B. DIX ANS PLUS TARD, UNE SITUATION AGGRAVEE
Dix ans
après la réforme du système, la situation apparaît
plus difficile encore qu'elle ne l'était en 1987. Les compagnies
assument le remboursement de la dette qui leur a été
transférée. En 1991, elles ont même racheté les
lignes de Shinkansen pour lesquelles elles versaient auparavant des redevances.
En revanche, les prévisions relatives à la partie de la dette
confiée à la Japan National Railways Settlement Corporation
(JNRSC) ne se sont pas réalisées. Cet organe était
chargé de liquider les actifs des JNR, mais cette liquidation n'a pu se
dérouler comme prévu. En ce qui concerne les terrains
(près de 9.000 ha), leur vente fut dans un premier temps
retardée, dans la mesure où l'on craignait qu'elle alimente la
spéculation qui prévalait à la fin des années 1980.
A la suite de l'éclatement de la bulle financière, il devient au
contraire nécessaire de faire preuve de prudence pour ne pas accentuer
la baisse des prix.
Dans ces conditions, la vente des terrains n'est aujourd'hui pas
achevée. 5.800 km ont été vendus entre 1987 et 1995 pour
une somme totale de 5,6 trillions de yens.
En ce qui concerne la vente des actions des sociétés, nous avons
vu que la privatisation demeurait encore très partielle, trois
compagnies seulement ayant vu une partie de leurs actions vendues. Là
encore, le contexte économique n'a pas permis d'aller aussi vite que le
souhaitait le Gouvernement japonais. Il est vraisemblable que dans la situation
de crise financière que traverse le Japon, la privatisation
complète des chemins de fer japonais ne sera pas une priorité au
cours des prochains mois.
Actuellement, on estime que la vente des derniers terrains et des actions
restant en possession de la JNRSC devrait rapporter environ 3,4 trillions
de yens.
La dette supportée par la JNRSC atteint désormais
27,8 trillions de yens, soit 1.348 milliards de francs ; elle entraîne
des intérêts d'environ 1.000 milliards de yens chaque
année. Même si l'on prend en compte la vente de l'ensemble des
actifs, la dette à la charge de la JNRSC, donc de l'Etat, dépasse
les 1.000 milliards de francs.
Dans ces conditions, les autorités japonaises ne peuvent plus attendre
pour tenter de dégager des solutions. L'attentisme des dix
dernières années coûtera en effet vraisemblablement
très cher aux contribuables japonais.
Dans le cadre plus général de la réforme budgétaire
japonaise, le Gouvernement japonais entend prendre des décisions en ce
qui concerne la dette des chemins de fer avant la fin de l'année. Une
réflexion a été entamée entre les ministères
compétents, réflexion à laquelle sont associées les
deux Chambres du Parlement japonais. Il y a un mois, lorsque je me suis rendu
à Tokyo, plusieurs solutions étaient à l'étude :
- modification de la structure de la dette par refinancement de celle-ci ;
- recours à des taxations : affectation de taxes préexistantes,
création d'un impôt spécifique, taxation des usagers des
modes de transport en commun ;
- lancement d'un emprunt (plusieurs de mes interlocuteurs ont cité
l'emprunt Pinay comme élément de la réflexion) ;
- émission d'obligations à taux zéro
bénéficiant d'avantages fiscaux, tels que l'exonération
des droits de succession ;
- transfert d'une part de la dette aux compagnies issues de la
société nationale, qui réalisent aujourd'hui des
bénéfices importants.
Cette dernière solution est très vigoureusement contestée
par les compagnies, qui estiment qu'elles ont reçu leur part du fardeau
en 1987 et que l'Etat ne saurait, dix ans plus tard, leur imposer de nouvelles
obligations.
En 1987, les autorités japonaises ont manifestement eu le souci
d'assurer la rentabilité des nouvelles compagnies créées
dans la perspective de leur privatisation. Il apparaît aujourd'hui qu'une
part plus importante de la dette aurait pu être mise à la charge
de ces sociétés, mais il faut bien reconnaître qu'il est
délicat de revenir en arrière. Les compagnies s'y montrent en
tout cas très hostiles. Cependant, beaucoup estiment qu'une solution
globale pour la dette des chemins de fer ne pourra être acceptée
par les contribuables que si la charge est équitablement répartie
et si les sociétés JR assument une partie de cette charge. Le
débat demeure donc très ouvert. Certains ont
suggéré que les compagnies prennent au moins en charge une partie
des pensions de retraite liées au système existant avant la
réforme.
Le règlement de la question de la dette des chemins de fer occupera
vraisemblablement les autorités japonaises pendant des décennies
encore. Il est difficile de savoir si une solution globale se dégagera
dans un proche avenir ou si le Gouvernement se contentera d'essayer
d'alléger la charge en recherchant le moyen de régler les
intérêts produits par la dette.
Quoi qu'il en soit, on ne peut que conclure de cette situation que le
cantonnement de la dette des chemins de fer ne constitue en aucun cas une
solution à ce problème. Lorsque la Commission européenne
prône le désendettement des entreprises de chemins de fer, il
s'agit à l'évidence d'une mesure de bon sens. Mais le
cantonnement de la dette ne signifie pas le règlement de cette
dernière et l'exemple japonais montre le danger qu'il y a de reporter la
recherche de solutions définitives à cette question. Tous les
Etats de l'Union européenne ont été ou sont
confrontées à cette question. Il faut souhaiter qu'aucun ne se
trouve jamais dans la situation qui est celle du Japon aujourd'hui en ce qui
concerne la dette de ses chemins de fer.