Les chemins de fer en Europe
Nicolas About
Délégation du Sénat pour l'Union européenne
Table des matières
-
INTRODUCTION
- I. LE SYSTÈME FERROVIAIRE BRITANNIQUE : UNE RÉFORME AMBITIEUSE ET DÉSORMAIS CRÉDIBLE
- II. LE LIVRE BLANC DE LA COMMISSION EUROPÉENNE : UNE CONTRIBUTION IMPORTANTE À LA RÉFLEXION SUR L'AVENIR DES CHEMINS DE FER EUROPÉENS
- EXAMEN DU RAPPORT
- ANNEXE
INTRODUCTION
L'organisation des chemins de fer en Europe est en train de
subir des mutations profondes. Certains pays ont entrepris des réformes
ambitieuses de leur système ferroviaire, tandis que la Commission
européenne formule des propositions pour redonner au chemin de fer une
vitalité nouvelle.
En avril dernier, j'ai présenté devant la
Délégation du Sénat pour l'Union européenne un
rapport sur les propositions de la Commission européenne visant à
ouvrir davantage à la concurrence le transport ferroviaire. La
Délégation, conformément à mes suggestions, a
estimé que ces propositions étaient prématurées en
l'absence de tout bilan des mesures communautaires déjà
adoptées.
En préparant ce précédent rapport, j'ai pu constater
à l'occasion des entretiens que j'ai conduits que, parmi les
réformes entreprises ces dernières années par certains de
nos partenaires européens, la réforme du système
ferroviaire britannique suscitait une hostilité très
générale en France, trop générale en
vérité pour me convaincre pleinement.
J'ai donc souhaité me rendre sur place afin d'observer les
conséquences de cette modification radicale de l'organisation des
chemins de fer. Il me semble en effet que, même si les situations, les
problèmes, les atouts de chaque pays sont différents, la
comparaison ne peut qu'enrichir la réflexion.
J'ai accompli cette mission avec M. Paul CHOLLET, député,
rapporteur de la Délégation pour l'Union européenne de
l'Assemblée nationale, et nous avons pu rencontrer l'ensemble des
acteurs intéressés par cette réforme.
Le présent rapport présente donc ce système ferroviaire
britannique tant décrié en France et tente d'apporter quelques
éléments d'appréciation sur cette réforme encore
récente. Il contient également une analyse du Livre blanc de la
Commission européenne :
" Une stratégie pour revitaliser
les chemins de fer communautaires ",
qui définit un certain
nombre d'orientations importantes pour l'avenir.
Au moment où le Parlement français s'apprête à
discuter un projet de loi important sur la création d'un
établissement public chargé de la gestion des infrastructures
ferroviaires et sur la régionalisation des services régionaux de
transport ferroviaire, il m'a paru souhaitable que le Sénat dispose de
ces informations qui pourraient contribuer à sa réflexion.
I. LE SYSTÈME FERROVIAIRE BRITANNIQUE : UNE RÉFORME AMBITIEUSE ET DÉSORMAIS CRÉDIBLE
Dans les années 1980, le gouvernement britannique a
entrepris de manière méthodique la privatisation de nombreuses
entreprises de service public, dans des secteurs tels que l'eau, les
télécommunications, le gaz, l'électricité.
Progressivement, le gouvernement a également envisagé un tel
processus dans le secteur des chemins de fer. Une telle évolution a
d'abord suscité un grand scepticisme, mais après la victoire des
conservateurs aux élections de 1992, le gouvernement a publié un
livre blanc sur ce sujet envisageant une réforme radicale de
l'organisation des chemins de fer britanniques. En novembre 1993, l'adoption
par le Parlement du Railways Act a concrétisé ce projet.
Il est nécessaire de préciser que le fonctionnement du
système ferroviaire britannique était critiqué dans
l'ensemble de ses aspects : réseau obsolète, service de mauvaise
qualité, ponctualité très aléatoire... Le monopole
national s'était progressivement constitué à partir de
1923. A cette date, en effet, le gouvernement avait décidé de
regrouper les 100 compagnies ferroviaires privées en quatre grandes
compagnies régionales. Puis, le réseau fut nationalisé en
1948, date de la création de British Railways. Depuis cette date, la
part du marché du rail a constamment décliné.
Dans ces conditions, la réforme du système était devenue
inévitable. Le gouvernement britannique a choisi une voie radicale,
consistant en une séparation des diverses activités ferroviaires
et en une privatisation de l'ensemble de ces activités. On verra
cependant qu'il serait abusif de parler, à propos du système
britannique, d'un abandon du rail aux lois du marché.
A. SÉPARATION ET PRIVATISATION
La loi de novembre 1993 a décidé la
séparation du monopole intégré British Rail en une
multitude d'entités autonomes dont les plus importantes sont les
suivantes :
- une compagnie possédant et gérant le réseau,
c'est-à-dire les voies, l'immobilier, la signalisation (Railtrack) ;
- trois compagnies possédant le matériel roulant et
appelées Rolling Stock Companies ;
- 26 compagnies régionales exploitant les services de transport de
passagers (y compris EPS, qui exploite Eurostar avec la SNCF et la SNCB) ;
- plusieurs compagnies de fret ;
- des sociétés de maintenance et de services divers.
L'élément le plus important de ce changement de structure est la
séparation complète de l'infrastructure et de l'exploitation.
1. Des infrastructures séparées de l'exploitation
Une nouvelle société, Railtrack, possède
et gère l'ensemble des infrastructures depuis le 1
er
avril
1994. Cette société possède donc les voies, la
signalisation, mais également les gares et les dépôts, qui
sont loués aux exploitants. Quelques gares sont contrôlées
directement par Railtrack, dans la mesure où elles accueillent plusieurs
exploitants régionaux (il s'agit pour l'essentiel des grandes gares
londoniennes, telles Victoria ou Waterloo).
Outre la gestion des infrastructures, Railtrack est chargée d'approuver
les horaires proposés par les exploitants et d'en assurer la bonne
exécution. L'entreprise doit également homologuer les
matériels roulants à la circulation sur ses voies et les
procédures de formation des conducteurs.
Les ressources de l'entreprise sont composées pour l'essentiel des
redevances d'accès aux voies et bâtiments facturées aux
compagnies d'exploitation. Ces redevances ont représenté 86% des
recettes de Railtrack en 1995-1996, lesquelles se sont élevées
à 2,3 milliards de Livres. Le reste des ressources provient du
patrimoine immobilier de Railtrack.
Cette séparation complète entre infrastructures et exploitation
est entrée en vigueur le 1
er
avril 1994. Rapidement, le
gouvernement a annoncé son intention de privatiser la nouvelle
société, ce qui a semblé être une gageure pour de
nombreux observateurs, compte tenu de l'état de délabrement du
réseau ferroviaire britannique. Le gouvernement fit alors tout son
possible pour crédibiliser cette idée. En premier lieu,
l'entreprise fut mise en vente pour une somme inférieure à deux
milliards de Livres, somme inférieure à toutes les
évaluations qui avaient été faites auparavant. En second
lieu, le gouvernement accepta de décharger Railtrack d'une part
considérable de sa dette (1 milliard de Livres sur 1,6 milliard). Enfin,
il annonça que les bénéfices de l'exercice 1995-1996
seraient versés aux nouveaux actionnaires, bien que l'Etat ait
été le seul actionnaire pendant cet exercice.
Dans ces conditions, les actions réservées aux grands
investisseurs institutionnels furent souscrites dix fois et la privatisation
fut un réel succès. Il convient de noter que, face à cette
situation, le parti travailliste est resté relativement discret, en
particulier en ce qui concerne son attitude en cas de succès aux
prochaines élections législatives. Il lui était difficile
d'annoncer le rachat futur de l'entreprise, dans la mesure où une telle
opération sera vraisemblablement très coûteuse. Le parti
travailliste a néanmoins dénoncé à maintes reprises
l'abandon à vil prix du patrimoine public.
En définitive, il est encore difficile de mesurer les effets de cette
privatisation. La séparation des infrastructures et de l'exploitation
présente l'avantage considérable de permettre une identification
de l'ensemble des coûts du transport ferroviaire. La privatisation, quant
à elle, a pour objectif d'inciter l'entreprise à rechercher un
profit et donc à n'entreprendre des investissements que lorsque ceux-ci
sont assurés d'une certaine rentabilité. Le risque évident
est de voir les investissements limités au minimum dans un tel contexte.
Cependant, dans la période précédente, le réseau
ferroviaire britannique était loin d'avoir reçu les
investissements qui lui auraient été nécessaires.
