenir du bon vieux pays. Le
moment venu, je vous serais très reconnaissant de me faire parvenir un
exemplaire de votre rapport.
Si vos pérégrinations vous amènent dans notre
vallée des technoïdes
, j'espère que vous ferez
l'honneur d'une visite à une entreprise à la fois hors normes et
bien représentative des deux pays de ses racines.
En vous remerciant encore de cet entretien cordial et instructif, je vous prie
d'agréer, Monsieur le Sénateur, l'expression de mon soutien le
plus entier.