B. DE GRAVES INCONVENIENTS
Si le choix d'ouvrir des négociations d'adhésion avec certains pays candidats seulement ne paraît pas pleinement justifié par les différences dans le respect des " critères de Copenhague ", en revanche, les inconvénients de ce choix paraissent difficilement contestables.
1. De nouvelles lignes de partage en Europe ?
La Commission européenne s'est certes
démarquée de l'OTAN en retenant les candidatures de l'Estonie et
de la Slovénie, et pas seulement celles de la Pologne, de la Hongrie et
de la République tchèque. Mais sa logique reste celle d'une
sélectivité conduisant à la formation de nouveaux clivages
en Europe.
Or ces clivages pourraient avoir des effets pervers. Dans les pays du
" deuxième groupe ", les populations qui ont subi
d'importants
sacrifices en raison du processus de restructuration économique risquent
de considérer que ces efforts ont été consentis en vain,
ce qui pourrait entraîner des conséquences politiques
négatives. Du point de vue économique, l'écart risque de
se creuser, au lieu de se réduire, entre les deux groupes de pays, les
pays engagés dans les négociations d'adhésion ayant des
chances bien plus grandes d'attirer les investissements directs
étrangers et étant appelés en pratique à
bénéficier d'aides plus importantes de la part de l'Union, tandis
que le processus de restructuration risque de se trouver freiné dans les
pays du " deuxième groupe ".
On peut craindre dès lors que l'approche sélective de la
Commission ne conduise à la séparation durable des pays candidats
en deux groupes
. Or, l'Union ne devrait-elle pas avoir pour première
ambition, dans la situation actuelle, d'étendre au Centre et à
l'Est de l'Europe le processus de regroupement et de réconciliation qui
caractérise l'Europe occidentale ? L'attitude de la Commission ne
paraît pas à la mesure de l'enjeu historique de la
réunification d'un continent trop longtemps déchiré.
Est-il opportun de susciter un clivage au sein des Etats baltes, malgré
leur histoire commune et leurs efforts pour mettre en place une zone de libre
échange ? Doit-on susciter un nouveau motif de division entre la
Hongrie et la Roumanie ? Est-il souhaitable de séparer durablement
la Slovaquie de la République tchèque, et des autres Etats qui
ont longtemps appartenu avec elle à l'Empire austro-hongrois ?
Ne doit-on pas, au demeurant, considérer que les PAECO, qui -à
l'exception de la Slovénie- ont subi une même oppression pendant
près d'un demi-siècle, forment un ensemble appelant une
même approche ? L'approche de la Commission européenne semble
sous-estimer la portée proprement politique de l'élargissement
à l'Est.
Deux prises de position sont à signaler sous cet angle :
-
· la Conférence des présidents des commissions des affaires
étrangères des parlements nationaux de l'Union, du Parlement
européen et des pays candidats a donné lieu, le
1
er
octobre dernier, au communiqué suivant :
"
A la fin du débat sur l'" Agenda 2000 " et
notamment
sur la stratégie d'adhésion, la présidence luxembourgeoise
a pu résumer les interventions dans un sens favorable à
l'ouverture simultanée des négociations avec tous les pays de
l'Europe centrale et orientale candidats à l'adhésion ainsi
qu'avec Chypre, et ceci pour des raisons tant d'ordre politique que
psychologique. Ceci étant, tous les intervenants étaient d'accord
pour souligner qu'une telle démarche devrait se faire dans le total
respect de l'acquis communautaire et que la fin des négociations ne
saurait être déterminée que par les mérites propres
de chaque pays candidat
" ;
· le projet de résolution adopté par la commission des affaires étrangères du parlement européen (10 octobre 1997) recommande que tous les PAECO " commencent les négociations en même temps, étant entendu que le rythme de ces dernières pourra être différent en fonction de la capacité de chaque pays d'accepter l'acquis communautaire et d'assurer le plein respect des critères établis à l'occasion du Conseil européen de Copenhague " ; une exception est faite dans le seul cas de la Slovaquie " qui ne remplit pas pour l'instant les critères politiques ".
Il existe donc un fort courant pour souligner les inconvénients politiques de la différenciation et pour suggérer en conséquence que des négociations d'adhésion s'ouvrent avec tous les pays remplissant les critères politiques, l'aboutissement des négociations devant dépendre ensuite, au cas par cas, du plein respect des critères de Copenhague.