Et
Railtrack peut avoir intérêt, pour augmenter ses ressources en
péages, à améliorer et développer le réseau.
En décembre 1995, la société a d'ailleurs annoncé
un plan d'investissement de dix milliards de Livres en dix ans, comprenant en
particulier la rénovation de la West Coast Main Line, qui permet de
relier Londres à l'Ecosse.
L'originalité du dispositif britannique réside dans le fait que
le gouvernement ne donne pas de subventions au gestionnaire de
l'infrastructure, qui a pour vocation d'être équilibré et
même profitable.
2. Des services de transport de voyageurs concédés
Pour le transport de voyageurs, la loi britannique
prévoit une scission du réseau en 26 zones régionales
destinées à être données en franchise à des
entreprises volontaires après appel d'offres.
Le découpage a été effectué en distinguant trois
catégories de lignes : les grandes lignes, les lignes
régionales, les lignes de Londres et sa banlieue. La mise en franchise
des réseaux a été entamée en 1995 et devrait
être achevée au printemps 1997 selon les prévisions du
gouvernement. Le tableau suivant décrit l'état du processus
d'attribution des réseaux.
ETAT DU PROCESSUS D'ATTRIBUTION DES FRANCHISES
POUR L'EXPLOITATION DES SERVICES DE TRANSPORT DE VOYAGEURS
RÉSEAU CONCERNÉ |
ENTREPRISE RETENUE |
DURÉE DE LA FRANCHISE
|
DATE D'ATTRIBUTION |
DÉBUT DE L'EXPLOITATION |
Island Line |
Stagecoach |
5 |
20.09.96 |
|
|
|
|
|
|
South West Trains |
Stagecoach |
7 |
19.12.95 |
04.02.96 |
ICEC |
GNER Holdings |
7 |
29.03.96 |
28.04.96 |
Connex South Central |
Connex Rail* |
7 |
12.04.96 |
26.05.96 |
Chiltern |
M40 Trains |
7 |
25.06.96 |
21.07.96 |
|
|
|
|
|
SW&W |
Prism |
7,5 |
17.09.96 |
|
Cardiff |
Prism |
7,5 |
17.09.96 |
|
Thames Trains |
Victory Railways |
7,5 |
19.09.96 |
|
|
|
|
|
|
Great Western |
GW Holdings |
10 |
20.12.95 |
04.02.96 |
Midland Mainline |
National Express |
10 |
22.04.96 |
28.04.96 |
|
|
|
|
|
Gatwick Express |
National Express |
15 |
03.04.96 |
28.04.96 |
LTS |
Prism |
15 |
09.05.96 |
26.05.96 |
South Eastern |
Connex Rail* |
15 |
21.08.96 |
|
* Connex Rail est une filiale de l'entreprise française
C.G.E.A.
Treize franchises ont été pour l'instant attribuées. Le
premier constat que l'on peut faire à la lecture du tableau est que ces
13 franchises ont été attribuées à 8 entreprises
seulement, ce qui signifie que certaines entreprises ont obtenu deux ou
même trois franchises. Il est donc tout à fait envisageable que le
nombre d'exploitants ne soit guère supérieur à dix
à la fin du processus d'attribution des franchises.
Les entreprises qui se sont portées candidates à l'exploitation
des réseaux sont souvent des sociétés déjà
fortement impliquées dans le transport de voyageurs puisqu'il s'agit de
compagnies de bus. C'est le cas de Stagecoach, National Express et Prism Rail.
Parfois, la franchise est attribuée à des consortia à la
tête desquels se trouvent les cadres de l'ancienne compagnie issue de
British Rail. Les autorités britanniques insistent sur le fait que ce
processus d'attribution des franchises est un succès grâce aux
précédents processus de privatisation. Les sociétés
de bus candidates à la reprise des réseaux tirent en effet leur
force de la libéralisation du transport par autobus
réalisée quelques années auparavant.
Après une procédure d'appel d'offres, l'entreprise retenue se
voit donc confier la gestion d'une zone géographique pour une
période comprise entre sept et quinze ans. L'appel d'offres s'effectue
sur la base d'un cahier des charges. L'entreprise prête à assurer
les obligations de ce cahier des charges en demandant la subvention la plus
faible obtient la franchise.
Le matériel roulant appartient à trois sociétés,
appelées Rolling Stock Companies, qui le concèdent aux
sociétés d'exploitation avec lesquelles elles ont des contrats.
Une société d'exploitation peut envisager, au terme de ces
contrats, de renouveler son matériel en passant directement commande
à des entreprises de construction, mais de telles possibilités
demeurent limitées compte tenu de l'incertitude dans laquelle se
trouvent les sociétés d'exploitation quant au renouvellement de
leur franchise. En revanche, de nouveaux intervenants pourraient jouer un
rôle identique à celui des Rolling Stock Companies
vis-à-vis des exploitants.
Il convient de signaler qu'une entreprise française, la C.G.E.A., par
l'intermédiaire de sa filiale CONNEX, a obtenu deux franchises pour la
gestion des réseaux Southcentral et Southeastern. Il s'agit de
réseaux comportant pour l'essentiel des lignes de banlieue du sud de
Londres, mais également quelques liaisons à plus longue distance
comme Londres-Hastings. La C.G.E.A. dispose déjà d'une solide
expérience dans le secteur des transports publics, qu'il s'agisse du
transport par autobus, autocar, métro ou tramway, ou du transport
ferroviaire, notamment à travers sa filiale C.F.T.A. qui gère
quelques lignes en France. En ce qui concerne le réseau Southeastern, la
C.G.E.A., à travers sa filiale CONNEX, prévoit d'investir 200
millions de francs destinés notamment à améliorer le
service ainsi que l'accueil du public par la rénovation des gares. Le
contrat a été conclu pour une durée de 15 ans, compte tenu
des importants investissements auxquels devra procéder CONNEX, qui s'est
engagée à rendre le réseau bénéficiaire
à la fin de ce contrat.
Les obligations imposées aux sociétés d'exploitation
tiennent d'abord aux services offerts. Une société titulaire
d'une franchise n'a en aucun cas le pouvoir de fermer des lignes ou de les
transférer sur la route. Elle est obligée de respecter au minimum
le service tel qu'il était assuré auparavant par British Rail. De
même, en matière tarifaire, les sociétés sont
soumises à un encadrement destiné à protéger les
usagers captifs. Elles sont en outre tenues d'accorder des tarifs
préférentiels à certaines catégories de la
population. Enfin, les sociétés sont tenues de respecter un
programme d'investissements établi lors de la signature du contrat.
Ce système s'apparente donc à une concession de service public
telle qu'il en existe beaucoup en France dans différents secteurs. La
puissance publique garde la prérogative de définir les principaux
éléments de la consistance des services et de la tarification au
travers d'un cahier des charges, et sélectionne par appel d'offres
l'opérateur qui, compte tenu de ces contraintes, demande la plus faible
subvention. On verra plus loin qu'un encadrement assez rigoureux est
censé éviter que cette évolution se traduise par une
dégradation du service.
3. Le fret
Le transport ferroviaire de marchandises a connu un
très fort déclin au Royaume-Uni au cours des dernières
décennies et la loi de 1993 fixe notamment pour objectif à la
réforme de relancer le transport de fret afin de désengorger les
routes.
Le gouvernement a scindé les activités de British Rail en
plusieurs compagnies, parmi lesquelles trois compagnies de fret lourd :
Loadhaul, Mainline et Transrail, dont la privatisation a été
entreprise. Ces trois compagnies ont été reprises par la
même société américaine : Wisconsin, qui a
rapidement annoncé qu'elle allait faire l'acquisition de 200 locomotives.
Les sociétés de fret négocient directement avec
l'entreprise chargée de l'infrastructure, Railtrack, les conditions de
leur accès au réseau, sous le contrôle du
régulateur, dont votre rapporteur évoquera le rôle plus
loin. Il est évident qu'une relance du transport ferroviaire de
marchandises n'est susceptible d'intervenir que si les péages sont
fixés à un niveau raisonnable.
De son côté, le gouvernement souhaite inciter au transfert de
marchandises de la route au rail et verse pour cela des subventions aux
transporteurs qui accomplissent cette démarche. Ces subventions ont
été récemment augmentées et sont calculées
en prenant en compte le nombre de camions évités sur la distance
parcourue.
