XIII. MERCREDI 12 JUIN 1996
-
Présidence de M. Adrien Gouteyron,
président
. - La mission a procédé à
l'audition de
M. Bertrand Girod de l'Ain, professeur émérite
à l'université de Paris-Dauphine.
Dans une déclaration liminaire,
M. Bertrand Girod de l'Ain
a
d'abord évoqué l'" embargo " dont aurait
été victime son rapport sur " l'avenir des
universités européennes ", qui lui avait cependant
été commandé par le précédent ministre
chargé de l'enseignement supérieur et qui a été
publié en avril dernier par la direction de l'évaluation et de la
prospective (DEP) du ministère de l'éducation nationale.
Estimant que les dysfonctionnements des premiers cycles ne pouvaient
être dissociés de l'examen de l'ensemble des difficultés du
système universitaire, il a indiqué que son rapport
s'efforçait d'établir un diagnostic sur la situation de
l'université et de proposer des objectifs de réforme.
Il a ensuite comparé les divers systèmes universitaires en
opposant notamment le modèle allemand de la " certification
finale " au modèle " additionniste " français qui
est à l'origine de certains effets pervers dans les premiers cycles.
S'appuyant sur les témoignages recueillis au cours de son étude
auprès des représentants des étudiants et des enseignants,
il a estimé que l'éclatement de notre système
universitaire et son organisation en unités de valeur et en modules
entraînaient notamment un " bachotage " des étudiants et
un absentéisme aux cours. Il a au contraire souligné la
nécessité de faire découvrir aux nouveaux étudiants
la cohérence des parcours universitaires ainsi que le rôle
essentiel du travail personnel et a noté que ses propositions n'avaient
pas suscité d'opposition de la part de ses interlocuteurs syndicaux.
Il a ensuite rappelé que la démocratisation de l'enseignement
secondaire et l'augmentation des effectifs des bacheliers avaient conduit les
gouvernements dans les années 1960 à créer les instituts
universitaires de technologie (IUT) et à imaginer un DEUG permettant
à la fois une insertion professionnelle et la poursuite d'études
ultérieures.
Il a cependant noté que cette double fonction avait disparu puisque la
quasi-totalité des étudiants poursuivent aujourd'hui des
études longues après le DEUG et que les entreprises ne sont pas
particulièrement intéressées par des formations
générales à bac + 2.
Abordant le problème de l'échec universitaire dans les premiers
cycles, il a opéré une distinction entre les étudiants qui
abandonnent leurs études et ceux qui échouent au DEUG et a
souligné que les premiers étaient moins nombreux dans des
disciplines comme le droit, que dans les sciences humaines. Il a ensuite
évoqué les perspectives de déqualification des
diplômés à bac + 5 sur le marché du
travail et les prévisions démographiques contrastées pour
les différents cycles universitaires ; il a estimé qu'il
convenait de clarifier les objectifs et les exigences des différents
cursus, notamment pour distinguer les filières longues des formations
courtes.
Il a rappelé que la moitié des entrants à
l'université obtenaient un DEUG et le quart d'entre eux, selon les
estimations de la DEP, une maîtrise. Il a ajouté que les travaux
de l'office universitaire de la région Rhône-Alpes, de
l'université des sciences et technologies de Lille, de
l'Université de Paris II et de l'université de Nancy II avaient
révélé une forte sélection dans la plupart des
seconds cycles et des écarts de réussite considérables
selon les filières, alors que l'échec dans les premiers cycles
semble constituer aujourd'hui la seule préoccupation du
ministère. Il a également souligné l'allongement
général de la durée des études requises pour
obtenir un diplôme permettant d'assurer des fonctions d'encadrement,
qu'il s'agisse des écoles d'ingénieurs ou de l'université.
Insistant sur la gravité de l'échec dans les seconds cycles, il a
indiqué que certaines disciplines étaient plus
particulièrement concernées, notamment en mathématiques
où seulement un étudiant sur trois obtient la licence en un an,
les autres étant confrontés à des redoublements qui les
conduisent parfois à modifier leurs projets de carrière. Il a
ensuite abordé les problèmes de l'orientation en rappelant que
les bacheliers qui ont préparé un projet d'études et de
métier lors de leur entrée à l'université restaient
peu nombreux et qu'un tel projet ne pouvait se construire que progressivement
dans des filières affichant des exigences et des objectifs clairs ; ceci
implique un aménagement des épreuves finales qui devraient
être plus synthétiques et moins nombreuses, le
développement des travaux personnels des étudiants et la
généralisation de la formule du mémoire.
Il a ajouté qu'il revenait à l'Etat de définir un
modèle universitaire qui consisterait d'abord à allonger les
filières courtes, et qui devrait permettre d'augmenter la part des
diplômés de l'université à bac + 5 sur le
marché de l'emploi, notamment pour les étudiants en
mathématiques.
Dénonçant la spécialisation excessive et
l'éclatement des enseignements, qui résultent notamment du
développement des activités de recherche, il a
préconisé un retour à des disciplines principales
" maigres " permettant de réintroduire une cohérence
dans les diverses filières.
Il a également observé que le système universitaire
allemand accordait une part limitée à la recherche et
privilégiait la fonction pédagogique et de conseil des
enseignants et a estimé qu'il convenait en France de reconstituer une
véritable communauté universitaire en partant des objectifs
propres à chaque filière.
Soulignant le caractère " décapant " de ces
observations,
M. Adrien Gouteyron, président
, a
souhaité obtenir des précisions sur le sort des étudiants
qui échoueraient à l'issue de la certification finale.
