D. UNE CONCURRENCE LIMITÉE
Souvent présenté comme un exemple de
libéralisme sans frein, le système ferroviaire britannique est
pourtant caractérisé, au moins pour l'instant, par une
concurrence mesurée.
Dans un premier temps, le gouvernement avait
envisagé un système totalement libéralisé avec
privatisation et libre accès au réseau. Il est vite apparu qu'une
telle hypothèse était peu réaliste et que les entreprises
hésiteraient à demander des franchises pour la gestion de
réseaux sur lesquels des concurrents n'assumant aucune mission de
service public pourraient pénétrer.
Dans ces conditions, le régulateur a décidé de limiter, au
moins dans un premier temps, la concurrence entre les sociétés
d'exploitation de services de transport de voyageurs. La concurrence se fait au
moment des appels d'offres, chaque franchise étant attribuée
à l'entreprise demandant la subvention la plus faible pour
réaliser le cahier des charges négocié avec le directeur
des franchises. Selon les informations qu'a pu obtenir votre rapporteur, il
semble que cette compétition, modérée lors de
l'attribution des premières franchises, soit en train de s'accentuer.
Une fois la franchise attribuée, l'exploitant a seul accès au
réseau correspondant à la franchise qu'il a reçue. En
fait, ce système revient à créer de petits monopoles
locaux pendant une durée limitée, la concurrence
réapparaissant à chaque appel d'offres. Sur certains trajets
cependant, il existe deux lignes qui peuvent être concédées
à des opérateurs différents et sur lesquelles se
déroule une concurrence directe.
Le régulateur a prévu que cette situation de concurrence
très restreinte après l'attribution des franchises perdure
jusqu'en 1999. A partir de cette date, des possibilités d'accès
au réseau encore limitées pourraient être introduites.
Elles seraient ensuite élargies à partir de 2002. Toutefois,
l'une des caractéristiques de ce système est le pragmatisme avec
lequel il a été bâti, et l'ouverture à la
concurrence ne se fera que pour autant qu'elle n'accule pas à la
faillite les exploitants détenteurs de franchises.
Par ailleurs, les autorités britanniques sont parfaitement conscientes
du fait que l'éclatement de British Rail en une multitude de
sociétés ne sera pas viable à long terme. D'ores et
déjà, on constate que pour l'exploitation des services de
transport de voyageurs, certaines entreprises ont obtenu deux ou trois
franchises et comptent améliorer ce score avant la fin des appels
d'offres. De même, dans le secteur du fret, les trois
sociétés de fret lourd ont été rachetées par
la même entreprise américaine. Récemment, l'entreprise de
bus Stagecoach, détentrice de deux franchises, a entamé une
procédure de rachat de l'une des trois compagnies de matériel
roulant (Rolling Stock Companies), ce qui peut paraître contestable au
regard de la philosophie initiale du projet gouvernemental consistant à
séparer les différentes fonctions de la gestion des chemins de
fer. Ce rachat est actuellement examiné par l'autorité
chargée de la concurrence, la Mergers and Monopolies Commission. Il est
donc clair qu'un certain processus de reconcentration est en cours et que le
nombre d'acteurs sur le marché devrait se réduire au cours des
prochaines années.
Votre rapporteur s'est rendu sans a priori en Grande-Bretagne pour examiner
l'organisation et le fonctionnement du chemin de fer. Il a pu constater que le
système se mettait en place dans des conditions satisfaisantes et que
certains aspects de la réforme donnaient d'ores et déjà
des résultats positifs :
-
la séparation de l'exploitation et des infrastructures,
défendue par la Commission européenne, a été mise
en oeuvre de manière très radicale et a permis une
véritable transparence dans la gestion du système ;
- la notion de contrat de service public permettra presque à coup
sûr d'améliorer la gestion des chemins de fer ; dès le
départ, les éléments du contrat sont clairement
définis : l'exploitant a un cahier des charges à respecter en
contrepartie duquel il reçoit si nécessaire une subvention
appelée à diminuer progressivement ;
- on ne peut pas parler d'un abandon du service public, dans la mesure
où le système demeure très encadré ; ce qui est
exact, c'est que le service public n'est plus un concept flou aux contours
incertains, mais qu'il correspond à un certain nombre de missions
clairement définies et inscrites dans un cahier des charges.
En revanche, certaines interrogations demeurent, qui appelleront un
réexamen du système après quelques années de
fonctionnement :
-
l'éclatement de l'ancienne British Rail en une multitude
d'entités ne présentait probablement pas un caractère
obligatoire, et l'on assistera vraisemblablement à une certaine
reconcentration ;
- certains problèmes de coordination et d'organisation paraissent encore
imparfaitement résolus ; ainsi, la nécessité de traverser
plusieurs réseaux pour accomplir certains trajets conduit à une
tarification complexe qui n'est pas toujours la plus avantageuse pour le client
;
- la privatisation de l'entreprise détenant les infrastructures est un
choix politique, dont les conséquences à long terme
mériteront d'être examinées attentivement ;
- enfin, le coût du nouveau système pour l'Etat ne peut être
encore clairement établi ; il conviendra de suivre l'évolution du
système afin de vérifier si la décroissance des
subventions s'opère dans les délais prévus sans que
l'équilibre financier des exploitants soit menacé.
En définitive, votre rapporteur salue le courage de cette
réforme, dans un pays où le délabrement du réseau
et la dégradation de la qualité du service étaient devenus
insupportables. Il est souhaitable que les autres pays européens, et
notamment la France, s'intéressent davantage à ce système,
non pour l'imiter, car chaque pays a des impératifs qui lui sont
propres, mais parce que la comparaison objective doit précéder la
décision.