L'ancienne entreprise British Rail a donc été
éclatée en de nombreuses sociétés distinctes et
autonomes. La principale interrogation que peut susciter un tel système
est celle de la coordination et de la régulation. Pour l'instant, tous
les problèmes que pose une organisation de ce type ne sont pas encore
pleinement résolus. Ainsi, la coexistence de nombreux exploitants
disposant chacun d'un système tarifaire qui lui est propre, peut rendre
très complexe l'établissement d'une tarification pour les
déplacements impliquant la traversée de plusieurs réseaux.
Un système central d'informations a été mis en place afin
d'éviter que chaque réseau ne fournisse des informations
parcellaires, favorisant ainsi ses propres services, mais la gestion de ces
problèmes de coordination ne paraît pas encore satisfaisante.
B. UN SYSTÈME TRÈS ENCADRÉ
Contrairement à ce qui est souvent expliqué, le système ferroviaire britannique n'a pas été laissé entièrement entre les mains du secteur privé sans aucune forme de contrôle, loin s'en faut. Le gouvernement a mis en place un dispositif destiné à préserver un service public de bon niveau. Cette mission repose en particulier sur deux institutions nouvelles : le régulateur (Office of Rail Regulator) et le directeur des franchises (Office of Passenger Rail Franchising). En outre, des mécanismes originaux ont été mis en oeuvre afin d'améliorer la qualité du service rendu.
1. Le régulateur (OFRAIL)
Le régulateur dispose d'un rôle-clé dans
le nouveau système ferroviaire britannique. Ce type d'institution n'est
pas inconnu en Grande-Bretagne puisque chaque privatisation a conduit à
la mise en place d'un tel régulateur. Il existe ainsi des
régulateurs dans les secteurs de l'eau, de l'électricité,
du gaz, des télécommunications, du transport par autobus...
Le régulateur ferroviaire est en premier lieu chargé d'accorder
des licences d'exploitation aux opérateurs susceptibles de recevoir une
franchise pour l'exploitation d'un réseau de transport de voyageurs. Il
vérifie donc la capacité des entreprises candidates à
l'obtention d'une franchise. En revanche, la franchise elle-même est
accordée par le directeur des franchises.
La mission la plus importante du régulateur est de superviser
l'accès aux infrastructures et leur tarification pour l'ensemble du
réseau. Cette mission est essentielle pour l'équilibre du
système, dont le péage d'accès aux infrastructures est un
élément déterminant.
Le régulateur est en outre chargé des missions suivantes :
- définir les règles de concurrence en matière
ferroviaire et en surveiller l'application ;
- assurer le respect des intérêts des voyageurs ;
- assurer la promotion des chemins de fer.
Le régulateur a donc des pouvoirs très étendus qui lui
permettent d'exercer une grande influence sur le système ferroviaire.
Nommé pour cinq ans, il est indépendant du Gouvernement, mais
doit mettre en oeuvre la politique définie dans la loi de 1993.
2. Le directeur des franchises (OPRAF)
Le directeur des franchises a également
été créé par la loi de 1993. Sa mission essentielle
est de mettre en appel d'offres et d'attribuer les contrats d'exploitation des
réseaux. Pour ce faire, il est chargé de définir les
niveaux de service et les performances minimum à remplir par les
exploitants. C'est également lui qui détermine, négocie et
règle aux exploitants les subventions de fonctionnement des services
socialement nécessaires.
Une fois les franchises attribuées, le directeur des franchises et ses
services doivent veiller à la bonne application par les exploitants du
cahier des charges qu'ils ont accepté d'assumer.
3. Comités d'usagers et organisme chargé de la sécurité
Deux autres éléments doivent contribuer à
assurer un fonctionnement correct du système.
· Il s'agit tout d'abord des comités d'usagers. Ceux-ci existent
depuis 1948, date de la création de British Rail, mais sont
appelés à jouer un rôle particulièrement important
dans la période de transition que connaît le système
ferroviaire britannique. Il existe des comités régionaux et un
comité central (Central Rail Users Consultative Committee).
Ces comités représentent le point de vue des voyageurs en ce qui
concerne le niveau des prestations de services. Ils sont appelés
à se prononcer sur les chartes des passagers que doit publier chacun des
exploitants.
· L'inspection pour la santé et la sécurité (Health
and Safety Executive) doit veiller au respect des règles de
sécurité et est chargée d'édicter les règles
de conception, de construction et d'exploitation du matériel, des
infrastructures et des équipements. En outre, elle vérifie
l'application des règles et procédures de sécurité
au travail et mène des enquêtes en cas d'accident.
4. Des mécanismes originaux destinés à préserver la qualité du service
Afin d'inciter les exploitants de services de passagers
à maintenir une qualité de service satisfaisante, des
mécanismes originaux ont été mis en place.
Les performances des entreprises font l'objet d'un suivi attentif, en
particulier en ce qui concerne la ponctualité qui, dans l'ancien
système, laissait fortement à désirer. Le directeur des
franchises et ses services peuvent attribuer des subventions
supplémentaires aux entreprises qui améliorent le service
qu'elles rendent et infliger au contraire des pénalités en cas de
détérioration de ce service. Ce mécanisme est très
incitatif pour les nouveaux opérateurs.
Par ailleurs, un autre mécanisme permet de déterminer, en cas
d'incident, les responsabilités respectives de l'exploitant et du
responsable de l'infrastructure (Railtrack). Lorsqu'un incident quelconque se
produit, provoquant par exemple un retard, la cause peut provenir de
l'exploitant des trains, mais également de l'infrastructure, par exemple
d'une signalisation défaillante. Une fois ces responsabilités
déterminées, l'exploitant, s'il est responsable de l'incident,
verse une pénalité au gestionnaire de l'infrastructure et
réciproquement. Ce mécanisme permet d'inciter à une bonne
coordination entre exploitation et infrastructures et de favoriser la
concertation entre les entreprises chargées de missions
différentes.
Le nouveau système ferroviaire britannique fait donc l'objet d'un
encadrement important destiné à favoriser la mise en oeuvre d'un
service public de bon niveau et à faciliter la coordination entre les
différents acteurs.
C. UNE INTERVENTION DE L'ETAT APPELÉE À SE RÉDUIRE
Comme dans d'autres secteurs de l'économie, le
Gouvernement a notamment recherché un désengagement de l'Etat en
décidant la réforme de l'organisation des chemins de fer.
La plupart des sociétés issues de British Rail ont
été ou seront privatisées et sont donc appelées
à devenir profitables. Néanmoins, l'existence du service public
impose le maintien de services déficitaires. Le Gouvernement accorde
donc des subventions aux compagnies d'exploitation des services de transport de
voyageurs. Toutefois, ces subventions sont appelées à se
réduire progressivement pendant la durée des franchises,
certaines d'entre elles devant même disparaître après une
période de sept ans.
Les entreprises doivent donc être à même
d'améliorer leur profitabilité pendant la durée des
franchises. Le cahier des charges qu'elles doivent respecter étant
précis et imposant le maintien d'un niveau de service satisfaisant,
l'amélioration des résultats doit être recherchée
par un accroissement du volume de personnes transportées et par une
gestion plus efficace de l'entreprise.
A titre d'exemple, le tableau suivant retrace l'évolution prévue
des subventions versées aux entreprises qui ont obtenu les
premières franchises.
ÉVOLUTION PRÉVUE DES SUBVENTIONS PUBLIQUES AUX COMPAGNIES D'EXPLOITATION
|
|
|
SUBVENTIONS
VERSÉES
|
||
RÉSEAU CONCERNÉ
|
ENTREPRISE TITULAIRE DE LA FRANCHISE |
DURÉE DE LA FRANCHISE |
1 ère ANNÉE |
7 e ANNÉE |
MOYENNE ANNUELLE
|
South West Trains |
Stagecoach Holdings plc |
7 |
54,7 |
40,3 |
49 |
Great Western |
Great Western Holdings Limited |
10 |
53,2 |
35,2 |
43,3 |
LTS Rail |
Prism Rail PLC |
15 |
29,5 |
18,6 |
23,2 |
East Coast |
Great Northern Railway Company Limited |
7 |
64,6 |
0 |
23,7 |
Gatwick Express |
National Express Group plc |
15 |
(4,6)* |
(11,7)* |
(8,8)* |
Midland Main Line |
National Express Group plc |
10 |
16,5 |
(4,4)* |
2,1 |
Network SouthCentral |
Connex Rail |
7 |
85,3 |
34,6 |
51,4 |
* Certaines lignes étaient bénéficiaires
dès l'attribution de la franchise, d'autres sont appelées
à le devenir rapidement. Dans ces cas, c'est l'exploitant à qui
est accordée la franchise qui verse une somme à l'Etat.
