XV. MERCREDI 26 JUIN 1996
-
Présidence de M. Adrien Gouteyron,
président, puis de M. Jean-Pierre Camoin, co-rapporteur
. - La
mission a procédé à
l'audition
de
M. André Maman, sénateur, représentant des
Français établis hors de France
.
Se fondant sur sa longue expérience d'universitaire acquise pendant plus
de quarante ans au Canada et surtout aux Etats-Unis, à
l'université de Princeton
, M. André Maman
a
estimé qu'il convenait de rappeler l'organisation générale
du système universitaire américain afin notamment de mieux
apprécier la portée de certaines remarques émises sur ce
sujet par plusieurs interlocuteurs de la mission d'information.
A titre liminaire, il a d'abord rappelé que les Etats-Unis ignoraient
toute organisation nationale du système éducatif et que chaque
Etat restait libre de décider à sa guise de sa politique
éducative.
Il a indiqué que les écoles primaires, qui relèvent des
comtés, n'accueillaient les élèves qu'à partir de
cinq ans, et qu'une grande diversité pouvait être constatée
entre les établissements d'enseignement dont le niveau est cependant
connu de tous du fait d'une auto-évaluation
généralisée.
Constatant la dégradation du système éducatif public, il a
souligné le développement d'un secteur laïque privé
qui se révélait coûteux, mais de bonne qualité, et
la disparition d'un nombre croissant d'écoles secondaires catholiques.
Il a précisé que ce secteur privé restait néanmoins
accessible aux élèves peu favorisés du fait du large
développement du système des bourses.
Il a ajouté que les écoles publiques urbaines étaient
confrontées à de graves problèmes de
sécurité et de discipline, à l'inverse des
établissements publics et privés installés dans les
grandes banlieues résidentielles.
Il a ensuite rappelé que tous les élèves du secondaire
avaient vocation à entrer dans l'enseignement supérieur qui
accueille actuellement environ huit à neuf millions d'étudiants
répartis dans 3.000 universités. En l'absence d'un examen
national de type " baccalauréat ", les futurs étudiants
sont soumis à des tests " objectifs " (standardized aptitude
tests et advanced placements) dont les résultats permettent de
définir un profil national pour chaque étudiant mais dont le
contenu est critiqué par certaines minorités.
L'entrée à l'université fait l'objet d'une
préparation au cours des deux années précédant la
fin des études secondaires, chaque élève disposant de
l'aide d'un " orienteur-guideur " et des conseils fournis
notamment
par les " officiers d'admission " et les anciens élèves
des universités : selon les notes obtenues en cours de
scolarité et les résultats des tests, chaque élève
est orienté vers un établissement répondant à son
profil et à son niveau, les tests étant obligatoires pour
accéder aux 200 meilleures universités du pays.
En vue de son entrée dans l'enseignement supérieur, chaque
élève de terminale doit établir un dossier portant sur ses
résultats scolaires et sur ses activités
" extracurriculaires " afin notamment d'évaluer son propre
potentiel. Ce dossier doit notamment porter sur la disponibilité de
l'élève, son esprit d'équipe, son indépendance
à l'égard de sa famille et son sens de l'initiative.
M. André Maman
a rappelé que chaque Etat disposait d'une
université répartie sur plusieurs campus, que certaines
étaient d'un excellent niveau (Indiana, Wisconsin, Californie, Texas
...) et soutenaient la comparaison avec les meilleures universités
privées (Princeton, Harvard, Yale, Stanford, MIT...) qui tentent de
recruter les meilleurs élèves des lycées sur l'ensemble du
territoire américain, avec l'aide des " officiers
d'admission ", de certains de leurs professeurs et des associations
d'anciens élèves.
Il a indiqué que les lycéens formulaient en moyenne des demandes
d'admission dans quatre à huit universités. Il a ajouté
que le système universitaire était complété par
plusieurs centaines de " community colleges " proposant des
formations peu coûteuses de proximité, d'une durée de deux
ans, et permettant à leurs étudiants de poursuivre
ultérieurement des études supérieures plus approfondies
après l'obtention du diplôme de " bachelor ".
Il a précisé que le coût des études
supérieures (28.000 dollars à Princeton) devait être
apprécié en fonction de l'existence de bourses dont le montant
était adapté aux revenus des familles et que les étudiants
bénéficiaient d'un système de prêts bancaires
remboursables dans les six mois qui suivaient l'obtention de leur diplôme.
Il a ensuite insisté sur l'encadrement dont bénéficiaient
les nouveaux étudiants pendant la semaine d'accueil à
l'université et a rappelé que les " officiers
d'admission " s'efforçaient de sélectionner les meilleurs
étudiants, mais devaient tenir compte des quotas instaurés au
bénéfice de certaines minorités et de diverses
catégories d'étudiants (enfants des anciens élèves,
athlètes de haut niveau, " talents inhabituels "...). Il a
ajouté que l'année universitaire était organisée en
deux semestres et que pendant les deux premières semaines
l'étudiant, qui est suivi par son conseiller et ses professeurs, pouvait
être autorisé à changer d'orientation.
A l'université de Princeton, l'encadrement est assuré par 800
professeurs, soit un enseignant pour sept étudiants, et est
complété par 1.400 étudiants de doctorat qui sont
chargés de six heures de cours hebdomadaires sous la direction
d'universitaires expérimentés enseignant le plus souvent en
première et en deuxième années : le taux
d'échec y est très faible mais les deux premières
années sont particulièrement intensives et doivent permettre
notamment de rattraper les retards enregistrés au lycée.