Il a également constaté que la solution qui consisterait à
recentrer les premiers cycles sur une seule discipline irait à
l'encontre des propositions formulées par la plupart des interlocuteurs
de la mission d'information, qu'elle risquait d'accentuer encore la rupture
constatée entre le lycée et l'université et supposait une
maîtrise par les nouveaux étudiants des acquis et des
méthodes nécessaires pour s'engager avec succès dans des
études supérieures.
Il a enfin demandé si le développement excessif du système
des unités de valeur capitalisables n'avait pas contribué
à l'éclatement des formations de premier cycle.
Insistant sur l'intérêt des remarques formulées,
M.
André Maman
a rappelé que le système d'orientation des
étudiants aux Etats-Unis était fondé sur des tests et des
examens d'entrée dans les universités et a regretté que le
lycée ne développe pas davantage les aptitudes au travail
personnel des élèves.
Il a également noté que les universitaires américains
travaillaient en étroite concertation, notamment pour aider les
étudiants en difficulté, en y consacrant de nombreuses heures par
semaine, que les enseignants étaient " évalués "
par les étudiants, que la spécialisation n'intervenait qu'au
cours des deux dernières années d'étude, et que
l'université américaine avait aussi vocation à
remédier aux insuffisances de l'enseignement secondaire, le faible
échec universitaire qui y était constaté s'expliquant
principalement par un encadrement adapté.
Il a enfin souhaité une véritable évaluation des
universités françaises et a dénoncé les taux
inacceptables d'abandon d'études et d'échecs qui y sont
constatés.
M. Jean-Pierre Camoin, co-rapporteur
, a évoqué le
déplacement effectué par la mission d'information à
Heidelberg et a rappelé que l'université allemande n'était
pas soumise à la concurrence de grandes écoles.
Il a exprimé la crainte que l'application en France d'un système
de certification finale ne contribue à accentuer la coupure existant
entre les grandes écoles et l'université et s'est
interrogé sur la possibilité de concilier un libre accès
aux premiers cycles universitaires et un examen final très
sélectif intervenant après plusieurs années
d'études.
M. Philippe Richert
a également souligné les
conséquences des orientations préconisées en estimant que
la priorité qui serait donnée au travail personnel des
étudiants risquait d'aggraver la rupture existant entre le lycée
et l'université et de réduire encore les chances de leur passage
entre les premiers et les deuxièmes cycles, alors que la transition
entre le secondaire et le supérieur devrait être, selon lui,
progressive.
Il a en outre remarqué qu'une spécialisation précoce des
nouveaux étudiants serait peu adaptée à une
réorientation ou à une insertion professionnelle
ultérieures, un éventail plus large d'enseignements lui semblant
plus approprié dans cette perspective.
Il a enfin noté que les deux premières années de DEUG en
mathématiques ne pouvaient être considérées comme
dispensant une culture générale.
M. Jean Bernadaux
s'est interrogé sur les raisons de la
pauvreté des statistiques disponibles concernant la réussite et
le devenir des étudiants de licence et de maîtrise. Il a
également noté que les étudiants allemands
exerçaient fréquemment une activité salariée
parallèlement à leurs études.
Rappelant l'exemple des études de pharmacie,
M. Franck
Sérusclat
s'est interrogé sur les mérites respectifs
du modèle " additionniste " et du modèle à
certification terminale en exprimant cependant une préférence
pour le premier, sous réserve que les notes obtenues par les
étudiants dans les matières principales soient prioritairement
prises en compte.
Répondant à ces interventions,
M. Bertrand Girod de l'Ain
a notamment apporté les précisions suivantes :
- le système universitaire américain complète les acquis
insuffisants de l'enseignement secondaire mais comporte aussi une
spécialisation précoce notamment dans les formations
d'ingénieurs ou technologiques ;
- notre enseignement supérieur n'a pas vocation à dispenser des
cours magistraux ni à " faire du rattrapage " mais doit
privilégier des méthodes de réflexion et de raisonnement
s'inscrivant dans des filières cohérentes : un cursus
" maigre " devrait ainsi être proposé aux nouveaux
étudiants plutôt que des enseignements éclatés qui
apparaissent par ailleurs sans rapport avec une culture générale
classique ;
- les entreprises ont plutôt besoin de diplômés
généralistes à bac + 5 et de spécialistes à
bac + 2 ;
- l'absence de sélection lors de l'entrée à
l'université commande une certification finale exigeante et un
réexamen des cursus universitaires, sauf à assister à une
déqualification des diplômés de deuxième et de
troisième cycles sur le marché du travail, qui se substitueront
aux diplômés à bac + 2 ;
- le système universitaire allemand comporte une certification finale
constituée de mémoire et d'examens terminaux portant sur des
sujets arrêtés avec les enseignants ; les séminaires
comportent, dès la première année, des travaux de
recherche et sont sanctionnés par des certificats ;
- la fréquence des échecs et des abandons d'études est
similaire en France et en Allemagne, mais la durée des études est
sensiblement plus longue outre-Rhin ;
- le développement des activités salariées des
étudiants peut s'expliquer pour des raisons matérielles mais
aussi du fait de la finalité incertaine de certains cursus
universitaires ;
- il convient de trouver un compromis entre le modèle
" additionniste " et le modèle de certification finale,
l'Allemagne s'apprêtant pour sa part à mettre en place un DEUG
intermédiaire ;
- la massification de l'enseignement supérieur s'est traduite par une
très grande diversification des enseignants qui sont souvent
dépourvus de toute formation commune, qui notent leurs étudiants
selon des critères jugés parfois arbitraires et qui veulent
" préserver leur territoire " : la présence active
des enseignants-chercheurs, notamment dans les premiers cycles, comme en droit
et en histoire, apparaît indispensable pour maintenir
l'homogénéité des enseignements et ne pas démotiver
les étudiants.