La réforme doit donc permettre à l'Etat de réaliser de
substantielles économies. Pour l'heure, comme je l'avais noté
dans mon précédent rapport sur l'évolution du transport
ferroviaire en Europe (1(
*
)), les appréciations sur
les conséquences de la réforme pour les finances de l'Etat sont
assez contrastées. En 1995, la commission des transports (select
committee) de la Chambre des Communes a estimé que, dans un premier
temps, la réforme coûterait davantage à l'Etat que le
maintien de l'ancien système, compte tenu de la nécessité
d'assurer une profitabilité aux nouvelles entreprises intervenant sur le
marché, mais que cette situation s'inverserait ensuite. Le parti
travailliste estime pour sa part que la réforme en elle-même a
coûté plus de 1,5 milliard de Livres aux contribuables (compte
tenu de la reprise d'une part importante de la dette de Railtrack) et que le
système actuel coûte beaucoup plus cher à l'Etat que le
précédent.
Il conviendra donc de suivre l'évolution du
système afin de vérifier si la décroissance des
subventions s'opère dans les délais prévus sans que
l'équilibre financier des exploitants soit menacé.
En ce qui concerne le transport ferroviaire de fret, le développement de
ce dernier fait explicitement partie des objectifs de la loi de 1993. Aussi le
Gouvernement continue-t-il à accorder des subventions aux transporteurs
qui recourent au rail plutôt qu'à la route.
L'une des principales interrogations que suscite ce nouveau système est
celle des investissements futurs. En principe, l'Etat n'accorde de subventions
qu'aux exploitants des services de transport qui versent ensuite un
péage à Railtrack pour l'accès aux infrastructures. Le
Gouvernement britannique est très attaché à la
réalisation des investissements futurs par le secteur privé,
notamment pour éviter que soient réalisés des
investissements dont la rentabilité serait aléatoire. Dans ce
contexte, on peut se demander si ce manque d'impulsion publique
n'empêchera pas la réalisation d'investissements pourtant
nécessaires.
Ainsi, le parti travailliste a estimé que le retard pris dans la
réalisation du lien rapide entre Londres et le tunnel sous la Manche
était le fruit de ce nouveau système dans lequel est
privilégié l'investissement privé. La concession de cette
ligne a été accordée en mars dernier au consortium London
and Continental, qui comprend le groupe Virgin et la compagnie d'autocars
National Express. La réalisation de cette ligne devrait coûter 3
milliards de Livres environ. L'Etat accordera une subvention de 1,7 milliard de
Livres. La ligne devrait être achevée en 2003.
En tout état de cause, l'Etat reste libre de participer à des
investissements qui ne pourraient être réalisés par les
seules entreprises privées. En outre, Railtrack semble également
souhaiter mettre en oeuvre des partenariats avec les collectivités
locales pour la réalisation de certains investissements.
Là encore, l'image d'un Etat qui se désintéresserait
totalement du transport ferroviaire doit être nuancée.
Le
Gouvernement britannique est convaincu que cette réforme permettra des
économies importantes, mais n'entend pas renoncer pour autant à
la conduite d'une politique des transports.
D. UNE CONCURRENCE LIMITÉE
Souvent présenté comme un exemple de
libéralisme sans frein, le système ferroviaire britannique est
pourtant caractérisé, au moins pour l'instant, par une
concurrence mesurée.
Dans un premier temps, le gouvernement avait
envisagé un système totalement libéralisé avec
privatisation et libre accès au réseau. Il est vite apparu qu'une
telle hypothèse était peu réaliste et que les entreprises
hésiteraient à demander des franchises pour la gestion de
réseaux sur lesquels des concurrents n'assumant aucune mission de
service public pourraient pénétrer.
Dans ces conditions, le régulateur a décidé de limiter, au
moins dans un premier temps, la concurrence entre les sociétés
d'exploitation de services de transport de voyageurs. La concurrence se fait au
moment des appels d'offres, chaque franchise étant attribuée
à l'entreprise demandant la subvention la plus faible pour
réaliser le cahier des charges négocié avec le directeur
des franchises. Selon les informations qu'a pu obtenir votre rapporteur, il
semble que cette compétition, modérée lors de
l'attribution des premières franchises, soit en train de s'accentuer.
Une fois la franchise attribuée, l'exploitant a seul accès au
réseau correspondant à la franchise qu'il a reçue. En
fait, ce système revient à créer de petits monopoles
locaux pendant une durée limitée, la concurrence
réapparaissant à chaque appel d'offres. Sur certains trajets
cependant, il existe deux lignes qui peuvent être concédées
à des opérateurs différents et sur lesquelles se
déroule une concurrence directe.
Le régulateur a prévu que cette situation de concurrence
très restreinte après l'attribution des franchises perdure
jusqu'en 1999. A partir de cette date, des possibilités d'accès
au réseau encore limitées pourraient être introduites.
Elles seraient ensuite élargies à partir de 2002. Toutefois,
l'une des caractéristiques de ce système est le pragmatisme avec
lequel il a été bâti, et l'ouverture à la
concurrence ne se fera que pour autant qu'elle n'accule pas à la
faillite les exploitants détenteurs de franchises.
Par ailleurs, les autorités britanniques sont parfaitement conscientes
du fait que l'éclatement de British Rail en une multitude de
sociétés ne sera pas viable à long terme. D'ores et
déjà, on constate que pour l'exploitation des services de
transport de voyageurs, certaines entreprises ont obtenu deux ou trois
franchises et comptent améliorer ce score avant la fin des appels
d'offres. De même, dans le secteur du fret, les trois
sociétés de fret lourd ont été rachetées par
la même entreprise américaine. Récemment, l'entreprise de
bus Stagecoach, détentrice de deux franchises, a entamé une
procédure de rachat de l'une des trois compagnies de matériel
roulant (Rolling Stock Companies), ce qui peut paraître contestable au
regard de la philosophie initiale du projet gouvernemental consistant à
séparer les différentes fonctions de la gestion des chemins de
fer. Ce rachat est actuellement examiné par l'autorité
chargée de la concurrence, la Mergers and Monopolies Commission. Il est
donc clair qu'un certain processus de reconcentration est en cours et que le
nombre d'acteurs sur le marché devrait se réduire au cours des
prochaines années.
Votre rapporteur s'est rendu sans a priori en Grande-Bretagne pour examiner
l'organisation et le fonctionnement du chemin de fer. Il a pu constater que le
système se mettait en place dans des conditions satisfaisantes et que
certains aspects de la réforme donnaient d'ores et déjà
des résultats positifs :
-
la séparation de l'exploitation et des infrastructures,
défendue par la Commission européenne, a été mise
en oeuvre de manière très radicale et a permis une
véritable transparence dans la gestion du système ;
- la notion de contrat de service public permettra presque à coup
sûr d'améliorer la gestion des chemins de fer ; dès le
départ, les éléments du contrat sont clairement
définis : l'exploitant a un cahier des charges à respecter en
contrepartie duquel il reçoit si nécessaire une subvention
appelée à diminuer progressivement ;
- on ne peut pas parler d'un abandon du service public, dans la mesure
où le système demeure très encadré ; ce qui est
exact, c'est que le service public n'est plus un concept flou aux contours
incertains, mais qu'il correspond à un certain nombre de missions
clairement définies et inscrites dans un cahier des charges.
En revanche, certaines interrogations demeurent, qui appelleront un
réexamen du système après quelques années de
fonctionnement :
-
l'éclatement de l'ancienne British Rail en une multitude
d'entités ne présentait probablement pas un caractère
obligatoire, et l'on assistera vraisemblablement à une certaine
reconcentration ;
- certains problèmes de coordination et d'organisation paraissent encore
imparfaitement résolus ; ainsi, la nécessité de traverser
plusieurs réseaux pour accomplir certains trajets conduit à une
tarification complexe qui n'est pas toujours la plus avantageuse pour le client
;
- la privatisation de l'entreprise détenant les infrastructures est un
choix politique, dont les conséquences à long terme
mériteront d'être examinées attentivement ;
- enfin, le coût du nouveau système pour l'Etat ne peut être
encore clairement établi ; il conviendra de suivre l'évolution du
système afin de vérifier si la décroissance des
subventions s'opère dans les délais prévus sans que
l'équilibre financier des exploitants soit menacé.
En définitive, votre rapporteur salue le courage de cette
réforme, dans un pays où le délabrement du réseau
et la dégradation de la qualité du service étaient devenus
insupportables. Il est souhaitable que les autres pays européens, et
notamment la France, s'intéressent davantage à ce système,
non pour l'imiter, car chaque pays a des impératifs qui lui sont
propres, mais parce que la comparaison objective doit précéder la
décision.