2. La réforme institutionnelle compromise ?
L'approche retenue par la Commission européenne
présente également l'inconvénient de ne pas favoriser la
réforme institutionnelle qui reste à accomplir dans la
perspective de l'élargissement compte tenu de la carence du
traité d'Amsterdam dans ce domaine.
Il est utile à cet égard de rappeler les termes du protocole sur
les institutions annexé à ce traité :
Protocole sur les institutions dans la perspective de l'élargissement de l'Union européenne
LES HAUTES PARTIES CONTRACTANTES,
Article 1 A la date d'entrée en vigueur du premier élargissement de l'Union, nonobstant l'article 157, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté européenne, l'article 9, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l'acier et l'article 126, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté européenne de l'énergie atomique, la Commission se compose d'un national de chacun des Etats membres, à condition qu'à cette date la pondération des voix au sein du Conseil ait été modifiée, soit par une nouvelle pondération des voix, soit par une double majorité, d'une manière acceptable pour tous les Etats membres, compte tenu de tous les éléments pertinents, notamment d'une compensation pour les Etats membres qui renoncent à la possibilité de désigner un deuxième membre de la Commission. Article 2
Un an au moins avant que l'Union européenne ne compte
plus de vingt Etats membres, une conférence des représentants des
gouvernements des Etats membres est convoquée pour procéder
à un réexamen complet des dispositions des traités
relatives à la composition et au fonctionnement des institutions.
|
On peut tout d'abord observer que, bien qu'ayant en principe la même valeur juridique que le traité, le protocole n'a qu'une portée contraignante très réduite :
-
- la réforme prévue à l'article 1,
c'est-à-dire la suppression du second commissaire des
" grands " Etats, est subordonnée à une modification
"
acceptable par tous
" de la pondération des
voix ;
- l'article 2 ne donne aucune indication sur les objectifs du " réexamen complet " qu'il prévoit, et ne subordonne pas clairement le passage de l'Union à plus de vingt membres à une révision institutionnelle.
-
- l'Union pourrait, dans un premier temps, accepter cinq nouveaux membres avec
une révision institutionnelle minimale : chaque pays aurait un
commissaire européen, et, par exemple, un système de
" double majorité " serait parallèlement introduit
(dans ce système, une décision doit obtenir la majorité
qualifiée avec la pondération actuelle, mais les Etats favorables
à la décision doivent en même temps représenter une
certaine proportion -par exemple 60 %- de la population de l'Union).
Aucune extension du champ des décisions à la majorité
qualifiée ne paraît devoir intervenir à ce stade, puisque
le protocole ne la mentionne pas ;
- lorsque l'Union s'apprêterait à compter plus de vingt membres, serait examinée la possibilité que (conformément aux souhaits de la France) le nombre des membres de la Commission européenne soit inférieur à celui des Etats membres, dans le cadre d'une éventuelle réforme de plus grande ampleur.
Or, la proposition de la Commission européenne d'engager, dans un premier temps, les négociations d'élargissement avec cinq Etats membres seulement semble s'inscrire dans ce schéma : l'Union n'étant pas appelée à avoir à moyen terme plus de vingt membres, l'élargissement pourrait s'accompagner d'une réforme institutionnelle minimale.
On pourrait objecter que la Commission européenne envisage en réalité des négociations avec six pays, puisqu'aux cinq PAECO retenus il convient d'ajouter Chypre. Mais, compte tenu des contraintes politiques auxquelles est soumis le processus d'adhésion de ce pays, la candidature chypriote ne paraît pas susceptible d'obliger les Etats membres à se placer d'emblée dans la perspective d'une Union de plus de vingt membres, et donc à envisager la réforme d'ensemble mentionnée par le traité d'Amsterdam.
A l'inverse, l'ouverture de négociations d'adhésion avec tous les pays candidats -ce qui, répétons-le, n'impliquerait pas de conclure ces négociations à la hâte et au même moment pour tous les pays- mettrait au premier plan l'exigence de réforme institutionnelle.
Le risque est grand que l'Union s'élargisse avec une réforme minimale de son fonctionnement, se condamnant ainsi à terme à l'impuissance. Se placer dans l'optique d'une Union de vingt-cinq membres rend, au contraire, évidente la nécessité d'un fonctionnement plus efficace, qui suppose à la fois une extension du champ des décisions à la majorité qualifiée et une pondération plus juste des voix au sein du Conseil (1( * )) .