Une large place est faite au contrôle continu, les étudiants
étant soumis à l'obligation de passer un examen pour chaque cours
au milieu du semestre. L'université dispose par ailleurs d'un service
très important de médecins et de psychiatres et les professeurs,
à tous les niveaux, doivent consacrer quinze à vingt heures
hebdomadaires pour apporter des conseils à leurs étudiants. Par
ailleurs, les professeurs des divers départements travaillent en
étroite collaboration et les études
" interdépartementales " sont encouragées.
M. André Maman
a ajouté que certaines universités,
même de qualité, comme celle de New-York, enregistraient un taux
d'échec plus important en dépit des efforts engagés en
matière de rattrapage scolaire, du fait notamment d'une forte
présence d'étudiants provenant de minorités, que la
plupart des établissements assuraient l'hébergement de leurs
étudiants au sein des campus et qu'en troisième année, au
moment des choix de spécialisation, le niveau des études
était comparable à celui des universités
européennes.
Il a également indiqué qu'un système de tutorat,
assuré par des volontaires avancés dans leurs études,
permettait d'encadrer les nouveaux étudiants et de remédier
précocement à leurs difficultés, en leur assurant
notamment des cours de rattrapage gratuits : en cas d'échec dans
une discipline, l'étudiant ne perd pas le bénéfice de son
semestre et a la possibilité de poursuivre ses études sans
redoublement. Des actions de soutien et des réorientations permettent en
outre de réduire l'échec universitaire au cours des
premières années.
Il a enfin noté que les campus américains restaient
épargnés par l'insécurité mais étaient de
plus en plus concernés par le développement de la consommation
d'alcool et de drogue.
M. Jean-Pierre Camoin, co-rapporteur
, s'est enquis de la
périodicité des examens évoqués.
M. Daniel Eckenspieller
a souligné l'intérêt de cet
exposé qui faisait apparaître les lumières et les ombres du
système universitaire américain.
Il s'est par ailleurs interrogé sur l'efficacité de ce
système, sur l'adaptation de ses formations aux besoins de la
société américaine et sur les modalités de son
fonctionnement et de son organisation qui pourraient être
transposées dans notre pays.
Répondant à ces interventions,
M. André Maman
a
notamment apporté les précisions suivantes :
- les examens interviennent en cours de semestre et viennent compléter
un dispositif qui accorde une large place au contrôle continu ; des
notes satisfaisantes sont par ailleurs exigées des étudiants pour
entrer dans les écoles spécialisées à vocation
technologique ;
- en ce qui concerne leur activité future, les étudiants sont
aidés par l'existence, sur le campus, d'un " bureau des
carrières " où se trouvent affichées les offres
d'emploi ;
- en l'absence de service militaire, l'université assure un brassage
social des jeunes américains ;
- les deux premières années permettent aux étudiants de
s'auto-évaluer dans un processus de compétition continue qui
n'exclut pas les réorientations et les changements
d'établissement ;
- le principe de l'évaluation des professeurs par les étudiants
se traduit par une notation qui est rendue publique et par des suggestions
portant sur les améliorations à apporter aux cours ;
- les universités américaines recrutent des enseignants de toutes
nationalités et la compétition est particulièrement rude
pour la titularisation des professeurs : les dossiers de promotion prennent en
compte la qualité de l'enseignement, les activités de recherche
qui sont appréciées par des experts et aussi la " bonne
citoyenneté " universitaire des enseignants ;
- les jeunes professeurs bénéficient d'un contrat d'un an,
renouvelable ou non, ou de trois ans, également renouvelable, à
l'issue duquel ils peuvent être soit licenciés, soit promus au
rang de professeur associé, ce qui leur confère la
" tenure ", avant d'être éventuellement promus au rang
de professeur, qui est le grade le plus élevé de la
hiérarchie universitaire ;
- les salaires des professeurs sont fixés par le conseil
d'administration de l'université : dans les universités
privées, les professeurs de rang le plus élevé sont
chargés de répartir une enveloppe globale entre les enseignants
de rang inférieur, selon les activités et les mérites
respectifs de ces derniers ;
- les établissements privés ne subsistent que grâce
à la générosité de leurs anciens
élèves qui est sollicitée par les " bureaux du
développement " : les grandes universités effectuent
actuellement des levées de fonds qui sont évaluées
à un milliard de dollars pour les cinq ou dix ans à venir ;
- le système universitaire américain a fait la preuve de son
efficacité et de son adaptation mais les diplômes des
universités les plus prestigieuses ne garantissent pas, en dépit
de l'efficacité des associations d'anciens élèves, une
stabilité de l'emploi dans les entreprises ;
- les étudiants américains exigent beaucoup de leurs professeurs
et s'engagent précocement dans des activités de recherche ;
- à l'instar des Etats-Unis, il serait sans doute souhaitable de
développer la disponibilité des universitaires français
à l'égard de leurs étudiants, de les inciter à
résider sinon sur les campus, du moins dans les villes universitaires,
d'accroître leur intérêt pour toutes les activités
para-universitaires, notamment en matière culturelle, et de favoriser la
concertation entre les enseignants des diverses disciplines .
- la suppression de l'âge de départ à la retraite pour les
professeurs américains d'université, et la faiblesse du montant
de leur pension, qui les incite à rester en fonction le plus longtemps
possible, ont contribué à sacrifier une génération
de jeunes professeurs qui sont par ailleurs évalués en permanence
à travers leur enseignement, leurs publications et leur participation
à la " bonne citoyenneté " universitaire ;
- le principe de l'accès à l'université selon le
système des quotas est parfois contesté devant les tribunaux
américains par les étudiants de certaines minorités ;
- le fonctionnement du système universitaire américain repose sur
la sélection et sur la non gratuité des études mais aussi
sur le bénévolat des anciens élèves.