II. LE LIVRE BLANC DE LA COMMISSION EUROPÉENNE : UNE CONTRIBUTION IMPORTANTE À LA RÉFLEXION SUR L'AVENIR DES CHEMINS DE FER EUROPÉENS
En juillet 1996, la Commission européenne a publié un Livre blanc intitulé : " Une stratégie pour revitaliser les chemins de fer communautaires " (2( * )). Ce document, sans valeur normative, tente de dresser un état des lieux de la situation du transport ferroviaire en Europe et contient plusieurs propositions pour l'avenir. Votre rapporteur a estimé que la Délégation devait être informée du contenu de ce document, qui pourrait déboucher prochainement sur des propositions normatives.
A. UN CONSTAT : LE DÉCLIN CONSTANT DU TRANSPORT FERROVIAIRE EN EUROPE
La Commission européenne appuie sa réflexion sur
le constat d'un déclin constant du transport ferroviaire depuis la fin
de la seconde guerre mondiale. Les chemins de fer assurent aujourd'hui 6% du
transport de voyageurs et 16% du transport de marchandises. Une extrapolation
des tendances observées au cours des dernières décennies
pour les dix prochaines années amènerait ces chiffres
respectivement à 4% et 9%. Le déclin pourrait même
s'accélérer si, pour y faire face, les entreprises
décidaient de réduire l'offre de services, ce qui pourrait
conduire à une nouvelle réduction de la demande.
Pour la Commission européenne, plusieurs phénomènes
expliquent ce déclin :
- en premier lieu,
les transports routiers, plus souples et moins
coûteux, se sont fortement développés au cours des
cinquante dernières années,
que ce soit pour le transport de
voyageurs ou pour le transport de marchandises ; cette croissance a
été favorisée par des conditions de concurrence favorables
au transport routier en l'absence de prise en compte suffisante des coûts
externes de chaque moyen de transport ;
- en second lieu,
il n'existe pas de marché intérieur des
services ferroviaires,
ce qui ne peut que pénaliser le
développement du chemin de fer, notamment dans le domaine du transport
de marchandises sur longue distance ; dans ces conditions, les services offerts
manquent de fiabilité, de flexibilité et de rapidité ;
- en troisième lieu,
les relations entre les Etats et les compagnies
de chemins de fer ont contribué à ce déclin,
les Etats
ayant souvent refusé aux compagnies de chemins de fer la liberté
dont jouissent les entreprises commerciales ;
- enfin,
le réseau ferroviaire est peu adapté aux nouveaux
modes d'organisation de l'activité économique et de
l'urbanisation,
ainsi qu'aux changements qu'ils ont entraînés
dans les flux de trafic.
La Commission européenne fait valoir que le rail dispose pourtant
d'atouts importants qui devraient lui permettre de jouer un rôle
considérable dans les décennies à venir. Parmi ces atouts
figurent l'élargissement à l'Est, qui offrira de nouvelles
perspectives aux chemins de fer, en particulier pour le transport de
marchandises, et l'engorgement de certains axes routiers, en particulier la
zone des Alpes, qui imposera tôt ou tard la recherche de solutions
alternatives.
Votre rapporteur est largement en accord avec ce constat, qu'il avait
lui-même dressé dans son précédent rapport et qui
impose une action résolue afin d'éviter une nouvelle
dégradation de la situation du transport ferroviaire.
B. DE MULTIPLES PROPOSITIONS POUR L'AVENIR
Le Livre blanc contient de nombreuses propositions, qui concernent le financement des chemins de fer, l'ouverture à la concurrence, les services publics, l'intégration des systèmes nationaux et les aspects sociaux.
1. Le financement des entreprises ferroviaires
La Commission européenne insiste longuement sur la
nécessité de clarifier les rapports entre les Etats et les
entreprises ferroviaires, ce qui implique une modification de leurs relations
financières. La Commission note que dans l'organisation traditionnelle
des chemins de fer
" les aides d'Etat comblaient les déficits,
mais elles ne poursuivaient aucun objectif défini. Les objectifs
financiers n'étaient pas clairs et la gestion manquait d'incitation ;
les pressions commerciales ne jouaient pas pour maîtriser les
déficits et les emprunts, comme elles l'auraient dû. "
La directive adoptée le 29 juillet 1991 (directive 91/440) imposait un
assainissement financier des entreprises ferroviaires, afin de leur permettre
de se comporter véritablement comme des entreprises commerciales. Cette
disposition a été suivie de manière très
inégale par les Etats membres.
Dans son Livre blanc, la Commission européenne insiste sur la
nécessité d'organiser le financement des chemins de fer selon les
principes suivants :
- les Etats membres doivent décharger les chemins de fer du fardeau
hérité du passé ;
- les chemins de fer doivent être exploités sur une base
commerciale ;
- les Etats membres doivent assurer une compensation totale en ce qui concerne
les services publics et les coûts sociaux exceptionnels ; ils peuvent
également contribuer aux investissements d'infrastructure.
Pour faciliter l'assainissement des entreprises ferroviaires, la Commission se
propose de prendre plusieurs mesures dans les années à venir.
Elle envisage tout d'abord d'établir régulièrement un
rapport sur les progrès réalisés par les Etats membres
dans la réduction de la dette et l'amélioration des finances des
chemins de fer.
Surtout, elle envisage d'examiner la conformité au
droit communautaire des aides d'Etat accordées aux chemins de fer depuis
1993 (date d'entrée en vigueur de la directive 91/440). Ainsi, les aides
d'Etat pourraient n'être autorisées que si elles s'accompagnent
d'un programme de restructuration destiné à améliorer la
viabilité de l'entreprise concernée.
Naturellement, les règles relatives aux aides d'Etat ne s'appliqueraient
pas aux compensations payées aux entreprises pour la fourniture de
services publics ou pour faire face à des coûts sociaux
exceptionnels.
En ce qui concerne le développement des infrastructures, la Commission
reconnaît la responsabilité des Etats, tout en insistant sur le
caractère prometteur des partenariats entre le secteur public et le
secteur privé pour les investissements futurs. Il faut toutefois noter
que la Commission ne reconnaît le bien-fondé des investissements
publics que parce qu'ils peuvent compenser les coûts externes
impayés dans le secteur routier ou parce qu'ils visent à
réaliser des objectifs non liés aux transports, tels que le
développement régional. En revanche,
" à plus long
terme, la Commission estime que, dans tous les modes de transport, les usagers
devraient supporter le coût total des infrastructures. "
L'assainissement des entreprises ferroviaires et la clarification des
relations financières entre Etats et entreprises paraissent
effectivement être des conditions indispensables d'un renouveau du
transport ferroviaire. Les réformes importantes mises en oeuvre dans les
pays européens comportent toutes des éléments relatifs
à la clarification des relations financières. Votre rapporteur se
félicite donc que la France s'apprête à s'engager dans
cette voie avec le projet de loi sur le Réseau Ferré National,
qui permettra de décharger l'exploitant SNCF d'une dette de 125
milliards de francs correspondant à des investissements
d'infrastructures. On peut toutefois se demander si cette clarification sera
suffisante, compte tenu de l'importance de la dette laissée à la
charge de la SNCF.
2. Renforcer la concurrence
La Commission européenne est convaincue depuis
longtemps que le renouveau du transport ferroviaire passe par un renforcement
des forces du marché dans ce secteur. La directive de 1991 a
autorisé les entreprises participant à un regroupement
international et les entreprises assurant des services de transport
combiné à accéder aux réseaux des grandes
entreprises ferroviaires.
· En 1995, la Commission européenne a formulé une
nouvelle proposition visant à accorder cet accès au réseau
à toute entreprise offrant des services de fret ou des services de
transport international de voyageurs. La Délégation du
Sénat pour l'Union européenne, puis la commission des Affaires
économiques avaient estimé que cette proposition était
prématurée en l'absence de véritable bilan de la directive
de 1991. Le Conseil de l'Union européenne n'a pas retenu cette
proposition jusqu'à présent. Dans son Livre blanc, la Commission
européenne renouvelle sa proposition et indique qu'elle s'emploiera
à la faire adopter dans les plus brefs délais.
Votre rapporteur constate que le bilan de la directive 91/440 qu'il avait
souhaité dans son précédent rapport n'a toujours pas
été réalisé. La Commission indique, certes, que
certains Etats n'ont pas complètement transposé la directive et
qu'elle a engagé des procédures d'infraction à leur
encontre, mais on ne peut qualifier de telles indications de bilan.
D'après les informations recueillies par votre rapporteur, les
possibilités d'accès au réseau ouvertes par la directive
de 1991 n'ont pas reçu la moindre application depuis l'entrée en
vigueur de la directive. Il serait souhaitable de connaître les raisons
de cette situation avant d'envisager un élargissement des droits
d'accès.
· Dans l'attente d'une plus large ouverture à la
concurrence, la Commission européenne propose, conformément
à la recommandation d'un groupe consultatif mis en place par le
commissaire européen chargé des transports (3(
*
)), de
mettre en place quelques
" corridors
ferroviaires "
transeuropéens. Il s'agirait de choisir certains
itinéraires prometteurs pour le transport de marchandises et de
favoriser le libre accès aux infrastructures correspondant à ces
itinéraires pour le transport de fret. Sur ces trajets, le transport de
marchandises pourrait bénéficier d'une priorité dans
l'attribution des sillons et des guichets uniques seraient créés
pour traiter les demandes de sillons le plus vite possible.
Cette proposition peut effectivement présenter un intérêt
pour le renouveau du transport ferroviaire de marchandises, mais devrait
être mise en oeuvre par la coopération entre les entreprises
concernées par ces " corridors ferroviaires ".
· En ce qui concerne les transports intérieurs de voyageurs,
la Commission européenne reconnaît que le libre accès au
réseau n'est pas forcément la meilleure solution pour les
services offerts sur des réseaux denses et surexploités, tels que
les réseaux urbains et régionaux. En effet, les mêmes
infrastructures peuvent être utilisées pour de nombreux services,
ce qui soulève des questions complexes d'attribution des sillons et de
partage des coûts entre les opérateurs. Aussi, la Commission
fait-elle valoir que
" en ce qui concerne ces services, pour
lesquels
un libre accès n'est pas souhaitable ou faisable, il semble plus
indiqué de maintenir des concessions exclusives. On pourrait introduire
les forces du marché en attribuant ces concessions dans le cadre d'un
appel d'offres communautaire ; cet appel d'offres indiquerait clairement le
type de services exigé ainsi que les limites des concessions. "
C'est un système de ce type qu'a mis en oeuvre le Royaume-Uni, comme on
l'a vu précédemment. Ce système implique en premier lieu
une gestion régionale des réseaux régionaux qui ne peut
avoir que des effets bénéfiques en termes d'efficacité et
d'attention portée au client.
L'expérimentation de la
régionalisation dans le cadre du projet de loi français sur le
Réseau Ferré National va donc dans la bonne direction et il est
indispensable que chacun des acteurs s'attache à la réussite de
cette expérience afin qu'elle puisse être rapidement
généralisée.
Car, comme l'a noté le groupe
consultatif mis en place par le commissaire européen chargé des
transports, les entreprises de chemins de fer
" sont devenues trop
monolithiques et ont perdu toute image ou dimension humaine. L'esprit
d'innovation s'étouffe et les entreprises se retrouvent incapables de
répondre aux besoins de leur clientèle. "
Pour l'avenir, un système d'appel d'offres pourrait effectivement
permettre aux autorités régionales d'obtenir la gestion des
services régionaux dans les conditions les plus avantageuses pour les
finances publiques. Naturellement, la mise en place d'un tel mécanisme
mérite une préparation et une réflexion approfondies, mais
pourrait apporter des progrès sensibles dans l'efficacité des
transports ferroviaires sans que le service public soit pour autant remis en
cause. Votre rapporteur reviendra sur cette conciliation indispensable entre le
maintien d'un service public de haut niveau et l'introduction d'une certaine
concurrence qui pourrait stimuler les entreprises ferroviaires.
· Enfin, la Commission européenne propose de renforcer les
dispositions de la directive 91/440 en ce qui concerne la séparation
entre l'exploitation des services de transport et la gestion des
infrastructures. La directive de 1991 impose une séparation qui peut
être organique ou simplement comptable. La Commission estime qu'il est
indispensable de créer deux unités d'activités distinctes,
avec des gestions et des bilans séparés dans les cas où
les Etats membres maintiennent des compagnies de chemins de fer
intégrées. L'actuelle réforme de l'organisation du
système ferroviaire français va dans le sens de cette
proposition, qui devrait permettre une meilleure gestion des infrastructures.
3. Rénover le service public
Le Livre blanc ne néglige pas la question du service
public. L'action entreprise par la France, et notamment par le Parlement
français, pour que cette notion soit davantage prise en compte dans les
initiatives communautaires, porte aujourd'hui ses fruits. La Commission
rappelle que l'article 77 du Traité de Rome, relatif aux transports,
évoque explicitement la notion de service public et les servitudes qui
lui sont inhérentes.
Toutefois, la Commission européenne observe que
" les
entreprises ferroviaires travaillent dans un environnement mal défini,
où les objectifs ne sont pas clairs et dans lequel les initiatives au
niveau de la gestion restent sans effet ".
C'est pourquoi elle
plaide
pour une
contractualisation du service public
:
" ces
contrats
indiqueraient clairement le service à fournir et la compensation
à payer. La contribution financière des pouvoirs publics
constituerait une compensation explicite et transparente des charges
consécutives à la fourniture de services non rentables. L'aide
serait convenue contractuellement par les Etats membres et l'entreprise
ferroviaire concernée pour une durée déterminée. De
cette manière, la responsabilité des coûts et des pertes
serait transférée à l'entreprise ferroviaire, qui se
verrait incitée à améliorer son efficacité. Il
appartiendrait à chaque Etat membre de définir les services
publics, notamment sous l'angle de la qualité, de la continuité,
de la régularité, de la capacité, de
l'accessibilité et des tarifs pratiqués. "
Votre rapporteur souscrit entièrement à ces orientations.
Indépendamment de l'introduction de la concurrence, il est aujourd'hui
indispensable de préciser la notion de service public. Le service public
est trop souvent utilisé comme l'alibi de l'inefficacité de
certaines entreprises. C'est pourquoi le service public doit cesser
d'être un principe flou, aux contours mouvants, pour devenir un ensemble
d'obligations clairement définies dans un contrat entre une
collectivité publique et l'entreprise qui assure le service. Parmi ces
obligations, l'obligation de continuité est un élément
essentiel du service public. Celui-ci implique également la mise en
oeuvre de tarifs qui le rendent accessible à tous.
Une telle contractualisation ne conduirait aucunement à une remise en
cause du service public, dans la mesure où les collectivités
publiques resteraient libres de définir un cahier des charges ambitieux
à condition d'accorder les compensations adéquates aux
entreprises chargées de mettre en oeuvre ce cahier des charges. A cet
égard, la régionalisation prévue en France doit permettre
d'instaurer de telles relations contractuelles entre les autorités
régionales et la S.N.C.F. ; votre rapporteur est convaincu que cette
réforme peut permettre d'améliorer substantiellement la
qualité des services ferroviaires et d'augmenter le trafic sur les
réseaux ferroviaires régionaux.
4. Intégration des systèmes nationaux
Le Livre blanc évoque également les
difficultés d'intégration des systèmes de chemins de fer
nationaux. Les disparités entre les infrastructures et le
matériel roulant des différents pays ne facilitent pas le
développement des échanges entre les pays de l'Union
européenne, alors même que les distances transeuropéennes
font partie des créneaux sur lesquels le chemin de fer peut
manifestement être compétitif.
A ce propos, la Commission européenne rappelle que la Communauté
a déjà pris certaines initiatives pour faciliter la circulation
sur l'ensemble du réseau européen :
- pour le rail classique, la Commission a chargé les organismes de
normalisation européens de proposer des spécifications techniques
en ce qui concerne le matériel roulant et les composants des
infrastructures, l'essai des véhicules, l'aérodynamique, la
protection contre l'incendie, la sécurité électrique et la
compatibilité électromagnétique. Les premières
normes devront être mises en oeuvre en 1998 sous forme de normes
européennes ;
- pour le train à grande vitesse, le Conseil a adopté, en juillet
1996, une directive relative à l'interopérabilité du
réseau européen de train à grande vitesse. Cette directive
devrait permettre d'engager un processus d'établissement de
spécifications techniques contraignantes qui serviront de
références pour les marchés publics et permettront de
parvenir à l'interopérabilité.
Indépendamment de cette action communautaire, des accords entre
entreprises ferroviaires ont permis des progrès importants dans
l'harmonisation des conditions techniques de circulation sur les réseaux
et, depuis longtemps déjà, il n'est plus nécessaire de
changer de train aux frontières.
Pour l'avenir, la Commission européenne se propose de poursuivre les
actions d'harmonisation tout en veillant à ce que ces actes permettent
un gain réel de compétitivité.
La Commission européenne évoque également la
réalisation de nouvelles infrastructures et rappelle qu'
" en ce
qui concerne le rail, la priorité va à l'achèvement du
réseau à grande vitesse, et notamment à la
réalisation des projets prioritaires approuvés par le Conseil
européen d'Essen ".
Une telle affirmation paraît
aujourd'hui quelque peu incantatoire. Récemment, le Conseil des
ministres des Finances s'est opposé à l'augmentation des
crédits consacrés à la réalisation de ces grands
réseaux et les fonds disponibles ne semblent pas en mesure de permettre
une avancée importante de ces projets prioritaires.
De fait, les Etats membres de l'Union tentent de réduire les
déficits publics, notamment pour respecter les critères de
convergence définis par le Traité sur l'Union européenne
pour le passage à la monnaie unique et la réalisation des projets
prioritaires paraît aujourd'hui moins prioritaire.
Dans ces conditions, peut-être conviendrait-il de réviser ces
projets afin de les adapter à la situation actuelle. Faute de quoi, il
existe un risque important qu'ils ne voient pas le jour.
En ce qui concerne plus particulièrement la France, le récent
rapport de M. Philippe ROUVILLOIS sur
" les perspectives en
matière de création de nouvelles lignes ferroviaires à
grande vitesse "
a démontré qu'un certain nombre de
révisions à la baisse des projets devraient être faites :
" à l'évidence, un redimensionnement des ambitions
exprimées au schéma directeur de 1992 s'impose : il ne sera pas
possible de tout faire, encore moins de tout faire tout de suite. Les projets
à très faible rentabilité devront être
abandonnés, ou à tout le moins durablement
différés. Il convient ensuite de s'interroger sur la
possibilité de substituer en tout ou partie à la construction des
lignes nouvelles un aménagement des infrastructures existantes et des
performances du matériel roulant, dont la combinaison permettrait, pour
un coût nettement moins élevé, de réduire
substantiellement les temps de parcours (...) ".
Par ailleurs, la Commission européenne fait valoir que certaines
adaptations des infrastructures ferroviaires destinées au transport de
marchandises pourraient contribuer au développement de cette
activité et se propose de répertorier les goulets
d'étranglement qui existent afin d'envisager les aménagements qui
permettront de les résorber.
Enfin, la Commission européenne se penche également sur la
recherche communautaire dans le secteur du transport ferroviaire. Dans le cadre
du quatrième programme-cadre de recherche, la Communauté a
entrepris de nombreuses actions intéressant les chemins de fer. Ainsi,
des recherches sont en cours pour la mise en place d'un Système
européen de gestion du trafic ferroviaire (ERTMS), qui pourrait non
seulement renforcer la sécurité et
l'interopérabilité, mais également réduire les
coûts d'exploitation et améliorer la gestion des infrastructures.
Dans son Livre blanc, la Commission rappelle également qu'elle met en
place depuis 1995 des " Task forces " destinées à
améliorer l'efficacité des activités de recherche et de
développement de la Communauté. Elle a créé une
task force sur les " systèmes de chemin de fer du futur "
destinée à permettre aux opérateurs du secteur ferroviaire
de conduire ensemble une réflexion sur les technologies d'avenir.
5. Des aspects sociaux brièvement évoqués
Dans son précédent rapport, votre rapporteur
avait évoqué l'absence de volet social dans les propositions de
la Commission européenne visant à renforcer la concurrence dans
le secteur ferroviaire. Dans le Livre blanc, la Commission prend soin de
consacrer une section à ce problème.
En dix ans, entre 1985 et 1995, le nombre d'emplois dans le secteur ferroviaire
en Europe est passé de 1,55 million à 1,05 million. Les pays qui
ont entrepris des réformes ambitieuses de leur système
ferroviaire ont tous procédé à des réductions
d'emplois importantes pour renforcer la compétitivité des
entreprises. Selon les informations fournies à votre rapporteur par des
représentants d'un syndicat britannique, la réforme ferroviaire
dans ce pays aurait entraîné 24.000 suppressions d'emplois.
Toutefois, dans la période ayant précédé cette
réforme, les effectifs avaient déjà sensiblement
diminué. Les avantages des salariés en matière de
régime de retraites ont été maintenus dans le cadre de la
réforme. En Allemagne également, les réductions
d'effectifs ont été importantes. Dans un entretien récent
accordé à un quotidien français, M. Heinz DÜRR,
président du directoire de la Deutsche Bahn observait :
" nous
devons investir pour l'avenir, mais nous devons en même temps
réduire nos charges courantes si nous voulons être
compétitifs par rapport aux autres modes de transport. En trois ans,
notre productivité par salarié a augmenté de 50%. Nous
avons réduit nos effectifs de 372.000 début 1994 à 290.000
aujourd'hui " (4(
*
)).
La Commission
européenne rappelle que la diminution des effectifs s'est faite alors
qu'aucune mesure de libéralisation communautaire n'était encore
en vigueur et on ne peut que lui en donner acte.
La Commission européenne observe dans le Livre blanc que les causes de
ces réductions d'emploi (hausse de la productivité, stagnation de
la demande du fait de la concurrence des autres modes de transports...) ne
disparaîtront pas dans les années à venir, alors que
l'innovation technique continue également à réduire les
besoins de main-d'oeuvre. La Commission ajoute que les contraintes
budgétaires vont très probablement s'intensifier, en particulier
avec la mise en place de l'Union économique et monétaire. A cet
égard, on peut regretter que la Commission invoque cet argument à
propos des aspects sociaux alors qu'elle n'en fait pas état à
propos de la mise en oeuvre des grands travaux destinés à la
réalisation des réseaux transeuropéens.
Dans ces conditions, le raisonnement de la Commission européenne est le
suivant :
" ... seul un gain d'efficacité spectaculaire pourra
garantir l'avenir à long terme des transports ferroviaires et de
l'emploi dans ce secteur. Comme il ressort du présent Livre blanc, la
politique de la Communauté a pour objet de favoriser cette
évolution. En cas d'absence d'action, la situation des chemins de fer
sur le marché des transports ne manquerait pas de se
détériorer encore, ce qui compromettrait leur présence
dans des secteurs importants de l'économie. L'emploi ne pourra se
stabiliser que si une action énergique est entreprise pour
rétablir la compétitivité ; les emplois dans le secteur
ferroviaire seront certes moins nombreux, mais ils seront plus stables dans un
secteur performant ".
De fait, le refus de toute évolution des systèmes ferroviaires
sous prétexte que les réformes conduisent à des
réductions d'emploi ne pourra perdurer que pendant un temps
limité. Et les évolutions seront probablement beaucoup plus
brutales si elles sont constamment retardées.
En revanche, et la Commission européenne le reconnaît, il existe
des possibilités de mieux utiliser la main-d'oeuvre, de
réorganiser les modalités de travail afin de renforcer la
productivité. Pour offrir de meilleurs services aux passagers, il peut
être souhaitable de disposer d'un personnel plus nombreux pour les
fonctions d'accueil, d'information.... A cet égard, la
régionalisation peut, là encore, être utile, dans la mesure
où les problèmes spécifiques de chaque réseau
régional, voire de chaque ligne, pourront être pris en compte de
manière plus personnalisée avec des solutions différentes
et plus souples pour l'organisation de la gestion du personnel.
Les transports ferroviaires ont déjà consenti des efforts
importants en termes de réduction d'emplois et la réforme de
l'organisation des chemins de fer doit naturellement permettre un nouveau
développement de ce mode de transport, qui favorisera l'emploi. Le statu
quo, au contraire, conduit à un cercle vicieux caractérisé
par une baisse de la fréquentation, une réduction des services et
une réduction d'emplois.
En ce qui concerne l'action communautaire, la Commission européenne se
montre peu précise dans son Livre blanc. Elle fait notamment valoir qu'
" elle est disposée, en cas de nécessité, à
assurer l'harmonisation des conditions de travail et des exigences en
matière de formation et de certification du personnel ".
Votre
rapporteur estime que ces problèmes, en particulier celui de
l'aménagement du temps de travail, méritent des analyses
approfondies. Ces aspects prendront en effet une grande importance dans le
cadre d'un système davantage ouvert à la concurrence et doivent
être étudiés dès maintenant. La Commission envisage
de publier un Livre blanc sur les secteurs (y compris le secteur ferroviaire)
qui ne figurent pas dans la directive communautaire relative à
l'aménagement du temps de travail.
Par ailleurs, la Commission européenne propose également
d'étudier la possibilité de consacrer des contributions du Fonds
social européen à la reconversion des salariés
licenciés dans le cadre des restructurations de l'industrie ferroviaire.
Compte tenu du caractère très général de la
proposition, il paraît difficile de porter pour l'heure un jugement sur
son utilité éventuelle.
Un Livre blanc n'a pas de valeur normative, mais est destiné à
alimenter le débat avant qu'interviennent, le cas échéant,
des propositions formelles. En ce sens, le Livre blanc sur les chemins de fer
mérite l'attention des autorités des Etats membres
engagées dans une réflexion sur la réforme de leur
système ferroviaire. Ce document contient des propositions importantes
:
-
la clarification des relations entre l'Etat et les entreprises
ferroviaires qu'il suggère est engagée dans la plupart des Etats
membres ; en particulier la séparation des infrastructures et de
l'exploitation est aujourd'hui très généralement admise,
sous des modalités diverses ;
- la contractualisation du service public qu'il préconise est
destinée à permettre un renforcement de l'efficacité des
entreprises ferroviaires sans que le service public, caractérisé
notamment par la continuité et la mise en oeuvre de tarifs sociaux, en
subisse les conséquences ; l'argent public doit désormais servir
à payer des services lorsque c'est nécessaire et non à
combler un déficit global.
Concernant le renforcement de la concurrence par un plus large accès au
réseau, il est à souligner que les dispositions relatives
à la concurrence de la directive adoptée en 1991 n'ont fait
l'objet d'aucune application et que cette directive n'a donné lieu
à aucun bilan exhaustif.
Votre rapporteur a souhaité, à travers cette présentation
du Livre blanc, que le Sénat soit informé des initiatives
communautaires dans le secteur du transport ferroviaire. Il n'a en revanche pas
souhaité évoquer les projets français de réforme du
système ferroviaire, dans la mesure où il n'entre pas dans les
missions de la Délégation de porter des appréciations sur
ce sujet.
ENTRETIENS DU RAPPORTEUR
1. A LONDRES (en commun avec M. Paul CHOLLET,
député, rapporteur de la Délégation pour l'Union
européenne de l'Assemblée nationale)
-
M. John WATTS,
minister of state chargé des routes et des
chemins de fer ;
- M. John SWIFT,
régulateur du rail ;
- M. John RHODES,
directeur (Office of the Rail Regulator) ;
- M. John O'BRIEN,
(Office of Passenger Rail franchising) ;
- M. Paul MOORE,
(Office of Passenger Rail franchising) ;
- M. Tony GREYLING,
directeur de la politique de l'environnement et des
transports au parti travailliste ;
- M. Mark WALKER
(Syndicat RMT) ;
- M. David BERTRAM,
président du comité central des
usagers (Central Rail Users'Consultative Committee) ;
- M. PATTERSON,
secrétaire général du comité
central des usagers ;
- M. Philip DEWHURST,
directeur des relations publiques de
Railtrack ;
- M. Jean-Michel DITNER,
Managing director de French Railways Ltd
(filiale de la SNCF en Grande-Bretagne) ;
- M. Antoine FRÉROT,
directeur général de C.G.E.A. ;
- M. Colin WEBSTER,
président de CONNEX Rail Ltd ;
- M. François PETER,
président de C.F.T.A. ;
- M. Antoine HUREL,
vice-président de CONNEX Rail Ltd ;
- M. Michel QUIDORT,
directeur de la communication internationale et
institutionnelle de C.G.E.A. et CONNEX ;
- M. Richard FEARN,
directeur de South Eastern ;
- M. Geoff HARRISON-MEE,
directeur de CONNEX South Central.
Le rapporteur tient à remercier
M. Olivier LOUIS,
ministre
conseiller responsable des questions économiques à l'ambassade de
France, et
M. Jean-Yves PARÉ,
chef du secteur
Energie-Environnement-BTP-Infrastructures au service économique et
commercial de l'ambassade de France, pour les informations qu'ils lui ont
fournies et pour l'aide qu'ils lui ont apportée dans la
préparation et la conduite de cette mission.
2. A PARIS
-
M. Louis GALLOIS,
président de la S.N.C.F.
EXAMEN DU RAPPORT
· La délégation a examiné le
présent rapport lors de sa réunion du 6 novembre 1996.
Au cours du débat qui a suivi l'exposé du rapporteur, M. Philippe
François s'est interrogé sur la manière dont les syndicats
de la SNCF pourraient percevoir ce rapport d'information.
M. Nicolas About a alors indiqué que ce rapport ne préconisait en
aucun cas l'imitation par la France du système ferroviaire britannique,
mais fournissait des éléments d'information sur ce système
et sur le Livre blanc de la Commission européenne. Il a souligné
qu'il était important que tous les acteurs du transport ferroviaire
français, et notamment les syndicats, soient informés des
évolutions qui interviennent chez nos principaux partenaires
européens. Il a enfin observé que la France devait être
prête si une plus grande ouverture à la concurrence intervenait
dans quelques années.
M. Xavier de Villepin a déclaré avoir été
frappé par l'état de vétusté du réseau
ferroviaire britannique. Il a fait valoir que la SNCF connaissait une situation
financière très dégradée, mais que les chemins de
fer en France étaient de très bonne qualité.
M. Nicolas About s'est déclaré en accord avec ces propos et a
estimé que la vétusté du réseau ferroviaire
britannique avait joué un rôle important dans la décision
d'entreprendre une réforme radicale du système. Il a
souligné que la privatisation de Railtrack avait suscité des
inquiétudes, dans la mesure où l'on se demandait qui voudrait
acheter un réseau aussi délabré. Le Gouvernement
britannique a donc pris des mesures qui ont permis la privatisation de
l'entreprise et lui ont donné une capacité à investir dans
la réhabilitation du réseau. De même, les exploitants de
services de transport de voyageurs ont pris des engagements importants en
matière d'investissements. Dans le domaine du fret, une même
entreprise américaine a pris le contrôle des trois
sociétés de fret lourd créées dans le cadre de la
réforme et a immédiatement annoncé l'achat de deux cents
locomotives neuves.
Le rapporteur a ensuite souligné que l'Allemagne avait également
entrepris une réforme très importante de son système,
l'Etat ayant consenti un effort exceptionnel pour reprendre la dette de la
Deutsche Bahn et prendre en charge les surcoûts liés aux statuts
des personnels.
M. Christian de La Malène s'est interrogé sur le contenu et
l'étendue du service public en Grande-Bretagne. Il a observé
qu'il n'existait pas de critères concrets pour définir le service
public et a fait valoir qu'il ne servait à rien d'avoir des cahiers des
charges précis si ceux-ci ne contenaient que des prescriptions minimales
en matière de service public. Il a souligné que l'on avait
parfois l'impression que la SNCF avait une conception étriquée du
service public et a souhaité savoir ce qu'il en était en
Grande-Bretagne.
M. Nicolas About a indiqué que les cahiers des charges imposaient aux
exploitants de services de transport de voyageurs de maintenir au moins le
niveau de service assuré par l'ancienne entreprise British Railways et
que, naturellement, les exploitants étaient invités à
entreprendre davantage de manière à conquérir une nouvelle
clientèle. Il a en outre fait valoir que les cahiers des charges
contenaient également des prescriptions en matière tarifaire
limitant fortement la possibilité d'augmenter les tarifs des services.
Après un large débat, auquel ont participé MM. Paul
Masson, Christian de La Malène, Denis Badré, Yves
Guéna, Philippe François, Jacques Genton, président, James
Bordas et Robert Badinter, le rapporteur a proposé, compte tenu du
report de l'examen par le Sénat du projet de loi portant création
de l'établissement public " Réseau ferré
national ", d'apporter des modifications à sa conclusion.
La délégation a alors décidé de réexaminer
la conclusion du rapport d'information au cours de sa prochaine réunion.
· La délégation a adopté le rapport au cours
de sa réunion du 12 novembre 1996.
ANNEXE
Synthèse et calendrier des actions envisagées
par la Commission européenne dans son Livre blanc :
" Une stratégie pour revitaliser les chemins de fer
communautaires "
(1) " L'Europe : une chance pour la SNCF
? ",
Délégation du Sénat pour l'Union européenne,
n° 331, 24 avril 1996.
(2) Livre blanc - " Une stratégie pour revitaliser les chemins de
fer communautaires " - Commission européenne, COM (96) 421 final.
(3) Rapport VINCENT sur " l'avenir du transport ferroviaire en
Europe ", Agence Europe, n° 2006/2007, 11 octobre 1996.
(4) Le Monde, 16 octobre 1996